En 1870, et en nous en tenant à ce qui nous est parvenu, Rimbaud a composé six sonnets autour de la guerre franco-prussienne et un récit : "Morts de quatre-vingt-douze", Le Mal, Le Dormeur du Val, trois caricatures de Napoléon III : Le Châtiment de Tartufe, Rages de Césars et L'Eclatante victoire de Sarrebrück et une caricature de Bismarck : Le Rêve de Bismarck
Dans son volume sur Rimbaud Clefs concours de la collection Atlande qui a une valeur récapitulative, Steve Murphy traite de cinq des sonnets à la suite les uns des autres, mais isole Le Dormeur du Val, mais surtout il ne se penche pas sur l'influence du modèle hugolien Il traite de cinq de ces sonnets des pages 38 à 42, en renvoyant à ses articles plus fournis dans son livre Rimbaud et la ménagerie impériale, mais quatre à cinq pages sont consacrées à une synthèse de l'essentiel sur ces poèmes, et Hugo n'est cité qu'à la page 42 pour l'intertextualité du seul Châtiment de Tartufe
Même si Hugo est cité dans La Ménagerie impériale et d'autres articles, aucune importance ne lui est véritablement concédée au vu de cette synthèse Qui plus est, étrangement, et en cela il s'agit tout de même probablement d'une position marginale de la part de Steve Murphy, le Rimbaud de 1870 critiquerait Hugo dans des poèmes tels que Le Forgeron ou Le Châtiment de Tartufe, comme si tout était déjà joué et comme s'il était loisible d'envisager que Rimbaud aurait pu écrire sa diatribe L'Homme juste contre Hugo dès 1870
Steve Murphy, mais il n'est pas le seul, est partisan du grand mythe d'un Rimbaud, fils spirituel de Baudelaire Comme la plupart des rimbaldiens, il minimise le reproche de mesquinerie à l'encontre de Baudelaire dans la lettre du 15 mai 1871, ou s'en étonne, ou la signale pour dire que Rimbaud est ingrat, et il salue le mot de "vrai dieu" Rimbaud aurait identifié le génie de Baudelaire par lui-même, par une pleine lucidité de génie, etc
Or, je ne crois pas à ce mythe Evidemment, il y a ce qui est écrit sur les lettres dites "du voyant", c'est l'espèce de dimension irrécusable à laquelle s'arc-boutent les béotiens
En réalité, Rimbaud vient de la lecture d'Hugo et les compromissions de celui-ci quant à la Commune l'ont amené à mettre son admiration en veilleuse, mais il y a aussi un fait social important Contrairement à ce qui se raconte, Baudelaire n'était pas un poète passant encore inaperçu sauf auprès des gens doués d'une véritable sensibilité poétique Il y avait déjà toute une école Baudelaire au sein du Parnasse et Verlaine en était déjà l'un des disciples les plus saillants Verlaine avait publié un article sur Baudelaire et cette admiration est partagée par bien d'autres, jusque Coppée en l'un de ses poèmes des Intimités
Il est difficile d'admettre aujourd'hui qu'un génie aussi important que Rimbaud ait appelé Baudelaire "vrai dieu", non parce que son génie propre le lui révélait, mais simplement parce qu'il avait eu vent du "caractère branché" de la poésie baudelairienne Rimbaud savait pertinemment que la nouvelle génération ne jurait que par Baudelaire Hugo est le vieux qu'on minimise Mallarmé, qui n'est pas à une ânerie près, célèbre Les Fleurs du Mal et les Odes funambulesques, deux publications de 1857 je crois, comme les plus grands recueils d'une époque, oubliant au passage Les Contemplations (1856), La Légende des siècles (première série de 1859) Victor Hugo parlait aux gens comme un monument, sans naturel, il était encombrant et il fallait en outre se poser contre sa poésie dont l'esthétique était à la fois héritière du classicisme et d'un romantisme qu'on voulait ranger dans l'Histoire au profit de nouvelles dynamiques Il était bien évidemment grotesque de célébrer des Odes funambulesques qui, quoique bien écrites, n'avait pas la moindre once d'originalité, tout de Banville venant d'Hugo y compris l'humour funambulesque et l'art des rimes On peut lire et relire Banville, il n'a aucune originalité propre Les contemporains se sont aveuglés sur ce point, à force de vouloir faire reculer Hugo ou Musset dans le passé
