Dans la continuité de l'article précédent : "Etude musicale des 'Chercheuses de poux' ", je me lance dans une nouvelle revue des influences possibles de Baudelaire sur la composition des "Chercheuses de poux".
J'ai aussi des échos de mots et de rimes à mettre en avant qui ne me semblent pas figurer dans les relevés des rimbaldiens, et je vais en profiter pour les référencer ici.
Dans son article "Pratiques de l'hygiénisme" qui vient de paraître, Christophe Bataillé considère que plusieurs rimes sont baudelairiennes.
Il y a un total de dix rimes dans le poème : "tourmentes"/charmantes", "indistincts"/"argentins", "croisée"/"rosée", "fleurs"/"charmeurs", "craintives"/"salives", "rosés"/"baisers", "silences"/indolences", "doux"/"poux", "Paresse"/"caresses", "délirer"/"pleurer".
Bataillé considère que deux de ces dix rimes sont plus particulièrement baudelairiennes. La rime "silence"/"indolence" au singulier figure dans "Le Vin des chiffonniers".
Le poème "Le Vin des chiffonniers" est composé de quatrains à rimes plates et notre rime au singulier concerne les deux premiers vers du dernier quatrain que je vais inévitablement citer tout entier avec son mot de la fin :
Pour noyer la rancœur et bercer l'indolenceDe tous ces vieux maudits qui meurent en silence,Dieu, touché de remords, avait fait le sommeil ;L'Homme ajouta le Vin, fils sacré du soleil !
La mention finale ne concerne pas qu'un rapprochement avec Rimbaud, l'auteur du poème "Vagabonds", il y a aussi des liens internes au recueil baudelairien, notamment avec "Le Soleil" dont il faut rappeler qu'il suivait "Bénédiction" dans l'économie du recueil censuré en 1857 ! "Le Soleil" est devenu le deuxième poème de la nouvelle section "Tableaux parisiens" et "Le Vin des chiffonniers" est le deuxième poème de la section "Le Vin", dans l'édition de 1868 qui me sert ici de référence en termes d'études rimbaldiennes.
D'autres éléments lexicaux du poème "Le Vin des chiffonniers" figure dans "Les Chercheuses de poux" : une occurrence de l'adjectif au pluriel "parfumé", et puis une mention verbale "tourmente" au sein d'un premier quatrain qui est intéressant à rapprocher tant du premier quatrain des "Chercheuses de poux" que du sonnet "Oraison du soir", et la forme "tourmentés" à son tour d'occurrence quelques vers plus loin :
Souvent, à la clarté rouge d'un réverbèreDont le vent bat la flamme et tourmente le verre,Au cœur d'un vieux faubourg, labyrinthe fangeuxOù l'humanité grouille en ferments orageux,[...]
Moulus par le travail et tourmentés par l'âge,[...]Reviennent, parfumés d'une odeur de futailles,[...]
Les mentions sont contraires au poème de Rimbaud, mais la consolation finale du vin justifie le rapprochement finalement. Le vin apaise leurs tourments ou tourmentes sous un crâne, et leur révèle de vrais parfums.
Le poème "Le Vin des chiffonniers se situe dans une zone que j'ai déclarée intéressante pour projeter une compréhension baudelairienne aux vers railleurs du sonnet "Oraison du soir" qui fonctionne de pair avec "Les Chercheuses de poux" visiblement.
Bataillé souligne une rime plus baudelairienne, la rime "paresse"/"caresse" au singulier, laquelle a de nombreuses occurrence dans Les Fleurs du Mal : "La Chevelure", "Chanson d'après-midi", "A une dame créole", "Tristesse de la lune". Ces poèmes sont épars dans la version posthume des Fleurs du Mal, mais avant même de repérer cette liste dans l'article de Bataillé, j'avais déjà sous le coude une tout autre idée justifiant l'idée de rime baudelairienne. Le dernier quatrains des "Chercheuses de poux" a une rime irrégulière : "Paresse"/"caresses". Il s'agit d'une rime entre un singulier et un pluriel, plus précisément un mot offre un "s" final et l'autre non. Je n'entre pas dans les détails. Mais, pour moi, la dernière strophe des "Chercheuses de poux" doit être citée avec précision car la rime "Paresse"/"caresses" est suivie d'une rime interne à la césure de la forme "sans cesse" qui rimerait idéalement avec le singulier "Paresse". Et le mot "Paresse" vient d'un complément du nom et il vaut la peine de citer le syntagme en entier "vin de la Paresse". Je cite le quatrain final des "Chercheuses de poux" :
Voilà que monte en lui le vin de la Paresse,Soupir d'harmonica qui pourrait délirer,L'enfant se sent, selon la lenteur des caresses,Sourdre et mourir sans cesse un désir de pleurer.
