Nous allons
comparer les sonnets en vers d’une syllabe contenus dans l’Album zutique avec leurs sources. En termes de réécritures, nous
allons être confrontés à la reprise de vers entiers. Autrement dit, la reprise
d’un mot équivaudra en général à la reprise du vers lui-même, à
quelques aménagements près : ponctuation, conjugaison, accord(s).
Dans son ouvrage La Syllabe et l’écho, Alain Chevrier a
inévitablement cité l’ensemble des poèmes en vers d’une syllabe, voire une
grande partie des poèmes qui vont intéresser notre étude. Mais il n’a pas lié
les vers d’une syllabe d’Amédée Pommier aux performances zutiques, et ce n’est
qu’en fonction de l’identité de forme qu’il a entrevu l’importance des sonnets
en vers d’une syllabe de Paul de Rességuier et d’Alphonse Daudet. Voici pour le
signifier ce qu’il écrit dans son livre au sujet des modèles de référence des
sonnets zutiques à vers courts : « La plus grande moisson de sonnets
monosyllabiques pousse peu après sur les pages de l’Album zutique. Celui-ci n’était pas destiné à la publication (il ne
le sera qu’en 1943), mais certains d’entre eux paraîtront dans des revues. Ces
poèmes parodiques et facétieux, souvent grivois, parfois relâchés, ont été
écrits dans l’hiver 1871 » (page 355), et « On peut penser que les
auteurs de l’Album zutique, à la fin
de 1871, ont prolongé dans le même esprit satirique le sonnet monosyllabique
d’Alphonse Daudet dans Le Parnassiculet
contemporain, et qu’ils n’ignoraient pas celui de Paul de Rességuier, ni
l’ouvrage de Louis de Veyrières. Ainsi, dans l’Album zutique, Rimbaud a écrit à la fois un sonnet monosyllabique
et un sonnet dissyllabique. » Un rapide commentaire au cas par cas des
sonnets monosyllabiques de l’Album
zutique se tient dans les limites des pages 355 à 357. Des
« Conneries » de Rimbaud, seuls « Cocher ivre » et
« Jeune goinfre » sont cités. Aucune mention n’est faite du sonnet
« Paris ». Enfin, seul un poème, une « Causerie » de Charles
Cros, est rapproché des performances d’Amédée Pommier : « On peut
considérer ce poème comme la version encore plus hard de l’idylle d’Amédée Pommier vue plus haut. »
Nous considérons
ici les choses différemment. Nous avons signalé à l’attention, en 2009, dans un
numéro consacré à Rimbaud de la revue Europe,
un extrait d’un article de Verlaine dans la revue L’Art en 1865, où était fortement moqué, citation à l’appui,
l’intérêt de Barbey d’Aurevilly pour les vers d’une syllabe d’Amédée Pommier.
Nous avons ensuite envisagé les liens parodiques permettant d’établir une
continuité entre Barbey d’Aurevilly et Alphonse Daudet, en nous intéressant au
suffixe présent dans les titres « Médaillonnets » et
« Parnassiculet contemporain ». C’est à cette aune que nous avons
prétendu expliquer la raison d’une prolifération de sonnets en vers d’une
syllabe dans l’Album zutique. La
présente étude va montrer que nous pouvons aller plus loin, en soulignant à
quel point les sonnets zutiques réécrivent des passages des poèmes de Pommier
et du sonnet d’Alphonse Daudet, ce qui pour l’instant n’a jamais été mené à
bien.
Nous ne voulons
pas tenir compte ici de la présentation originale des sonnets ou poèmes cités,
par exemple les majuscules et même les différences de taille de certains vers
pour le sonnet de Rességuier, et nous citons comme modèles de référence aux
sonnets en vers d’une syllabe de l’Album
zutique quatre textes fondamentaux, le sonnet de Paul de Rességuier
justement, deux poèmes en vers d’une syllabe d’Amédée Pommier qui ne sont pas
des sonnets et un sonnet d’Alphonse Daudet « Le Martyre de saint
Labre ». Nous citerons ensuite les sonnets en vers d’une syllabe de l’Album zutique, avant de citer des
compléments tels que « Jeune goinfre », mais aussi nous transcrirons
des poèmes antérieurs ou postérieurs à l’Album
zutique qui ont leur place dans cette étude. Nous ne nous attarderons pas
ici sur les licences orthographiques à la rime d’Amédée Pommier, ni sur sa
grammaire allégée qui demanderait une présentation nuancée lourde et peu utile
pour l’instant, ni sur les effets métriques de la position à la rime de
certains mots, tels les déterminants « La » et « Quelle »
dès le sonnet de Paul de Rességuier.
Pour bien montrer
qu’il convient de prêter attention à ces liaisons de mots entre poèmes,
remarquez d’emblée que « Rose » nom de femme, premier vers et premier
mot du poème « Blaise et Rose » d’Amédée Pommier, reprend le nom de
fleur qui est le premier mot ou premier vers des tercets du sonnet de Rességuier.
