Fairy
Pour Hélène se conjurèrent les sèves ornamentales dans les ombres vierges et les clartés impassibles dans le silence astral. L'ardeur de l'été fut confiée à des oiseaux muets et l'indolence requise à une barque de deuils sans prix par des anses d'amours morts et de parfums affaissés.
- Après le moment de l'air des bûcheronnes à la rumeur du torrent sous la ruine des bois, de la sonnerie des bestiaux à l'écho des vals, et du cri des steppes. -
Pour l'enfance d'Hélène frissonnèrent les fourrures et les ombres, - et le sein des pauvres, et les légendes du ciel.
Et ses yeux et sa danse supérieurs encore aux éclats précieux, aux influences froides, au plaisir du décor et de l'heure uniques.
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Le poème Fairy est composé de quatre courts paragraphes. L'amorce du premier paragraphe est reprise au troisième, mais avec une modification importante : nous passons d'un "Pour Hélène" à un "Pour l'enfance d'Hélène". A cette aune, nous devons bien comprendre que les deux derniers paragraphes sont à mettre en regard du premier, l'enfance surgit du contraste à établir entre ces deux ensembles, et cette enfance succède à la scène particulière du second paragraphe placé entre tirets à la façon d'une parenthèse.
Par son titre et son sujet, ce poème doit être rapproché d'un autre des Illuminations : Bottom, lequel poème devait porter pour titre initial, celui de Métamorphoses. Il est évident que le poème Bottom s'inspire du Songe d'une nuit d'été et du texte grec de L'Âne d'or tel qu'il nous est parvenu dans la version d'Apulée. La pièce de Shakespeare suppose elle-même la référence au célèbre récit antique. Le titre anglais Fairy a de quoi faire songer à la littérature anglaise du XVIème siècle et au poème d'Edmund Spenser dont le titre s'orthographie archaïquement : The Faerie Queene. Or, ce titre qui veut dire "La Reine des Fées" est repris avec une orthographe modernisée en tête d'une espèce d'opéra de Purcell qui a repris l'intrigue du Songe d'une nuit d'été.
Pour une oreille francophone, le titre "Fairy" fait plutôt songer au mot "féerie", alors que la signification "fée" doit vraisemblablement prédominer. C'est la définition que va livrer un dictionnaire anglais-français, et à cette aune le titre Fairy est à rapprocher des titres d'autres poèmes des Illuminations qui désignent l'allégorie qu'ils mettent en jeu : Aube, Génie, H (Hortense), Being Beauteous et A une Raison. Le titre Being Beauteous est tiré d'une oeuvre de Longfellow et il est en anglais, les titres de Fairy et Bottom, eux aussi dans la langue de Shakespeare, font référence à la pièce Le Songe d'une nuit d'été. Face aux deux titres allégoriques Being Beauteous et Fairy, l'autre titre en langue anglaise Bottom désigne cette fois un personnage bas, le tisserand Nick Bottom qui en tant que le plus niais d'une bande théâtrale minable se retrouve métamorphosé avec une tête d'âne par le magicien Puck.
On peut comprendre que Bottom est une version négative de Fairy avec un glissement de l'attention : célébration de la fée dans un poème et dénonciation d'une niaiserie amoureuse dans l'autre.
