Au XVIème siècle, la langue avait tellement évolué (le long passage du latin au français moderne) que la versification paraissait trop souple Des choses qui jusque-là étaient acceptées comme naturelles en poésie ont cessé de l'être La tendance était aussi au refoulement des lectures hachées
Dans tous les cas, petit à petit au XVIème siècle, les poètes se permettent de moins en moins de séparer par la césure un nom et l'adjectif qui le précise, même remarque pour la séparation d'un nom et de son groupe prépositionnel complément (le chien (nom) du village (groupe prépositionnel complément du nom)), ainsi que pour la séparation d'un verbe et du COD, COI, attribut du sujet)
De telles césures seront rarissimes aux XVIIè et XVIIIè siècles, inexistantes chez la plupart des auteurs mêmes, et limitées aux genres bas dans tous les cas
La proscription qui vaut pour la césure vaut aussi pour l'entrevers et pour le contre-rejet, voici un exemple de contre-rejet d'adjectif entre deux vers dans un poème des Antiquités de Rome de du Bellay :
Il existe une poignée de rejets d'adjectifs à la césure dans le théâtre en vers de Molière, essentiellement dans ses premières pièces, mais peu au total
Roucher et Chénier préparaient un changement, mais ils furent guillotinés le même jour et deux poèmes seulement de Chénier furent publiés de son vivant Nous n'avons également eu à citer que derux entrevers de Malfilâtre dans sa traduction des Géorgiques de Virgile
En 1819, la future génération romantique va découvrir l'oeuvre d'André Chénier Nous y trouvons Le Serment du jeu de paume dont j'ai déjà parlé, mais aussi plusieurs autres poèmes à la versification plus osée, dont un poème L'Aveugle qui mérite l'attention, car, outre que c'est un des poèmes les plus connus de Chénier pour son audace métrique, c'est une composition autour du personnage d'Homère, l'auteur mythique de L'Iliade et L'Odyssée auquel la tradition grecque avait arbitrairement appliqué la cécité de son aède imaginaire Demodokos Or, c'est un fait connu que les anciens, latins et grecs, pratiquaient volontiers les rejets, ce que les lecteurs cultivés ne pouvaient pas méconnaître
Dans ce poème L'Aveugle, nous retrouvons des enjambements équivalents à ceux que j'ai signalés dans Le Serment du jeu de paume, mais nous trouvons aussi l'un des vers qui témoignent qu'à quelques occasions André Chénier est revenu au rejet de l'adjectif épithète à la césure
Il ne saurait être pleinement question d'attribuer cette paternité à Chénier, de tels rejets se rencontraient à l'occasion J'ai cité le dernier vers du Mondain de Voltaire où seul le recours au décasyllabe tend à dissimuler l'audace du procédé à cette époque, j'ai cité deux effets similaires à l'entrevers chez Malfilâtre, j'ai parlé de Roucher
Mais, entre 1794 et 1819, l'oeuvre de Chénier n'était pas connue et personne parmi les poètes reconnus ne pratiquaient les enjambements dont il est ici question, ni Delille, ni les autres Il faudra délivrer une étude systématique sur les Bertin, Parny, Millevoye, car nous sommes ici dans une histoire littéraire assez lâche qui ne précise pas les dates à partir desquelles un changement se produit ou non dans les pratiques des versificateurs Et il y a aussi beaucoup d'approximations
Voici donc l'exemple de référence dans l'oeuvre d'André Chénier, il n'est pas anodin, car il comporte le mot "joyeuses", et quand des poètes imiteront Chénier précocement ils reprendront précisément ce mot, le romantique Eustache Deschamps ou Vigny comme nous le verrons
Puis aussi les moissons joyeuses, les troupeaux
Bêlants ou mugissants, les rustiques pipeaux,
Les chansons, les festins, les vendanges bruyantes,
Et la flûte et la lyre, et les noces dansantes.
