lundi 27 juin 2022

"Nous" et "monde" dans "Being Beauteous"

J'ai récemment mis en ligne un article sur le poème "Après le Déluge", poème ayant un arrière-plan contre-évangélique certain à cause de la mobilisation sarcastique de la notion biblique du "déluge". Je lis bien évidemment des allusions à la Commune dans ce poème, mais même en laissant cet aspect de côté on arrive à une lecture simple du poème comme critique de l'ennui auquel se laisse aller le monde dans lequel nous vivons. Dans le contexte d'époque, avec la répression de la Commune en mai 1871 et la période de composition du poème non encore publié qui plus est, c'est bien sûr la période des débuts de la Troisième République en France qui est visée, période allant de mai 1871, idée de Déluge qui s'est rassise, à une période d'écriture du poème située plutôt vers 1873 ou 1874, sans se préoccuper de la datation d'Une saison en enfer ici.
Pour moi, le poème est relativement aisé à lire, il peut avoir des passages plus obscurs, mais trois passages peuvent laisser être piégeux à la lecture.
Le premier point, c'est celui des "pierre précieuses qui s'enfouissaient" et des "fleurs qui regardaient déjà". On peut envisager des liaisons naturelles à l'intérieur du poème. L'adverbe "déjà" peut être rapproché de la locution conjonctive qui ouvre le poème : "Aussitôt après que...". Nous pourrions en inférer que le poète veut dire que les fleurs se sont mises immédiatement à regarder et à s'ouvrir une fois que l'idée du déluge s'est éloignée, et cette image est logique quand on songe que les fleurs ont eu à craindre la pluie sur leurs pétales. On peut opérer une autre liaison des "fleurs qui regardaient déjà" avec la phrase : "Les enfants en deuil regardèrent les merveilleuses images", et comme nous avons lié l'adverbe "déjà" à la mention initiale "Aussitôt" du poème, nous pouvons comparer l'emploi de l'adverbe "déjà" avec celui de l'adverbe "encore" au sein du complément de lieu "Dans la grande maison de vitres encore ruisselante". Autrement dit, malgré le deuil, les enfants sont invités à s'émerveiller, et malgré le ruissellement de la pluie qui rappelle le ciel sombre qui a menacé les enfants ont déjà les yeux rivés sur de merveilleuses images.
Tout cela forme un tout cohérent. Et il va de soi que la répétition des "pierres précieuses" et des "fleurs" impose de relier "les fleurs qui regardaient déjà" aux "fleurs ouvertes".
La difficulté de lecture demeure à ce stade au plan des seules pierres précieuses. Certaines lectures, comme celle récente d'Henri Scepi que j'ai en partie commentée, vont mettre les pierres précieuses sur le même plan que les fleurs, sauf que les modèles culturels cités à l'appui ne conviennent pas. Dans le poème "Le Déluge" de Vigny, l'aspect de "pierres précieuses" du ciel s'impose, il ne se cache pas. On peut alors préférer une lecture différente que par exemple Antoine Fongaro a déjà développée selon laquelle les pierres précieuses sont la vraie poésie et les fleurs la fausse poésie.
Les pierres précieuses se cachent, s'enfouissent pour fuir cette situation de refus du déluge, tandis que les fleurs mièvres et sottes se félicitent de l'événement. Si les pierres précieuses s'enfouissent, c'est peut-être qu'elles figurent l'éclat de lumière de l'eau du déluge amorcé, eau qui disparaît dans le sol, comme l'eau fond sur des sables vierges dans "Larme". On peut comparer avec le jaillissement des forces souterraines dans "Barbare" et le fait que cela fait jaillir une forme de "pierres précieuses" puisqu'il est question de coeur de la terre éternellement carbonisé pour nous et d'un "Solde de diamants sans contrôle". Ici, la lecture et les images d'un autre poème viennent clairement soutenir la lecture envisagée. Tout a l'air de bien se tenir.
Je pense que c'est la bonne lecture à faire dans ce poème pour les "pierres précieuses" et les "fleurs".
Maintenant, il y a une possibilité de difficulté si on effectue un rapprochement des "fleurs qui regardaient déjà" avec la "fleur qui me dit son nom" dans "Aube", paysage où soudain la Nature regarde l'aube se lever. C'est ce qui fait qu'à une époque j'hésitais entre les deux lectures, deux lectures diamétralement opposées d'un passage ou deux passages de "Après le Déluge", mais paradoxalement cela les deux lectures opposées pouvaient justifier une même lecture pour le reste du poème. Je pense que le rapprochement avec "Aube" a une pertinence, mais une pertinence seconde. Les deux poèmes ont en commun le motif important de la fleur qui regarde, mais dans "Aube" il y a une construction positive et dans "Après le Déluge", il y a une construction négative. Les fleurs sont trompées dans "Après le Déluge", et c'est ce qui fait que contre toute attente on ne peut pas mettre sur le même plan le regard de la fleur qui dit son nom et le regard des fleurs trompées par la fin de la menace de déluge.
Il y a un deuxième point de résistance à la lecture qui suppose la même problématique. Un enfant s'enfuit en claquant la porte et tourne ses bras sous l'éclatante giboulée avec l'assentiment des girouettes et des coqs des clochers de partout, si vous me permettez cette allusion en douce à "Oraison du soir".
L'écriture rimbaldienne étant assez elliptique, on peut vite être dominé par une impression de lecture personnelle qui n'est pas la bonne. Et je suis victime de ce problème-là en ce qui concerne la giboulée, ce qui fait que je me retrouve à hésiter entre l'idée que la "giboulée" est un instrument du printemps d'Eucharis qui fouette le méchant rebelle dont les bras sont tournés vers les quatre vents, etc. Mais, on peut penser aussi que l'enfant aspire toujours au déluge et voit dans la giboulée le moyen d'échapper à l'effet suborneur des merveilleuses images. Quand je pèse le pour et le contre, c'est plutôt cette dernière lecture qui s'impose à moi, mais c'est malheureux, je dois départager deux lectures par un retrait de considérations intellectuelles par rapport au poème. Je pense quand même que la liaison avec l'appel à un déluge qui sourd du sol renforce l'idée d'appel à la pluie et à l'arrivée des eaux, à la fois par en bas, et par le ciel. Mais dans ma lecture où la giboulée est considérée comme une ennemie, je joue sur l'opposition du déluge qui vient d'en bas avec la menace du ciel qui appartient à Dieu, et je songe à la variante du poème "Larme" de "Le vent du ciel" à "Le vent de dieu".
C'est le deuxième point un peu compliqué du poème, bien que la compréhension du poème ne pose pas problème en soi dans l'ensemble.
Enfin, il y a le troisième point compliqué, la comparaison avec les gravures : "la mer étagée là-haut comme sur les gravures". Je considère que le fait de tirer les barques vers le haut est une allusion au début en vers du "Bateau ivre", une sorte d'écho interne à l'œuvre rimbaldienne même. Dans "Le Bateau ivre", les haleurs tirent le bateau vers la mer mais en contrôlant l'allure. Ils vont être tués et le bateau ira à la mer en descendant selon le rythme des fleuves parce que hors de contrôle. Que l'idée d'une allusion au "Bateau ivre" ne plaise pas, peu importe ! Rimbaud a écrit "Le Bateau ivre" auparavant et de toute façon nous avons un même auteur qui une fois envisage des haleurs une autre fois envisage des barques tirées vers la mer donc on ne va pas s'interdire de comparer les significations symboliques, poétiques, potentielles des deux passages. Mais, le fait étonnant, c'est que la mer est placée en haut, le mot qui est précisément employée est "étagée". La mer n'est pas une force qui peut être dominée. Dans l'optique d'une métaphore du peuple en révolte, métaphore politique banale avec entre autres des poèmes de Chénier, Hugo, etc., et métaphore politique présente explicitement dans "Les Poètes de sept ans", on peut comprendre qu'il y a une raillerie amère d'un peuple qui a été parqué, dominé. Rien ne dit qu'il faille envisager le poème comme décrivant la scène d'une ville, en l'occurrence Paris, mais si on procède ainsi, on pense alors aux débuts de l'insurrection à Montmartre. Toujours est-il que la mer est anormalement placée en hauteur. Cela ne se conçoit pas, ce n'est pas logique, et l'idée qu'elle est étagée ne fait pas partie de la comparaison. Le poète dit que la mer est étagée là-haut et que ça fait le même effet que celui d'une mer dessinée sur une gravure.
La mer est évidemment un réservoir d'eau qui vaut expression du déluge et si elle est placée en hauteur elle devient l'image d'une citerne qui si elle éclate noie le restant de l'activité humaine. Les gens qui tirent les barques seront noyés puisqu'ils viennent d'en bas, par exemple.
C'est ce qui achève de rendre la métaphore communarde convaincante et pertinente.
Et même si on lit le poème en laissant de côté les identifications communardes, il va rester dans la lecture immédiate le sentiment d'une mer citerne qui n'est pas à sa place naturelle et qui peut exploser, comme il va rester une configuration d'ennui éprouvé pour une société pourtant humaine qui s'active. Ce n'est pas parce qu'on aura décidé de ne pas voir la Commune que ces aspects satiriques de la lecture vont disparaître. Ces aspects-là sont bien explicités.
Et j'ai bien insisté sur la différence des plans. Certes, le poème se clôt sur l'idée que la Sorcière ne veut pas nous révéler un secret, mais le propos du poème c'est de dire qu'un sentiment d'ennui s'accumule depuis un certain temps, vu que sans le déluge la société s'adonner à un mythe du printemps qui est une imposture. Et la lassitude est martelée avec la reprise de "puis" ou "depuis" à trois ou quatre reprises par exemple. Et on sent poindre le reproche fait à la société de générer cet ennui et d'être la cause que la Sorcière ne veut pas révéler son secret. Le problème n'est pas que la Sorcière ne veut pas, le problème c'est que le monde a découragé la Sorcière de nous délivrer son message.
Et je m'appuie sur "Barbare" en disant que c'est un poème qui illustre l'accord de la Sorcière pour parler avec bien sûr cette "voix féminine arrivée au fond des volcans".
Et je n'insiste pas pour rien sur les échos avec le poème "A une Raison". Je prétends d'un côté que la séquence de l'enfant qui "tourna ses bras, compris des girouettes et des coqs de clochers de partout" est en écho avec l'alinéa : "Arrivée de toujours, qui t'en iras partout", et aussi avec le jeu d'écho lexical : "Ta tête se détourne", "Ta tête se retourne", comme dans une moindre mesure les bras font écho à "Un coup de ton doigt" et "un pas de toi", comme dans une plus forte mesure la mention au singulier "enfant" fait écho au groupe nominal introduit par un déterminant démonstratif dans : "te chantent ces enfants". Or, la mention "arrivée" dans "Barbare" fait écho à l'attaque participiale du dernier alinéa de "A une Raison" : "Arrivée de toujours, qui t'en iras partout." Résultat des courses, l'alinéa final de "A une Raison" entre en résonance avec aussi bien "Après le Déluge" que "Barbare".
Ceux qui me suivent savent par ailleurs que je m'ingénie à lire "A une Raison" et "Matinée d'ivresse" comme deux poèmes racontant le début et la fin d'une seule matinée d'ivresse. Les deux poèmes sont enchaînés au plan manuscrit et ils ont des points communs dont un très parlant entre "nouvelle harmonie" et "ancienne inharmonie". On sait également que je ne partage pas la lecture traditionnelle qui consiste à prétendre que le "temps des Assassins" est appelée de ses voeux par Rimbaud. Je peux me tromper, mais j'avance comme argument que tout au long du poème "Matinée d'ivresse" le poète est en train de dire que la fanfare tourne, que l'ivresse est en train de se terminer et qu'on va revenir au monde habituel. Cet argument me fait dire que "Voici le temps des Assassins" désigne la réalité abhorrée qu'il faut dominer et n'annonce pas un avènement dont la matinée ne serait qu'une prémisse.
Je peux me tromper, je suis seul à défendre ce point de vue visiblement. Mais ce n'est pas tout, je m'oppose dans la foulée à la lecture courante de "Barbare". Là encore, je suis seul à proposer ma lecture, mais cette fois mes arguments sont plus que difficilement contestables, il ne s'agit pas simplement d'hésiter à lire une phrase dans deux sens opposés.
Dans "Barbare", je prétends clairement identifier une suite de recours à des adjectifs de la famille "vieux" ou "ancien" qui s'opposent à l'unique adjectif "nouveau" déployé dans "A une Raison", adjectif "nouveau" présent dans le cadre polaire de "Being Beauteous" avec les nouveaux corps amoureux", adjectif qui est aussi l'objet de répétitions insistantes dans un paragraphe de la section finale "Adieu" du livre Une saison en enfer. Je m'oppose donc à la lecture traditionnelle qui veut que dans "Barbare" le poète dénonce ses propres croyances comme anciennes : les "vieilles fanfares", ce serait la multiplication de la "fanfare" de "Matinée d'ivresse". Je considère qu'il s'agit d'un contresens devenu le consensus parmi les rimbaldiens, car Rimbaud rejette les "vieilles fanfares" du monde qu'il a fui et aspire sans doute toujours à la "fanfare" de "Matinée d'ivresse", fanfare qui s'opposait déjà explicitement à d'autres fanfares : "Fanfare atroce où je ne trébuche point", ce qui implique de plus anciennes fanfares. Je soutiens que les "anciens assassins" rejetés dans "Barbare" sont du coup comme les "vieilles fanfares" des éléments du monde que le poète a fui et indiqué fuir dans les premiers mots mêmes du poème en prose...
Et même si on pourra estimer que je me trompe dans le cas de "Matinée d'ivresse", dans le cas de "Barbare" mon argumentation est tout de même imparable. Alors que le consensus n'explique pas pourquoi ces "fanfares" seraient les vieilles lubies, à partir de la prise en considération du seul poème "Barbare", moi je rappelle que ce moi a fui le monde des êtres et des pays. Et loin de vanter la nature onirique du poème, je constate que le cadre polaire justifie de parler d'un éloignement par rapport aux êtres et aux pays, par rapport aux saisons et aux jours. On est dans un contexte géographique sans société humaine avec une alternance jour polaire et nuit polaire. Il n'y a pas à chercher midi à quatorze heures, le poème de Rimbaud est parfaitement cohérent. Les vieilles retraites appartiennent au monde qui a été fui, les vieilles flammes, les anciens assassins. Rimbaud ne dit pas dans "Barbare" qu'il était un ancien assassin. Il dit qu'il les a fuis. Or, le consensus sur "Barbare" est de soutenir que Rimbaud dénonce ses anciens abandons à une pensée de célébration de l'ère des assassins. Mais avec qui a-t-il connu cette expérience ? Il se décrit seul, Rimbaud. Et identifier les communards à des assassins, ça n'a jamais été son discours non plus. Au contraire !
C'est le préjugé de la lecture sur "Matinée d'ivresse" qui nous vaut cette lecture officielle du poème "Barbare", lecture officielle qui est selon un moi un pur contresens. Puis, ce contresens s'aggrave d'une lecture anormale des poèmes en prose comme une sorte de récit articulé.
Si "Barbare" considère que le discours de "Matinée d'ivresse" n'est plus valable, "Matinée d'ivresse" aurait dû être retiré de l'élite de ses œuvres, comme une tromperie pour quelqu'un qui se voulait "voyant". Il n'y a même pas besoin de débattre sur l'ordonnancement des poèmes, si on a un recueil organisé ou non, la réponse est non de toute façon, mais même si le recueil était organisé, d'où vient cette logique de considérer qu'un poème du début du recueil peut être renié par un poème vers la fin du recueil. Je veux bien qu'on rencontre de temps en temps une telle expérience. Par exemple, dans Les Châtiments, Victor Hugo fait se suivre deux poèmes autour de la peine de mort appliquée à Napoléon III. Le premier poème dit qu'on peut le tuer sans hésiter et le second dit "Non" et développe des subtilités pour laisser avec mépris dépérir l'objet d'infamie. Mais les articulations sont posées par Hugo. Là, il y a une décision arbitraire qui ne s'appuie sur aucun élément tangible pour prétendre que "Barbare" ferait un bilan négatif d'une partie aléatoire des poèmes qui le précèdent.
Ce présupposé est explicitement convoqué par les rimbaldiens qui commentent soit "Matinée d'ivresse", soit "Barbare". C'est le cas de Bruno Claisse par exemple qui écrivait dans son livre Rimbaud ou "le dégagement rêvé", dans l'étude "Barbare et 'le nouveau corps amoureux' ", que la "fière proclamation des révolutionnaires "Assassins" a fait fiasco", ceux-ci seraient "rentrés dans le rang" et "Barbare" parlerai d'eux au "passé" : "les anciens assassins". Notons que si "Voici le temps des Assassins" semble correspondre à un présent, dans l'économie du poème il n'y a aucun présent du temps des Assassins, donc ils sont passés du futur proche au passé sans jamais avoir été présents. Mais c'est cette lecture où "Barbare" présupposerait la lecture première de "Matinée d'ivresse" ?
D'où sort-il ce présupposé ? Pourquoi l'admettre ? Faudra-t-il désormais avoir le scrupule de lire "Matinée d'ivresse" en anticipant sa répudiation par le discours de "Barbare" ? Depuis quand le poème "Barbare" doit-il se lire comme la suite et remise en cause d'un poème auquel il ne renvoie pas explicitement, poème qui n'est même pas placé juste avant, mais quelque part parmi les poèmes précédents ? Ni "Matinée d'ivresse" ni "Barbare" ne correspondent à des chapitres courts d'une nouvelle ou d'un roman. Ils n'ont pas une forme narrative, surtout "Barbare". A quoi rime cette relation de lecture qu'on nous impose, ou qui s'est imposée ?
Or, ce n'est pas terminé. Le poème "Barbare" nous parle d'un retrait hors du monde, d'une divinité qui vient régénérer notre fuyard et cela dans un contexte polaire. Or, le poème "Being Beauteous" est placé avant "Matinée d'ivresse". Donc il faudrait croire que "Barbare" répudie "Matinée d'ivresse", mais pas "Being Beauteous". C'est complètement absurde.
Et puisque je soutiens que les "assassins" font partie du monde que rejette Rimbaud et ne sont donc pas ses compères à une "Matinée d'ivresse", je précise encore que dans "Being Beauteous" le "monde lance" des "sifflements mortels" contre lesquels la "mère de beauté" réagit tout en étant profondément blessée, meurtrie.
La "terre" est comme une "mère de beauté" dans "Barbare" avec cette parodie christique du "coeur éternellement carbonisé pour nous", déjà relevée depuis longtemps par Bruno Claisse notamment.
Dans "Being Beauteous", j'ai déjà souligné la présence de l'adjectif "nouveau", et plus précisément nous avons le couplage des adjectifs "nouveaux" et "amoureux" qui rappelle la formule répétée : "le nouvel amour" dans "A une Raison". On voit que les horizons de la signification des images et des mots sont étroitement liés entre eux pour "Après le Déluge", "Barbare", "Being Beauteous", "A une Raison" et "Matinée d'ivresse". Il va de soi que d'autres poèmes seraient encore à citer ici. Mais je m'en tiendrai à ce corpus.
On voit bien le lien entre "Après le Déluge" et "Barbare". Dans "Après le Déluge", le poète est pris dans ce monde d'ennui et c'est de là qu'il appelle à un déluge qui est refusé à la société par la Sorcière et le nous du poète dans "Après le Déluge" est inclus à la société : "ce que nous ignorons". Dans "Barbare", le poète a fui les êtres et les pays, et là la magie fonctionne de la braise au fond du pot de terre et de la voix féminine. Les adjectifs "ancien" et "vieux" dans "Barbare" correspondent à l'ennui des images énumérées dans "Après le Déluge", et le mot "assassins" peut avoir deux sens, celui de meurtrier comme celui de pourvoyeur d'un ennui mortel.
Et je prétends donc toujours que les "Assassins" dans "Matinée d'ivresse" sont ceux qui s'opposent précisément à cette fanfare, à cet éveil, à cette ivresse.
Mais peu importe la ligne finale de "Matinée d'ivresse", ma lecture va de soi pour "Barbare" et "Being Beautous" la défend en apparaissant comme une variante du discours tenu dans "Barbare".
Or, on a aussi relevé des éléments de reprise du langage de la religion chrétienne pour transformer en religion un ensemble de valeurs qui vont se cristalliser pour s'opposer à l'idée de société chrétienne. On a parlé de la notion de "Déluge" que le poète appelle de ses voeux, contre une société qui pourtant dans les cathédrales célèbre de premières communions. On reprend un terme biblique spécifique et on l'oppose explicitement au monde du christianisme. Le coeur éternellement carbonisé pour nous avec l'érotisation des "larmes blanches, bouillantes", de la "voix féminine arrivée au fond des volcans" sont clairement blasphématoires, il s'agit d'une parodie du langage christique, mais retourné contre le Christ. Le poème "Génie" est l'illustration la plus évidente, la plus explicite du procédé. L'expression "le nouvel amour" défie l'avènement de l'amour prôné par la religion chrétienne et la "matinée d'ivresse" sulfureuse est dite "sainte".
Dans "Being Beauteous", il est clairement question d'une divinité avec l'expression "mère de beauté" et dans le corpus rimbaldien on remonte inévitablement à l'affirmation du credo, la foi en Vénus de "Credo in unam" devenu "Soleil et Chair".
Dans le Dictionnaire Rimbaud, paru en 2021, l'entrée "Being Beauteous" vient de l'un des directeurs de la publication, Adrien Cavallaro. Sa description du poème est assez abstraite et me paraît peu expliciter son sens : "ekphrasis d'une métamorphose aux diverses modulations d'une entreprise de recréation du corps", "dynamique inchoative de 'spectralisation frénétique' ", "passage du 'corps adoré' en instance de rupture à la 'Vision' fantasmatique", "irradiation maximale d'une poétique du devenir", "manière de transsubstantiation sonore opérant par absorption et réverbérations d'ondes hostiles". Je trouve que toutes ces formules sont des paraphrases maladroites qui n'éclairent pas du tout le sens du poème, et ces formules tout en semblant se contenter de redire autrement le poème introduisent des idées problématiques. Que vient faire là l'adjectif "fantasmatique" ? Certes, la vision imaginée ne saurait être réelle, le poète l'a inventée, fantasmée si on veut, mais parler de "Vision fantasmatique" c'est supposer une lecture du poème comme fantasme avec même une nuance péjorative, involontaire de la part du critique, mais réelle. L'entreprise de recréation du corps ou la poétique du devenir qui donne corps, là c'est carrément du charabia. Il n'y a pas de sens à dégager derrière de telles formules. Evidemment que les mots ont décrit la création d'un corps imaginaire, ça prouve quoi en fait de poésie que Rimbaud l'ait fait ? Rien du tout.
Néanmoins, Cavallaro évoque le plan contre-évangélique. Il renvoie aux ouvrages de Reboul Rimbaud dans son temps et de Brunel Eclats de la violence. Malheureusement, je ne les ai pas sous la main pour savoir ce qu'ils ont développé précisément, mais peu importe. Cavallaro mentionne aussi un écrit de James Lawler et il dit que "cette exaspération charnelle" (formule de Jean-Pierre Richard) "subie, peut aussi recouvrir une dimension christique". L'écrit référencé de Lawler date de 1992. Et Cavallaro poursuit ainsi : " 'Being Beauteous' rend sensible une passion, suivie d'une résurrection de la chair." Il va de soi que tout lecteur du poème a repéré l'allure de passion du poème, et dans son premier livre publié sur Rimbaud Bruno Claisse avait produit une étude de "Barbare" où il effectuait des rapprochements avec "Being Beauteous" et où il soulignait une allusion culturelle précise à une épître de saint Paul : "il faut revêtir l'homme nouveau" dans la phrase finale : "Oh ! nos os sont revêtus d'un nouveau corps amoureux !" N'en déplaise à Benoît de Cornulier, je remarque qu'on peut diviser cette phrase en deux segments de sept syllabes, ce qui serait un nouveau pied-de-nez aux alexandrins, deux fois sept syllabes au lieu de deux fois six, sachant que le jeu d'alexandrins mal formés concerne la fin de "Parade", "Guerre" et "A une Raison" notamment. Mais, peu importe cette hypothèse métrique, ce qui est sûr c'est que l'allusion à saint Paul est explicite avec la succession "revêtus", "nouveau" et "amoureux", et cela rejaillit sur la lecture polémique du "nouvel amour" dans "A une Raison".
Pourtant, Cavallaro revient sur l'idée d'un modèle christique, mais pour le minimiser d'étrange sorte :
  Ce spectaculaire accomplissement nourrit un discours dont la coloration messianique et contre-évangélique est aussi à prendre en considération [...] mais auquel il serait fallacieux de donner un poids idéologique ou subversif de premier plan [...]
Plaît-il ? Et qu'est-ce qu'un poème contre-évangélique sans poids idéologique et subversif ? Faut-il trouver brillante la conclusion de l'article assez envolée car sans poids idéologique :

