lundi 31 juillet 2023

Conseils pour relancer la recherche rimbaldienne : Hugo, imaginaire de la guerre, périodiques !

Dans mon précédent article au sujet des sonnets "Au Cabaret-Vert" et "La Maline", tout en envisageant la possibilité d'une allusion au roman Waterloo du binôme Erkman-Chatrian, j'ai souligné l'idée d'une discrète forme de parodie d'un mouvement de conquête militaire avec la phrase ramassée : "J'entrais à Charleroi[,]" et la prise de possession du lieu par notamment l'exercice des jambes qui s'allongent sous la table. Cet aspect militaire traverse toute la poésie de Rimbaud, puisqu'on peut faire remarquer que, dans "Being Beauteous", nous avons droit à la figuration explicite d'une troupe unie autour de sa Marianne qui livre combat contre l'agression armée du reste du monde.
Je voudrais aujourd'hui revenir sur un poème plus important qu'il n'y paraît pour bien comprendre le fonctionnement poétique Rimbaud et les visières que continue de se mettre la critique rimbaldienne.
Dans la notice consacrée au poème "L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple" du Dictionnaire Rimbaud érigé en modèle de référence paru en 2020, Alain Bardel rappelle que le poème aurait été composé en "mai 1871" à s'en fier au témoignage de Verlaine et aux dates fournies au bas des publications initiales des deux versions actuellement connues du poème. Et Bardel abonde en ce sens en écrivant ceci : "De nombreux indices le confirment."
En réalité, Bardel confond un peu vite composition en mai 1871 et écriture au lendemain de la Semaine sanglante, puisque l'événement s'inscrit dans une courte durée (une semaine), se termine vers la fin du mois de mai (26-28 mai), ce qui entraîne un décalage d'un jour pour ce qui est des précisions apportées par la presse à Charleville, et le sujet du poème n'est même pas la semaine sanglante, mais le repeuplement de Paris une fois l'insurrection matée. En réalité, le poème parle du repeuplement de Paris en juin 1871. Et les indices le prouvent, car les niches de planches pour cacher les palais morts datent forcément de juin et non de mai 1871. Le poème est tout simplement antidaté "Mai 1871" pour créer un effet de fondu enchaîné si on m'autorise cet emprunt lexical au monde du cinéma. Sitôt l'insurrection matée, alors que les cadavres sont encore chauds, la ville est repeuplée par les "vrais patriotes" en gros.
Au plus tôt, le poème peut dater de juin 1871, mais pas de mai. Qui plus est, nous avons accès à deux versions concurrentes. Le poème a été remanié. C'est déjà le cas du poème "L'Homme juste" dont personne ne conteste la datation initiale "juillet 1871", sauf que le poème "L'Homme Juste" selon toute vraisemblance n'a été allongé que de deux quintils terminaux entre mars et mai 1872 environ, après la recension dans la revue L'Artiste que Banville a pu faire d'un recueil de vers d'Ernest d'Hervilly (la rime "daines" / "soudaines"). C'est le cas aussi des "Mains de Jeanne-Marie", sauf que la datation manuscrite de février 1872 ne rend pas problématique la datation. Le poème est remanié à proximité de sa date de composition initiale. La confrontation des versions de 72 et 76 vers de "Paris se repeuple" pose elle le problème de petits bouleversements dans l'ordre des strophes, en plus des changements lexicaux observables ici et là. Le poème a pu être remanié tardivement, en 1872, et les deux versions pourraient dater de 1872 même, étant donné que Verlaine misait plutôt sur une version du poème en seulement 60 vers. Et surtout, malgré le témoignage de Verlaine, il est impossible d'affirmer que Rimbaud ait composé ce poème après la Semaine sanglante sans analyse poussée. Verlaine écrit cela en fonction d'une date de bas de manuscrit que nous savons symbolique et inexacte : "Mai 1871", quand il récupère des transcriptions du poème onze-douze ans après la période de composition et d'évolution du poème entre juin 1871 et mai 1872. On peut prétendre qu'au moins il n'avait pas de souvenir que Rimbaud avait composé ce poème tardivement en sa présence, mais on peut aussi bien prétendre que Verlaine ne veut pas attirer l'attention sur lui en disant que ce poème a été composé à Paris.
