jeudi 30 juin 2016

Kaléidoscope

J'ai commencé à rédiger la suite de l'article sur Pommier, mais je ne vais pas précipiter sa publication. Pour patienter, voici un petit fait qui m'a frappé. Verlaine a composé un poème qui porte le titre Kaléidoscope. C'est un titre assez rare me semble-t-il. D'ailleurs, le chanteur et guitariste américain Tom Verlaine, qui a pris son nom d'artiste au poète français, a lui-même sorti sur son album de 1989 The Wonder une chanson intitulée Kaleidoscopin' qui a un air d'allusion au poème de Verlaine, avec sans doute un arrière-plan rock psychédélique.


Nous devons à Tom Verlaine une œuvre exceptionnelle le premier album du groupe Television : Marquee Moon. L'album Adventure et les deux premiers albums solos de Tom Verlaine valent également le détour. Il a participé à quelques morceaux de Patti Smith également, mais ce n'est pas le sujet ici. Ce qui me frappe, c'est la reprise du titre Kaleidoscope d'Amédée Pommier à Paul Verlaine, sachant que pour l'instant je travaille à la relation entre certains poèmes de Pommier et de Ricard sur les notions d'humanité, de progrès et d'égoïsme, ce qui explique la lenteur d'élaboration de la suite de mon étude zutique.


vendredi 24 juin 2016

jeudi 16 juin 2016

Bateau ivre et Amédée Pommier ?