[...] "Being Beauteous" élabore avant tout, au sens le plus large, une forme dynamique et contagieuse de "nouvel amour" inscrit dans une chair collective, que le poème n'analyse pas, mais auquel, littéralement, il donne corps.
Qu'est-ce que cette conclusion veut nous dire ? On me dit : "il donne corps" en soulignant par des italiques, mais ça veut dire quoi ? Le mot "forme" est mis en italiques, mais pour dégager quoi comme idée ? Je ne comprends rien à ce que je lis, rien du tout. Il est même écrit : "littéralement, il donne corps". Et moi, si j'écris, la blonde jouvencelle aux yeux violets se dresse à travers l'écran de l'ordinateur, les computeurs s'affolent", est-ce que littéralement j'ai donné corps à un être ?
ça veut dire quoi : "littéralement, il donne corps" ?
Je ne sais pas. Oui, ça imite la formule : "j'ai voulu dire ce que ça dit littéralement et dans tous les sens", mais parodier Rimbaud ce n'est pas de l'analyse littéraire, ce n'est pas délivrer le sens d'un poème.
En revanche, la citation de saint Paul non rapportée dans l'article de Cavallaro elle prouve que le poème est subversif et plein d'un poids idéologique, c'est aussi piquant que certains passages du poème "Génie", par exemple : "il ne redescendra pas d'un ciel"...
Et enfin, j'en arrive à la question du "monde" et du "nous". Cavallaro a repéré les instances du monde et du nous, mais il ne les relie pas au modèle contre-évangélique :
   A l'ancien corps singulier, isolé et passif, se substitue en effet un "nouveau corps amoureux", collectif (incluant un "nous", troisième instance surgie dans l'espace du poème, distincte du "monde") [...]
Or, il y a beaucoup à dire sur le "nous" et le monde. Dans "Après le Déluge", je l'ai dit, le "nous" désigne la société humaine échappée au déluge en incluant le poète qui veut rompre, mais qui est pris dans l'ensemble : "ce que nous ignorons". Il n'y a donc pas un "nous" dissocié du monde. Dans "Barbare", il n'y a pas d'emploi du "nous", mais un poète s'étant éloigné du "monde", s'en étant clairement séparé. Dans "Being Beauteous", le "nous" s'oppose au "monde" : "le monde, loin derrière nous", et on apprécie cette nouvelle coïncidence l'emploi de "loin" comme au début du poème "Barbare : "Bien loin des êtres et des pays[.]" Or, le fait de s'éloigner du monde pour aller vers Dieu, ce n'est-il pas un principe de la vocation religieuse au sein du christianisme ? Le religieux se retire des passions de ce monde pour communier avec Dieu. C'est ce que fait Rimbaud dans "Barbare" ou "Being Beauteous" ! Quant à la mention "nous", on peut réfléchir si c'est un "nous" de majesté pour le poète seul comme dans "Matinée d'ivresse", mais il est plus naturel d'imaginer que ce "nous" désigne un ensemble collectif. En tout cas, dans l'optique d'un poème imitant la rhétorique religieuse pour créer une idolâtrie provocatrice, le "nous" rappelle un usage de la communauté solidaire des croyants dans le monde chrétien. Le "nous" désigne la communauté de l'église de la "mère de beauté". Dans la Compagnie de Jésus, l'expression "les nôtres" désigne la communauté entière des jésuites, l'ensemble des compagnons de Jésus, qui s'unissent dans un même Corps en étant animés d'un même Esprit. Le "nous" de "Being Beautous" ne suppose pas qu'une étude lexicale ou grammaticale pour déterminer si c'est un singulier ou un pluriel, si Rimbaud a des comparses, ou s'il s'imagine des comparses, il y a une parodie complète de la communauté solidaire des gens d'Eglise et une parodie de l'Eglise comme corps.
Ces significations polémiques me semblent autrement importantes et évidentes que des commentaires selon lesquels Rimbaud créerait des corps en assemblant des mots, vérité de La Palice, ou des commentaires selon lesquels la vision étant imaginaire Rimbaud fait une satire des poètes qui croient à ce qu'ils inventent. L'important dans ce poème, c'est le discours contre-évangélique, la parodie blasphématoire, la conception d'une divinité qui se substitue au Christ avec une corruption décisive des valeurs, de la spiritualité chrétienne à l'invention rimbaldienne. C'est en cela que Rimbaud est voyant dans "Being Beauteous", tout simplement.
Le but de Rimbaud en tant que "voyant", ici, c'est de produire une vision absolument dérangeante. "Si j'ose écrire et publier cela, qu'est-ce qu'il se passe ?" La société subit encore à cette époque-là une importante autorité religieuse. Il y a encore quantité d'écrits religieux édifiants. Rimbaud sait qu'il y a aussi une certaine censure, même si des abandons à une littérature jouant les allures sataniques est tolérée, il y a des écrits sulfureux. Le recueil Les Fleurs du Mal, mais de nouvelles choses peuvent quand même se dire, tout n'a pas été interdit ni dans ce recueil ni dans d'autres ouvrages qui sentent le soufre. Des poèmes comme "A une Raison", "Being Beauteous" ou "Génie" ou "Barbare" relèvent de l'audace, de l'envie d'en découdre avec les discours religieux autorisés. "J'imite une communion spirituelle pour une divinité qui n'est pas le Christ, cela engage des considérations érotiques, je dis explicitement dans mes poèmes que je m'oppose au christianisme et à la société telle qu'elle est", et cela va changer par touches la société car la diffusion de mes poèmes change le monde et les rapports de force. C'est ça qui aurait dû se passer avec les poèmes de Rimbaud si celui-ci avait pu dès le début des années 1870 se construire une carrière littéraire par les revues parisiennes ou par un recueil publié depuis la Belgique. C'était quand même un discours nouveau, ce n'était pas le refuge des vieux poèmes païens de Leconte de Lisle, c'était les nouvelles étapes après Baudelaire, Verlaine et d'autres. Non ?