On dira que tout cela n'est que chipotage, mais il y a tout de même une analyse qui reste à mener du côté des périodiques de l'époque. Par exemple, j'ai déjà indiqué que le nouveau titre "L'Orgie parisienne" ressemblait à une déformation du titre "L'Orgie rouge" que Paul de Saint-Victor a employé comme titre d'un article publié en juin 1871 précisément. Paul de Saint-Victor est l'auteur d'un ouvrage intitulé Barbares et bandits paru à la fin de l'année 1871, et reprenant des articles publiés dans la presse d'époque. "Barbares" et "bandits" sont deux termes clefs du poème "Paris se repeuple", et Yves Reboul dans son étude du poème avait souligné ce fait et mentionné il me semble l'ouvrage de Paul de Saint-Victor, à ceci près que l'ouvrage est une mention de confort, mais anachronique, dans l'hypothèse d'une composition au lendemain de la Semaine sanglante, à moins d'étudier systématiquement les publications en pré-originale de plusieurs parties de l'ouvrage dans les périodiques contemporains de l'événement de la Commune. Le titre originel du poème de Rimbaud semble être le seul "Paris se repeuple", le titre "L'Orgie rouge" serait un ajout tardif. Mais, les mentions clefs "bandits" et "barbares" sont disséminées dans les deux versions connues du poème. Dans tous les cas, Rimbaud connaissait les textes de Paul de Saint-Victor avant de composer "Paris se repeuple". Notons que le texte "L'Orgie rouge" figure dans le périodique Le Monde illustré très consulté par Rimbaud et les membres du Zutisme en octobre et en novembre 1871, et d'autres articles figurent dans la revue Le Moniteur universel lue tout aussi attentivement par les parodistes de François Coppée. Rimbaud a-t-il composé "Paris se repeuple" après l'expérience des dizains zutistes ? La question est loin d'être sotte.
En clair, il y a un énorme travail de mise au point à réaliser au sujet de "Paris se repeuple" à partir d'un dépouillement suivi des publications de Paul de Saint-Victor dans la presse en 1871. Et rappelons que cela recoupe le problème posé par le poème "Le Bateau ivre". Delahaye s'était contenté de prétendre que Rimbaud l'avait composé en sa présence à Charleville avant de monter à Paris en septembre 1871, et quand les rimbaldiens prétendent que Rimbaud a lu "Le Bateau ivre" lors de son introduction au dîner des Vilains Bonshommes ils ne font que reprendre une idée gratuite d'un rimbaldien, Petitfils je crois !, qui ne repose sur aucun témoignage précis. Rimbaud n'a probablement lu aucun poème publiquement ce jour-là. Silvestre fait état d'une version manuscrite des "Effarés" qui lui aurait été offerte ce jour-là, ce qui ne plaide pas pour une exhibition de la poétique nouvelle et étonnante du "Bateau ivre", poème probablement composé plus tard à Paris même en fonction de lectures dans la presse.