Le problème que pose Fairy, c'est qu'il n'expose pas explicitement la reprise de motifs du Songe d'une nuit d'été, à la différence de Bottom, où au-delà du titre on a l'idée d'un "grand caractère" qui rappellerait une réplique du jaloux Obéron à Titania : "Comment n'as-tu pas honte, Titiana, d'attaquer mon caractère à propos d'Hippolyte [...]", on a encore la trame d'un homme amoureux plein de chagrin (Lysandre ou Démétrius dans la pièce) qui comme le tisserand paillasse s'envisage transformé en plusieurs animaux "gros oiseau gris bleu", "gros ours" et "âne". Dans la pièce, Bottom se retrouve avec une tête d'âne dans les bras de la reine des fées, Titania, mais il est plusieurs fois question de l'ours dans cette pièce : des gouttes de rosée "'pour suspendre une perle à chaque oreille d'ours", "Le premier être qu'elle regardera en s'éveillant, que ce soit un lion, un ours, un loup, un taureau, le singe le plus taquin, le magot le plus tracassier, elle le poursuivra avec l'âme de l'amour", "once, chat, ours", et remarquons dans la citation suivante que c'est Bottom lui-même qui parle "Tantôt je serai cheval, tantôt chien, cochon, ours sans tête, tantôt flamme [...] et grogner [...] un ours, une flamme." Et pour la qualification de couleur de l'oiseau bleu altéré du poème de Rimbaud, notons encore la présence dans des vers de chant du "gris coucou". Bottom est dans la bouche de Puck "le niais le plus épais de cette stupide bande". Le premier titre Les Métamorphoses de Bottom est le titre alternatif de L'Âne d'or d'Apulée, et le mot n'est pas absent de la traduction par le fils de Victor Hugo de la féerie shakespearienne : "tu es métamorphosé", etc. Enfin, dans le second paragraphe de Bottom, on peut présupposer la présence d'autres allusions : "les yeux [du gros ours épris] aux cristaux" font écho à une galanterie particulière dans la bouche de Démétrius s'adressant à Héléna : "à quoi, mon amour, comparerai-je tes yeux ? Le cristal est de la fange." Démétrius est à ce moment-là victime d'un charme. L'unique personnage masculin du poème de Rimbaud a lui les yeux sur des valeurs plus matérielles et on peut envisager avec d'autres commentateurs qu'il y a un jeu de mots latent dans la formule symétrique : les yeux aux cristaux et aux argents des consoles", l'argent console dit le proverbe. Quant au "baldaquin", il peut faire songer au banc "couvert par un dais de chèvrefeuilles vivaces", puisqu'Obéron le désigne comme celui où vient dormir la nuit Titania "bercée dans ces fleurs par les danses et les délices", et il le désigne comme le lieu d'où verser le suc magique de la fleur qui égare le regard amoureux. L'expression "un gros ours aux gencives violettes" pourrait ne pas être sans rapport avec donc la remarque d'Obéron sur ce banc "où poussent l'oreille d'ours et la violette branlante". Le "poil chenu de chagrin" renvoie à la "charge de chagrins" de Démétrius et à la tête velue de Bottom qui demande aux sylphes de Titania de le gratter. Enfin, les gauloiseries du poème rimbaldien "âne, claironnant et brandissant mon grief", etc., prolongent celles de la pièce de Shakespeare qui ont été atténuées par la traduction plus pudique du fils Hugo.
Je reviendrai sur la lecture à faire de Bottom. Je résumerai également le très beau récit de L'Âne d'or d'Apulée.
Mon souci est de dégager un éclairage du sens du poème Fairy en fonction d'une lecture du Songe d'une nuit d'été.
Remarquons que l'ensemble de l'oeuvre de Shakespeare a été traduite par François-Victor Hugo, sonnets et oeuvres apocryphes compris. Tout cela a été publié de 1858 à 1866. Les traductions de celui-ci ont souvent été reprises dans les éditions modernes de traductions de pièces de Shakespeare, mais il est intéressant de se reporter à la publication originale avec ses introductions propres, ses dédicaces propres, et aussi ses subdivisions propres. Si aujourd'hui, nous distinguons une série de comédies, une autre de tragédies, une autre de pièces historiques, il se trouve que le fils de Victor Hugo a établi des subdivisions personnelles, et plutôt que personnelles, il conviendrait de parler de subdivisions propres à la famille hugolienne, car nul doute que cette traduction dans l'exil a été supervisée par le grand poète romantique lui-même. Je songe à publier un article pour souligner à quel point les introductions semblent elles-mêmes jaillies de la plume d'un Victor Hugo qui se serait tenu la bride mais qui n'aurait pu s'empêcher de donner libre cours à son art personnel avec des instants de brio. Je ne crois pas que François-Victor ait rédigé seul les introductions. Mais donc, les pièces ont une subdivision originale par thèmes qui ne nous est pas parvenue : "Les tyrans : Mazcbeth, Le Roi Jean, Richard III, Les Amants tragiques : Antoine et Cléopâtre, Roméo et Juliette, La Famille : Coriolan, Le Roi Lear, Les Amis : Les deux gentilshommes de Vérone, Le Marchand de Venise, Comme il vous plaira, etc." Et pour ce qui nous intéresse nous avons le couple "Les Féeries I Le Songe d'une nuit d'été" et "Les Féeries II La Tempête". Même la numérotation romaine n'est pas sotte à relever étant donné le manuscrit de Fairy qui porte une mention de chiffre et laisse planer un doute sur la suite possible Fairy I Guerre II. Les deux pièces Le Songe d'une nuit d'été et La Tempête sont réunies et précédées d'une très longue introduction buissonnante (96 pages). L'appareil de notes est conséquent également 60 pages pour les deux pièces, et il faut ajouter à cela en "appendice" le texte de Shelley La Reine Mab qui compte 24 pages environ. Cela fait un épais dossier dont Rimbaud a probablement eu connaissance et cela peut intéresser l'analyse de détail de divers poèmes rimbaldiens.