En revanche, nous pourrions avoir l’illusion qu’il s’agit de la seule reprise
effectuée par Amédée Pommier. Il semble avoir évité de reprendre les rimes en
« -ort », la paronomase « Brise » / « Prise »,
les mots « Close » ou « Frêle », et même le pronom
« Elle ». Cependant, celui qui se faisait nommer « le
métromane » a repris, involontairement ou non, au poème de Rességuier
l’adjectif « Belle » qu’il flanque d’un point d’interrogation
(« Quitte- / T-on / Telle / Belle ? »), le déterminant
« La » (« A / La / Lutte »), et même le déterminant
« Quelle » qu’il fait passer au masculin « Quel » dans
« Quel/ Fiel ». Si la forme « prise » n’apparaît pas dans
« Blaise et Rose », nous rencontrons tout de même l’infinitif
correspondant : « Prendre ». Quant au vers en deux mots « L’a »,
Pommier s’en est inspiré pour certains de ses vers. Par exemple,
« M’est » est une suite pronom et verbe, mais surtout
« N’a » reprend la forme « a » telle quelle :
« Nulle / Mule / N’a / Cette / Tête- / Là ! », même si dans un
cas c’est un auxiliaire et dans l’autre le verbe « avoir » au présent
de l’indicatif. Voilà jusqu’à quel point il convient de faire attention.
Le Comte Paul de
Rességuier, Sonnet, « Epitaphe, 1562 » :
Fort / Belle, /
Elle / Dort. // Sort / Frêle ! / Quelle / Mort ! // Rose / Close / La
// Brise / L’a / Prise.
Amédée Pommier,
« Blaise et Rose, églogue réaliste, en langage marotique, dédiée à
Rabelais (la scène est dans un bois) » :
BLAISE : Rose
/ Vien !
ROSE : N’ose
/ Rien !
BLAISE :
Jure- / Moi / Pure / Foi.
ROSE :
Zeste ! / Peste ! / Reste / Coi.
BLAISE : Une
/ Brune / Plaît.
ROSE : L’Âge
/Sage / Fait. / Chauve, / Sauve- / Toi !
BLAISE :
Quoi ? / Même / Vieux, / J’aime / Mieux.
ROSE : Lourde
/ Bourde ! / Sourde / Suis. / Puis, / L’ange / Saint Fange / Craint. /
L’âme / Blâme / Ces / Faits.
BLAISE :
Prendre / Dois / Tendre / Voix. / Mainte / Plainte / Feinte / J’oys. / Douce /
Mousse / Pousse / Là.
ROSE :
Qu’est-ce ? / Cesse. / Laisse / Çà. / Haute / Faute / Cuit. / Prompte /
Honte / Suit.
BLAISE :
Reine / Mienne. / Très / Près / Toute / Boute- / Toi.
ROSE :
Ah ! le / Sale !
BLAISE :
Soit ! / Blanche / Main, / Hanche, / Sein, / Donne, / Bonne, / Tout. /
Baise / Blaise / D’aise / Fou.
ROSE :
Buffle ! / Muffle ! / Ne / Bouge / Ou je / Te / Tape. / Tien, / Chien
/ Jappe !
BLAISE :
Frappe /Bien ! / Chaque / Claque / M’est / Lait. / Braille ! Bail /
Coups !
ROSE : Nous /
Sommes / Aux / Beaux / Hommes. / Cours, / Basse / Face / D’ours ! / Pire /
Mo / Faut / Dire : / Loin, / Groin !
BLAISE :
Dis-le / Trois / Mille / Foi. / Raille ! / Piaille ! / A / La / Lutte
/ Je / Me / Bute. / Je / Ne / Pli / Mie, Quand / Joûte / Coûte / Tant.
ROSE :
Traîtres, / Loups. / Maîtres / Saoul ! Orde / Corde / Torde / Vos /
Os ! Lâche- / Moi !
BLAISE : Fâche-
/ Toi. / Prie ; / Crains ; / Crie ; / Geins. / Grince ! /
Pince / Fort ! / Grogne ! / Cogne ! / Mord ! / Être /
Maître / Veux.
ROSE : Va-je
/ Rage. / Gueux ! / Bûche ! / Sot ! / Cruche ! / Pot !
/ Pire / Sire / Qu’un / Hun ! / Rogue / Dogue !
BLAISE :
Ciel ! / Quel / Fiel ! / Diantre ! / Ventre / Bleu ! / Rude
/ Prude ! / eu ! – Nulle / Mule / N’a / Cette / Tête- / Là ! /
Cède…
ROSE : A –
L’aide ! – Ah !... / asse / Suis… / Grâce ! / Fuis / Vite !
….
BLAISE :
Quitte / T-on / Telle / Belle ? / Non.
ROSE : Aïe.
BLAISE :
Fleur / N’aye /Peur !
ROSE : Piège
/ Laid ! / Qu’ai-je / Fait ? / Certe, / Perte / C’est. / Homme / Dur
/ Comme / Mur, / Nue / Vue / Tue- / Moi !
BLAISE :
Brame, / Femme ! / Pâme- / Toi !
Amédée Pommier,
« Sparte, en style laconique, à Victor Béoland, le savant traducteur
d’Apulée » :
Dure / Loi ;
/ Sûre / Foi ; / Chastes / Mœurs ; / Vastes / Cœurs ; / Mâles /
Gars ; / Pâles / Arts ; / Braves / Chauds ; / Graves /
Mots ; / Âmes / Blocs ; / Femmes / Rocs ; / Maîtres /
Fiers ; / Piètres / Serfs ; / Princes / Gueux ; / Minces /
Queux ; / Riches / Faits ; / Chiches / Mets.