Prenons "Les Mains de Jeanne-Marie" daté de février 1872. Mais Hugo lui-même a écrit des vers sur Louise Michel en décembre 1871. Nous sommes en pleine actualité de son procès et un des marqueurs importants c'est qu'elle demande à ses ennemis accusateurs d'avoir le courage de la fusiller ! J'ai déjà souligné que la rime "usine"::"cousine" était une reprise d'une rime d'une pièce de Glatigny jouée à Paris au même moment que la composition des "Mains de Jeanne-Marie", comme j'ai souligné que l'image de la Madone épinglait Théophile Gautier qui n'est pas seulement parodié pour ses "Etudes de mains" du recueil Emaux et camées, mais pour ses propos anticommunards dans l'ouvrage Tableaux du siège paru à la fin de l'année 1871. Jacques Bienvenu a déjà attiré l'attention sur le fait que l'expression "Paris se repeuple" venait d'une brochure d'époque qui comme Gautier et Armand Silvestre (sous le pseudonyme de Ludovic Hans) décrivait en esthète les ruines de Paris après la guerre franco-prussienne et la Commune, brochure qui n'est pas un extrait du livre d'Armand Silvestre alias Ludovic Hans pour autant. Et du coup, je pense qu'une recherche dans la presse du totu début de l'année 1872 sinon de la toute fin de l'année 1871 de soit une citation du passage latin de Rabelais incluant la mention "bombinans" soit une citation en français du mot rare absolu "bombinent" conjugué deux fois à l'identique par Rimbaud serait une aubaine inespérée pour les études rimbaldiennes. Le "clairon" est une image militaire évidente. "Voyelles" l'exploite en filiation hugolienne, et aussi "Paris se repeuple". Je lis un ouvrage sur la guerre de 40-45, je retrouve les mentions symboliques du "clairon".
Quant au mot "orgie", Bardel dans sa notice et d'autres se contentent de souligner que les ennemis de la Commune voyaient la Commune comme une orgie. Mais, il existe des volumes en prose de Victor Hugo qui contiennent en grande partie des publications faites dans la presse, on les appelle Actes et paroles, et le tome 3 s'intéresse à la période 1870-1876 des écrits de Victor Hugo. Il y a aussi des poèmes de Victor Hugo pub liés dans la presse et s'intéressant à l'actualité, notamment "Pas de représailles" qu'on cite déjà au sujet de "L'Homme juste". Il n'y a personne pour appuyer sur le fait que Victor Hugo scande l'idée de Paris comme "cité", cité lumière, etc. Hugo emploie le mot "orgie", Hugo décrit le corps de femme violée de la ville de Paris, Hugo parle aux français et aux allemands, et aux Parisiens, en leur disant ce qu'est Paris. Et il oppose le passé et l'avenir avec des phrases du genre : le passé ne se dresse pas en face de l'avenir. Il n'y a personne pour voir le lien profond évident avec le poème "Paris se repeuple", et en réponse aux trois articles de Victor Hugo on peut même se demander si la ville se repeuple de français, d'allemands ou d'authentiques parisiens, car Rimbaud ne dit évidemment à aucun moment que la ville se repeuple de parisiens !!!
Voilà, je n'ai pas encore tout dit, mais il y a tellement à faire pour améliorer des mises au point simples et difficilement contestables sur les poèmes en vers de Rimbaud.

dimanche 23 juillet 2023

Au cabaret-vert et Waterloo... Les subtilités réelles du sonnet rimbaldien ?

Dans la notice intitulée "Au cabaret-vert" du Dictionnaire Rimbaud des Classiques Garnier, l'auteur Mathieu Jung dit que le sonnet contient quelques subtilités inattendues, mais il cite un exemple peu probant. La préposition "Au" du titre serait selon Steve Murphy à trois ententes : ce serait le rappel d'un vrai nom, et en même temps un indice de localisation et enfin une dédicace. Je ne crois pas du tout que Rimbaud ait ainsi pensé le titre de son poème. Les atermoiements indécidables ou non de la critique rimbaldienne n'ont pas à devenir des subtilités avérées. En plus, la distinction entre les deux premiers points est quelque peu artificielle : "Au Cabaret-Vert", localisation et rappel d'un nom intégrant la préposition se confondent. On peut hésiter si Rimbaud veut nous imposer l'idée que l'enseigne incluait ou non la préposition, mais cela reste accessoire. L'enseigne du lieu ayant servi d'inspiration était "La Maison Verte". Si subtilité il y a, c'est dans le fait d'évacuer le terme connoté "maison" pour un terme plus liée à l'escapade et à la bohème parisienne, celui de "cabaret". Quant à l'idée de dédicace, je m'en méfie. Murphy l'envisage également pour le titre "A la Musique", ce qui laisse plutôt penser que le critique dont le français n'est pas la langue maternelle va plus volontiers passer en revue toutes les possibilités grammaticales d'une configuration alors qu'un locuteur français va sélectionner plus rapidement la lecture qui lui semble la plus naturelle en contexte. Murphy envisage également une lecture grammaticale non spontanée pour un locuteur français dans le cas de la célèbre expression "se faire voyant" par exemple, quand personne avant lui n'a jamais un instant envisagé que l'expression pouvait se lire "se faire voir par tous".