Je pourrais vous pousser à apprécier plus encore la création de Chénier, il y a beaucoup à dire sur la distribution des adjectifs dans ces quatre vers, et notamment le groupe "les troupeaux" est lui-même touché par le déséquilibre à la césure Voyez du coup le parallèle qui pointe entre "joyeuses" et l'hémistiche cette fois classique "Bêlants ou mugissants" Notez la correspondance entre "Bêlants ou mugissants" et la rime "bruyantes"::"dansantes" Et on pourrait aller plus loin dans l'art nuancé du poète
Je dois m'arrêter là, je ne vais pas situer un effet de rejet d'adjectif dans un poème Je vais simplement donner des références historiques
Voici d'autres exemples de césures osées des poésies posthumes d'André Chénier, elles ne sont pas abondantes, mais le lecteur s'apercevrait qu'elles entrent dans des combinaisons avec d'autres effets métriques s'ils prenaient la peine de se reporter à chacune d'entre elles (nota bene : je me sers du double point pour compenser ma touche défectueuse sur le clavier) :
Un de ces vers prendra de la signification tout à l'heure
Malgré l'exemple des poèmes de Chénier publiés en 1819, vous ne trouverez pas de rejets d'adjectifs dans les premiers recueils de Victor Hugo ou d'Alphonse de Lamartine Mais il y a un piège Vous vous contenterez de prendre le recueil Odes et ballades de Victor Hugo et vous aurez beau jeu de me contredire
Voici d'autres exemples de césures osées des poésies posthumes d'André Chénier, elles ne sont pas abondantes, mais le lecteur s'apercevrait qu'elles entrent dans des combinaisons avec d'autres effets métriques s'ils prenaient la peine de se reporter à chacune d'entre elles (nota bene : je me sers du double point pour compenser ma touche défectueuse sur le clavier) :
::: et d'une voix encore
Tremblante : "Ami, le ciel écoute qui l'implore"
Lorsque la double porte ouverte, un spectre sombre
Dieu jeune, viens aider sa jeunesse: Assoupis,
C'est ta mère, ta vieille inconsolable mère
- Pâle berger aux yeux mourants, à la voix tendre,
Il tend les bras, il tombe à genoux : il lui crie
Un de ces vers prendra de la signification tout à l'heure
Malgré l'exemple des poèmes de Chénier publiés en 1819, vous ne trouverez pas de rejets d'adjectifs dans les premiers recueils de Victor Hugo ou d'Alphonse de Lamartine Mais il y a un piège Vous vous contenterez de prendre le recueil Odes et ballades de Victor Hugo et vous aurez beau jeu de me contredire
Attention, le recueil Odes et ballades de 1826 est la synthèse avec de nouveaux apports des publications antérieures de Victor Hugo et il ne doit pas gommer les recueils antérieurs que je résumerai à deux dates clefs : Odes et Poésies diverses en 1822, Nouvelles Odes en 1824, Odes et Ballades en 1826 Pour l'histoire littéraire, il est impératif de bien jauger de l'évolution de ce premier recueil hugolien en l'espace de cinq ans Comme tout le monde ne lit que la version définitive, personne n'a pu dire d'où était venue l'influence de Chénier sur les romantiques, et pourquoi d'un coup Hugo avait écrit Cromwell, pièce d'une versification étonnante Avant 1824, les poésies de Victor Hugo ne laissent apparaître aucun rejet d'épithète à la césure, ni à l'entrevers
Dans le cas de Lamartine, étant donné qu'on publie aujourd'hui ses premiers recueils en se fondant sur les premières éditions, il est beaucoup plus facile d'observer que ni La Mort de Socrate, ni les deux premiers recueils (Méditations poétiques, Nouvelles Méditations poétiques) dans leur forme originelle ne comportent de rejets d'épithètes
Un seul poète a d'emblée pris modèle sur Chénier, et ce poète, c'est Alfred de Vigny, il est le seul à emboîter le pas en matière de rejets audacieux à la césure ou à l'entrevers Mais cette pratique, il l'a si bien reprise à son compte qu’il a antidaté les
