samedi 30 septembre 2017

Fais ce que dois, Passant et sentiment d'exil

Ne se contentant pas d'être poète, François Coppée a écrit pour le théâtre. Le succès fut au rendez-vous pour son premier essai, la comédie en un acte Le Passant "Représentée pour la première fois sur le théâtre de l'Odéon le 24 janvier 1869". La pièce fut interprétée en province, et notamment à Charleville. Rimbaud a-t-il assisté à une représentation et a-t-il dû supporter le jeu lourd et incroyablement exagéré de l'alors débutante "Mlle Sarah Bernhardt", future maîtresse de Jean Richepin ? En tout cas, il a connu le texte de cette pièce dont il reprend partiellement un vers dans son poème "Les Etrennes des orphelins" composé tout à la fin de cette même année 1869. Rimbaud, dans ses premiers poèmes, s'est d'ailleurs inspiré des premiers recueils, autrement dit des recueils déjà parus, du poète François Coppée. Il a suivi son activité de près, décidément. Longtemps proche de Coppée, Verlaine a cité plus tard un vers du Passant dans un dizain que Rimbaud a recopié en septembre 1872 sur un carnet de Félix Régamey à Londres. Rimbaud aurait par ailleurs écrit à Verlaine avant de se rendre à Paris qu'il serait "moins gênant qu'un Zanetto", nom du héros de la pièce Le Passant, à une époque où Verlaine comme Rimbaud doivent juger sévèrement les positions d'hostilité à la Commune de l'auteur François Coppée, car cette citation a dû être faite dans une situation de connivences qui supposait une raillerie à l'égard de Coppée. Hélas ! nous n'avons pas cette lettre qui prouverait probablement que la symbiose du discours politique était déjà engagée entre Verlaine et Rimbaud.
Cette pièce Le Passant a-t-elle pu inspirer d'autres écrits de Rimbaud et Verlaine ? En-dehors de la réécriture de certains vers, nous pouvons envisager l'angle thématique, ainsi la figure revendiquée du bohémien dans Le Passant justifie à tout le moins les comparaisons avec le sonnet "Ma Bohême" de Rimbaud, ne fût-ce que pour établir les différences de traitement ou les éventuelles filiations. Peu importe que les emprunts de "Ma Bohême" impliquent d'autres oeuvres, d'autres auteurs : la comparaison n'a rien d'illégitime.
Un tel travail serait d'autant plus important qu'en 1872 dans ses poèmes en vers très particuliers Rimbaud repense l'idée du poète bohémien, mais un simple rapprochement des mots clefs ne permettra peut-être pas de bien cerner le lien à la comédie de Coppée. Cela dit, les mots clefs permettant d'établir des liens manquent-ils à l'appel ?
Dans "La Rivière de Cassis", il est question d'un "passant", ce qui serait déjà un lien subreptice, mais surtout dans "Comédie de la soif", poème contemporain de "La Rivière de Cassis" avec des thèmes proches, nous avons une "auberge verte" qui, dit le poète, "Jamais" "Ne peut bien m'être ouverte". Cela figure dans le quatrième poème de l'ensemble "Comédie de la soif" et cela s'intitule "Chanson". Le lecteur pense immédiatement à un poème contemporain de "Ma Bohême" le sonnet "Au Cabaret-vert", rapprochement fondé qui justifie déjà une comparaison thématique avec "Ma Bohême", mais le lecteur ne voit pas encore le lien avec le thème du bohémien de la comédie Le Passant. Pour cela, il convient d'avoir à l'esprit certains vers de la pièce. Après une première scène où Silvia monologue jusqu'au surgissement du chant de Zanetto, nous avons une scène deux où Silvia est en retrait sur sa terrasse, écoutant le nouveau venu Zanetto qui se demande où il va dormir. Il déplore de ne pas connaître pour la nuit un lit confortable tout en chantant la liberté d'oiseau que lui procure sa condition. Et Zanetto s'écrie d'un vers sur l'autre : "[...] l'auberge / Est sourde au poing qui frappe et s'ouvre avec ennui." Le jeune vagabond choisit alors un banc et il salue la "belle étoile", "Auberge du bon Dieu qui fait toujours crédit."
On me dira que je ne prends que le mot "auberge" comme prétexte à un rapprochement ténu.
Libre à d'autres de chercher un rapprochement plus convaincant à leurs yeux dans la vaste littérature. Je ne vais pas perdre mon temps à expliquer pourquoi le champ peut se restreindre jusqu'à rendre finalement crédible mon propre rapprochement. On remarque que le dizain de Verlaine "L'Enfant qui ramassa les balles..." recopié par Rimbaud en septembre 1872 cite un vers voisin de la scène 2, puisque c'est sur la page voisine de l'édition Lemerre que j'ai en main que je peux lire le vers suivant dans la bouche de Silvia : "Pauvre petit ! Il a sans doute l'habitude." Elle parle précisément de la situation sans auberge de Zanetto, puisqu'elle s'apitoie sur le fait qu'il dorme sur son banc, et elle a tout entendu. Le dizain de Verlaine montre qu'une relecture récente de la pièce de Coppée avait dû avoir lieu avec un intérêt accru pour cette scène 2.
Déjà, dans l'Album zutique, Rimbaud s'inspirait maximalement des oeuvres de Coppée pour cause de parodies de Coppée lui-même justement. Dans "Les Remembrances du vieillard idiot", dont le titre est une réécriture Les Contemplations de Victor Hugo, mais tournée contre Coppée, auteur auquel le poème est attribué par une fausse signature, nous avions des emprunts à plusieurs poèmes de Coppée, avec une imitation de ses marqueurs psychologiques. Rimbaud y reprend notamment le pronom personnel indéfini "on" à la césure et le rejet du verbe "Troubler" d'un vers à l'autre, deux procédés que nous trouvons dans la scène 2 du Passant.

On y dort, et si l'on a froid dans son sommeil,
Le matin on se chauffe en dansant au soleil.

Cette nuit parfumée et cet enfant qui dort
Me troublent. On dirait que mon coeur bat plus fort
Et qu'une émotion nouvelle le soulève.
Ah ! je suis folle ! (Regardant Zanetto de plus près.) Hélas ! il ressemble à mon rêve.

Les soulignements sont nôtres. La première citation est coincée entre les deux vers du Passant mentionnés plus haut qui contiennent le mot "auberge", au sein d'un espace de huit vers, autrement dit à l'intérieur d'un espace de quatre rimes d'écart.La seconde citation suit immédiatement la rime "habitude"::"solitude" avec le fameux vers repris partiellement par Verlaine dans "L'Enfant qui ramassa les balles..."
On me répliquera que, malgré tout, thématiquement la pièce "Les Remembrances du vieillard idiot" nous éloigne de "Comédie de la soif" ou de "La Rivière de Cassis". Certes, mais je prétends montrer deux choses. Premièrement, ce sont des formes prosodiques psychologisantes que "Les Remembrances du vieillard idiot" reprennent à la scène 2 du Passant. Peu importe que les thèmes ne soient pas les mêmes. Deuxièmement, il est visible que Rimbaud et Verlaine ont régulièrement reporté leur attention sur le début de la comédie Le Passant. Par conséquent, un indice de rapprochement doit être pris au sérieux, même si de prime abord il a l'air ténu comme une mention minimale "passant" dans "La Rivière de Cassis". Rappelons que l'expression "chers corbeaux délicieux" figure dans un poème "Les Corbeaux" dont la fin est une réécriture de la fin du poème hostile à la Commune "Plus de sang".

Dis-leur cela, ma mère, et messagère ailée,
Mon ode ira porter jusque dans la mêlée
     Le rameau providentiel,
Sachant bien que l'orage affreux qui se déchaîne,
Et qui peut d'un seul coup déraciner un chêne,
     Epargne un oiseau dans le ciel.

Mais, saints du ciel, en haut du chêne,
Mât perdu dans le soir charmé,
Laissez les fauvettes de mai
Pour ceux qu'au fond du bois enchaîne,
Dans l'herbe d'où l'on ne peut fuir,
La défaite sans avenir.
"Les Corbeaux" et "La Rivière de Cassis" ne sont que de quelques mois postérieurs aux nombreuses parodies de Coppée contenues dans l'Album zutique, puisque l'un doit dater de janvier, février ou mars 1872, quand l'autre est daté de "mai 1872". Mais ils sont aussi contemporains de "Comédie de la soif". J'ai cité tout à l'heure l'auberge du quatrième des cinq poèmes constitutifs de l'ensemble "Comédie de la soif". Les troisième et cinquième poème intitulés "Les Amis" et "Conclusion" m'intéresseront maintenant dans la mesure où quelques vers semblent se démarquer de la chanson même que fredonne Zanetto à la fin de la première scène du Passant, moment de transition où nous passons du monologue-aparté de Silvia à l'aparté de Zanetto de la scène 2.

Mignonne, voici l'avril !
Le soleil revient d'exil ;
Tous les nids sont en querelles.
L'air est pur, le ciel léger,
Et partout on voit neiger
Des plumes de tourterelles.
Ce premier couplet ferait plutôt songer au début de la parodie zutique de Pelletan "Avril, où le ciel est pur...", mais notons déjà l'exorde du printemps.
Voici le second couplet après un aparté de Silvia.

Prends, pour que nous nous trouvions,
Le chemin des papillons
Et des frêles demoiselles.
Viens, car tu sais qu'on t'attend
Sous le bois, près de l'étang
Où vont boire les gazelles.

J'aime autant mieux, même,
Pourrir dans l'étang,
Sous l'affreuse crème,
Près des bois flottants.

Les pigeons qui tremblent dans la prairie
Le gibier, qui court et qui voit la nuit,
Les bêtes des eaux, la bête asservie,
Les derniers papillons !.... ont soif aussi.
Ajoutons à cela que si le titre a varié, sa forme "Comédie de la soif" désigne le genre auquel appartient la pièce Le Passant.

