dimanche 31 mars 2024

Nouveau coup de tonnerre dans le ciel serein des rimbaldiens

 David Ducoffre, victime de l'omerta des rimbaldiens, a encore frappé. Génie sans limite de la culture universelle qui éblouit par sa capacité à traiter de tous les aspects de l'œuvre rimbaldienne : versification, déchiffrement des manuscrits, approche esthétique neuve, sens des poèmes, interventions tant sur les vers que sur la prose, croisades médiatiques contre la corruption, David sauve encore la face du rimbaldisme en identifiant l'inutilité du vaccin contre la covid avant qu'il ne soit imposé et il dénonce depuis 2014 les manipulations occidentales en Ukraine sachant qu'il avait déjà dénonce la guerre du Kosovo à l'époque.

Ce génie foudroyant à aussi identifié de nombreuses sources à divers chansons pourtant très connues de rock ou chansons populaires. Et puis,dernier scoop en date, c'est en regardant sur YouTube le début du film de 1961 La planète fantôme,  film de mauvaise qualité avec une mauvaise direction des acteurs, qu'il a compris d'où venaient toutes les idées de Kubrick pour son film 2001 l'odyssée de l'espace. Le monolithe, le gars qui meurt dans l'espace, les images psychédéliques, les luttes primaires entre sociétés pourtant évoluées, le traitement du silence, la nudiste géométrique des décors et des mouvements 1vec simplement la suppression de la base de contrôle radio déjà exploitée en vase clos dans Docteur Folamour.

Au moins en français personne ne semble avoir jamais fait le rapprochement mais les meilleures idées anglaises sont traduites...

Encore une preuve devl'immende génie do tu ce monde ne veut faire aucun profit.

oui, de daines, autels, sa lecture de Voyelles, ils s'en caguent comme ils s'en caguent des sources de Banville pour Rêve pour l'hiver et Ma Bohême.

On a des rimbaldiens en mode négation automatique. Avec eux l'odyssee est abyssale.

I believe I am the Best.

mercredi 27 mars 2024

Les poésies de Charles Coran : rhythme à trois temps et rhythme brisé...

Depuis longtemps, j'ai signalé à l'attention que j'avais repéré deux poèmes particuliers du poète Charles Coran. Murphy a fait allusion à cette découverte encore inédite dans une note de l'un de ses livres plus récents, peut-être son Rimbaud et la Commune. J'ai fait allusion à cette découverte dans un article mis en ligne par Jacques Bienvenu sur son site Rimbaud ivre.


Je n'habitais déjà plus à Toulouse en 2011, et c'est dans la bibliothèque municipale de cette ville que j'avais lu une édition en trois tomes des Poésies de Charles Coran et j'avais demandé une reproduction des pages comportant les deux poèmes qui m'intéressaient, mais je n'avais aucune annotation, et donc sans retourner consulter les documents ma découverte était scientifiquement peu exploitable. Je ne pouvais pas écrire d'article. Je me contentais alors d'indiquer que ces deux pièces curieuses existaient.
Sur le site Gallica de la BNF, aujourd'hui encore, je ne parviens à consulter que les seuls deux premiers tomes des Poésies de Charles Coran. J'ai pu consulter enfin le tome 3, mais dans des conditions laborieuses, sur le site Wikisource.

Charles Coran est né en 1814, il appartient donc plutôt à la génération romantique, mais il revendique n'appartenir à aucune école. C'est un breton et un ami du poète alors plus connu Auguste Brizeux. Il s'est éteint en 1901 et a donc survécu à Rimbaud et Verlaine, et je dis bien Rimbaud et Verlaine, parce que je pense aussi à Verlaine en lisant les poésies de Charles Coran.
On peut comparer Charles Coran à Auguste de Châtillon. Il s'agit de deux poètes qui n'ont pas connu une réelle célébrité et qui n'étaient pas des écrivains de profession. Le recueil Rimes galantes de Coran qui date de 1847 a été louangé par Sainte-Beuve en 1863, tandis que Théophile Gautier a rédigé une préface à la première édition des Poésies d'Auguste de Châtillon en 1866.
Je me permets une petite digression. La préface de Gautier aux Poésies de Châtillon peut être consultée elle aussi sur une page du site Wikisource que je m'empresse de mettre en lien : cliquer ici. J'y relève le passage suivant : "ce sont des pièces de vers descriptives ou philosophiques" qui semblent le modèle repoussoir des propos à Satan au début d'Une saison en enfer : "vous qui aimez dans l'écrivain l'absence des facultés instructives ou descriptives" et plus loin Gautier attribue pourtant à Châtillon la "franche saveur gauloise"... Il est question aussi de l'auberge de la Grand'-Pinte dans cette préface, et il y a l'idée d'un poète demeuré dans les limites de l'art, dont la simplicité chansonnière s'adresse aux naïfs comme aux lettrés. Il faut avouer qu'en ce moment je cherche si l'expression "cassis" dans "La Rivière de cassis" ne renvoie pas à Gautier (je pense d'ailleurs à ce qu'en dit Nerval dans ses Petits châteaux de Bohême). Gautier employait tout comme Stendhal le néologisme "touriste" que Rimbaud cingle dans "Soir historique" : "touriste naïf, retiré de nos horreurs économiques". Nerval est le traducteur du Faust de Goethe, ouvrage dont Rimbaud demande un exemplaire à Delahaye en mai 1873, et sans doute dans la traduction même de Nerval. Mais, Châtillon lui-même est un vieux poète en comparaison de la jeunesse de 1860 qui va publier quelques poèmes dans le Parnasse contemporain, et c'est le cas également de Charles Coran qui publie quatre poèmes dans le Parnasse contemporain de 1866, puis trois autres dans le second Parnasse contemporain (1869-1871).
Dans le premier Parnasse contemporain, les contributions de Charles Coran se situent plutôt en fin d'ouvrage, mais il ne fait pas partie des poètes offrant un bouquet final de sonnets. Ses quatre contributions ont pour titre : "Le Songe", "Bain de mer", "Polichinel" et "Sonnet".
Sans vouloir à tout prix parler de sources, il est amusant de rapprocher les deux premiers vers du sonnet "Le Songe" (à cause du verbe "guider") du début du "Bateau ivre" et les rapprochements intéressent aussi le poème "Bain de mer" jusqu'à son titre :

Emporté ce matin par un dernier sommeil,
Je guidais, dans mon rêve, un quadrige en ivoire ;
Ce char resplendissant trouble encor ma mémoire,
Avec ses chevaux blonds, tels que ceux du soleil.

[...]
Tes cheveux rutilants éblouissant mes yeux.

[...]

                              **

                         Bain de mer 

[...]
L'Océan n'était plus amer :
[...]
Comme un Triton, j'aimais dans l'onde,
Et comme à Paris, dans la mer.

Je disais au flux de la lame :
[...]
Je pressais d'une étreinte vague
Des frissons d'eau pris à des seins.

L'élément qui partout pénètre
M'inondait d'un secret bien-être ;
Je sentais d'humaines chaleurs,
Des parfums, ceux que l'eau dérobe
En baisant sous leur courte robe
Des attraits qui sentent des fleurs.

J'aurais voulu jusqu'à nuit close
Prolonger ce bain à la rose,
[...]
Ramené par elle au rivage,
Je cherchais encore à la nage
Les sillons qu'elle avait tracés.

[...]
Je vous laisse méditer la valeur de rapprochement avec "Le Bateau ivre" de chacune de mes citations.
Dans le second Parnasse contemporain, Coran s'en tient à trois nouvelles contributions : "A Watteau", "L'Amour anacréontique" et "Dans l'herbe". Ces titres ne vous font-ils pas songer à ceux des poèmes du recueil Fêtes galantes de Verlaine publié précisément en 1869. Il va de soi que la publication du second Parnasse contemporain ne s'est faite que par livraisons de 1869 à 1871. En gros, les nouvelles contributions de Coran sont postérieures à la publication des Fêtes galantes de Verlaine. Oui, mais en 1863, Sainte-Beuve a salué le recueil de 1847 de Coran qui s'intitulé Rimes galantes et où vous trouverez très précisément la référence à Watteau et au contexte régence des fêtes galantes.
Le dernier poème de Coran pour le volume de 1866, simplement intitulé "Sonnet", me faisait songer à Baudelaire et à son poème "Le Masque", notamment au plan du second sonnet. Cette sensation me revient à la lecture du poème "A Watteau". Coran y oppose l'image érotique frivole que nous pouvons avoir de Watteau d'après ces peintures et la réalité grave de son visage rendu dans un marbre conservé au Louvre. Coran y fait un parallèle avec sa propre image. Ses poésies sont frivoles et érotiques, et pourtant il a une vie bien plus posées et même triste. Pour rappel, il n'a profité que d'un an de son mariage avant de se retrouver veuf. Dans la préface à ses poésies en trois tomes, Coran développe à nouveau cette idée qui oppose l'image du poète dans ses vers à celle de sa plus sombre et solitaire réalité. Le poème "A Watteau" est écrit en alexandrins, ce qui nous éloigne des Fêtes galantes de Verlaine, mais on peut sentir les échos d'idées : "caquette en vers", etc. Précisons que l'ensemble du second Parnasse contemporain relié en un seul volume n'a été publié que durant l'été 1871, après la semaine sanglante et avant la montée de Rimbaud à Paris. Rimbaud a donc dû lire le poème "A Watteau" au moment même où il part vivre sous le toit de la belle-famille de l'auteur des Fêtes galantes. Ce n'est pas un indice négligeable, puisque Rimbaud peut avoir été tenté à ce moment-là d'évaluer les ressemblances et différences entre les manières de Coran et Verlaine. Dans la lettre à Demeny du 15 mai 1871, Rimbaud avait rangé Coran dans la catégorie des gaulois à la Musset :
   Rompue aux formes vieilles, parmi les innocents, A. Renaud, - a fait son Rolla ; - L. Grandet, - a fait son Rolla ; - les gaulois et les Musset, G. Lafenestre, Coran, Cl. Popelin, Soulary, L. Salles ; [...]
Rimbaud ne semble pas ignorer les origines bretonnes de Coran, il a identifié sa manière érotique, et j'ignore si le 13 mai 1871 il avait lu la livraison contenant les trois poèmes de Coran (je n'ai plus en tête les mises au point de Yann Mortelette à ce sujet, quoi que cette fois Coran soit plutôt en début d'ouvrage), mais le poème "A Watteau" revendique un travail dans "les limites de l'art" pour parler comme Gautier au sujet de Châtillon :
Maître Watteau, dans l'art d'agrémenter un rêve,
Je suis votre confrère & non pas votre élève.
Vraiment, si j'empruntais la règle de mon goût,
Je la devrais aux Grecs, à leurs marbres surtout.
[...]
En clair, il y a de fortes chances que quand Rimbaud écrit de Coran qu'il est lié aux "formes vieilles", qu'il est dans la gauloiserie et dans la continuité de Musset, il fasse référence aux vers que je viens de citer. Mais Rimbaud connaissait probablement déjà les recueils mêmes de Charles Coran où il est si souvent question de Ninon, personnage qui justifie l'assimilation du poète à un Musset, et Rimbaud qui a écrit un poème "Ce qui retient Nina" / "Les Reparties de Nina" reprend le patron strophique de la "Chanson de Fortunio" pour composer le poème "Mes Petites amoureuses" qui figure précisément dans la lettre du 15 mai 1871. Or, dans le poème "Mes Petites amoureuses", nous rencontrons le mot "mouron" à la rime, ce qui a déjà été rapproché d'une rime du recueil Les Amoureuses d'Alphonse Daudet, recueil d'un disciple donc de Musset en quelque sorte, et justement le mot "mouron" apparaît à la rime dans l'un des trois poèmes de Coran figurant dans le second Parnasse contemporain, et j'oserai souligner en songeant à un poème tel que "Fêtes de la faim" que le poème "Dans l'herbe" fait d'ailleurs rimer "mouron" avec "liseron" :
J'ai poussé dans de l'herbe folle,
Comme un modeste liseron.
Je gaminais, après l'école,
Avec le trèfle & le mouron.
Vous avez peut-être ri plus haut du rapprochement de deux vers de Coran avec "Le Bateau ivre" au prétexte d'un emploi commun du verbe "guider". A partir du moment où vous ne pouvez nier que Rimbaud ait eu quelque chose à l'esprit en jugeant Coran "rompu[ ] aux formes vieilles" et "gaulois", force vous est de constater que la lecture de Coran est utile pour illuminer la malice de passages de "Mes petites amoureuses" ou de "Fêtes de la faim".
Pour sa part, le poème "L'Amour anacréontique" est une pièce ronsardienne qui mêle le désir de boire à l'amour.
J'en arrive à la question des recueils de Charles Coran. L'édition des Poésies en trois volumes est postérieure à la période poétique de Rimbaud. Qui plus, les ouvrages sont remaniés. Des poèmes sont supprimés, d'autres sont ajoutés, et nous avons même des déplacements de recueil à recueil.
Charles Coran a publié un premier recueil intitulé Onyx en 1840. Affecté par l'épreuve du deuil de son épouse, le poète ne publie un second recueil qu'en 1847, celui-là même qui a été félicité par Sainte-Beuve en 1863, lequel déplorait que depuis Coran avait cessé de publier. Il s'agit du recueil Rimes galantes qui suppose une influence sur Verlaine. Enfin, en 1869, Coran a publié un recueil intitulé Dernières élégances. Voilà ce que Rimbaud et Verlaine avaient pu lire de Coran en 1871 : trois recueils, et sept poèmes épars dans les deux premiers volumes du Parnasse contemporain. Le recueil Dernières élégances est quelques peu démembré dans les tomes II et III de l'édition des Poésies de Charles Coran vers 1884, où nous avons pour le tome II des rubriques "Elégances" et "Dernières élégances", puis pour le tome III des rubriques "Sous les rides" et "Mélanges". Le recueil de 1869 est séparé en deux sections "Elégances" et "Sous les rides", tandis que son titre passe à une fournée de nouveaux poèmes. Je schématise, parce qu'il y a d'autres nuances à prendre en considération, mais peu importe ici.
Ainsi, le poème qui ouvre le tome III des Poésies et qui lance la nouvelle section intitulée "Sous les rides" figure vers la fin du recueil de 1869. Ce poème a un titre et un sous-titre : Alter ego (rhythme à trois temps). L'orthographe "rhythme" est d'époque, c'était celle de Rimbaud lui-même.
Ce poème a une valeur historique, puisque c'est un poème tout en trimètres, le titre et le sous-titre sont bien évidemment des jeux de mots par rapport à cet emploi exclusif du trimètre.