[Alphonse Daudet,]
Parnassiculet contemporain, « Le
martyre de saint Labre, sonnet extrêmement rythmique » :
Labre, / Saint / Glabre, / Teint // Maint / Sabre, / S’cabre, / Geint ! // Pince, / Fer / Clair ! // Grince,
/ Chair / Mince !
Le poème
« Sparte » d’Amédée Pommier ne reprend cette fois aucun mot au sonnet
de Paul de Rességuier. En revanche, la pièce satirique de Daudet, tandis
qu’elle reprend la forme du sonnet en vers d’une syllabe à Paul de Rességuier,
fait volontairement allusion à la série d’impératifs verbaux suivante que nous
extrayons de « Blaise et Rose » : « Fâche- / Toi. /
Prie ; / Crains ; / Crie ; / Geins. / Grince ! /
Pince / Fort ! / Grogne !
/ Cogne ! / Mord / […] » A cette aune, Daudet reprend trois mots à ce
passage du poème de Pommier : « Geint » reprend
« Geins », tandis que « Pince » et « Grince », en
construction parallèle dans les tercets de Daudet, reprennent deux verbes qui
se succèdent dans la réplique de Blaise. Les consonnes de « Fer »
rappellent même celles de « Fort » dans « Pince /
Fort ! ». Pour la maigreur de la chair et le motif militaire, Daudet
s’inspire sans doute également de « Sparte » et de sa pointe
« Chiches / Mets. » Enfin, même si cela peut sembler un détail, voire
une coïncidence, le vers 2 de Daudet « Saint » semble venir aussi du
poème « Blaise et Rose » : « L’ange / Saint / Fange /
Craint », et à proximité justement de cette réplique de Rose le féminin
« Mainte » dans la répartie suivante de Blaise (« Mainte /
Plainte / Feinte / J’oys ») est repris au masculin par Daudet.
La raison évidente
pour laquelle Daudet imite la série des impératifs dans la bouche de Blaise
vient de l’article où Verlaine cite un échantillon de la mauvaise poésie de
Pommier dans son article de la revue L’Art
où il répond au mépris de Barbey d’Aurevilly pour la poésie de Banville.
Citons les choses
précisément.
Voici la réplique
de Blaise ciblée par Verlaine, puis Daudet :
BLAISE :
Fâche- / Toi. / Prie ; / Crains ; / Crie ; / Geins. /
Grince ! / Pince / Fort ! / Grogne ! Cogne ! / Mord / Être
/ Maître / Veux.
Verlaine cite un
éloge de la poésie de Pommier par Barbey d’Aurevilly : « Homme
étonnant qui n’a besoin que d’une syllabe pour vous enchanter, si vous avez en
vous un écho de poète […] » et il offre en « échantillon » la
fin de cette réplique de Blaise et le début de la réponse de Rose :
« Blaise. – Grogne ! / Cogne ! / Mord ! / Être / Maître /
Veux. // Rose. – Va, je / Rage. Gueux ! / Bûche ! / etc. »
Daudet a repris le
début de la réplique de Blaise : « Geint ! » est le dernier
mot des quatrains, avant que nous n’ayons le parallèle verbal des
tercets : « Pince, Fer Clair » face à « Grince, Chair
Mince ».
Il faut garder
cela à l’esprit, car nous aurons à y revenir à plusieurs reprises dans la suite
de notre étude.
Citons maintenant
les sonnets en vers d’une syllabe de l’Album
zutique !
Série de trois de
Léon Valade au recto du feuillet 5, les compositions peuvent être récentes,
mais il ne faut pas exclure la possibilité d’un report de trois compositions
plus anciennes. Nous pouvons soupçonner que la pratique des sonnets en vers
d’une syllabe datait de l’époque de l’Album
des Vilains Bonshommes. Le sonnet de Daudet date de 1867. Pourquoi la
reprise parodique aurait-elle attendu quatre années ?
Léon Valade,
« Eloge de l’Âne », transcription zutique d’octobre 1871 :
Naître / Con [;]
/ Paître / Son ; // Être / Bon ; / Traître, / Non ! //
- Comme / Sur / L’homme // Dur[,] / L’Âne / Plane !....
Léon Valade,
« Amour maternel », transcription zutique d’octobre 1871 :
Qu’on / Change / Son / Lange. / Mange, /
Mon / Bon / Ange. // - Trois / Mois
/ D’âge !.... - // Sois / Sage : / Bois.
Léon Valade,
« Combat naval », transcription zutique d’octobre 1871 :
Mer[,] / Croule !
/ Foule / L’air ! // Chair, / Roule / Sous le / Fer !