**

Revenons maintenant au poème "Les Corbeaux". Nous avons montré que le discours politique de ce poème est à mettre en relation avec le discours de Coppée qui s'opposait à la Commune, mais qui voulait une réconciliation pour reprendre un jour l'Alsace et la Lorraine aux allemands.
Les morts de la guerre franco-prussienne doivent nous rappeler un devoir et si notre mémoire faillit les corbeaux sont là pour l'en empêcher. Le "devoir" du poème "Les Corbeaux", c'est celui prôné par Coppée, et il l'a prôné dans une autre pièce intitulé "Fais ce que dois" où le devoir est formulé sous une forme verbale.
Dans cette pièce, le devoir qui est désigné est celui de la revanche.
Coppée a déjà fait jouer quelques pièces, mais toutes n'ont pas eu leur première représentation à l'Odéon. Deux Douleurs a été représentée au Théâtre Français le 20 avril 1870 et L'Abandonnée  le 13 novembre 1870 au théâtre du Gymnase. Par un entrefilet malveillant paru dans la presse, nous savons que Verlaine a assisté à cette pièce qui fut pourtant l'occasion d'une dispute violente avec sa femme.
On peut supposer que Verlaine était accompagné de Rimbaud.
Mais, les pièces jouées à l'Odéon, ce sont donc Le Passant et Fais ce que dois.
La pièce Fais ce que dois, assez courte, a été jouée pour la première fois à l'Odéon le 21 octobre 1871. Une femme en deuil de son mari après les événements de l'année terrible veut fuir pour l'Amérique avec son fils qu'elle couve, mais un professeur redresseur de torts intervient et malgré la mère il convainc l'enfant par des procédés rhétoriques de rester en France par devoir pour les morts, dans l'espoir d'une revanche, et dans les procédés figure le repoussoir qu'est la Commune. Le texte de la pièce a été publié au même moment, avant même qu'elle n'ait été vue jouée, dans Le Moniteur universel. Pas de suspense, on va communier dans un discours édifiant et rassembleur. L'Odéon est à deux pas de l'Hôtel des Etrangers, puisque la rue Racine aboutit à la place même où se trouve le théâtre.
Dans l'Album zutique, les poètes n'ont pas attendu le 21 octobre pour réagir, puisque dès les premiers feuillets, le titre de Coppée est évoqué de manière obscène par Camille Pelletan : "marques de mon doigt", ce qui au passage montre que Teyssèdre a tort de penser qu'une allusion à la pièce de Coppée et surtout à son titre était impossible avant le 21 octobre. Il oublie la publicité anticipée dans la presse et les affiches, sans oublier que le milieu des poètes sait se tenir informé à l'avance de l'actualité d'un collègue.
Le poème "Etat de siège ?" épingle la pièce de Coppée avec une transposition du communard en "postillon" obscène, puis "débauché impur', et il est fait allusion à la représentation de la pièce par la mention de l'omnibus qui arrive en vue de l'Odéon.
Quelques pages plus loin, Valade produit un dizain à forte résonance politique intitulé "Epilogue" et juste en-dessous figure un poème intitulé "Exil" ou "Exils", car il est difficile de déterminer s'il y a un "s" ou non à ce titre, surtout si on compare avec les "s" de "s'intéressa" ou "instinct" sur la transcription. Mais peu importe, ce qui importe, c'est que ce fragment d'une épître en vers attribuée à Napoléon III contient une formule à fort relent coppéen "honnête instinct" et parle d'exil.
Nous avons vu que "Etat de siège ?" fait allusion à la pièce "Fais ce que dois", sans en reprendre le sujet, mais avec une petite transposition quand même au plan de la débauche.
Raoul Ponchon confirme le procédé allusif de la mention "Odéon" dans une parodie de septembre 1872 qui cite explicitement la première à l'Odéon d'une autre pièce de Coppée intitulée Le Rendez-vous.
Dans le cas d'exil, les vers sont déjà attribués à Napoléon III, mais Coppée est en train de publier un recueil intitulé Les Humbles dans lequel Napoléon III n'a pas sa place en principe. Or, Napoléon III subit effectivement les rigueurs de l'exil à cette époque, ce qui peut permettre l'expression d'une poésie triste coppéenne. Coppée est un proche de la princesse Mathilde justement. Enfin, dans Fais ce que dois, tout le récit s'articule autour de l'idée d'un exil. Je cite le premier vers. Le fils Henri, encore un prénom qui sonne bien, demande à sa mère : "Ainsi, nous émigrons ?" et la mère Marthe répond : "Oui, nous quittons la France." Je trouve que la situation est quelque peu parallèle entre les plaintes de Marthe et les plaintes de Napoléon III, ce qui me fait dire que les six vers de "Exil" sont à mettre en relation avec l'actualité théâtrale de Coppée.
Enfin, Daniel, conscience politique du drame Fais ce que dois, est un professeur qui enseigne l'alphabet à des enfants. Le sonnet "Voyelles" est la réponse communarde à cet enseignement. Ce Daniel rappelle aussi la devise de Paris "Nec fluctuat mergitur" et développe cette métaphore en évoquant le sort du Vengeur, ce qui a dû intriguer Verlaine auteur d'un poème peu connu sur ce sujet également.
Le poème "Le Bateau ivre" parle d'un "Poëme de la Mer" qui concerne la Commune et donc Paris, un poème qui est une réplique au discours final de Daniel dans le drame moralisateur de Coppée, où l'exemple communard est explicitement rejeté, voire présenté comme un repoussoir pour guider vers le bien et le devoir.
L'important dans toute cette étude, c'est de voir que la figure de Coppée très présente dans l'Album zutique est porteuse d'un modèle que Rimbaud conteste et cette présence n'a pas disparu d'un coup. Coppée est présent dans les vers de 1872, fort au second plan dans "Voyelles" et "Le Bateau ivre", mais au tout premier plan dans "Les Corbeaux", et sa valeur de repoussoir cette fois pour Rimbaud n'est pas à négliger dans "Comédie de la soif" ou "La Rivière de Cassis", voire dans "Aube" poème en prose où j'ai prétendu identifier une allusion à un dizain des Promenades et intérieurs. Ceci contribue à donner du sens aux mystérieux poèmes de 1872 et une transition s'établit avec la pratique contestataire des vers irréguliers qui se tournent vers le refus des règles et vers les formes de la chanson populaire. Cette période c'est précisément "l'histoire d'une de mes folies" racontée dans "Alchimie du verbe".
Voilà le fil que nous invitons tout lecteur de Rimbaud à bien considérer.

jeudi 28 septembre 2017

Cantel vs Mérat, Poulet-Malassis vs Lemerre

J'ai publié récemment un article de mise au point où je montre que le "Sonnet du Trou du Cul" est une parodie au carré ou parodie à double fond. L'idée de double parodie n'est pas pleinement adéquate dans la mesure où il s'agit de se moquer de Mérat et non pas de Cantel, mais on ne va pas écrire cela non plus de manière compliquée. En clair, le sonnet de Verlaine et Rimbaud fait des emprunts à deux recueils, d'un côté à Amours et Priapées d'Henri Cantel, de l'autre à L'Idole d'Albert Mérat, seule cible déclarée.
Steve Murphy a découvert l'emprunt le plus net au volume de Cantel, à savoir la comparaison de l'anus à un oeillet. Cela entre dans une logique de la signification homosexuelle du mot "oeillet" avec valorisation du Dictionnaire érotique moderne de Delvau qui est assez bébête et tautologique dans ses explications métaphoriques de divers mots, mais qui sert donc de référence pour prouver qu'à telle époque une expression peut avoir un emploi obscène.
Le problème, c'est que ce prisme du dictionnaire empêche de considérer l'importance de Cantel en lui-même.
Le recueil de Cantel a été publié sous le manteau en 1860 par Poulet-Malassis. Or, l'éditeur réfugié en Belgique ne s'est pas arrêté là. Il a publié sous le manteau en 1864 le Parnasse satyrique du dix-neuvième siècle et en 1866 il l'a enrichi avec un Nouveau Parnasse satyrique en complément. Ces volumes réunissent des poèmes censurés, obscènes, inédits de nombreux poètes en vue du dix-neuvième siècle : Banville, Gautier, Monselet, Hugo, Béranger, Musset, etc. et bien sûr les poèmes condamnés des Fleurs du Mal de Baudelaire. C'est aussi en 1866 que Poulet-Malassis a publié les Joyeusetés galantes et autres du vidame Bonaventure de la braguette, recueil d'Albert Glatigny publié sous le manteau encore une fois et sans nom d'auteur.
Or, tenté par l'expérience, Verlaine a publié chez Poulet-Malassis en 1867 une plaquette Les Amies avec une suite numérotée en chiffres romains qui s'inspire du recueil Amours et Priapées d'Henri Cantel. Et, en 1869, Poulet-Malassis a réédité ce volume d'Henri Cantel qui a précédé toutes les autres publications que nous venons de citer.
Je n'ai pas clairement compris si le frontispice de Félicien Rops ne concernait que la réédition de 1869 ou s'il figurait déjà dans l'édition de 1860. Je penche pour un ajout à l'édition de 1869. Mais, là encore, c'est important. Félicien Rops est un ami belge de Baudelaire et il est aussi l'auteur du frontispice qui orne le Parnasse satyrique du dix-neuvième siècle. Les frontispices sont tous les deux faunesques, les dessins de faunes étant fort présents dans l'édition du volume obscène de Glatigny.
Rimbaud a repris un titre d'un sonnet du recueil Avril, mai, juin de Mérat et Valade qu'il a raccourci en "Tête de faune", et il en a fait le titre d'une composition qui ne fait pas partie de l'Album zutique, mais qui en prolonge l'esprit.
Il reste maintenant à revenir sur deux points : d'un côté, le lien de Poulet-Malassis à des livres de contributions manuscrites obscènes, de l'autre la confrontation des éditeurs Poulet-Malassis et Lemerre.
L'Album des Vilains Bonshommes et l'Album zutique étaient des créations manuscrites impubliables. L'existence du premier s'apprend au hasard d'une lecture de la correspondance de Verlaine, l'existence du second est longtemps restée inconnue et a surpris tout le monde dans les années 1930, à soixante de distance des contributions mêmes.
Or, quand dans sa lettre à Coppée du 18 avril 1869, Verlaine fait un descriptif de ce que doivent être exclusivement les contributions à l'Album des Vilains Bonshommes il ne fait rien d'autre que de fixer les conditions pour paraître dans un volume sous le manteau du type le Parnasse satyrique du dix-neuvième siècle, ce qui remet en cause l'idée d'une littérature non vouée à la publicité, non prévue pour la publication. L'Album zutique correspond nécessairement au même projet, puisque dans sa lettre à Valade Verlaine qui regrette l'ancien Album des Vilains Bonshommes déclare s'inspirer des Joyeusetés galantes de Glatigny notamment.
Ces projets ne peuvent se faire sous la houlette du "bon éditeur" Lemerre. Verlaine a publié Les Amies chez Poulet-Malassis. Or, le nom "Panrasse" figure donc en tête de deux ouvrages parus sous le manteau chez Poulet-Malassis, l'un en 1864, l'autre en 1866, quand le premier volume du Parnasse contemporain date de 1866. Poulet-Malassis reprenait le titre d'un ouvrage collectif libertin de 1622 dont le premier poème avait eu de fâcheuses conséquences pour son auteur Théophile de Viau. Et l'ouvrage de 1622 avait des caractères d'imprimerie archaïques avec des "s" ressemblant à des "f".
En 1869, alors que Poulet-Malassis réédite le volume Amours et Priapées d'Henri Cantel, Albert Mérat a publié chez Alphonse Lemerre un ouvrage de blasons du corps féminin qui renvoie à une certaine tradition, à tel point que le principe archaïque des "s" ressemblant à des "f" a été adopté. Mais l'érotisme du recueil de Mérat s'est imposé d'importantes limites. Mérat songeait pourtant au livre d'Henri Cantel avec lequel il partage le fait d'être un recueil de sonnets avec un sonnet "Prologue" et un sonnet "Epilogue".
Voilà les raisons pour lesquelles le "Sonnet du Trou du Cul" est tout du long une double imitation de Cantel et Mérat. Le "Sonnet du Trou du Cul" sera ce qu'aurait dû être la création plus débridée, plus licencieuse de Mérat, s'il avait changé d'éditeur!
Voilà qui ajoute encore de la profondeur à la cruelle parodie zutique de Verlaine et Rimbaud !
Et je n'oublie pas la mise en perspective avec le discours tenu dans "Alchimie du verbe" sur les "livres érotiques sans orthographe", les "refrains niais" et les "rythmes naïfs", parce que, avec les citations de Favart et les poèmes sous le manteau, nous sommes bien dans le sujet.