samedi 18 juin 2022

Réaction à l'actualité de l'article d'Henri Scepi sur "Après le Déluge" dans la 'Revue d'Histoire littéraire de la France'

Un numéro de mars 2022 de la Revue d'Histoire littéraire de la France a offert à ses lecteurs un dossier d'articles autour des Illuminations.
Ce dossier, coiffé d'un titre "Les Illuminations de Rimbaud 'à tous les airs' ", ne s'étend pas à l'ensemble du numéro de la revue. Il court des pages 5 à 148 et il a en guise d'introduction un "avant-propos" de huit pages d'Adrien Cavallaro qui peut être consulté gratuitement en version PDF. Les différents articles peuvent être achetés en versions numériques. Voici le lien :

Cavallaro annonce que la plupart des études sont transversales et que cela a été voulu comme tel, mais l'article d'Henri Scepi fait exception, puisqu'il n'étudie qu'un seul poème. Au-delà de ma nette préférence, du moins dans le monde rimbaldien, pour les études consacrées à un seul poème, le titre et le résumé d'accroche de l'article m'interpellaient. Il devait y être question des "points de résistance". Pour moi, les points de résistance sont les deux suivants : "les pierres précieuses qui se cachaient", "la mer étagée là-haut comme sur les gravures", mais l'article n'a pas vraiment répondu à mes attentes sur ces deux points. L'étude d'Henri Scepi est très intéressante, mais elle ne correspond pas du tout à l'idée que je me faisais des "points de résistance" à un consensus de lecture sur ce poème.
L'article de Scepi, bien qu'il ne soit consacré qu'à un seul poème, s'harmonise avec le dossier dans son ensemble. Scepi renvoie à l'article du dossier fourni par Adrien Cavallaro, celui qui qu'on peut soupçonner d'avoir été à l'origine du projet. L'article de Cavallaro s'intitule : "Physique des idées / Comment pensent les Illuminations". Et finalement les études essaient de préciser la manière choisie par le poète pour s'adresser à nous. Je cite le résumé d'accroche que Cavallaro a produit autour de son article :

Les approches d'ensemble des Illuminations s'emploient à dégager ce que pense en prose le poème rimbaldien, en amont, il convient pourtant de se demander comment il pense. En effet, la pensée s'y déploie fréquemment sous les aspects d'une physique des idées, qui engage un ensemble de figurations matérielles de la pensée, de phénomènes d'objectivation des idées, dont la dynamique est aussi insignifiante que la substance.
Avant de traiter de l'article qui nous intéresse sur "Après le Déluge", il convient de faire quelques remarques préalables sur cette étude à laquelle renvoie Scepi.
L'article de Cavallaro est subdivisé en trois sous-parties qui ont leurs sous-titres. Le premier sous-titre est un calembour à partir de la mention "l'idée du Déluge se fut rassise" au début de "Après le Déluge" : "rasseoir le ciel des idées". Je fais la revue des deux autres : "Figurations physiques du 'monde de l'esprit' ", " 'Mouvement' des idées" (nouveau calembour à partir d'un titre de poème bien connu). Cette dernière partie est elle-même divisée en deux sous-parties sous-titrées. Cavallaro veut inviter à se méfier des lectures spéculatives sur l'idéologie et les significations symboliques des poèmes, car ce serait des systèmes de pensée étrangers aux différents poèmes voués à un éternel échec. Je ne suis pas convaincu par ce propos. Je remarque que pour illustrer cette idée Cavallaro se sert précisément du traitement du motif du Déluge dans "Après le Déluge". Cavallaro écrit ceci :
"Après le Déluge", poème habituellement placé à l'ouverture des Illuminations, donne à apprécier ce mouvement pendulaire d'une occultation de "l'idée" au profit d'une série de "merveilleuses images", dont la chute est explicite : "et la Reine, la Sorcière qui allume sa braise dans le pot de terre, ne voudra jamais nous raconter ce qu'elle sait, et que nous ignorons." Cette dérobade finale - la dérobade affichée d'une connaissance - va, en effet, de pair avec un autre type de dérobade, à son ouverture - "Aussitôt après que l'idée du Déluge se fut rassise" -, qui en passe par une sorte de dédoublement physique du retrait de "l'idée du Déluge" et du matériau allégorique qu'elle draine. En lieu du cataclysme météorologique, c'est l'affaissement ou le dégonflement d'une "idée" qui est constaté, au moyen d'un verbe qui donne corps à cette "idée" - retrait et rétraction : la direction du mouvement est identique, mais son intensité est, si l'on veut, en décrue, en contraste avec une fin qui appelle, à l'opposé, "Eaux et tristesses" à "monte[r] et releve[r] les Déluges", alimentant un imaginaire ascensionnel qu'a analysé avec bonheur Jean-Pierre Richard.
Il me semble que l'extrait que je viens de citer a précisément l'allure spéculative que l'auteur reproche à l'ensemble des études rimbaldiennes. Par exemple, l'expression "imaginaire ascensionnel" prête à Rimbaud un élan personnel qui nous vaudrait la création de la séquence dominée par les impératifs : "Sourds, étang, - Ecume, roule sur le pont [...] montez et relevez les Déluges." J'y perçois un contresens et nous en reparlerons plus bas de cette séquence.
S'il est dangereux d'attribuer à Cavallaro des propos qu'il n'a pas tenus, l'extrait cité joue quand même avec le lecteur à présupposer des implications personnelles du poète aux deux "dérobades" dont il est question : le fait qu'une idée du Déluge soit retombée et le fait que la Sorcière nous refuse un enseignement. L'expression de ces dérobades a été nécessairement voulue par Rimbaud qui les a élaborées en ce sens. Mais, si nous prenons le poème au premier degré, le locuteur dénonce que l'idée du Déluge soit retombée et il déplore ensuite que la Sorcière va nous refuser une révélation. Et ajoutons que le poème permet d'envisager que le refus de la Sorcière est lié à la suite d'événements que déplore le poète. Et à cette aune, il n'y aucune dérobade du propos dans ce poème ! Pour moi, Cavallaro donne une importance anormale à ces deux dérobades, faute de les reporter sur le plan secondaire qui est le leur dans le poème. Je veux dire que le poème ne met pas "contre notre face" (pour citer comme Cavallaro le fait le poème "Mystique") deux dérobades. Le propos du poème est de dénoncer la première dérobade et de déplorer la seconde.
Pour ce qui est de la physique des idées, ce qui ressort de l'article de Cavallaro, c'est une collection de passages où les mentions abstraites au sujet de l'esprit sont figurées par des images corporelles ou des représentations physiques concrètes. L'auteur parle de "figurations physiques de la pensée" et de "cristallisations visuelles", puis il donne une série d'exemples : "l'idée du Déluge se fut rassise", "la demeure, la tête et le monde de l'esprit", "tonne autour de ma pensée", "Ta mémoire et tes sens ne seront que la nourriture de ton impulsion créatrice", "alimente fort activement mon atroce scepticisme",... Je ne sais pas trop le parti qu'on peut en tirer pour réellement soutenir comment pensent les poèmes en prose de Rimbaud.
Venons-en maintenant à l'article d'Henri Scepi.
Le début de l'article est quelque peu étonnant. L'auteur met nettement en doute l'idée que le poème soit le premier du recueil, ce qui veut dire que Scepi ne défend pas l'idée d'une composition en recueil des poèmes en prose qui nous sont parvenus, mais il va tout de même tirer parti de cette réputation pour son interprétation des visées du poème. Scepi tend à avaliser les lectures communardes du poème "Après le Déluge", ce sont clairement les études antérieures qui ont ses faveurs, mais son approche va partir dans une tout autre direction. Son approche veut se situer dans le dialogue du poème avec ses sources et nous ne pouvons manquer de rapporter la belle formule suivante :
Un monde neuf, lavé par les eaux lustrales de la pluie, n'est jamais un monde sans mémoire.
Cette phrase est un pied-de-nez à ceux qui n'aiment pas que le commentaire du poème rimbaldien s'attache à identifier des sources. Il est aussi une fin de non-recevoir à ceux qui pensent que les poèmes de Rimbaud ne parlent pas de notre monde. Le propos est construit sur une habile reprise de la métaphore même du poème "Après le Déluge" et il n'y manque même pas une allusion à un poème en vers de la liquidité de 1872, "Mémoire".
Scepi commence par traiter un aspect bien connu du poème dans une partie sous-titrée "Une poésie post-biblique". Et Scepi va alors insister sur le fait que dans son recueil de Poèmes antiques et modernes Vigny a revendiqué d'avoir été le premier en France à produire de grands poèmes traitant un sujet philosophique. Ce propos ne vaut que pour une partie seulement de ce recueil de Vigny, mais cette ambition s'est affirmée au fur et à mesure dans son œuvre poétique et, s'il faudrait relativiser les prétentions de Vigny en rappelant que Lamartine parodiant un titre de Descartes avait publié des poèmes pleins de réflexions métaphysiques, il est clair qu'avec ses formes de récits épiques imagés l'entreprise de Vigny a initié un grand courant de poésie romantique avec les Poèmes antiques ou Poèmes barbares de Leconte de Lisle, avec La Légende des siècles de Victor Hugo, avec Les Exilés de Banville, pour s'en tenir à la mention de projets de recueils bien articulés autour du principe du récit mythique édifiant.
Scepi fait entrer en résonance la conception de Vigny avec l'expression "l'idée du déluge", ce qui revient à faire de l'expression "l'idée du déluge" une allusion au projet de poésie de voyant des prédécesseurs romantiques. Et, dans la foulée, Scepi va rappeler que le poème de référence sur le motif du déluge est précisément le poème intitulé "Le Déluge" de Vigny, et pour tisser des liens Scepi compare les "pierres précieuses" du poème de Rimbaud avec l'effet de lumière diamantine qui succède au déluge dans la pièce de Vigny. Le lien établi me semble toutefois sommaire et n'explique pas la relative "qui se cachaient" dont l'idée est reprise par la forme adverbiale "s'enfouissant" dans le dernier alinéa de "Après le Déluge".
L'article de Scepi m'a stimulé, intéressé, il souligne que la séquence des verbes à l'impératif appelant à raviver le déluge a une allure de poncif littéraire qui apparaît déjà dans les Idylles de Gessner au XVIIIe siècle, mais je voudrais insister sur des aspects qui me posent problème.
Au sujet de l'amorce du poème, Scepi parle d'une actualisation au présent à un moment donné. Pourtant, il y a deux objections à cela. Premièrement, le poème est composé avec des verbes conjugués au passé. Le passé simple domine.  La première phrase qui réunit les deux premiers alinéas et qui inclut la subordonnée temporelle initiale : "Aussitôt après que..." a des verbes principaux conjugués à l'indicatif passé simple : "s'arrêta", "dit". Deuxièmement, et Scepi le dit lui-même plus loin dans son étude, le poème a un déroulement chronologique. L'énonciation n'est pas en train de nous parler de la vision immédiate du lapin, puisque du temps s'est écoulé depuis, comme l'atteste les expressions "Depuis lors" et "Puis" au début de chacune des deux premières phrases du onzième et antépénultième alinéa, à quoi ne surtout pas manquer d'ajouter une autre occurrence dans l'alinéa final : "depuis qu'ils se sont dissipés". Le poète apprécie déjà avec un certain recul de temps ce dégonflement de "l'idée du déluge". Le titre du poème "Après le Déluge" ne désigne pas les instants qui suivent immédiatement son refoulement. Le poète parle clairement un certain temps après son anéantissement, comme le prouvent la suite insistante : "Depuis lors, Puis, car depuis..." L'antépénultième alinéa amorcé par la significative locution : "Depuis lors", suppose de nouvelles altérations, d'autres modifications qui se sont enchaînées.
Et ce constat de dégradations au fil du temps n'est pas anodin, puisqu'il permet de considérer que le poète n'est pas du tout un pourvoyeur de visions difficilement compréhensibles. Ces articulations temporelles prouvent que le poète n'est pas en train de nous fournir une pensée de l'immédiateté et de l'impondérable.
Enfin, je tiens absolument à citer le passage suivant de l'étude de Scepi. Il est question de l'esthétique de la gravure dans cette étape de son approche, mais pas pour éclairer la signification de l'allusion à la gravure dans le poème, nous dérivons sur des considérations esthétiques comparatistes. Mais ce que je veux citer, c'est ce passage où Scepi souligne à quel point Rimbaud procède par juxtaposition des énoncés, et cela devient un argument sur la difficulté de suivre le raisonnement (pages 91-92) :

