Si pour partie la lecture d'Une saison en enfer est difficile à opérer à cause de la nature elliptique et allusive du texte lui-même, et par le fait que Rimbaud a toujours été peu évident à comprendre sans digestion analytique, une part pourtant significative des atermoiements de la critique rimbaldienne vient de son propre mode d'approche du texte. La critique rimbaldienne s'est inventée quelques difficultés qu'elle a entretenues et elle a créé une chaîne solidaire où les critiques se répondent entre eux par-delà le texte de Rimbaud. Et il faut ajouter à cela l'influence d'un discours universitaire ou "expert", pas synthétisé, mais dont les hypothèses et convictions sont diffusées par bribes dans les notes, notices et introductions des éditions courantes des œuvres de Rimbaud, ainsi que dans toute une littérature de commentaires de Rimbaud à l'adresse du tout public. Le critique rimbaldien quand il s'exprime ne porte pas l'état d'un débat d'experts tout à fait et résolument distinct de celui du grand public. Oui, il porte pour partie les fruits d'un débat distinct, mais il véhicule naturellement les fruits de l'influence première des annotations courantes fournies à tous. Tous nous subissons ces lectures d'un Rimbaud hermétique prédigéré, sauf que ce qui a été prédigéré a pu être contaminé par des idées inappropriées. Ce n'est pas que du Rimbaud qui a été prédigéré, et ce prédigéré doit être remis en cause. C'est pour cela que, pour un universitaire, il n'est pas pertinent de croire fournir une lecture de Rimbaud, isolée de l'influence des pairs prédécesseurs qu'on n'aura pas lu ou relu, puisque, subrepticement, les idées des prédécesseurs ont fait leur lit dans nos raisonnements spontanés sur le sens des écrits de Rimbaud. Je peux parler en mon nom. L'idée que le "poison" de "Nuit de l'enfer" était la conversion chrétienne, je trouvais ça subtil, j'appliquais cela à ma lecture d'ensemble de la Saison. Je savais que cette idée je n'étais pas le premier à l'avoir, ni Bruno Claisse, mais je ne l'avais pas étudiée de près, je n'avais pas fait une étude de la genèse de cette thèse de lecture, et j'allais simplement à la rencontre dans le texte d 'Une saison en enfer des éléments qui donnaient de la force, qui la rendaient crédible. Cette idée était en réalité présentée avec force par de n ombreux rimbaldiens depuis au moins la fin des années 80.
On peut se flatter que cette lecture est la bonne en considérant divers éléments : le titre "Fausse conversion" du brouillon conservé par Verlaine qui correspond au texte final "Nuit de l'enfer" est un élément fort en ce sens, puis il y a le reproche fait aux parents de l 'avoir baptisé dans la mesure où l'enfer ne menace pas ainsi les païens (pensée inexacte au plan théologique, mais qui suppose que Rimbaud parle plutôt d'aliénation par l 'éducation) et puis il y a l'en c haîn ement de "Mauvais sang" à "Nuit de l'enfer", on passe d'un enrégimentement de force à la vie française, sentier de l'honneur, au fait de prendre un poison avec une ligne qui semble continue des souffrances et même tortures physiques de la section finale de "Mauvais sang" aux tourments infernaux de "Nuit de l'enfer". Le "baiser", métaphore pour le poison, devient une référence au "baiser" de Jésus des "Premières communions", une métaphore de la conversion : embrasser la religion.
Vu l'aspect très proche du texte définitif des brouillons, pas question de minimiser le titre "Fausse conversion" en considérant que le texte a été profondément remanié.