// L’onde / Ronde / Bout. // - Ombre : / Tout / Sombre…
Un débat pourrait
avoir lieu sur la ponctuation du second vers de cet « Eloge de
l’Âne ». Depuis Pascal Pia, on adjoint une virgule au mot
« Con », c’est ce que fait également Denis Saint-Amand dans sa
transcription pour l’édition Garnier-Flammarion de 2016. Pourtant, le
fac-similé du manuscrit fait apparaître une surcharge d’encre importante sans
qu’il soit facile de trancher. Toutefois, il semble naturel d’envisager que ce
cafouillage implique malgré tout un point-virgule. Les vers quatre et six sont
ponctués bien lisiblement par des points-virgules très propres cette fois,
alors que Pascal Pia, Alain Chevrier et Denis Saint-Amand optent pour la
virgule. Or, le point-virgule indiscutable aux vers 4 et 6 a le mérite de
souligner la relation à la source qu’est Amédée Pommier, la scansion binaire de
« Sparte » évidemment : « Dure / Loi ; / Sûre /
Foi ; […] », plutôt que la suite des impératifs de Blaise citée plus
haut : « Prie ; / Crie ; / Geins. ». Le mot
« Con » est sans doute une manière de reprise des injures échangées
par Blaise et Rose, une variante du mot « Sot » par exemple. Le
second quatrain « Être / Bon, / Traître, / Non ! » est à
l’évidence une démarcation du « Être / Maître / Veux » tiré de la
réplique de Blaise que nous avons vue être au cœur des citations de Verlaine,
puis Daudet. Valade n’a pas repris le mot « Maître » dans sa rime,
mais « Être » et « Traître » viennent directement de
« Blaise et Rose » : « (Rose) Traîtres, / Loups. Maîtres /
Saouls ! [….] » et « (Blaise) Être / Maître / Veux. » La
forme « Bon » reprend le féminin du dialogue de Pommier :
« (Blaise) Soit ! Blanche Main, Hanche, Sein, Donne, Bonne,
Tout. » L’adverbe « Non » vient également d’une réplique de
Blaise : « Quitte / T-on / Telle / Belle ? / Non. » Le
passage « - Comme / Sur / L’homme / Dur / […] » appelle
plusieurs remarques. Il réécrit une expression de Rose à la fin de son dialogue
avec Blaise : « Homme / Dur / Comme / Mur », ce qui signifie une
reprise de trois mots de Pommier en quatre vers. Ajoutons que l’adjectif
« dur » peut en même temps faire écho avec le premier mot au féminin
de « Sparte » : « Dure / Loi ; […] » et, en
prime, il s’agit dans le sonnet de Valade d’un rejet d’un tercet à l’autre, ce
qui fait songer au cas du déterminant « La » en contre-rejet au vers
11 du sonnet de Paul de Rességuier : « La // Brise / L’a /
Prise. » Pourtant, les zutistes ne donnent pas l’impression d’imiter directement
le sonnet romantique. L’âne n’est pas mentionné dans nos quatre poèmes sources,
à moins de forcer un rapprochement avec les injures animales de Rose :
« Buffle », « Mufle », « Chien », « Face /
D’ours », « Groin », « Loups », « Rogue /
Dogue ». Mais, tout de même, Blaise lui répond qu’elle est une
« Mule », tandis que la sentence finale du poème de Valade fait
nettement écho aux sentences de Rose : « L’Âge / Sage / Fait »
(où « Sage »’oppose en principe à la bêtise de « l’âne »),
« L’ange / Saint / Fange / Craint. / L’âme / Blâme / Ces / Faits. »
Les mentions « L’âge », « L’âme » et « L’ange »
nous rapprochent phonétiquement et graphiquement de la mention
« L’âne ». Une recherche complémentaire est à mener, d’autant que
Daudet est sans doute lui aussi une cible de cette pièce satirique, le nom « Daudet »
prêtant à l’équivoque avec « baudet ».
Nous ne nous
attarderons pas ici sur les échos entre « Eloge de l’Âne » et
« Amour maternel » : « con » devenant
« qu’on », le nom « son » qui devient un déterminant
possessif, la reprise du mot « bon ». Nous les signalons tout de
même à l’attention, en tant que témoins d’un autre mécanisme créateur.
Valade a à nouveau
repris plusieurs mots au dialogue de Pommier. « Bon »,
« Ange », « âge » et « Sage » ont été impliqués
dans le commentaire du sonnet précédent. La forme « Sois » peut se
rattacher à l’exclamation « Soit ! » de Blaise, sinon aux
conjugaisons diverses de « Être ». Surtout, l’emploi de l’impératif
renvoie à nouveau à la série au cœur du conflit Barbey
d’Aurevilly-Verlaine-Daudet. Le chiffre « Trois » est repris lui
aussi : « (Blaise) Dis-le / Trois / Mille / Fois. » Le pronom
« on » est également présent dans une réplique de Blaise :
« Quitte- / T-on / Telle / Belle ? » Le sonnet de Léon Valade
suit sa propre voie par ailleurs, avec le parallèle des impératifs
« Mange » et « Bois », mais là encore nous pouvons songer
aux « Chiches / Mets » de « Sparte ». Evidemment, le mot de
la fin « Bois » s’explique encore par le contexte de la réunion
zutique.
A première vue, le
troisième sonnet « Combat naval » ne s’inspire guère des deux poèmes
d’Amédée Pommier en vers d’une syllabe. Aucun mot n’en provient, à l’exception
possible de « Tout » qui pourrait rappeler « Toute / Boute- / Toi »,
mais cela n’a rien d’évident. En revanche, Valade a repris cette fois deux mots
clefs du sonnet « Le Martyre de saint Labre » :
« Chair » et « Fer ». Toutefois, dans son livre La Syllabe et l’écho, Alain Chevrier
cite d’autres exemples de poèmes à vers courts. Il peut s’agit de poème où le
vers d’une syllabe alterne avec des vers plus longs ou bien de poèmes aux vers
de deux ou trois syllabes. Ceci va élargir soudainement notre horizon
d’enquête.