   L'une des caractéristiques formelle d' "Après le Déluge" réside, on le sait, dans un mécanisme de liaison sans enchaînement, consistant à faire de chaque alinéa l'espace autonome d'un monde à part, le théâtre refermé d'un microcosme naturel et social qui, semble-t-il, n'entretient avec ce qui le précède ou ce qui le suit qu'un faible lien de continuité logique ou thématique. Nul doute que l'impression de relatif hermétisme de ce texte tienne d'une part à l'actualisation d'une syntaxe hiérarchisante et contraignante, inaugurant un espace-temps dont on espère qu'il se prolonge en s'ordonnant - "Aussitôt après que [...] Un lièvre [...] Oh ! les pierres précieuses [...]" - et ne résulte d'autre part d'une organisation phrase-parataxe déterminée par une technique raffinée de la parataxe. Manquent le plus souvent entre les unités constitutives les gloses minimales censées expliciter ou motiver les règles d'enchaînement du poème. cet agencement en mosaïque concourt moins à faire advenir un dess(e)in d'ensemble qu'à favoriser la dispersion des pôles d'attraction sémantique du texte. De sorte qu'il est permis d'affirmer que les actions qui se succèdent du paragraphe 4 ("Dans la grande rue sale les étals se dressèrent [...]") au paragraphe 10 ("Les caravanes partirent [...]") procèdent non pas d'une structuration linéaire du temps, gouvernée par une logique de la consécution, mais bien d'un effet prismatique comptable d'un geste de type simultanéiste. Pour le dire autrement, chaque scène évoquée semble s'inscrire sur une ligne événementielle indépendante et parallèle aux autres, en apparence sans interférence ni interpolation possible. Chaque moment fait office de vignette, susceptible d'illustrer les suites du déluge, ou plus exactement le retour à la vie "après le déluge". Le procédé s'apparente à l'art de l'illustration et trahit son affiliation à une esthétique conjointe de la concision et de la naïveté. Il en découle une économie de moyens propres à faciliter, par quelques traits elliptiques, mais néanmoins puissamment allusifs, la saisie intuitive de cet instant d'éclaircie, au risque de quelques raccourcis toujours efficacement éloquents. [...]
Le déficit de sens immédiatement accessible, à cause de "traits elliptiques", est une réalité de l'écriture rimbaldienne, et les dernières phrase de cette citation sont pertinentes (je songe à ce qui suit : "Chaque moment fait office..."), mais il ne faut pas s'exagérer le manque de structuration du discours dans les poèmes de Rimbaud. Par exemple, à partir du moment où la succession des phrases des paragraphes 4 à 10 est admise comme relevant du principe de l'énumération, je ne vois pas pourquoi on se plaindrait qu'il n'y ait pas de "structuration linéaire du temps", de "logique de la consécution". Je ne vois pas en quoi il y a un problème d'énonciation au sein de ces paragraphes. Ensuite, il convient de souligner des éléments qui prouvent que le discours est organisé. J'ai déjà publié un article dans la revue Parade sauvage où j'insistais sur des répétitions qui prouvaient qu'il y avait des jeux de miroir entre les paragraphes ou alinéas du poème.
Les trois premiers alinéas sont repris et amplifiés dans les trois derniers alinéas. Citons-les ! Commençons par un commentaire sur les trois premiers alinéas :
    Aussitôt après que l'idée du Déluge se fut rassise,
   Un lièvre s'arrêta dans les sainfoins et les clochettes mouvantes et dit sa prière à l'arc-en-ciel à travers la toile de l'araignée.
    Oh ! les pierres précieuses qui se cachaient, - les fleurs qui regardaient déjà.
Le premier alinéa qui a l'allure d'un verset biblique et qui correspond à des pratiques de poètes en prose tels que Charles Cros (il existe une étude de Jacques Bienvenu sur le sujet) véhicule trois formules de rabaissement. Le Déluge est un motif difficilement conciliable avec la forme "Aussitôt après que", le nom restrictif "l'idée" et la mention verbale "rassise". Le Déluge annoncé n'a été qu'une idée, il s'agit donc d'une forme de dérision. La mention "Aussitôt" participe également de la dérision, puisque la réaction immédiate à l'écartement du danger consiste à montrer que le danger est si peu terrifiant que la vie reprend son cours avec ses petits soucis triviaux. La mention verbale "rassise" a un fort relent caricatural.
Le deuxième alinéa ou paragraphe sent son persiflage avec la mise en scène d'un personnage aussi important que le petit lièvre des bois. Toutefois, le deuxième alinéa annonce un dépit. Le déluge aurait agréé au poète-locuteur, puisque la "prière" du lièvre se fait dans le cadre trompeur et inquiétant de la "toile d'araignée". Finalement, c'est l'évitement du déluge qui est le piège. Enfin, il y a le troisième alinéa constitué d'une phrase nominale. Je me reproche d'avoir hésité jadis sur le sens de cet alinéa, mais l'adverbe "déjà" à mettre en relation avec la mention initiale du poème "Aussitôt" permet de trancher avec certitude. Les "fleurs" osent regarder déjà ce qu'il se passe autour d'elles une fois le danger du déluge écarté. La difficulté est plutôt liée à la valeur des "pierres précieuses" puisqu'au lieu de regarder elles se cachent. Dans sa lecture, Scepi fait un rapprochement avec le poème "Le Déluge" où finalement l'éclat des "pierres précieuses" est une expression du retour à la normale du ciel après le Déluge. Le soleil permet des reflets d'or, d'opale, de diamant dans la Nature. Il me semble qu'il reste tout de même à expliquer ce que veut dire dans ce contexte le fait que les "pierres précieuses" s'enfouissent et plus encore qu'il leur soit prêtée l'intention de se cacher. Il est clair que Rimbaud conspue le régime végétal des fleurs, mais qu'en est-il du mode minéral des "pierres précieuses" ? Rimbaud se plaint-il qu'on perde les "pierres précieuses" ou se plaint-il de l'image de "pierres précieuses" qui joueraient à se cacher avec autant de désinvolture que les fleurs qui s'ingénieraient à s'afficher. C'est ça le premier point de résistance véritable à la lecture que je rencontre dans ce poème. Alors, je peux soutenir un point de vue en rassemblant des arguments, en établissant des liens avec d'autres passages des poésies de Rimbaud, mais je ne le ferai pas ici.
En-dehors des "pierres précieuses qui se cachaient", la lecture littérale des trois premiers alinéas ne pose aucune difficulté, et il n'est pas difficile de percevoir des sarcasmes faciles à envisager au plan politique ou au plan des règlements de compte de Rimbaud avec les prédécesseurs poètes : "l'idée du Déluge" comme "rassise", "la toile de l'araignée".
Mettons ces trois alinéas avec les trois derniers.
   Depuis lors, la Lune entendit les chacals piaulant par les déserts de thym, - et les églogues en sabots grognant dans le verger. Puis, dans la futaie violette, bourgeonnante, Eucharis me dit que c'était le printemps.
    - Sourds, étang, - Ecume, roule sur le pont et par-dessus les bois ; - draps noirs et orgues ; - éclairs et tonnerres, - montez et roulez ; - Eaux et tristesses, montez et relevez les Déluges.
   Car depuis qu'ils se sont dissipés, - oh les pierres précieuses s'enfouissant, et les fleurs ouvertes ! - c'est un ennui ! et la Reine, la Sorcière qui allume sa braise dans le pot de terre, ne voudra jamais nous raconter ce qu'elle sait, et que nous ignorons.
Il est clair que l'avant-dernier paragraphe ou alinéa reprend le premier du poème, puisque nous avons un basculement d'une "idée de Déluge" "rassise" à un appel à "relevez les Déluges". La logique suivie est de l'ordre de l'inversion. Nous passons de l'idée abstraite à l'appel au concret, en glissant du singulier au pluriel : de "l'idée du Déluge" aux multiples "Déluges", le verbe à l'impératif "relevez" s'oppose symétriquement au participe passé "rassise". Mais l'inversion se joue aussi au plan de l'énonciation. Je parlais de mots permettant de rabaisser le concept de "Déluge" avec "Aussitôt", "l'idée" et "rassise", mais notre alinéa est dans l'emphase. Et puisque le dossier de la Revue d'Histoire littéraire de la France a pour objectif de montrer comment pensent les Illuminations (ou Les Illuminations selon la correction défendue par Murphy qui me paraît tout de même fondée et logique), il me semble important de souligner que l'avant-dernier paragraphe du poème a une esthétique emphatique prononcée, une rhétorique fondée sur les effets de rythme et les répétitions rapprochées. Scepi souligne que cet alinéa a de lointains modèles avec Gessner au XVIIIe siècle. Or, cela revient à dire que cet alinéa est un morceau rhétorique, moins à prendre dans sa sincérité individuelle, que dans sa volonté de rejouer une partition. Si le but est de préciser comment pensent Les Illuminations, il convient très précisément de se poser la question du recul du poète, sinon de l'auteur, par rapport à ses énoncés. Il est assez facile d'envisager que le poète est favorable à la remontée des Déluges, mais cela n'est pas incompatible avec une réserve ironique subtile. L'avant-dernier alinéa pourrait très bien ironiser sur la pose oratoire du poète. Et, pour moi, cela rejoint quelque peu les préoccupations explicites de l'article de Cavallaro, tout en s'en écartant résolument. Cavallaro pense qu'il faut savoir se garder d'interprétations inappropriées pour se montrer plus sensible au chatoiement immédiat de la pensée du poème, chatoiement plus fuyant. Mais le chatoiement fuyant de la pensée n'est pas très intéressant en soi. Ici, ce que je pointe du doigt, c'est qu'il reste loisible de concevoir des lectures qui ne renoncent en rien à l'interprétation dite "idéologique", mais qui prennent en considération les marques de distanciation critique du poète qui ne se veut pas dupe de l'enthousiasme que son poème peut générer.
De manière évidente, la phrase nominale qui forme le troisième alinéa du poème est reprise dans l'ultime paragraphe. La reprise est insérée dans le dernier paragraphe, ce qu'appuient les répétitions des groupes nominaux "pierres précieuses" et "fleurs". A cause de l'idée de force liquide du Déluge, il semble important d'opposer l'idée du minéral à l'idée du végétal. Les "pierres précieuses" fuiraient le retour à la normale, retourneraient sous la terre avec les eaux initialement prévues pour un déluge : les "pierres précieuses qui se cachaient", les "pierres précieuses s'enfouissant". A cette aune, le rapprochement proposé par Scepi avec l'éclat solaire sur la Nature dans le poème "Le Déluge" de Vigny ne serait pas satisfaisant. En revanche, les fleurs semblent clairement faire l'objet d'un rejet : "qui regardaient déjà", "ouvertes". Le poète leur reproche de célébrer un monde de l'ennui. Et, précisément, la reprise du troisième alinéa à la fin du poème, s'accompagne de cette phrase éloquente : "c'est un ennui", où il n'est pas difficile de reconnaître la traduction française courante pour le mot "spleen". Le mot "ennui" figure en toutes lettres dans le poème "Au lecteur" qui lance Les Fleurs du Mal. Je suis assez frappé de voir que cette notion d'ennui ne soit pas plus mise en avant dans les commentaires de la pièce "Après le Déluge". Il faut ajouter que l'idée que les fleurs regardent en s'ouvrant est complétée par d'autres échos. J'ai annoncé que les trois premiers alinéas du poème étaient à mettre en relation avec les trois derniers. J'ai établi deux relations bijectives entre le premier alinéa et l'avant-dernier, entre le troisième et le dernier. Mais le troisième alinéa est quelque peu repris dans le onzième alinéa qui commence par "Derpuis lors", puisque les mentions "bourgeonnante" et "printemps" accompagnent forcément la signification des "fleurs ouvertes" "qui regardaient déjà". La situation d'après le Déluge est dénoncée comme factice et cela "depuis lors" n'est allé qu'en s'aggravant. Et le printemps, qui est un renouveau après la menace du déluge, est sous-entendu comme mensonge : "Eucharis me dit que c'était le printemps." Le poète ne répond pas. Or, il est temps de fixer la dernière relation bijective. Le second alinéa et l'antépénultième ont en commun un emploi du verbe courant "dire". Et nous pouvons apprécier que "le lièvre" "dit sa prière" "sous la toile de l'araignée", tandis que la nymphe "pleine de grâce" (selon la lecture étymologique rappelée par Scepi) trompe le poète en lui parlant de printemps. A la différence du lièvre, le poète n'est pas dupe, il répond à Eucharis par un désir de Déluge qui justifie le rapprochement que propose Scepi avec le début du poème "Michel et Christine" quand le clair déluge du soleil doit céder la place aux orages désirés par le poète.
A partir de tels pilotis, il n'est pas le moins du monde inconcevable de produire une lecture assez fine du début et de la fin du poème "Après le Déluge" en embrassant ses visées de sens, en étant armé pour parler avec assurance de son unisson ou non avec un arrière-plan politique.
Et cela sert aussi de support pour s'attaquer à la juste compréhension des sept autres alinéas au centre de la composition. Il faut d'ailleurs apprécier la reprise précise du verbe "regarder", de "les fleurs qui regardaient déjà" à "les enfants en deuil regardèrent les merveilleuses images", puisque la liaison rend sensible que le merveilleux est ici suborneur et participe du mensonge d'Eucharis sur l'avènement du printemps. Tout cela n'est qu'un vaste ennui à rejeter pour le poète.
L'étude des répétitions de mots ne plaît guère aux rimbaldiens visiblement. Pourtant, puisqu'ils admettent qu'il y a un déficit de connecteurs logiques grammaticaux et d'explicitations des liens des phrases entre elles, il s'agit d'un élément objectif fiable pour se ressaisir très rapidement du sens émanant des énoncés.
La structure dégagée permet aussi de ne pas ramener le poème à la dérobade finale de la Sorcière. Le mot de la fin n'est pas que l'entité ne nous révèle pas un savoir, ce qui transformerait du coup la lecture du poème en pure déception, le propos est de dénoncer cet abandon au printemps factice comme aliénation qui nous prive des faveurs de la divinité. La faillite du sens qu'on va prêter au poème relève du leurre des perspectives secondaires. Comme la Sorcière ne délivre pas son secret, il y a une vérité rationnelle qui fuirait le poème. Je ne pense pas du tout ainsi. La vérité de la Sorcière est certes importante, et nous pouvons être frustrés de ne pas y accéder, mais le propos du poème lui-même ne nous est pas dérobé par une pirouette finale. Le poème a dit, et clairement, le message qu'il voulait faire passer. La formule du poème n'est en aucun cas prise en défaut ici.
Il reste à traiter des sept alinéas centraux. Je ne ferai pas ici une analyse de détail. Mais, là encore, les répétitions révèlent une organisation du discours.
L'amorce "Dans la grande..." de l'alinéa 4 est reprise à l'identique à l'alinéa 7. Et nous observons que "rue sale" est prolongé en écho par "ruisselante", écho qui vaut tant par les phonèmes déployés que par le sens, puisque "ruisselante" accompagne très bien l'idée d'une "rue sale" après la pluie.
Une reprise verbale peut également être appréciée de l'alinéa 6 à l'alinéa 8 : "bâtirent", "fut bâti".
Il y a donc une organisation limpide et claire où les alinéas 4 à 6 forment un ensemble et les alinéas 7 à 10 un second ensemble qui lui répond avec quelques jeux de miroir. Il est vrai qu'il y a d'un côté trois alinéas, de l'autre quatre, mais les ensembles en tant que tels sont indiscutables et les symétries voulues par le poète demeurent aisément décelables.
    Dans la grande rue sale les étals se dressèrent, et l'on tira les barques étagée là-haut comme sur les gravures.
     Le sang coula, chez Barbe-Bleue, - aux abattoirs, - dans les cirques, où le sceau de Dieu blêmit les fenêtres. Le sang et le lait coulèrent.
      Les castors bâtirent. Les "mazagrans" fumèrent dans les estaminets.
    Dans la grande maison de vitres encore ruisselante les enfants en deuil regardèrent les merveilleuses images.
   Une porte claqua, et sur la place du hameau, l'enfant tourna ses bras compris des girouettes et des coqs des clochers de partout, sous l'éclatante giboulée.
     Madame*** établit un piano dans les Alpes. La messe et les premières communions se célébrèrent aux cent mille autels de la cathédrale.
      Les caravanes partirent. Et le Splendide Hôtel fut bâti dans le chaos de glaces et de nuit du pôle.
La symétrie ne saurait être parfaite, vu que nous avons trois alinéas contre quatre, mais les jeux de miroir n'en sont pas moins là, et loin de trouver que l'absence de linéarité du temps pose problème dans la succession des énoncés je considère qu'il faut tout simplement privilégier une analyse des thèmes en jeu. Le mot "enfants" passant au singulier "enfant" a l'air de définir un aspect clef du second ensemble par exemple, ce que conforte la mention "premières communions".
Pourquoi les rimbaldiens se privent-ils de moyens d'analyse aussi simples et efficaces que l'organisation sensible des répétitions de mots. Il est clair que les échos de ces répétitions a été sciemment préparée par Rimbaud lors de la composition du poème. On voit bien que cela ne relève pas du hasard.
J'ai proposé d'identifier un autre écho entre alinéas en soulignant que le cinquième du poème jouait sur un encadrement en passant de "Le sang coula" à "Le sang et le lait coulèrent". J'ai proposé d'identifier un effet similaire pour le huitième alinéa de "Une porte claqua" à "sous l'éclatante giboulée". La "giboulée" peut être l'indice d'un troisième point de résistance à un consensus interprétatif sur ce poème, après la comparaison "comme sur les gravures" et l'idée des "pierres s'enfouissant", mais notons que "l'enfant" se sépare du groupe en deuil et correspond à l'enfant qui chante à la Raison en la suppliant d'élever la substance ses fortunes et ses vœux. Cet appel à élever le sort ressemble à l'appel à relever les Déluges, et en disant cela nous soulignons qu'élever et relever sont deux verbes de la même famille lexicale. Dans "Après le Déluge", l'enfant "tourna ses bras" et fut compris des "girouettes" et d'un mouvement qui se retrouve "partout". Il est difficile de ne pas faire le rapprochement avec les "enfants" "levée de nouveaux hommes", avec la Raison qui "se détourne" puis "se retourne". Les "bras" correspondent alors quelque au "coup de ton doigt" et au "pas" de la divinité tutoyée, et l'adverbe "partout" est l'écho le plus évident entre les deux textes : "Arrivée de toujours, qui t'en iras partout." L'association des "girouettes" et de l'adverbe "partout" coïncide parfaitement en idée avec l'expansion universelle finale du poème "A une Raison". Précisons que dans "A une Raison" la prière des enfants formule une attente. Cette attente sera récompensée dans le poème "Being Beauteous" avec la dynamique printanière des "nouveaux corps amoureux" qui viennent recouvrir le collectif du "nous" s'opposant au "monde" et se tournant vers la "mère de beauté". Le poème "Après le Déluge" se veut clairement l'expression d'un reproche puisque lui il annonce le refus dédaigneux de la Reine ou Sorcière à délivrer un savoir. Avec les liens ici mis en évidence, on constate que la "Reine" ou "Sorcière" dont on répète à l'envi sans rien préciser que c'est une allusion au livre La Sorcière de Michelet est avant tout dans le corpus rimbaldien un autre nom de la Raison ou mère de beauté. Et on voit très bien que le propos n'est décidément pas d'acter que la vérité se dérobe éternellement aux lecteurs qui croient que Rimbaud est un occultiste qui nous a fourni un produit ésotérique avec un savoir fragile à la clef, mais le propos il est bien de dénoncer ce que nous faisons de la vie. Le poète ne râle pas parce que la vérité échappe, se refuse à nous, mais il peste parce que notre monde a tout fait pour la Raison se refuse à nouveau. Et la différence d'optique herméneutique est importante entre les deux types d'approches. Et le problème des études rimbaldiennes, c'est que l'insistance sur la dérobade du sens de propos placés sur un plan secondaire pour la compréhension achève de dérouter le lecteur. Les poésies de Rimbaud ne sont pas faciles à lire en soi, mais il faut quand même déterminer le propos principal poème par poème avant de trancher en faveur de théories sur l'incertitude du sens qui en émane.

