lundi 31 mai 2021

Pourquoi le "26 mai" ?

Pourquoi Rimbaud a-t-il choisi la date du 26 mai, alors que la fin de la semaine sanglante est datée du 28 mai, et alors que l'épisode du "Mur des Fédérés" date du 27 mai ?
Dans le précédent article de ce blog, j'ai défini le caractère jusqu'auboutiste de l'adhésion de Rimbaud à la Commune, et je vais achever de confirmer ce fait par le présent commentaire sur la datation retenue pour le poème, celle donc du 26 mai 1871. J'ajoute que dans la précédente étude, étant donné que la signification du poème n'était pas vraiment un mystère comme l'atteste l'ancienne étude assez fouillée de Steve Murphy en 1990, j'ai essayé de montrer que le poème faisait pleinement allusion à la Commune malgré ce paradoxe d'un appel à l'émeute qui semblait une bévue à contretemps puisque c'était le moment de l'agonie de l'insurrection.
Quand il compose "Le Bateau ivre", Rimbaud a quelques mois de recul et il peut faire allusion, discrètement si on peut dire, à des propos tenus dans la presse, etc. Rimbaud peut évoquer directement les emprisonnements avec les "pontons" ou le début de l'insurrection avec les "péninsules démarrées", l'idée de se jeter dans la Commune en enfant ou en poète à cause du procès d'un très jeune communard raillé dans les journaux, etc. Pour "Les Poètes de sept ans", la logique est différente : Rimbaud formule un discours que les communards tenaient avant même le 18 mars et Rimbaud le tenait lui-même en 1870 dans la pièce "Le Forgeron" par exemple. Je considère que cet angle d'attaque fait l'intérêt réel de ma précédente étude.
La date du 26 mai signifie l'imminence de la défaite, et donc on a un Rimbaud qui raconte en vers à Demeny un appel à l'émeute comme si nous étions un 17 mars alors que nous sommes un 26 mai. Et ce 26 mai, ce n'est pas une date symbolique comme le 14 juillet au bas de "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" envoyé à Banville. Mais, c'est la veille de la date clef que vise Rimbaud, celle du 27 mai. Rimbaud a déjà procédé de la sorte avec le sonnet "Morts de Quatre-vingt-douze..." antidaté "Fait à Mazas, le 3 septembre". La chute de Napoléon, c'est le 2 septembre, la proclamation de la République, c'est le 4. Il va de soi que Rimbaud ne vise pas un compromis entre les deux dates, comme il va de soi que son sonnet n'est pas pertinent s'il suit d'un jour la chute de Napoléon III. Le propos est celui d'un appel aux républicains, et donc le poème est signé du 3 septembre pour que nous pensions au 4 septembre. Cette analyse de la datation du sonnet est connue et il suffit de la transporter aux "Poètes de sept ans"; ce que n'a pas fait Murphy qui écrivait en 1990 : "Le Poète est "vaincu" (v. 14), comme le sont précisément les Communards le 26 mai 1871 [...]" Murphy souligne bien l'idée d'un entêtement malgré la défaite, mais la signification du 26 est plus subtile.
Pour les historiens, la fin de la semaine sanglante est datée du 28 mai. Seulement, les combats du 28 mai sont surtout des soubresauts. Le 27 mai, seul un quartier résistait encore. Si on acte la fin de la semaine sanglante au jour du 26 mai, on met la lutte de ce quartier parmi les derniers soubresauts. Seulement, le 27 mai, c'est le jour d'un combat qui se termine symboliquement dans le cimetière du Père-Lachaise avec une fusillade sur le désormais nommé et célèbre "Mur des Fédérés".
Il faut bien concevoir la puissance d'écho que cela a pour une lecture du poème "Les Poètes de sept ans" antidaté du 26 mai. C'est un jusqu'auboutisme précis. Le poète écrit que le 26 mai il était déterminé à l'émeute des foules qui grondent et que s'il vivait encore c'était du côté des derniers carrés de la résistance communaliste à Belleville. A bien y réfléchir, le choix du jour du 26 mai est d'une violence insurrectionnelle insupportable à la société alors triomphante...

CQFD.

Et qu'en était-il à la fin du mois de mai ?

J'ai voulu lancer en 2020 un projet de longue haleine où j'aurais commenté jour après jour dans le décalage commémoratif constant des 150 ans les événements de la guerre franco-prussienne et de la Commune vécus par Rimbaud. Nous aurions suivi dans son rythme réel une telle actualité. Ce projet s'est effondré à cause de problèmes de santé qui sont d'ailleurs loin d'être résolus. Il n'a pas pu reprendre pour le seul événement de la Commune, puisqu'en février j'ai été pris de court par la publication du Dictionnaire Rimbaud, lequel m'a d'ailleurs détourné d'autres projets alors en pleine effervescence. Et finalement je n'ai même pas commenté jour après jour les événements de la Commune en cette année de commémoration.
Il faudrait voir à faire cela dans dix ans éventuellement, mais sans la santé et en étant seul ce n'est plus possible pour moi.
En tout cas, nous sommes le 31 mai, le dernier jour du mois de mai. Cette mention de mois revêt une certaine importance dans la suite de la production poétique d'Arthur Rimbaud. En 1871, le 31 mai de notre adolescent ardennais est sous le signe du traumatisme. La Semaine sanglante a mis un terme tragique à l'expérience de la Commune. Et Rimbaud vit cela à distance à Charleville, et il faut inclure dans le rythme de réception le décalage des comptes rendus de l'événement dans la presse. Quelque part, dans la tête de Rimbaud, la semaine sanglante n'en finit par de raconter son agonie à travers les récits des journaux. Ce qu'il s'est passé le 28 est su le 29, et les journées suivantes apportent les compléments d'information, les confirmations, etc.
Que fait Rimbaud pendant ces journées-là ? Il rumine sans aucun doute, mais il écrit aussi très certainement, puisqu'après des envois conséquents de poèmes les 13 et 15 mai il remet ça en juin avec une lettre à Demeny et une autre à Aicard. La lettre à Demeny laisse deviner que le choc de l'événement a incité Rimbaud à renier toute sa poésie de jeunesse de 1870, à l'exception du poème "Les Effarés". Et des poèmes datés de cette période-là nous sont également parvenus.
Et si Rimbaud renie certains de ses poèmes, sa manière évolue-t-elle ?