Rimbaud admirait Banville, et c'est normal Aujourd'hui, la plupart des gens qui aiment lire et qui vont mettre la poésie par-dessus tout ne vont lire que dix poètes et se consacrer à des centaines de romans Rimbaud lisait lui des quantités élevées de recueils de poésies, et pour une part donc de ces recueils que nous méprisons aujourd'hui comme des bricolages sur rien
Rimbaud distinguait ce qui n'avait que l'air d'être des bricolages sur rien de ce qui était réellement de la vacuité mise en forme comme un soldat porte des boutons de guêtre, mais le mépris n'était pas immédiat chez Rimbaud Sa sensibilité était éveillée aux subtilités de l'art de la poésie
En tout cas, la production de Rimbaud en 1870 et en 1871 montre clairement que Victor Hugo est son principal centre d'intérêt poétique Même en 1871, les poèmes Paris se repeuple, Le Bateau ivre, Les Assis, Accroupissements, L'Homme juste même, etc, montrent une continuité évidente avec Hugo, en particulier celui des Châtiments Bien entendu, à partir de 1872, Rimbaud va avoir son originalité propre Ses poèmes en prose, son livre Une saison en enfer et une partie de ses vers de 1872 témoignent d'une originalité à part entière, ce sont des oeuvres dégagées des modèles
Mais auparavant, Rimbaud s'inscrit dans des modèles où la figure hugolienne prédomine nettement La caricature des Assis ou d'Accroupissements naît des Châtiments elle aussi, même si un certain traitement baudelairien peut être envisagé concurremment Les Premières communions n'est pas, malgré le catéchisme troublé de la jeune fille, un poème relevant d'une esthétique baudelairienne
Les mythes mobilisés par Rimbaud sont hugoliens, pas baudelairiens, le cas le plus évident étant celui de la Nature, mythe auquel Baudelaire est franchement hostile
Rimbaud est monté à Paris en février-mars, et quand il dit que Baudelaire est le "vrai dieu", le "roi des poètes", il est sous influence parisienne, et peut-être même déjà sous l'influence de Verlaine Mais le grand poème pour Rimbaud c'est Les Misérables et toute cette dimension n'a pas été cernée par la critique rimbaldienne qui rejoint un consensus bien plus large de l'ensemble de la communauté littéraire, auteurs comme lecteurs, en faveur de Baudelaire
On ne peut pas comprendre Rimbaud en fonction d'une telle erreur d'appréciation malheureusement
Et en 1870, Rimbaud admire pleinement Hugo Quand éclate la guerre, il lit et relit Les Châtiments, et s'en nourrit
Et cela nous vaut six sonnets Hugo n'avait alors jamais publié de sonnet et le genre mondain du sonnet était aussi un moyen pour Rimbaud, du moins dans un premier temps, de mettre à distance une actualité qu'il méprisait "ne remuez pas les bottes" disait-il Très vite, l'actualité implique le Rimbaud républicain, mais le sonnet demeure un point d'ironie, à l'exception du Dormeur du Val
Maintenant, venons-en à cette saturation de renvois aux Châtiments, saturation qui concerne les six poèmes précédemment cités, tandis que le poème Le Forgeron est lui saturé de renvois hugoliens incluant encore d'autres recueils du maître
Pour l'essentiel, le poème "Morts de Quatre-vingt-douze" vient de la lecture des Châtiments L'apostrophe aux morts, les phrases simples assassines, tout cela est dans la rhétorique des Châtiments Les répétitions, reprises caractérisent un peu plus la situation de Rimbaud poète jeune, mais les motifs du poème, derrière l'apparence de clichés qui peuvent brasser large en fait de sources possibles, sont eux aussi issus de la lecture du recueil satirique de 1853
Il est question de "bâton" et "trique" dans la main du peuple pour châtier Napoléon III ou ses sbires dans l'oeuvre d'Hugo "la trique est là, fraîche coupée" (A des journalistes de robe courte) La rime "électrique"::"trique" figure dans le poème Les Grands corps de l'Etat et elle aura suffisamment marqué Rimbaud qui la reprendra au pluriel dans Le Bateau ivre Les "juillets" sont une allusion aux révolutions, point important de mon étude de 2006 dont j'avais parlé publiquement lors du colloque de Charleville-Mézières de septembre 2004, ce qui explique que dans son article pour le colloque Marc Ascione parle, mais sans commenter Le Bateau ivre, des "juillets", signe qu'il était tenté d'énoncer mon idée Dans son étude sur Le Bateau ivre, Steve Murphy prétend être arrivé à la même conclusion que moi sur la signification politique du mot "juillets" Mais, depuis, cette idée n'a pas eu le moindre succès, pas reçu le moindre crédit