mercredi 15 juin 2022

"Cette idole, yeux noirs et crin jaune..."

Conseil : allez lire l'article "Rimbaud et Namouna, l'improbable relation", c'est un article majeur pour l'histoire des études rimbaldiennes. 111 consultations à ce jour, c'est à désespérer des gens qui aiment lire et comprendre, quel peau de chagrin.

Hier, je me suis passé... ("je me suis passé", je me suis traîné ? c'est "je suis passé" que j'aurais dû écrire, mais je laisse ainsi, c'est marrant !)
Hier, je me suis passé devant une librairie de livres anciens à Avignon en me rendant au bar Les Célestins et je suis tombé sur un volume des plus rares, la traduction française du livre d'Henry Miller Le Temps des assassins dans son édition de 1970 par Pierre-Jean Oswald. Et en continuant de fouiller, je suis tombé sur un livre de Georges Poulet Trois essais de mythologie romantique chez José Corti en 1966. Le titre du troisième essai, assez interpellant, je le connaissais déjà : "Piranèse et les poètes romantiques français", mais ce qui a retenu toute mon attention c'est le titre du second essai : "Nerval, Gautier et la blonde aux yeux noirs." J'ai acheté les deux ouvrages ainsi débusqués et je suis allé lire ce chapitre-là précisément dans un café à côté.
On le sait ! Au début du récit "Enfance I" des Illuminations, Rimbaud introduit une "idole" qu'il décrit comme ayant les "yeux noirs" et le "crin jaune". Le "crin" pourrait sembler péjoratif, mais il faut demeurer prudent. Avant tout, il tend à faire de l'idole une réalité moins humaine qu'animale dans un décor de "vagues sans vaisseaux". La mention du crin figure aussi dans un poème bref sans titre qui tient en une phrase nominale exclamative et qui suit "Being Beauteous" sur un même feuillet manuscrit :
   Ô la face cendrée, l'écusson de crin, les bras de cristal ! le canon sur lequel je dois m'abattre à travers la mêlée des arbres et de l'air léger !
Mais cette réflexion autour de la mention "crin" a pour l'instant deux conséquences. Les rapprochements invitent à considérer que le mot a peut-être bien une valeur positive dans l'esprit de Rimbaud. Puis, nous sommes dans l'idée d'une description qui serait propre à Rimbaud, qui n'appartiendrait qu'à lui.
Il en va différemment de l'association des "yeux noirs" et du "crin jaune". Les motifs en Littérature sont souvent plus stéréotypés que ce qu'ils sont dans la réalité. Les écrivains ne décrivent jamais la Lune haut dans le ciel en plein jour et maintiennent toujours l'opposition entre une Lune qui appartient au monde de la nuit et un Soleil qui établit l'empire du jour. Il en va un peu de même avec les cheveux blonds qui vont être liés automatiquement avec des yeux clairs, et même à peu près exclusivement avec des yeux bleus. Il va de soi que les femmes blondes aux yeux bruns existent, et nous parlons bien de femmes dont les cheveux n'ont subi aucune teinture et dont les yeux peuvent être assez foncés. J'en ai déjà rencontré de très jolies et je ne pense bien sûr pas être le seul. Mais aussi extraordinaire que cela puisse sembler, les déclinaisons dans la Littérature s'en tiennent souvent à blonde aux yeux bleus, brune aux yeux bleus et brune aux yeux bruns, en y ajoutant à l'occasion des rousses ou des filles aux yeux verts. Il existe évidemment des fantaisies de poètes avec les yeux d'or ou les yeux violets, mais l'idée de la blonde aux yeux bruns ou noirs n'est pas un motif courant.
J'ai déjà signalé à l'attention que, dans Les Contemplations, Victor Hugo a évoqué une jeune fille blonde à l'œil noir, parce qu'il ne s'agit pas d'un motif littéraire courant et que je ne trouve pas absurde de profiter de l'amorce que nous offre Rimbaud pour aller en quête de sources littéraires auxquelles il se référerait discrètement. Je n'ai plus la référence dans l'immédiat, mais, dans mon souvenir, Hugo employait l'expression "l'œil noir" telle quelle.
On comprend dès lors tout l'intérêt que revête pour moi l'essai de Georges Poulet autour du motif de "la blonde aux yeux noirs".
L'expression "blonde aux yeux noirs" apparaît dans le poème "Fantaisie" de Nerval en 1832. Cet aujourd'hui célèbre poème de Nerval est rapproché de la manière de Verlaine par Poulet lui-même, pour son mélange de précis et d'imprécis, et l'idée forte du poème, c'est que le poète décrit une vision du dix-huitième siècle dont il prétend se souvenir. Notons tout de même que l'étrangeté n'est pas aussi radicale que Poulet le prétend puisque Nerval vend la mèche en parlant explicitement de métempsychose :
[...]
   Puis, une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,
Que, dans une autre existence peut-être,
J'ai déjà vue... et dont je me souviens !
Notez la césure sur le déterminant indéfini "autre" à l'avant-dernier vers. Il ne s'agit pas d'une césure acrobatique du type de ce qui va proliférer à l'époque des parnassiens, Nerval ne pratiquant pas de telles audaces, mais tout de même, on y est presque déjà (comme diraient les Sex Pistols dans la version en français de "Anarchy in the UK"). Il est difficile encore de ne pas songer à "Mon rêve familier" des Poèmes saturniens.
Poulet va alors nous dévoiler les sources d'inspiration de Nerval pour le motif de la "Blonde aux yeux noirs". L'origine du motif viendrait de Lord Byron, poète dont la présence obsède décidément ma production récente. Si je parle à nouveau de Lord Byron, c'est un fait involontaire, il ne s'agit pas de la suite directe de mes investigations au sujet du "Corsaire" et des "poèmes orientaux". Mais, le fait d'y revenir est intéressant en soi. Poulet cite en anglais les vers du chant II de Don Juan où le motif apparaît dans le portrait d'Haidée :
Her hair, I said, was auburn, but her eyes
Were black as death.
Pour moi, le lien est discutable dans la mesure où les cheveux auburn sont plus proches du châtain, il s'agit de cheveux dits roux foncés, de cheveux châtains à reflets dorés. Je ne suis pas vraiment d'accord pour traduire "auburn" par "blond". Vous faites une recherche d'images de femmes aux cheveux auburn, vous voyez tout de suite qu'il n'est pas du tout question de blondeur en tant que telle. Quand je lis les romans d'Agatha Christie, le narrateur Hastings qui accompagne parfois Hercule Poirot est connu pour son amour des cheveux auburn, et jamais je ne me représente en vision une femme blonde, mais toujours une femme châtain à reflets dorés, ce qui n'est pas la même chose.
Mais Poulet prétend ensuite qu'Haidée est "la transposition fidèle d'un être réel, la célèbre maîtresse du poète, la Comtesse Guiccioli", et il cite sans référence précise et dans une traduction en français visiblement les propos d'une contemporaine, Lady Blessington, selon laquelle les cheveux de la maîtresse de Lord Byron sont "de ce blond d'or particulier aux femmes de Titien et de Giorgione" en ajoutant qu'elle "a le buste et les bras d'une beauté exquise, rappelant les meilleurs types de l'école vénitienne."
Poulet nous invite alors à nous arrêter sur un fait qu'il prétend remarquable : "l'association de la femme blonde avec le type de beauté préféré par les peintres vénitiens". Pour moi, le raisonnement est assez bancal. Poulet s'appuie sur une citation non littéraire d'une certaine Lady Blessington, il joue sur une confusion imposée entre les cheveux auburn et je suppose le blond vénitien, puisque même s'il ne parle pas de cette catégorie de cheveux blonds on dirait que c'est évoqué subrepticement, blond vénitien qui resterait à confondre avec la nuance auburn. Puis, on a un glissement du motif de la blonde aux yeux noirs au motif de la blonde vénitienne des peintres. Il y a décidément beaucoup d'éléments instables dans la chaîne de raisonnement.
Toutefois, Poulet nous précise que le motif est passé du Don Juan de Lord Byron au "Mardoche" d'Alfred de Musset. Et nous avons droit à la citation de deux passages clefs, puisque Musset va insister sur ce trait charmeur particulier de son personnage féminin :
J'adore les yeux noirs avec les cheveux blonds.
Tels les avait Rosine. [...]
Lecteur, remarquez bien cependant que Rosine
Etait blonde, l'oeil noir [...]
Pour l'enquête rimbaldienne qui m'intéresse, j'ai l'impression qu'il vaut mieux quitter l'idée d'une influence de Lord Byron pour privilégier la vie littéraire du motif dans le champ de la poésie française, avec éventuellement le cas de Nerval, mais surtout les cas de Musset et Hugo.
Le poème "Fantaisie" de Nerval est postérieur à la publication de "Mardoche", mais Poulet s'est autopersuadé d'une liaison forte du motif de la blonde aux yeux noirs avec une référence picturale vénitienne, ce qui est loin d'être acquis. Ce que constate alors Poulet, pris qu'il est dans son cadre de réflexion, c'est que Nerval a sorti le motif de la référence vénitienne, puisque sa "Blonde aux yeux noirs" est une châtelaine du temps de Louis XIII dans son poème. Poulet établit alors que Nerval a été influencé par son proche ami Théophile Gautier. Nerval et Gautier connaissaient tout particulièrement la Place Royale devenue Place des Vosges. Théophile Gautier y habitait en 1830 à proximité d'une maison où Victor Hugo emménagera à son tour. Or, dans les années qui suivent, l'écrivain Gautier crée "ce qu'on appellera plus tard le genre Louis XIII" et il s'empare également du "thème de la beauté blonde", toutefois en ne fixant pas la couleur des yeux qui peuvent être plus souvent bleus ou verts que noirs. Et Gautier ajoute un autre trait. Comme il le fait dire par son héros dans Mademoiselle de Maupin, Gautier est un peu à contre-courant, il aime comme les turcs les femmes un peu grasses. Et il développe un idéal de femme flamande à la Rubens. Gautier et Nerval feront un voyage en Belgique et aux Pays-Bas en quête de cet idéal. Et Gautier en rendra compte dans un texte littéraire Un tour en Belgique et en Hollande qui doit être compilé dans Caprices et zigzags si je ne m'abuse.
Nerval et Gautier seront déçus par la Belgique dont ils feront un compte rendu aussi acide que Baudelaire. Il y eut tout de même l'émoi devant le portrait de la Madeleine du tableau de la Descente de Croix de Rubens, conservé dans la cathédrale d'Anvers.
J'imagine la proximité des visiteurs Belges de la cathédrale à l'époque : "Ah nous sommes allés voir la cathédrale d'Anvers avec François. Il voulait voir le tableau de Rubens. Ben, comme ça, il l'a vu. Il était bien content. C'est vrai que c'était un beau tableau, mais j'ai été déçu par le manque d'éclairage, et les fleurs à côté ça n'allait pas du tout." Je pense que ça a dû être irritant et cocasse à la fois. Oui, un travers belge, c'est qu'ils ont tendance à dévier de l'essentiel pour construire un commentaire sur des riens secondaires et sur leur bien-être immédiat. Mais, bon, peu importe. Gautier, Nerval et Baudelaire donnent d'autres motifs à leurs irritations, et en prime ils ne trouvent pas leur idéal physique en Belgique.
La quête d'un idéal de blondeur est commune à Gautier et Nerval qui en reparlent dans d'autres de leurs œuvres. Poulet passe en revue différents textes, il est question de Jenny Colon, l'idéal de Nerval, il est question aussi de Mademoiselle de Maupin qui est en réalité est brune. Poulet veut croire que c'est une inadvertance de la part de l'auteur, ce que je ne crois pas, mais en revanche au début du roman il y a le rêve du héros qui se crée un idéal de femme blonde aux yeux noirs, bien en chair comme une flamande de Rubens.
Je n'arrive pas à pleinement relier tout ce que j'ai lu au poème "Enfance I", mais à côté de la mention "yeux noirs et crin jaune" on a tout de même la mention "flamande" dans "plus noble que la fable mexicaine et flamande", tout cela pour un personnage féminin décrété "idole".
En conclusion, l'étude du poème "Enfance I" en fonction de motifs littéraires de femme idéale rêvée a de l'avenir.