Pourtant, des subtilités, il y en a bien dans le sonnet "Au Cabaret-Vert, cinq heures du soir", la couleur verte est la couleur de la Nature, ce qui permet de sentir un unisson du discours avec des poèmes comme "Sensation" et "Credo in unam", et le jeu de mots ultérieur de "Comédie de la soif" par la rime "auberge verte" bien "ouverte" avait beaucoup de sens déjà en 1870 dans un contexte de fugue. Une autre subtilité du sonnet, relevé par Mathieu Jung, c'est la possible lecture du sonnet "L'Auberge" de Paul Verlaine qui à l'époque n'a été publié que dans une revue en 1868. Il ne sera publié en recueil que bien plus tard dans Jadis et naguère. On peut supposer que Bretagne était le plus à même d'avoir renseigné Rimbaud à l'époque sur l'existence de cette pièce encore quelque peu inédite, et de qualité qui plus est. Il ne faut pas perdre de vue qu'il ne va pas de soi que Rimbaud ait lu ce sonnet "L'Auberge" à l'époque. Notons que dans "Comédie de la soif" nous passons précisément au choix du nom "auberge" au lieu de "maison" et "cabaret". Rimbaud venait d'écrire en août qu'il lisait tout Verlaine, et je prétends que malgré le retard de publication de La Bonne chanson indisponible à l'époque dans les librairies quelques pièces rimbaldiennes de 1870 s'en sont inspirées. La coïncidence de césure sur la préposition "dans" au premier vers d'un poème sur le voyage agréable en train entre une pièce de La Bonne chanson et le sonnet "Rêvé pour l'hiver" est tout bonnement stupéfiante. Citez moi le même cas de figure d'une préposition "dans" accrochée à la césure au premier vers d'un poème dont le développement fait état d'un voyage en train avec rêve d'amour pour une femme chez un autre poète ! Le sonnet "Au Cabaret-Vert" décrit de toute évidence aussi un moment vécu personnel qui a eu un fort retentissement émotionnel, et c'est compréhensible au vu du contexte de fugue avec refuge à "La Maison Verte" à Charleroi pour se sustenter. Cela nous a valu une sorte de doublon "Au Cabaret-Vert" et "La Maline". Ce dernier sonnet a ses propres énigmes, l'expression  inexacte "une froid" un peu facilement résolue par l'idée que la serveuse devait être flamande, et du coup l'identité spéculée de cette serveuse flamande ou non. Le titre "La Maline" renvoie aussi au titre du sonnet "Le Mal" et permet d'opposer le vrai Mal à une immoralité bénigne si on peut dire. Mais, précisément, cet écho des titres "Le Mal" et "La Maline" met sur le tapis une tentation de comparaison entre la scène du cabaret et une scène de guerre. Et c'est là que ça devient intéressant quand on fait retour sur le sonnet "Au Cabaret-Vert, cinq heures du soir..." En effet, les deux premiers vers se terminent par une phrase courte qui forme un hémistiche : "J'entrais à Charleroi." Rimbaud ne pouvait pas se permettre le passé simple sous peine de hiatus : "J'entrai à Charleroi", mais on ressent tout de même cette idée de conquête militaire. C'est comme si la ville était prise par le poète. Et rétrospectivement on peut lire l'ensemble des deux premiers vers comme une parodie de déplacement militaire à l'époque napoléonienne :
Depuis huit jours, j'avais déchiré mes bottines
Aux cailloux des chemins. J'entrais à Charleroi.
- Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines
[...]
Le parallèle d'attaque des vers 2 et 3 nous impose de cerner le contraste des situations : "Aux cailloux des chemins" et "Au Cabaret-Vert", mais on a aussi l'idée d'une présentation à la manière de Victor Hugo des épreuves excessives de soldats dans le dénuement, sans vêtements adéquats, pour atteindre malgré des victoires rayonnantes dont un soleil d'Austerlitz, sachant qu'à Charleroi jouira d'un "rayon de soleil arriéré". Vu l'écho des titres "Le Mal" et "La Maline", il va de soi qu'on peut comparer aussi le triomphe du je gagnant cette place de cabaret à l'anonymat des soldats tués en masse pour un roi qui les raille dans le sonnet "Le Mal". Rimbaud a eu l'audace et l'idée de génie d'être le premier à placer un "je" devant la césure, et il l'a fait coup sur coup dans deux sonnets contemporains "Ma Bohême" et "Au Cabaret-Vert". Dans "Ma Bohême", le procédé est en relation avec le "moi" du texte parodié ou convoqué dans les tercets, "Le Saut du tremplin", de Banville, et ce "je" prend une dimension politique accrue dans "Au Cabaret-Vert" si nous songeons au rapprochement avec les troupes tuées pour un autre dans "Le Mal". Il n'est pas inutile de rappeler qu'un sonnet charge contre l'empire "L'Eclatante victoire de Sarrebruck" est associé lui aussi au séjour carolorégien : "se vend à Charleroi". Dans les deux sonnets consacrés à son passage à La Maison Verte, le poète décrit une prise de possession de l'espace : "j'allongeai mes jambes sous la table", etc. "[J]e demandai" c'est un peu "je donnai des ordres en vainqueur".
Et j'en arrive à une possibilité de source, le récit Waterloo d'Erkman-Chatrian. Je n'ai pas l'exemplaire sous la main, pourtant j'ai deux éditions de ce livre, mais je peux reporter à plus tard les citations et préciser ici ce qui m'a frappé à la lecture.
Le roman Waterloo est la suite d'une série des deux auteurs qui font vivre un personnage sous l'Empire. Le roman commence par la démobilisation du personnage principal qui est invité à montrer patte blanche auprès de royalistes qui ont récupéré le pouvoir. Mais on connaît l'histoire. Napoléon resurgit et rassemble ses troupes rapidement, et la guerre se propage sur le territoire belge jusqu'à la célèbre défaite de Waterloo. Mais avant Waterloo, il y a quelques autres lieux de combat. Etant de nationalité belge et ayant vécu dans les régions de Charleroi et Namur jusqu'à l'âge de douze ans, j'ai un peu tiqué quand j'ai entendu parler de chant des cigales. J'ai cru lire un tel extrait et il faudra décidément que je remette la main dessus. J'ai tiqué aussi pour ce qui est de la corruption des noms "Sombreffe" en "Sombref" et "Lambressart" en "Lambrussart". Puis, j'ai tiqué aussi sur la représentation physique des femmes belges comme blondes et jolies. C'est un stéréotype qu'on applique aux blondes, aux filles du nord, qui vaut pour des anglaises, des scandinaves, des slaves et quelque peu pour des allemandes ou des néerlandaises, mais les femmes blondes et jolies sont quand même rares en Belgique, même du côté flamand. Ce n'est pas ce qui me vient en premier à l'esprit pour caractériser la population belge. Une jolie femme aux yeux bleus et aux cheveux châtains, ça ferait presque plus couleur locale. On peut rencontrer une blonde charmante, frappante, mais en voir tout un groupe, ce n'est pas très crédible. Rimbaud est plus crédible que le duo d'auteurs Erkman-Chatrian, puisque lui décrit une seule femme, et pas un groupe.