samedi 23 septembre 2017

Prochaines entrées zutiques

J'ai annoncé une étude à venir sur le monostiche de Ricard. Donc, ma révélation a été prise en compte que le monostiche zutique de Rimbaud parodiait bien un passage précis des poésies de Ricard, et en fait moi mon discours c'est qu'au-delà d'une réécriture les mots du monostiche renvoient à des idées clefs répétées dans l'oeuvre de Ricard, et je travaille, suite à une découverte plus récente, sur l'idée que le motif de l'égoïsme implique Amédée Pommier et peut-être un sujet ancien qui nous échappe, mais qui a circulé dans l'opinion publique et sur lequel s'appuierait Amédée Pommier, l’œuvre en réponse de Ricard étant ultérieure. Ceci dit, Bruno Claisse a publié au sujet de ce monostiche le seul article où il a daigné me citer. Dans le Foutoir zutique, Teyssèdre a travaillé sur ce monostiche. Je vais étudier de près leurs deux lectures et puis je développerai ma propre thèse de lecture sur ce monostiche, en commentant le projet poétique de Ricard dans ses poésies. Je regrette de ne pas avoir l'accès que je voudrais à certains textes en prose comme cette "Révolution populaire" publiée le 7 avril 1871 dans le Journal officiel de la Commune dans les Variétés, texte que je ne connais que par quelques extraits glanés par-ci, par là.
Mais je ferai déjà un article, vu l'urgence dans laquelle je suis.
J'ai par ailleurs déjà composé un texte d'une certaine étendue sur les manuscrits du "Sonnet du Trou du Cul", je reviens sur l'édition philologique de Steve Murphy en 1999. Elle est assez confuse et il y a des manques. Il y a une énigme sur les manuscrits à démêler et cela implique les "Immondes". Un truc important, c'est l"élucidation du manuscrit du "Sonnet du Trou du Cul" que possédait Maurevert. C'est un truc énorme à mon sens qui passe complètement inaperçu.
Enfin, il était prévu que je mette cela dans l'étude que je viens d'annoncer sur les manuscrits du "Sonnet du Trou du Cul", mais je viens de me reporter au texte de Teyssèdre sur le "Sonnet du Trou du Cul". Il y a des erreurs, par exemple il attribue la transcription zutique à Verlaine et non pas à Rimbaud, mais il y a tout un discours confus que peut difficilement comprendre quelqu'un qui n'a jamais lu le recueil L'Idole d'Albert Mérat. Je cite : "Mérat se signalait par une omission. Bien qu'il fût descendu du haut de la chevelure jusqu'à la pointe des orteils, il avait oublié les fesses (pensons au ridicule qu'aurait eu un sonnet des "feffes"...). Plus exactement "on" les avait censurées. Verlaine s'est moqué, dans une lettre à Coppée, du poète ulcéré de publier son Idole avec des coupures, et dans une lettre à Morice il a présenté carrément le Sonnet du Trou du Cul comme un "complément" au blason mutilé.[Note 7 mentionnée ici]. Mérat a copié à la main sur quelques exemplaires un dernier sonnet qui fait défaut au recueil imprimé. Celui qui, dans le livre, a pour titre Dernier sonnet (titre qui évite à dessein toute précision anatomique) laisse entendre que l'auteur, sans se donner le ridicule de geindre, riait jaune [...]" Suit la citation de cinq vers.
Teyssèdre écrit n'importe comment, ça part dans tous les sens, tantôt il dit des choses erronées, tantôt s'il ne tranche pas clairement son style ne peut qu'induire en erreur.
Tout se mélange : les plaintes réeles attribuées à Mérat et la plainte jouée dans les vers de son recueil, l'ajout de Verlaine / Rimbaud et un ajout de Mérat lui-même. Pour "feffes", il s'agit juste d'une moquerie sur l'orthographe archaïsante des "s" du recueil imprimé, mais Teyssèdre dit quelque chose de faux quand il prétend que Mérat a oublié le sonnet des fesses. Pas du tout ! Le recueil achevé d'imprimer le 20 avril 1869 et consultable sur le site Gallica de la bibliothèque nationale de France contient un avant-dernier sonnet, un dernier sonnet, avec pour terminer le sonnet "épilogue". A lire Teyssèdre, Mérat a oublié de produire un sonnet des fesses, et pour cause il aurait été censuré. Mais c'est faux ! La censure n'a porté que sur les titres, et quand Teyssèdre dit "pensons au ridicule qu'aurait eu un sonnet des "feffes" " il semble ne pas comprendre que "avant-dernier sonnet" c'est la censure du titre "Sonnet des fesses", mais le sonnet en lui-même nous l'avons, juste qu'il est plus pudique et allusif que prévu. Pire encore, Teyssèdre ne cite pas ensuite l'avant-dernier sonnet, mais le "Dernier sonneté, lequel ne porte pas sur les fesses, mais sur le sexe de la femme. En réalité, le recueil de Mérat a connu deux censures portant sur deux titres "Sonnet des fesses" et "Sonnet du sexe de la femme" ou "sonnet du vagin" respectivement remplacés par "avant-dernier sonnet" et "dernier sonnet". C'est là qu'est la censure. Ensuite, la menace de la censure nous a valu deux sonnets plus contournés que les autres et un discours de plainte.
Mais dans la citation que nous avons rapportée, Teyssèdre prétend qu'un sonnet a été ajouté de manière manuscrite sur quelques exemplaires, et faute de précision on croire que c'est ce "Dernier sonnet" à tort confondu avec un sujet sur les fesses quand il est question du sexe de la femme.
Or, où est ce sonnet manuscrit s'il existe ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire de manuscrit de la main de Mérat d'un autre sonnet, et ce serait le blason de quelle partie du corps ?
La note 7 ne rapporte qu'un extrait de la lettrre de Verlaine se moquant des "coupures" dont se plaindrait Mérat au moment de la publication, la note 8 montre que Teyssèdre identifie bien l'avant-dernier sonnet à un sonnet des fesses. C'est sa rédaction qui est incroyablement confuse finalement.
Mais rien sur un manuscrit à retrouver de Mérat, on dirait que Teyssèdre a inventé ou rêvé cela, alors que s'il existe un sonnet manuscrit, le chercheur sur une parodie ne devrait avoir rien de plus empressé que de transcrire le document inédit pour éprouver s'il apporte quelque chose.
D'où vient que Teyssèdre affirme ainsi la présence d'un sonnet manuscrit de Mérat sur quelques exemplaires de L'Idole ? Mystère et boule de gomme.

vendredi 22 septembre 2017

Madrigal, un poème de madrigalant ?

Par la comparaison du dossier manuscrit paginé dit "Dossier Verlaine" qui nous est parvenu avec une liste de titres et nombre de vers de poèmes de Rimbaud publiée par André Vial dans les années 70, Steve Murphy, Yves Reboul et la plupart des rimbaldiens en arrivent à une conclusion difficilement contestable : le titre "Madrigal" pour quatre vers doit désigner le quatrain sans titre que nous connaissons "L'Etoile a pleuré rose...", avis que je partage bien évidemment, d'autant que le titre est plus une mention générique qu'un titre authentique si nous comparons avec le reste : "Soeurs de charité", "Chercheuses de poux", "Homme juste", "Voyelles", "Oraison du soir", etc.
En 1999, Yves Reboul a publié un article décisif sur ce quatrain, une découverte plus forte que celle sur "L'Homme juste" pour lequel personne ne réfléchissait tout en tournant autour du pot, puisqu'Ascione avait envisagé les allusions à la proscription de Victor Hugo et que l'assimilation à Jésus-Christ était absurde. Quelqu'un pourtant a-t-il fait son profit de cette étude à part nous-même ? Nous pouvons nous le demander puisque personne n'a réagi ou véritablement repris la leçon de cet article. Yves Reboul lui-même a sans aucun doute sous-évalué l'importance de sa découverte, puisqu'il n'a pas su rebondir et envisager une lecture de "Voyelles", ni envisager que "Beams" décrit une allégorie et certainement pas Rimbaud lui-même, tandis que "Credo in unam" que Reboul sollicite fortement pour commenter "L'Etoile a pleuré rose..." est assimilé à un centon dans des écrits plus récents.
Malgré tout, il a éclairé le sens de "L'Etoile a pleuré rose...", il n'y aurait plus rien à dire. Reboul joue lui-même avec cette idée dans le titre de son article "Quelques mots sur 'L'Etoile a pleuré rose...' " qui signifie petit commentaire pour un court poème, et beaucoup doivent se dire : petit commentaire comme il convient à un poème aussi court.
Pourtant, il semblait en aller ainsi avec les études déjà très fouillées du "Sonnet du Trou du Cul", d'autant que plein d'emprunts avaient été mentionnés à partir de la cible désignée qu'était le mince recueil L'Idole d'Albert Mérat. Et Murphy avait ajouté à l'édifice un emprunt ou deux au recueil Amours et Priapées d'Henri Cantel, auteur obscur. Il ne restait que des miettes. Nous venons de voir que, loin de fermer l'horizon, la mention complémentaire du recueil érotique de Cantel nous a permis de prendre en charge un commentaire de fond résolument neuf d'un poème zutique qui semblait par exception ne pas devoir permettre à un certain David Ducoffre d'asseoir encore plus son autorité de spécialiste zutique. Nous rions beaucoup, parce que nous savons à quel point notre article de la veille sur le "Sonnet du Trou du Cul" assomme complètement la critique zutque, d'autres études faisant pareil avec Une saison en enfer.
Revenons donc à 'L'Etoile a pleuré rose..."
Reboul qui cite un vieux vieux commentaire d'Etiemble rejette l'interprétation d'un blason idéalisant et parnassien de la femme. Mais son explication ne porte véritablement que sur le dernier vers, la pointe du madrigal. Pierre Brunel venait d'envisager que cette saignée noire sur un flanc avait quelque chose d'une allusion au Christ percé d'un coup de lance sur la Croix, et rappelons ici que cette allusion a déjà été explicitement employée par Rimbaud dans les "deux trous rouges au côté droit" du "Dormeur du Val", la tradition iconographique ayant imposé le côté droit, car le coeur de l'être humain est à gauche, sauf chez notre grand-mère paternelle où la position était inversée. Reboul rappelle à Brunel qui le néglige que les allusions christiques chez Rimbaud et bien des républicains athées sont détournées dans une espèce de messianisme laïc. Il cite l'exemple du "INRI" de Cladel pour commémorer le martyre du peuple de Paris sous la Commune.
Le fait de verser un sang noir sur le flanc d'une femme, c'est en effet une image de martyre à la guerre, et le sang noir est une image ambivalente : inquiétante, mais aussi exemple d'un sang fort et non pâle.
Reboul s'appuie tout particulièrement sur la majuscule à "Homme" qui relève d'un discours assez codé qui se trouve déjà dans "Credo in unam".
Ce sang, c'est le don sacrificiel du vrai "Homme" le communard parisien en mai 1871. Et le mot "souverain" a du sens politiquement.
En revanche, pour les trois premiers vers; Reboul balaie d'un revers de la main pas mal de choses intéressantes.
Par exemple, le titre "Madrigal" dont il exploite la signification lui sert à éloigner "L'Etoile a pleuré rose..." de "Voyelles". En effet, dans la liste de titres publiée par André Vial, le titre "Madrigal" figure entre "Oraison du soir" et "Les Soeurs de charité". Il prend prétexte de cela pour dire que le lien initial que nous avons constaté sur un manuscrit entre "Voyelles" et "L'Etoile a pleuré rose..." est dénoué, défait par la liste de titres correspondant au même ensemble de poèmes. Mais c'est absurde ! Tout ce qui est établi, c'est que Rimbaud n'imposait pas une solidarité éternelle entre ces deux poèmes, mais le manuscrit atteste un rapprochement de toute façon. Reboul rejette alors le lien par les couleurs entre le sonnet du "A noir" et le quatrain qui colorise étrangement étoile en rose, mer en roux, infini en blanc, sang de l'homme en noir.
Et cela continue, Reboul mentionne vaguement, je veux dire sans citation de noms, que le quatrain est parfois rapproché en tant que blason du recueil L'Idole d'Albert Mérat cible parodique du "Sonnet du Trou du Cul".
Il concède la possibilité de "quelques réminiscences de ce bref recueil" et cite deux vers du "Sonnet de l'oreille" dont pourrait se souvenir Rimbaud pour son premier vers :

Elles seraient la rose et le satin des fleurs [...]
Et la lumière y trace, exquise, des sillages.
L'Etoile a pleuré rose au coeur de tes oreilles [...]
 Mais Rimbaud n'a pas besoin de rechercher l'adhésion de Mérat pour l'imiter, comme l'illustre ce "Sonnet du Trou du Cul" composé de concert avec Verlaine. Je cite : "On pourrait envisager, il est vrai, qu'il ait délibérément joué un jeu, concevant par exemple le quatrain comme un hommage à Mérat destiné à lui procurer l'appui de ce dernier. L'idée n'a en soi rien d'absurde, mais avec l'évolution catastrophique des rapports entre lui et l'auteur de L'Idole, une telle démarche aurait très rapidement perdu sa raison d'être [...]." Mais, outre que cette explication à l'écriture d'un poème n'a rien pour plaire et convaincre,  Rimbaud n'a pas écrit des quatrains pour Catherinettes. Son quatrain "Lys" met en boîte toute la production poétique déjà publiée par Armand Silvestre fin 1871. Et nous avons eu en 1872 deux quatrains réunis sous le titre "Vers pour les lieux" qui ont un lien si explicite avec le "trou du cul" que dans l'un de ces deux quatrains, celui en octosyllabes, nous avons une occurrence du mot "trou" et une fausse attribution de ces vers par la signature à Albert Mérat lui-même.