Un point de l'introduction m'intéresse en ce qui concerne la tension pour un francophone du titre Fairy qui veut dire "fée", mais qui fait songer à "féerie". Le mot "féerie" est le titre thématique sous lequel la famille Hugo a rangé la pièce qui nous intéresse et dans l'introduction aux deux pièces de la série, nous avons des titres pour ses parties constitutives : "I Le Monde invisible au seizième siècle La Féerie / II Rapports de l'homme avec le monde invisible La Magie / III Système de Shakespeare". Cette introduction a par ailleurs été composée à Hauteville-House en mars 1858 et on observe la mise en place d'une conception de la légende qui sera développée dans la préface de la première édition de La Légende des siècles de 1859, ce qui n'est qu'un des indices pour penser que le père Victor a plus que prêté sa main au travail de son fils. Notez d'ailleurs qu'en tête de l'introduction nous avons la dédicace digne des récentes Contemplations parues en 1856 : "A celle qui est restée en exil, son frère qui l'aime et qui l'admire F.-V. H."
Vers le début de l'introduction, quelques vers de Chaucer sont cités en anglais et suivis d'une traduction. Le mot "faerie" est à la rime du troisième vers et tout autant à la rime le mot "fairies" termine la citation. Mais dans la traduction, le premier "faerie" est traduit par "féerie" et le second par "fées".
"All was this land fulfilled of faerie ;"
"tout ce pays-ci était plein de féerie."
"This maketh that there ben no fairies."
"[...] font qu'il n'y a plus de fées."
A cette aune, je considère qu'il ne convient pas de trancher avec une docte assurance la signification du titre "Fairy" dans le cas du poème de Rimbaud qui devait être conscient que la traduction logique "fée" serait télescopée par l'idée titre de "féerie".
Précisons encore que le premier vers a de quoi amuser Rimbaud : "In old time of the king Artour," "Au vieux temps du roi Arthur," et relevons encore les vers 4 et 5 : "The Elf queen with her joly company, / Danced full oft in many a greene mead", "La reine des fées avec sa compagnie dansait bien souvent dans plus d'une prairie verte." Comme le poète de Credo in unam, Chaucer regrette l'ancienne croyance : Mais maintenant on ne voit plus de sylphes. Car la grande piété et les prières des moines mendiants et autres saints frères, qui, aussi nombreux que les atomes dans un rayon de soleil, fouillent toutes les terres et tous les cours d'eau, bénissant les salles, les chambres, les cuisines, les chaumières, les cités, les bourgs, les grands châteaux et les tours, - font qu'il n'y a plus de fées."
Dans Fairy, la danse et les yeux ne sont pas ceux de Titania, mais d'Hélène, à tel point que l'intertexte du poème semble plutôt un poème d'Edgar Poe traduit par Mallarmé, mais une source n'exclut pas l'autre et surtout il faut s'interroger sur le choix d'Hélène par rapport à la pièce de Shakespeare, car ça ne manque pas d'intérêt.
L'Hélène du poème de Rimbaud est à l'évidence une figuration de la beauté parfaite de l'Hélène de la guerre de Troie, il s'agit d'une divinité de l'amour et de la beauté, et ce que vise le poète c'est non simplement l'amour et la beauté, mais le sentiment d'enfance qui accompagne cette vision d'amour et beauté. Toutefois, Rimbaud n'a gardé comme motif troyen que la conjuration en faveur d'Hélène : "Pour Hélène se conjurèrent..." Pour le reste, le poème ne renvoie guère aux motifs mythiques qui permettraient d'identifier le célèbre personnage grec.
Dans la pièce de Shakespeare du Songe d'une nuit d'été, nous notons la présence d'une Héléna, "fille de Nédar", que les rimbaldiens ont pu écarter un peu vite comme ne correspondant pas à la figure du poème de Rimbaud.
Je vais me porter en faux contre cela.
D'abord, résumons la pièce de Shakespeare.