Pourtant, c'est un fait, qu'à côté de la mention "juillets", la rime "électriques"::"triques" vient des Châtiments Dans "Morts de Quatre-vingt-douze", Rimbaud a opté pour une rime qui lui fût propre: "République"::"trique"
Qui courais, taché de lunules électriques,Planche folle, escorté des hippocampes noirs,Quand les juillets faisaient crouler à coups de triquesLes cieux ultramarins aux ardents entonnoirs:Nous vous laissions dormir avec la République,Nous, courbés sous les rois comme sous une triqueRetenons la colère âpre, ardente, électriquePeuple, si tu m'en crois, tu prendras une triqueAu jour du jugement
Je voudrais bien comprendre pourquoi André Guyaux, Yves Reboul, Alain Bardel et d'autres attribuent à Steve Murphy, pour la partager ou non, une lecture communarde du Bateau ivre qui postule qu'elle a été écrite après mon article, sachant que non seulement les idées sont donc originellement dans mon article, mais en plus j'arrive à relancer mes arguments, à leur donner un nouveau déploiement Notez aussi la présence clef du verbe "dormir" dans ma citation du sonnet "Morts de Quatre-vingt-douze"
Le langage métaphorique est aussi le propre des poètes et les termes du sonnet "Morts de Quatre-vingt-douze" sont très souvent métaphoriques Or, les métaphores viennent là encore du recueil Châtiments de Victor Hugo
La pâleur se rencontre dans plusieurs des six sonnets de Rimbaud sur la guerre franco-prussienne de Rimbaud, et cette notion jouit d'emplois variés dans le recueil hugolien La pâleur peut concerner la petitesse de Napoléon III, le sort de déportée de Pauline Roland, etc Mais ici les soldats sont "pâles du baiser fort de la liberté", ce qui doit suffire à justifier les citations suivantes :
La pâle Liberté gît sanglante à ta porte (Au Peuple)::: genre humain, pâle et garrotté,Lutte pour la justice et pour la vérité (Splendeurs)la liberté, échevelée et pâle (A un qui veut se détacher)
La pâle mort mêlait les sombres bataillons (L'Expiation)La Déroute, géante à la face effarée,Qui, pâle, épouvantent les plus fiers bataillons,
Changeant subitement les drapeaux en haillons,
spectre fait de fumées (L'Expiation)La justice, ombre pâle,Mais tu t'éveilleras bientôt, pâle et terrible,pâles nuées
Rimbaud développe son idée originale qui structure tout son sonnet, les soldats ont eu une relation d'amants de la mort Leurs coeurs "sautaient d'amour" pour le "baiser fort de la liberté" que leur donnait la "noble Amante" et cette structure est doublée d'une autre L'humanité ne doit pas être sous le joug des rois, et il faut un juste retour de bâton à cela, nous passons du "joug qui pèse" (mot "joug" absent des Châtiments par exception) à la honte d'être "courbés sous une trique" que nous devrions prendre en main
Cela fait nettement écho aux nombreuses prises à parti du peuple, Hugo lui reprochant sa lâcheté face à l'Empire
Les soldats sont héroïquement "calmes", il s'agit là encore d'un lieu commun des Châtiments où l'adjectif qualifie Socrate, Jésus, le Progrès, Pauline Roland, Dieu, la nature, Napoléon Ier, etc
Le verbe "briser" abonde également : "On brisait échafauds, trônes, carcans, pavois", "brisant toute chaîne", "brisaient les bastilles", etc Cela peut s'appliquer à Napoléon III en mal "brise un peuple", "brisé les lois"
Et étant donné la circularité du sonnet de Rimbaud de "brisiez" à "courbés", voici encore une citation intéressante :
Brisés, vaincus, le coeur incliné sous la honte,Le dos courbé sous le bâton
Les mots de la famille "extase" sont absents du recueil Châtiments Il s'agit d'un mot très fort sous la plume de Rimbaud, ici "extasiés", le mot "extase" reviendra dans Génie avec des "drapeaux d'extase" à proximité de "rages", "ennuis" et "tempête"
Quant à l'image des coeurs sautant d'amour sous les haillons, Rimbaud évite sans doute l'expression "bondir d'amour", mais il approfondit une image qui vient encore une fois des Châtiments :
Vous aviez dans vos coeurs l'amour (Aux morts du 4 décembre)D'emplir de haine un coeur qui déborde d'amour (Floréal)