De ce siège si mal tourné
Qu'il fait s'embrouiller nos entrailles,
Le trou dut être maçonné
Par de véritables canailles.

                                  Albert Mérat
                                  Paris, 1872.
 Quatrain, c'est un quatrain, comme dirait Tristan Corbière. Nous connaissons deux états manuscrits de ces deux quatrains, des transcriptions par Verlaine dans des lettres contemporaines, une à Delahaye du 14 octobre 1883 et une autre du 20 décembre 1883 à Morice. Les héritiers de Verlaine doivent toujours posséder les originaux supports de la copie de ces poèmes obscènes à l'époque impubliables. Le titre d'ensemble, variante au titre "Conneries" (sachant que le mot "con" revient deux fois dans le quatrain en alexandrins), "Vers pour les lieux" n'est envoyé qu'à Delahaye. Mérat n'est pas mentionné dans ce premier envoi. En revanche, dans la lettre à Morice, les deux quatrains sont transcrits sans chapeau d'un titre collectif avec à chaque fois la mention de date "Paris, 1872" pour le premier et "mê'me 'lieu', même date' " pour le second. La transcription du premier quatrain donnée ici est donc fautive, il n'y a pas la mention "Albert Mérat". Murphy l'a adoptée sans tenir compte de la lettre du manuscrit, ce qui n'est pas très philologique, mais il avait sans doute une irrépressible envie de recoller les morceaux, car dans la lettre à Morice il est écrit, et je reprends la citation faite par Murphy en 1999 : "Mais comme je prétends vous gâter, je vous donne - quel cadeau ! - par-dessus le marché deux quatrains scatologiques (Est-ce le mot ?) dont le premier a longtemps figuré avec la signature Albert Mérat sur un mur du n° 100 du café de Cluny."
Murphy précise que le n°100 est une numérotation convenue pour les "lieux", en particulier dans les hôtels.
Consciencieux, je précise que, et nous pouvons nous reporter au volume de Correspondance générale établi par Michael Pakenham au sujet de Verlaine, celui-ci a écrit le 16 février 1872 à Mérat pour le faire cesser ses calomnies et que le titre d'un poème de Verlaine "Vers pour être calomnié" a tout l'air de viser et le problème Mérat et ces quatrains finalement coiffés d'un titre collectif de construction similaire "Vers pour les lieux". Ce mois de février, Mathilde part à Périgueux, Rimbaud sera bientôt exclu des Vilains Bonshommes à cause de l'incident de trop qui servira aussi à certains de prétexte.
Rapport catastrophique avec Mérat, c'est le cas de le dire avec ces quatrains éparpillés. Vous me direz que nous n'en avons qu'un seul contre Mérat "De ce siège si mal tourné [...]". Mais n'oublions pas le quatrain "Autres propos du cercle" dans l'Album zutique. Il figure sur la même page manuscrite que le "Sonnet du Trou du Cul" transcrit par Rimbaud.
Plus précisément, sur la page zutique, Rimbaud avait initialement reporté le "Sonnet du Trou du Cul", sonnet torché à deux mains, et le quatrain "Lys". A côté, une marge gauche était demeurée où d'autres zutistes ont introduit d'autres obscénités. Il y a un sonnet parodiant Charles Cros avec écho au "Sonnet du Trou du Cul" de la part de Pelletan, parodiant aussi "Lys" avec son printemps d'avril en fleur. Et Valade ajouté en vis-à-vis le quatrain "Autres propos du cercle" qui parodie le sonnet à deux mains inaugural du feuillet précédent "Propos du Cercle", mais aussi la forme de quatrain "Lys" et son obscénité, réplique au passage à Pelletan par fausse signature et il fait écho exprès au "Sonnet du Trou du Cul" lui-même en justifiant l'équivoque sur le titre "sonnet sur un anus" ou sonnet sur un gros porc". En effet, dans "Autres propos du cercle", Mérat apparaît à la rime. La rime est "verrat"::"Mérat". Cela repose une complicité, Valade et Mérat devenant Malade et Verrat par permutation de l'initiale. Et le sonnet se ponctue par le mot "Merde" répété plusieurs fois, sachant que cela renvoie à la clausule attribuée à Rimbaud du sonnet "Propos du Cercle".
Dans ses articles sur le "Sonnet du Trou du Cul", Philippe Rocher a déjà traité ce lien entre "Autres propos du cercle" et "Sonnet du Trou du cul". Il a surtout pensé à un truc très amusant. Le poème "Lys" vise Armand Silvestre et il n'est pas question de lys dans le "Sonnet du Trou du Cul". Mais dans les deux poèmes il y a un jeu sur une idée d'odeur de merde qui ne sent pas la fleur et l'idée la voici, c'est que avec ses "clysopompes d'argent", le quatrain "Lys" à la suite du "Sonnet du Trou du Cul" impose maintenant le lavement à la poésie mératienne, ce que j'ai trouvé très juste d'autant que les lys sont présents en revanche dans les recueils ciblés de Cantel et Mérat.
Mais ce n'est pas fini.
Le quatrain pour les lieux que j'ai cité, appréciez son début, il est démarqué du quatrain "Autres propos du cercle" de Valade : "Dans ce taudis sombre où le blond Jacquet se sert de / Tapis infects ainsi que de mouchoirs (verrat / Hideux)" inspire bien ceci : "De ce siège si mal tourné / Qu'il fait s'embrouiller nos entrailles[.]" Avouez que vous ne vous attendiez pas à ce que soit relevé ici un intertexte pour un des quatrains de "Vers pour les lieux". Et bien le voilà, et là, on voit que les quatrains pleuvent bien en série sur le pauvre Mérat. Précisons d'ailleurs le jeu cruel des deux rimes du quatrain de Valade : "se sert de", "verrat", "Mérat", "merde", puisque "Mérat" fait rime à "verrat", mais fait aussi écho à "merde". C'est autrement plus drôle qu'un quatrain qui aurait donné "Valade", "verrat", "Mérat", "malade" dans ses rimes.
Passons maintenant à "L'Etoile a pleuré rose..."
 Dans notre article collector de la veille, nous avons dit que le titre "Le Sonnet des Voyelles" employé par Verlaine dans Les Poètes maudits pour introduire ledit poème avait le côté formulaire des titres du recueil L'Idole. Nous savons que la suite sonnet plus quatrain du "Sonnet du Trou du Cul" expressément reprise par Pelletan et Valade a été reconduite pour "Voyelles" et "L'Etoile a pleuré rose..." Cela s'accompagne de l'idée très sérieuse qu'il y aurait un lien secret entre les deux poèmes zutiques et les deux poèmes réunis sur une page manuscrite du dossier Verlaine.
Or, nous allons avancer en ce sens puisque le quatrain "L'Etoile a pleuré rose...", n'en déplaise à Yves Reboul, associe des couleurs comme "Voyelles" à un blason de la femme ciblant plusieurs parties du corps comme le recueil de Mérat. Et, si Reboul cite avec raison le "Sonnet de l'oreille", nous pouvons être plus précis. L'oreille est de la chair dans "L'Idole" et la mention "coeur" du "Trou du Cul" sexualise l'oreille dans le quatrain "L'Etoile a pleuré rose...", en parallèle au roulement du blanc d'infini, au perlement roux de la mer. Mérat a écrit peu de sonnets, mais un "Sonnet de l'oreille", un "Sonnet de la nuque" et un "Sonnet des seins". Rimbaud reprend les mots "oreille", "nuque" et il opte pour "mammes" au lieu de "seins" à la rime. Le recueil L'Idole est bien le lieu d'emprunts effectués par le quatrain "L'Etoile a pleuré rose..." Quant aux mots "reins" et "flancs", ils tournent précisément autour du "trou du cul". Mérat employait "flancs" à défaut de nommer les "fesses" ou le "sexe de la femme", la censure l'en empêchant, la délicatesse aussi sans doute. Rimbaud emploie le pluriel "reins" présent dans le recueil plus libre de Cantel, mais aussi dans "Vénus anadyomène" ou dans le sonnet inversé "Le Bon disciple" de Verlaine. Le singulier "flanc" déplace quelque peu ligne, mais le lien est capital avec le recueil L'Idole et précisément les sonnets essentiels à la référence de la parodie du "Trou du Cul".
L'idée des pleurs du cadre extérieur se retrouvent dans la poésie de Mérat ou dans celle de Cantel, nous avons des personnifications érotiques de la Nature que Rimbaud reprend dans son quatrain. D'ailleurs, dans le premier tercet du "Sonnet du Trou du Cul"", Rimbaud reprend l'association de Verlaine dans les quatrains de "vents" et "pleurs" qui font de l'anus une sorte de monde. Les mots "vents" et "larmes", pas plus que "ventouses" ou "larmier", ne se trouve dans l'oeuvre de Mérat. La mention technique "larmier" est d'ailleurs à rapprocher de celle technique des "clysopompes" dans "Lys".
Ainsi, l'idée de l'étoile qui pleure fait aussi partie d'un mode de renvoi et à l'oeuvre de Mérat et à une production zutique antérieure très localisée : "Sonnet du Trou du Cul" et "Lys".
Philippe Rocher envisage des liens entre le "Sonnet du Trou du Cul" et "L'Etoile a pleuré rose...", si ce n'est qu'il part de l'idée que la parodie de Mérat est postérieure, or s'il est question de postérieur le sonnet lui-même est antérieur aux trois compositions "Bateau ivre", "Voyelles" et "L'Etoile a pleuré rose..."
Rocher envisage aussi un lien avec les "vents" et "ventouses" du "Bateau ivre".
Nous en arrivons donc à la conclusion que Reboul a raison de penser que "Homme", "saigné noir" et "souverain" impliquent une référence communarde, mais qu'il a tort de rejeter le lien à "Voyelles" et le lien au recueil L'Idole.

Prochainement, tout prochainement, un article sur le monostiche de Ricard. Nous devons rédiger un article respectant certaines limites et nous nous servons du blog pour débrider l'analyse avant de produire une étude plus synthétique de quelques lignes dans notre article sur l'ensemble des contributions rimbaldiennes à l'Album zutique.
Ne vous éloignez donc pas !

jeudi 21 septembre 2017

Qu'avez-vous compris à la parodie du "Sonnet du Trou du Cul" ? Un peu de Mérat et Cantel dans une parodie au carré !



Avertissement : cette partie de notre article "Sur les contributions de Rimbaud dans l'Album zutique", pour les actes du coloque qui s'est tenu en mars 2017 est trop longue. Nous décidons d'en faire profiter le blog, l'article en cours étant du coup à remodeler.