Toutefois, Rimbaud pourrait très bien s'être souvenu d'une éventuelle lecture qu'il aurait faite de ce roman, puisqu'il est question d'une progression avec combats et d'une arrivée à Charleroi, précisément vers cinq heures du soir. La notation du sonnet rimbaldien ne serait pas qu'un indice de venue du soir, mais aussi une sorte de précision d'horloge parodiant le registre militaire. Et comme l'armée napoléonienne sympathise avec des habitants, alors non belges, mais francophones des régions de Charleroi puis Gembloux, le couple d'auteurs en vient précisément à cette image d'un accueil chaleureux de femmes jolies et blondes qui offrent de quoi manger pour soutenir l'en avant solaire dont le terme sera Waterloo. Je n'ai pas les preuves, et il se peut que d'autres éléments m'échappent encore, mais je trouve vraiment singulier ce rapprochement entre les deux textes. J'ai plus que jamais bien du mal à ne pas lire le sonnet "Au Cabaret-Vert" comme le retournement parodique d'une avancée militaire napoléonienne en Belgique.
Par ailleurs, le local de "La Maison Verte" donnait sur une place qui jouxtait un canal où passe la Sambre, rivière importante de Belgique qui se jette dans la Meuse au pied de la citadelle de Namur. De cette place, on traverse le canal puis la route et un parking et on entre dans la gare de Charleroi et si on prend le train en sortant directement de la ville, on se rend compte que les terrils sont tout à côté de la gare et donc de la place où se situait La Maison Verte. Et quand on y réfléchit, on se rend compte que le poème "Charleroi" de Verlaine, composé en juillet 1872, l'a été peu de temps après qu'en avril et mai Rimbaud ait composé sa "Comédie de la Soif" où figure l'expression "auberge verte". L'idée d'auberge est présente dans le poème voisin "Walcourt" des Romances sans paroles. Quand je prends le train à Charleroi et que je passe à très lente allure devant les terrils et les immenses bâtiments industriels en partie désaffectés je songe au poème de Verlaine, j'essaie de me rendre familière l'expression "Kobolds" qui n'est pas locale, je me récite parfois le poème en entier dans le train. Une idée intelligente serait d'ailleurs de mettre en ligne une vidéo de cette partie de trajet flanquée d'une récitation du poème de Verlaine. Evidemment, il faut opposer le monde alors en activité à l'abandon actuel, mais une telle récitation a du sens devant le décor qui nous est resté.
J'ignore quel était le tracé du train relient Bruxelles et Malines à l'époque, mais j'essaie de faire les mêmes expériences. Entre Bruxelles et Malines, j'essaie de cerner le paysage ancien de prés où broutaient les vaches, j'essaie d'identifier le château avec la girouette détail fin d'un château d'échevin. Il faudra que je refasse ce trajet en prenant des photographies de bâtiments que j'ai pu repérer. Hélas, je sais que je peux me faire des idées, puisque je soupçonne que la ligne était courte et que le tracé s'est aussi en partie déplacé. Il y a d'ailleurs deux gares à Malines. Il y a une première gare pour Malines ou Mechelen puis il y a un autre Malines (Mechelen) flanqué d'un autre nom flamand. A ce moment-là, c'est vraiment saisissant, on fait face à une tour avec une girouette brisée, un peu penchée, avec ce décor de briques rouges typique de la région, puis juste à côté on a un cimetière très ancien et vous vous passez là en vous disant : "Dormez les vaches, dormez doux troupeaux". C'est du vécu, on ne peut pas l'inventer. Mais je ne crois pas que le train pris par Verlaine et Rimbaud passait précisément par ce second arrêt actuel des trains à Malines, même si à l'époque Malines servait de connexion déjà pour aller à Ostende pour prendre le bateau pour l'Angleterre, si j'ai bien compris la logique des tracés ferroviaires belges à l'époque. J'ai parfaitement compris la ligne liée à l'exploitation du charbon pour Walcourt et Charleroi, et si on peut s'étonner que Verlaine n'ait pas composé un poème sur Liège alors qu'on sait qu'il a visité la ville, c'est parce que la section des "Paysages belges" est une épure de la traversée de la Belgique avec l'admiration ouvrière et populaire pour Walcourt et Charleroi sur la même ligne, avec un arrêt prolongé sur Bruxelles avec trois poèmes qui impliquent tous l'idée du train à un degré ou un autre, puis Malines est le noeud ferroviaire flamand avec le départ à Ostende pour l'Angleterre.