           Alter ego
        (rhythme à trois temps)

J'ai vu jadis, dans un musée... était-ce à Rome ?
Oui, je m'y vois, au Vatican, un hermès d'homme.
La tête avait double visage, un sage, un fou,
Amalgamés, par le ciseau, sur un seul cou
Le sage était un amateur de paix obscure ;
Sur son front clair on relisait tout Epicure.
De son regard, droit devant lui cherchant à voir,
Il dénonçait la volupté dans le devoir.
Son compagnon, le fou, portait l'oreille en pointe,
Des yeux de faune, et, dans ses yeux, la joie empreinte.
Sa bouche ouverte avait gardé l'amour des vins
Et des baisers, ces goûts bénis des dieux sylvains.
- Presque attendri, je contemplais le marbre jaune,
J'adorais voir l'humble penseur doublé d'un faune,
Et je disais, en emportant ce souvenir :
"Un devin grec m'aura sculpté pour l'avenir.
Oui, c'est bien moi, tel qu'en mes vers, mi-fous, mi-sages ;
Mon humeur double est un hermès à deux visages."
Il s'agit d'un poème en dix-huit vers, un discours de rimes plates, neuf paires de vers, mais doit-on parler d'un poème en alexandrins ou d'un poème en trimètres, son "alter ego" ?
Poète plus âgé, Charles Coran ne pratique pas les césures audacieuses des parnassiens dans le reste de son oeuvre. Il est donc délicat de lui prêter une césure à la Baudelaire après le déterminant "un" : "Mon humeur double est un + hermès à deux visages." Même si cela donne l'impression de faire retour sur une même césure au vers 1 "dans un + musée". Pas plus qu'il n'est souhaitable d'identifier une césure particulièrement chaotique à la façon d'un Rimbaud ou d'un Verlaine : "tel qu'en + mes vers" (j'ai failli dire Mallarmé à cause de son vers célèbre...). Il va de soi qu'il n'y a pas d'enjambement de mots à la césure au vers 2 (au Va+tican), ni en d'autres vers : "un a+mateur", "on re+lisait", "droit de+vant lui", "la vo+lupté", "je con+templais", "en em+portant". Pas question de relever une césure lyrique, faible, sur un "e" d'adjectif antéposé à sa base nominale : "double visage", "humble penseur". Et pas de césures non plus pour "par le + ciseau", "et dans + ses yeux". Le poème est tout simplement composé en trimètres. Quelques vers pourraient plaider le découpage régulier, mais ils sont plutôt vers le milieu et la fin du poème : "avait gardé", "ces goûts bénis", "m'aura sculpté". Le cas le plus troublant est le suivant : "Son compagnon, le fou, portait l'oreille en pointe." C'est le seul vers de l'ensemble où l'alexandrin cherche à dominer le trimètre, le seul ! La maîtrise du jeu de Coran est total jusqu'à ce petit vers qui estompe au maximum la forme du trimètre. Notez que Coran ne compose pas des trimètres appuyés sur des répétitions et des symétries. Et surtout, il a habilement évité que la forme ternaire ne soit trop accentuée. Prenez le troisième vers, après deux éléments distincts mais faiblement scandés : "La tête avait double visage", le poète émiette le troisième membre rythmique : "un sage, un fou", et à l'avant-dernier vers, il reprend les mots "sage" et "fou" dans un trimètre où les deux premiers membres sont plus nettement scandés et où le troisième membre toujours divisé en deux a tout de même un balancement interne : "Oui, c'est bien moi, tel qu'en mes vers, mi-fous, mi-sages[.]]
Armand Renaud innovait dans la forme avec son recueil des Nuits persanes et dans le présent poème c'est le cas de Coran, cas exceptionnel, mais cas réel. Cela rend piquante l'idée de dire que Coran et Renaud sont rompus aux formes vieilles (Rimbaud a écrit "Rompue" sur le manuscrit, sans doute parce qu'il a dû modifier sa phrase en même temps qu'il la transcrivait).
Le poème "Alter ego" est le troisième de Coran que je vous propose de rapprocher de la lecture du "Masque" de Baudelaire, et je pense que vous comprenez très vite de quoi je parle.
Un fait amusant encore à observer, c'est que Coran développe le motif des yeux de faune dans un poème qui bascule du modèle de l'alexandrin au pur poème en trimètres. Au début de l'année 1872, Rimbaud compose un premier poème "nouvelle manière" où la métrique est tellement chahutée que les rimbaldiens n'arrivent pas à reconnaître la mesure traditionnelle pourtant clairement énoncée par la reprise "Dans la feuillée" des deux premiers vers. Même Benoît de Cornulier n'a pas su identifier la césure du poème, et il a proposé en parfaite contradiction avec les principes de son livre Théorie du vers l'idée que le poème changeait de mesure approximative quatrain par quatrain : 4-6, 5-5, 6-4, lecture qui fait hélas consensus, alors que j'ai clairement montré statistiquement que c'était la lecture régulière 4-6 traditionnel qui devait primer.
En revanche, dans l'édition définitive de ses Poésies, tome III, l'autre poème qui nous intéresse pour son audace métrique ne figurait pas dans le recueil de 1869, il semble s'agir d'une composition plus tardive, vers 1873. Ce poème s'intitule "Sur l'herbe", comme un clin d'oeil aux Fêtes galantes de Verlaine si on peut dire, et il a pour sous-titre "(Rhythme brisé)". Il s'agit d'un poème tout en distiques, ce qui va dans le sens d'une allusion au recueil de Verlaine se terminant notamment par les distiques de "Colloque sentimental". Le poème de Coran alterne alexandrin et vers de dix syllabes aux deux hémistiches de cinq syllabes.

Suprême orgueil de l'homme, ô soif de l'Infini,
           Je puis te subir ; t'abreuver ? nenni !

Mon esprit n'entre pas dans l'inintelligible :
            Qu'il s'enferme heureux dans le Beau tangible !

Pour nombrer l'éternel, mesurer l'absolu, -
             Mes ans, mes calculs n'auraient rien valu.

Je plains vos long discours, docte métaphysique :
             L'inconnu n'admet rien que la musique.

Laissez les sons plonger dans l'Océan divin ;
             Les mots, prose ou vers, le sondent en vain.

Que n'ai-je, au lieu de plume, une réelle lyre !
             Je modulerais un vague délire.

A défaut d'harmonie, essaye, ô ma raison,
             Le silence ému dans l'humble gazon.

Couché la face en l'air, sous le céleste abîme,
             De l'universel j'ai l'instinct sublime ;

Mais, vision sacrée, extatiques amours,
            Je vous sens venir... Raison, au secours !

Vous, distiques ici, saccadés par prudence,
            Des alexandrins rompez la cadence,

De peur que leur accord, lyrisme harmonieux,
             M'entraîne à chercher le secret des cieux.
En lisant ce poème, je songe à "Mystique" des Illuminations, mais Rimbaud a-t-il jamais lu cette pièce de Coran cette fois ?
J'offrirai un complément sur Coran, mais désormais il existe enfin un article de référence pour ces deux pièces métriques particulières. Les métriciens Cornulier, Gouvard, Bobillot, etc., n'en ont jamais parlé à ma connaissance.

lundi 25 mars 2024

Aspects intéressants du poème "Credo" de Richepin révélé par Jacques Bienvenu

Jacques Bienvenu a ouvert une série d'articles "Rimbaud lecteur de Richepin ?" dont le dernier en date, qui est précisé comme "suite" et non comme "fin", offre un poème inédit de Jean Richepin, fort antérieur à la publication de la Chanson des gueux en 1876 qui a lancé sa carrière littéraire publique.
J'ai fait immédiatement allusion à cet article à sa parution, parce que j'ai trouvé amusant que le poème nous soit donné à lire directement dans son état manuscrit, alors même que les rimbaldiens se permettent, de façon clairement tendancieuse, de tergiverser sur le déchiffrement de passages non raturés "ou daines" et "Nuit" dans le cas de "L'Homme juste", puis désormais "autels" dans le cas du brouillon connu pour l'élaboration du chapitre "Mauvais sang" d'Une saison en enfer. J'ai ironisé contre la mauvaise foi et la paresse intellectuelle très inquiétante des rimbaldiens. D'ailleurs, avez-vous bien lu les prénoms du poète dans la signature : "Jean Richepin" ou plutôt "Aug. - Jules Richepin ?" A vous de VOIR !
Ici, la révélation du texte de Richepin étant encore toute chaude, je vais faire un premier article d'analyse plus détaillée des enjeux de ce document. Après tout, je n'ai rien fait de tel ni pour "Famille maudite", ni pour "Le Rêve de Bismarck", ni pour la lettre à Andrieu de juin 1874.
Je donne au préalable les liens pour consulter les deux articles de Jacques Bienvenu.