Dans une Grèce de comédie aux allures féodales, le duc Thésée annonce son mariage avec Hippolyte à la faveur de la nouvelle lune qui approche. Thésée est l'ancien favori de Titania la reine des fées et Hippolyte, étonnant homonyme du fils de Thésée, ce qui ne manque pas de déconcerter à la lecture de la pièce anglaise, est l'ancienne aimée d'Obéron, le roi des ombres. C'est ce qui explique que dans un bois à proximité d'Athènes Obéron et Titania ont l'occasion de se rencontrer, sachant qu'une intrigue amoureuse se joue aussi entre eux deux. Obéron est jaloux de l'attention de Titania pour un enfant qu'elle a fait "chevalier de sa suite". C'est afin de s'approprier cet enfant pour l'éloigner de Titania qu'Obéron va organiser cette série d'envoûtements nocturnes sur lesquels se fonde la comédie. Une troupe de paillasses répète une pièce ayant pour sujet le drame grec de Pyrame et Thisbé qui a du sens pour Shakespeare l'auteur de Roméo et Juliette et aussi des Deux gentilshommes de Vérone, deux pièces qui se déroulent à Vérone et qui toutes deux s'inspirent de l'histoire de Pyrame et Thisbé. Mais, l'intérêt se porte sur deux couples amoureux : Lysandre est amoureux d'Hermia et aimé d'elle, mais le père d'Hermia, sans aucune raison solide, pas même de fortune, la réserve à Démétrius qui en est également amoureux depuis qu'infidèle il délaisse Héléna. Au début de la pièce et pour un certain nombre d'actes et de scènes, Héléna est rejetée par Démétrius, et elle l'est parfois brutalement. Lysandre et Démétrius n'ont tous deux d'amour que pour Hermia. C'est pour cette raison sans doute que les rimbaldiens évacuent l'identification de l'Hélène des Illuminations à l'Héléna du Songe d'une nuit d'été. Pourtant, reprenons le fil de l'intrigue. Le père d'Hermia a pris le duc Thésée pour arbitre et juge, lequel prend fait et cause pour le père d'Hermia et donc Démétrius. Soit Hermia se marie avec Démétrius, soit elle est condamnée à une sorte de couvent, à devenir une religieuse : "Ainsi, belle Hermia, interrogez vos goûts, consultez votre jeunesse, examinez bien vos sens. Pourrez-vous, si vous ne souscrivez pas au choix de votre père, endurer la livrée d'une religieuse, à jamais enfermée dans l'ombre d'un cloître, et vivre toute votre vie en soeur stérile, chantant des hymnes défaillants à la froide lune infructueuse ? Trois fois saintes celles qui maîtrisent assez leurs sens pour accomplir ce pèlerinage virginal !"
Lysandre et Hermia décident de s'enfuir nuitamment en se donnant rendez-vous dans le bois, mais ils font d'Héléna la confidente de leur projet, et celle-ci sans penser à mal en avertit celui qu'elle aime et qui est le rival de Lysandre, Démétrius. Notons que les deux femmes s'échangent poliment des galanteries malgré leurs malheurs respectifs et surtout il semble s'imposer qu'Héléna n'ait rien à envier à Hermia, elle passerait pour aussi belle voire plus aux yeux de toute la ville, et le rejet qu'elle essuie alors de la part de Démétrius a quelque chose d'étonnant et d'absurde. Dans la forêt, les deux amants doivent dormir, et c'est l'occasion d'une scène amusante sur la chasteté encore à préserver d'Hermia qui demande que Lysandre s'éloigne un peu de son corps, ce qui ne sera pas sans conséquence équivoque dans la suite de l'action. Dans la forêt, errent également Démétrius et Héléna, et Obéron s'est ému de l'amour de la femme Héléna pour l'inconstant Démétrius, il demande à Puck de verser du suc d'une fleur sur Démétrius pour qu'il redevienne amoureux d'Héléna, mais il l'identifie à un homme en costume athénien. Puck va verser le suc de sa fleur sur un autre homme en costume athénien, Lysandre, qu'il surprend dormant éloigné de l'irrésistible Hermia. A son réveil, Lysandre voit Héléna et en tombe amoureux, il laisse Hermia abandonnée dans le bois, ce qui correspond à une reprise de l'intrigue de Pyrame et Thisbé, puisque Hermia va se réveiller et croire son aimé mort, voire assassiné par Démétrius qui la retrouve et qui en est copieusement insulté. Parallèlement à cela, la troupe de paillasses vient répéter à l'abri de la curiosité