Nous avons une longue époque de novembre 1870 à avril 1871 pour laquelle aucune transcription d'un poème rimbaldien ne nous est parvenue. Le récit en prose "Le Rêve de Bismarck" fait exception avec son impression dans le Progrès des Ardennes, mais il ne s'agit pas de vers, ce qui rend les comparaisons difficiles. Le texte a pu subir des interventions de Jacoby par ailleurs et de toute façon il s'agit d'une composition du début de novembre 1870.
Pour juger de l'évolution de Rimbaud au plan des césures de ses alexandrins, il convient également d'écarter tous les poèmes qui emploient des mètres plus courts. Il y en a trois : "Mes petites amoureuses", "Chant de guerre Parisien" et "Le Cœur supplicié".
Le dossier va se composer des poèmes "Accroupissements" (envoyé à Demeny dans sa lettre du 15 mai), "Les Poètes de sept ans" (daté ou antidaté, on ne sait, du "26 mai" et envoyé à Demeny dans sa lettre du 10 juin) et "Les Pauvres à l'Eglise" (daté évasivement de l'année 1871 en cours et envoyé à Demeny le 10 juin). Il faut étoffer le dossier avec le poème "Les Sœurs de charité" daté de juin 1871 sur le manuscrit qui nous en est parvenu, ce qui nous rapproche forcément du 26 mai des "Poètes de sept ans" par exemple. Il faut dire que nous pourrions inclure les poèmes de juillet : "Les Premières communions" et "L'Homme juste", vu que tout cela ferait un bel ensemble de compositions rapprochées dans le temps. Et il faudrait citer l'extrait mentionné par Delahaye avec le "fémur".
Deux autres cas plus délicats sont à traiter : "Les Assis" et "Paris se repeuple". Le poème "Les Assis" n'est pas daté. On peut raisonnablement penser qu'il date de cette époque, mais les preuves nous manquent et il y aurait en plus du débat selon que le poème est envisagé comme antérieur à la Semaine sanglante ou non. Quant au poème "Paris se repeuple", il est daté de "Mai 1871" par les premiers éditeurs, ce qui laisse penser que la date figurait en bas au moins d'un manuscrit, mais les différences en nombre de strophes nous imposent d'être prudent. Le poème a été remanié et la date est obligatoirement fictive, puisque Rimbaud ne peut pas écrire en mai des événements qui ne se sont déroulés qu'en juin : "Cachez les palais morts dans des niches de planches !"
Dans son édition philologique de 1999, Steve Murphy a classé le poème "Paris se repeuple" au mois de mai 1871 dans la section des poèmes datés, ce qui pour moi est trompeur. Il a également classé quatre poèmes dans un ordre qui, pour moi, ne s'impose pas le moins du monde : "Accroupissements", "Les Poètes de sept ans", "Paris se repeuple", "Les Pauvres à l'Eglise". Il faudrait croire que Rimbaud a écrit autour du 26 mai "Les Poètes de sept ans", que nécessairement du 27 au 31 mai il a consacré du temps à composer une version de "Paris se repeuple", puis il aurait composé "Les Pauvres à l'église" plutôt dans les dix premiers jours de juin. Le classement peut se concevoir pour "Accroupissements" et "Les Poètes de sept ans", puisque le second poème est daté du "26 mai" date postérieure à l'envoi par lettre de "Accroupissements", mais c'est le seul moment où l'articulation est concevable. Le poème "Accroupissements" est envoyé le 15 mai, mais il nous manque sa date de composition exacte. Le poème "Les Pauvres à l'église" est daté de "1871" au bas de la transcription, et ce n'est que la lettre qui le contient qui est du 10 juin.
Sur l'évolution de la manière de traiter les alexandrins par Rimbaud, il faut en outre se méfier. Il n'est pas commode de comparer les derniers alexandrins de 1870 qui se lovent dans sept sonnets avec ceux d'un discours en rimes suivies comme "Les Poètes de sept ans". Il est plus pertinent d'ailleurs de comparer "Les Poètes de sept ans" avec une pièce de longue haleine comme "Le Forgeron", comparaison qui soulignera d'ailleurs une certaine continuité.
En tout cas, si nous prenons "Les Pauvres à l'Eglise", "Les Poètes de sept ans", "Accroupissements" et "Les Sœurs de charité", comme les quatre pièces imparables d'une réflexion sur l'évolution des alexandrins de Rimbaud, en laissant de côté les cas problématiques ("Paris se repeuple", "Les Assis", sinon les vers inédits cités par Delahaye), on peut constater certains faits intéressants.
Le poème "Les Pauvres à l'Eglise" est daté évasivement de "1871" dans une lettre du 10 juin, et il est peu probable qu'il ait été écrit en accusant le coup du traumatisme de la Semaine sanglante. On pourrait nous accuser de gamberger, mais selon toute vraisemblance, il s'agit du plus ancien poème rimbaldien en alexandrins connu pour l'année 1871. Par lacune de la transcription, le vers 17 est faux : "Dehors, le froid, la faim, l'homme en ribotte :" mais le poème n'a aucun enjambement prononcé sur un déterminant ou un pronom d'une syllabe. Le cas limite est celui de la préposition en deux syllabes "avec" au vers 16 : "De gamines avec leurs chapeaux déformés[.]" Rappelons qu'en 1870 Rimbaud a déjà pratiqué avec une certaine profusion les césures sur des déterminants et pronoms d'une syllabe. Il me semble qu'à partir de juillet 1871 d'après ce qui nous est parvenu, sinon à partir de mai 1871 si on met en doute l'idée que "Les Pauvres à l'église" ait été inventé si tard, Rimbaud ne composera plus jamais un poème en alexandrins sans l'altérer de césures audacieuses.
Dans ce poème, les rejets concernent essentiellement des adjectifs. On observe un certain balancement d'hémistiche à hémistiche qui va dans le sens d'un relief de la régularité métrique : "Une prière aux yeux et ne priant jamais," "Comme un parfum de pain humant l'odeur de cire," "Les Pauvres au bon Dieu, le patron et le sire," "Loin des maigres mauvais et des méchants pansus," etc., et on relève aussi le traitement de l'adverbe en "-ment" quelque peu familier : "Regardent parader mauvaisement un groupe". Rimbaud mime une éloquence orale triviale déjà exploitée dans "Le Forgeron", mais qui aura de nouveaux développements dans "Les Premières communions" : "C'est bon." / "Aux femmes, c'est bien bon de faire des bancs lisses," / "Ces effarés y sont et ces épileptiques", etc. Il s'agit d'un des derniers poèmes dont la lecture immédiate est plutôt confortable avec un excellent usage du double sens qui frappe l'esprit du lecteur :
Ces aveugles qu'un chien introduit dans les cours.
De tels traits d'esprit, à la manière hugolienne, seront moins évidents à disséminer quand les poèmes seront plus hermétiques.
Notons toutefois que l'agressivité de Rimbaud dans ses descriptions s'éloigne petit à petit du moule hugolien encore sensible dans "Le Forgeron". On peut penser que l'influence de l'humeur sombre baudelairienne commence à poindre dans sa manière.
Or, le poème "Accroupissements", clairement composé avant la semaine sanglante, est précisément caractérisé par des citations de césures de Baudelaire. Dans "Accroupissements", Rimbaud s'essaie à une forme de strophe, le quintil ABABA, qui vient clairement d'une lecture des Fleurs du Mal et même des Epaves. L'acte est hautement significatif. Et un tel souci de souligner le quintil ABABA ne peut ressortir ainsi de la seule lecture des éditions de 1861 et de 1868. La strophe du poème "Accroupissements" a pour fonction de signifier que le poète a lu la version de 1857 et Les Epaves également. J'en ai déjà parlé sur mon blog et en parler ici nous mènerait trop loin.
Dans "Accroupissements", les allusions à Baudelaire se fondent sur des éléments lexicaux, l'abondance de recours à la séquence "comme un" est le fait qui rend inutile tout débat (vers 3, à cheval sur la césure, vers 8, au milieu du premier hémistiche, variante "tel qu'un" à cheval sur la césure au vers 15, enfin tout à fait à la façon de Baudelaire qui s'inspirait de Musset en réalité le comme un est devant la césure au vers 19, puis nouvelle répétition mais dans le second hémistiche au vers 20 ce qui montre bien qu'il s'agit d'un fait exprès). Il faut ajouter la césure sur la préposition "sous" au vers 6 qui conforte l'idée d'une résonance baudelairienne des césures du poème. Il y a d'autres choses à commenter sur les césures du poème "Accroupissements", et on peut signaler à l'attention le vers 32 dans le dernier quintil, avec la césure sur le déterminant "des" : "Aux détours du cul des bavures de lumière," ce qui sonne à nouveau comme une audace baudelairienne récente. Le choix du mot suspendu à la césure devient toujours plus trivial, étonnant, difficile à justifier spontanément.
Daté de juin 1871, le poème "Les Soeurs de charité" me semble résolument exprimer la manière nouvelle de Rimbaud. L'allure syntaxique est de plus en plus déconcertante et fait déjà penser au style des "Premières communions". On sent l'émancipation du poète. Les césures audacieuses sont bien présentes, nous avons même une césure sur le mot composé qui sert de titre au poème, avec le vers 14 qui met en relief le complément "de charité" par-delà la césure.
Venons-en maintenant aux "Poètes de sept ans".
Quelques césures audacieuses sont disséminées, mais ces césures audacieuses apparaissaient déjà en 1870 avec le même mode de traitement pas trop désinvolte, et en plus Rimbaud a tendance à reprendre la même préposition "sous" déjà repérée dans le cas de "Accroupissements" et de la rime du "Châtiment de Tartufe" et il dramatise de manière encore basique la préposition "dans". On observe toutefois qu'il réexploite la préposition "avec" ("Les Pauvres à l'église" composition plus ancienne d'après nous), mais en la décalant par une audace impliquant un déterminant "la", procédé qui fait songer à Verlaine, carrément et qui prouve que ce poème a une évolution sensible et si on songe que "sur" est l'inverse de la préposition "sous" on a de nouveau un décalage à la manière de Verlaine "sur un" un peu plus bas, manière qui implique Baudelaire (et Musset, et Hugo en réalité) à cause du "comme un" clairement mis en scène dans "Accroupissements" :

Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences

A se renfermer dans la fraîcheur des latrines :