En revanche, Mérat a bien fait partie du cercle, même s’il n’a pas contribué à l’Album. Il est plusieurs fois évoqué par ses comparses moqueurs (sonnet liminaire « Propos du Cercle », quatrain « Autres propos du cercle », dessins du recto du feuillet 16 non paginé et dessin du recto du feuillet 19 avec le phylactère : « Il ne faut pas que Verlaine prenne de haschisch ! »). Enfin, un sonnet de Cabaner « Mérat à sa muse » au recto du feuillet 7 ironise sur son silence poétique après la guerre, ce qui permet d’expliquer quelque peu son absence d’interventions zutiques sur les feuillets manuscrits. Mérat détonait-il politiquement parmi les zutistes ? Dans sa lettre à Émile Blémont du 13 juillet, Verlaine l’assimile à un « franc-fileur » parce qu’il avait quitté son poste et fui Paris au début de la guerre. Mais cela ne contribue pas à confondre Mérat avec les « francs-fileurs » du 18 mars qui quittèrent Paris suite à l’échec de la prise des canons par l’armée sur la butte montmartroise. Mérat fut même présent à Paris sous la Commune, puisqu’il était revenu en mars.  Verlaine ne présente pas du tout Mérat comme hostile à la Commune quand il écrit à Valade le 14 juillet 1871 : « Félicitations à Mérat. Je baise sa botte de futur ministre de la guerre… près la future délégation de Bordel, et le prie d’agréer l’assurance de mon plat respect. » Verlaine réagit à des propos de Mérat qui lui ont été rapportés, mais il se contente de l’assimiler à un lâche et à un opportuniste voué à être blagué régulièrement. Dans l’avant-propos de Lucien Descaves au récit Mes Cahiers rouges, Souvenirs de la Commune, Mérat est cité parmi les amis dans les années 1860 du journaliste et futur communard Maxime Vuillaume. Ainsi, quand Verlaine et Rimbaud composent à deux le Sonnet du Trou du Cul, Mérat est à leurs yeux un des poètes les plus reconnus de la jeune génération parnassienne, mais pas pour autant un ennemi politique. En revanche, lors du siège prussien, il est vrai que les révolutionnaires et les républicains favorables à l’effort de guerre dénonçaient les hommes qui avaient quitté la capitale sans raison valable, par lâcheté, et réclamaient des sanctions contre ces comportements peu patriotes. Surtout, pour conclure sur le conflit qui a fini par éclater avec l’auteur des Chimères, Rimbaud n’était à Paris que depuis un mois et il est peu probable que le « Sonnet du Trou du Cul » ait été d’emblée un moyen de représailles contre des remarques peu amènes de Mérat à propos de son homosexualité. Au contraire, le sonnet parodique a contribué sans aucun doute à précipiter les réactions hostiles de Mérat. Il faut se garder de prêter au « Sonnet du Trou du Cul » une portée polémique fondée sur une analyse des relations ultérieures entre Mérat, Verlaine et Rimbaud. Ce qui domine, c’est la reprise d’un projet parodique de 1869. Verlaine avait-il déjà osé un blason de l’anus dans l’Album des Vilains Bonshommes ? C’est ce que nous ne pourrons jamais savoir. En revanche, sa naissante relation homosexuelle avec Rimbaud lui donne l’occasion d’un blason ambigu où l’homosexualité le dispute au scandale que cause la louange de la partie du corps considérée comme la plus sulfureuse.
Il existe des études poussées, notamment de Steve Murphy et Philippe Rocher, sur le Sonnet du Trou du Cul qui livrent le détail de maints emprunts aux divers sonnets du recueil L’Idole d’Albert Mérat[1]. Toutefois, nous allons jeter notre propre lumière sur cette question. Nous avons cité plus haut une lettre de Verlaine à François Coppée datée du 18 avril 1869 où nous apprenons et la nouveauté de l’Album des Vilains Bonshommes et la publication imminente du recueil L’Idole. L’achevé d’imprimer sur le recueil mentionne le 20 avril, ce qui nous reporte deux jours après seulement. Nous pressentons, mais sans pouvoir rien étayer, que ce monument obscène était enrichi d’imitations cruelles du recueil L’Idole, ce qu’invite à penser l’enchaînement des propos de Verlaine qui va de l’Album manuscrit inauguré chez les Vilains Bonshommes au nouveau recueil de Mérat en cours de publication. Il n’est que trop visible que l’humour du premier livre doit retomber sur le second. Dans sa lettre, Verlaine parle précisément des manques dont se plaint Mérat, du rire amusé de Valade, et nous pouvons même nous demander si Mérat n’a jamais écrit quelque part des blasons moins chastes des fesses et du sexe de la femme, puisque la censure l’a incité à une certaine modération, dont, avec une maladresse à l’évidence sincère, il se plaint exagérément dans son recueil même, l’ « Epilogue » continuant la lamentation des deux poèmes aux titres eux-mêmes censurés : « Avant-dernier sonnet » et « Dernier sonnet » qui traitent respectivement des fesses et du sexe de la femme. Or, pour ce qui concerne le « Sonnet du Trou du Cul », Murphy a révélé une source d’emprunts avec le recueil d’Henri Cantel Amours et Priapées, sans en mesurer pleinement l’importance. Le recueil a été publié pour la première fois en 1860 et un de ses sonnets « A une danseuse » semble une source à l’un des Poëmes saturniens, celui qui s’intitule « Marco ». Henri Cantel, poète peu important sauf pour ce recueil érotique, était un disciple de son contemporain Charles Baudelaire. Sa versification intègre modérément la nouveauté des enjambements romantiques, mais il s’empare assez précocement des mots d’une syllabe coincés à la césure ou en rejet : deux fois le pronom relatif « où » (« Arcades ambo », v. 5, « Eve et Satan » v. 2), un rejet de l’adjectif « frais » dans toutefois une structure dont l’enjambement était déjà toléré chez les classiques (« La Stérilité », v. 3), un relief osé, quoiqu’acceptable pour un classique, devant la césure du verbe « dit » après une voyelle féminine (« L’Orage » v. 1), et un faux trimètre (à cause de la terminaison « -ent » à la 4ème syllabe) avec rejet de l’adjectif « fixes » (« Arcades ambo », v. 1). Peu harmonieuse, mais il s’agit d’un effet maladroit tout exprès, la césure qui permet le rejet du pronom « je » en emploi enclitique au vers 9 du Prologue a le mérite de l’autodérision et n’a pas dû échapper à Verlaine et Rimbaud, césure sur laquelle nous reviendrons en toute fin d’article :
Chers poëtes, que n’ai-je la force et la grâce
Dont vous avez tressé vos poëmes en fleurs !
De loin, d’un pied boiteux, j’ai suivi votre trace.
La prosodie plutôt agréable du recueil vient de procédés formulaires éprouvés, mais lorsqu’il s’en éloigne le poète est maladroit, heurté, peu fluide. Il ne souffrira pas la comparaison avec l’aisance d’Albert Mérat qui a un souffle de poète. En revanche, l’édition originale de 1860 était sans aucun doute étonnante pour la forme des sonnets. Catulle Mendès n’a pas encore publié Philoméla, ni Léon Valade et Albert Mérat, justement !, leur volume anonyme Avril, mai, juin, tandis que Charles Baudelaire n’a encore publié que la version des Fleurs du Mal de 1857, celle qui fut victime d’un procès, sans oublier que bien des vers furent encore retouchés par la suite. Disciple de Baudelaire, Henri Cantel a eu des audaces auxquelles le public n’était guère préparé. Il faut recenser ses excentricités dans la forme : clôture du recueil par deux sonnets inversés « La Robe » et « Epilogue », des rimes plates dans les quatrains du poème de lancement « A l’Amour » qui vient après le « Prologue », une distribution dès 1860 des tercets entre les deux quatrains dans « Le Clitoris », un sonnet « Les Roses » avec une rime par quatrain une rime par tercet, un sonnet en vers courts de quatre syllabes « Le Baiser », des sonnets combinant deux mesures « Sagesse », « A une vierge de seize ans », « Diogène » et surtout « Conseil » avec, face aux octosyllabes, ses vers de deux syllabes dont deux qui riment en « âme » et en « femme », avec donc un titre et une hétérométrie qui font songer au poème zutique de Charles Cros « Conseil à une moumouche ». Enfin, certains sonnets forment des séries flanquées de chiffres romains avec des intrigues entre amants, ce sont des modèles évidents du recueil Les Amies de Verlaine (série « Hermaphrodite » : I « Invocation », II « Vierge », III « Ephèbe », série « La Louve » : I « Léona », II « Aline », III « Volupté », série « L’Eunuque blanc » : I « Négresse », II « Le Bosphore »). Or, si Verlaine a publié son recueil sous le manteau Les Amies en 1867 chez Poulet-Malassis à Bruxelles, le recueil Amours et Priapées a paru grâce au même éditeur et celui-ci a donc réédité le recueil sulfureux d’Henri Cantel en 1869 avec un frontispice « faunesque » de Félicien Rops. L’information est essentielle. La publication du recueil Les Amies semble avoir entraîné la réédition comparse d’Amours et Priapées et, cerise sur le gâteau, cette réédition se fait la même année que la parution du recueil d’Albert Mérat L’Idole chez Alphonse Lemerre. Est-ce innocent ? Nous ne le croyons guère, puisque le recueil de Mérat a en commun avec celui de Cantel de présenter une suite de sonnets entre un sonnet « Prologue » et un sonnet « Epilogue ». Les premiers vers du « Prologue » de Mérat semblent même s’inspirer directement des deux premiers du « Prologue » d’Amours et Priapées :
Ovide et Jean Second, Martial et Pétrone,
Maîtres en l’art d’aimer, qu’on relira toujours, […] (Cantel)
Le vieux maître excellent de l’école lombarde
N’a certes pas créé ses tableaux d’un seul jet […] (Mérat)
Une grande différence de traitement sépare les deux poètes, l’un est obscène, provocant, l’autre est galant, classieux. Un exemple illustre très bien ce fait. L’emploi de termes liés à la religion chez Mérat relève de l’hommage, quand il est question de blasphèmes chez Cantel. Cette différence de traitement établit une distance entre les latitudes de Poulet-Malassis et les normes plus strictes de l’éditeur attitré des Parnassiens. Enfin, alors que les sonnets de Mérat ont la réserve de blasons du corps féminin, le recueil de Cantel décrit à plusieurs reprises divers actes sexuels. Et il faut dès lors mesurer que Verlaine et Rimbaud ont composé un « Sonnet du Trou du Cul » comme acte fondateur du nouvel Album zutique, sans aucun doute parce que Verlaine, Mérat, Valade et quelques autres savaient pertinemment qu’il en avait été question lors du lancement de l’Album des Vilains Bonshommes, et surtout qu’ils ont composé d’emblée et expressément une parodie double. Le projet d’écriture impliquait des emprunts et au recueil d’Albert Mérat et au recueil d’Henri Cantel. Le sonnet n’était pas une parodie de Mérat où aléatoirement venaient se mêler des citations subreptices du recueil obscène d’Henri Cantel. N’ayant pas envisagé cette hypothèse, Steve Murphy et Philippe Rocher s’en sont tenus aux liens avec le sonnet « Ephèbe » apparemment du recueil Amours et Priapées, sans voir qu’il y avait peut-être presque autant d’emprunts à ce volume qu’à la cible déclarée qu’était L’Idole.
De ce livre de Mérat, nos deux poètes ont surtout retenu la succession des quatre pièces finales : « Le Sonnet des épaules », « Avant-dernier sonnet », « Dernier sonnet » et « Epilogue », sans négliger une allusion aux tercets du « Prologue ». Du « Sonnet des épaules », Verlaine a repris la rime externe des quatrains en « -ousses » pour l’adapter en rime interne au singulier. Il a conservé les mots « mousse(s) », « douce(s) » et « rousse(s) ». Seule la mention « secousses » est remplacée par « repousse ». A « inflexions plus douces » correspond « fuite douce », aux deux premiers vers verlainiens : « Obcur et froncé […] parmi la mousse », correspondent, très partiellement il est vrai, les deux pointes du vers : « Une ombre d’or que font des duvets et des mousses ! » « Obscur » fait quelque peu écho à « ombre d’or ». L’expression : « tresses rousses », cède la place à de « petits caillots de marne rousse ». De l’ « avant-dernier sonnet », où la mention « Callipyge » nous informe dès le second vers qu’il est question des « fesses », le second quatrain n’est pas l’objet de reprises textuelles, mais il importe de le lire en regard de la plaisanterie qu’est le « Sonnet du Trou du Cul » pour bien apprécier tout le sel de la parodie.
Je ne crois pas aux sots faussement ingénus
A qui l’éclat du beau fait baisser la paupière ;
Je veux voir et nommer la forme tout entière
Qui n’a point de détails honteux ou mal venus.
Il y a bien quelques emprunts au sonnet cependant. L’exclamation « ô blancheurs » justifie la qualification « Fesses blanches » de la part de Verlaine, la transcription zutique rimbaldienne ayant à cœur de flanquer une majuscule au mot censuré qui n’a pas pu figurer en titre : « Le Sonnet des fesses ». Le vers 3 a été au centre de l’attention : « Ils aimaient, par amour de la grande matière », puisque Verlaine a repris le mot « amour », mais au sens physique, en le plaçant lui aussi au troisième vers du sonnet. Cette reprise était justifiée par l’abus des reprises : « aimaient », « amour », « amoureuse ». Pour sa part, Rimbaud a repris le mot « matière » en un sens plus trivial : « Mon âme, du coït matériel jalouse, » sachant qu’il ménageait par la même occasion une allusion ironique minimale aux messages des tercets du « Prologue » et des tercets de l’ « Epilogue » avec les deux autres mentions clefs du mot « matière » dans le recueil :