jeudi 9 juin 2022

Rimbaud et Namouna, l'improbable relation...

Il y a peu, j'ai relancé l'idée qu'il fallait approfondir les efforts d'identification de la figure du corsaire évoqué dans le poème rimbaldien daté de juillet 1872 "Est-elle almée ?..." Je soutiens que l'hypothèse d'une référence au poème de Byron "Le Corsaire" est à prendre au sérieux. Et j'ajoutais que le texte original anglais du poème comportait une mention du nom rare "almée", ainsi qu'une tournure interrogative proche de l'amorce du poème de Rimbaud. Je soulignais d'autres idées plus ténues sur la mer et les fleurs.
Je profitais alors de ma récente acquisition d'une édition en Poésie Gallimard d'une anthologie de poèmes de Lord Byron intitulée Le Corsaire et autres poèmes orientaux. Il s'agit d'une édition bilingue. La traduction en français est récente, et il est vrai que pour la recherche littéraire il est comme d'habitude à souhaiter que nous ayons un meilleur accès aux traductions qui étaient faites au dix-neuvième siècle. J'aurais des demandes assez étendues en la matière : Mélodies irlandaises de Thomas Moore, Don Juan de Byron, etc., etc. Le recueil de cette édition bilingue s'ouvre par un poème qui n'est pas tout-à-fait oriental, une "Oraison vénitienne" (Ode on Venice). Nous avons ensuite trois poèmes dont les titres vous sont certainement connus : "Le Giaour" (The Giaour), "Mazeppa" et "Le Corsaire" (The Corsair).
Le titre "Mazeppa" est aussi celui d'un poème des Orientales de Victor Hugo, lequel s'est directement inspiré du poème de Lord Byron qu'il cite en épigraphe : "Away ! - Away ! -" ("En avant ! En avant !").
Le recueil de Victor Hugo évoque à plusieurs reprises la situation d'une Grèce sous occupation musulmane et il joue à plusieurs reprises sur le motif de jalousies mortelles dont les femmes de harems font les frais. En clair, ce célèbre recueil des Orientales qui a eu un très fort retentissement dans la littérature française à l'époque est en réalité inscrit dans une stricte filiation byronienne. Victor Hugo n'a pas inventé son sujet, il est parti de l'intérêt que lui avait procuré les poèmes orientaux de Lord Byron. On imagine à quel point au vingtième siècle le manque d'accès aux traductions de poèmes de Lord Byron est préjudiciable à la qualité de la recherche en histoire littéraire. Théophile Gautier sera un héritier de cette pratique du poème oriental à la suite des antécédents de Lord Byron et Victor Hugo.
On pourrait être tenté de minimiser l'idée d'une influence prépondérante de Lord Byron en citant un roman tel que Les Aventures du dernier Abencérage de Chateaubriand. Mais, si ce roman aurait déjà été composé en 1807, ce que je dois encore vérifier par moi-même, il n'a été publié qu'en 1826. Les poèmes "Le Giaour" et "Le Corsair" datent respectivement de 1813 et 1814. Le roman de Chateaubriand privilégie un cadre espagnol, alors que les poèmes de Lord Byron, qui incluent parfois des éléments vénitiens ("Le Giaour") correspondent plus volontiers à l'occupation ottomane de la Grèce et ils développent des éléments romanesques nettement repris par les romantiques français Hugo, Gautier et Musset. Peu importe que Lord Byron ne soit probablement pas le premier à privilégier un cadre oriental, l'important, c'est que les trois poèmes "Le Giaour", "Mazeppa" et "Le Corsaire" ont eu une influence décisive sur Victor Hugo. Cela ne s'arrête pas là. Lord Byron offre par ses choix un exemple de superposition assez frappant. La Grèce est le pays de la mythologie avec ses héros païens et ses dieux de l'Olympe, et l'exotisme grec est transformé en orient par au moins deux des trois poèmes en question. Intellectuellement, ce n'est pas un glissement inintéressant à observer. Il y a un jeu d'étrangeté très significatif qui s'inscrit en creux et qui en même temps éclaire le passage de poésies entretenant la veine classique de mythes grecs avec André Chénier au recueil des Orientales de Victor Hugo. L'influence de Lord Byron s'est exercée également sur Vigny qui créera le poème "Eloa" et sur Lamartine qui a publié une traduction en alexandrins du "Pélerinage de Childe Harold". Surtout, le second poème des Méditations poétiques, "L'Homme", est dédié à Lord Byron. Et Lamartine s'inspire de nombreux passages du poème "Le Giaour" notamment, et Musset, dans sa "Nuit de mai", s'inspire à la fois de ce poème de Lamartine et du poème "Le Giaour" de Lord Byron, tout particulièrement au plan de l'image de l'oiseau se sacrifiant pour ses petits. Baudelaire a conçu plusieurs poèmes des Fleurs du Mal à partir d'une reprise de vers variés des Méditations poétiques, et le poème "L'Homme" a encore une fois une part importante d'influence. Connaître les poésies de Lord Byron n'est décidément pas vain pour mieux apprécier Lamartine, Hugo, Vigny, Musset, Gautier et Baudelaire.
J'aurai plein de passages à citer pour montrer les liens entre ces divers poètes. Le poème "Le Giaour" est une véritable mine. Il a en plus une esthétique lacunaire de composition négligée en fragments, ce qui correspond à une esthétique désinvolte bien connue de la part de Musset. Le poème "Le Corsaire" est pour sa part subdivisé en parties numérotées en chiffres romains. Mais laissons cela de côté.
Le sujet du jour, c'est le poème "Namouna" de Musset. Ce que j'ai dit précédemment sur Lord Byron m'a servi d'introduction, mais pourrait tourner à la digression. Entrons maintenant dans le vif du sujet.
En fait d'exotisme, Musset nous offre plus volontiers des poèmes sur l'Italie et l'Espagne. "Namouna" est la grande exception. C'est le poème qui s'inspire précisément d'un cadre oriental à la Byron. Le héros masculin est un français et il y a tout un problème de discours au second degré qui fait qu'il est carrément délicat de séparer ce qui se veut le vrai de ce qui est annoncé comme faux, mais ce serait un français ayant choisi de se faire renommer Hassan. Il s'agit précisément du nom du rival musulman du récit "Le Giaour", ce dernier étant un vénitien qui veut venger la défunte femme qu'il a aimée. En clair, le héros de "Namouna" s'inscrit dans une ambivalence où il est à la fois le "giaour" et Hassan, et cette ambivalence devient ambiguïté, puisque loin d'être absolument amoureux d'une femme unique comme le giaour le héros créé par Musset est un coureur de jupons qui ne reste pas plus de huit jours avec une conquête et lorsqu'il s'exile dans le monde musulman c'est pour continuer de profiter de manière sordide de jeunes femmes qui lui sont vendues. Le système d'ambivalence s'applique à l'énonciation du poème. Le poète ne cesse de dire que les idées sulfureuses de Hassan ne sont pas les siennes, ce qui jette inévitablement un doute. On comprend qu'il est bien un porte-parole non assumé ou non clairement avoué. Tout le persiflage du poème est éminemment retors, et Musset cite clairement Lord Byron à plusieurs reprises. Il indique qu'il vient de s'inspirer de Lord Byron, ce qui est exact puisque la stance antérieure contenait une allusion à un passage du Don Juan de Byron, mais dans l'ensemble du poème la référence à des passages de l'opéra de Mozart Don Giovanni prédomine, ce qui peut égarer le lecteur qui ne songera plus guère à la référence byronienne. Et Musset se sert de Don Juan pour en faire le marchepied d'un personnage plus sulfureux, puisque si Don Juan aimait quelque peu rien n'est aussi sûr dans le cas de Hassan, et si Don Juan cherchait par le défi la religion, Hassan était un tranquille incroyant. Lord Byron permettait à Lamartine de s'interroger avec une certaine force dramatique sur le Mal dans l'Homme et le caractère pardonnable de ce Mal sublime. Dans "Namouna", on a un Mal absolu qui fait tourner la réflexion à la pure cocasserie inutile, mais un Mal absolu non de méchanceté pénible mais de vacuité de l'âme.
Le poème "Namouna" se fonde sur une assertion selon laquelle tout est nu sauf l'hypocrisie. Le poème est composé de trois chants, et les chants sont eux-mêmes subdivisés en parties numérotés. Le motif de la nudité revient à différents endroits dans le poème, mais il correspond à son ouverture sur les sizains numérotés I à VII du chant premier. Et je prétends que la nudité du "jeune homme" au début du poème "Les Sœurs de charité" fait allusion à ce début du poème "Namouna", tout en y superposant des renvois à certains passages des Fleurs du Mal.

                        I

Le sofa sur lequel Hassan était couché
Etait dans son espèce une admirable chose.
Il était de peau d'ours, - mais d'un ours bien léché :
Moelleux comme une chatte, et frais comme une rose.
Hassan avait d'ailleurs une très noble pose,
Il était nu comme Eve à son premier péché.

                               II

Quoi ! tout nu ! dira-t-on - n'avait-il pas de honte ?
Nu, dès le second mot ! - Que sera-ce à la fin ? -
Monsieur, excusez-moi - je commence ce conte
Juste quand mon héros vient de sortir du bain.
Je demande pour lui l'indulgence, et j'y compte.
Hassan était donc nu, - mais nu comme la main -

                             III

Nu comme un plat d'argent, - nu comme un mur d'église,
Nu comme le discours d'un académicien.
Ma lectrice rougit, et je la scandalise.
Mais comment se fait-il, madame, que l'on dise
Que vous avez la jambe et la poitrine bien ?
Comment le dirait-on, si l'on n'en savait rien ?