Conversaient avec la douceur des idiots

- Huit ans, - la fille des ouvriers d'à côté,

Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou,

Il n'aimait pas Dieu ; mais les hommes, qu'au soir fauve,

La césure sur la conjonction "mais" n'est pas la plus acrobatique, mais je la relève malgré tout.
En même temps, si on compare les enjambements des "Poètes de sept ans" au "Forgeron", on se rend compte qu'il y a une vraie continuité. Rimbaud creusait déjà le sujet des enjambements dans "Le Forgeron". Mais cette comparaison permet aussi de constater que Rimbaud est dans la continuité des thèmes et préoccupations des poèmes de 1870.
Le poème "Les Poètes de sept ans" est politique. Peu importe que la date du "26 mai" corresponde réellement à la fin de la composition du poème par Rimbaud. Il est évident que cela ferait sens pour le destinataire Demeny, surtout un 10 juin, à moins de deux semaines de la fin de la semaine sanglante.
Demeny devait se dire (s'il lisait cette pièce) : voilà ce que faisait et pensait Rimbaud pendant ce temps-là. Et "Les Poètes de sept ans" est clairement un poème politique et communard. Ce qui semble empêcher de le considérer comme explicitement communard, c'est qu'il annonce une émeute et ne décrit pas l'actualité de la répression. Mais c'est un faux problème. D'abord, le 26 mai si nous acceptons cette date, Rimbaud n'est informé que par les journaux et l'événement est tout frais. Rimbaud n'a aucun recul pour préparer la composition d'un poème. Il ne vit pas à Paris. Il n'est pas dans des milieux privilégiés qui échangent des avis et de l'information continue. Rimbaud avait en plus des poèmes déjà en cours avant que ne commence la répression. En clair, le poème "Les Poètes de sept ans" a très bien pu être écrit pendant la semaine sanglante mais en étant nourri de tout ce que Rimbaud a pu penser avec enthousiasme auparavant. Et même si Rimbaud a conscience du massacre, et il va de soi que quand il envoie sa lettre le 10 juin il sait qu'on ne va pas lire naïvement son poème, il déclare son jusqu'au boutisme d'adhésion de coeur dans cette pièce.
Le poème est assez lisible. Il ne fait que 64 alexandrins. Or, du vers 21 au vers 51, nous avons un discours politique articulé des plus limpides. On peut tant qu'on veut décrire abstraitement sans contexte la révolte des 18 premiers vers, il n'en reste pas moins qu'ils préparent la lecture des vers 21 à 51. Les vers 19 et 20 sont pour leur part le début de la phrase qui se termine au vers 21 : "Il écoutait grouiller les galeux espaliers." En fait, le poète écoute des déclassés qui grouillent sur une construction pour faire la récolte sur des arbres fruitiers. Du vers 21 au vers 30, le poète décrit son attachement pour les réprouvés face à l'effroi de la Mère. Du vers 31 au vers 43, le poète aggrave son cas par son attachement à une fille d'ouvriers, l'ouvrier étant un symbole pour les révolutionnaires dans l'esprit de 1848, et donc pour les communeux. Du vers 44 au vers 51, le poète rejette la lecture forcée de la Bible et l'enrégimentement bourgeois que cela suppose ("pommadé") pour dire qu'à l'amour de Dieu qu'il hait il substitue l'amour des émeutiers, lesquels se composent bien sûr de déclassés et d'ouvriers.
Les vers 52 à 54 sont métaphoriques, mais ils concluent le discours qui vient d'être tenu. Le blanc entre les séquences de vers ne tombe qu'entre le vers 54 et le vers 55.
Les dix derniers vers, vers 55 à 64, sont métaphoriques tant qu'on veut, ils concluent un discours où les signification politiques des vers 21 à 54, une bonne moitié du poème, ont leur part. On observe une liaison par la liquidité. La chambre "prise d'humidité" permet la vision des "forêts noyées", mais l'image liquide est contenue également dans l'expression "la rumeur du quartier", ce qui aide le lecteur à comprendre l'indiscutable horizon politique du poème. La "rumeur" devient cette vague qui emporte la voile du poète et permet d'avoir tant de "forêts noyées". L'idée d'émeute révolutionnaire est explicite. Il ne peut être question de faire l'hypocrite en faisant mine de ne pas comprendre la métaphore des dix derniers vers.
L'amour des "sombres choses" est pour sa part clairement un rappel de ce qui est dit auparavant dans le poème sur le refuge des latrines de l'enfant désobéissant et sur les déclassés "puant la foire", aux "habits tout vieillots".
Notons que dans la lettre du 10 juin l'allusion aux déclassés rapproche "Les Pauvres à l'église" et "Les Poètes de sept ans", et le rapprochement ne peut que s'enrichir avec mention du poème "Le Forgeron".
Je vais arrêter là pour l'instant, mais je reviendrai sur un point métrique des "Poètes de sept ans" avec la correction de la leçon erronée "rives" pour la leçon exacte "rios". C'est un point qui ne doit pas passer inaperçu car les rimbaldiens ont tiré des conséquences de cette correction, et l'événement est récent, il date des années 1990. Et donc je voudrais expliquer ce que ça a engagé.

lundi 24 mai 2021

A propos des "frissons d'ombelles" !

Loin de me contenter d'un référencement des meilleures hypothèses image par image, j'ai développé une lecture simple et efficace pour justifier l'articulation des cinq voyelles couleurs du sonnet "Voyelles".
Je vois deux ensembles se dessiner, l'un des trois voyelles couleurs développées dans les quatrains, l'un des deux voyelles couleurs qui se partagent un tercet chacune.
Au plan des couleurs, on constate que j'opère un léger glissement. Au premier vers, nous avons une opposition du noir et du blanc, avec l'idée d'absence ou abondance plénière de la lumière, puis une trichromie positive du rouge, du vert et du bleu. En optique, les gradations entre le noir et le blanc seraient plutôt liées aux bâtonnets, tandis que les cônes permettent la vision des couleurs. Entre le rouge, le vert et le bleu, il faut considérer que nous avons des différences dans les longueurs d'ondes reçues par l'œil et traduites en couleurs dans notre perception. La trichromie positive du rouge, du vert et du bleu s'est établie progressivement en optique au dix-neuvième siècle de Young à Helmholtz. L'idée de l'opposition du noir et du blanc, outre qu'elle vient spontanément à l'esprit, est confirmée par le rejet de quatrain à quatrain et la construction elliptique du premier hémistiche du vers 5 : "Golfes d'ombre, E, candeurs [...]". L'allusion à la trichromie positive, témoignage d'une bonne connaissance par Rimbaud des avancées de la science à son époque, est confirmée par la variation de bleu à violet signifiée au dernier vers du sonnet : "Ô l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux." Une hésitation existait entre le choix théorique du bleu ou du violet pour la troisième couleur fondamentale.
Mais, au plan des ensembles dessinés par la distinction entre quatrains et tercets, nous avons d'un côté la suite noir, blanc, rouge et de l'autre le couple vert et bleu. La suite noir, blanc, rouge peut correspondre aux trois étapes alchimiques : l'œuvre au noir, l'œuvre au blanc, l'œuvre au rouge. Il existe une variante avec une étape intermédiaire du jaune, mais l'idée classique en alchimie est d'une création en trois étapes, avec la succession noir, blanc et rouge. Le mot "alchimie" est employé dans le tercet du "U vert", ce qui permet de considérer l'allusion comme plausible aux trois étapes de la création alchimique. Les étapes du noir, du blanc et du rouge sont isolées au plan des quatrains. Il n'est pas impertinent de chercher à cerner un premier niveau d'unité entre ces trois couleurs. En même temps, cela n'empêche pas de considérer que le statut du rouge est un peu particulier, puisque dans un cas le rouge fait cortège au vert et au bleu, dans l'autre il fait cortège au noir et au blanc.
Ensuite, dans les tercets, nous avons les couples du U vert et du O bleu, avec par le choix des images une idée qui se dessine clairement d'opposition du monde dans lequel on vit, je dis monde sublunaire pour être précis en peu de mots mais il s'agit du vers de la mer avec sa végétation particulière, de la Nature peuplée d'animaux qui la consomment, et bien sûr le monde humain est articulé à la Nature. Le O désigne le ciel. Notre poète aurait pu évoquer les mers dans son dernier tercet par exemple. Les mers sont placées dans le domaine du "U vert" et non de l'"O bleu" (Pardon du jeu de mots comme dirait Rimbaud). Les "strideurs" font songer à des orages, ce que conforte le rapprochement avec le quatrain de "Paris se repeuple" qui contient l'autre mention rimbaldienne du nom "strideurs". Le bleu vire à un violet mystique de tentative de sonder l'espace céleste.
Je n'ai pas daigné filer la métaphore alchimique en considérant que le "U vert" pourrait faire allusion à la Table d'émeraude d'Hermès Trismégiste. Le délire d'une lecture d'alchimiste stricto sensu ne m'intéresse pas. Il est plus raisonnable de considérer la nature métaphorique des allusions à l'alchimie, tout comme il est question d'allusion modérée à la musique des sphères dans les "vibrements divins des mers virides".
Mais revenons à la suite des trois voyelles couleurs dans les quatrains : A noir, E blanc, I rouge. Il n'est nul besoin de prouver avec ardeur le travail du poète sur le contraste du noir et du blanc. Il est évident qu'est orchestré un retournement du pôle du "A noir" au pôle du "E blanc".
Les épreuves de la lecture sont les suivantes. D'une part, il va falloir comprendre une série ternaire qui inclut le rouge. D'autre part, il ne saurait être question d'opposer le noir négatif et le blanc positif puisque les deux voyelles couleurs sont exaltées.
La force de ma lecture au sujet de la première voyelle couleur, bien que cela n'ait jamais été pris en considération par un quelconque rimbaldien, c'est que le "A noir" ne contient que deux images et que dans la comparaison des deux on peut voir se dégager l'idée paradoxale d'une chose atroce, repoussante, qui est en réalité la matrice permettant les naissances. La première image est définie par une expression nourrie : "noir corset velu des mouches éclatantes / Qui bombinent autour des puanteurs cruelles;" où la tête nominale est le mot "corset" qui permet un jeu de mots entre corselet et corset. Le corset développe l'idée de sein, de ventre maternel. Or, la suivante expression plus ramassée "Golfes d'ombre" a pour tête nominal un mot qui, étymologiquement, renvoie quelque peu au sein et ce mot, en tant que suggestion d'une forme, impose bien la vision d'un sein ou sinon d'une enveloppe abritant une vie retirée, protégée par sa délimitation. Les puanteurs cruelles ne sont pas repoussantes pour les mouches et partant pour la vie qui se prépare dans leurs corsets. Le début de la vie se fait dans la protection de l'ombre. Mais il vient un temps où la vie doit être bénie par la lumière, où la vie doit se faire à la lumière du jour. Et c'est tout le sens du passage au E blanc, mais avec des nuances. Le blanc sera celui de la toile extérieure des tentes ou bien le sommet de montagnes ou bien la partie exposée des fleurs. Et à cette aune, nous comprenons qu'il y a une articulation entre le "A noir" de la protection interne des êtres et le "E blanc" de la bénédiction extérieure de la lumière à la surface des choses. Or, le "I rouge" va définir des expressions caractérisant un passage de l'intérieur vers l'extérieur avec l'idée de "sang craché", de "rires", de "colères". Le "I rouge" définit des émotions ou des sentiments qui contribuent à une affirmation de la vie. On se rappelle que dans "Credo in unam", la lumière pénètre la chair et vient nourrir le sang. Il y a bien dans le second quatrain de "Voyelles" une raison logique à cette union du "E blanc" et du "I rouge" dans le second quatrain. Et on voit se confirmer l'idée d'une progression étape par étape. Le "A noir" de la matrice accueille enfin la grâce du jour en "E blanc", et ceci entraîne une troisième étape où l'être capable cette fois d'absorber la lumière la rend par la vie de son sang, qu'il s'enivre ou qu'il souffre, ou qu'il fasse tout cela à la fois.
La suite "A noir", "E blanc", "I rouge", correspond aux trois étapes de la création des êtres jusqu'à leur pleine affirmation de vie en retour, que ce soit pour la joie ou pour les instants tragiques. Il faut remarquer aussi que la succession du "I rouge" couleur du sang, avec mention explicite de celui-ci d'ailleurs ("sang craché"), au "U vert", couleur de la Nature qui est une sève végétale équivalent du sang comme il est dit dans "Credo in unam" toujours, a du sens. Nous passons des trois étapes de l'individu "A noir", "E blanc", "I rouge", jusqu'à sa constitution sanguine à l'idée du cadre qui définit les cycles de la vie, la Nature, dont le sang est considéré comme vert. Et comme les naissances se nourrissaient dans l'ombre du "A noir", les êtres se nourrissent dans les verts pâturages ou dans les "mers virides". La Nature nourrit les êtres enfin autonomes et constitués. Le "O bleu" passe alors à un plan providentiel qui ne gênera que ceux qui n'ont pas voulu comprendre que Rimbaud a une manière d'écriture métaphorique demeurée profondément spiritualiste, sachant qu'en prime il faut précisément identifier cette particularité spiritualiste pour identifier la posture antichrétienne du poète en ce sonnet.
Mais je voudrais revenir aux "frissons d'ombelles". Rimbaud ne parle pas d'une seule fleur blanche, mais d'une sorte de profusion arborescente, puisqu'il parle d'ombelles. L'ombelle est plutôt une prolifération de fleurs blanches formant une voûte. Or, c'est cette dénomination "ombelle" qui retient mon attention. Le nom "ombelle" vient du latin et est un parent étymologique du mot "ombre". Il y a une idée de parasol, de protection contre le soleil. Le mot "ombrelle" est à rapprocher des mots "ombre" et "ombelle" qui plus est. En anglais, le mot "umbrella" est utilisé pour désigner un parapluie, alors qu'en français il existe un clivage important entre le mot "parapluie" pour se protéger des intempéries et le mot "ombrelle" qui correspond mieux à l'idée de se protéger de l'effet du soleil.
Or, dans le poème "Roman", daté de la fin du mois de septembre 1870, Rimbaud, s'il n'a pas cité le mot "ombrelle" a mis en scène une demoiselle se promenant avec ce genre d'ustensile. Et comme si cela ne suffisait pas nous avons un parallèle étonnant entre les parties "II" et "III" du poème. Dans la partie "II", la demoiselle se balade une ombrelle à la main et dans la partie III, c'est le faux-col du père qui plonge dans l'ombre le visage et la silhouette de sa fille. Il s'agit d'une symétrie visiblement recherchée par le poète.