Dans cet article, Bienvenu précise un fait d'actualité avec la vente d'un manuscrit du poème "L'Eternité" qui avait appartenu à Jean Richepin. Et il écrit ceci : "On sait que Rimbaud avait de l'amitié et probablement de l'admiration pour lui."
Pour ma part, je suis plus réservé en ce qui concerne l'éventuelle admiration. Premièrement, nous n'avons aucun témoignage direct ou indirect de ce que Rimbaud pensait de Richepin tant comme ami que comme poète. Nous avons uniquement un récit fait par Richepin lui-même, mais un récit qui paraît suspect à bien des égards et qui va de pair avec une relative indifférence de Richepin à l'égard de la gloire naissante de Rimbaud au début du vingtième siècle. Deuxièmement, les poèmes de Richepin ne sont pas ceux d'un écrivain de premier plan, en sachant qu'il a eu une carrière assez mondaine avec Sarah Bernhardt qui ne cadre pas complètement avec l'image d'Epinal qu'on donne de lui avec La Chanson des gueux. Troisièmement, je n'ai pas les références sous la main, mais Verlaine s'exprime lui-même de manière assez cassante au sujet du talent poétique de Richepin.
Et puis, il y a d'autres énigmes. Certes, Richepin possédait un ensemble de poèmes en vers de 1872 de Rimbaud et il semble avoir possédé aussi un exemplaire d'Une saison en enfer, mais on ne sait pas si Richepin a comme Millanvoye hérité de ces documents de seconde main ou s'il les a reçus de la main même de Rimbaud. On va peut-être penser que je fais un blocage sur Richepin, mais j'observe dans la transmission des manuscrits de Rimbaud une subdivision fort intéressante. Le dossier passé de Forain à Millanvoye contenait un portefeuille paginé de poèmes en vers première manière (1870-1872), un dossier en prose "Les Déserts de l'amour" qui doit être une version alternative sinon embryonnaire de "La Chasse spirituelle" et un ensemble de compositions nouvelle manière toutes datées de mai 1872 : "Comédie de la soif", "Bonne pensée du matin", "La Rivière de cassis" et "Larme". Et de son côté, Jean Richepin a hérité d'un ensemble intitulé "Fêtes de la patience" qui rassemble quatre poèmes dont trois sont datés de mai 1872 et un de juin 1872.
En clair, Forain et apparemment Richepin ont reçu de la main de Rimbaud toutes ses compositions datées du mois de mai 1872, avec un excédent le poème "Âge d'or" daté de juin. On peut soupçonner une suite chronologique des compositions. Rimbaud a commencé à composer d'une nouvelle manière avant de quitter Paris en mars 1872, puisqu'une version de "Tête de faune" figure dans le dossier paginé des copies essentiellement faites par Verlaine. Le poème "Comédie de la soif" est constitué de quatre poèmes qui forment un ensemble de 75 vers. On peut parier que le poème a été commencé dès le mois d'avril. On ne peut pas exclure non plus que Rimbaud ait repris sa pratique de datation approximative de 1870, en datant de mai 1872 une ultime version recopiée pour Forain. D'après la correspondance de Verlaine, Forain avait sécurisé un dossier de poèmes manuscrits de Rimbaud. Selon toute vraisemblance, le dossier paginé concocté par Verlaine et remanié pour "Les Mains de Jeanne-Marie" et "L'homme juste" lors du retour de Rimbaud à Paris. En gros, comme Forain possédait ce dossier paginé en dépôt, Rimbaud a continué de lui remettre ses dernières créations : "Les Déserts de l'amour", "Comédie de la Soif", "Bonne pensée du matin", "La Rivière de Cassis" et "Larme". Il va de soi qu'un double, avec sans doute plutôt des manuscrits autographes, a été détruit par la famille Mauté. Je rappelle que, minorant au maximum les faits (elle n'allait pas avouer publiquement cette destruction), Mathilde admet dans Mémoires de ma vie la destruction de poèmes déjà publiés : "Voyelles" et "Les Chercheuses de poux". Donc, Rimbaud a remis les poèmes en chantier en avril et finis au milieu du mois de mai, sinon dès son retour vers le 7 mai 1872, à Forain. Et on dirait que, pour des raisons inconnues, au lieu d'étoffer le dossier du côté de Forain, Rimbaud a préféré remettre la suite de ses composition, quatre poèmes réunis sous le titre "Fêtes de la patience" à un membre du Club des Vivants, à une époque où ceux-ci écrivent précisément à nouveau dans le corps de l'Album zutique, puisque nous avons des allusions à la tête décapitée de Mérat exposée en peinture, sujet d'actualité au mois de mai 1872. Moi, j'ai l'impression que l'explication est là, toute simple. A son retour d'exil, Rimbaud, devenu indésirable parmi les parnassiens et les membres du dîner des Vilains Bonshommes, découvre qu'on est fort réticent à le publier dans la revue La Renaissance littéraire et artistique. On attendra qu'il soit parti loin à Londres pour publier son poème "Les Corbeaux" en septembre 1872. Et Rimbaud doit se refaire des amis, au-delà de Verlaine. On peut penser que ses liens aux membres du Cercle du Zutisme sont en pleine dissolution. Nous avons du témoignage dans le cas des frères Cros. Et le voilà qui fréquente de nouveaux jeunes, Les Vivants, lesquels sont amis avec Léon Valade qui visiblement est alors le détenteur de l'Album zutique. Forain et Valade sont les derniers amis de la première heure, mais des amis qui ont déjà dans l'idée de prendre leurs distances, et donc il ne reste que Verlaine avec Rimbaud. D'Angleterre, c'est Verlaine qui écrivait Blémont, lequel n'a pas conservé de lettres de Rimbaud sur lui. Nouveau critiquait Blémont dans une lettre à Verlaine, et si Verlaine a pris la défense de Blémont, on peut se demander si Nouveau n'a pas critiqué Blémont parce que Rimbaud l'englobait dans son mépris. Verlaine avait encore des amis, mais la situation de Rimbaud était nettement détériorée. Rimbaud a alors remis la primeur d'une version manuscrite des "Fêtes de la patience" aux membres littéraires du cercle des "Vivants" qui apportèrent des contributions à l'Album zutique en mai, puis à la fin de l'année 1872. Richepin en faisait partie et c'était un ami d'Izambard, et du coup on se demande comment Richepin et Rimbaud se sont rencontrés. Richepin ne connaissant pas Rimbaud, et Rimbaud étant en froid avec Izambard, on peut envisager une histoire triviale. Richepin est présenté à Rimbaud à Paris lors d'on ne sait quelle réunion, et éventuellement Rimbaud lui parle d'Izambard, ce qui n'est même pas certain, mais Richepin est un moyen intermédiaire pour Rimbaud de prendre une revanche sur le professeur Izambard. Par exemple, Richepin peut faire savoir à Izambard que Rimbaud lui a offert des manuscrits très intéressants coiffés d'un titre général "Fêtes de la patience". Malheureusement, c'est tout un univers de supputations, puisque nous manquons de documents précis pour rendre compte de ce qui s'est réellement passé. Il me semble tout de même qu'à travers les lettres de Nouveau Rimbaud ne se montre pas spécialement soucieux d'entretenir une relation épistolaire avec Richepin. Et, finalement, Richepin a-t-il reçu de Rimbaud les quatre poèmes en question, parce qu'il était un ami d'Izambard, parce que c'est le seul des "Vivants" qui s'est montré intéressé par un don de manuscrits inédits ou bien parce que Rimbaud a voulu que les "Vivants" le connaissent et qu'accessoirement les manuscrits ont fini dans les mains de Richepin ?
J'ajoute encore ceci. La coïncidence de la ligne de démarcation entre les manuscrits de mai 1872 remis à Forain puis à Richepin invitent à penser qu'il s'agit d'un don qui s'est effectué au début du mois de juin 1872. Etrangement, daté de la fin du mois de juin 1872, le poème "Jeune ménage" a été recopié sur une missive prévue pour Forain, ce qui montre bien qu'on tourne alors sur un cercle très restreint de personnes, et cela peu de temps avant le départ précipité pour la Belgique qui supposait la coupure des liens avec les contacts parisiens. Enfin, tous les poèmes nouvelle manière remis à Forain et Richepin existent dans des versions manuscrites alternatives plus tardives qui ont été publiées au sein de la première édition des Illuminations par la revue La Vogue en 1886. Il faudrait se pencher sur l'ordre des manuscrits des poèmes en vers nouvelle manière du dossier de 1886 pour vérifier, dans l'hypothèse où nous pourrions le fixer, s'il correspond à l'ordre chronologique ou à l'ordre tout court des poèmes remis à Forain, puis Richepin, d'autant plus que les manuscrits de Forain comme de Richepin n'ont été découverts qu'au vingtième siècle. Donc ce serait amusant de vérifier si la liasse manuscrite des poèmes en vers nouvelle manière a pu coïncider avec la distribution des manuscrits remis à Forain et Richepin. Il y a deux choses à vérifier. Est-ce que depuis 1886, en dépit du mélange avec les proses du recueil originel des Illuminations, nous avions d'abord dans l'ordonnancement des manuscrits : "Enfer de la soif", les versions sans titre de "Bonne pensée du matin", "La Rivière de Cassis" et "Larme" avant "Fêtes de la patience", et si nous avions précisément le même ordre de défilement pour "Enfer de la soif", "Bonne pensée du matin", "La Rivière de Cassis" et "Larme" dans les états originels des manuscrits détenus par Forain ou les membres de la revue La Vogue ?
En attendant, la relation réelle entre Rimbaud et Richepin demeure un mystère. Notez tout de même qu'en gambergeant je soumets des hypothèses inédites : donner les "Fêtes de la patience" à Richepin peut être une façon de régler des comptes avec le condescendant Izambard... Et même le don d'un exemplaire d'Une saison en enfer peut être fait dans l'espoir que l'ami Richepin exhibera la pièce, un livre imprimé, sous les yeux du professeur incrédule. Rimbaud n'aura rien demandé de tel expressément en tout cas, vu la suite. Richepin préférera le lancement de la carrière de Maurice Bouchor, de toute façon, l'ironie du sort s'acharnant sur Rimbaud. Richepin avait après tout peut-être plus d'affinités avec Izambard qu'avec Rimbaud.
Il faudrait passer du temps à éplucher tout ce qui a été rapporté par les contemporains sur Richepin et Rimbaud, il faudrait éplucher les récits de Richepin qui ne sont pas spécialement connus. Je les ai à peine eus entre les mains. J'ai dû les lire deux fois il y a très longtemps, pas plus.


Dans ce nouvel article, Jacques Bienvenu offre un fac-similé d'un manuscrit inédit d'un poème de Jean Richepin. Il ne l'accompagne que d'une note plutôt succincte. Il y a des droits réservés et le manuscrit appartient à Yves Jacq. Je savais par Jacques Bienvenu (j'ai participé aux débuts du blog Rimbaud ivre) qu'Yves Jacq possédait des documents inédits sur le poète Jean Richepin, mais j'ignorais totalement ce que ça pouvait être. Je n'étais pas dans la confidence, à part que je savais qu'Yves Jacq possédait des documents inconnus des rimbaldiens. J'ai tenu ma langue, je n'en ai jamais touché un mot nulle part.
Je découvre donc en même temps que tout le monde le manuscrit du poème "Credo". Il est recopié au recto et au verso d'un même feuillet, comme l'attestent la relative transparence du papier utilisé. On devine le texte du verso ("Mais...") à l'envers sous l'illustration du recto et le début du recto "Je..." sous l'illustration du verso.
Avant même la lecture du poème, la dédicace retient toute mon attention : "A mon ami G. Izambard." Le mot d'adresse est flanqué d'un point. Nous avons un court trait de séparation puis le titre Credo (non souligné, alors qu'il s'agit d'un mot de latin : pas d'accent aigu), puis un nouveau trait de séparation.
C'est EXACTEMENT la présentation adoptée par Rimbaud pour son envoi à Banville du poème "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs". L'adresse : "A monsieur Théodore de Banville" n'est pas flanquée d'un point, Rimbaud le réservant au titre du poème, mais pour le reste, c'est identique !
Et la symétrie vaut pour la fin de transcription, puisque la datation en épigraphe est placée à la fin du poème à côté de la signature "Alcide Bava".
Rimbaud ne lisait certainement pas souvent des poèmes manuscrits dédicacés à son époque, à plus forte raison avant septembre 1871, et personnellement je n'y connais rien aux habitudes d'époque en fait de présentation manuscrite des dédicaces. Pour l'instant, je trouve la coïncidence frappante. Tout converge.
Et je vais ajouter un petit scoop. Rimbaud a écrit à Banville un poème en octosyllabes. Le poème "Credo" est en octosyllabes lui aussi. On peut opposer les quatrains de l'un et les huitains de l'autre, mais les octosyllabes ça nous fait un point commun supplémentaire. Et puisque nous sommes en si bon chemin, il me semble que "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs", c'est une sorte d'anti-crédo. On en vient à se demander si le poème envoyé à Banville ne raille pas indirectement le professeur Izambard qui lui aurait montré le manuscrit inédit de Richepin auparavant du coup. Et je vais boucler la boucle. Comme le signifie l'article de Bienvenu, le poème "Credo" aurait été montré très tôt à Rimbaud par son professeur Izambard. Rimbaud a composé le poème "Credo in unam" en avril et mai 1870, alors qu'il ne connaît pas encore Izambard depuis tant de mois que ça. L'idée de reprise du titre est sensible : l'écho a peu de chances de relever de la coïncidence. Il est clair que Rimbaud a dû avoir des exemples d'emploi du mot "credo" en titre de poème sous les yeux pour avoir l'idée non seulement du calembour : "credo in unam (une âme)" avec corruption satirique du masculin "credo in unum", mais pour carrément faire du calembour le titre du poème.
Rappelons qu'Izambard est né en décembre 1848, il n'a que six ans d'écart avec Rimbaud, ce qui est moins que les dix ans avec Verlaine, puis que Jean Richepin est né en février 1849, ce qui ne fait que trois mois de moins qu'Izambard et cinq ans et demi d'écart avec Rimbaud. Le poème remis à Izambard est précisé avoir été composé à "Douai" en "janvier 1866". A ce moment-là, Izambard avait à peine 17 ans, et Richepin ne les aura pour sa part que le mois suivant. A cette époque, Richepin était élève au lycée de la ville de Douai. Je n'ai pas vérifié le cursus scolaire d'Izambard : était-il en classe avec Richepin ou était-il à un an d'écart dans les études ? Je l'ignore, ce détail ne m'ayant jamais importé jusqu'à présent. Je dois même vérifier s'il était bien élève à Douai où résident les tantes Gindre. Izambard n'a rencontré Rimbaud qu'à partir du mois de janvier 1870, mais en tant que professeur de rhétorique pour une classe de 25 élèves. Rimbaud était déjà un élève réputé pour ses copies en latin, Izambard s'est plus que visiblement immédiatement mis dans une proximité de collègues littéraires avec lui, sur le modèle de sa relation avec Richepin quelques années plus tôt. Seulement, la situation était différente : nous passions de deux amis lycéens avec trois mois d'écart à une relation de professeur à élève où les six ans d'écart prennent du sens, puisque Rimbaud étant né le 20 octobre 1854 et son poème "Credo in unam" daté alors du 29 avril 1870 a été envoyé par lettre le 24 mai suivant à Banville, cela veut dire que Rimbaud n'avait pas encore tout à fait quinze ans et demi quand Izambard lui a montré le poème de Richepin. Richepin n'était pas connu, mais on imagine sans peine le professeur Izambard qui élève Rimbaud en lui montrant qu'il peut être estimé comme ce poète inconnu Richepin de dix-sept ans, un professeur Izambard qui se sert de cet exemple pour faire passer le rapport de maître à élève sous une forme de complicité amicale à venir, et face à cela un Rimbaud dont on ne sait pas ce qu'il pense du poème de Richepin, mais un Rimbaud qui cherche à se faire reconnaître, et ça peut alors commencer par la reconnaissance d'adultes locaux inconnus, un professeur Izambard et des amis poètes du genre Paul Demeny et Jean Richepin. A l'évidence, Rimbaud vise d'emblée plus haut puisqu'il écrit à Banville dès le mois de mai 1870, vingt-cinq à ving-six jours après la date de composition revendiquée pour "Credo in unam" (29 avril pour une lettre du 24 mai).
Sur la lettre à Banville, je n'ai pas le fac-similé sous les yeux, mais nous avons en en-tête de la lettre une adresse "A monsieur Théodore de Banville." Et nous avons cette fois une adresse terminée par un point. Puis, les dates de composition des trois poèmes envoyés et inclus dans la lettre sont systématiquement placées après la transcription de chaque poème correspondant avec à chaque fois la signature : "A. R." pour les deux quatrains, "Arthur Rimbaud" pour "Ophélie" et "Credo in unam".
Il est intéressant d'observer que du coup les deux lettres de Rimbaud à Banville portent la trace d'une rumination par Rimbaud de cet inespéré manuscrit de Richepin détenu par Izambard que viennent de nous révéler Jacques Bienvenu et, ne l'oublions pas, Yves Jacq. Et ce lien est d'autant plus pertinent que la lettre contenant "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" contient un rappel de la lettre ayant contenu "Credo in unam".
Et je ne vais pas m'arrêter là !
Vous allez voir que c'est plus impressionnant que ça encore !