Plusieurs poèmes
du drame Cromwell devraient retenir
notre attention, ce sont des sources précises aux performances de Rességuier ou
Pommier. Il conviendrait de citer encore des Odes et ballades, Les Djinns,
des poèmes d’Hugo longtemps demeurés inédits. Il conviendrait de citer les
romanciers ironiques qui ont proposé eux aussi des suites de vers d’une syllabe
ou de citer les poètes qui se sont essayés aux vers de deux ou trois syllabes,
mais Alain Chevrier a mentionné un extrait en vers de deux syllabes justement
qui nous vient d’Amédée Pommier. Il s’agit d’un extrait du poème
« Pan ». Voici cet extrait : « Grand Être / Qu’on sent, / Ô
Maître / Puissant, / Roi juste, / Auguste / Et bon, / A l’âme, / Tout clame /
Ton nom ! »
Ce qui retient
d’emblée l’attention, c’est la mention verbale « clame » que nous
retrouvons dans le poème en vers de quatre syllabes de Verlaine
« Marine », sans doute un des Poëmes
saturniens qui a le mieux justifié le rapprochement railleur de Daudet
entre Verlaine et Pommier. Ce verbe « clame » est présent dans le
sonnet en vers d’une syllabe de Rimbaud « Cocher ivre », ce que ne
relève pas Alain Chevrier qui ne s’intéresse malheureusement qu’aux identités
de forme. Or, dans ce poème « Pan », nous croisons pas mal de rimes
intéressantes pour notre étude comparative. Voici les deux premiers dizains :
« La face / Des cieux, / Espace / Plein d’yeux ; / De l’ombre / Le
sombre / Tableau ; La lune / Sur une / Belle eau ; // Ton voile, / Ô
nuit ; / L’étoile / Qui luit, / Qui tremble / Et semble / Un pleur, / Que
roule / En boule / la fleur ; » qui nous offrent les mentions
« ombre », « sombre » et « roule » à l’origine de
trois vers de ce « Combat naval » qui semblait ne pas s’inspirer de
l’œuvre de Pommier. La forme « Change » du sonnet « Amour
maternel » est d’ailleurs à la rime dans les vers dissyllabiques de
« Pan » : « Qui change »[.] La forme « roule »
revient : « La houle / Qui roule / Sans freins ; / Qui ronfle /
Et gonfle / Ses reins ; » tandis que le mot « onde » du
« Combat naval » fait son apparition : « Grande onde,
/Bassin / Qu’on sonde / En vain ; » sans oublier la suite de mots « Qu’on »
devenue le premier vers du sonnet « Amour maternel ». Et à cette
aune, puisque « Jeune goinfre » de Rimbaud est aussi un poème en vers
de deux syllabes, pourquoi ne pas voir que le second vers de
« Jeune goinfre » reprend une rime de « Pan » d’Amédée
Pommier : « Casquette / De moire, » face à « Lac pur, / Aux
moires / D’azur ; / De l’onde / Qui gronde, / Qui court, / Ecume / Qui
fume, / Bruit sourd ; » tandis qu’à proximité la suite « De
l’onde / Qui gronde » a tout l’air d’avoir inspiré les vers de
Valade : « L’onde / Ronde », par glissement de « gronde »
à « ronde ». Même l’idée de présentation de l’habillement du
« Jeune goinfre » : « Casquette / De moire, /
Quéquette / D’ivoire, // Toilette / Très
noire, » fait écho à telle série de vers : « Fourrure, /
Velours, / Parure / De l’ours, » et « Belette / Fluette, / Bison /
Dont pousse / La rousse / Toison ; » d’autant que nous retrouvons
même la rime en « -ette ».
Nous aurons
d’autres éléments à apporter pour préciser le sens des sonnets de Valade, mais
notre entreprise s’attache déjà à fixer les réécritures précises et cela
précipite déjà un travail d’une étendue assez vaste. Pour « Combat
naval », l’idée d’une réécriture à partir de modèles vient de s’enrichir
d’éléments neufs.
Léon Valade,
« Combat naval », transcription zutique d’octobre 1871 :
Mer[,] /
Croule ! / Foule / L’air ! // Chair, / Roule / Sous le / Fer ! // L’onde / Ronde / Bout. //
- Ombre : / Tout / Sombre…
Coincé dans un
mince espace disponible, le sonnet monosyllabique de Charles Cros contient une
mention finale « Ivre » qui a l’air de reprendre la mention finale
« Bois » du sonnet « Amour maternel » de Valade, mais aussi
qui a l’air d’anticiper le titre « Cocher ivre » de Rimbaud. Il est
délicat de dater précisément la transcription de ce sonnet en vers d’une
syllabe, Charles Cros l’ayant signé d’un monogramme typique des interventions
de 1972, sauf qu’il a rétrospectivement appliqué le monogramme à l’ensemble de
ces transcriptions zutiques de 1871. Sans certitude absolue, nous en ferons
donc le quatrième sonnet en vers d’une syllabe reporté sur le corps de l’Album zutique. En revanche, il semble
significativement placé à côté d’un sonnet « Soleil couchant » de
Léon Valade. En effet, en 1874, dans la Revue
du monde nouveau, Charles Cros a assuré la publication de trois des sonnets
en vers d’une syllabe de Léon Valade, bien qu’il ne l’ait pas mentionné en tant
qu’auteur. « Eloge de l’Âne » a été écarté. Il s’agit de « Amour
maternel » qui devient « Monologue de l’amour maternel », de
« Combat naval » et d’un sonnet que nous évoquerons plus loin
« Néant d’après-soupée », pièce réintitulée « Suicide du soupeur
blasé » dans la revue de Cros. Les performances de Valade semblent avoir
marqué celui-ci.