[...]

                           II

- Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon
D'azur sombre, encadré d'une petite branche,
Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche...

[...]

                           III

Le coeur fou Robinsonne à travers les romans,
- Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l'ombre du faux-col effrayant de son père...

[...]
La comparaison s'établit bien entre le premier quatrain de la partie II et le premier quatrain de la partie III. Ce qui est intéressant, c'est qu'au lieu de nommer l'ombrelle le poète procède par une sorte de périphrase niaise, par une sorte de définition de poète qui se veut raffiné. L'indice d'une distance ironique du poète est livré par le choix de l'adjectif "mauvaise". Toutefois, le manche de l'ombrelle en étant qualifié de branche permet de considérer l'instrument comme une sorte de réalité végétale et nous pouvons penser à une ombelle même, sachant que les fleurs se rejoignent toutes au même niveau de la tige principale. Or, cette ombelle métaphorique est définie comme blanche et ayant des frissons. Nous sommes donc bien dans l'idée d'une équivalence entre les "frissons d'ombelles" de "Voyelles" et le mouvement d'une ombrelle vue de loin qui va passer elle-même pour des frissons de fleurs blanches. Ce n'est pas tout. La toile de l'ombrelle dans "Roman" est nommée "étoile", ce qui souligne l'idée d'un éclat solaire. Voilà qui confirme à nouveau que le "E blanc" dans "Voyelles" exprime bien la bénédiction du soleil sur les choses. Rappelons que dans "Aube", poème en prose des Illuminations composé ultérieurement, Rimbaud en célébrant le lever du jour évoque la rencontre du poète d'une fleur qui parle : "une fleur qui me dit son nom". En vain, malheureusement, j'ai essayé de dire qu'il y avait un trait d'esprit. La fleur est révélée par la lumière du soleil, et c'est ce qui suffit pour l'identifier. J'ai mis ce passage du poème "Aube" en relation avec le poème "Stella" des Châtiments de Victor Hugo, sachant que Rimbaud cite ce poème comme une très belle illustration des capacités de "voyant" du grand romantique. Dans ce poème des Châtiments, la fleur se considère comme une sœur de l'étoile, et vu ce qu'il dit de l'ensemble de cette pièce pas très longue dans sa lettre à Demeny du 15 mai 1871, Rimbaud, qui vaut mieux que la plupart de ses lecteurs, n'a visiblement pas considéré cela comme une mièvrerie à prendre en passant pour aller préférer des réflexions plus substantielles ailleurs dans les vers du recueil. En refusant de considérer cette source comme importante à la lecture du poème "Aube", les rimbaldiens se privent d'un moyen de compréhension du sonnet "Voyelles". La métaphore de la fleur qui est une étoile est concentrée dans l'élaboration poétique autour de la vision de l'ombrelle dans "Roman". Si Rimbaud usait déjà de telles subtilités ramassées dans ses créations de 1870, nul doute qu'il pouvait passer à un degré supérieur dans les compositions de "Voyelles", puis "Aube". Il se permet d'être plus allusif, se fondant à tort sur l'idée que les lecteurs ont suffisamment de culture pour être réactifs immédiatement à la lecture, ce qui n'est malheureusement pas le cas.
Plusieurs indices invitent à penser que le sonnet "Voyelles" a été composé à Paris, entre septembre 1871 et mars 1872, et ces éléments invitent même à favoriser plus nettement l'idée d'une composition au début de l'année 1872. Mais, à la limite, peu importe pour la suite de nos considérations. Ce que je veux souligner, c'est que, face à Rimbaud, il y a un lecteur qui s'appelle Verlaine. Entre septembre 1871 et mai 1872, Verlaine a assez peu publié. Son recueil La Bonne chanson a enfin été mis en vente, mais Verlaine ne publiera pas de nouveau recueil avant 1874. Il faudrait faire état des publications variées dans la presse, mais ce n'est pas non plus une période pendant laquelle il a beaucoup diffusé de pièces inédites dans les journaux. Or, le recueil de 1874 intitulé Romances sans paroles débute par une section intitulée "Ariettes oubliées" qui fait clairement écho à un cadeau que lui a fait Rimbaud au printemps 1872 d'un texte d'une chanson de Favart. Verlaine parle alors de "délicate attention". Et la première pièce de cette série a été composée à peu près au moment de la réception de cette chanson de Favart par Verlaine, puisque le poème a été publié peu de temps après en mai 1872 dans une livraison hebdomadaire de la toute nouvelle revue La Renaissance littéraire et artistique. Et ce qui est remarquable, c'est que le début très célèbre de cette nouvelle composition verlainienne est très proche de "Voyelles" sur certains points : nous avons l'idée d'une expérience mystique de la totalité pourtant maintenue dans son mystère, une succession d'images valant définition et l'éparpillant en mystère toujours, une extase et une idée des frissons de la Nature : "C'est tous les frissons des bois". L'emploi du mot "frissons" vient de loin. Sans essayer de sonder les poésies du dix-huitième siècle, c'est un poncif romantique puis parnassien que Rimbaud exploite à plus d'une reprise, et Verlaine aussi. Mais, l'idée de totalité des cinq voyelles-couleurs passe elle aussi quelque peu dans l'expression choisie par Verlaine. Nous sommes quelque peu dans l'idée de "Alchimie du verbe" d'un peintre possédant "tous les paysages possibles". Le bouquet de Verlaine se veut exhaustif.
Il faudrait dans une prochaine étude se pencher sur les lectures proposées par les rimbaldiens au sujet de ces "frissons d'ombelles", mais aussi sur ce qu'ils ont pu dire de l'expression "foulant l'ombelle" du poème "Famille maudite" ou "Mémoire", sachant qu'une voie est ouverte pour comparer "Mémoire" à certains passages de "Roman". Mais les rimbaldiens en attendent tellement peu du mot "frissons" qu'ils n'ont pas cherché à le faire parler dans "Credo in unam" comme ils ont daubé superbement le rapprochement du poème en prose "Aube" avec la pièce "Stella" des Châtiments où la fleur se revendique étoile. Tout cela est à la portée du premier niais venu et ne ferait pas de Rimbaud et Hugo de grands poètes, selon eux. Outre qu'ils ont pour le coup négligé la manière des artistes (et pour un critique littéraire c'est un assez beau péché), voilà que nous ajoutons une pièce au dossier qui pourrait bien pointer du doigt une définition explicite de ce que doit être la poésie selon Rimbaud. Lorsqu'il écrit à Banville en mai 1870, Rimbaud dit, certes avec une sorte de naïveté jouée, mais une naïveté non dépourvue de sincérité, que ces choses des poètes il appelle cela "du printemps" !
En fait, ce que je suis en train de vous dire, c'est que dans "Voyelles", l'expression "frissons d'ombelles" signifie crûment l'idée d'un printemps d'avènement poétique, et qu'on peut le déterminer en recourant aux peu nombreux discours explicites de Rimbaud sur ce que doit être la poésie. Toute la symbolique du printemps est engagée dans la compréhension des images du "E blanc", et ça va bien sûr de pair avec l'idée de succession du "A noir" matrice au "E blanc" éveil à la vie lumineuse du jour avant l'affirmation de l'être de sang. Et comme si cela ne suffisait pas, peu de temps après la composition de "Voyelles", Rimbaud compose quasi exclusivement des poèmes dans l'exprès trop simple, le faux naïf, comme disait Verlaine, qui célèbrent la Nature, le printemps, en définissant l'importance de la faim et de la soif : "Comédie de la soif", "Fêtes de la patience" avec "Bannières de mai", "Chanson de la plus haute Tour", "L'Eternité" et "Âge d'or", et nous pouvons ajouter à tout le moins "Bonne pensée du matin", si pas "La Rivière de Cassis" et "Larme" quelque peu, sauf que ces deux pièces sont un peu différentes tout de même d'optique.
Vous croyez réellement avoir raison de rejeter ce printemps pour nous faire croire que vous avez une compréhension plus subtile de "Voyelles" mais qu'il vous manque de temps et d'envie pour expliquer cela soit oralement, soit par écrit ?