                            IV

Madame allèguera qu'elle monte en berline ;
Qu'elle a passé les ponts quand il faisait du vent ;
Que, lorsqu'on voit le pied, la jambe se devine ;
Et tout le monde sait qu'elle a le pied charmant.
Mais moi qui ne suis pas du monde, j'imagine
Qu'elle aura trop aimé quelque indiscret amant.

                               V

Et quel crime est-ce donc de se mettre à son aise,
Quand on est tendrement aimée, - et qu'il fait chaud ?
On est si bien tout nu dans une large chaise !
Croyez-m'en, belle dame, et, ne vous en déplaise,
Si vous m'apparteniez, vous y seriez bientôt.
Vous en crieriez sans doute un peu, - mais pas bien haut.

                              VI

Dans un objet aimé qu'est-ce donc que l'on aime ?
Est-ce du taffetas ou du papier gommé ?
Est-ce un bracelet d'or, un peigne parfumé ?
Non - ce qu'on aime en vous, madame, c'est vous-même.
La parure est une arme, et le bonheur suprême,
Après qu'on a vaincu, c'est d'avoir désarmé.

                            VII

Tout est nu sur la terre, hormis l'hypocrisie ;
Tout est nu dans les cieux, tout est nu dans la vie,
Les tombeaux, les enfants et les divinités.
Tous les cœurs vraiment beaux laissent voir leurs beautés.
Ainsi donc le héros de cette comédie
Restera nu, madame, - et vous y consentez.

                              VIII

Un silence parfait règne dans cette histoire.
Sur les bras du jeune homme et sur ses pieds d'ivoire
La naïade aux yeux verts pleurait en le quittant.
On entendait à peine au fond de la baignoire
Glisser l'eau fugitive, et d'instant en instant
Les robinets d'airain chanter en s'égouttant.
Hassan est alors décrit comme quelqu'un qui aime le sommeil et entre dans sa chambre. Plus loin dans le poème, il aura plus de mal à s'endormir. Il est aussi envisagé hypothétiquement comme "un homme à caractère", mais n'ayant pas besoin de le montrer.
Il va de soi que sur cette revendication de la nudité première Rimbaud, l'auteur de "Credo in unam", a d'autres modèles, par exemple : "J'aime le souvenir de ces époques nues..." de Baudelaire. Malgré tout, il est difficile de ne pas rapprocher la revendication de Musset dans un cadre orientalisant de celle de Rimbaud avec génie persan à la clef :

Le jeune homme dont l'œil est brillant, la peau brune,
Le beau corps de vingt ans qui devrait aller nu,
Et qu'eût, le front cerclé de cuivre, sous la lune
Adoré, dans la Perse, un Génie inconnu,

Impétueux avec des douceurs virginales
Et noires, fier de ses premiers entêtements,
Pareil aux jeunes mers, pleurs de nuits estivales
Qui se retournent sur des lits de diamants ;

Le jeune homme, devant les laideurs de ce monde,
Tressaille dans son cœur largement irrité,
Et plein de la blessure éternelle et profonde,
Se prend à désirer sa sœur de charité.

[...]
Au second vers du second sizain de "Namouna", le poète mimait l'indignation avec cet hémistiche : "Nu, dès le second mot !" En réalité, la première occurrence du mot "nu" se faisait au troisième mot du sixième vers. Cependant, le mot est ensuite abondamment repris, jusqu'à l'anaphore en attaque de certains vers. Dans le cas du poème rimbaldien, le mot "nu" est à la rime du deuxième vers, tandis que le vers 3 fait entendre de lourdes équivoques qu'un public rétif n'appellera pas de la très haute poésie : "Qu'eût" faisant entendre "cul" en attaque de vers 3 immédiatement après la mention "nu" et puis autre équivoque d'un être adoré sous la lune, la lune pouvant désigner une partie charnue du corps humain.
Qu'on apprécie ou pas ces équivoques potentiels, le discours est clairement tenu du devoir d'aller nu.
La première caractéristique du personnage décrit par Rimbaud est d'avoir "l'œil brillant". Musset répète à plusieurs reprises que les "yeux" sont la principale beauté de son personnage nu.
On peut citer le sizain IX du Chant Premier en écho aux deux premiers quatrains des "Sœurs de charité" : "peau brune" contre "visage olivâtre" et "corps d'albâtre", "douceurs... noires" contre "sourcils très noirs", et puis "indolent", "très opiniâtre", "Bien cambré", "l'aspect fier et nerveux" contre "Impétueux", "fier de ses premiers entêtements".
                        IX

Il était indolent, et très opiniâtre ;
Bien cambré, bien lavé, le visage olivâtre,
Des mains de patricien, - l'aspect fier et nerveux.
La barbe et les sourcils très noirs, - un corps d'albâtre.
Ce qu'il avait de beau surtout, c'étaient les yeux.
[...]

En revanche, il y a une opposition entre la frivolité dédaigneuse de Hassan et le retour à un modèle romantique de Giaour du personnage rimbaldien songeant à chercher la "sœur de charité". Cette opposition est précisément au cœur du poème "Namouna" dans la confrontation avec le modèle de Don Juan. Je cite la fin déjà évoquée plus haut du deuxième chant, mais avant je précise le déroulement antérieur du poème. Musset évoque les conquêtes de Don Juan, ce qui peut être mis en parallèle avec les images de la femme dans le poème "Les Sœurs de charité". Selon Musset, tout le monde cite Don Juan sans vraiment le comprendre. Par alliance de mots, Don Juan est défini comme un "candide corrupteur" et l'étalage de ses trois mille conquêtes est considéré comme une "liste d'amour si remplie et si vide". Chacun de ces nombreux noms a arraché des pleurs au séducteur. L'infidèle les aimait à sa façon, car il était un foyer brûlant d'amour, toujours selon la thèse peu orthodoxe de Musset en ce poème, et il cherchait l'idéal. Derrière cette "hécatombe humaine" de femmes abandonnées, il y aurait un homme "Prenant pour fiancée un rêve", un "Prêtre désespéré" cherchant son Dieu. Et les gens se demandant non pas quel "Génie inconnu" pourrait l'apaiser, mais quelle "femme inconnue". La femme est rejetée comme jamais d'une parfaite beauté dans "Les Sœurs de charité", et les gens font mine de poser la question suivante en pensée à Don Juan s'il n'est pas une femme assez noble, assez belle pour lui parmi tant de beautés, une femme répondant enfin à son "vague idéal". Et nous pourrions songer à "Conte" en citant tel vers : "Toutes lui ressemblaient ; ce n'était jamais elle[.]" Don Juan ne maudissant pas l'humanité stupide poursuivait sa quête et suçait "Les mamelles d'airain de la Réalité". Don Juan ne méprisait aucune possession, "vierge", "paysanne", "courtisane", et nous retrouvons l'image du diamant avec cette image : "Mineur, qui dans un puits cherchait un diamant." Malheureusement, le séducteur retrouvait partout la "vérité hideuse" et quoi qu'encore plein d'espoir il finit par mourir au milieu de sa "route infinie". Et cette marche à la mort se fait selon une amplification visuelle qui n'est pas sans comparaison possible avec la fin du poème de Rimbaud :

[...]
Plus vaste que le ciel et plus grand que la vie,
Tu perdis ta beauté, ta gloire et ton génie,
Pour un être impossible, et qui n'existait pas.

Et suivent alors ces deux dernières stances que je vais citer ensemble, puisque même si c'est principalement la stance LV que je veux mentionner j'ai besoin de lui adjoindre la stance LIV pour faciliter votre lecture.

                         LIV

Et le jour que parut le convive de pierre,
Tu vins à sa rencontre, et lui tendis la main ;
Tu tombas foudroyé sur ton dernier festin :
Symbole merveilleux de l'homme sur la terre,
Cherchant de ta main gauche à soulever ton verre,
Abandonnant ta droite à celle du Destin !

                        LV

Maintenant, c'est à toi, lecteur, de reconnaître
Dans quel gouffre sans fond peut descendre ici-bas
Le rêveur insensé qui voudrait d'un tel maître.
Je ne dirai qu'un mot, et tu le comprendras :
Ce que don Juan aimait, Hassan l'aimait peut-être ;
Ce que don Juan cherchait, Hassan n'y croyait pas.
Le poème se poursuit avec un troisième chant, mais je viens de citer la partie nettement conclusive de la fin du second chant, et vous pouvez apprécier la présence insistante du verbe "chercher" sous différentes formes.
Vous remarquerez également que certains passages peuvent entrer en résonance également avec les poèmes rimbaldiens de l'année 1870. Je ne voudrais pas me contenter du mot "chaise" en prétexte à un rapprochement avec "Comédie en trois baisers", mais le passage sur le pied qui fait deviner le reste de la jambe entre magnifiquement en résonance avec un passage du poème "A la Musique" :
Je ne dis pas un mot : je regarde toujours
La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles :
Je suis, sous le corsage et les frêles atours,
Le dos divin après la courbe des épaules.

J'ai bientôt déniché la bottine, le bas...
- Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres.
Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas...
[...]
Le fait de se mettre à l'aise, nous le retrouvons sur un autre plan dans les sonnets "Au Cabaret-Vert" et surtout "La Maline" ("à mon aise", "pour m'aiser"), deux créations contemporaines du sonnet "Ma Bohême" qui revendique lui aussi la fierté d'aller nu. Rappelons que le poème "Credo in unam" s'inspire de "Rolla", avec une réécriture patente du premier vers du poème de Musset : "Regrettez-vous le temps..." qui reçoit sa réponse : "Je regrette les temps..." L'influence de Musset sur "Credo in unam" serait inévitablement à approfondir, mais "Namouna" est un poème dont la conception est très proche de celle de "Rolla" et si les poèmes n'appartiennent pas aux mêmes sections des recueils de Musset, ils tendent à être rapprochés l'un de l'autre. Comme on peut le vérifier dans l'édition de référence de Frank Lestringant au Livre de poche des Poésies complètes de Musset, "Namouna" est le poème conclusif de la deuxième partie "Un spectacle dans un fauteuil" et "Rolla" le poème qui ouvre la troisième partie "Poésies nouvelles". Il existe d'autres distributions en recueils des poèmes de Musset, mais ces deux pièces ne sont jamais éloignées l'une de l'autre me semble-t-il. Or, puisque "Rolla" est une des sources les plus évidentes à la composition de "Credo in unam", il n'est pas anodin de rapprocher les vers suivants de Rimbaud d'autres de "Namouna" :
Je crois en Toi ! je crois en Toi ! Divine mère !
Aphroditè marine ! - Oh ! la vie est amère,
Depuis qu'un autre dieu nous attelle à sa croix !
[...]

Dans le poème de l'incroyant Hassan, nous lisons tes vers au chant troisième :
[...]
Avant de lire un livre, et de dire : "J'y crois !"
Analysez la plaie, et fourrez-y les doigts ;
Il faudra de tout temps que l'incrédule y fouille,
Pour savoir si son Christ est monté sur la croix.
Pour l'instant, le lecteur peut avoir le sentiment qu'en-dehors du cas de "Rolla", les rapprochements entre des passages de Musset et des vers rimbaldiens de 1870 sont plus suggestifs qu'assurés. Rimbaud étant à l'évidence imprégné de la lecture de Musset à l'époque, les rapprochements ne sauraient cessés d'être pertinents, ils suffisent qu'ils illustrent un unisson érotique rebelle au christianisme, sachant que dans "Credo in unam" Rimbaud déclare une foi à Vénus ce qui l'oppose déjà à Hassan qui lui ne croit à rien. Mais, dans le cas des "Sœurs de charité", vu que les réécritures ne sont pas ostentatoires, pour les discréditer, notre lecteur pourrait vouloir recourir à l'argument suivant : le poème "Les Sœurs de charité" est daté de juin 1871, il vient après la répudiation du "quatorze fois exécrable" romantique fustigé dans la lettre du 15 mai 1871 envoyée à Demeny. Et c'est peut-être une belle erreur de se servir de ce prétexte pour s'interdire tout rapprochement ultérieur avec Musset. Rappelons que dans la célèbre lettre du voyant Rimbaud cite précisément le poème "Namouna" ce qui signifie qu'il l'a suffisamment à l'esprit pour oser ainsi l'évaluer :
[...] Ô ! les contes et les proverbes fadasses ! Ô les nuits ! Ô Rolla, ô Namouna, ô la Coupe ! Tout est français, c'est-à-dire haïssable au suprême degré ; français, pas parisien ! [...] Printanier, l'esprit de Musset ! Charmant, son amour ! [...]
Je ne vais pas m'arrêter ici sur l'injustice du jugement rimbaldien, ni même sur son côté paradoxal puisque dans "Namouna" Musset prétend indigner par un propos sulfureux qui dénoncerait l'hypocrisie. Mais si Rimbaud réagit aussi vivement à la lecture de Musset, cela peut déjà inviter à méditer sur une influence subie. Pourquoi ne pas lire la production ultérieure de Rimbaud en cherchant à cerner ses réactions fussent-elles d'hostilité à la poésie de Musset ? Ce rejet complet est-il par ailleurs complètement sincère ? Et puis, le poème "Les Sœurs de charité" n'aurait-il pas été l'occasion pour Rimbaud pour dire autrement que par de la prose de colère ce qu'il pensait devoir faire en poésie en partant de l'exemple de Musset considéré comme un échec ?
Il y a plusieurs indices qui montrent que la production de Rimbaud de mai à au moins juillet 1871 a continué de se préoccuper du modèle littéraire qu'était l'auteur de Lorenzaccio. En développant l'idée d'un poète en quête d'un idéal s'incarnant dans une femme, le poème "Les Sœurs de charité" s'attaque à un thème dont plusieurs prédécesseurs poètes sont des représentants, et notamment Musset. Et la Femme devenue Passion est métaphorisée en "Nuit" au sixième des dix quatrains du poème, ce qui peut inviter à songer à l'ensemble des "Nuits" de Musset, ensemble lui aussi énuméré par Rimbaud dans sa répudiation du 15 mai 1871. Il faut déjà l'affirmer, il n'y a rien de vain à lire "Les Sœurs de charité" comme le développement d'une pensée rimbaldienne nourrie de la lecture de Baudelaire et de Musset, l'un étant adulé à l'époque, l'autre étant méprisé. Mais "Namouna" a une résonance qui va plus loin encore. Il s'agit d'un poème en sizains sur deux rimes, mais sans distribution symétrique permettant de parler de strophes au sens strict. Banville sera influencé par cette manière de composition de la part de Musset. Mais, à cette époque, de mai à juillet 1871, Rimbaud pratique un quintil sur deux rimes d'origine baudelairienne avec "Accroupissements", "L'Homme juste" et le fragment "Vous avez / Menti sur mon fémur..." Pour ce qui est de ce fragment, l'enjambement d'un vers sur l'autre de la construction verbale est étonnante. Musset n'a pas accompli une telle audace métrique dans le chant premier "Namouna", mais je trouve étonnant que la structure de Rimbaud "Vous avez / Menti" résonne aussi bien avec tel passage à la rime chez Musset :
                                 XXIV