En préparant une étude sur les trois "Conneries" de Rimbbaud, je lis systématiquement tout ce qui m'est accessible des œuvres d'Amédée Pommier. Pour l'Album zutique, la lecture de trois recueils peut sembler suffisante : Colifichets, Colères et Paris, mais je lis tout systématiquement. Pour le reste de l'œuvre, j'ai commencé par le recueil Océanides et fantaisies, car le titre indique un thème en liaison avec Le Bateau ivre. J'ai déjà indiqué la probable allusion au procès de Maroteau à la fin de 1871 et le poème de Victor Fournel de 200 vers Le Drapeau rouge, poème publié dans la revue Le Correspondant en décembre 1871 et j'avais repéré également des poèmes d'Hugo dans Le Rappel en 1871 que les rimbaldiens n'évoquaient pas, mais à une époque où mon ordinateur ne me permettait plus de lire page par page les documents sur Gallica. Or, le poème Cocher ivre annonce le titre du Bateau ivre et il propose l'équivalent d'un naufrage pour un fiacre dirais-je. Le poème Le Bateau ivre s'inspire de nombreux poèmes plus anciens, de Victor Hugo notamment, mais il m'a semblé que l'activité zutique a pu servir à Rimbaud pour rebondir. C'est le cas de deux sonnets : Oraison du soir et Les Douaniers. C'est le cas du poème Les Corbeaux qui prolonge la critique de Coppée en parodiant la fin de Plus de sang et en reprenant une rime clef du Bateau ivre (ma lecture s'oppose à celle de Murphy, Bataillé et Vaillant, et je suis rejoins en cela par tous les autres toulousains, sans concertation aucune : Bardel, Reboul et Fongaro n'adhèrent pas à la lecture anticléricale des Corbeaux). C'est le cas des Mains de Jeanne-Marie qui sans être zutique parodie un poème de Gautier en répliquant sans doute de poète à poète au plan politique. C'est le cas de Voyelles au plan de l'irrégularité des rimes. A cause d'allusions communardes évidentes : "strideur des clairons", "bombinent", "puanteurs cruelles", il est évident que Voyelles n'est pas zutique et tient un propos sérieux toutefois. Dans le cas du Bateau ivre, une liste de Verlaine nous apprend qu'une version se serait intitulée Le Bateau extravagant. Ce dernier titre invite à une lecture moins sérieuse, alors même que le propos communard y est apparent : "pontons", "juillets", etc.
Etiemble a formulé à tort que le "bateau ivre" était une variation sur un thème parnassien, il s'agit d'une variation sur un thème romantique impliquant Hugo, Lamartine et d'autres, dont Joseph Autran, l'auteur des Poèmes de la Mer, comme cela a été signalé par Marc Ascione dans les années 80 si je ne m'abuse.
Une partie des rimbaldiens essaie par ailleurs de fixer Le Bateau ivre dans une filiation baudelairienne en le rattachant au poème qui clôt Les Fleurs du Mal : Le Voyage, alors même que les intertextes hugoliens sont nettement plus voyants. J'ai montré que Rimbaud avait directement réécrit plusieurs vers de Pleine mer et Plein ciel, alors que ces deux poèmes n'étaient jusque-là présentés que comme des sources d'ensemble, alors que les critiques omettaient de plus en plus de citer cette source hugolienne pour privilégier Le Voyage de Baudelaire, en établissant une loi de réécriture des Correspondances à Voyelles (ce qui se justifie quelque peu), mais aussi du Voyage au Bateau ivre (ce qui est plus fragile), de L'Albatros au Cœur volé (ce qui est douteux), du Cygne à Mémoire (ce que je ne comprends pas du tout).
Mais bref, ce thème romantique est traité donc en 1839 par Amédée Pommier dans son recueil Océanides et fantaisies. Les premiers poèmes ont la mer pour thème. Un poème s'intitule La Mer, un autre Le Port, dans un autre la France est un bateau dont la coque pourrait céder sous la lame, etc. Le mot "bonaces" apparaît à la rime, comme le mot "entonnoirs". Le mot "zônes" revient à plusieurs reprises avec le même accent circonflexe que sur la copie manuscrite du Bateau ivre par Verlaine, seule copie qui nous soit parvenue. Il est plusieurs fois question de "dorades", il est question de la phosphorescence de la mer causée par les vers, de mille néologismes autrement plus risqués que "lactescent", d'îles des Cyclades qui sont des fleurs, il y est question sur le modèle lamartinien de "j'ai vu" en série mais pas sous la forme de quatrains, il est question de monstres marins authentiques auxquels se mêle le kraken, etc. Rimbaud cite "Léviathan" et "Béhémots" Il est aussi question de comparer le naufrage au retour au port, surtout quand la mort est la dernière escale. Le poète se pose des questions sur les trésors cachant dans l'immensité marine. La nature est présentée comme le plus grand des poètes et juste après la série maritime un poème sur les Pyrénées nous parle des "glaciers" et des "cataractes". On peut comparer les deux poètes. Pommier décrit le réel en l'enjolivant poétiquement et il faut dire que cette partie de son œuvre se lit et a plus de charme malgré quelques beaux couacs malgré tout. Rimbaud décrit de façon onirique, mais à l'évidence il transpose métaphoriquement des descriptions objectives de livres qu'il a parcourus en jouant sur le fait que la plupart des lecteurs n'ont jamais vu toutes ces choses, ne les ont vues qu'en mots, d'où la légitimité des images poétiques déformant la réalité. Rimbaud crée ainsi habilement une impression forte de l'inconnu.
Mais comme les cent vers de Rimbaud ont un propos politique, il est bon qu'à côté des plans politiques des poèmes d'Hugo et Fournel le recueil de Pommier offre lui aussi une amorce de métaphore politique dans l'une de ces océanides fantaisistes. Il est donc question de l'Etat comme esquif démâté depuis cinquante ans, du flot des révolutions, et même de l'idée que le peuple puisse être un océan dans lequel se perdent des perles : l'homme honnête, la fille pure.
Il n'est pas difficile d'imaginer Rimbaud continuer sur sa lancée et lire, après Colifichets et Colères le recueil Océanides et fantaisies, en novembre-décembre 1871 environ, époque bien probable de composition du Bateau ivre si les intertextes du jugement de Maroteau, des poèmes d'Hugo parus dans Le Rappel et du poème Le Drapeau rouge de Fournel venaient à être admis ou confirmés au sein de la communauté des critiques rimbaldiens.