dimanche 16 mai 2021

Prochainement

Je vais mettre à profit la semaine qui vient pour achever la deuxième partie du compte rendu sur le Dictionnaire Rimbaud. Il faut ajouter qu'une publication est en cours à laquelle j'ai participée, ce sera probablement ma dernière collaboration avec les rimbaldiens, le livre est prévu pour le 26 mai.
Aujourd'hui, mal de tête démentiel pour ne pas changer. L'étape du scanner se rapproche un peu plus, et pas qu'elle.

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Au fait, à propos de l'épidémie, les éléments sont trop nombreux. On a réellement eu la première épidémie mondiale par fuite d'un virus d'un laboratoire et plusieurs américains à des postes clefs, c'est le moins qu'on puisse dire, ont des conflits d'intérêt avec les labos chinois : Baric (remdesivir), Daszak (The Lancet, mission de février), Fauci (communicant officiel des Etats-Unis pour gérer la crise).
Ensuite, quand Raoult dit qu'il n'y a pas de seconde vague et que c'est une nouvelle maladie puisqu'il y a un variant, il ne fait que chercher à se dédouaner de ses propos initiaux, mais ce qu'il dit est absurde et se retourne même contre lui. Outre que les variants sont toujours la même maladie, il avait dit qu'il n'y aurait pas de deuxième vague, variants ou pas variants. Fin 2020, le débat sémantique sur la deuxième vague était absurde. Les gens se disputaient sur une expression sans s'accorder sur une quelconque définition.
Quant aux vaccins, on n'a aucun recul. On a une communication qui fonctionne à l'immédiateté à travers les médias.
Et confinement et couvre-feu, là encore, ce ne sont que des mots. Il n'y a eu qu'un seul confinement en France. C'était l'année passée de mars à mai 2020. Tout ce qu'il y a eu d'octobre 2020 à mai 2021, ce n'est ni du confinement, ni du couvre-feu, c'est du n'importe quoi. On peut sortir autant qu'on veut en masse. Il y a uniquement eu le sacrifice de quelques professions, cela n'a strictement rien à voir avec un confinement.
Bref, l'incapacité des rimbaldiens à cerner les enjeux de "Voyelles", le fait que le discours officiel sur les études rimbaldiennes soit orienté, c'est en parfaite harmonie avec le monde dans lequel on vit, tout ça c'est "nouvel amour et parfaite harmonie".

vendredi 7 mai 2021

Ce lien qui unit Voyelles, A une Raison, Alchimie du verbe, L'Eternité et plusieurs autres poèmes...