A quel point ce quatrain est-il baudelairien ? "Soupir d'harmonica", le motif se rencontre chez Chateaubriand, mais chez Baudelaire ? L'expression : "Voilà que monte en lui..." en a-t-on des équivalents baudelairiens ? L'expression : "L'enfant se sent..." fait songer à Victor Hugo plutôt. Pourtant, le mot "désir" est baudelairien, la rime "Paresse"/"caresse" l'est aussi, on va le vérifier, et l'idée de "lenteur des caresses" est aussi très baudelairienne. L'expression "le vin de la Paresse" fait penser aux titres de la section "Le Vin" des Fleurs du Mal. Il est aussi dans la manière poétique de Baudelaire de parler avec détachement de son personnage : "L'enfant" comme a "Les Petites vieilles", "Le Poète", etc.
Et en fait, la rime "Paresse" et "sans cesse" apparaît dans le premier quatrain du poème "Les Phares" de Baudelaire :
Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse,Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer,Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse,Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer :[...]
Je trouve remarquable l'écho entre "jardin de la paresse" et "vin de la Paresse", d'autant qu'à côté nous avons un "fleuve d'oubli" qui qualifierait très bien le vin aussi. Nous avons des "anges charmants" dans le quatrain suivant consacré à Léonard de Vinci. Et puis, il y a les trois derniers quatrains des "Phares" avec cette chute sur un "ardent sanglot" qui "vient mourir au bord de" l'éternité de Dieu !
Baudelaire aime clore ses poèmes sur une mention des yeux, du regard comme c'est le cas dans "Voyelles", mais aussi sur le sanglot sacralisé. C'est ici le cas dans "Les Phares", mais qu'on songe aussi au poème "Bénédiction" qui ouvre la première section "Spleen et Idéal" avec ces "yeux mortels" qui ne sont que des "miroirs obscurcis et plaintifs !"
Le premier quatrain est une inversion du premier quatrain des "Chercheuses de poux" sur plusieurs points : amorce "Lorsque" face à "Quand", le poète est envoyé pour résoudre les problèmes d'un monde ennuyé, mais loin d'être assisté par deux soeurs charmantes, la mère exècre son enfant devant Dieu "qui la prend en pitié".
Le poème "La Chevelure" a un intérêt réel pour un rapprochement, le motif de la chevelure est décisif dans "Les Chercheuses de poux" qui cible d'ailleurs l'importance de ce motif dans "Le Jugement de Chérubin" et par-delà dans maints vers du recueil Philoméla ou même au-delà dans les poèmes et récits déjà publiés à l'époque par Catulle Mendès, et ce motif Mendès le trouvait déjà mis en avant par Baudelaire en ses vers.
Le poème "La Chevelure" est en quintils ABAAB. Le premier quintil offre une triple rime en "-ure" qui intéresse là encore la lecture de "Oraison du soir" avec les liens à "Voyage à Cythère" de Baudelaire, "Le Jugement de Chérubin" et "Les Fils des anges" de Catulle Mendès. Et l'autre rime en "-oir" confirme qu'il convient de ne pas dauber le rapprochement. La chevelure est étroitement associée au mot "parfum" qui plus est dans ce premier quintil :
O toison, moutonnant jusque sur l'encolure !Ô boucles ! ô parfum chargé de nonchaloir !Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscureDes souvenirs dormant dans cette chevelure,Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir !
Il n'est pas vain de relever que Baudelaire lie la visite des souvenirs à l'effet du parfum de la chevelure, sachant que nous avons le motif des rêves ravalés qui provoquent de "douces brûlures" dans "Oraison du soir" et que le front tourmenté de l'enfant aux "lourds cheveux" en appelle aux rêves et va avoir des soins tout en étant plongé dans les parfums de la rosée d'un air floral qui tombe directement sur sa tête à cause de la "croisée / Grande ouverte".