A l’exemple du peintre insigne, je voudrais
Saisir tous les accents et rendre tous les traits
De la Femme, en laissant chacun une œuvre entière

Et, rattachant le tout d’un plastique lien,
Composer dans la forme, honneur de la matière,
Une grande figure au front olympien. (« Prologue »)

Pourtant j’aurais voulu te dresser toute nue,
Blanche création de la force inconnue,
Dans le rayonnement de ta réalité ;

Et j’aurais simplement montré du doigt ta forme
Dépassant, par le seul effet de la beauté,
Les efforts monstrueux de la matière énorme. (« Epilogue »)
De manière plus diffuse, les deux derniers vers de cet « Avant-dernier sonnet » sont réécrits également par Verlaine dans les quatrains, par Rimbaud dans les tercets.
L’amoureuse nature a, d’un divin baiser,
Sur votre neige aussi mis deux fossettes d’ambre. (Mérat)
Il respire, humblement tapi parmi la mousse
Humide encor d’amour […] (Verlaine)
Mon Rêve s’aboucha souvent à sa ventouse ;
Mon âme, du coït matériel jalouse,
En fit son larmier fauve et son nid de sanglots. (Rimbaud)
Le « Dernier sonnet » doit à son tour être lu pour apprécier le sel de la plaisanterie. Il s’agit d’un sonnet du sexe de la femme, mais Mérat en élude, de manière forcée, la description en se plaignant de l’interdiction de traiter à part égale un quelconque des charmes féminins. Mérat suggère la forme corporelle par l’idée d’un regard porté sur un voile, en déclarant trouver là « une invention de Vénus impudique ». Enfin, Verlaine s’est inspiré des vers 10-11 du premier tercet et de la mention « contours blancs » à la rime du vers 13 pour composer la fin de son premier quatrain :
Au lieu du nu superbe, un pli de draperie
Dérobera la fuite adorable des flancs ; (Mérat)
Il respire, humblement tapi parmi la mousse
Humide encor d’amour qui suit la fuite douce
Des Fesses blanches jusqu’au cœur de son ourlet. (Verlaine)
Les emprunts à d’autres pièces du recueil sont si pas plus dilués, plus disséminés. La rime externe en « -et » des quatrains (« violet », « ourlet », « lait », « appelait ») est reprise à la rime externe du « Sonnet du cou » (« lait », « filet », « voulait », « complet »), avec réemploi du nom « lait », même choix d’une terminaison d’indicatif imparfait à la rime (« voulait » contre la relative qui fait contraste au niveau du sens « où la pente les appelait », au demeurant chef-d’œuvre d’expression de la part de Verlaine), et sentiment d’une correspondance fine de « filet » à « ourlet ». La fin du sonnet retient l’attention avec « le doux souffle de l’âme » personnifié quelque peu dans le « Sonnet du Trou du Cul » et, de la rime « se pâme » :: « âme », Rimbaud a repris l’idée de voisinage de mots au rapprochement conforté par une séquence orthographique similaire : « Mon âme » et « l’olive pâmée ». En revanche, le mot « ourlet » lui-même figure dans le « Sonnet de l’oreille » qui précède immédiatement le blason « du cou » dans l’ordonnancement du recueil. Verlaine lui a repris le nom « ourlet » pour adapter sa rime riche en « -let », tandis que Rimbaud se serait inspiré des présentatifs introducteurs de métaphores soudaines :