Le poème "A une Raison" possède un titre qui interpelle et qui provoque presque plus de réflexion critique que le poème proprement dit, lequel est fortement délaissé par les rimbaldiens en général. Le mot "Raison" est flanqué d'une majuscule : il désigne une allégorie, un principe divin, et finalement une divinité comparable à la Vénus pour laquelle le poète clame sa foi dans "Credo un unam". Ce mot "Raison" est précédé d'un déterminant indéfini "une". Les lecteurs envisagent l'idée que, dans une concurrence entre plusieurs conceptions de la raison, le poète en privilégie une qu'il oppose polémiquement aux autres conceptions. Et les rimbaldiens font la revue historique des notions de raison. Mais, ce déterminant a une valeur d'exclusivité, il sous-entend aussi qu'elle est unique, que cette "Raison" est la seule vraie, et c'est bien ce qui justifie la nature polémique de ce titre après tout.
Mais cette Raison unique que célèbre le poète, c'est celle du monde lui-même. Dans "Voyelles", Rimbaud énumère les cinq voyelles de l'alphabet pour en faire cinq "couleurs" à partir desquelles on peut composer l'ensemble des visions du réel et aussi des possibles en esprit. Le noir et le blanc ne sont pas des couleurs à proprement parler, sauf dans la langue des peintres, mais Rimbaud unit bien sûr l'opposition du noir et du blanc à la trichromie positive du rouge, du vert et du bleu qui s'est développée en science de la vision humaine de Young à tout récemment à l'époque Helmholtz. Le premier vers de "Voyelles" correspond à une sorte de définition des cinq éléments premiers qui permettent ensuite de tout fonder, un peu comme dans l'Antiquité grecque, certains émettaient l'idée que le monde était constitué de quatre éléments premiers : le feu, l'air, la terre et l'eau. Et comme dans le cas de la trichromie en optique avec les avancées d'Helmholtz, cette idée des briques fondamentales est dans l'air du temps, puisque c'est en 1869 que Mendeleïev dresse le tableau périodique des éléments. Rimbaud invente en poète, bien sûr, mais son poème mime l'idée scientifique d'établir la table des éléments premiers du monde, et en l'occurrence une liste d'éléments pour créer toutes les paroles et toutes les visions.
Rimbaud ne se leurre pas sur la facticité de son invention, il ne veut ni faire passer cela pour une découverte authentique, ni se faire dérisoirement applaudir pour l'exhibition d'une thèse gratuite, et il ne cherche pas non plus à trop facilement se moquer par sa variante des exemples d'audaces de poètes qui ont chanté avant Rimbaud une science du monde qui n'était qu'illusion. Rimbaud imite la production d'une synthèse de résultats scientifiques, et ce qu'il va dire d'intéressant va être au-delà.
Il y a à l'évidence quelque chose qu'il croit en écrivant ses poèmes, quelque chose qui l'engage. Rimbaud croyait-il en un message ésotérique développé par ses poèmes ou relayé par ses poèmes ? Il faut ouvrir quelques tiroirs. Nous avons quelques attestation d'un intérêt pour les lectures ésotériques. Selon un témoignage attribué à Henri Mercier et rapporté par Darzens, Rimbaud s'intéressait à la lecture de Swedenborg, et ce fait est confirmé plus directement encore par le journal de sa sœur Vitalie Rimbaud qui n'a aucune raison de mentir quand elle confie par écrit que Rimbaud en Angleterre, du temps où il est encore quelque peu lié à la poésie, lui a prêté un ouvrage de Swedenborg précisément. Hugo, qui se laissait captiver par les tables tournantes, et Balzac, d'autres écrivains encore, permettent d'envisager la possibilité d'un intérêt de la part de Rimbaud pour l'ésotérisme, et cela s'amplifie avec ce qu'on peut savoir de zutistes comme Antoine Cros et Ernest Cabaner. Il y a un deuxième tiroir à ouvrir, celui de l'état de la science à l'époque de Rimbaud. Rimbaud vit une époque où la représentation du monde change rapidement : il connaît vaguement le sujet des animaux antédiluviens, il connaît sans doute les descriptions de Buffon sur la formation de la Terre, il sait que le monde n'a plus l'âge court biblique qu'on lui prêtait, mais Rimbaud n'a pas notre bagage intellectuel de gens du vingtième siècle. Nous parlions plus haut des avancées majeures de Mendeleiev ou de Helmhotz qui sont de son époque. Rimbaud est d'un monde où il y a encore un certain mystère antique sur l'origine du monde. Le troisième tiroir qu'il faut ouvrir, c'est que Newton et Leibniz, deux des plus grands génies de l'humanité, étaient encore partisans de recherches ésotériques, Newton sur la lecture de la Bible ou Leibniz sur l'alchimie, et à la fin du dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle encore, quelqu'un comme Camille Flammarion, lequel était d'ailleurs douze ans plus vieux qu'Arthur Rimbaud en fait, alliait son intérêt pour la science à sa foi en une possibilité de science ésotérique. En clair, il y a un danger d'anachronisme à trouver évident que Rimbaud n'avait pas un support de pensée ésotérique et que, dès lors, par la force des choses, sa poésie n'en garderait aucune trace. Pourtant, je suis très réservé quant à l'idée que Rimbaud fasse passer un tel profil de savoir ésotérique dans sa poésie. Je suis loin de pouvoir le prouver pour l'instant, mais spontanément je n'y crois pas du tout, et ma connaissance affinée de son œuvre ne m'y conduit pas apparemment. Pour moi, Rimbaud a beau parler avec une certaine conviction d'une connaissance qu'il formulerait dans ses poèmes hermétiques, je n'identifie pas un tel développement de sciences occultes. D'une part, quoi qu'ait pensé Rimbaud, pour moi, le discours de "Voyelles" ou de certains passages du livre Une saison en enfer n'étalent pas tant des révélations du monde que des représentations très bien conçues, ce qui n'a du coup rien à voir avec l'établissement tangible d'un savoir. D'autre part, le poème "Voyelles" demeure isolé. Il y a bien des liens de "Voyelles" avec des poèmes antérieurs et aussi des poèmes postérieurs. Il y a bien une convocation de "Voyelles" dans "Alchimie du verbe". Mais, objectivement, "Voyelles" expose une thèse à cinq éléments qui n'est développée nulle part ailleurs dans ses poésies, à l'exception de la cinquième partie de "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" qui lui fait nettement écho. Si Rimbaud avait découvert quelque chose, nous aurions des poèmes de tâtonnement, nous sentirions une progression de poème à poème, alors que sur le sujet des "Voyelles" les poèmes offrent des reflets de miroir, pas l'histoire d'une recherche.
Il y a pourtant une recherche, des constantes, mais elles sont à formuler différemment en tout cas.
Et j'en arrive au point de rapprochement qui m'intéresse et donne son titre à cet article. Dans "Voyelles", je le dis depuis 2003 et cela est de plus en plus répercuté dans les écrits des rimbaldiens depuis, il y a une idée de "Verbe de Lumière", nous avons une correspondance terme à terme de cinq voyelles et de cinq formes élémentaires de la vision, cinq formes de perception autrement dit de la lumière : le noir, l'absence de lumière, le blanc, la lumière et la réunion de toutes les couleurs, puis donc la tripartition du rouge, du vert et du bleu-violet. Ce n'est pas tant une vérité de l'univers, qu'une vérité de notre organe humain de perception qu'est l'œil. Or, cette idée de bijection permet d'établir un rapport systématique entre la parole et la lumière, et cette idée rejoint l'idée biblique, développée dans l'évangile selon saint Jean, d'un Verbe divin qui est dans l'univers et dans la lumière : "Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu", et une des premières paroles de Dieu est "Que la lumière soit", avec sa conséquence instantanée : "Et la lumière fut." Et pour saint Jean, la vie de l'homme est l'expression intérieure d'une lumière.
Rimbaud s'empare de ce mode de représentation métaphorique. Cela ne concerne pas seulement "Voyelles", la Raison est aussi du domaine de la parole, et donc le poème "A une Raison" peut se comprendre comme une prière ou une célébration adressée à un Verbe divin. Et "Alchimie du verbe" est un titre qui associe l'idée d'alchimie, de recherche donc du divin, à l'étude du verbe lui-même, et la notion d'alchimie est mobilisée explicitement dans "Voyelles" même, tandis que le sonnet "Voyelles" est exhibé en premier lieu en tant qu'exemple poétique rimbaldien de tentative d'alchimie du verbe dans la section du livre Une saison en enfer qui porte précisément ce titre.
Prenons précisément ce tercet du "U vert" dans lequel il est question d'alchimie. Le "U" va définir l'image des cycles. Le mot "cycle" nous fait sans doute plus volontiers songer à la figure du cercle, ce que renforceraient de proches parents lexicaux : cyclopède ou forme cyclique, etc. Toutefois, Rimbaud a lui affirmé que le "U" était la figure du cycle, mot qui au demeurant contient la lettre y associable à un "u" par référence étymologique, et il l'a associé au mouvement répété des vagues, à une oscillation. Et en effet, si nous traçons une ligne droite du temps, nous n'avons pas la lettre O pour former un cycle : soit nous avons la succession d'un demi-cercle courant sous la ligne et d'un demi-cercle passant au-dessus de la ligne, d'un u et d'un n, soit la succession inverse, d'un n puis d'un u, soit plus minimalement, plus simplement, nous avons la forme d'un "u" qui demi-cercle par demi-cercle s'éloigne de la ligne en descendant, puis y remonte, mais dès qu'il remonte sur la ligne, il redescend et ainsi de suite. La succession de la lettre "U" convient parfaitement pour figurer le mouvement cyclique. Mais, ce que dit en même temps le poète, c'est que les vibrations maritimes sont du coup une parole, puisque c'est un cycle continu de la voyelle "U". On connaît le mouvement de la vie avec les animaux, mais ici nous avons le mouvement de la mer qui n'est pas définie en tant qu'être vivant, mais qui, dans le mystère de l'univers, se perçoit aisément comme un rythme physique premier auquel notre sort est lié. Rimbaud aurait pu parler du mouvement des astres, il le fait d'ailleurs quelque peu au vers 13 de "Voyelles" avec les "Mondes" et les "Anges", sachant que les anges sont aussi au plan biblique et johannique une création de la parole divine, mais il garde l'idée du mouvement des astres pour la contemplation céleste du "O" bleu-violet, et dans le tercet du U consacré au monde sublunaire marqué par le dépassement humain il valorise donc l'idée assez évidente, proche des idées de "Soleil et Chair", qu'il y a un lien de sympathie entre l'oscillation des océans et le tout de la vie qui s'est continuée sur la terre avec les "animaux". Il y a aussi un autre aspect important du tercet du "U", dans la mesure où les mers offrent un mouvement d'une parole qui se répète, tandis que l'humaine transforme cette répétition éternelle en une connaissance qui s'imprime dans les livres, car il y a à l'évidence un tel jeu de mots quand Rimbaud écrit à cheval sur les vers 10 et 11 : "Paix des rides / Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux." Le plan de la connaissance va alors engager une plus-value pour l'humain, comme dans la progression "A noir", "E blanc", "I rouge", nous passions d'un état inerte à des actions de colère, de désir de beauté, d'ivresse, etc.