Il est question de "boire", ce verbe qu'on trouve dans "Les Mains de Jeanne-Marie" et "Les Premières communions", de boire "le parfum, le son et la couleur". Le quintil qui contient la rime "Paresse"/"caresse", l'enrichit avec le mot significatif "ivresse", et ce quintil fournit une autre rime en "é", ce qui coïncide avec un choix dominant des "Chercheuses de poux" :
Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresseDans ce noir océan où l'autre est enfermé ;Et mon esprit subtil que le roulis caresseSaura vous retrouver, ô féconde paresse,Infinis bercements du loisir embaumé !
Le poète demande alors à la chevelure si elle n'est pas la gourde où le poète "hume à longs traits le vin du souvenir", expression "vin du souvenir" à rapprocher inévitablement de la formule "vin de la Paresse".
Les rapprochements semblent moins pertinents du côté de "Chanson d'un après-midi", poème en octosyllabes, mais le rapprochement vaut par ce qu'il correspond à des constantes du discours métaphorique de Baudelaire, et comme je m'intéresse aux passerelles entre "Oraison du soir" et "Les Chercheuses de poux" je relève la présence à proximité d'une rime en "-oir" avec précisément le mot "soir" :
Sur ta chair le parfum rôdeComme autour d'un encensoir ;Tu charmes comme le soir,Nymphe ténébreuse et chaude.Ah ! les philtres les plus fortsNe valent pas ta paresse,Et tu connais la caresseQui fait revivre les morts !
Le premier quatrain de "A une dame créole" est plus saisissant pour le rapprochement, puisqu'il contient la rime "paresse"/"caresse" avec une mention de l'adjectif "parfumé" et en sus l'occurrence "charmes" :
Au pays parfumé que le soleil caresse,J'ai connu, sous un dais d'arbres tout empourprésEt de palmiers d'où pleut sur les yeux la paresse,Une dame créole aux charmes ignorés.
Les quatrains sont sur deux rimes, et nous retrouvons encore une fois la rime en "é" (je n'entre pas dans les détails sur la consonne d'appui obligatoire pour cette voyelle particulière), et dans les tercets nous avons une rime en "-oir" doublé de sa cadence féminine en "-oire".
Décidément !
Le poème "Tristesses de la Lune" offre lui aussi une belle fournée de rapprochements. La rime figure dans le premier quatrain du sonnet avec un cadre érotique du soir qui convient à l'idée qu'on se fait pour "Les Chercheuses de poux". Nous retrouvons la mention érotique "Promène" aussi, l'idée de l'ascension avec le verbe "montent" comme dans "Voilà que monte en lui..." et les tercets se terminent sur l'idée d'une larme pieusement recueillie et protégée du soleil par le poète.
Ce soir, la Lune rêve avec plus de paresse ;Ainsi qu'une beauté, sur de nombreux coussins,Qui, d'une main distraite et légère, caresseAvant de s'endormir le contour de ses seins,[...]Et promène ses yeux sur les visions blanchesQui montent dans l'azur comme des floraisons.[...]Elle laisse filer une larme furtive,Un poète pieux, ennemi du sommeil,[...]Et la met dans son cœur loin des yeux du soleil.
Le poème "Tristesses de la Lune" partage avec "Chanson d'un après-midi" l'ordre de défilement "Paresse"/"caresse" qui est celui de Rimbaud : "Paresse"/"caresses". Le nom "Tristesses" coïncide avec la présence de l'adjectif "triste" sur l'une des deux versions manuscrites connues de "Oraison du soir".
Dans l'appendice à l'édition posthume des Fleurs du Mal, Charles Asselineau exalte la beauté du sonnet "Parfum exotique" qui correspond au traitement du souvenir par les parfums dans les poèmes que nous avons convoqués. Je cite ce passage important :
La pièce vingt et unième (Parfum exotique) est remarquable par cette faculté d'arrêter l'insaisissable et de donner une réalité pittoresque aux sensations les plus subtiles et les plus fugaces. Le poëte assis près de sa maîtresse, par un beau soir d'automne, sent monter à son cerveau un parfum tiède qui l'enivre ; il trouve à ce parfum quelque chose d'étrange et d'exotique, qui le fait rêver à des pays lointains ; et aussitôt dans le miroir de sa pensée se déroulent des rivages heureux, éblouis par les feux du soleil, des îlots paresseux plantés d'arbres singuliers, des Indiens au corps mince et vigoureux, des femmes au regard hardi :
[...]Je vois un port rempli de flammes et de mâtsEncor tout fatigués par la vague marine,Pendant que le parfum des verts tamariniers,Qui circule dans l'air et m'enfle la narine,Se mêle dans mon âme au chant des mariniers !