Charles Cros,
« Sur la femme », transcription zutique de 1871 ou 1872.
Ô / Femme, / Flamme, Eau !/ Au / Drame / L’âme / Faut. // Même /
Qui / L’aime / S’y / Livre / Ivre.
La performance est
particulièrement acrobatique. Certains vers sont de pures voyelles dont trois
qui riment entre elles : « Ô », « Eau »,
« au ». La rime « femme » :: « flamme »
a la réputation du cliché. Nous ne commenterons pas ces vers. Retenons que
plusieurs vers peuvent être envisagés, même si les coïncidences sont possibles,
comme des reprises de vers d’une syllabe de « Blaise et Rose »
d’Amédée Pommier : « Femme », « Au », « L’âme »,
« Faut », « L’aime ».
Le suivant sonnet
en vers d’une syllabe que nous avons à citer est le plus beau de la langue
française, au moins à égalité avec celui de Paul de Rességuier. Il est de
Cabaner et celui-ci a eu le mérite de concurrencer Rességuier dans la recherche
d’une élocution naturelle. Son premier vers, l’interjection
« Ah ! », tend à confirmer l’idée d’une transcription antérieure
du sonnet de Charles Cros, même si le raisonnement sur une influence en sens
inverse est toujours possible.
Ernest Cabaner,
« Mérat à sa muse » :
Ah ! / Chère, / La / Guerre // Va / Faire
/ Taire / Ta // Douce / Voix. Vois, // Tout se / Fait / Laid.
Nous observons que
Cabaner pratique aussi l’enjambement violent du déterminant entre les quatrains
et les tercets, comme Rességuier l’a fait, mais sans doute involontairement,
dans son « Epitaphe ». Rességuier était pris par la dynamique binaire
de son élocution. Cabaner était parfaitement conscient des jeux à la césure sur
déterminant propre à son époque, il savait que l’enjambement du déterminant
dans des vers d’une syllabe serait plus audacieux en fonction d’une limite de
strrophe, d’où son placement malicieux du possessif « Ta » en fin de
second quatrain. A la différence de Rességuier, Cabaner exploite toutefois
comme d’autres membres du Cercle du Zutisme un petit abus dans les
« e » de fin de vers : « Tout se / Fait / Laid »,
pratique abusive qui vient de « Blaise et Rose » d’Amédée Pommier et
que nous rencontrions déjà dans « Combat naval » : « Roule
/ Sous le / Fer ! » Il va de soi que Cabaner songe à épingler cette
singularité des vers de Pommier. Ses reprises de mots semblent moins sensibles,
mais « Ah ! », « La » déterminant,
« Faire », « Ta » possessif, « Voix »,
« Tout (se) » et « Fait » ont bien des correspondants dans
les vers d’une syllabe d’Amédée Pommier. Le mot de la fin « Tout se / Fait
/ Laid » peut entrer en résonance avec certains passages du dialogue des Colifichets : « Nous / Sommes
/ Aux / Beaux / Hommes » et « Chaque / Claque / M’est / Lait. »
Ernest Cabaner
épingle le silence zutique d’Albert Mérat, en signifiant par la même occasion
que celui-ci était bien présent aux réunions du Cercle.
Nous passons alors
à la parodie « Cocher ivre » de Rimbaud.
Rimbaud a lancé
quelques pages auparavant, au verso du feuillet 6, une première série de
« Conneries » sur lesquelles nous reviendrons.
Au verso du
feuillet 8, il lance une deuxième série qui se limita à un unique sonnet en
vers d’une syllabe « Cocher ivre ». Nos rapprochements avec
« Combat naval » confortent l’idée très répandue selon laquelle il
s’agissait de la troisième « Connerie » qui devait créer un triptyque
en réponse à celui de Valade. « Jeune goinfre » devait répondre à
« Eloge de l’âne », « Paris » à « Amour
maternel » et « Cocher ivre » à « Combat naval ». Nous
avons vu que « Combat naval », « Cocher ivre » et
« Jeune goinfre » reprennent tous trois des mots, le plus souvent à
la rime, de l’œuvre en vers dissyllabiques « Pan » d’Amédée Pommier.
Les allusions à Verlaine rapprochent également « Jeune goinfre » et
« Cocher ivre », l’un parle d’un « Paul » équivoque dans
lequel Verlaine s’est reconnu, l’autre emploie un verbe « Clame » qui
sert à justifier Daudet dans sa raillerie du « Martyre de saint
Labre » où Verlaine est assimilé au métromane.
Arthur Rimbaud,
« Cocher ivre », transcription zutique de 1871.
Pouacre / Boit :
/ Nacre / Voit : // Âcre / Loi,
/ Fiacre / Choit ! // Femme /
Tombe : Lombe // Saigne : / - Clame !
/ Geigne.
Si nous respectons
l’exercice, plusieurs mots du sonnet de Rimbaud ont une correspondance dans les
poèmes « Blaise et Rose », « Sparte » ou « Pan »
d’Amédée Pommier. Le mot « Femme » est sans doute celui sur lequel il
est peu évident de prouver quoi que ce soit. En revanche, Rimbaud a voulu faire
écho à cette réplique de Blaise que Verlaine a partiellement citée pour railler
les goûts de Barbey d’Aurevilly et dont Daudet s’est ensuite servi pour se
moquer de Verlaine. Rimbaud a simplement corsé les choses avec un subjonctif
aberrant qui épingle les incorrections de langage de tous ces poèmes de Pommier
où l’acrobatie triomphe finalement assez peu des contraintes de la grammaire.
