Je cherche à cerner les plus grands réalisateurs de cinéma et en même temps ceux dont l'originalité équivaudrait à une oeuvre de grand poète.
Dans mon panthéon, l'oeuvre de Fellini domine très largement. Je pense que c'est le plus grand cinéaste de tous les temps.
Akira Kurosawa est également digne de figurer parmi les plus grands du cinéma.
En ce qui concerne le cinéma allemand, je suis plus réservé quant à la légende dorée qu'on fait à Murnau. Je trouve que les films de Murnau sont complètement niais, L'Aurore ou Le Dernier des hommes sont des récits pour enfants en bas âge. On peut parler tant qu'on veut de la qualité des images de Nosferatu : la signification d'un plan, d'une ombre d'une contre-plongée, d'un mur, d'un cadrage, des relations entre les images, de la symbolique du haut et du bas de l'image, etc., je trouve que le spectateur n'a pas grand-chose à comprendre. C'est plutôt du travail d'orfévrerie que du grand art pour moi. Il n'exprime pas quelque chose de poétique, même si Faust et Tabou ont une grâce évidente. Les films de Murnau sont plutôt des jouets avec des techniques subtiles que de la poésie esthétique ouvrant l'âme.
Fritz Lang est un grand cinéaste, Herzog aussi. Ce sont trois réalisateurs allemands que je retiens facilement. J'en ai vu d'autres.
Dans le cadre américain, il y a sans doute beaucoup de réalisateurs à citer. J'aime beaucoup le cinéma de John Ford avant la seconde Guerre Mondiale, c'est là que sont ses meilleurs films. Après la Seconde Guerre Mondiale, il y a bien encore des chefs-d'oeuvre, mais cela est d'office un ton en-dessous pour moi, y compris my Darling Clementine, Le Massacre de Fort-Apache ou La Prisonnière du désert. Puis, je pense réellement que John Wayne nuit aux oeuvres de Ford, Hawks, etc., car il n'est pas crédible en super héros. Je trouve plus crédible des héros de western-spaghetti ou bien Eastwood ou McQueen ou Brando, tous plus crédibles en héros. Je préfère en héros de western Richard Widmark, Spencer Tracy, William Holden, Herny Fonda, Kirk Douglas, qui sais-je encore? Il y a un réel problème du héros trop policé dans le premier âge d'or du western hollywoodien.
Il y a malgrté tout du sommet avec Huston, Hawks et Walsh. Huston peut partir un peu en tout sens, mais son cinéma est globalement impressionnant.
J'ai été énormément marqué par Elia Kazan dont je trouve un seul film lamentable Panique dans la rue avec Palan,ce. En revanche, je suis impressionné par Sur les quais, Amerika Amerika et encore L'Arrangement qui pour moi se rapproche de l'esprit non réaliste que j'aime tant, parmi d'autres choses que j'apprécie aussi intensément, chez Fellini.
Je suis également ébloui par Cassavettes. J'ai vu là une fournée de films prodigieux : Minnie et Markowitz (titre de mémoire), puis Faces, Une femme sous influence, Meurtre d'un bookmaker chinois, et plusieurs autres dont je n'ai pas le nom en tête pour l'instant. J'adore le jeu sur les acteurs dans les films de Cassavettes. C'est poétiquement immense. Je retrouve cette fraîcheur de révélation psychologique des personnages qu'il y a dans certains Fellini comme Il Bidone, I Vitelloni, etc.
Fellini suffit seul à me distinguer du public cinéphile, dans la mesure où il est faussement admiré par l'intellegentsia. Kazan, Cassavettes, Kurosawa sont aussi les forts marqueurs de mon profil original de personne intéressée par le cinéma.
Je pense creuser le cinéma de Herzog en fait d'originalité d'approche.
Evidemment, je ne deviendrai jamais cinéaste.
Dans le domaine japonais, d'autres réalisateurs m'ont marqué : quelque peu Mizoguchi mais sans qu'il ne soit l'égal de Kurosawa à mon sens, Ozu, Ushida, Imamura qui me plaît beaucoup en me rappelant Fellini, etc. En revanche, j'ai horreur des mangas japonais, je trouve ça gaga et con au possible.