Donc, en août 1871, Rimbaud envoie un poème dédicacé "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" à Banville sous une forme similaire à celle adoptée par Richepin quand il fit don du poème "Credo" à Izambard. La différence vient de ce que Rimbaud a bien été obligé de compléter sa lettre par un mot de prose. On sent que ça l'a embarrassé et que le résultat est hybride, puisque Banville a ouvert un courrier assez long, mais qui commençait par une dédicace et un poème en octosyllabes, et ce n'est qu'après la lecture du poème qu'il rencontrait le message plus prosaïque de la missive. Il est clair que Rimbaud a voulu que Banville ressente l'envoi d'un poème manuscrit dédicacé, tout en se pliant à son désir compulsif d'économie en transcrivant le texte de la missive sur le corps manuscrit du don de poème.
Mais ce mot final prend du relief, parce que, du coup, immédiatement après la lecture du poème nouveau, Banville se prend dans la figure des remarques un peu moins amènes, et dans ces remarques Rimbaud fait une double allusion au poème "Credo" de Richepin. Rimbaud cite le titre "Credo in unam" qu'il veut rappeler à la mémoire de Banville, et en ce sens on pourrait dire que le rappel du titre "credo" de Richepin est désormais involontaire de la part de Rimbaud, sauf que dans ces quelques lignes, Rimbaud ajoute une précision étonnante : "J'ai dix-huit ans". C'est faux, il n'a encore que seize ans et dix mois. Ce mensonge est connu et commenté : Rimbaud se vieillit, il cache une information visiblement un peu confondante. Mais, il y a plus intéressant à observer désormais, puisque le poème "Credo" a été composé par Richepin quand il avait seize ans et onze mois. Vous mesurez la coïncidence ? Rimbaud a envoyé le poème "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" à Banville à seize ans et dix mois avec la même présentation que le poème manuscrit "Credo" que Richepin a remis à seize ans et onze mois à Izambard. J'ignore si Rimbaud avait une idée exacte de l'âge de Richepin, il a pu se fonder sur l'âge même du professeur Izambard de toute façon : "dix-sept ans et deux mois" en janvier 1866. Ceci dit, quelles qu'en soient les raisons, Rimbaud ne joue pas la coïncidence réelle sur sa lettre, puisqu'il dit avoir non pas dix-sept ans, mais dix-huit. De deux choses l'une, du moins si vous envisagez que Rimbaud s'ingénie à faire une référence impossible à identifier pour Banville au manuscrit de Richepin, soit Rimbaud croyait qu'en janvier 1866 Izambard et Richepin avaient plutôt dix-huit ans, soit il considère qu'il ne peut pas écrire moins de dix-huit ans dans une lettre à Banville, lequel a d'ailleurs publié son premier recueil précocement à dix-neuf ans. C'est d'ailleurs à se demander si la date de publication en 1842 des Cariatides n'était pas un des arguments sur la jeunesse qui justifiait d'essayer de se faire élever par la main de Banville en mai 1870. En tout cas, chassez la coïncidence par la porte, elle revient par la fenêtre, puisque dans cette lettre d'août 1871 Rimbaud après avoir qu'il a désormais "dix-huit ans" précise selon une logique mathématique implacable que l'année précédente il n'avait que dix-sept ans, donc l'âge même du don de "Credo" par Richepin à son ami Izambard. Dans de telles conditions, il est difficile de ne pas prendre au sérieux que, même si cela ne concerne pas Banville, la lettre qui est envoyée à celui-ci porte la marque de ruminations de Rimbaud du côté de sa relation compliquée avec Izambard. Je cite cette fin de lettre :

                 Monsieur et cher Maître,
           
            Vous rappelez-vous avoir reçu de province, en juin 1870, cent ou cent cinquante hexamètres mythologiques intitulés Credo in unam ? Vous fûtes assez bon pour répondre !
                 C'est le même imbécile qui vous envoie les vers ci-dessus, signés Alcide Bava. - Pardon.
                 J'ai dix-huit ans. - J'aimerai toujours les vers de Banville.
                 L'an passé je n'avais que dix-sept ans.
                 Ai-je progressé ?

Je rappelle qu'Izambard était plus concrètement lui aussi un "maître" pour Rimbaud et qu'il s'offusquait de l'appellation "Monsieur" en tête d'une lettre datée du 13 mai 1871, le mot "Monsieur" désignant l'odieux bourgeois ennemi des communards. On a bien une symétrie subreptice entre Banville et Izambard dans la pensée critique de Rimbaud.
L'adresse pour répondre chez Bretagne ne permet pas seulement d'éviter que la mère ne confisque le courrier, elle crée aussi un certain flou sur la vie de ce prétendu jeune homme qui n'aurait pas sa boîte aux lettres et qui du coup ne vivrait pas non plus chez sa mère en tant que mineur. J'ignore si avec la question "Ai-je progressé ?" Rimbaud a conscience d'être à la limite du jeu de mots avec les verbes "croire" et "croître" présents dans son poème Credo in unam. En tout cas, il signale très clairement à son interlocuteur qu'il a bien compris les signes sociaux qui le discréditaient : jeune âge, ça compte beaucoup de passer de dix-sept à dix-huit ans ; origine provinciale, le ruban est dans le pré ; souci de ne pas déranger : "Pardon" et persiflage : "Vous fûtes assez bon pour répondre !" La prose se ressent encore de son sentiment d'humiliation : "Ai-je progressé ?", "le même imbécile", "Vous fûtes assez bon..." Jacques Bienvenu a développé une théorie qui me semble juste et même évidente sur le fait que Rimbaud a lu les premiers chapitres du traité de Banville où figure le mot "imbécile", et il va de soi que "Alcide bava" est un jeu de mots avec le nom mythologique d'Hercule et le verbe "baver" en impliquant une allusion aux poèmes mythologiques des parnassiens en général et de l'auteur des Exilés en particulier, mais on pense aussi à un dégonflement de la matière mythologique qui correspond aussi au passage de "Credo in unam" à la poésie nouvelle mais commerciale et bourgeoise si magnifiquement sublimée d'ironie dans "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs", Bienvenu ayant aussi publié un article sur la signature "Alcide Bava". Et voici que cet extrait en prose permet désormais d'interroger une nouvelle révélation faite par Bienvenu, puisqu'on dirait clairement que le nouvel envoi à Banville sert à Rimbaud à passer la frustration vécue avec Izambard. Et en ce sens les allusions au poème inédit de Richepin n'ont rien d'anodin pour chanter l'éveil fraternel dans de futures biographies de Rimbaud, maintenant que l'autre n'est plus là. Notons que tout pouvant faire sens, j'ai déjà dit par le passé que quelqu'un avait relevé la présence du mot "abracadabrantesques" croisement des néologismes de Gautier "abracadabrant" et "abracadabresque" dans un livre encore récent d'un écrivain douaisien Mario Proth, livre qui datait d'ailleurs si ma mémoire est bonne de 1866 même, et livre qui faisait une revue des poètes français à travers l'histoire au nom d'une visée. Les rimbaldiens, ils m'ont dit oralement : "Mais on s'en fout de Mario Proth, c'est nul, ça n'a aucun intérêt !" Et ils ne relaient pas l'information ! Ils continuent du coup d'attendre le jour où on identifiera enfin un emploi par Gautier de l'adjectif "abracadabrantesques". Les rimbaldiens refusent de considérer que Rimbaud ait médité ses grandes idées à partir d'inconnus dérisoires, que ce soit Demeny ou Proth. Pourtant, Demeny a fait paraître après avoir connu Rimbaud un recueil intitulé Les Visions avec un poème liminaire "Les Voyants", sans qu'on ne puisse affirmer qu'il ait pillé l'idée à Rimbaud, puisqu'il s'agit d'un poncif romantique employé massivement par Hugo et tant d'autres, et puisque Rimbaud dit à Izambard et Demeny qu'il faut être "voyant" en sachant peut-être (c'est une hypothèse) pertinemment que Demeny prévoyait un recueil sur ce sujet et peut-être avec un tel titre. Izambard et Demeny sont liés à Douai, l'un plus que l'autre mais peu importe, Richepin a été élève à Douai et c'est ce qui a du sens pour Rimbaud avec le poème "Credo". J'en suis à me demander si Richepin et Izambard n'étaient pas au collège ensemble à Douai (excusez-moi si je n'ai jamais fait attention à ce point), et cela aurait été au même moment où un douaisien publie un livre avec la seule attestation connue à l'heure actuelle du mot "abracadabrantesques" avant son emploi par Rimbaud, mot que Rimbaud emploie dans un poème dont ceux qui en ont eu la primeur sont liés à Douai : Izambard le 13 mai 1871 et Demeny le 10 juin 1871, et le poème de Richepin mentionne la ville "Douai". Comme les rimbaldiens rejettent le provincial Mario Proth, Rimbaud appréhendait le rejet de soi comme provincial par Banville, lequel est né à Moulins, en province donc, mais la légitimité ne s'acquiert que par la montée à Paris, et cela veut dire que, dans ce monde d'hypocrites, on ne vous reconnaîtra qu'autant que vous ayez déjà quelques paliers de reconnaissance acquise.
Et Rimbaud parle du nombre de vers de "Credo in unam" : "cent ou cent cinquante hexamètres", il utilisait des valeurs similaires dans sa lettre à Demeny où il parlait de ses "Morts de Paris" et de ses "Amants de Paris", deux poèmes qui nous sont hélas définitivement inconnus (s'ils ont existé, ce qui reste tout de même probable). Le poème est en rimes plates (à une corruption près commentée par Benoît de Cornulier), ce qui fait que le chiffre de cent cinquante est possible. Tout en quatrains, le poème "Le Bateau ivre" compte cent vers. Il atteint ce chiffre rond de "cent hexamètres" tout en étant aussi quelque part un exercice de progression d'une poésie mythologique adossée à des modèles romantiques ou parnassiens et des références antiques à une poésie créant sa propre mythologie en allant bien au-delà de la satire funambulesque de "Ce qu'ont dit au poète à propos de fleurs", poème en quarante quatrains : 160 octosyllabes. Quarante quatrains : vous commencez à sentir le persiflage du nombre de vers académique : quarante quatrains ou cent alexandrins dans "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" et "Le Bateau ivre" ? Vous sentez la dimension que nos réflexions sont en train de prendre ? On est en train de constater par des observations faites à la loupe que Rimbaud ruminait toutes les frustrants manques de reconnaissances qu'il accumulait dans sa vie, tant avec Izambard qu'avec Banville. Vous imaginez que du coup le poème "Le Bateau ivre" s'inscrit dans cette dynamique d'un poète qui veut progresser pour effacer le ressenti humiliant des réponses condescendantes initiales d'Izambard et Banville. Vous le voyez bien que, Rimbaud, quand il écrit à Banville, il pense encore à l'humiliation subie avec Izambard, alors même que réussir à séduire Banville rendrait dérisoire le mépris insultant d'Izambard !
Que ça plaise ou non aux rimbaldiens, il ne faut pas négliger les relations de Rimbaud à la lecture de Richepin, de Mario Proth ou de Paul Demeny. Ces rimbaldiens, ils sont habitués à vivre en cercles d'universitaires qui snobent leurs élèves, les intervenants qui n'exercent pas une profession au moins de médecin et d'avocats, et ils appliquent cette conception de l'entregent à un Rimbaud de quinze ans et demi. Ils s'imaginent que Rimbaud, étant un génie reconnu de toute éternité, même si à son époque ça n'avait rien d'officialisé, il ne vivait pas comme des expériences le triturant dans sa chair les rencontres avec des gens de province qui lui parlaient de ces inconnus Mario Proth, Paul Demeny et Jean Richepin. Le niveau de pédanterie des rimbaldiens est sidérant et en parfaite contradiction avec leur objet, pardon ! sujet d'étude. De toute façon, les rimbaldiens universitaires, ils ne lisent comme poètes que Rimbaud et Baudelaire, tout le reste il le méprise, puisqu'ils sont déjà condescendants avec Victor Hugo. Ils écrivent ce mépris partout dans leurs articles. Après Rimbaud et Baudelaire, les autres poètes ne sont que tolérés, y compris Hugo, Mallarmé et Verlaine.
Mais ils ne s'excuseront jamais pour avoir méprisé le mot "abracadabrantesques" dans un ouvrage du douaisien Mario Proth. Ils vont finir par le recenser passivement, sans expliquer quelles furent leurs belles méditations sur ce sujet épineux durant les années de délai qu'ils se sont accordées.
Enfin, bref !
Je continue !
La fin de la lettre à Banville d'août 1871, vu qu'elle contient une phrase interrogative conclusive : "Ai-je progressé" est clairement, jusqu'à sa forme ramassée, une manière d'allusion à la fin de la lettre envoyée en mai de l'année précédente. Certes, la lettre de 1870 a une première partie en prose assez conséquente qui précède le don des trois poèmes, mais la symétrie est sensible entre la fin de la lettre de 1870 et celle de 1871 :