compositions de son premier recueil pour ne pas avoir à reconnaître l’influence
patente d’André Chénier. Assez naïvement, Vigny a daté certains poèmes de 1815
(La Dryade, Symétha), de 1817 (Le Bain
d’une dame romaine) ou de 1818 (Le
Bal), l’influence « inavouable » de Chénier n’étant pas que sur le
plan des rejets à la césure. Les sujets antiques de certaines compositions me dispenseront d'insister, je vous laisse l'éprouver par vous-même et je me contente de citer l'enjambement suivant que Vigny inclut dans le poème Symétha qu'il date de "1815", citation tellement voyante de La Jeune Tarentine qu'elle doit faire cesser tout débat :
L'idée d'une influence de Chénier pour le maniement du vers existe, mais personne n'a jamais pensé à identifier formellement cette influence Les rejets d'adjectifs sont la clef qui permettent d'établir les filiations et de révéler un tournant majeur de l'histoire du vers français
Le poème La Dryade contient un remarquable enjambement à l’entrevers « un moment / Joyeuse », puisqu'il ne s'agit pas d'un rejet d'adjectif, mais d'une phrase ayant pour noyau un adjectif séparé d'un complément de temps, sans que ni l'un ni l'autre de ces termes ne forment un hémistiche, bel exemple d'inventivité du suiveur
Voici l'extrait en question tel qu'il fut publié dans le recueil initial de Vigny en 1822 (Poëmes), ainsi qu'on peut le vérifier par une consultation en ligne :
Poëmes (sans nom d'auteur, Vigny, 1822)
Brilla d'un feu divin, la Dryade un moment
Joyeuse, fit entendre un doux frémissement,
Dans l'édition d'André Jarry de la collection Poésie Gallimard, un point-virgule fait suite au mot "divin", mais pour le reste le texte est identique
En revanche, plusieurs éditions ultérieures du poème, en 1829, etc, comme l'attestent des consultations sur Gallica, portent une virgule peu naturelle à la fin du vers après "un moment":
Brilla d'un feu divin: la Dryade un moment,
Joyeuse, fit entendre un doux frémissement,
Poëmes, seconde édition, 1829
Je vais mourir, hélas ! Symétha s'est fiée
Aux flots profonds : l'Attique est par elle oubliée:
L'idée d'une influence de Chénier pour le maniement du vers existe, mais personne n'a jamais pensé à identifier formellement cette influence Les rejets d'adjectifs sont la clef qui permettent d'établir les filiations et de révéler un tournant majeur de l'histoire du vers français
Le poème La Dryade contient un remarquable enjambement à l’entrevers « un moment / Joyeuse », puisqu'il ne s'agit pas d'un rejet d'adjectif, mais d'une phrase ayant pour noyau un adjectif séparé d'un complément de temps, sans que ni l'un ni l'autre de ces termes ne forment un hémistiche, bel exemple d'inventivité du suiveur
Voici l'extrait en question tel qu'il fut publié dans le recueil initial de Vigny en 1822 (Poëmes), ainsi qu'on peut le vérifier par une consultation en ligne :
Poëmes (sans nom d'auteur, Vigny, 1822)
Brilla d'un feu divin, la Dryade un moment
Joyeuse, fit entendre un doux frémissement,
Dans l'édition d'André Jarry de la collection Poésie Gallimard, un point-virgule fait suite au mot "divin", mais pour le reste le texte est identique
En revanche, plusieurs éditions ultérieures du poème, en 1829, etc, comme l'attestent des consultations sur Gallica, portent une virgule peu naturelle à la fin du vers après "un moment":
Brilla d'un feu divin: la Dryade un moment,
Joyeuse, fit entendre un doux frémissement,
Poëmes, seconde édition, 1829