Les sabots ne sont pas extrêmement présents dans Châtiments, on observe certes une opposition du sabot avec l'escarpin, mais tout ne doit pas retenir automatiquement notre attention La figure du semeur est connue comme hugolienne Elle devrait l'être aussi comme rimbaldienne avec les deux sonnets "Morts de Quatre-vingt-douze" et Voyelles La métaphore apparaît quelques fois dans Les Châtiments : "Ils ont semé cela sur l'avenir", "Devant ses légions sur la neige semées" (L'Expiation), "manteau semé d'abeilles d'or", "Sema dans un sillon" ("Ce serait une erreur")
La citation du poème L'Expiation nous rapproche du poème de Rimbaud, tandis que l'occurrence du mot "sillons" doit imposer à l'esprit le chant de La Marseillaise, chant interdit à l'époque sauf peut-être pour donner de l'élan patriotique à la guerre qui vient, comme le montre la propagande ici décriée des Cassagnac père et fils
Le verbe "régénérer" ne fait pas partie non plus du vocabulaire des Châtiments
En revanche, je crois inutile de partir à la chasse d'expressions équivalentes à "yeux sombres et doux"
Il ne me reste que deux rapprochements hugoliens à traiter quant à ce poème
Nous savons que la métaphore "dormir" pour l'idée d'une régénération du martyr dans la Nature est un leitmotiv dans l'oeuvre de Rimbaud, mes articles antérieurs ont pas mal insisté sur ce point Mais ici il est question de conscience qui sommeille, et c'est toujours dans la continuité des Châtiments où Hugo s'adresse à ceux "qui s'endorment"
Enfin, la métaphore du nettoyage "lavait toute grandeur salie" est propre au recueil Châtiments Il y aurait pas mal de citations et mises au point à faire, j'ai déjà insisté sur l'importance de cette image par rapport au Bateau ivre soulignant que la proximité des mentions "lava" et "pontons" supposait un renvoi et donc une allusion aux Châtiments
Bref, sans tuer l'originalité du poème de Rimbaud, nous avons solidement montré à quel point ce sonnet procède d'un ruminement à la lecture en soi poétique des Châtiments et cette lecture aura pour prolongements des créations ultérieures telles que Paris se repeuple et Le Bateau ivre
J'en viens maintenant au trimètre du sonnet "Morts de Quatre-vingt-douze"
Le trimètre est une invention cornélienne que ne concurrencerait qu'un alexandrin antérieur d'Aubigné assez particulier J'ai cité ce vers d'Aubigné dans mon article Ecarts métriques d'un Bateau ivre en 2007, car il n'était pas connu jusqu'à présent Corneille a en réalité composé plusieurs trimètres, celui célèbre de Suréna n'est que le dernier, et il a été peu suivi d'exemples
La création du trimètre romantique doit être disputée entre Vigny et Hugo, mais je ferai cet historique une autre fois, en montrant que c'est Vigny le créateur d'un trimètre plus varié que celui de Corneille, mais que c'est Hugo qui en a poussé le maniement le plus loin ensuite, tandis que nombre de vers que nous disons des trimètres n'en sont pas
Dans le sonnet "Morts de Quatre-vingt-douze", Rimbaud ignorant le rôle joué par Vigny, comme tout le monde, fait donc allusion à une modalité cornélienne du vers dont Hugo s'est fait un spécialiste en l'assouplissant
L'originalité du présent trimètre vient de la présence de la préposition "de" à la césure
"Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d'Italie"
Il ne faut jamais perdre de vue que, comme le dit Ténint dans sa Prosodie de l'école moderne, la "prérogative royale" de la césure normale est maintenue en dépit des coupes syntaxiques, abusivement appelées césures, qui forment le trimètre
Pour ceux qui se sentent déconcertés par l'idée d'un déplacement de la césure qui n'empêcherait pas la césure de demeurer à la place, qu'ils songent que la langue permet de réinvestir des mots pour d'autres significations Un bureau peut être une pièce, une personne, un meuble, un support, etc Une mi-temps est tout à la fois une moitié de temps de jeu et l'intervalle entre les deux moments de jeu dans une partie sportive
Paresseusement, quand les poètes parlent de "déplacement de la césure", de "césure mobile", ils veulent dire que la coupe syntaxique qui pourrait convenir à la césure n'est pas à sa place, mais décalée de quelques syllabes