        Si ces vers trouvaient place au Parnasse contemporain ?
        - Ne sont-ils pas la foi des poètes ?
        - Je ne suis pas connu ; qu'importe ? les poètes sont frères. Ces vers croient ; ils aiment ; ils espèrent : c'est tout.
        - Cher maître, à moi : Levez-moi un peu : je suis jeune : tendez-moi la main...
L'usage des tirets en attaque de plusieurs alinéas est quelque peu surprenant, intéressant, mais le caractère ramassé du mot interrogatif final de la lettre de 18712 fait clairement écho à cette présente fin ramassée de la lettre de 1870. La preuve que c'est voulu de la part de Rimbaud, c'est que si en 1871 il cite le titre "Credo in unam", place à un "assez bon pour répondre", c'est qu'ici il parlait de "foi" et de vers qui "croient". On a des interrogations similaires aussi, puisque le "Ai-je progressé ?" est l'équivalent de la présente sollicitation qui veut dire : " Ne trouvez-vous pas que mes vers sont assez bons déjà en soi pour que je sois publié ? " Et on a même une correspondance pour l'inquiétude de l'âge : "je n'avais que dix-sept ans" contre "je suis jeune : tendez-moi la main..." Notez que cette expression fait étonnamment écho au "pas une main amie" de la fin du livre Une saison en enfer. Vous voulez identifier du biographique dans Une saison en enfer, là vous en avez un bel exemple ?
Et si vous en avez marre de mes idées qui fusent, pas de chance, je vous en offre encore une belle. Rimbaud demande à être publié dans le second Parnasse contemporain dont la publication par livraisons court depuis 1869 et le premier a été publié en 1866, l'année même du don du poème de Richepin à Izambard quand ils étaient tous deux lycéens les yeux brillant du désir d'un avenir littéraire ! Rimbaud connaissait à peine Izambard et du coup le poème de Richepin qu'il s'empressait de tout faire pour les coiffer au poteau : "Oui, ton ami lycéen brillant élève à Douai, Richepin, t'a fait don d'une pièce où il exprime son "credo" de poète, mais vous n'avez pas songé à être publié dans le volume du Parnasse contemporain qui allait paraître quelques mois plus tard, eh bien, moi, les poèmes que je te fais lire aujourd'hui, cher Izambard, tu vas les lire dans quelques mois dans le nouveau tome du Parnasse contemporain, puisque j'ai l'opportunité de vivre moi votre occasion manquée (j'imagine qu'Izambard a dû dire à Rimbaud ; "tu vois le poème que m'offrait un ami lycéen l'année même de la parution du Parnasse contemporain ?") et je me ferai parrainer par le maître Banville dont le premier recueil a été publié à dix-neuf ans, je ne l'humilierai pas trop puisque je n'aurai publié à seize ans trois poèmes, et j'ai déjà une publication quoique insignifiante à quinze ans avec "Les Etrennes des orphelins"." Voilà, il avait un bel orgueil, le Rimbaud ! Les rimbaldiens, ils ne l'auraient jamais supporté, aucun rimbaldien connu ou pas connu n'aurait supporté de rencontrer Rimbaud en 1870. C'est une évidence. La question ne se pose même pas en fait.
Et évidemment, on va passer maintenant au début en prose de cette lettre et continuer de relever les liens avec le poème de Richepin.
Le poème s'intitule "Credo" et il expose en quatre huitains d'octosyllabes (je viens de le remarquer, mais il y a encore un parallèle à faire entre quatre huitains d'octosyllabes (4/8/8) et quarante quatrains d'octosyllabes (40/4/8)) une conviction personnelle que le poète oppose à un credo religieux qui dominait la société de son époque. Rimbaud reprend le modèle dans "Credo in unam", il place le mot "Credo" lui-même, et il oppose un credo d'amour au credo de la religion chrétienne. La religion chrétienne est censée être une religion d'amour avec un credo d'amour, donc l'opposition est ironique. Le modèle d'exposition de l'idée de la part de Richepin reste désespérément sommaire et prosaïque ; il croit en un Dieu unique et éternel qui prône l'amour en s'opposant au jésuite, au cagot, aux vendeurs d'eau bénite. Rimbaud rejette directement Dieu lui-même et fait passer une opposition différente entre Vénus, Déesse de l'amour idéalisée sur le modèle lucrécien, et le Dieu chrétien.
La récitation du "credo" valant expression de la foi, il est à remarquer que Richepin emploie le mot "foi" à la rime dans son poème, tandis que dans sa lettre du 24 mai Rimbaud glose le titre "Credo in unam" en tant que "Credo des Poètes", ce qui semble déjà anticiper l'opposition entre "poésie subjective" de Richepin l'ami d'Izambard qui parle en son nom, et "poésie objective" où le "Je" est relié à l'expression de la foi universelle des poètes. Et à la fin de la lettre de 1870, Rimbaud demande au sujet des trois poèmes s'ils ne sont pas l'expression de la "foi des poètes", expression équivalente donc au mot "credo" dans sa forme latine toute liturgique. Encore un rapprochement patent donc entre le poème de Richepin et tout ce que Rimbaud développe autour de "Credo in unam".
Et donc il ne nous reste plus qu'à identifier les possibles allusions aux vers de Richepin eux-mêmes !
Je relève la rime "lyre"/"délire" au singulier. Hou que je crois qu'on peut faire des rapprochements avec des poèmes de Rimbaud à ce sujet... Hou!... Hou!... Excusez-moi, je me perds, mon bateau est saoul !
Il y a l'amour, il y a la dimension florale. D'ailleurs, dans la lettre de mai 1870, il est question de la Nature qui croît et qui exprime l'amour et "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs", c'est un peu la dérision d'une fausse idée poétique de la croissance amoureuse imagée par des fleurs...
Je crois en Vénus est une réécriture plus riche de possibilités et de vie de l'expression "Je crois... à l'Amour", "Je crois à l'Amour..." qui attaque en mot de ralliement encore un peu vain les deux premiers vers du poème de Richepin. L'amour qui enflamme chez Richepin devient directement soleil chez Rimbaud avec tous les développements symboliques afférents. Le sang qui bouillonne devient même la sève végétale de la Nature dans le poème de Rimbaud. On a une différence d'envergure assez évidente entre les deux poètes. Il est vrai que Rimbaud profitait de la coïncidence d'époque avec les devoirs sur Lucrèce et son devoir primé "Invocation à Vénus" où il plagia sans se faire prendre une traduction parnassienne d'actualité de Sully Prudhomme ! Encore une fois, relevez la constante : Rimbaud pouvait dire à Izambard qu'à quinze ans et demi il se faisait passer pour l'auteur d'une création largement adossée au travail d'un des poètes les plus nommés de son époque, même si Rimbaud était déjà persuadé de sa relative médiocrité.
On remarquera que Richepin gâche son poème dès le cinquième vers avec cette allusion prosaïque qui vient trop tôt et tombe comme un cheveu sur la soupe à une sorte de Ninon, à une Lisette qui ne croit pas à l'amour du poète ou plutôt qui ne lui est pas fidèle et se cherche des prétextes. Le début du deuxième huitain de Richepin fait évidemment office de tremplin pour Rimbaud, puisqu'on passe de l'idée assez sommairement exprimée, assez banalement et prosaïquement exprimée : "la Poésie, / Qui fait l'homme plus grand qu'un roi", alors que Rimbaud fait du Hugo grandiloquent efficace dans un phrasé oral rudimentaire : "L'Homme est roi !" Toutefois, ce style hugolien simple et efficace ne sera atteint que dans la version remise à Demeny, dans la version remise à Izambard, cela reste supérieur à du Richepin, mais c'est aussi moins mémorable :
S'il accepte des dieux, il est au moins un Roi !
C'est qu'il a plus l'Amour, s'il a perdu la Foi !
Ces deux vers seront nettement améliorés dans la version remise à Demeny où ils seront même plus proches en idée de ce que dit le poème de Richepin. Notez que dans le poème de Richepin comme dans celui de Rimbaud, les mots "roi" et "foi" riment ensemble. Ey la rime qui suit immédiatement dans le poème de Richepin est précisément cette rime "délire"/"lyre". Le mot "lyre" à la rime est présent dans "Credo in unam" mais couplé avec "sourire". Le mot "Gloire" employé avec une majuscule au début du troisième huitain du poème de Richepin est employé à la rime dans "Credo in unam", mais un sens particularisé et du coup distinct quoiqu'en écho : "Héraklès, le Dompteur, et comme d'une gloire,..."
On peut confirmer la pertinence du rapprocher, puisque Richepin dit de cette "Gloire immortelle" en laquelle il croit qu'elle prend les hommes sous son aile pour en faire précisément des héros et des dieux. On rejoint le motif de l'homme qui est un roi et même un dieu (version de "Soleil et Chair") et Héraklès est présenté en héros amoureux qui se couvre "comme d'une gloire" avec la peau du lion de Némée qui entend tâter de la tigresse.
Par rapport à tout ce que nous avons dit plus haut sur les frustrations de Rimbaud, la fin du troisième huitain a aussi une résonance particulière, puisque Richepin dénonce les "chercheurs de renommée". C'est précisément des a priori contre les gens sans renommée que Rimbaud se plaint dans ses relations à Izambard, Banville et quelques autres. Et ces gens chercheurs de renommée se croyaient dans les cieux nous dit Richepin, alors que le poème de Rimbaud ne manque pas de proclamer que l'homme est au cieux s'il a la foi amoureuse en Vénus, et tout cela dans une opposition au discours contempteur de la religion chrétienne, sauf que chez Rimbaud, au-delà du talent dans la facture des vers, il y a une mise en place des idées autrement percutantes que dans le schéma assez poussif du poème de jeunesse de Richepin. Il sera mieux inspiré quand il fera l'équivoque des roses naîtront d'un étron dans sa Chanson des gueux, mais le poème "Credo" n'est évidemment pas flatteur pour Richepin en comparaison de ce qu'est capable de faire Rimbaud. Il paraît que "Credo in unam" c'est une méprisable marqueterie de poète débutant qui admire niaisement et sans savoir-faire différents modèles de poèmes célèbres des romantiques et des parnassiens, sans aucune originalité dans les idées. Parce que c'est ça qu'il pense de "Credo in unam" l'essentiel des rimbaldiens...
Non ? Je mens ? Ouais, faites-moi mentir sur le coup, ça vaudra mieux.
Le dernier quatrain de Richepin célèbre un dieu d'amour, le Dieu chrétien auquel il se maintient alors, mais notez qu'il lui applique la métaphore solaire ("dore") et l'idée aussi d'une âme remplie comme un corps qui serait poussé à ses limites par une force intérieure irrépressible : "dont le regard emplit et dore / Notre âme...", mot "âme" avec lequel fait calembour le titre "Credo in unam".
Et si la pointe du poème de Richepin est médiocre, assez mal amenée : je ne crois pas à ces cagots qui prennent "Dieu pour un vrai sourd", outre qu'on peut penser à "Silences traversés des Mondes et des Anges" quand on a l'intelligence comme moi de rapprocher "Voyelles" de "Credo in unam", ce que j'ai fait dans mon article "Consonne" de 2003, il faut songer que dans "Credo in unam" Rimbaud se plaint des hommes, même laïcs, qui sont aveugles à la révélation d'amour de Vénus. On passe de la surdité prêtée à Dieu à l'aveuglement des hommes sans foi d'un poème à l'autre. Rimbaud emploie le mot "Aveugle"' dans "Les Soeurs de charité", pas dans "Credo in unam", mais il parle bien de l'idée de cécité morale des hommes, et il couple même précisément le fait d'être aveugle et le fait d'être sourd dans le vers suivant : "Et va, les yeux fermés, et les oreilles closes !"
Et vous me ferez plaisir de remarquer que le vers que je viens de citer précède le couple de vers avec "Roi" et "Foi" à la rime.
Voilà, je vais m'arrêter sur ces huitains de Richepin. Je n'ai pas relu "Credo in unam" pour rédiger cet article, j'ai laissé parler les résonances en moi, et j'allais simplement vérifier les vers.
Peut-être que je ferais de nouveaux rapprochements en lisant directement "Credo in unam" ? Il faut aussi relire "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" dans le même esprit.
Dans son article, Bienvenu soutient que Rimbaud n'avait pas parlé de son envoi à Banville, en doublant cela d'une autre hypothèse selon laquelle il n'aurait pas souhaité que l'inspiration de Richepin soit identifiée. Je pense différemment. L'inspiration de Richepin est dérisoire face à ce que Rimbaud arrive à créer, je précise que ci-dessus nous n'avons pas du tout parlé de tout ce qu'il y a à dire sur la complexité de "Credo in unam". Et nous ne savons pas clairement à quel point Izambard a pu ignorer l'envoi d'une lettre à Banville. Izambard n'en a jamais parlé, mais il a pu oublier ce fait passé. Puis, Rimbaud a remis "Soleil et Chair" à Demeny, et même sans le titre "Credo in unam" Izambard verrait l'expression d'un credo, les répétitions "je crois", l'image du roi, la rime "roi" et "foi", et l'opposition au christianisme, et Izambard aurait dans la foulée identifier les références à Leconte de Lisle, Musset, et compagnie. En revanche, il n'est pas idiot de penser que Rimbaud a pu taire à Izambard sa lettre à Banville pour lui réserver la surprise au cas où Banville aurait fait honneur à ses poèmes, voire aurait engagé la publication sollicitée...
Oui, Rimbaud a probablement dissimulé qu'il écrivait à Banville à Izambard. Les témoignages méprisants d'Izambard sur le tard tendent à prouver qu'il n'était pas fort au courant des contacts de Rimbaud avec des poètes parisiens, avec Banville, mais surtout avec André Gill, Jean Aicard, et forcément Paul Verlaine qui l'hébergea un peu trop vite à Paris en septembre 1871 que pour pouvoir prétendre ne l'avoir jamais connu que par lettres interposées un mois auparavant...
Enfin, bref !
J'ai dû oublier dans mon long déroulé de dire que dans "Alcide Bava" on retrouve le vers : "Mon coeur bave à la poupe" dont Izambard eut la primeur, suite sans doute à débats houleux entre le maître et l'élève, et je reviens sur le début de la lettre de 1870 à Banville pour confirmer une énième fois la tendance de Rimbaud à parler à quelqu'un comme s'il continuait une querelle avec un autre. J'ai déjà fait de longs articles qui ont essuyé des soupirs dédaigneux et condescendants des rimbaldiens sur le fait que la lettre du 15 mai à Demeny était une réponse décalée à Izambard et que c'était parce qu'Izambard avait détruit une partie de son courrier que nous attribuions à Demeny une discussion privilégiée. Or, ici, on voit que même quelqu'un d'important à l'époque parmi les poètes, Banville, subit sans pouvoir s'en rendre compte l'expression de la rancoeur de Rimbaud à l'égard d'un professeur poète de province dont le tort n'est pas d'être un inconnu de province, mais un esprit fadasse non fait pour la gloire littéraire.
Vous croyez que c'est invraisemblable d'être comme ça, ben non vous voyez bien que Rimbaud est ainsi fait...
Et là ceux qui pensent encore que Rimbaud doit être épargné par la critique des sources, parce qu'il ne saurait s'abaisser à s'inspirer de la lie de l'humanité, il va falloir sérieusement revoir votre copie. On vous montre du doigt comme Rimbaud fonctionne, comment il conçoit même sa poésie, on vous explique même que, justement, il s'inspire de la médiocrité pour mieux construire sa supériorité, et pour mieux donner l'exemple par la comparaison que lui sait complexifier la poésie à une point sublime.
Rimbaud, ce n'est pas un poète qui écoute la musique aux voix "autotunées", informatique et sans instrument, sans complexité mélodique, sans complexité harmonique, de ces vingt-cinq à trente dernières années...
Ce n'est pas un con, c'est un gars intelligent (j'ai failli dire "mec", mais ça c'est réservé à Macron pour les hommes qu'il envoie au casse-pipe en Ukraine).
J'en profite pour rappeler que récemment j'ai mis en liaison le poème "Ophélie" avec un poème des Nuits d'hiver de Murger, auteur que les rimbaldiens ne daignent citer, sans le lire, que pour les Scènes de la vie de bohème. En revanche, à cause de l'écho des terminaisons de l'indicatif futur simple, lier "Sensation" à "Demain, dès l'aube...", ah oui, ça c'est important, hein ! ça c'est évident, hein ! Est-ce que ça l'est tant que ça ?
Et donc dans ce poème "Credo in unam" où se trouvent des vers qui ont d'ailleurs une ressemblance formelle avec des vers érotiques d'Henri Cantel, Rimbaud surpasse le modèle étriqué de Richepin à ses dix-sept ans, et dans sa confession à Banville on sent le persiflage de la fausse naïveté sur les vers qui sont du printemps, sur ce quelque chose qui monte en lui. On a déjà une idée du sarcasme du titre "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" et sans doute aussi un sarcasme contre Richepin qui parle de Lisette dans son credo d'amour un peu au ras des pâquerettes, et je remarque un glissement cruel pour Richepin, puisque de l'expression à la rime "Dieu que j'adore" Rimbaud reprend le verbe pour dire à Banville qu'il adorera toujours les deux déesses, Muse et Liberté. Et vous y songez que, depuis le temps que je vous dis, que "Voyelles" parle du regard d'une allégorie féminine reliant la Vénus de "Credo in unam", la Raison, Being Beautous, etc., entre elles, vous avez là une nouvelle preuve, puisque je découvre dans "Credo", source d'inspiration pour "Credo in unam" un regard Dieu qui dore Notre âme, avec expression en rejet en tête du vers suivant, en manière d'excroissance du complément "Notre âme". Le "rayon violet de Ses Yeux", il est fécondant ou non ? Ce n'est pas une lumière ultime digne de la référence solaire qui vient emplir nos âmes et si pas les dorer leur apporter les nuances subtiles de sa propre singularité ? Rayon doré, rayon violet : même combat !
Vous lirez peut-être "A une Raison", "Voyelles", "Aube", "Being Beauteous", etc., différemment, maintenant que vous voyez tout ce que posait le poème "Credo in unam" et le discours tenu à Banville, et vous pouvez apprécier que Rimbaud connaissait sa première lettre à Banville par coeur, puisque non seulement il se rappelait lui avoir déclaré "j'ai presque dix-sept ans", mais quand en 1871 il écrit : "j'aimerai toujours les vers de Banville", il joue à faire un sous-entendu : même si je vous fais du rentre-dedans parce que vous n'êtes pas fichu de cerner ma valeur, j'aurai toujours le sentiment que vos vers sont emplis de l'esprit des dieux Muse et Liberté.