Mais, les autres poèmes du recueil de 1822 ne comportent pas de rejets d'épithètes stricto sensu, car, pour des raisons de coordination, le vers "La nuit règne profonde et noire dans les cieux" (Le Somnambule), ne pose aucun problème à une oreille classique, point que je ne traiterai pas ici Pourtant, si un poème en contient quelques exemples, et précisément le long poème Héléna en vedette au début du recueil Le problème, c'est qu'il s'agit du seul poème que Vigny va renier et ne plus inclure dans les éditions ultérieures de ses oeuvres
Nous ne le lisons que dans la partie Appendice pour ce qui est de l'édition des recueil de Vigny dans la collection Poésie GallimardIl s'agit d'une oeuvre divisée en chants qui annonce Eloa et qui a dû être éclipsé justement par cette nouvelle réussite, mais il n'en reste pas moins qu'Héléna fut une première oeuvre ambitieuse où Vigny étalait alors quelques rejets d'épithètes par opposition aux autres poètes de son époque Les poèmes antidatés permettaient à Vigny de se rapprocher de la manière de Chénier, sans avoir à se réclamer de lui, imposture maladroite mais qui a eu des connaissances car la révolution métrique de 1820 à 1830 va du coup être caractérisée par un anonymat et une discrète introduction de procédés
Ni Vigny, Ni Hugo n'aimeront avouer avoir des dettes quelque part, et cela se retrouvera par la suite avec Baudelaire qui fera main basse sur l'héritage hugolien, laissant les parnassiens, tel Verlaine, l'encenser pour ce qu'il avait repris tel quel à Hugo
En tout cas, pour la période 1820-1830, on parle de la versification pleine de rejets de Chénier avec une oeuvre publiée en 1819 et de celle ensuite de Victor Hugo avec Cromwell ou le fameux début d'Hernani avec son "escalier / Dérobé" Mais, ce que vous ignorez, c'est que cette période n'a fait l'objet d'aucune analyse approfondie Rien n'a été daté, éprouvé de cette période
C'est ici que vous apprenez pour la première fois que ni Hugo, ni Lamartine n'ont pratiqué le rejet d'épithètes avant 1824 Lamartine avait publié Les Méditations poétiques, un long poème La Mort de Socrate et Les Nouvelles Méditations poétiques Hugo avait publié divers poèmes et son recueil Odes et Poésies diverses Eh bien! croirez-vous qu'il soit inintéressant d'apprendre que ni Lamartine, ni Hugo n'imitaient le vers de Chénier, ni personne parmi les romantiques ou assimilés d'une telle époque, à l'exception de Vigny dans son recueil de 1822 intitulé Poëmes avec une couverture sans nom d'auteur ? J'ai levé un voile sur ce point capital de l'histoire du vers, de l'histoire aussi du romantisme, dans mon article Ecarts métriques d'un Bateau ivre qui peut être consulté en ligne, et cela est passé encore une fois inaperçu
Mais je me suis rendu compte que l'histoire est plus subtile que ce que je n'écrivais à l'époque Dès 1822, et non en 1823 avec Dolorida, Vigny laisse passer quelques rejets d'épithète dans son premier recueil, cela dans le poème Héléna qu'il reniera ensuite J'avais négligé l'idée de relever les vers déviants de ce poème aujourd'hui livré en appendice, et c'était une belle erreur d'appréciation de ma part Je n'avais pas envisagé que l'oeuvre reniée avait d'abord pu avoir une telle importance aux yeux de son auteur, et je n'imaginais pas que la révolution métrique dont Vigny était un artisan supposait que le principal premier jalon pouvait être renié Voici :
Leur faisait entrevoir une nouvelle vie
Libre et fière: il parlait d'Athènes asservie,
Et les lampes dont l'or surchargeait les portiques,
Tombent: et dans sa chute ardente, leur grand poids
Puis, dans l'ombre, des cris soudains, des voix mourantes,
Il tournera longtemps ce bronze, et pour jamais
Dispersera dans l'air la beauté que j'aimais