Trêve de digression, me direz-vous, revenons au rapprochement entre Waterloo et La Maison Verte. Mais, je n'ai plus rien à dire, je vous ferai les citations une prochaine fois, et voilà tout. En revanche, tout est lié, parce que ma digression après avoir parlé d'un sonnet qui implique manifestement le vécu de Rimbaud, cela permet de méditer sur la question du lyrisme impersonnel de Rimbaud et de Verlaine. On condamne les grandes effusions des romantiques, mais la condamnation du lyrisme personnel d'un Rimbaud, d'un Verlaine, d'un Baudelaire n'a rien à voir avec l'impassibilité parnassienne, avec les sujets neutralisant la part du personnel d'un Gautier, peut-être d'un Banville et en tout cas d'un Leconte de Lisle. Il y a beaucoup à méditer sur la signification du titre "Romances sans paroles" car Rimbaud et Verlaine nourrissent beaucoup leurs poésies de leurs expériences personnelles les plus intimes. On pourrait croire que même s'ils parlent de vécu personnel ils sont impersonnels dans la mesure où leurs propos visent à une certaine généralité selon l'optique d'un enseignement au monde formulé par un poète visionnaire, mais il y a aussi derrière autre chose, une expérience personnelle qui cherche une objectivité en se défendant non pas de l'idée d'un vécu intime unique inconnu des autres, mais en se défendant simplement de l'enrobage d'une parole qui prend l'ascendant sur ce qu'elle prétend ramener en témoignage. Il y aurait de belles pages de synthèse à écrire sur le lyrisme personnel de Rimbaud et Verlaine et du coup sur la portée pour les deux artistes de l'étendard qu'est la formule "Romances sans paroles", mais ceci nous mènerait trop loin pour cette fois. J'ai encore de la place, je pourrais faire très long, mais votre bienveillance à me lire n'est pas infinie, on descend du train au prochain point, bonne nuit.

lundi 17 juillet 2023

Rimbaud était-il un young leader ?

Dans l'absolu, la réponse est plus que non, mais les américains ne sont pas à un culot près. Je pense qu'ils prévoient de nous imposer la conférence du oui dans quelques années.
Vous êtes toujours aussi veaux après Nordstream et la nomination de Fiona Scott Morton ? Ils ne sont pas petits vos problèmes mentaux.
Bon, allez, je vais faire des petits sujets dans les jours qui viennent. J'ai acheté un livre d'Augustin Thierry sur la naissance du tiers-état et je vais voir ce que ça me permet de dire d'intéressant sur certains passages de Rimbaud, sur des extraits de "Mauvais sang" notamment.
J'ai lu aussi le Waterloo d'Erkman-Chatrian, pas sûr de l'orthographe du nom je vous avoue, mais j'ai un fait assez curieux à rapporter qui concerne les deux sonnets "Au cabaret-vert" et "La Maline". Je vais d'ailleurs commencer par ça.
Et n'oubliez pas : un Rimbaud américain, ça n'existe pas malgré tout le soft power du monde...