Post scriptum : je n'ai pas recopié le poème, parce que je voulais profiter de ce que Murphy n'ait pas encore déchiffré le manuscrit pour coiffer tous les rimbaldiens.
Ah oui, j'ai oublié la comparaison avec la lettre du 10 juin : est-ce bien une dédicace "A Monsieur Paul Demeny" au-dessus des "Poètes de sept ans". Dès le début de mon article, je prévoyais pourtant d'en parler. Tant pis, vous aurez une petite suite.
Et j'ai déjà une observation à corriger. Rimbaud a écrit dès la première lettre à Banville qu'il avait "presque dix-sept ans", première lettre qui contient la pièce "Credo in unam". Du coup, il était bien obligé pour maintenir la supercherie de parler de ses dix-huit ans l'année suivante. En revanche, cela invite à penser que dès la première lettre à Banville Rimbaud jouait à s'identifier à Richepin, à l'âge de Richepin, "presque dix-sept ans", et les dix-sept ans concernaient aussi Izambard, et cela conforte à nouveau l'idée que dans un vers tel que : "On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans", Rimbaud ne parle pas de lui-même en se vieillissant. Il peut s'inclure partiellement, mais il ricane du motif des dix-sept ans printaniers de Richepin, d'Izambard, tout comme il assiste à Douai aux amours du poète Paul Demeny avec une fille de dix-sept ans qu'il a mise enceinte à peu près au moment du séjour de Rimbaud.

jeudi 21 mars 2024

Tentative de déchiffrement du poème "Credo"

Sur son blog "Rimbaud ivre", Jacques Bienvenu a mis en ligne trois photos de fac-similé d'un poème inédit de Jean Richepin intitulé "Credo". Le poème est composé de quatre huitains d'octosyllabes, lesquels huitains ont un schéma de rimes un peu particulier : ababcccb. Le poème est assez faible et a un développement différent de celui de Rimbaud, mais il y a deux, trois rapprochements tout à fait pertinents. On peut l'acter pour le titre qui a été déchiffré : "credo". Maintenant, peut-être que j'ai lu n'importe comment le manuscrit. Tant qu'on n'aura pas un déchiffrement par Marc Dominicy, Alain Vaillant et Alain Bardel, validé par Steve Murphy, et publié chez Parade sauvage ce fac-similé demeurera en l'état illisible. Moi qui lit "autels" pour "outils", "ou daines" pour je ne sais quelle bonne leçon que je n'ai même pas su mémoriser, et ainsi de suite, je demande l'assistance d'un rimbaldien autorisé, car je crois lire à la suite du poème la mention "Douai - Janvier 1866", mais je ne suis pas sûr, peut-être que c'est "1868" ou pourquoi pas "1968". Tant que le document ne sera pas dûment déchiffré, toute conclusion ne peut être que désespérément hâtive...


lundi 18 mars 2024

Annonce de deux articles

Bon, dans une époque de sombres crétins, je mets encore des articles en ligne où j'étudie la poésie.
J'ai aussi des doutes sur mes lecteurs. Les deux articles "Le Voyage mental" ont eu moins de succès que les articles "trois erreurs d'approche d'un tel", etc. L'article sur le schéma narratif avec son titre qui fait réfléchir est dans la même impasse.
A part ça, j'ai étudié de près deux article sur Une saison en enfer. J'exploite le livre Lectures des Poésies et d'Une saison en enfer de Rimbaud, dirigé par Murphy et paru aux Presses Universitaires, en 2009.
Un de mes articles y figure. Il est excellent, malgré une partie centrale à corriger sur le poison et Nuit de l'enfer, et encore c'est instructif. Il y a d'ailleurs dans ce volume collectif l'article de Laurent Zimmermann sur le poison qui tout en se maintenant dans une thèse erronée remet bien en cause la thèse du poison baptême ou conversion. Il y a l'article de Pierre Laforgue sur les "damnés de la terre". Et puis, il y a l'article d'Henri Scepi : "Logique de la damnation", dont je vais prochainement rendre compte. Cela fait au moins quatre articles de référence. J'ai laissé mon livre dans une autre pièce, donc je ne sais plus ce que je peux citer d'autre comme bons articles précisément dans ce volume-là, lequel volume n'a que la moitié de ses articles consacrés à Une saison en enfer. Mais, bref, c'est un ouvrage de référence. Puis, il y a un article dont je vais rendre compte, celui de Vincent Vivès sur "l'usage des intensités". Je vais le décortiquer, parce que c'est un article complètement lunaire sous une apparence sérieuse. Le propos tenu se développe de manière suivie et nourrie, comme si c'était sérieux, sauf que les raisonnements sont pleins de failles et les affirmations impromptues, sans aucune justification, créent une patine qui endort efficacement la vigilance, encore que ça reste une lecture très floue malgré tout. Puis, j'ai une super idée qui m'est venue. Le critique littéraire peut jouer aux écrivains qui a des traits de plume, des saillies d'esprit, en rédigeant un article d'étude littéraire. Et il y a une sorte de légitimité qui lui est spontanément accordée, puisqu'il vaut mieux que le critique littéraire sache un tant soit peu lui-même pratiquer la rhétorique et les tours stylistiques des bons écrivains, cela va donner une impression de maîtrise du domaine, si pas du sujet. Puis, si les gens comme moi contestent, on va se retrouver avec l'éternelle blague : quand c'est un poète qui le fait, c'est bien, quand c'est un critique, c'est mal. Je vais donc essayer de montrer que le critique littéraire ne fait pas la même chose qu'un grand écrivain en dépit des apparences. Je vais faire éclater la bulle. Je vois à peu près ce que je dois faire et l'article de Vivès va me servir de galop d'essai, pour après faire quelque chose de plus d'ampleur. Puis, je vais épingler aussi des analyses biaisées. Pour "ça ne veut pas rien dire", Vivès prétend que le sens ne saurait être : "ça veut dire quelque chose", car c'est la double négation qu'il faut commenter, et il part dans une analyse étymologique : "rien" vient du latin res, rem, ce dont on se contrefiche bien pas mal ici, et il finit par ne garder que ce qui est en-dehors de la double négation (drôle de façon de la considérer comme importante) pour retenir "ça veut dire", et là il part dans le vouloir-dire hors-sens des intensités.
Je vais mettre un peu de temps à rédiger l'article, mais bon je pense qu'il est grand temps de s'attaquer à cette façon d'écrire et de penser.
Pour "ça ne veut pas rien dire", la double négation s'explique tout simplement par l'idée qu'un propos peut en rapporter un autre. Le professeur dirait : "ça ne veut rien dire", le poète dit : "non", et au lieu d'écrire ça en plusieurs phrases, il envoie à la tête du phrase : "ça ne veut pas rien dire." Autrement dit, il l'anticipe et ne lui laisse pas le temps de se braquer.
Il faut arrêter les délires interprétatifs, alors que la beauté d'écriture de "ça ne veut pas rien dire" elle est de bon sens dans ce que je viens de préciser.

Pour l'article de Scepi, d'abord, il y a un passage où il dit à peu près ce que je dis : l'histoire est avant tout un récit par les livres d'une histoire officielle avec ses codes, etc. Il cite un peu plus loin les passages sur les souvenirs et met ça en relation avec l'idées des images. Bref, sans s'y confondre, il approche de très près ma propre lecture sur les références nécessairement livresques de l'histoire de France dans "Mauvais sang" et il manque de peu l'élucidation du principe du souvenir.
Il prend aussi le temps de dire que l'enfer n'est pas celui d'Hadès, mais celui de l'axiologie chrétienne, on pourrait croire à une vérité de La Palice, mais ce n'est pas si anodin que ça de le rappeler.
Et puis, il prend pour référence le mythe romantique du damné et il précise que, normalement dans le cadre romantique, le damné, qui est par définition voué au mal, incarne un héroïsme qui va modifier la société et qui va être rédempteur. Et Scepi va un peu développer que le cas est différent dans Une saison en enfer, mais à mon sens Scepi n'a pas pris la pleine mesure du contraste entre le modèle romantique rédempteur et le modèle rimbaldien. En effet, je vais encore travailler l'article, mais même si cet article me plaît, j'ai l'impression que mes raisonnements vont plus loin sur la non-correspondance du modèle au héros d'Une saison en enfer. Donc ce sera un article de compte rendu, mais où je vais profiter d'une idée qu'il met en place pour creuser d'une façon mienne ma propre perception de la fin de la damnation. Je ne vais pas renouveler ma lecture qui est déjà très ferme, mais peut-être que je vais trouver le terrain qui permettra de mieux me faire comprendre auprès du public rimbaldien. Je sens qu'il y a un truc à jouer, donc je vais faire ça dans les jours à venir.
En vérité, j'ai pas mal d'autres boulots en cours, donc ça risque de traîner dix jours, mais j'y attache de l'importance.
A bientôt !

Vos devoirs pendant ce temps : lire les articles récents de ce blog que vous avez négligés, manifester contre l'envoi de troupes françaises en Ukraine, participer à une demande de destitution de Macron, écrire publiquement et massivement des articles contre l'emprise des Etats-Unis et la corruptions des dirigeants et partis politiques des pays de l'Union européenne.
Bye !


samedi 16 mars 2024

Livres en ligne sur les Illuminations !

Je n'entre pas dans le débat s'il faut écrire les Illuminations ou Les Illuminations. Je ne serais pas surpris qu'il faille écrire Les Illuminations, mais j'ai pris l'habitude du titre Illuminations.
En tout cas, je voulais signaler à l'attention que j'ai trouvé deux livres sur Les Illuminations qui peuvent être intégralement consultés sur internet.
Dans la bibliographie des Illuminations, il y a quelques livres de référence qui étudient à fond le sens de différents poèmes, par opposition à d'autre profils d'ouvrages sur Rimbaud et les Illuminations.
Les principaux ouvrages recommandés sont les suivants :

Antoine Fongaro, De la lettre à l'esprit, Pour lire Illuminations, Champion, 2004, ouvrage qui regroupe pas mal de publications d'ouvrages antérieurs parus aux presses universitaires de Toulouse le Mirail : Pour lire Illuminations, "Fraguemants" rimbaldiques, Matériaux pour lire Rimbaud et un quatrième dont le nom m'échappe. En revanche, on perd le volume Segments métriques dans la prose d'Illuminations, ce qui est dommage, même si l'étude était partie sur quelques fondements erronés.

Bruno Claisse, Rimbaud ou le dégagement rêvé, Bibliothèque sauvage, 1990, puis Les Illuminations et l'accession au réel, Classiques Garnier, 2012. Quelques articles n'ont pas été recueillis dans ces deux volumes du même auteur.

Pierre Brunel, Eclats de la violence, Corti, 2004.

Yves Reboul, Rimbaud dans son temps, Classiques Garnier, le volume contient quelques articles sur les poèmes en prose.

Après cela, il faut partir à la pêche aux articles dans différentes revues. On a le livre Duplicités de Rimbaud qui se rapproche à peu près d'une collection d'articles commentant certains poèmes, mais on reste quand même en-deçà de l'effort privilégié de l'élucidation du sens. Il existe aussi un livre que je n'ai jamais eu entre les mains, dont je ne connais même pas la couverture, celui d'Albert Henry : Contributions à la lecture de Rimbaud, il est vrai que je n'en attends pas grand-chose. Et puis, enfin, il y a deux livres, l'un réunissait à titre posthume les articles de Sergio Sacchi et l'autre était une suite d'études inédites d'Antoine Raybaud.
Le livre de Sergio Sacchi, de manière inexplicable, je l'ai téléchargé par hasard au fichier PDF sur internet. Je possédais déjà cet ouvrage, mais il a été détruit, mais c'est après l'avoir téléchargé que je me suis rendu compte de ce ce que c'était. C'est une publication de la Sorbonne, je ne sais pas où je l'ai récupéré, je faisais des opérations à toute vitesse sans faire attention. Je sais que c'est sur le net, et ce n'est pas une version Google books que j'ai.
Sergio Sacchi, Etudes sur les Illuminations de Rimbaud, Presses de la Sorbonne, 2002.