Le commentaire de Charles Asselineau est très bien écrit avec l'habile expression "miroir de sa pensée", le don d'une formule qui fait slogan : "cette faculté d'arrêter l'insaisissable", il cerne que la vision est d'une "réalité pittoresque" à partir d'un ineffable. Il cite l'adjectif "paresseux" et le souligne dans son texte. Et le mot "parfum" est bien sûr clef dans la citation des cinq derniers vers du sonnet. J'aurais précisé que dans les quatrains le poème a fermé les yeux et que le saisissement du poème vient de l'impression de réalité finale : "m'enfle la narine". Mais il y a un autre point important que vous ne soupçonnez peut-être pas encore et qui est dans la citation d'Asselineau, c'est le fait qu'à la rime nous ayons deux mots de la même famille l'un construit d'après l'autre par suffixations : "marine" et "mariniers", lequel "mariniers" fait une rime riche à "tamariniers" qui plus est. J'y vois un écho troublant avec les couples "charmantes"/"charmeurs" et "rosée"/"rosés" des "Chercheuses de poux".
Pour le "don d'évocation" de Baudelaire, Asselineau invite les lecteurs à se reporter aux poèmes suivants : "Les Phares", "La Muse malade", "Le Guignon", "La Vie antérieure", "De profundis clamaui", "Le Balcon" et "La Cloche fêlée". Je précise que ma lecture du "Balcon" est justement particulière et opposable aux baudelairiens au sens où la femme qui est évoquée est une figuration de la lumière solaire du couchant. J'ai une autre particularité, c'est de considérer que dans ses poèmes Baudelaire même s'il avait des "muses" relatives dans la vie réelle à qui il dédiait ses poèmes allégorisait la solitude dans ses poésies, cela me paraît évident dans "Que diras-tu ce soir..." et dans le vers sur épreuve : "Les stupides mortels qui t'appellent leur frère", qui est une allusion pour moi limpide à la célèbre "Nuit de décembre" de Musset racontant un face à face avec la solitude personnifiée en double du poète.
Plus haut dans son article, Asselineau dit aussi quelque chose de frappant à propos du poème "Bénédiction" dont on oublie souvent qu'il est l'une des réussites d'écriture du recueil, même si personnellement je ne le vois pas comme musical, mais Asselineau dit carrément ceci : "la pièce se termine par un cantique doux et grave comme un finale de Haydn". Suit la citation des six derniers quatrains de "Bénédiction", et Asselineau reprend en ajoutant : "Je ne crois pas que jamais plus beau cantique ait été chanté à la gloire du poëte, ni qu'on ait jamais exprimé en plus beaux vers la noblesse de la douleur et la résignation des âmes privilégiées."
Avant de montrer en quoi cela intéresse les études rimbaldiennes, je me permets une petite digression. Je ne suis pas d'accord avec Asselineau, ce n'est pas ces six quatrains qui me marquent le plus à la lecture de "Bénédiction". Et je ne les trouve pas d'une écriture exceptionnelle. J'aime bien le quatrain : "- Soyez béni mon Dieu..." qui imite la liturgie avec des vers forts en gueule, mais pour le reste c'est bon mais sans être sublime. Ce que je préfère, c'est précisément tous les quatrains qui précèdent la citation du "cantique", avec une admiration particulière sur les franchissements de certaines césures ou les tassements particulier "mis bas" ou "gai" devant la césure :
Ah que n'ai-je mis bas tout un noeud de vipères,Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes,Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois.Et s'accusent d'avoir mis leurs pieds dans ses pas."Puisqu'il me trouve assez belle, pour m'adorer,Et comme elles je veux me faire redorer.Je le lui jetterai par terre avec dédain.
Au point de vue prosodique, c'est parmi les meilleurs poèmes de Baudelaire, et je pourrais citer d'autres vers qui ne jouant pas avec la césure sont tout autant bien tournés que ceux-ci pourtant.
Vous remarquerez qu'Asselineau parle de "cantique", ce qui coïncide avec les mentions "psaume d'actualité" et "cantique pieux" dans la lettre à Demeny du 15 mai 1871. La lecture de l'article de Charles Asselineau fait partie de ceux qui ont amené Rimbaud à parler de Baudelaire comme d'un vrai poète et vrai dieu, mais aussi à exprimer des réserves sur une forme par trop vantée. Il y a plein d'articles dans l'édition posthume de 1868, sans oublier la longue préface de Gautier, et on sait qu'à Paris en février-mars 1871 Rimbaud n'a pas fait que loger chez André Gill et cherché l'adresse de Vermersch puisqu'il y a passé... deux semaines entières selon ses dires mêmes !