Il y a d'autres types de vers intéressants à étudier ce poème, nous observons vers la fin de ce récit deux rejets d'épithètes "ardente" et "soudains" à la césure Au début du poème, le phénomène s'observe à l'entrevers "Libre et fière" Au passage, j'observe que si l'un des rejets de Chénier comportait le mot "mourants", la forme "mourantes" à la rime accompagne précisément un de nos deux rejets d'épithète à la césure du poème Héléna Vigny a renié cette oeuvre, mais elle fut lue à son époque et a pu influencer les romantiques Toutefois, ni en 1822, ni en 1823, Vigny n'est suivi d'exemple, si ce n'est pas lui-même dans le poème Dolorida qui est également un point capital de cette histoire de la constitution d'un vers romantique, puisque le poème Dolorida a été publié en octobre 1823 dans la revue La Muse française, l'organe des frères Hugo et des poètes romantiques, et ce n'est que peu de temps après cette publication dans La Muse française qu'enfin on assiste à l'essor des rejets d'épithètes à la césure de la part des principaux poètes romantiques
Je commentais déjà le vers de Dolorida dans mon article de 2007Faible amie, et ta force horrible est mon ouvrage
Le
poème Dolorida sera intégré dans le
recueil Poèmes antiques et modernes
de Vigny en 1826, alors qu’Héléna
disparaîtra dans la fusion des recueils Poèmes
(1822) et Poèmes antiques et modernes
(1826) en 1829. Mais, la publication en revue et les collaborations de Vigny à La Muse française en 1824 ont eu un
effet métrique immédiat sur les poètes romantiques : Hugo, Deschamps et
Lamartine même. Hugo s’empresse d’imiter le rejet épithétique de Vigny et
Chénier dans ses Nouvelles Odes en
mars 1824, et, pour ne pas demeurer en reste, il invente alors le
« comme si » antécésural, lui-même souvent imité ultérieurement.
Lamartine lui-même publie ses trois premiers rejets épithétiques en mai 1825, mais dans deux poèmes que ne connaîtront que ceux qui se pencheront de manière approfondie sur son oeuvre : Dernier chant du pèlerinage de Lord Harold (d'après Byron) et Le Chant du sacre, poème de circonstance. Nous pouvons observer que l'un des vers en question de Lamartine propose une reprise du rejet de Chénier séparant l'adjectif "mourants" de sa base nominale "yeux", je cite ici le vers de Chénier pour rappel
Livreront cette
proie entière à leur fureur (Hugo, Le
Chant du cirque)
Je rêvais, comme
si j’avais, durant mes jours, (Hugo, Mon
enfance)
Et que de son
sommet éclatant, d’où les yeux (Lamartine, [Harold])
Fait vaciller
ses yeux mourants à chaque pas (Lamartine, [Harold])
- Pâle berger, aux yeux mourants, à la voix tendre (Chénier)
Quel est ce
chevalier chrétien ? / Montmorency (Lamartine, Le Chant du sacre)
Ce que je viens de dire n'était pas connu en histoire littéraire ou en histoire de la versification Or, il y a une suite, je vais parler prochainement de l'émergence du trimètre romantique et du rôle clef du drame Cromwell de Victor Hugo
J'écris pour les gens qui ont du souffle et de l'esprit, car bien sûr si Rimbaud ne connaissait pas le détail de cette histoire il n'en a pas moins hérité de la révolution romantique, révolution qui eut lieu de 1820 à 1830 et qu'on enferme trop sommairement dans le cadre de la bataille d'Hernani
Remarque sur un exemple : en effet en 1822 il n’y a pas de virgule après « un moment » dans « la Dryade un moment (,) / Joyeuse, fit entendre un long frémissement », mais, d’après un rapide coup d’œil sur GoogleLivres, la virgule semble se généraliser ensuite. L’auteur du blog la trouve « peu naturelle » ; inversement, à première lecture de sa première citation (sans virgule), la virgule m’a paru manquer ; que la Dryade soit joyeuse « un moment » en cette fin de poème me paraît bizarre ; que son frémissement dure « un moment », bien moins surprenant. Bref, cet exemple-là de rejet me paraît douteux.