Cette plus-value se retrouve dans le poème "A une Raison". L'adhésion divine permet d'obtenir un crible du temps qui permet de fixer, d'imprimer une "nouvelle harmonie". Et l'idée subtile de Rimbaud, c'est que la divinité sollicitée est certes éternelle, mais quelque peu prise dans une sorte de conflit du type du yin et du yang. Elle circule en toutes choses, à tout instant : "Arrivée de toujours, qui t'en iras partout." Cela n'empêche pas que la Raison ait un flux et un reflux en nous. Ce que veut Rimbaud, c'est que nous nous battions pour le flux contre l'abandon au reflux. Ceci est justifié par le poème "L'Eternité", le poète définit que cette permanence existe à condition de bien s'en saisir. Il faut se dégager des "communs élans". Et cette éternité n'est pas dans la totalité du monde perçue comme perfection, elle est dans le mouvement du monde qu'on ne laisse pas retomber, et c'est ce qui est explicitement formulé par images avec l'idée de "la mer / Allée avec le soleil", où le verbe "aller" suppose une volonté, une action, mais aussi la possibilité de son contraire : la mer qui ne va pas avec le soleil. Rimbaud définit une éternité en tant que modalité d'action, en tant qu'affirmation du désir de vivre. Il y aurait des tas de choses à préciser sur ce désir, mais je ne le ferai pas ici. On verra ça une autre fois. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est ce rapport immédiat d'adhésion au monde et le fait que le poète veut se distinguer des autres auteurs en tant qu'il ne va pas prétendre découvrir la vérité par hasard, mais par application, en tant qu'il va chercher une sorte de sens commun cosmique des êtres humains dans un faux naïf, dans un faux "exprès trop simple". Il cherche sa vérité dans une évidence première qui l'amène à être au plus près des sens premiers, pour mieux sentir le réel. Et je ne pense pas que son hermétisme était voulu, qu'il transformait en discours hermétique une pensée qu'il aurait pu formuler autrement, même s'il est assez vrai qu'il aurait toujours pu formuler les choses autrement, mais je considère plutôt qu'il assumait son hermétisme et le laissait dominer sa façon de se confronter à une recherche d'une émotion accessible un jour à l'autre à tous les sens. Il cherchait à sentir les choses, ce qui n'allait pas sans une contrepartie d'hermétisme à la lecture de ses poèmes. Mais, à la limite, peu importe pour notre sujet de réflexion du jour. On gagne un substantiel confort de lecture à bien jauger de cette idée d'immédiateté du rapport au monde qui fonde la dynamique divine positive des poésies rimbaldiennes.
Maintenant, nous pouvons en revenir quelque peu à ce problème de compréhension de la profondeur philosophique du texte rimbaldien. Rimbaud croit quelque peu aux idées qu'il exprime dans plusieurs de ses écrits fondamentaux où il réfléchit sur sa possibilité d'être un mage, et donc en particulier à ce qu'il peut écrire dans "Credo in unam", dans "Génie" et "A une Raison", dans "L'Eternité", dans plusieurs moments du livre Une saison en enfer, et notamment dans les premiers alinéas célèbres de "Alchimie du verbe" ou dans "L'Impossible". Rimbaud révèle-t-il un système qu'il a trouvé, formule-t-il une mise au point qui correspondrait à une conviction réelle de découverte ? Je veux évidemment rester prudent et réservé quant à de telles prétentions, qui, au passage, nous rapprochent de la question de l'ésotérisme. Dans "Voyelles", Rimbaud décrit le "A noir" comme une matrice, le "E blanc" comme le don de la grâce sur les êtres, le "I rouge" comme en retour l'affirmation des êtres, puis le "U vert" comme le développement du monde sublunaire du rythme initial lanceur de vie des mers à la fixation de la pensée dans les livres, puis le "O bleu-violet" est le moment de contemplation où l'alchimiste croise le regard érotisé du divin. Il va de soi que c'est une magnifique conception, que cela dit beaucoup de choses de pertinent sur le monde, c'est d'une très grande beauté et d'une très grande justesse, mais cela demeure forcément une représentation personnelle, une élaboration qui permet d'apprécier le monde, sans arriver au statut de découverte scientifique. Et cela, Rimbaud le savait, et il n'est pas possible qu'il l'ait pu en faire fi quel qu'ait pu être son intérêt à la lecture par exemple d'un Swedenborg. Et, en tout cas, même si dans l'Antiquité grecque, on applaudissait à l'exposé d'une thèse sur les quatre éléments à l'origine de toutes les réalités du monde (eau, fer, feu, terre) ou à l'exposé de diverses autres thèses du même genre, avec le Timée socratique de Platon, etc., etc., il n'en reste pas moins que, moi, je ne reconnais ni aux théories antiques, ni au sonnet "Voyelles", un statut de découverte, l'acquisition d'une connaissance réelle. Je vois des représentations subtiles et intéressantes, c'est différent.
Pourtant, il y a un point d'ancrage à déterminer où Rimbaud finit bel et bien par se dire "voyant". Il ne faut pas perdre de vue non plus que nous lisons Rimbaud plutôt du côté des poètes du vingtième siècle. Nous lisons Rimbaud, puis nous lisons Reverdy, Breton, Michaux, Saint-John Perse, Char, Apollinaire, Saint-Pol-Roux, Supervielle, etc., etc. Or, la littérature française a connu deux siècles où les poètes ont été quelque peu envisagés comme des mages. Il y a une partie du seizième siècle avec Ronsard et du Bellay, en sachant que Ronsard, pendant les guerre de religion, va produire une poésie ayant vocation à secouer les masses avec les Discours sur les misères de ce temps, ce qui sera prolongé, mais dans l'opposition religieuse, par Les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné, et cette idée de magistère revient sur la scène avec la poésie romantique. Lamartine ne fut pas que le seul poète du "Lac", et il a connu une carrière politique importante, jusqu'à un rôle de sorte de "chef du gouvernement" (et non pas de président) au moment de proclamer la seconde République en 1848. Toutefois, les poèmes les plus célèbres de Lamartine ne sont pas tellement ceux qui expriment une vision politique. Le cas est différent pour plusieurs autres poètes. Il n'est même pas besoin de rappeler ce qu'il en est pour Victor Hugo, mais il ne faut pas perdre de vue que, même en retrait sur l'emballement au romantisme, Musset a écrit des poèmes politiques connus, tandis que Vigny travaillait à exprimer une grande pensée dans ses pièces. Bien que prônant l'impersonnalité et le refus de l'actualité par le refuge dans les mythologies anciennes, Leconte de Lisle était aussi en quelque sorte un mage tenant un discours pour notre monde. Et nous pourrions aller très loin, jusqu'à rappeler que, même si, à part André Chénier, la poésie du dix-huitième siècle est frappée d'un certain discrédit, de son vivant, Voltaire fut moins célèbre pour ses écrits philosophiques et son art d'écrire des contes en prose que pour ses tragédies et ses poèmes en vers, et l'inspiration politique n'était pas absente de ses poésies, ainsi que l'atteste le poème sur le tremblement de terre de Lisbonne. Banville suppose aussi une critique de la société avec une vision de poète pour le monde dans ses différents recueils. Et même Baudelaire, s'il ne traite pas de l'actualité, parle pour ce monde et décrit notre présent selon ses vues dans Les Fleurs du Mal, puis ses "Petits poèmes en prose". Seulement, à partir de 1872, Rimbaud délaisse la rhétorique et les poèmes longs. Et ceci peut effacer le lien pourtant évident qu'avait Rimbaud avec l'idée du magistère romantique du poète. Or, au-delà de la question d'une recherche qui se veut différente en puisant à une idée de rapport au monde parfois dans l'exprès trop simple et le faux naïf, parfois dans la prose descriptive pince-sans-rire ou fantasmagorique du monde moderne, Rimbaud peut parler de vérité de sa dimension de mage et partant de sa parole remuante pour les foules parce qu'il y a l'idée d'une liaison métaphorique reprise à la Bible, puis à des auteurs tels que Victor Hugo, entre la parole du poète qui sait parler aux foules et donc imprimer sa marque au mouvement du monde et l'idée que la physique de ce monde est déjà un langage, un langage de lumière et de vibrations, et c'est dans cette liaison métaphorique que très visiblement Rimbaud engageait l'idée d'une vérité de son magistère, indépendamment d'une quelconque illusoire prétention à exposer une révélation, une synthèse ésotérique. C'est dans l'identification de ce qui justifie ce noyau dur métaphorique de la composition rimbaldienne que peut s'évaluer ce qui fonde l'éthique du voyant.