C’est la volute et c’est la conque ; c’est la chair
Devenue arabesque avec son ourlet clair  (Mérat)
C’est l’olive pâmée, et la flûte câline ;
C’est le tube où descend la céleste praline :
Chanaan féminin dans les moiteurs enclos ! (Rimbaud)
Verlaine a songé également à une inversion de « clair » à « Obscur » dans son premier quatrain, comme l’a relevé Philippe Rocher. L’association de cet ourlet au mot « chair » chez Mérat a dû contribuer à l’intérêt que prirent Rimbaud et Verlaine à ce passage.
A la rime du dernier vers, le mot « enclos » choisi par Rimbaud est la reprise au masculin de la rime du vers 6 du « Sonnet de la jambe » qui fait le récit d’une immatérielle scène érotique : « Une invisible lèvre a touché la peau rose / Aux chevilles » et dès lors le « divin gonflement / De la chair semble un marbre où la sève est enclose. » La vision grecque antique est remplacée par une sulfureuse idée de la Terre promise : « Chanaan féminin dans les moiteurs enclos. »
Difficile de dire si Verlaine a choisi l’adverbe « humblement » comme inversion de la forme participiale « humiliant » du « Sonnet du pied » qui suit dans le recueil, mais Rimbaud semble avoir repris « enclos(e) » à la rime dans une pièce et « jaloux » tourné au féminin « jalouse » à la rime de la pièce qui suivait :
O petits pieds, trésor dont la beauté marie
La rose triomphale et claire au lys jaloux.
L’influence du blason du pied sur Rimbaud ne s’est pas arrêtée là, puisque « ma rêverie » devient « Mon Rêve », cependant que le premier tercet du « Sonnet du Trou du Cul » fait écho aux deux premiers vers du second quatrain dont nous venons d’extraire la citation des « petits pieds » :
J’étancherai, gardant tout mon désir pour vous,
La grande soif d’aimer qui n’est jamais tarie, / […]
Et avec l’occurrence « ma bouche », le dernier tercet du « Sonnet du pied », pièce très marquée par l’idée d’abaissement dans la prosternation, apparaît là encore comme une cible aux tercets de Rimbaud :
Peureux, lorsque ma lèvre amoureuse vous touche,
Je crois sentir trembler, au souffle de ma bouche,
Des oiseaux retenus captifs loin de l’azur.
Si Rimbaud s’est intéressé au « pied », Verlaine s’est penché sur les « mains » qui, comme dit Mérat, sont des « filets d’amour que tendent les maîtresses ». Ces mains « Prennent notre pensée et prennent notre cœur. » Dans les quatrains du « Sonnet des mains », Verlaine a trouvé de la matière pour composer les vers 5 et 6 de la parodie zutique, puisque nous avons une série de mots en commun : « lait », « pleuré » et « cruel ». Si « lait » implique un autre sonnet de Mérat, nous avons ici les uniques occurrences de « pleurs » et « cruelles » :
On ne peut pas savoir que les mains sont cruelles. (vers 2 du blason « des mains »)
Elles touchent nos yeux pour en tirer des pleurs. (vers 4 du même poème et même quatrain)
Le lait pur et la nacre ont formé leurs couleurs ; (vers 5 du même « sonnet »).
Les éléments empruntés sont plongés dans un contexte bien différent :
Des filaments pareils à des larmes de lait
Ont pleuré, sous le vent cruel qui les repousse, / […]
Verlaine signifie alors les suites de l’action sexuelle, en s’amusant à transposer l’usage encore pudique des mains cruelles au plan des flatulences après l’amour, point le plus scabreux du « Sonnet du Trou du Cul » qui est ainsi atteint non pas par Rimbaud mais par l’auteur des Fêtes galantes. Rimbaud fait écho à cette saisissante description verlainienne dans le premier tercet où « larmier » fait écho à « larme » et au plan du sens à « pleuré », mais les termes « larme » ou « larmier » sont absents du recueil de Mérat, ainsi que « sanglots », « vent » et « ventouse ». Verlaine méditait sans doute depuis bien plus longtemps que Rimbaud cette parodie. Il revendique la paternité des quatrains et ils sont en effet excellents, bien supérieurs aux six vers de Rimbaud dans l’ensemble. L’expression « Humide encor » impliquerait des renvois à d’autres poèmes de Petit et Glatigny, comme tend à le montrer la seconde étude de Philippe Rocher sur le sonnet zutique quasi inaugural, mais cela n’empêche pas d’effectuer un énième rapprochement au sein du recueil L’Idole. L’adjectif figure dans le « Sonnet de la bouche » et justifie encore une fois de parler de traitement parodique de la part des fieffés zutistes :
Je veux tarir ma soif à vos calices clairs ;
A votre humide bord irradié d’éclairs
Je boirai comme on boit à l’eau d’une fontaine.
Nous citons volontairement le tercet entier avec son amorce « Je veux tarir… » qui doit rappeler ce motif de la soif à étancher du « Sonnet du pied » et l’oxymore qu’il forme avec l’idée d’une « grande soif d’aimer » « jamais tarie ». Rimbaud a été sensible à de tels échos avant de composer son poème. Certes, plutôt que de traiter le motif de la soif, il a prolongé le motif mis en place par Verlaine de l’amant qui verse d’étranges larmes. Mais, nous avons mentionné tout à l’heure que l’expression « ma rêverie » du « Sonnet du pied » avait inspiré la réécriture « Mon Rêve ». Nous pourrions protester contre cette idée, puisque l’expression « mon rêve » figure telle quelle dans le recueil de Mérat de 1869. Elle figure justement dans le « Sonnet de la bouche » et elle figure encore dans le « Sonnet du nez ». Or, la mention « ma rêverie » se pare elle aussi d’un déterminant possessif de première personne. Rimbaud fut attentif à cela. La mention « rêve » apparaît dans d’autres pièces. Nous avons « le rêve » déchiré par les « petites dents aiguës » dans le « Sonnet des dents » avec un « amour » qui « Boit les baisers », ce qui conforte l’équivoque entre « rêve » et « bouche » à la source de l’hémistiche de Rimbaud : « Mon Rêve s’aboucha […] ». Notons que l’expression « bouche » revient plusieurs fois dans le volume mératien, souvent pour désigner la Femme, mais à quelques reprises nous avons le déterminant possessif qui introduit celle du poète lui-même. Dans le « Sonnet du pied », s’enchaînent « ma rêverie », « mon désir », « ma lèvre amoureuse » et « ma bouche » (abstraction faite de « mon front » ou « mes genoux »). Et ce poème est suivi par un « Sonnet de la nuque » où reviennent le « désir » sous la forme encore une fois d’un « souffle », l’expression telle quelle « ma bouche » et une image de pieuse adoration « mon oraison » qui a peut-être de loin en loin donné l’idée d’un titre de sonnet ultérieur à Rimbaud. Les lèvres remplissent alors leur fonction érotique à proximité à nouveau de la précieuse oreille. Mais nous n’avions pas cité toutes les mentions de « rêve », puisque si le « premier rêve d’amant » figure, de façon plus anecdotique, dans le « Sonnet du bras », une expression quelque peu baudelairienne, bien que mise à l’index dans un discours moral déconcertant, surgit dans le « Sonnet des seins » dont elle est d’ailleurs une rime :
Vous contenez l’esprit loin des rêves malsains,
Nobles rondeurs, effroi de la pudeur chagrine !
Ce poème comporte dans son second tercet une expression à possessif « ma lèvre » qui doit achever de convaincre que, sans doute en préparant les choses en commun, Rimbaud et Verlaine ont bien médité la construction du recueil du copain de Valade avant de perpétrer leur forfait.
Nous avons parcouru une belle carrière, il est temps de cesser de relever minutieusement tout lien entre le livre de Mérat et les quatorze vers qui le parodient. La mention prépositionnelle « à travers de » figure à une reprise dans le « Sonnet des dents » sans exclure la pertinence d’un rapprochement :
On entrevoit les dents découvertes à peine
Comme une aube à travers de frais rideaux grenat. (Mérat)
Des filaments pareils à des larmes de lait
Ont pleuré, sous le vent cruel qui les repousse,
A travers de petits caillots de marne rousse (Verlaine)[.]
La métaphore climatique de la parodie a des liens importants avec quantité d’images de la Nature manifestant ou la beauté de la femme ou son propre amour pour la beauté de la femme dans le recueil de Mérat.
Si nous poursuivons ce genre de recensement systématique, nous constatons que l’adjectif « petit » (variante « petites ») qualifie les dents, le nez et le pied en trois sonnets différents. La préposition « parmi » est fréquente sous la plume de Mérat et l’adjectif « pareil » a trois occurrences dans son recueil. Le mot « âme », important et déjà traité, figure dans plusieurs sonnets, lui aussi (du cou, des bras, des mains, si je ne m’abuse). A défaut de l’adjectif « céleste », le « ciel » est mentionné dans les sonnets « des Yeux » et « du pied ». L’idée de blancheur n’est pas que dans les dernières pièces. Si ce n’est que Philippe Rocher l’a déjà fait, nous aurions pu commenter la prosodie, la versification avec les césures ou les enjambements de vers à vers, ou bien encore travailler sur les comparaisons avec le mot « comme », ou bien sur les assimilations de parties du corps féminin à une fleur, ou bien sur l’idée du voile, du caché, etc. Toutefois, analysant la nature baudelairienne de la versification mératienne, ce qui est juste, à ceci près que les antériorités hugoliennes passent à la trappe, Philippe Rocher s’annonce déçu de ne pas avoir recensé une césure sur le mot « comme ». Mais elle ne manque pas, elle figure dans « Le Sonnet du front » :
Ton étroitesse est comme un abri délicat
(Car l’âme ne luit pas toute sous la paupière)
Cette césure est considérée par Steve Murphy et Philippe Rocher comme spécifiquement baudelairienne, ce que nous contestons. La césure sur « comme », reprise de la présence du mot à la rime au début des Tragiques d’Agrippa d’Aubigné, est une invention hugolienne qu’il a utilisée à quelques reprises dans ses vers de théâtre et qu’il a utilisé dans au moins un recueil poétique, dans le poème « Force des choses » des Châtiments. Toutes les césures audacieuses qu’on attribue à Baudelaire viennent toutes sans exception des modèles romantiques : Hugo et Musset. Baudelaire n’a rien inventé du tout en fait de césures. En revanche, il a devancé Hugo et tous les autres poètes dans le fait de répandre et systématiser ces procédés dans la poésie lyrique, et c’est pour cette raison que Verlaine, qui n’a pas dû lire très attentivement le théâtre en vers hugolien ou les premiers poèmes de Musset, attribuait, bien à tort, cette initiative à Baudelaire. Ce qui s’impose en même temps, c’est que le « comme » à la césure du premier vers du « Sonnet du Trou du Cul » est aussi une citation du recueil de Mérat.
Mais, trêve de digressions sur la versification et assez de relevés dans les écrits de Mérat. Ce que nous avons fait suffira pour ce qui est des rapprochements avec L’Idole. En revanche, d’autres emprunts à d’autres poètes sont encore à envisager. Nous pensons que l’adverbe « humblement » pourrait cibler précocement et subrepticement François Coppée puisque la publication du recueil Les Humbles se préparait et allait avoir lieu le mois suivant. Après tout, plusieurs pré-originales de ce futur recueil sont parodiées dans l’Album zutique. Dans l’étude qu’il a consacrée au « Sonnet du Trou du Cul » dans le numéro 23 de la revue Parade sauvage paru en 2010, Philippe Rocher fait remarquer que l’expression « Humide encor », avec sa licence, figure dans des vers tournés contre « M. Louis Veuillot » en « légende d’une caricature d’Alfred Le Petit » :
Elle a beau revenir de Rome
Humide encor du goupillon
Sous une cloche au lieu d’un homme
On ne peut trouver qu’un melon[.]
Or, la même expression avec la même orthographe figure dans un poème « Promenades sentimentales II » du recueil Les Flèches d’or d’Albert Glatigny, auteur lui aussi d’un autre recueil grivois publié sous le manteau (Joyeusetés galantes du vicomte…) :
Ne crains pas, l’herbe est si douce !
Pour tes chers pieds de satin :
Nous marcherons sur la mousse
Humide encor du matin.
S’en fiant au lien de l’expression « Humide encor » avec une caricature de Louis Veuillot, Philippe Rocher songe, mais sans que le raisonnement puisse aisément être suivi que la « praline » à la rime du « Sonnet du Trou du Cul » soit la reprise de ce mot exprimé au pluriel dans un texte de fausse réclame, en prose, accompagnant une autre caricature de Veuillot : « pralines de l’immaculée conception ». En l’état actuel de nos recherches, nous ne soutenons pas ce dernier rapprochement. Nous sommes également plus réservés quant à certains rapprochements avec des poèmes d’Hugo, Baudelaire, et nous n’avons pas encore réfléchi à des échos possibles avec d’autres poèmes de Verlaine ou de Rimbaud. Ceci dit, autant la piste du recueil Les Amies a du sens, autant les rapprochements avec « Voyelles », « L’Etoile a pleuré rose… » et « Le Bateau ivre » ne sont à plaider qu’en sens inverse, puisque fort probablement ces trois poèmes ont été composés après les facéties zutiques. A cette aune, nous ne souscrivons pas du tout à l’idée que le « Sonnet du Trou du Cul » puisse parodier les « ventouses » du « Bateau ivre », l’étoile qui a « pleuré rose » ou la couleur des « voyelles ». Ce qui est juste, c’est, en revanche, qu’un manuscrit étonnant atteste que la suite sonnet et quatrain du « Sonnet du Trou du Cul » et de « Lys » a été reprise au sujet de « Voyelles » et de « L’Etoile a pleuré rose… » sur un feuillet manuscrit, tandis que le titre étonnant « Le Sonnet des Voyelles » vient d’une introduction dans la notice des Poètes maudits de Verlaine, mais coïncide avec les titres du recueil de Mérat, ce qui pourrait donc être un fait exprès de Verlaine, en toute connaissance de cause.
Nous en arrivons enfin à la pièce maîtresse révélée par Steve Murphy, le recueil Amours et Priapées d’Henri Cantel duquel Philippe Rocher ne retient dans sa synthèse que deux sources d’emprunts : un sonnet intitulé « Ephèbe » et un autre « Aline ». Rappelons notre thèse : nous pensons que Verlaine attachait une réelle importance à ce recueil Amours et Priapées et qu’il était une référence commune pour l’auteur du recueil Les Amies et pour l’auteur du recueil L’Idole, sans oublier la question des distributions excentriques des rimes de sonnets dans le recueil Avril, mai, juin, publié sans nom d’auteur et coécrit par Valade et Mérat. Aussi, dans le contexte zutique, nous envisageons une opération concertée où les deux recueils Amours et Priapées et L’Idole furent consultés par tout un groupe de personnes, probablement les zutistes pour l’essentiel, avant que Verlaine et Rimbaud ne se mettent à composer en s’appuyant sur les exemplaires à disposition. Il faut bien comprendre que, si, avec la mention du surtitre « L’Idole », la fausse signature, la notion de blason et la forme du titre de poème, les emprunts au volume d’Albert Mérat allaient de soi, il n’en allait pas de même du recueil de Cantel dont la seconde édition en 1869 était d’ailleurs contemporaine de la publication mératienne. Or, si les quatrains sont de Verlaine et les tercets de Rimbaud, nous trouvons plusieurs emprunts aux sonnets d’Henri Cantel dans l’ensemble du « Sonnet du Trou du Cul ». Ainsi, pour commencer, relevons que Verlaine a repéré le bouclage particulier du sonnet « Le Clitoris » :
Le clitoris en fleur, que jalousent les roses,
Aspire, sous la robe, à l’invincible amant ;
Silence, vents du soir ! taisez-vous, cœurs moroses !
Un souffle a palpité sous le blanc vêtement.

[…]
Et le désir en flamme ouvre amoureusement
Le clitoris en fleur que jalousent les roses.
Il s’est inspiré du début du sonnet : comparaison avec les fleurs, position métrique de « Aspire », idée de dissimulation « sous la robe », présence du mot « vents » qui devient nettement comique chez Verlaine avec son « vent cruel », sachant que ce mot était absent du recueil L’Idole. Citons dans la foulée le début de « La Baigneuse » avec le rejet au vers 2 : « Sa bouche purpurine / S’ouvre, comme une fleur ». Surtout, un autre sonnet a pu compléter l’innutrition verlainienne, « Odor di femina » :
[…]
La rêverie arrive, et le poëte admire
Vos cheveux, votre cou, votre sein qui soupire ;
[…]
Sur vos corps blancs et nus, jaspés de veines roses,
Comme dans un jardin où foisonnent les roses,
On respire une odeur d’amour et de printemps.
De telles reprises dans un « Sonnet du Trou du Cul » sentent la farce à plein nez.  Surtout, le poète des Fêtes galantes a repris la comparaison « comme un œillet » au poème III « Ephèbe » de la série « Hermaphrodite » qui pourrait être en partie un modèle pour le sonnet « Le Bon disciple » saisi par la justice belge en juillet 1873. La comparaison est appliquée à un "anus" ouvert à un « phallus » chez Cantel, rime in absentia, elle l’est aussi à un anus non nommé, malgré "Vénus anadyomène" de Rimbaud, dans la parodie zutique. L’expression ne va toutefois pas sans maladresse dans le recueil source, mais il faut justement citer cette maladresse qui a aussi du sens, la répétition verbale aux deux extrémités du vers :
Ma fesse peut sans honte et sans remords jaloux
S’ouvrir à ton phallus, comme un œillet qui s’ouvre…
Nous constatons le lien pertinent avec le recueil de Mérat. Au-delà de la métaphore florale appliquée à un organe sexuel, le sonnet de Cantel exprime sans détour les choses et nomme la partie charnue du corps féminin censurée par l’éditeur Lemerre : « Ma fesse » en début de second tercet et « Tes fesses » comme premiers mots du sonnet lui-même. Ces « fesses » sont, qui plus est, caractérisées par une « odeur de lys » et « une pudeur / De la rose au matin », ce qui, au passage, invite à penser que « Ephèbe » est une source au quatrain « Lys » de Rimbaud. Enfin, l’expression « jusqu’au cœur » à la rime dans le sonnet « Ephèbe » est à cheval à la césure du vers 4 dans le « Sonnet du Trou du Cul » :
Tourne tes reins ! Pendant que ma force virile
Les baignera d’un flot qui monte jusqu’au cœur, (Cantel)
Obscur et froncé comme un œillet violet
Il respire, humblement tapi parmi la mousse
Humide encor d’amour qui suit la fuite douce
Des Fesses blanches jusqu’au cœur de son ourlet. (Verlaine)
Le passage éclaire bien le sens sexuel du quatrain verlainien, « Humide » et « baignera » se font écho. Le chevauchement de la césure par « jusqu’au » mérite un commentaire. Hugo avait pratiqué une césure audacieuse, mais après la forme condensée « jusqu’à », notamment dans Les Châtiments : « Il a banni jusqu’à des juges suppléants », vers du poème « Un bon bourgeois dans sa maison ». Rimbaud compliquera ce tour dans Le Bateau ivre : « Et je voguais, lorsqu’à travers mes liens frêles », en jouant sur la rencontre entre deux locutions « jusqu’ » ou « jusqu’à » et « à travers ». Mais, Mendès dans Philoméla a donné l’exemple de la césure à cheval que Verlaine pratique ici et qu’il pratique à nouveau dans Romances sans paroles. Mais, je n’exclus pas que cette césure au vers 4 soit un hommage à la césure cocasse d’autodérision du « Prologue » des Amours et Priapées, « que n’ai-je » qui au passage relève de l’équivoque sexuelle : « Chers poëtes, que neigent la force et la grâce ». Suit un blanc pour marquer le coup.