Post scriptum : en consultant le livre de Teyssèdre, je remarque qu'Alain Chevrier avait cité également le poème "humouristique" Paris  comme source possible au sonnet zutique du même nom, et pas seulement le poème Charlatanisme, mais dans un article que je ne possède ni ne connaît. La suite du Pommier zutique sera l'occasion de citer in extenso plusieurs poèmes de Pommier pour bien analyser un ensemble important de sonnets monosyllabiques, mais aussi le sonnet Paris de Rimbaud. Je reviendrai sur les lectures de Pascal Pia, Steve Murphy, Yves Reboul, Robert St Clair et Bernard Teyssèdre du sonnet en vers de six syllabes. Cela me demande un travail préparatoire important. Là, j'ai des camions qui créent des embouteillages dans mon cerveau.

mercredi 15 juin 2016

Nineteen : Histoire d'un fanzine rock "pour ne pas perdre sa vie à la gagner"


Nineteen, Anthologie d'un fanzine rock, 1982-1988, Les Fondeurs de briques, 2016.


Une idée des groupes qui y sont célébrés.

60's (& 70's)


80's USA


80's Royaume-Uni


80's Australie (& 70's)


80's Suede


80's France



Des articles non retenus dans l'anthologie traitaient d'autres noms du rock


lundi 13 juin 2016

Rimbaud et la philosophie antique

Rimbaud avait une petite connaissance des grands courants philosophiques de l'Antiquité. Le poème "Soleil et Chair" témoigne d'une relative familiarité avec le dualisme platonicien (article à consulter dans un récent volume de la revue Parade sauvage), même s'il se pose toujours la question d'une lecture directe des dialogues de Platon eux-mêmes. Les textes en vers français "Invocation à Vénus" et "Soleil et Chair" révèlent par ailleurs que Rimbaud a travaillé sur le texte poétique de Lucrèce De Natura rerum, qui est un exposé complet de la pensée épicurienne. Notre poète exploite d'autres éléments de la culture grecque. Il cite encore l'école pythagoricienne en parlant du Nombre et de l'Harmonie dans sa célèbre lettre du 15 mai 1871 à Demenÿ, tandis que l'idée de la musique des sphères est exploitée dans divers poèmes ("Credo in unam", "Barbare" ou le premier tercet de "Voyelles"). Il s'agit d'un fonds culturel dont il n'a pas nécessairement une connaissance approfondie.
Il n'en faut pas moins travailler les connexions entre ce fonds antique et la poésie de Rimbaud, d'autant qu'au dix-neuvième siècle le conflit entre spiritualisme et matérialisme est rendu plus vif suite au triomphe de la science. Un des caractères frappants de l'œuvre de Rimbaud, c'est que le positivisme ne peut que le décevoir, il ne renonce nullement à un finalisme. L'étude du livre Une saison en enfer est sans aucun doute la plus à même d'apporter quantité de réponses décisives sur la pensée de Rimbaud.
Maintenant, Rimbaud peut me servir également de prétexte utile pour étudier pour eux-mêmes certains chantiers de la philosophie ou de l'histoire de la philosophie.
J'ai acheté le volume intitulé Les Présocratiques que nous devons à Dumont et qui est une démarcation de son édition du même projet dans la Pléiade. Le mot de "présocratiques" est tout de même problématique dans la mesure où certains d'entre eux décédèrent bien après Socrate et furent plutôt des contemporains de Platon. Le terme de "physiologues" serait plus adéquat. La préface de Dumont est malheureusement catastrophique. Après avoir opposé l'école pythagoricienne italienne du côté du nombre et l'école Ionienne ou Lydienne du côté de la matière, il essaie maladroitement de les rapprocher en réduisant à néant les termes de leur opposition. Je vais devoir chercher des spécialistes un peu plus sérieux.
Dans le cas de Socrate et Platon, je ne comprends pas non plus pourquoi les philosophes et historiens de la philosophie distinguent la pensée du premier de la pensée du suivant. Il faut sans doute vérifier en interrogeant le discours sur Socrate d'autres contemporains des événements, mais les témoignages sur scène d'Aristophane sont dérisoires. Il resterait essentiellement Xénophon. Ceci dit, les dialogues platoniciens sont clairement ceux d'un disciple qui met en scène un maître. Les philosophes racontent n'importe quoi quand ils identifient le dialogue platonicien à une forme littéraire malléable ou séduisante pour exposer une pensée