Les deux derniers vers de « Cocher ivre » sont donc de l’ordre de la
citation de vers de Pommier. Nous avons déjà dit ce qu’il en était de « Clame »,
double allusion à « Marine » de Verlaine et à « Pan » de
Pommier, pour justifier l’assimilation de Verlaine à Pommier opérée par le « Martyre
de saint Labre » de Daudet. Il va de soi que la justification chez Rimbaud
est essentiellement ludique et ne relève pas des motifs haineux de l’auteur
provençal. Mais, du coup, la mention « Geigne » a le mérite d’établir
une filiation à la suite du « Geins » du dialogue de Pommier et du « Geint »
du « sonnet extrêmement rythmique » du Parnassiculet contemporain. Le rythme de « Cocher ivre »
a même à voir avec « Le Martyre de saint Labre » dans sa façon de
succession verbale désinvolte. « Cocher ivre » a décidément plusieurs
sources : « Blaise et Rose », « Le Martyre de saint Labre »,
« Marine », mais encore « Sparte » de Pommier, puisque « Loi »
au vers 6 est la reprise du second vers de ce poème « en style laconique »
du métromane, sachant que la forme « Âcre » semble se démarquer de l’adjectif
« Dure » du modèle initiale : « Dure / Loi » contre « Âcre
/ Loi ». Rimbaud a d’ailleurs repris la rime en « -oit » aux
mêmes positions, vers 2 et 4 : « Dure / Loi ; / Sûre / Foi ; »
« Pouacre / Boit : / Nacre voit ; » à tel point qu’on
pourrait se demander si le point-virgule ne serait pas la vraie ponctuation
voulue par Rimbaud après « Boit ». Le double point est-il justifié à
cet endroit ? Les réécritures de Rimbaud concernent enfin les sonnets de
Valade. Le titre « Cocher ivre » et le thème du sonnet font écho à « Combat
naval » et à son idée de naufrage, mais le mot du vers 2 « Boit »
reprend le mot final du sonnet « Amour maternel ». Le verbe « Voit »
est à rapprocher du « Vois » du sonnet de Cabaner pour sa part. Le
mot « pouacre » mériterait une enquête, d’autant qu’un poème de
Verlaine, supposé plus tardif, mais malgré tout possible contemporain du
compagnonnage avec Rimbaud, porte ce mot dans son titre. La mention « Nacre »
peut se justifier à partir d’une étude serrée me semble-t-il des poèmes de
Pommier, j’y reviendrai, et dans tous les cas le titre « Cocher ivre »
vient du poème en alexandrins « Le Progrès » du recueil Colères d’Amédée Pommier, ce sur quoi je
reviendrai également. Pommier y parle de « bonne femme un peu soûle, / Qui
conduisez le coche où l’humanité roule » et de « postillon ivre / Qui
fouaille à tour de bras la bête qu’on lui livre ; » avec dans ce dernier
cas un fait troublant la rime finale « ivre », « livre » du
sonnet « Sur une femme » de Charles Cros cité plus haut. Précisons
encore que « Cocher ivre » figure sur le verso du feuillet 8 et qu’au
recto du feuillet 9 les suivantes contributions zutiques d’octobre 1871 sont un
« Vieux Coppée » de Valade, le montage de citations de Belmontet « Vieux
de la vieille » et un « Vieux Coppée » de Rimbaud au titre
interrogateur « Etat de siège ? », où il est encore question d’un
« postillon », postillon ayant « une engelure énorme sous son
gant ». Or, dans le recueil Colères
de Pommier, le poème « Charlatanisme » parle encore de « Remèdes
pour les cors et pour les engelures. »
Il existe une
énigme sur l’ordre de transcription des trois sonnets « Sur une femme »
de Charles Cros, « Mérat à sa Muse » de Cabaner et « Cocher ivre »
de Rimbaud, mais d’une part « Cocher ivre » a de nombreux intertextes
et d’autre part il existe des liens si minimes soient-ils entre ces trois
sonnets. Enfin, nous avons mis en gras et souligné « Geigne », parce
que ce mot est une double citation de Pommier et Daudet, une mention en un mot
de deux de nos quatre principaux poèmes sources aux vers zutiques d’une syllabe.
Nous avons laissé
pour l’instant de côté « Jeune goinfre » autant que « Paris »,
mais il convient de remarquer que sur la page de transcription de « Cocher
ivre », quelques mois plus tard, Germain Nouveau a composé un « Sonnet
sur RP », à savoir Raoul Ponchon, aux vers de trois syllabes. En revanche,
le même Raoul Ponchon qui ignorait sans doute que le titre « Conneries »
renvoyait aux recueils d’Amédée Pommier (colifichets,
colères, crâneries) a laissé une parodie de Louis Ratisbonne, sans doute
conscient de la source « Le Gourmand » à la première des « Conneries » qu’était
« Jeune goinfre ». Le sonnet en vers de trois syllabes de Germain
Nouveau réveille aussi notre attention au sujet de la parodie par Rimbaud du
recueil Fêtes galantes. Le poème « Fête
galante » est en vers de quatre syllabes et sa transcription zutique est
difficile à dater, mais à peu près contemporaine de celle des trois sonnets en
vers d’une syllabe de Léon Valade. Cela n’est sans doute pas anodin.