Vous me faites rire avec votre théorie d'un adolescent extra lucide qui aurait compris seul sans influence l'importance de Baudelaire. On a toutes les preuves en main du contraire, et Rimbaud lui-même le certifie : "la forme tant vantée". Si on a fait devant lui l'éloge de la forme, vous pensez bien qu'on lui a soumis aussi l'éloge des idées. Vous voyez la nature de l'article d'Asselineau qui permet même d'expliquer pourquoi Rimbaud crée les formules "psaume d'actualité" et "cantique" ou "chant pieux". Et justement, le poème "Les Chercheuses de poux" est une création musicale comme le sont les poèmes à vers répétés de Baudelaire, notamment les poèmes en quintils autres que "La Chevelure", une création musicale comme l'est "Harmonie du soir", poème en quatrains sur deux rimes avec des répétitions qui a à voir avec les tierces rimes de Mendès en treize vers et deux rimes, et bien sûr "Crépuscule du soir mystique".
Le poème "Accroupissements" est précisément en quintils mais comme "La Chevelure" sans répétition, sauf que "La Chevelure" a la forme normale d'un poème en quintils, quand "Accroupissements" est en quintils anormaux ABABA sur le modèle des quintils à vers répétés de Baudelaire. Rimbaud reconduit le quintil ABABA dans le poème "J'ai mon fémur" révélé en partie par Delahaye et dans "L'Homme juste". L'alternance de "Oraison du soir" est à relier au poème "Les Premières communions" avec des sizains à l'organisation irrégulière des rimes à la Musset, et bien sûr à la forme pétrarquiste des tercets dans Philoméla de Mendès, mais Rimbaud sait aussi que "Harmonie du soir" ne fait alterner que deux rimes, ce qui fait que le titre "Oraison du soir" peut prendre du sens, et l'oraison c'est un peu un synonyme de prière et finalement de cantique... Non ?
Assez pour l'instant sur cette voie-là.
J'en reviens à l'ensemble des rimes des "Chercheuses de poux". Il serait pas mal de retrouver la rime rare : "indistincts"/"argentins" chez un autre poète. Baudelaire emploie "argentine" à la rime dans "Moesta et errabunda", un des poèmes les plus musicaux de Baudelaire, un de ses plus appréciés, et un poème précisément en quintils. J'ai signalé que par la disposition des phrases, les six derniers vers pouvaient justifier un rapprochement avec les tercets de "Oraison du soir", tandis que "voix argentine" à la rime ouvre la voie à un rapprochement avec "ongles argentins" dans "Les Chercheuses de poux". Notons que l'adjectif "frêle" a une présence paradoxale dans "Bénédiction" pour qualifier la main de la femme rageuse du poète : "ma frêle et forte main", main qu'elle abattra sur le poète justement pour humilier et détruire son cœur.
Il y a plusieurs poèmes musicaux dans Les Fleurs du Mal. Je songe aussi à un relevé des poèmes en cinq quatrains, la pièce "Elévation" est concernée. Et si les surfaces semblent bien distinctes, il y a des rapprochements à faire dans la profondeur entre "Elévation" et des pièces telles que "Accroupissements", "Oraison du soir" et "Les Chercheuses de poux".
Cet article aura une suite, mais je viens vous des arguments massue comme on dit familièrement sur l'intérêt d'une lecture musicale des "Chercheuses de poux" bâtie sur une concurrence à faire au poète acclamé par tout le milieu parisien qu'était Baudelaire.
Pour l'instant, il y a deux problèmes qui apparaissent. Premièrement, mais c'est un peu normal vu que Baudelaire est mort quelques années auparavant et n'écrivait pas sur l'actualité politique en principe, les renvois à Baudelaire ne favorisent pas l'hypothèse d'une lecture communarde des "chercheuses de poux". Le second problème est en revanche impossible à contourner. Les renvois à Baudelaire donnent l'impression que les "soeurs" sont vues positivement et par l'enfant et par le poète lui-même, ce que pourtant le titre "Les Chercheuses de poux" rend suspect. Les rapprochements ainsi posés ne permettent pas d'arriver de manière limpide aux intentions de Rimbaud quand il écrit "Oraison du soir", "Accroupissements" et "Les Chercheuses de poux".
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