Dans le domaine italien, j'ai bien sûr horreur de Pasolini qui ne sait pas du tout filmer. Il n'a aucune grâce, strictement aucune. J'aime bien Ettore Scola, tout particulièrement Nous nous sommes tant aimés. J'aime bien Antonioni malgré son fort dépouillement. Il a quelque chose qui m'attire dans certains films.
Là, j'ai pris une autre direction avec Dario Argento. Ce n'est pas un cinéaste de premier plan, mais j'ai pu observer des techniques remarquables dans ses films qui me donnent envie de créer un code de cinéma non réaliste et fort expressif. Suspiria est visiblement son chef-d'oeuvre formelle et narratif. C'est un film d'épouvante, d'horreur. Inferno est son répondant symétrique. Il contient plein de scènes très belles encore, mais la fin est désastreuse.
Ennio Morricone a composé la musique des premiers films d'Argento, c'est alors remarquable, mais ceux qui ont remplacé Morricone dans Inferno ou Ténèbre nous font basculer dans l'extrême mauvais goût des années 80, ce qui peut suffire à faire que les films n'aient plus rien d'artiste dans l'émotion du spectateur, ce qui est bien dommage.
J'aime bien des techniques de réalisation dans Inferno ou dans Ténèbre, mais en revanche le plan long avec mouvement de caméra à l'extérieur de la maison, passage d'un étage à l'autre et liaison des scènes en une séquence est pourri de chez pourri. Il n'exprime rien et je ne vois pas pourquoi ils s'y appesantissent dans le documentaire en complément au dvd.
J'ai pas mal apprécié les polars inquiétants, genre italien du "giallo", que sont L'oiseau au plumage de cristal et Le Chat à neuf queues avec Karl Malden.
J'ai vu plusieurs films avec l'acteur Richard Widmark et je suis tombé sur un film de Richard Brooks Le Sergent la terreur. Il paraît que c'est un grand réalisateur et il est visible que ce film mal intitulé en français fait partie des sources à la première partie de Full Metal Jacket. Mais contrairement au commentateur du dvd Patrick Brion je ne crois pas du tout que Richard Brooks soit un grand réalisateur.
J'ai vu aussi des films du réalisateur Dmytyrk L'Homme aux colts d'or et La Lance brisée. Effectivement, les scénarios sont exceptionnels et on se plaît à suivre de tels films. Je ne m'y attendais pas en voyant la ridicule image d'Henry Fonda sur la jaquette du dvd.
Je creuse aussi les Robert Aldrich, j'aime bien.
Et j'ai enfin vu le premier film de Stanley Kubrick Fear and desire. Kubrick l'avait fait interdire. En effet, il a quelques maladresses. Le jeu de la femme attachée est trop poético-scénique que pour être appréciable, mais les défauts sont surtout dans le scénario. L'enchaînement n'est pas vraisemblable. On voit qu'il cherche déjà ses moyens avec notamment la séquence intéressante des voix en traitement off qui se superposent à un rythme désordonné et agressif, cacophonique, créant une tension que ne reflète pas l'apparence d'ordre et tranquillité des images du groupe en train de progresser dans sa marche.
Voilà, je n'ai pas tout cité en fait de réalisateurs appréciés, mais je ne me vois pas là boucher les trous. Je me laissais aller.
Mon idée, c'est de méditer la possibilité d'un cinéma hautement poétique à la Rimbaud quand les impératifs financiers de l'industrie du film sont si pesants, quand le réalisme est dans cet art si prégnant au détriment des modalités poétiques de l'énonciation visuelle, et quand même la prestation poétique peut avoir d'autres voies que rimbaldiennes. D'ailleurs, Fellini n'est pas rimbaldien, mais je sens simplement qu'il y a une orientation poétique qui s'impose à Fellini comme à Rimbaud qui me permet quand même de dire que Fellini est plus dans la poésie que les autres cinéastes, et une poésie cohérente, pas une poésie déliquescente ou de surface.
Je cherche à identifier les codes poétiques dans les films, même si je n'en réaliserai jamais aucun. Je sais que ma réticence à l'égard de Murnau va choquer les critiques, mais c'est vrai que son cinéma développe un horizon de significations nettement insuffisant.