Pour moi, la véritable "fausse conversion", c'est plutôt celle forcée des sections 6 et 7 qui tourne court. "Nuit de l'enfer" serait une deuxième fausse conversion. Mais c'est une première difficulté qui me vient et qui me fait douter que le poison soit le baptême. La leçon du titre "Fausse conversion" ne me paraît plus si évidente et est contrebalancée par la portée du nouveau titre, celui qui fut finalement adopté : "Nuit de l'enfer", il est la réécriture en "nuit" du titre du livre "Une saison en enfer". En réalité, le poète se félicite d'avoir bu du poison pour échapper à la "vie française" précisément. Et si le poète dit : "Trois fois béni soit le conseil qui m'est arrivé ! " on voit qu'il a accueilli ce conseil, ce qui ne coïncide pas avec le refus immédiat de l 'inspiration de la charité comme clef dans la prose liminaire. Il s'agit plutôt d'un faux conseil satanique qui conduit le poète en enfer, et on comprend que les douleurs de "Nuit de l'enfer" sont des menaces de mort dans un "dernier couac !" Le poison correspond à une tentative de suicide, au fait de vouloir "gagner la mort". Et on pense au "j'en ai trop pris" de la prose liminaire. Tout se tient désormais. Mais pourquoi Rimbaud sur le brouillon a-t-il choisi un titre aussi trompeur que "Fausse conversion" ? Car nous n e sommes p as seulement en train de surmonter la lecture critique subtile qui avait suivi son cours en s'amplifiant, nous nous dressons contre l'évidence première d'un titre fourni par Rimbaud lui-même.
Le texte "Nuit de l'enfer" est tout aussi explicite. Le premier alinéa fixe clairement l'interprétation d'une volonté de se suicider : le poison est un "venin" et ses effets sont assimilés à "l'enfer, l'éternelle peine". Le conseil est béni, mais identifié au mal : "Va, démon !" Puis, le poète dit : "J'avais entrevu la conversion au bien et au bonheur, l'air de l'enfer ne souffre pas les hymnes !" Donc il y a bien une distinction opérée entre le basculement infernal du poison et une étape antérieure de tentative de conversion, qui dans le récit correspondrait aux sections 6 et 7 de "Mauvais sang", avec des amorces rappelons-le au moins dans la section 4. Et ici, nous apprenons que le poète a été baptisé, ce que donc il dissimulait quand il disait qu'il n'avait jamais été chrétien dans "Mauvais sang". L'épreuve de l'enfer amène le poète à se retourner d u côté de la tranquillité de vie de la conversion, et on retrouve l'idée du prologue : "j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien où je reprendrais peut-être appétit."
Il est très clair que "Nuit d e l'enfer" dont le titre final fait écho au titre entier de l'oeuvre correspond à l'alinéa suivant de la prose liminaire :
Or, tout dernièrement, m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien où je reprendrais peut-être appétit.
Et les pavots sont bien le conseil de gagner la mort en prenant du poison et en s'adonnant à l'égoïsme et aux péchés capitaux.
Cela n'empêche pas le récit d'être sur un autre plan une réflexion sur une fausse conversion. Le poète fait une espèce de constat sur un moule cartésien : "Je me crois en enfer, donc j'y suis."
Profitons-en pour rappeler qu'au dix-neuvième siècle les français n'ont déjà qu'une connaissance partielle des textes des philosophes allemands, c'est une masse considérable à traduire et à éditer, mais il existe une idée vaguement diffusée dans le public d'un haut niveau de la philosophie allemande. On pourrait dire que Kant est connu et ne l'est pas non plus pour parodier Rimbaud. Un penseur allemand qui pour nous n'est pas le plus connu, c'est Herder qui a fasciné Edgar Quinet au point que celui-ci l'a traduit précocement. Mais ce qu'il faut comprendre d'important pour lire Rimbaud, c'est que la philosophie française au dix-neuvième siècle va réagir avec à la fois ses propres spécificités et ses formes de préservation fières. Une spécificité méritoire de la philosophie française face à la philosophie al lemande, c'est bien sûr d'échapper à la pensée de système. Il y aussi une grande tradition de réflexion politique pragmatique qui se poursuit. Personne n'étudie