lundi 3 mai 2021

Une Raison, leur en-marche, nos lots, ces enfants : de la détermination dans "A une Raison"

Le poème "A une Raison" offre un cas singulier parmi les titres des Illuminations. La plupart du temps, les titres sont en un seul mot ou bien ils forment un groupe nominal non introduit par un déterminant : "Fête d'hiver", "Matinée d'ivresse". Rimbaud a hésité à placer le déterminant pour le poème "Ouvriers", et il l'a conservé pour "Les Ponts", dans la mesure où sa suppression aurait un effet malheureux. En revanche, les titres "Après le Déluge" et "A une Raison" partagent le fait d'être des groupes prépositionnels. Le titre "A une Raison" a une allure de dédicace à un être qui peut-être n'entend pas le poète, surtout si on l'envisage comme le correspondant d'une série de titres baudelairiens parmi lesquels "A une passante". Et, en même temps, le titre est une revendication, et c'est bien sûr l'origine de l'emploi du déterminant indéfini "une". Le poème revendique une conception qu'il oppose au monde ambiant.
Nous n'avons aucun mal à nous convaincre qu'il s'agit d'une variation du "Credo in unam" rimbaldien. L'allégorie est flanquée d'un doigt, d'un "pas", d'une "tête", et les mouvements du corps de la divinité coïncident avec l'animation d'une "Vie harmonieuse" et d'humains renouvelés. C'est le "pas" lui-même qui doit être identifié à la "levée des nouveaux hommes". Autrement dit, la déesse a pénétré ces hommes. C'est le mouvement de la tête qui est "nouvel amour". A cette aune, il n'est pas spécialement pertinent de parler pour les "enfants" ou "nouveaux hommes" d'une pleine conscience de ce qu'est la divinité. Rimbaud parle bien évidemment de la "mère de beauté" du poème "Being Beauteous", mais nous ne sommes pas expressément dans le cas de figure où ces "nouveaux hommes" sont conscients de luttre contre notre monde. En revanche, le poète s'en sert comme de valeurs témoins, il parle de "leur en-marche", il les exhibe devant nous.
Mais, en insistant ainsi à dessein sur le fait que le "doigt", le "pas" et la "tête" deviennent des parties des "nouveaux hommes", sur le fait que "cette mère de beauté" recouvre les hommes d'un "nouveau corps amoureux", je songe à introduire une précision de lecture fine concernant le quatrième alinéa. Le poète fait parler ces "nouveaux hommes". Le réflexe peut être de penser que ces hommes étaient sur le qui-vive dans l'attente de l'ordre divin chanté par la Raison. Mais j'ai introduit l'idée que bien plutôt c'est une action subreptice de la divinité en eux qui leur insuffle la vie. En quelque sorte, les paroles rapportées sont une expression spontanée de ce qu'ils ressentent en eux et c'est ce qui va unir l'idée d'une "levée des nouveaux hommes" à un désir d'élévation des fortunes et des vœux. Il faut bien concevoir cette forte intériorisation d'un sentiment de puissance qui est en eux, mais qu'il nomme la divinité, et cela devient prière faite à ses propres possibilités.
Le poète maintient ce groupe comme une valeur témoin qu'il nous présente à l'attention, il parle de "ces enfants", mais dans l'alchimie nous avons donc une divinité, une allégorie de la Raison, un groupe de "nouveaux hommes" ou "enfants" et le poète. Le poète va se joindre à ce groupe "on t'en prie". Il s'agit d'une fusion et cette fusion concerne aussi la divinité avec les "nouveaux hommes" puisqu'elle est leur force motrice, leur "en-marche". Et c'est cette idée de fusion qui donne son sens à l'alinéa final : "Arrivée de toujours, qui t'en iras partout !" Il s'agit d'une idée de circulation universelle, qui implique la totalité du temps et de l'espace : "partout" et "toujours", selon un mode d'expression qui n'est pas étranger à la religion chrétienne. On peut penser par exemple au "comminotorium" écrit en latin par Saint-Vincent de Lérins. Je ne le cite pas simplement parce que j'ai habité à Cannes, mais parce qu'il a proposé une formule qui a eu un certain succès : "Quod ubique, quod semper, quod ab omnibus" qui veut dire "Tenir pour vérité de foi ce qui a été cru partout, toujours et par tous." Peu importe que Rimbaud ait connu directement cette formule ou non. Il est clair que le poème de Rimbaud sent la rhétorique d'église, et ceci, afin comme dans "Génie", de s'y opposer par l'affrontement le plus immédiat. Et le poème s'intitule "A une Raison", il s'agit bien de définir une "vérité de foi" et parmi les trois critères (l'universalité, l'antiquité et l'unanimité), Rimbaud retient les deux premiers : l'universalité "partout" dernier mot du poème et l'antiquité dressée en éternité "toujours". Il va de soi que l'unanimité n'existe pas dans pareil affrontement. Et pour bien souligner la circulation universelle de cette Raison, le poète joue non seulement sur les échos entre les adverbes "toujours" et "partout", mais sur les échanges de phonèmes entre les deux formes "Arrivée" et "iras", puisque la différence de sens qui permet d'opposer les deux verbes s'accompagne d'une inversion dans la succession phonétique : "Arri...", "iras".
Comme les enfants auxquels il se joint, le poète va tutoyer la déesse qui est une force interne qu'il reconnaît en lui : "qui t'en iras" pour le poète et "Elève" ou "change nos lots" pour les enfants.
Profitons de ce que nous avons ainsi bien ancré la référence à une rhétorique religieuse pour commenter un passage qui peut passer pour anodin dans le poème : "Change nos lots". Il s'agit bien évidemment de la qualité de leurs destinées. Dans ce poème, les mots "lots" et "fortunes" sont de quasi synonymes. Mais je trouve qu'il importe d'insister sur le sens de rhétorique religieuse du terme "lots".
Pour le faire, je vais citer un extrait significatif du roman Thérèse Desqueyroux de François Mauriac. Mauriac a écrit, peu avant Thérèse Desqueyroux, un roman dont le titre interpelle le rimbaldien en moi Le Désert de l'amour. Je ne l'ai pas encore lu, mais je l'ai quelque part dans mes piles de livres. Récemment, j'ai lu aussi son roman plus tardif de 1951 Le Sagouin et j'ai trouvé amusant le passage où le personnage accusé d'être comme une "pétroleuse" se remémore une image célèbre du journal Le Monde illustré, périodique que nous connaissons bien puisque Coppée y publiait pas mal de pré-originales de ses nouvelles, de ses poèmes des Humbles et de ses Promenades et intérieurs, concurremment avec le journal Le Moniteur universel. Il va de soi que le sentiment d'une écriture mauriacienne influencé par la lecture attentive de Rimbaud est diffus, mais je pense que ce n'est pas négligeable. Toujours est-il que, dans le roman qui porte son nom, Thérèse Desqueyroux, grande lectrice de Paul de Kock et des Causeries du lundi, se plaint de son "lot", précisément. Au début du roman, Thérèse Desqueyroux a obtenu une ordonnance de non-lieu dans une affaire d'empoisonnement de son mari, lequel est toujours en vie et participe avec toute la famille à sauver les apparences en évitant la condamnation à sa femme. Le roman va nous plonger dans le passé de cette femme dont les souvenirs de bonheur sont tous antérieurs à son mariage, un mariage qui ne lui a pas été imposé, qu'elle a choisi comme un "refuge", mais qu'elle a extrêmement mal vécu. Au chapitre III, nous avons un récit autour de Thérèse qui se souvient et évalue son passé :
   Du fond d'un compartiment obscur, Thérèse regarde ces jours purs de sa vie - purs mais éclairés d'un frêle bonheur imprécis ; et cette trouble lueur de joie, elle ne savait pas alors que ce devait être son unique part en ce monde. Rien ne l'avertissait que tout son lot tenait dans un salon ténébreux, au centre de l'été implacable - sur ce canapé de reps rouge, auprès d'Anne dont les genoux rapprochés soutenaient un album de photographies. D'où lui venait ce bonheur ? Anne avait-elle un seul des goûts de Thérèse ? Elle haïssait la lecture, n'aimait que coudre, jacasser et rire. Aucune idée sur rien, tandis que Thérèse dévorait du même appétit les romans de Paul de Kock, les Causeries du lundi, l'Histoire du Consulat, tout ce qui traîne dans les placards d'une maison de campagne.
Le terme "lots" s'entend clairement comme "parts de bonheur réservés à l'homme ou à la femme". Thérèse pense à son "lot", à "son unique part en ce monde" "de joie". On a bien l'idée d'une part de bonheur accordé par une balance mystique, divine. On retrouve l'idée baudelairienne des fées qui se penchent sur les berceaux pour accorder des dons définitifs. La "Raison" va endosser ce rôle contre des fées absurdes et contre Dieu et le christianisme, mais elle va aussi changer les lots, permettre une élévation des parts de bonheur, et cela vient de la pensée d'immédiateté du rapport au monde typique de Rimbaud. Je trouve remarquable dans le poème "A une Raison" cette expression "change nos lots" représente la transition rebelle. C'est l'expression d'un reproche à Dieu : "Oh ! Dieu, quel est mon lot ? Ne me le fais pas si maigre ?" et bien sûr en même temps l'appel à une insurrection contre le sort : "changeons tout ça !" Ce n'est pas le passage le plus anodin du poème quelque part.
Et on constate que l'intérêt du poème, ce n'est pas de déterminer si Rimbaud se répète une énième convulsivement qu'il ne croit pas à sa révolte, comme le soutiennent plusieurs personnes récemment.
Ce poème est aussi admirable par sa façon de se tourner sur lui-même. Le poème est très court, ramassé sur lui-même, ce qui devrait rendre les reprises du poème bien sensibles à la lecture. Il faut admirer comment le début des cinq alinéas correspond à une percussion ou entrée en scène : "Un coup de ton doigt..." "Un pas de toi!" "Ta tête...", "Arrivée...", cas à part peut-être du verbe "Elève..." et à quel point les fins d'alinéas soulignent l'idée de propagation : "nouvelle harmonie", "leur en-marche", "le nouvel amour !" et "qui t'en iras partout", avec toujours en cas à part le quatrième alinéa : "on t'en prie".
Il va de soi que la reprise du verbe "commencer" renforce une construction du sens complètement évidente : "et commence la nouvelle harmonie", "crible les fléaux, à commencer par le temps." Il va de soi que le poète ne parle pas de l'abolition du temps, qui serait donc une négation de la vie. Rimbaud oppose la "Vie harmonieuse" qu'il appelle de ses vœux en implorant l'universelle "Raison" à tout ce qui est corrupteur dans le temps, et précisément j'en reviens à l'idée avancée quasi au début du présent article c'est que la Raison agit en nous, est intériorisée par les "enfants", on a bien l'idée qu'elle peut se dissiper, manquer de vigueur en nous. C'est ça que raconte le poème.
Je conseille pour s'en faire quelque peu une idée de se reporter au récit de "La Chambre double", le cinquième des petites poèmes en prose du Spleen de Paris. Tout n'est pas à comparer entre "A une Raison" et "La Chambre double", mais Baudelaire évoque une allégorie qui vient pour triompher du temps. Je l'avais déjà annoncé dans mon article sur "A une Raison" paru en mai 2000 dans le numéro 16 de la revue Parade sauvage, mais Baudelaire développe des idées sur lesquelles il est clair que Rimbaud rebondit :
Sur ce lit est couchée l'Idole, la souveraine des rêves.
On pensera au dernier vers de "Voyelles" au passage, puisque le poète baudelairien s'avoue subjugué par les "yeux" de la terrible apparition. Il va de soi que le poème de Baudelaire s'écarte un peu de la logique plus exaltée du poème "A une Raison". Le poète des Fleurs du Mal parle plus trivialement de "mirettes" et la féerie vire à la fantasmagorie du prosaïque, car le poète baudelairien n'est pas ramenée à la réalité prosaïque en tant que telle, mais à une sorte de folie de la réalité triviale :
Oh ! oui ! le Temps a reparu ; le Temps règne en souverain maintenant ; et avec le hideux vieillard est revenu tout son hideux cortège de Souvenirs, de Regrets, de Spasmes, de Peurs, d'Angoisses, de Cauchemars, de Colères et de Névroses.
Et ce qui est intéressant au plan du rapprochement avec le poème de Rimbaud c'est bien évidemment que la "Sylphide, comme disait le grand René," correspond à une magie paradisiaque qui s'oppose au Temps qui s'égrène lourdement.
Je vous assure que les secondes maintenant sont fortement et solennellement accentuées, et chacune, en jaillissant de la pendule, dit : "Je suis la Vie, l'insupportable, l'implacable Vie !"
La pensée de Baudelaire vire malheureusement au solipsisme clownesque, et Rimbaud prend nettement ses distances avec le désir de mort baudelairien, il faut donc bien lire plus subtilement l'idée d'une remise en cause du "temps" que dans le poème de Baudelaire où le discours part en vrille avec une pensée réductrice de désespéré, sinon de cas désespéré :
Il n'y a qu'une Seconde dans la vie humaine qui ait mission d'annoncer une bonne nouvelle, la bonne nouvelle qui cause à chacun une inexplicable peur.
Je ne perds pas de vue qu'un rapprochement est également envisagé entre le passage du poème "Elève l'importe où..." et le titre de petit poème en prose "Anywhere out of the world", et sans exclure la pertinence du rapprochement je m'empresse évidemment de prévenir que Rimbaud ne pense pas comme Baudelaire. Rimbaud n'aime pas la réponse simpliste provocatrice. Il se joue autre chose dans sa poésie.
Maintenant, il resterait à commenter "Matinée d'ivresse" dans l'optique d'une lecture enchaînée à "A une Raison". Il est clair que les "enfants" sont pris en part positive dans "A une Raison". Si les deux poèmes sont liés l'un à l'autre, ce n'est pas "Matinée d'ivresse" qui va permettre d'interpréter ironiquement la célébration des "nouveaux hommes", c'est au contraire le poème "A une Raison" qui ne donnant aucune prise à une lecture ironique permet de supposer que l'expression "sous les rires des enfants" est à envisager avec un fort sentiment de la nuance dans le cas de "Matinée d'ivresse"...