de la ville la pièce tirée précisément de l'histoire mythique de Pyrame et Thisbé, drame qu'elle compte jouer lors des fêtes organisées pour le mariage de Thésée et d'Hippolyte. Puck a une autre mission que lui a confiée le roi des ombres Obéron, il doit faire que Titania s'amourache d'un être monstrueux pour créer une citation de chantage qui permettra à Obéron de lui réclamer l'enfant dont il est jaloux. Croisant la troupe de paillasses, où un niais Bottom se vante de jouer tous les rôles les plus contradictoires et une kyrielle d'animaux, Puck verse un suc pour métamorphoser la tête de ce tisserand en une tête d'âne, et il verse ensuite le suc sur la reine des fées Titania endormie pour qu'au réveil elle s'amourache du premier être qu'elle pourra rencontrer, et elle devient ainsi éperdument amoureuse du grossier Bottom avec sa tête d'âne. Obéron intervient alors et réalise l'erreur de Puck, il lui demande de corriger cela avec un nouveau recours à la magie des plantes. Puck parvient rapidement à jeter un nouveau sort sur Démétrius qui retrouve son amour premier pour Héléna et, à ce moment-là, Démétrius et Lysandre se retrouvent tous deux amoureux de la même Héléna, ce qui cette fois-ci peut coïncider avec les hommages du poème féerique de Rimbaud. Hermia se fait à son tour insultée, les deux hommes sont proches du combat en duel et les deux femmes ne sont plus en harmonie, Hermia se montre agressive envers sa rivale cette fois. Puck finit par désencorceler Lysandre à son tour. Les deux couples s'imposent et se marient en même temps que Thésée et Hippolyte dont la fête va être bénie par les effets conjoints de la reine des fées et du roi des ombres. Entre-temps, Obéron qui a récupéré l'enfant convoité a levé le charme qui pesait sur Titania et a fait rendre à Bottom sa tête de niais normale.
A partir d'un tel scénario, on comprend qu'Hermia et Héléna sont deux figures jumelles, deux "alter ego". Les louanges adressées tantôt à Hermia, tantôt à Héléna, par les deux hommes, sont les mêmes louanges, et c'est de ces louanges que s'inspire le poème de Rimbaud.
Nous avons déjà parlé de la danse de la reine des fées, et nous savons avec des poèmes célèbres de la Renaissance de Ronsard et du Bellay que les nymphes et fées viennent justement volontiers danser en cottes par les prés. Ce motif de la danse lunaire est très présent dans la pièce de Shakespeare ("danser dans notre ronde", "Allons ! maintenant une ronde et une chanson féerique", etc.). La célébration des yeux de la belle est un poncif de toute littérature amoureuse, et là encore le drame anglais n'y déroge pas, en y joignant l'hommage pour la musique et pour la voix : "vos yeux sont des étoiles polaires - et le doux son de votre voix", "Héléna qui dore la nuit [...]", "Quel miroir perfide et menteur m'a fait comparer mes yeux aux yeux d'étoiles d'Hermia ?", etc. La comparaison se fait avec Vénus qui brille là-haut, une fois pour Hermia, une fois pour Héléna : "Vous pourtant, l'assassine, vous avez l'air aussi radieux, aussi serein que Vénus, là-haut, dans sa sphère étincelante", "Quand il cherchera son amante, / Qu'elle brille aussi splendide / Que la Vénus des cieux." Tant que tout va mal pour elle, Héléna peut se penser "aussi laide qu'une ourse" malgré tout l'avis de la ville qui pense comme le poème de Rimbaud, mais le dépassement vient à jour dans la pièce. Comme Rimbaud module ainsi "Pour Hélène", "Pour l'enfance d'Hélène", quand Lysandre s'éveille et tombe amoureux d'Héléna, il déclame : "Et je courrai à travers les flammes, pour l'amour de toi, transparente Héléna !"
Rappelons qu'Hermia est menacée d'une mort à la vie en étant enfermée dans une vie religieuse auprès d'un "autel de Diane", Déesse connue pour être une vierge résolue associée à la Lune. Il est question de cette froide influence lunaire dans la pièce. Qu'on songe "aux éclats précieux, aux influences froides" du poème de Rimbaud. Les yeux et la danse de l'enfance d'Hélène seront supérieurs à la répression religieuse des sens que représente sur un mode païen comparable au christianisme l'autel de Diane.