Si d'un coup de pinceau je vous avais bâti
Quelque ville aux toits bleus, quelque blanche mosquée,
Quelque tirade en vers, d'or et d'argent plaquée,
Quelque description de minarets flanquée,
Avec l'horizon rouge et le ciel assorti,
M'auriez-vous répondu : "Vous en avez menti ?"
Musset épingle ici l'artifice de la couleur locale par les mots les plus directs dans les Orientales. Mais ce qui retient mon attention, c'est l'oralité qui passe de ce vers de Musset au fragment rimbaldien. Le poème "Namouna" est connu également pour un remarquable hiatus.
Le hiatus surgit à l'avant-dernier vers de la stance LX du chant deuxième et il est placé précisément avant la rime. Mais il convient de citer dans la foulée la stance LXI, puisque le poète fait retour sur sa création et la commente. La personne tutoyée est la Manon de l'abbé Prévost :
LX

Tu m'amuses autant que Tiberge m'ennuie.
Comme je crois en toi ! que je t'aime et te hais !
Quelle perversité ! quelle ardeur inouïe
Pour l'or et le plaisir ! Comme toute la vie
Est dans tes moindres mots ! Ah ! folle que tu es,
Comme je t'aimerais demain, si tu vivais !

LXI

En vérité, lecteur, je crois que je radote.
Si tout ce que je dis vient à propos de botte,
Comment goûteras-tu ce que je dis de bon ?
J'ai fait un hiatus indigne de pardon ;
Je compte là-dessus rédiger une note.
J'en suis donc à te dire... Où diable en suis-je donc ?
Le hiatus en question se love évidemment dans la formule qui sent son oralité : "folle que tu es", le "u" de "tu" et le "e" de la forme conjuguée du verbe être ne sont séparés par aucune consonne, ni par un "h", ni par un "e". Ce hiatus est en plus familier vu qu'il se fait sur des mots d'un usage plus que courant "tu" et "es". Il va de soi que cela fait quelques siècles qu'il ne se rencontre plus de hiatus en poésie. Les derniers datent de la fin du XVIe siècle, à moins d'en rencontrer au prix de bien des recherches pénibles au début du XVIIe siècle. Et des configurations de hiatus, il peut y en avoir un nombre élevé, cela ne saurait se limiter à la succession de "tu" et "es" bien évidemment.
Le hiatus de Musset relève d'une stratégie d'écriture, il est commenté et devient une provocation volontaire. Le poème "Namouna" pratique une mise en abîme à la manière des contes de Diderot et à la manière de son roman Jacques le fataliste et son maître. On peut penser aussi au poème liminaire des Amours jaunes composé par Tristan Corbière quelques décennies plus tard. Mais ce jeu de mise en abîme de la part de Musset s'accompagne de fautes dans la composition. Ici, il épingle un hiatus. Plus loin, il va se reprocher un "barbarisme", à savoir l'emploi d'un mot non reconnu par les dictionnaires : "mahométanisme" au lieu de "mahométisme", mais j'y reviendrai dans la suite de cette étude. Et Musset, tout comme Diderot, digresse, se demande s'il va arriver à la fin de son histoire, envisage de l'abandonner et finit dans le chant troisième par donner un récit expéditif de ce qu'il a trop tardé à raconter, de ce qu'il nous a trop longtemps fait attendre. Et tout cela s'accompagne de considérations persifleuses sur l'art littéraire avec cette idée notamment que quelqu'un qui écrit répète toujours ce qui a été écrit avant lui. Musset assimile l'écrivain explicitement à un planteur de choux qui imite la façon de faire de ses prédécesseurs. Encore une fois, "Namouna" est l'exemple parfait de ce que dénonce Rimbaud dans sa lettre à Demeny. Musset a une absence de visions, du moins si on prend au premier degré le discours qu'il tient dans "Namouna". Si on lit les raisonnements au premier degré de "Namouna", ils s'opposent terme à terme à l'ambition du poète qui veut être voyant et créer de l'inconnu. Et pourtant, c'est ce hiatus provocateur contenu dans "Namouna" que Rimbaud va très précisément reprendre dans le poème "L'Homme juste" qui, daté de juillet 1871 sur manuscrit, est donc une invention d'un mois et demi à deux mois et demi postérieure à l'envoi de la lettre à Demeny du 15 mai 1871. Un  mois et demi si c'est une composition du début de juillet, deux mois et demi d'écart si c'est une composition de la fin de ce même mois. Je cite le quintil rimbaldien dont je rappelle que sous influence baudelairienne il est sur deux rimes :
"[...]

"Et c'est toi l'œil de Dieu ! le lâche ! Quand les plantes
Froides des pieds divins passeraient sur mon cou,
Tu es lâche ! Ô ton front qui fourmille de lentes !
Socrates et Jésus, Saints et Justes, dégoût !
Respectez le Maudit suprême aux nuits sanglantes."
Hugo est visé dans ce poème et il est normal d'identifier des sources dans les recueils du grand romantique revenu d'exil, mais entre "folle que tu es" et "Tu es lâche", il n'y a pas l'ombre d'un doute, Rimbaud cite précisément le hiatus qu'il a lu dans "Namouna". Ce titre est cité avec désinvolture au pluriel dans la lettre à Demeny du 15 mai 1871, ce poème "Namouna" j'ai souligné qu'il était une source probable au poème "Les Sœurs de charité" du suivant mois de juin, et pas seulement à cause de la fière nudité à afficher. La nudité à afficher fièrement était un thème du poème "Credo in unam" où j'ai souligné un autre rapprochement troublant avec "Namouna", sachant que les reprises à "Rolla" sont réputées relever de l'évidence dans le cas de ce poème rimbaldien de 1870. Voilà qu'en juillet 1871 Rimbaud reprend le hiatus précis de Musset à partir de la succession du pronom personnel sujet "tu" et de la forme conjuguée "es" du verbe "être". Après le poème étendard de mai 1870, Rimbaud montre sur trois mois consécutifs de l'année 1871 qu'il continue de s'intéresser à la lecture de Musset, et en particulier aux vers de "Namouna". Et ceci étant désormais difficile à contester, il se trouve que dans une autre composition datée de juillet 1871, "Les Premières communions", nous pouvons soupçonner à nouveau l'influence de "Namouna". Le poème "Les Premières communions" a certaines irrégularités strophiques. Il passe notamment de la succession de sizains à la succession de quatrains. Il va de soi qu'une analyse permet de justifier ces variations de formes qui ont été assumées par le poète, et on peut renvoyer aux articles de Benoît de Cornulier sur le sujet. Mais intéressons-nous aux sizains sur deux rimes. "Namouna" est précisément un poème en sizains sur deux rimes, sauf que Musset ne suit pas un schéma préétabli. Dans le cas des "Premières communions", Rimbaud suit un modèle d'alternance élémentaire ABABAB. Ce modèle est appliqué aux six premiers sizains. En revanche, le septième sizain est irrégulier et j'ai envie de dire "à la Musset", puisqu'il subit une petite corruption en ABAABB. Il faudrait intervertir les rimes pour l'antépénultième et le pénultième vers. La corruption permet de prendre en faute un Curé en train de céder à la tentation de danser le french cancan, il a le "mollet marquant" dans une rime finale de sizain en "-quant". Le mot "danses" anticipe en étant lui-même à la rime au sein du même sizain. Ces sept sizains forment la partie numérotée I du poème. Un sizain isolé forme la partie numérotée II avant que nous ne passions à une succession exclusive de quatrains ABAB des parties III à IX de ce poème un peu particulier dans sa composition. Cependant, le sizain isolé en partie II, le huitième du poème donc, reprend le principe de l'alternance ABABAB. En revanche, il est connu pour sa reprise du mot "catéchistes" à la rime. Cela n'est guère innocent, puisque la corruption pour la rime en "quant" se fondait sur la mention "marquant" dans "mollet marquant" et cette fois la reprise du nom "Catéchistes" est poussée par la forme participiale "marquant" : "le marquant parmi les Catéchistes". J'observe que dans "Namouna" nous avons au chant premier stance XLIV une rime "catéchisme", "sophisme", "paroxysme" avec le mot "catéchisme" en fin du premier vers de la stance. Puis, toujours au chant premier, à la stance LXXIII, nous avons une rime "mahométanisme", "christianisme" et "barbarisme", en sachant que le barbarisme dénoncé est le mot "mahométanisme". Cette forme semble avoir eu quelques occurrences au dix-huitième siècle, notamment sous la plume de Voltaire, mais elle n'est pas reconnue par les dictionnaires. La forme correcte est mahométisme. On peut évidemment apprécier la mise en tension entre "mahométanisme" et "christianisme" qui aggrave l'impression de "barbarisme" en quelque sorte. Notons également qu'à proximité de la mention "catéchisme" à la rime dans la stance XLIV nous rencontrons une mention "communié" au dernier vers de la stance XLVI liée à une ivresse, le mot "danse" étant lui-même à la rime dans la stance suivante XLVII :
XLVI
Mais à cette bizarre et ridicule ivresse
Succédait d'ordinaire un tel enchantement
[...]
Il eût communié dans un pareil moment.

[...]
Tous les épanchements du monde entraient en danse,
[...]

Il va falloir se faire à l'idée d'un nouveau sujet d'enquête. Le poème "Les premières communions" ne s'inspire-t-il pas du récit d'incroyant de "Namouna", mais en passant du personnage insouciant, sans remords, à la fille torturée par le conflit entre ses attentes et son éducation ? La réponse me semble devoir être "oui", imparablement.
Enfin, je me permets de livrer en bonus cette considération spéciale. Il est clair que les quintils sur deux rimes de "Accroupissements", "L'Homme juste" et du fragment "Vous avez / Menti..." s'inspire des poèmes en quintils baudelairiens qui sont les seuls à pouvoir avoir servi de modèle, à ceci près que la quasi-totalité des quintils baudelairiens sont en fait de faux-quintils et plus précisément des quatrains avec répétition du premier vers.
Pour précision, un quintil ne peut pas être sur trois rimes, il est nécessairement sur deux rimes, mais la forme canonique des quintils est d'associer un distique à un tercet, soit AABAB soit ABAAB. Baudelaire corrompt le modèle du quintil à partir de quatrains de rimes embrassées ou croisées allongées d'une reprise du premier vers : ABABA, modèle nettement repris par Rimbaud, ou modèle ABBAA. Notons tout de même que Baudelaire ne s'est pas tout le temps tenu à un faux-quintil, il existe des quintils baudelairiens où le cinquième vers n'est pas une répétition du premier, même s'il en reconduit la rime. Mais, peu importe, le modèle baudelairien est indéniable. Dans le cas de "Accroupissements", il faut y ajouter les allusions appuyées à la manière de Baudelaire de faire se suivre quantité de comparaisons et ces allusions sont doublées d'une allusion à certaines audaces à la césure avec la distribution de la forme "comme un". Il faut songer en particulier au poème "Un voytage à Cythère", source majeur au poème "Oraison du soir" composé à Paris à la fin de l'année 1871 sinon au début de l'année 1872. Or, dans le cas de "L'Homme juste", il est question d'une charge à l'encontre de Victor Hugo où finalement Rimbaud reprend de manière ostentatoire un hiatus de Musset et une forme strophique initiée par Baudelaire. A quoi peut bien jouer notre poète ? me direz-vous. J'aurai l'amabilité de vous laisser chercher un petit peu, mais en vous fournissant un indice.
Dans le poème "L'Homme juste", nous avons droit à un bestiaire qui me fait irrésistiblement songer à Baudelaire, les "lices" et les "lentes". Les deux noms d'animaux sont à la rime, mais c'est le mot "lices" qui retient plus particulièrement mon attention. Je cite les deux vers en question :
[...]
Juste ! plus bête et plus dégoûtant que les lices !
[...]

[...]
Tu es lâche ! Ô ton front qui fourmille de lentes !
[...]
Difficile pour moi de ne pas songer au poème liminaire "Au lecteur" des Fleurs du Mal, poème de Baudelaire qui au passage tient compte des recueils de Lamartine dont il réécrit certains vers, car "- Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère !" est une réécriture méconnue d'un vers de Lamartine. Notons qu'on retrouve le thème de l'hypocrisie que Musset ne semble pas avoir traité de manière convaincante à s'en fier à la réaction de colère de Rimbaud.
Or, dans les quatrains de "Au lecteur", nous retrouvons une mention du mot rare "lices" à la rime ! Mais dans le vers de Rimbaud, je relève aussi les comparatifs de supériorité "plus bête et plus dégoûtant", d'autant que la seconde occurrence de "plus" est précisément placée acrobatiquement à la fin du premier hémistiche, devant la césure.
Or, dans le poème de Baudelaire, dans le quatrain qui suit celui comportant "lices" à la rime, Baudelaire nous offre une suite de trois comparatifs dans un vers et au vers suivant il fait une césure acrobatique rare sur la conjonction de coordination "ni". J'ai du mal à ne pas ranger cela dans les coïncidences troublantes.

Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices, 

Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde !
Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes, ni grands cris,
[...]

A suivre toujours !....