De là la concurrence entre la césure en tant que normale, fixe, et la césure en tant que mobile
Ce langage est d'autant plus inapproprié que dans le cas du trimètre nous ne parlons pas d'une coupe syntaxique qui pourrait convenir, mais de deux
Mais dans le trimètre de Rimbaud en tout cas, comme dans tout vers non trimètre avec un enjambement audacieux à la césure, il faut se poser la question de l'effet de sens
Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d'Italie,
Morts de Valmy, Morts de Fleurus, Morts d'Italie,
Benoît de Cornulier a proposé de lire l'effet de sens au plan de la préposition "de" Ces Morts seraient nobles, et il est question de "noble Amante" par opposition au titre de noblesse qui n'est qu'héritage dans le panier du berceau comme ce l'est pour les "Messieurs de Cassagnac" Mais, un poète peut surdéterminer les effets et le trimètre s'y prête bien dans la mesure où il souligne à la fois un contre-rejet et un rejet
Or, la régénération de Morts semés va tourner en "fleurs", selon le calembour que permet le nom de la ville belge de Fleurus J'ignore l'étymologie de ce nom, il s'agit d'une ville à proximité de Charleroi, mais il est clair que nous entendons le mot "fleur" dans ce nom et que ce calembour est assez indiqué par rapport à la logique d'ensemble du sonnet et précisément du tercet où figure ce nom
Par ailleurs, certains commentaires insistent sur le couplage des années 92 et 93 Ce couplage aggraverait la dimension révolutionnaire que n'aurait pas suffi à donner la seule mention de "92"
Il me semble plus simple de considérer que la mention de 93 est en soi assez forte et assez nécessaire, sans qu'il faille suspecter de tiédeur la seule année 92 Mais surtout, l'enchainement est intéressant, puisque dans notre trimètre Rimbaud enchaîne certes avec Valmy, mais aussi avec Fleurus et les campagnes d'Italie
La victoire de Fleurus date de 1794 et les campagnes d'Italie sont encore postérieures Donc le propos de Rimbaud est d'englober les années des guerres révolutionnaires jusqu'au seuil de l'avènement de Bonaparte qui est issu des guerres révolutionnaires et notamment des campagnes d'Italie
La mention de l'Italie peut être perfide à l'égard de Napoléon III, en rappelant la répression de Mentana où l'armée française était impliquée contre les républicains italiens Elle est de toute façon perfide en rappelant que l'armée napoléonienne tirait sa force de la dynamique révolutionnaire, et je trouve que cela donne encore de la dimension à ce petit poème de 14 vers où Rimbaud épingle, sans en dire aussi explicitement les raisons, la propagande impériale qui voit son intérêt à exalter dans l'armée l'esprit révolutionnaire
J'y perçois quelque chose de très fin
Quant à la mention du moulin de Valmy, elle présente encore ceci de remarquable qu'elle va jusqu'à la coïncidence de calendrier En 1792, l'armée française entre en guerre contre l'Europe, mais elle essuie d'importants revers jusqu'au mois d'août où une bataille semble bien proche de la défaite fatale Le 20 septembre à Valmy, c'est le retournement de situation
Par son témoignage où il affirme que le sonnet a été composé au lendemain de la déclaration de guerre, Izambard nous a éloigné de l'intérêt de la datation symbolique de l'unique version que nous connaissions de ce texte "fait à Mazas, le 3 septembre" On se contente de relever que cette date est celle de la veille de l'avènement de la République, et on perçoit une toile de fond qui justifie un basculement d'un refus de la guerre pour l'Empire à l'adhésion d'une guerre contre l'Europe pour défendre la République, la Prusse et ses alliés symbolisant ici l'Europe
Or, la composition pourrait être plus tardive, ou le sonnet avoir été remanié, et dans tous les cas sa mise en scène avec la mention de Valmy invite à considérer que ce sonnet est d'optimisme, il croit au retournement de situation par le retour à l'armée révolutionnaire de conscription (elle ne date pas de 92 mais peu importe), il annonce que l'échec de Sedan n'est que la première marche d'une victoire qui aura son Valmy, Valmy lieu déjà d'un affrontement historique entre la France et les états germaniques