Et puis, on arrive au volume d'Antoine Raybaud. Je n'arrive pas à le télécharger, mais on peut le consulter sur le site Gallica de la BNF. On tourne les pages de sa mise en ligne en fac-similé. Je suis loin d'être convaincu par ce livre qui a fait du bruit parmi les rimbaldiens à sa sortie. On voit bien que personne ne le cite jamais, un quart de siècle plus tard.

mercredi 13 mars 2024

Trois erreurs d'approche de l'essai de Bardel sur Une saison en enfer (éternité, charité et travail)

Je poursuis mon analyse d'Une saison en enfer. C'est vraiment mon affaire de l'année 2023-2024, année au sens scolaire on va dire. Et si j'étais dans les conditions optimales pour le faire, imaginez à quel point nous irions loin.
Je voulais réagir sommairement à trois erreurs d'approche d'Alain Bardel, en identifiant clairement là où le bât blesse, et en dépit des apparences d'une analyse simple de quelques détails cela touche à la compréhension d'ensemble de l'ouvrage rimbaldien.
Le 08 mars 2024, "tout dernièrement" comme dirait l'autre, Bardel a mis en ligne une étude sur le poème "L'Eternité" dont la vente d'un manuscrit a fait du bruit quelques semaines auparavant. Ce qui est frappant, c'est que Bardel étudie ce poème avec le passage en prose qui l'introduit dans Une saison en enfer. Et, ce qui m'a frappé, c'est qu'au lieu de commenter le poème "L'Eternité" comme décrivant une aube, il a ironisé sur cette lecture pour défendre celle d'un couchant.
Nous allons voir ce qu'il en est de la séquence en prose introduisant à la lecture du poème dans "Alchimie du verbe", c'est la raison pour laquelle j'inclus ce point dans mon article, mais je voudrais déjà déclarer mon étonnement en regard du poème en vers lui-même.
Bardel considère donc que son article ponctué de ses remarques personnelles relève du "panorama critique". Il fournit une abondante bibliographie, à l'exclusion bien évidemment de ce que j'ai pu écrire sur internet, cela va de soi. Il ne rassemble que trois lectures fouillées du poème, ce qui est peu, celles de Bernard Meyer, de Christophe Bataillé et d'Antoine Nicolle. Je possède le livre de Bernard Meyer, mais j'ignore tout des deux autres lectures. Bernard Meyer n'est connu que pour ce livre sur Rimbaud paru au milieu des années 1990, auquel il faut ajouter deux ou trois articles d'époque, parus notamment dans la revue Parade sauvage et qui sont des compléments à une étude portant exclusivement sur l'ensemble appelé "Derniers vers". Meyer a le mérite de faire des études méthodiques très poussées et très soignées, mais en se permettant de prendre aucun risque au plan des visées profondes du discours rimbaldien. C'est un excellent livre de mise au point avec des garde-fous, mais on en attend plus d'un commentateur rimbaldien. Puis, il ne maîtrisait pas les questions de forme. Christophe Bataillé a fait pour moi un début assez fracassant avec l'article sur "Roman", ce qui assure à Bataillé d'avoir produit un article de référence sur un poème de Rimbaud. Il est devenu un collaborateur régulier de la revue Parade sauvage. Malheureusement, il n'a plus jamais produit un article aussi marquant que celui sur le poème "Roman" et s'il a fait une thèse sur "Les Déserts de l'amour" je n'ai pas pu la lire et les articles parus depuis par lui ou d'autres ne m'ont pas fait comprendre l'importance de son travail. En fait, parmi les nouveaux rimbaldiens vers le tournant du millénaire, je ne lisais pratiquement que les articles de Christophe Bataillé et Philippe Rocher. Les autres nouveaux rimbaldiens, Frémy compris, ne m'intéressaient pas. Je le dis comme je le pense. Enfin, Antoine Nicolle, est un tout nouveau venu de ces dernières années, je ne le connais pas. Il a fait un article sur "Chant de guerre Parisien", que je n'ai pas eu le temps de lire soigneusement, mais l'ayant lu en diagonale je l'ai trouvé assez costaud.
Maintenant, j'aimerais que sur ces trois lectures-là précisément, Bardel nous dise qui fait une lecture en fonction de l'aube, qui en fonction du couchant. N'ayant pas lu l'article de 2017 de Bataillé, j'ai essayé de repérer cela en lisant les notes rapidement du panorama critique, et je n'ai pas trouvé, j'ai eu l'impression que l'aube était privilégiée, mais sans certitude. L'étude d'Antoine Nicolle n'est jamais citée par Bardel, soit par respect d'une étude à paraître, soit parce qu'il référence un article qu'il n'a pas encore lu. Mais dans son titre Nicolle parle de l'aube sous le mot "alba". Je ne me souviens pas de la lecture de Meyer. Bref, Bardel dresse un panorama critique qu'il accompagne de notes et il anonymise les critiques rimbaldiens qui prétendent lire une aube dans le poème "L'Eternité" pour affirmer que la lecture d'un couchant vaut mieux. Bardel cite aussi les pages consacrées au poème "L'Eternité" par une quantité élevée de rimbaldiens : Jean-Pierre Richard, Margaret Davies, René Etiemble, Yoshikazu Nakaji, Jean-Paul Corsetti, Albert Henry, Jean-Luc Steinmetz, Michel Murat, Antoine Fongaro, Yann Frémy, Alain Vaillant, Alain Bardel lui-même, Suzanne Bernard, Marcel A. Ruff, Pierre Brunel, Steve Murphy, André Guyaux. Certains sont cités pour plusieurs interventions et je rappelle que Bataillé, Meyer et Nicolle ont un statut différent puisqu'eux fournissent une étude fouillée du poème sous la forme plus contraignante d'un article complet d'une certaine étendue.
Comment Bardel peut écrire aussi vaguement ceci ?
[...L]'image fusionnée de la mer et du soleil correspond, certes, à un point de l'espace mais elle renvoie surtout, pour la plupart des commentateurs, à un moment précis de la journée : l'aube pour certains, le crépuscule pour d'autres. Les exégètes, sur ce point, se divisent en deux parties égales. Ma préférence personnelle va au crépuscule. [...]
Moi, je veux des noms. Je veux savoir qui dit quoi ! Ce n'est pas difficile de mettre des énumérations entre parenthèses à côté du camp de l'aube et à côté du clan du couchant. On pourrait en plus apprécier une éventuelle évolution dans le temps. Peut-être que dans un lointain passé une lecture primait et que plus récemment la faveur est plus marquée en faveur de la lecture opposée. Si Bardel ne fait pas ça, son panorama critique ressemble à un fourre-tout. Il parle d'une concurrence égale des deux lectures, mais est-ce qu'il a vérifié ? Est-ce que réellement une lecture n'a plus les faveurs de la critique que l'autre ?
En tout cas, c'est à l'analyse du poème de trancher.
Et moi, j'attends qu'on m'explique comment on peut soutenir la lecture d'un couchant avec pour chaque quatrain de vers courts du poème un indice flagrant d'une référence à l'élévation du soleil dans le ciel.
Je laisse de côté le quatrain qui sert de refrain et bouclage au poème, c'est le quatrain qui est lu soit comme une allusion à l'aube, soit comme une allusion au couchant. Admettons que ce quatrain soit plus difficile à déterminer. Mais il y a les autres quatrains.
Âme sentinelle,
Murmurons l'aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.
Jusqu'à plus ample informé, l'âme sentinelle guettait la lumière et l'éternité dans la nuit et ici le poème s'exprime à l'instant de l'éternité retrouvée, donc à l'instant de jaillissement de la lumière d'éternité. Il y a un double aveu par la nuit et par le jour, mais dans un cadre de couchant la nuit étouffe le jour en feu, ce qui ne cadre pas avec un double aveu de la nuit et du jour. La nuit avoue sa nullité, donc elle ne prend pas l'ascendant. Certes, Bardel peut soutenir que "nuit si nulle" ça ne veut pas dire "la nuit s'annule" au matin, mais le sens du quatrain il est limpide et clair. Nous avons un lever de soleil sur la mer. Et la nuit se réjouit de l'apparition de la lumière. C'est du b.a-ba. Dans "Alchimie du verbe", la nuit est dite "seule". Il est plus logique de parler de "nuit seule" quand elle se retire le matin que quand elle est triomphante le soir.
Des humains suffrages,
Des communs élans,
Là tu te dégages
Et voles selon.
Le verbe "dégager" doit vous suggérer le lien avec le poème ultérieur "Génie" qui parle de "dégagement rêvé", et le fait de se dégager en s'envolant, c'est une idée d'élévation de cette éternité. Encore une fois, ça ne cadre pas avec un couchant, mais bien avec le lever du jour. D'ailleurs, l'expression de Rimbaud semble venir tout droit d'un passage du poème "Souvenir" de Musset où il est question de la Lune (ce que j'ai déjà écrit à plusieurs reprises).

Voyez ! la lune monte à travers ces ombrages.
Ton regard tremble encor, belle reine des nuits ;
Mais du sombre horizon déjà tu te dégages,
    Et tu t'épanouis.
Je vous explique ! Rimbaud a écrit un quatrain de vers courts volontairement et partiellement mal rimé, avec une référence à Banville que je ne développerai pas ici, mais on reconnaît la base du quatrain de rimes croisées. Nous avons une rime "suffrages"/"dégages" et une rime approximative, une quasi assonance de syllabes nasalisées : "élans"/"selon". Chez Musset, vous relevez la même rime en "-ages" avec le même mot "dégages" à la rime, et il s'agit dans les deux cas d'une conjugaison à la deuxième personne de l'indicatif. Plus nettement, dans les deux poèmes, c'est la même séquence "tu te dégages" qui est calée à la rime. Et dans l'enchaînement, nous avons un parallèle sensible entre les expressions conclusives des deux poètes : "Et voles selon" contre "Et tu t'épanouis." L'altération de mesure du vers conclusif nous rapproche à une sylabe près des vers de Rimbaud d'ailleurs.
Oui, il y a des gens assez peu intelligents, assez peu lucides, qui vous diront que les ressemblances n'engagent à rien. ll ne faut pas s'occuper d'eux.
A partir de ce constat, vous constatez que Musset précise que se dégager se fait par rapport à l'horizon, et il parle d'un deux grands astres visibles depuis la Terre. Rimbaud il parle du soleil qui se dégage à l'horizon. Et pourquoi la mer irait avec le soleil ? Ben tout simplement, on a une image au loin de la mer qui va jusqu'à l'horizon et donc jusqu'au soleil qui apparaît. La variante des Poètes maudits, c'est de toute évidence une erreur du prote, mais il a compris le mouvement : "la mer allée / Avec les soleils". Dans son erreur de transcription, il donne au moins l'idée que la mer semble monter au ciel vers les étoiles.
Mais même en abandonnant cette coquille, le lien avec "Souvenir" de Musset est éloquent. J'ajoute que le poème parle de "bruyères fleuries", la "bruyère" étant un motif du poème "Larme" sans oublier "Michel et Chrsitine", et  nous avons aussi l'idée du "murmure". En effet, dans le poème "L'Eternité", Rimbaud parle du murmure de la nuit et du jour, donc d'un murmure de dimension cosmique. Or, dans la poésie romantique ou autre, nous sommes habitués au murmure de la Nature, Rimbaud hyperbolise cette idée du murmure en quelque sorte, et ce mot "murmure" il figure aussi comme par hasard dans le poème "Souvenir" de Musset, et plutôt vers le début, et notez la mention familière "Les voilà" qui nous rapproche de l'expression de Rimbaud dans son refrain, relevez aussi les mentions du type "Voyez" chez Musset.
Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries,
Et ces pas argentins sur le sable muet,
Ces sentiers amoureux, remplis de causeries,
    Où son bras m'enlaçait,

Les voilà ces sapins à la sombre verdure,
Cette gorge profonde aux nonchalants détours,
Ces sauvages amis, dont l'antique murmure
    A bercé mes beaux jours.
Musset parle de la Lune et du souvenir lié à la mort, Rimbaud parle du Soleil et d'un sentiment d'éternité. Mais l'approche de Rimbaud a à voir avec l'idée d'un souvenir et d'un retour de vie pour l'âme sentinelle qui exprime de la patience. Si l'éternité est retrouvée, c'est qu'elle semblait perdue et qu'elle vivait dans le souvenir, et le poète patientait, attendait son retour. Pour Musset, le souvenir est lui-même le retour de flamme, il en va un peu différemment dans la poème de Rimbaud qui se sert donc du poème de Musset comme modèle, mais pas pour le redire, puisque le sujet est complètement modifié.
Notez qu'après le quatrain où Musset tutoie la Lune en célébrant son envol, nous avons un quatrain remarquable qui fait étonnamment écho à "communs élans" et "humains suffrages",  dans la mesure où on a l'idée de s'arracher au sol :
Ainsi de cette terre, humide encor de pluie,
Sortent, sous tes rayons, tous les parfums du jour :
Aussi calme, aussi pur, de mon âme attendrie
   Sort mon ancien amour.
Face à une "âme sentinelle", nous avons une "âme attendrie", et nous observons l'élévation d'un "ancien amour" chez Musset comme chez Rimbaud la révélation d'une éternité qui monte au ciel.
Musset parle ensuite de chagrins éloignés, d'une régénération en enfant et il parle du temps précisément : "puissance du temps", "légères années", "éternel baiser", "Ne dure qu'un instant", "A chaque pas du Temps", "C'est là qu'est le néant", etc. Musset emploie aussi le mot "étincelle" que Rimbaud utilise dans son introduction en prose au poème dans "Alchimie du verbe". Et Musset reproche à Dante de décrier le poids du souvenir heureux, en lui répliquant qu'il ne faut pas oublier la lumière même si nous sommes dans la nuit !
En est-il donc moins vrai que la lumière existe,
Et faut-il l'oublier du moment qu'il fait nuit ?
Est-ce bien toi, grande âme immortellement triste,
     Est-ce toi qui l'as dit ?
Et je vous cite deux quatrains plus loin le passage avec le mot "étincelle" :
Eh quoi ! l'infortuné qui trouve une étincelle
Dans la cendre brûlante où dorment ses ennuis,
Qui saisit cette flamme et qui fixe sur elle
            Ses regards éblouis ;
Rimbaud parle lui de vivre "étincelle" de la lumière nature et des "braises de satin"...
On parlais des expressions "communs élans" et "humains suffrages", voici une interrogation qui va dans ce sens :
Qu'est-ce donc, juste Dieu, que la pensée humaine,
Et qui pourra jamais aimer la vérité,
[...]
Musset s'adosse à l'idée religieuse, Rimbaud la parodie en parlant de la Nature comme référent ultime, vérité à la rime fait penser précisément à notre titre "l'éternité". Rimbaud a retrouvé la vérité qui est l'éternité de la Nature en feu. Il vit de la lumière nature, lui !
Musset parle aussi de la prise à témoin erronée d'un ciel toujours voilé....
Il parle d'une voix qu'il ne trouvait pas, quand Rimbaud traite d'une éternité retrouvée.
Je rappelle aussi que ce poème "Souvenir" contient précisément l'hémistiche "O Nature ! ô ma mère !" que cite Rimbaud dans la lettre à Laitou de mai 1873 à Delahaye, moment où composant Une saison en enfer il remanie son poème "L'Eternité" pour l'inclure dans "Alchimie du verbe". L'expression : "O nature ! ô ma mère !" vient des Rêveries du promeneur solitaire de Rousseau sous la plume de Musset, mais ce dont nous sommes certains c'est que Rimbaud fait référence au poème de Musset "Souvenir", l'idée d'une allusion à Rousseau de la part de Rimbaud n'étant plus qu'hypothétique dans les conditions actuelles de détermination des sources.
Et on arrive aux deux derniers quatrains du poème de Musset, j'ai passé d'autres détails à relever, et on a la mention à la rime "simulacre humain", on a la fixation d'un moment "A cette heure, en ce lieu" et de là l'affirmation d'une réalité d'éternité de l'amour produit par cet instant :
[...]
J'enfouis ce trésor dans mon âme immortelle,
    Et je l'emporte à Dieu !
Alors, on peut avoir des lectures rimbaldiennes qui vont lire les sarcasmes contre les sources ciblées, mais jamais envisager que Rimbaud pose en mystique en réponse à ses sources critiquées. Moi, il me semble assez évident que dans "Voyelles" ou "L'Eternité" pose en mystique, ça ne veut pas dire que Rimbaud a une croyance mystique, mais pour exprimer ses convictions Rimbaud expose de toute façon des contre-modèles mystiques qui ont une sorte d'aura de sincérité.
En tout cas, cela fait vingt ans au moins que j'ai la référence du poème "L'Eternité" au poème "Souvenir" de Musset. J'ai dû l'écrire dans un article de Parade sauvage. Je l'ai écrit quantité de fois sur internet. C'est vrai que je n'ai jamais publié d'étude suivie des liens du poème de Rimbaud à cette source.
Vous voyez bien que Rimbaud parle d'une élévation d'un astre de lumière... Vous sentez aussi tout l'intérêt énorme du poème de Musset pour mieux comprendre les soubassements de la pensée imagée de Rimbaud dans ses "Fêtes de la patience". J'ai des tonnes de choses à dire que je n'ai jamais dites, sachez-le !