Le motif de la virginité revient sans arrêt dans la pièce, c'est un véritable motif humoristique dans les joutes verbales opposant les deux femmes : "pudeur virginale", "réserve virginale". Mais l'amour vaincra dans la pièce avec l'aide et la bénédiction des êtres sublunaires. Les deux premiers paragraphes de Fairy décrivent un monde stérile où dans les ombres ne se tapissent pas encore Obéron et Titania, un monde qui n'est que "sèves ornamentales" et "clartés impassibles", alors que dans la pièce, face à la nuit, "nous attendrons la clarté secourable du jour". Pour "sèves ornamentales" il s'agit bien évidemment d'une alliance de mots, les sèves ont à voir avec la fécondité, et pas du tout avec les "cristaux" et les "argents des consoles" pour citer Bottom. Les "ombres vierges" s'opposent à l'univers féerique du roi des ombres Obéron et renvoient à la stérilité de religions d'abstinence. Le "silence astral" est une autre facette de l'angoisse du "silence atrocement houleux" d'une autre des Illuminations. La seconde phrase du premier paragraphe est très proche du poème d'Edgar Poe To Helen traduit par Mallarmé. Les "parfums affaissés" suffisant à caractériser la chute et déchéance du décor du premier paragraphe pour bien l'opposer à la montée des deux ultimes paragraphes : enfance, frisson, supériorité.
Ma lecture sera à compléter ultérieurement, mais pour ce qui concerne le second paragraphe que peuvent être les bûcheronnes et quel est l'intérêt dramatique de la scène ? On peut penser aux arbres de mai abattus par les fées et des passages de l'introduction du fils Hugo seraient peut-être à mentionner ici. Thésée revient sur scène à l'Acte IV scène 1 et je relève l'échange suivant entre lui et sa prochaine épouse Hippolyte : "Qu'un de vous aille chercher le garde-chasse ; car maintenant notre célébration est accomplie ; et, puisque nous avons à nous la matinée, ma bien-aimée entendra la musique de mes limiers. Découplez-les dans la vallée occidentale, allez : dépêchez-vous, vous dis-je, et amener la garde. Nous, belle reine, nous irons au haut de la montagne entendre le concert confus de la meute et de l'écho." ET Hippolyte répond à Thésée : "J'étais avec Hercule et Cadmus un jour qu'ils chassaient l'ours dans un bois de Crète avec des limiers de Sparte. Je n'ai jamais entendu de fracas aussi vaillant : car, non seulement les halliers, mais les cieux, les sources, toute la contré avoisinante semblaient se confondre en un cri. Je n'ai jamais entendu un désaccord aussi musical, un si harmonieux tonnerre." C'est à ce moment-là, après avoir vanté le cri musical de ses chiens spartiates que Thésée retrouve les deux couples endormis et que, croyant à cet instant qu'ils "se sont levés de bonne heure pour célébrer la fête de mai", ils demandent de les éveiller "au son du cor".
Rimbaud semble tirer parti de cette digression un peu particulière pour son propre poème, avec l'idée d'un amour plus dévorant mais nécessaire. Car, comme il y a des échos de Pyrame et Thisbé qui relient le sort des couples amoureux à celui du théâtre de gens simples, cette image de chasse symbolise quelque peu les péripéties amoureuses du drame féerique.
Que dire de plus pour l'instant ? Le poème "Entends comme brame..." parle de petits pois en les reliant à une expérience quelque peu nocturne et féerique, avec un dernier vers qui ne comporte pas le bon nombre de syllabes. On peut observer qu'un des sylphes de Titania s'appelle Fleur du pois et que cela a marqué Marcel Proust qui dans Du côté de chez Swann fait un rapprochement entre les petits pois que prépare Françoise et la pièce shakespearienne. Sans rien prétendre du point de vue des sources et des intertextes, notons qu'un poème en vers courts récité par Bottom présente des irrégularités syllabiques à l'Acte I scène 2 : "Les furieux rocs [...]".
Pour moi, le second paragraphe de Fairy provoque un basculement du décor et de sa féerie. Le premier paragraphe est négatif et n'envisage qu'Hélène, les troisième et quatrième paragraphes imposent sa beauté en tant qu'enfance. Et l'opposition repose sur la confrontation entre un monde stérile et vierge et l'appel de la fée.
Voilà, à vous de juger si votre compréhension des poèmes Fairy et Bottom a progressé, sachant que l'influence du Songe d'une nuit d'été a déjà été envisagée en ce qui concerne ces deux poèmes, mais très minorée dans le cas de Fairy pour lequel une autre piste a prévalu, celle des poèmes d'Edgar Poe.