Pour l’instant,
continuons de citer les poèmes en vers d’une syllabe.
Verlaine, selon l’étude
graphologique, nous a livré un sonnet en vers d’une syllabe qui ne vise ni
Pommier, ni Daudet, mais l’auteur d’un recueil de Poèmes modernes, François Coppée lui-même, lequel a été croqué dans
une sorte de médaillon en forme de tesson antique hérité d’une fouille
archéologique.
Verlaine, « Sur
un poëte moderne », transcription zutique de 1871.
Quête / Croix ;
/ Tette / Rois ; // - Tête ? / Bois ! - / - Bête ? / Vois !
- / - Rime ? / Lime ! - / - En / Outre / Jean - / - Foutre.
Les reprises d’Amédée
Pommier ne sont guère sensibles. L’âpreté rancunière du poème est sensible,
mais avec une maîtrise de l’expression et des idées nouvelles en fait d’audaces
dans la pratique du sonnet en vers d’une syllabe. Le « En outre » à
cheval sur les tercets et la glissade finale « En outre Jean-foutre »
témoigne d’un réel talent. Le reste du sonnet est plus agressif, mais réussi et
signifiant. On remarque en particulier la citation du premier quatrain de « Cocher
ivre » avec la rime « Bois » :: « Vois » qui
en provient.
Il s’agit cette
fois d’une rarissime contribution poétique d’un frère de Charles Cros, le
sculpteur Henry qui a signé avec une sorte de monogramme. La transcription
date-t-elle de 1871 ou de 1872 ? Le monogramme plaide pour 1872, mais pour
le reste l’hypothèse de 1871 paraît plus plausible.
Henry Cros, « Invocation
synthétique », transcription zutique en 1871 ou 1872.
Flamme, / Luis ;
/ Âme, / Vis ; // Femme, / Ris ; Gemme, / Dis ; // Chante, / Vante, / Les //
Causes / Des / Choses.
Henry Cros nous
rapproche d’une veine ésotérique qui concernait plutôt Cabaner et les trois
frères Cros, le sonnet « Sur une Femme » même si c’est de manière
plus superficielle a une note ésotérique un peu comparable. Le verbe « Luis »
est présent dans les vers courts de Pommier me semble-t-il. En tout cas, nous
retrouvons des correspondances « Femme », « Âme », mais
elles sont prévisibles, sinon « Dis » pour « Dis-le » chez
Amédée Pommier.
Pour le verbe « Luis »,
précisons que dans La Syllabe et l’écho
Alain Chevrier cite un poème d’un inconnu dont le texte varie quelque peu, mais
qui a le mérite de nous offrir les monosyllabes « L’onde » et « Luit » :
« Blonde / Nuit, / L’onde / Fuit ! / Une / Brune / Lune / Luit ! »
ou « Une / Lune / Luit / Une / Brune / Hune / Fuit : […] ». La
première version est citée par Maxime du Camp dans ses Souvenirs, la seconde par Jules Vinson qui l’aurait apprise du
poète Laurent-Pichat. La suite « Une / Brune / Lune » est à
rapprocher du début de « Blaise et Rose » : « Une / Brune /
Plaît. » Il y a fort à parier que cette scie visait les poèmes d’Amédée
Pommier et était connue des zutistes eux-mêmes. Le sonnet d’Henry Cros a un
point commun avec le sonnet de Rességuier, et qu’on se rappelle le possessif en
fin de quatrain de Cabaner, le contre-rejet du déterminant « Les » à
la fin du premier tercet.
Enfin, pour ce qui
est des transcriptions zutiques de 1871, il nous reste à mentionner ce « Néant
d’après-soupée » où l’orthographe fait songer à une rime par défaut avec « Coppée ».
Ce sonnet ferait partie du trio de sonnets en vers d’une syllabe de Valade
repris dans la Revue du monde nouveau
par Charles Cros, mais sous le titre « Suicide d’un soupeur blasé ».
Le poème de Valade reprend nettement le balancement binaire de « Sparte »
de Pommier et surtout son mot de la fin avec « Mets ».
Léon Valade, « Néant
d’après-soupée », transcription zutique de 1871 (sur un feuillet en partie
déchiré)
Titres / Lus !
/ Pitres / Vus / Litres / Bus / - Plus / D’huîtres… / Mort ! / Ange / Fort, / Change / Mes / Mets !
Valade reprend les
mots « Ange » et surtout « Mets » à Pommier, peut-être le
mot « Change » au poème « Pan », mot « change »
déjà utilisé dans « Amour maternel ». Les mentions « Mort »
et « Fort » témoignent enfin d’un souvenir du modèle initial qu’est l’épitaphe
de Paul de Rességuier.
Il nous reste à
traiter des contributions en vers d’une syllabe propres à l’année 1872, mais
encore de « Jeune goinfre » et « Paris » avec un petit
retour sur « Cocher ivre » et « L’Angelot maudit ». Nous
parlerons encore de « Fête galante », du « Sonnet sur RP »
de Germain Nouveau, et aussi de « Conseils à une petite moumouche »,
puis d’un prolongement au-delà de l’Album
zutique.
Fin de la première
partie.