philosophique. Les dialogues platoniciens n'ont pas du tout une telle cohérence. Au sein de ces dialogues, on observe la présence de considérations plus triviales qui montrent que Platon comme d'autres sont attachés aux lèvres de Socrate, et mieux encore au début du Timée il apparaît clairement que nous avons affaire à une récitation de la doctrine devant le maître. C'est dit en toutes lettres. Les dialogues platoniciens sont en réalité des comptes rendus de joutes oratoires. Je trouve malhonnête de leur prêter une rigueur qu'ils n'ont pas, puisqu'à plusieurs reprises le lecteur est enfermé dans les orientations restrictives du débat entre Socrate et ses adversaires. Les dialogues sont émaillés de sollicitations extrêmement désagréables qui imposent des conclusions forcées. Il me semble assez évident que les admirateurs de Socrate assistaient à des joutes oratoires et que certains comme Platon eurent à cœur de fixer un maximum de choses par écrit. Les débats étaient refaits à maintes reprises, comme cela se fait dans la vie de tous les jours, et ils évoluaient. Platon a produit un perfectionnement des copies de dialogues qu'il avait faites. Tout dialogue de Platon est une synthèse idéalisée d'une plus ou moins longue suite de discussions menées par Socrate, d'où les anomalies et irrégularités nombreuses qui les traversent encore.
Je n'arrive pas à comprendre pourquoi on ne reconnaît pas en philosophie que les dialogues platoniciens sont les témoins de joutes oratoires. C'est Aristote qui a créé les exposés systématiques et qui s'est alors séparé de l'Académie platonicienne.
Bref, il y a un truc qui ne va pas au sujet de Platon dans l'histoire de la philosophie.
Si nous laissons de côté les origines de la philosophie avec l'école pythagoricienne italienne et l'école lydienne comprenant Thalès et bien d'autres, et si nous mettons entre parenthèses les sophistes, quatre grandes écoles semblent s'être formées : celle de Platon l'Académie, celle d'Aristote le Lycée, celle des stoïciens (du Portique donc) et celle du Jardin avec les épicuriens. Les cyniques ont aussi existé et ils auraient influencé le stoïcisme, puis il y aurait eu des courants bien spécifiques : pyrhonnisme et scepticisme. Mais, ce qui importe, c'est la suite de Platon dont je prétends qu'elle est une suite de Socrate, la suite d'Aristote et bien sûr l'affrontement entre épicuriens et stoïciens. Mais ce qui pose problème, c'est que malgré les oppositions, les épicuriens et les stoïciens ont des préoccupations communes, ce qui fait que leur affrontement n'est pas toujours clair et peut passer pour dérisoire. Il y a des zones de confusion qui doivent retenir l'attention. Enfin, il y a un dernier point que je ne comprends pas, c'est la constante avec laquelle les philosophes et les historiens de la philosophie continuent de considérer la pensée de Démocrite et la pensée d'Epicure comme distinctes, tout en soulignant les convergences. A un point près, toute la pensée d'Epicure est contenue dans les textes attribués à Démocrite qui nous sont parvenus. L'atomisme et l'ataraxie des sentiments par une vie frugale, c'est la pensée de Démocrite. Epicure n'a fait que la reprendre, à moins qu'une étude attentive ne remette en cause tout ou partie des pensées attribuées à Démocrite. Epicure a créé une école qui a duré plusieurs siècles, mais je ne comprends pas qu'au vingt-et-unième siècle on ne fasse pas clairement un sort à cette continuité nette entre le discours de Démocrite et celui d'Epicure : ça n'a aucun sens. S'ils pensent la^même chose sauf sur un point, c'est que c'est un seul et unique courant de pensée.
Ainsi, en marge de mes analyses rimbaldiennes, je travaille mais à ma manière à dominer une histoire de la philosophie antique. Les philosophes sont fort imbus de leur savoir, mais qu'on m'explique pourquoi ils ne sont pas capables d'une mise au point sur les continuités de Socrate à ¨Platon et de Démocrite à Epicure. Comment peuvent-ils prétendre étudier l'évolution de la pensée antique, s'ils ne prennent pas à cœur de répondre à ces deux questions névralgiques. Je trouve ça effarant, d'autant que la paresse est mondiale, puisque la planète entière se penche sur ces auteurs grecs anciens.