Passons à la suite des quatrains. Je passe sur celui du devoir qui s'exhale des braises de satin, encore que le mot "enfin" signifie la patience pour une apparition, et je passe directement au quatrain suivant :
Là, pas d'espérance,
Nul orietur,
Science avec patience,
Le supplice est sûr.
Si le poème décrit un couchant, que vient faire l'allusion à une prière du matin "orietur" ? Je passe aussi sur la référence à la "science", référence distincte de son traitement dans Une saison en enfer. Il est clair que "pas d'espérance" et "Nul orietur" sont des oppositions au christianisme. La mer allée avec le soleil, cela n'appartient pas au christianisme, et pied-de-nez en passant au modèle du poème de Musset. En clair, Rimbaud admire une aurore réelle pour nier Dieu.
Passons maintenant à la lecture par Bardel du passage en prose. Apparemment, la possibilité de recherche du syntagme "azur noir" dans la littérature du XIXe siècle a beaucoup progressé sur internet. Personnellement, je ne connaissais que le syntagme à la fin du roman Spirite de Théophile Gautier et j'avais exploité mais laborieusement le vers hugolien de Chansons des rues et des bois : "Fuis dans l'azur, noir ou vermeil," sauf que dans ce vers "noir" qualifie implicitement Pégase et non l'azur. J'avais aussi remarqué qu'il existait des variantes : "azur sombre", etc., chez Rimbaud, Hugo, etc.
Bardel signale à l'attention un autre emploi dans la presse de la part de Gautier, ce qui ravive l'intérêt pour les études rimbaldiennes de s'intéresser à la presse. Ceci dit, il faut justifier une lecture par Rimbaud d'un article sur Léon Gozlan de 1866, ce qui ne va pas de soi. Puis, Bardel fait s'effondrer l'idée que Gautier ait inventé le syntagme "azur noir" en relevant deux occurrences bien plus anciennes de Philarètes Chasles, ce qui a des conséquences considérables. Gautier semble avoir repris l'expression à Chasles, lequel Chasles n'est pas inconnu, il est d'ailleurs celui qui rédige l'introduction de la Grammaire que le père Rimbaud avait refilé à son fils et dont la trace s'est perdue. Et l'expression "azur noir" est donc apparue dans la décennie 1830 et a pu avoir une certaine diffusion vu la célébrité de Philarète Chasles. Il reste à mieux déterminer malgré tout la source précise de Rimbaud quand il reprend "azur noir" au début du poème "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" au sein d'une parodie du premier quatrain du "Lac" de Lamartine. En revanche, pour "Alchimie du verbe", Rimbaud n'a pas écrit : "azur noir", il a écrit "l'azur" tout court et il a ajouté "qui est du noir". Déjà, il y a une différence.
Mais étrangement Bardel qui recense aussi la leçon du brouillon prétend que Rimbaud écrit qu'il fait tomber la nuit dans ce passage en prose, ce qui est plus que manifestement l'inverse de ce qui est dit littéralement :

   Enfin, ô bonheur, ô raison, j'écartai du ciel l'azur, qui est du noir, et je vécus étincelle d'or de la lumière nature.

Le brouillon offre une variante :
   Je crus avoir trouvé raison et bonheur. J'écartais le ciel, l'azur, qui est du noir, et je vivais, étincelle d'or de la lumière nature.
Notez qu'à la lecture de ce brouillon, on peut se demander si le texte imprimé ne contient pas des coquilles, puisque nous passons de "J'écartais le ciel, l'azur," à "J'écartai du ciel l'azur". Il y a changement du temps verbal, imparfait contre passé simple de l'indicatif, et nous passons d'une équivalent : "le ciel, l'azur" à un contraste du ciel et de l'azur. La première version a le mérite d'identifier l'azur mensonger qui est du noir au ciel du christianisme. Dans la version imprimée, le ciel est caché par un azur mensonger et le ciel n'est pas donc pas celui de Dieu à écarter, mais le vrai à chercher. Je me garderai bien d'affirmer qu'il y a des coquilles. La correction peut très bien venir du remaniement du texte par Rimbaud. Mais étudier le remaniement est intéressant en soi. Puis, sur le brouillon, l'emploi du verbe "trouvé" renvoie à la mention "retrouvée" du quatrain de refrain du poème, ce qui veut dire que l'éternité a à avoir avec la raison et le bonheur, avec la "fatalité de bonheur", et on a toujours à l'esprit les propos de Musset répliquant à Dante dans "Souvenir". Mais dans les deux versions Rimbaud prétend écarter, physiquement ou en esprit, l'azur qui est du noir pour vivre de la lumière nature. Donc, il écarte la nuit noire et accueille la lumière du jour en feu. Pourquoi Bardel lit-il l'inverse ? A mon avis, c'est le mot "étincelle" qui explique sa lecture. Selon Bardel, le poète écarte l'azur noir autour de lui et la lumière ne le concerne que lui seul avec son petit corps. Je ne suis évidemment pas d'accord avec cette lecture, puisque Rimbaud ne parle pas de lui comme d'une luciole, mais il dit qu'il devient une étincelle en étant nourri de la lumière "nature". Autrement dit, il reflète la lumière.
Bref, voilà pour la première mise au point.

Au passage, je vous offre un petit bonus sous forme de question : "Avez-vous jamais songé à rapprocher la phrase : "je notais l'inexprimable", du titre Romances sans paroles de Verlaine ? Moi, si, et bien sûr j'implique la mentions "romances" à relative proximité dans "Alchimie du verbe" : "Je disais adieu au monde dans d'espèces de romances".

Mais passons au problème de la notion de "charité". Je rappelle que suite à l'article de Molino se réclamant d'un article de Steinmetz les rimbaldiens ont pendant un certain temps considéré que la lecture du mot "charité" dans Une saison en enfer ne renvoyait pas stricto sensu à la vertu théologale. C'est grâce à moi évidemment qu'aujourd'hui tous les rimbaldiens, Vaillant et Bardel compris, recommencent à dire qu'il s'agit de la vertu théologale. Le site de Bardel avec ses commentaires datés de différentes époques permet de vérifier qu'il est passé de l'idée d'une "charité" propre à Rimbaud à une acceptation de l'évidente référence à la vertu théologale.
Mais, il est question de "charité ensorcelée" dans "Vierge folle", d'une revendication de faire partie des "âmes charitables" de la part de l'Epoux infernal dans des propos rapportés par la Vierge folle, et enfin d'une "charité merveilleuse" revendiquée dans "Mauvais sang".
Pour moi, une "charité ensorcelée", ce n'est rien d'autre qu'un dévoiement de la charité chrétienne. Je n'identifie pas une conception nouvelle de la charité par l'Epoux infernal. C'est la Vierge folle qui s'exprime et pourrait traduire familièrement son propos ainsi : "sa charité est détraquée !" Quand l'Epoux infernal dit de lui qu'il fait partie des "âmes charitables", il faut y voir de la malice, de l'ironie, du gros sel. Et donc il reste l'idée de la "charité merveilleuse".
Evidemment, mes articles récents ont montré que les rimbaldiens ne considéraient pas le poète comme chrétien avant la conversion forcée de la sixième séquence de "Mauvais sang". J'ai montré que c'était faux. Le poète fait mine de se croire un païen en se comparant à des ancêtres gaulois revendiqués comme ses ancêtres directs, le poète fait mine de ne pas se croire chrétien, alors qu'il a été baptisé au berceau comme le rappelle le début de "Nuit de l'enfer", et j'ai montré que Rimbaud s'affronte à une acculturation chrétienne d'enfance quand il dit : "Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme !" Quand Rimbaud parle de l'histoire, il parle non d'un sujet abstrait sur lequel chacun donne son envie, il parle du récit historique officiel auquel son éducation le soumet.
Bref, à la quatrième séquence de "Mauvais sang", ça change tout de penser si le poète a déjà une culture chrétienne ou non ! Mais, de toute façon, dans cette séquence, nous avons une citation par le poète prétendument païen du psaume latin "De profundis clamaui" et il dit avoir des élans vers Dieu tant il se sent délaissé. Et donc, quand il parle de "s]a charité merveilleuse", il peut très bien parler de la notion chrétienne et non d'une thèse personnelle de charité propre à un gaulois. D'ailleurs, pourquoi aurait-il une thèse immédiate de la "charité", sans l'avoir cherchée. On n'est pas dans un récit de bilan à la manière de "Alchimie du verbe". Si cette "charité merveilleuse", c'est lui qui l'a inventée, pourquoi il ne nous expose pas ce qu'elle est ? En réalité, il parle de la charité chrétienne. Et la variante du brouillon est là pour nous prouver que cette adjectif "merveilleuse" n'a pas le sens exaltant que lui attribue Bardel, puisque la leçon exclamative du brouillon se superpose à une phrase interrogative non équivoque qui a été biffée : "A quoi servent mon abnégation et ma charité inouïes". Rimbaud quand il s'exclame : "O mon abnégation, ô ma charité inouïes" (avec accord qui passe brutalement) ou "Ô mon abnégation, ô ma charité merveilleuse" (leçon définitive), il ironise sur l'abnégation et la charité chrétiennes. Tout simplement !
Je rappelle que le poète pour dernière marque de timidité ou innocence est en train de cacher au monde ses dégoûts et ses trahisons. Là, il bave sur l'abnégation et la charité, tout simplement !
Passons maintenant au motif du travail !
Dans son essai, Bardel rédige une sous-partie intitulée "La question du travail" qui tient en peu de pages (pages 73-77). Bardel fait remarquer que pour le poète comme pour le nègre le travail est "une servitude que la société nous impose". Puis, Bardel passe immédiatement à la citation du refus du travail exprimé dans la lettre à Izambard du 13 mai 1871 : "Travailler maintenant, jamais, jamais : je suis en grève." MMh ! Et dans la Saison, le meilleur est un sommeil bien ivre sur la grève. Ceci dit, dans la lettre à Izambard, on pourrait presque y lire un jeu de mots : "Je suis en place de Grève où on guillotine les méchants." Dans la lettre à Izambard, le refus du travail immédiat s'explique par la révolte communarde en cours et le poète dit à Izambard qu'il sera un travailleur en poésie, ce qui montre qu'il y a deux relations au travail. Certes, le refus du travail dans la lettre de 1871 est facile à relier au refus exprimé dans la Saison. Dans les deux cas, il s'agit de ne pas se laisser aliéner par une société qu'on réprouve, puisque le travail est la manifestation d'un devoir vis-à-vis de la société.
Mais, dans sa lecture, Bardel ne relie qu'incidemment le refus du travail à l'attitude du nègre. A aucun moment, Bardel ne cite ce qui amplifie la valeur de cette comparaison, le tout début de "Mauvais sang" où le poète s'attribue un "habillement" comparable à celui des gaulois puis fixe son "horreur de tous les métiers". Bardel ne fait que frôler la vraie dimension du travail dans Une saison en enfer. il n'a pas vu l'implication des enchaînements d'alinéas au début de "Mauvais sang", c'est-à-dire qu'il n'essaie pas de préciser pourquoi tel alinéa suit tel autre. Il faudrait que Rimbaud ait mis des éléments de grammaire qui soudent les rapports des idées les unes aux autres pour qu'il envisage cette perspective. Il y a un manque d'affrontement du lecteur aux liaisons implicites des ellipses et juxtapositions pourtant si caractéristiques de l'écriture de Rimbaud. Il manque sans doute aussi un relevé de toutes les mentions du travail dans Une saison en enfer pour ensuite chercher à cerner comment tout cela se coordonne.
Voilà, d'autres articles sont à venir, et j'en ferai un tout entier consacré à la notion du travail, reste à savoir quand.