RépondreSupprimerJ'ai été habitué à lire cet "exemple" de rejet dans l'édition en Poésie Gallimard D'ailleurs, la leçon est différente de ce que je transcris, puisque c'est tout le groupe "un moment / Joyeuse" qui est entre virgule, alors qu'en 1822 il n'y avait pas de virgule après "Dryade", mais juste après "Joyeuse"
RépondreSupprimerPG : la Dryade, un moment / Joyeuse,
1822: la Dryade un moment / Joyeuse,
Quand j'ai vu la virgule après "un moment" sur d'autres documents Gallica, j'ai douté de l'édition Poésie Gallimard et de la réalité de ce rejet, puis je suis tombé sur le vers dans l'édition originale et j'ai vu que je retombais sur l'absence de virgule après "un moment"
L'édition PG demeure aussi la seule avec une virgule après "Dryade", tandis que l'édition originale de 1822 est la seule avec une virgule après "feu divin", point-virgule pour les autres y compris PG
J'aimerais bien un historique de tels errements
Il est vrai que "un moment joyeuse" s'explique mal, sauf à lui donner une portée familière comme je fais intuitivement au milieu d'un discours en langage soutenu
On peut renoncer à ce rejet, ce qui fait quand même un pincement au coeur, vu qu'il s'agissait d'une structure de rejet tout à fait exceptionnelle au milieu d'une sorte d'incise dans la phrase
Cela ne change rien en revanche aux autres résultats L'influence de Chénier sur Vigny et les antériorités de Vigny sur Hugo et Lamartine, ce qui est le grand point d'histoire littéraire à défendre ici, avec donc les exemples d'Héléna et Dolorida
Je voulais faire un sujet à part sur l'erreur d'enthousiasme suivante, mais je vais le faire ici
RépondreSupprimerDans le recueil Poussières de Barbey d'Aurevilly, la versification est régulière en général, je notais surtout les licences orthographiques, comme le "s" de deuxième personne du singulier qui disparaît pour arranger les rimes ou la mesure
Mais dans l'édition Champion récente, je trouvais un vers génial dans le poème La Maîtresse rousse, vers génial qui m'imposait le respect à l'égard de Barbey d'Aurevilly, celui qui dans ses Diaboliques fait des feintes pas très subtiles sur l'homophonie, homonymie "pêcher", etc Mais bon Une vieille maîtresse, L'Ensorcelée, c'est pas trop mal à lire, aussi j'étais admiratif de ma découverte et je l'ai citée en note dans mon article Ecarts métriques d'un Bateau ivre :
Aussi ce n'était pas pour le temps d'une orgie,
Mais pour le temps d'une éternité, que je l'avais choisie :
J'avais bien envisagé la coquille, avec une reprise fautive non effacée de "le temps d'une", mais cette correction supposait aussi un remaniement "l'" et la leçon aurait été assez plate Je trouvais assez naturellement géniale l'audace de Barbey et j'estimais la reprise "pour le temps d'une" tout à fait nécessaire à son effet
Il est vrai que seule la leçon manuscrite trancherait désormais, mais alors que j'avais cet effet transcendant vertigineux du vers faux à la césure, du vers à qui le temps avait octroyé un excès de syllabes "Mais pour le temps d'une" + 4 "éternité" et non + 1 comme "vie"
C'était un grand moment de littérature dans une oeuvre secondaire en poésie
Eh bien, récemment, au marché du livre à Mouans-Sartoux, où je suis allé voir une conférence sur le rock et une autre avec la fille de Giono, j'ai acheté juste deux livres, un sur les itinéraires dans l'Estérel et une édition à peu d'exemplaires de Poussières, et j'ai lu le vers que j'avais refoulé dès le départ
Aussi ce n'était pas pour le temps d'une orgie,
Mais pour l'éternité, que je l'avais choisie :
Ma compagne jusqu'à la mort !
Pas grave, dans ma vie, le "un moment Joyeuse" et "pour le temps d'une éternité" ont été des expériences littéraires exaltantes que je ne saurais rien regretter pour rien au monde