D’autres échos peuvent être relevés pour ce qui concerne les deux quatrains de Verlaine, mais ils n’auront peut-être pas le caractère probant d’emprunts exprès.
Les tercets de Rimbaud contiennent sans doute un plus grand nombre de reprises au recueil d’Henri Cantel, et nous découvrons ceci de remarquable que Rimbaud reprend précisément des idées aux sonnets qui ont inspiré les quatrains de Verlaine. Le mot « jaloux » ou ses variantes reviennent dans plusieurs poèmes, mais dans notre citation plus haut du sonnet « Le Clitoris », exploité par Verlaine selon nous, la forme verbale « jalousent » apparaît qui a un écho adjectival chez Rimbaud et la mention « jaloux » est à la rime du sonnet « Ephèbe », cela fait beaucoup, bien qu’un emprunt à Mérat ait déjà été établi :
Le clitoris en fleur que jalousent les roses. (« Le Clitoris »)
Ma fesse peut sans doute et sans remords jaloux (« Hermaphrodite » III « Ephèbe »)
Mon âme, du coït matériel jalouse, (« Sonnet du Trou du Cul »).
Le nom « moiteurs », cette fois sans renvoi mératien, reprend en réalité la mention « moites » qui apparaît dans « Honesta meretrix » : « Menant, parmi les lys, à cette rose moite, » sonnet où figure aussi des « lèvres, rouge œillet, » mais l’adjectif « moites » est également présent dans un poème exploité par Verlaine « Odor di femina » : « Vos membres délicats, moites sous les caresses[.] » Et du poème « Ephèbe », exploité également par Verlaine, Rimbaud a non seulement souligné dans sa parodie au carré la mention adjectivale « jaloux », mais il s’est encore inspiré de l’équivoque d’une « verge » qui « rêve » pour enfoncer encore plus le côté comique de la soif du rêve et de la bouche de Mérat en son volume.
Tes fesses ont l’odeur du lys, et la pudeur
De la rose au matin, blanc jeune homme, et ma verge
Qui veut cueillir deux fois les primeurs d’un corps vierge,
Rêve de se plonger entre leur profondeur.

Tourne tes reins ! Pendant que ma force virile
Les baignera d’un flot qui monte jusqu’au cœur,
Mes mains, jouant autour de ton jardin nubile,
De tes sens enflammés attiseront l’ardeur.

Je t’aime, Hermaphrodite, et je soupire encore !
Viens ! apaise à ton tour le feu qui me dévore ;
C’est un secret nouveau ; viens, et sois mon époux !

Ma fesse peut sans honte et sans remords jaloux
S’ouvrir à ton phallus, comme un œillet qui s’ouvre...
– Beau marbre, adieu ! retourne à ton coussin du Louvre !
Remarquons que le poème qui suit immédiatement « Ephèbe », le morceau « Amour, où vas-tu ? » contient des gallicismes aux vers 7 et 8 qui peuvent eux aussi être rapprochés des vers 12 et 13 du « Sonnet du Trou du Cul », en concurrence aux exemples mératiens :
La vierge dit : C’est un ange !
La femme dit : C’est l’Amour !
Mais Rimbaud ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Son idée du premier tercet d’une âme et d’un Rêve qui aspirent à plus de réalité physique prend sa source dans plusieurs vers d’Henri Cantel. J’en donne une liste assez conséquente où remarquer l’adverbe « souvent » du sonnet « Vierge Callipyge » repris dans le premier tercet de la parodie zutique : « Mon Rêve s’aboucha souvent… ». Rappelons-nous que chez Mérat l’avant-dernier sonnet gommait la mention explicite des « fesses », mais utilisait la mention « Callipyge » pour clairement posé le sujet du blason. Nous n’avons pas traité de l’influence possible de l’œuvre de Cantel sur Mérat, à l’exception du « Prologue », mais le sonnet « Vénus Callipyge » contraste avec « l’avant-dernier sonnet » par sa mention explicite des « fesses », tout en laissant penser que Mérat a très bien pu s’en inspirer : « Qu’un sculpteur grec baigna d’une grâce inconnue », « Tu souris aux contours de ta divinité. » Mais, d’autant que j’en serais presque à évoquer une comparaison avec « Vénus Anadyomène », resserrons notre étude et citons donc notre liste de sources aux tercets rimbaldiens :
Mon luth plus chaste, ailleurs fut un écho de l’âme, (« Prologue »)
Rêvant les voluptés multiples d’un satrape, (« A l’amour »)
Tout poëte t’adore, immobile et rêvant ;
Son regard, ce baiser des cœurs forts, a souvent
Brûlé d’un vain baiser tes deux fesses de marbre. (« Vénus Callipyge »)
Ma bouche veut encor, folle de volupté,
Presser le dur rameau de ta virilité,
Et boire jusqu’au sang sa sève défendue ! (« Vierge »)
– « Aline, mon cher cœur et mon rêve adoré,
Va ! ne crains rien, c’est moi, ta Léona ! Je t’aime
Et brûle d’infuser mon amour en toi-même !

Mes lèvres vont cueillir ton fruit tant désiré ! »
[…] (« Aline »)
On eût dit qu’elle avait vingt lèvres à la fois…
Aline se pâmait à ce jeu qui la tue.

– « Ouvre ta cuisse blanche et ronde, mon enfant ;
Ton clitoris, blotti dans sa toison dorée,
Veut les tendres fureurs d’un baiser triomphant ! » (« Volupté »)
Si l’on boit un baiser dans son tiède calice,
On goûte, volupté, ton enivrant supplice,
On y suspend son âme, et l’on se sent pâmer.

Ô femmes ! votre cœur sur vos lèvres soupire,
Et l’amant qui vous aime à la hâte respire
Cette fleur que l’oubli tôt ou tard doit fermer ! (« Les Lèvres »)
Le corps est un vaste poëme,
Aussi profond que l’âme même ; (« Epilogue »)
Le poème « Aline » que Rocher envisage déjà comme une source au « Sonnet du Trou du Cul » contient plusieurs possessifs, à compléter avec le poème de la même série « Vierge » : « ma bouche », « mon cher cœur et mon rêve adoré », « mes lèvres ». L’intérêt d’un poème tel que « Aline », c’est son animation sexuelle torride entre deux êtres, en l’occurrence deux lesbiennes, ce qui permet de justifier le glissement torride du « Sonnet du Trou du Cul » qui ne s’en tient pas au blason pudique du premier modèle, engageant l’idée d’un acte sexuel tout récent dans les quatrains de Verlaine, un rappel d’une activité sexuelle débridée dans le basculement aux temps du passé des tercets rimbaldiens, et une ambiguïté homosexuelle déplaçant encore plus les lignes érotiques, en s’appuyant sur le cliché des amours saphiques dans la littérature érotique publiée sous le manteau, ce qui implique au passage une plaquette de Verlaine.
La mention « pâmée » revient elle-même à plusieurs reprises dans le recueil, voyez nos citations de « Volupté » et « Les Lèvres » : ce ne sont pas les seules que nous pouvions faire, nous ajouterons seulement l’expression « la terre pâmée » à la rime du second vers du poème « A l’amour » qui succède au « Prologue », car elle impose un rapprochement avec « l’olive pâmée », et nous citerons les six premiers vers justement de ce sonnet « A l’amour » car, en incluant une occurrence du mot « sanglots », non présent chez Mérat, ils ont l’air de nommer l’ambiguïté sexuelle qui fait le fond du poème zutique sur l’anus :

Amour, supplice heureux, rêverie enflammée,
Toi qui sous le soleil tiens la terre pâmée,
Dieu de la volupté, des sanglots et des pleurs,
Sur tes brûlants autels coule le sang des cœurs.

N’es-tu pas, dans les mains de l’homme et de la femme,
Un miroir où chacun vient regarder son âme ?
[…]
Enfin, si dans le second tercet du « Sonnet du Trou du Cul », nous observons qu’une rime « câline » :: « praline » est suivie d’un emploi suspect au masculin de l’adjectif « féminin », Rimbaud s’inspire des rimes de deux sonnets « Coquetterie nocturne » et « Les Cheveux de la femme » qui ne sont séparés que par un seul autre. Dans « Coquetterie nocturne », nous avons la rime « et de l’œil se câline » :: « s’incline » dans le premier tercet vers 10 et 11, tandis qu’au premier tercet, toujours, mais vers 9 et 10, nous avons la rime « têtes féminines » :: « odeurs divines » pour le poème « Les Cheveux de la femme ». Ces rimes n’ont pas été relevées dans l’article de Rocher, mais elles contiennent une double subtilité. Dans un premier temps, elles permettent justement de confirmer que le prénom « Aline » doit se lire dans la rime « câline » :: « praline », comme l’a bien vu Rocher, et cela implique un horizon de confusion puisque les amours lesbiens entre Aline et la louve permettent d’imaginer que l’anus peut être celui d’un homme dans le blason des zutistes. Mais, dans un second temps, la reprise de « féminine » à la rime chez Cantel en sa variante au masculin à la césure : « Chanaan féminin », est donc confortée en tant que signe d’une ambiguïté sexuelle latente. L’anus est féminisé sans nécessairement être celui d’une femme.
Considérant avoir évité de citer tous les rapprochements moins probants, signalons pour en finir le sonnet « Dévotion » qui sert de tremplin à l’idée de « Chanaan féminin dans les moiteurs enclos » :
Ta bouche est un vivant ciboire
[…]
Ta langue est une chaude hostie
[…]
Voilà ! Nous osons croire que le remarquable entrelacement d’une foule considérable d’emprunts à deux recueils distincts dans les quatorze vers parodiques des sieurs Rimbaud et Verlaine a été prouvé et que la signification obscène du doublage parodique de l’œuvre de Mérat par la médiation du recueil de Cantel a paru signifiante comme éloquente à nos lecteurs. Il y avait là de vrais enjeux de sens.
Sachez que nous parlerons encore de ce recueil d’Henri Cantel, car son poème « Ecce homo » contient la même distribution sur deux rimes des tercets du sonnet Poison perdu. Il se termine aussi par une citation du poème de La Légende des siècles intitulé « Le Satyre ».
Parfois, lorsque l’esprit, comme un roi sans couronne,
Vers un lointain exil et des cieux inconnus,
S’enfuit, la chair docile aux conseils de Vénus,
Flot rouge et débordé, se révolte et frissonne.

Alors les désirs fous, meute qu’on emprisonne,
Montrent leurs yeux ardents et tordent leurs bras nus ;
Hors du cercle où l’esprit les avait contenus,
Ils brûlent tout, pareils à la mort qui moissonne.

L’homme et la femme, las de leur accouplement,
Vont cueillir au hasard les voluptés de Rome
Et les lubricités où se berça Sodome.

Priape, demi-dieu de l’abrutissement,
Lève son fier phallus vers le bleu firmament :
Et s’écrie : - « A genoux ! adorez ! voici l’homme ! »


[1] Références Murphy, Rocher.