sérieusement la philosophie politique de nos jours à partir des écrits de Kant, Hegel et compagnie, du moins ce sont des études très rapidement mises à la marge. Mais, face à une philosophie allemande qui était perçue dès l'époque comme de haute volée, il y a eu aussi un resserrement de l'intérêt pour les philosophes grecs, et en tout cas Aristote, et bien sûr pour le cogito cartésien, à tel point que, malgré ses insuffisances, la philosophie française du dix-neuvième a de quoi faire penser à la phénoménologie de Husserl. Aristote a été discrédité au XVIIIe à cause de son annexion par les discours scholastiques, mais Aristote reste le fondateur de la logique. Il existe chez les vulgarisateurs un réflexe qui consiste à se moquer d'Aristote, souvent sur la base d'idées erronées qu'on lui attribue, alors que c'est d'évidence un des grands génies intellectuels et scientifiques de l'histoire de l'humanité. Pour Rimbaud, les références philosophiques, il y a les grecs, essentiellement Platon et Aristote, il y a une somme en latin avec le De Natura rerum de Lucrèce, il y a bien sûr la scholastique, et puis il y a Descartes, Montaigne, Pascal, les Lumières. Les allemands comme Kant lui sont connus de nom, mais ça reste des domaines inexplorés en tant que tels. Et au dix-neuvième siècle, la philosophie, Rimbaud la trouve essentiellement dans les écrits politiques avec Quinet, Proudhon, Renan, etc. Quinet est plutôt un historien et sa pensée est nimbée d'un mysticisme qui fait sourire Rimbaud comme on le voit dans la lettre à Andrieu de juin 1874. Proudhon n'est pas le seul à fournir des écrits politiques, mais il a son importance particulière. Et puis il y a le courant de l'éclectisme dont la pièce maîtresse est la thèse très courte de Ravaisson sur l'habitude, mais dont le maître est Victor Cousin, celui qui donnait déjà son nom à une rue où Rimbaud trouva un hôtel pour se loger en mai 1872. Vis-à-vis de Rimbaud, le problème de l'éclectisme, c'est que c'est un courant philosophique plutôt réactionnaire qui a eu partie lié avec la Restauration et avec un certain respect de la tradition de l'église et de la religion, mais c'était un courant philosophique fort au dix-neuvième qui imprégnait la société. C'est pour cela que je ne saurais trop vous conseiller de lire le livre de Quinet Le christianisme et la Révolution, parce que Quinet va critiquer l'éclectisme comme philosophie de la capitulation propre à l'esprit de la Restauration, alors même que quand on lit les développements de Quinet on serait tenté de se dire qu'il est lui-même un éclectique... Il faut vous rendre compte que Rimbaud est de son époque, et de son époque française, quand il revient ainsi sur Descartes : "définitions fausses du moi" ou parodie du cogito : "Je me crois en enfer, donc j'y suis !" Il est de son époque quand sa pensée se déploie en prenant en considérant toute l'histoire humaine pour en dégager un sens quelque peu spirituel. Et Quinet est intéressant parce que son idée clef c'est que l'histoire de la spiritualité consiste en un passage de l'idée d'un Dieu aidant à corriger le monde à une révélation du divin au coeur de l'individu humain lui-même, d'où le caractère caduque et réactionnaire des gens d'Eglise en opposition aux temps méritoires de la primitive Eglise.
Si vous lisez Kant, Hegel, Schopenhauer, Fichte, Schelling, Heidegger, Sartre, Merleau-Ponty, etc., voire Foucault et compagnie, puis que vous vous croyez armés pour lire la pensée de Rimbaud, vous vous trompez. Ce n'est pas comme ça que ça marche, il vous manquera le contexte qui permet de comprendre Rimbaud. Il vous manquera même une certaine idée ancienne de ce qu'était le raisonnement philosophique à l'époque de Rimbaud.
J'en reviens à "Nuit de l'enfer". Le poète n'a pas pris du poison baptême et découvert que cela le précipitait en enfer parce que de base il avait un mauvais sang qui n'en ferait jamais un élu. Il a pris un poison pour échapper à la vie française, et a donc bien choisi l'enfer, mais ce faisant il a constaté la fausseté de sa conversion initiale. Et, après le poison, il est question de commettre un "crime" pour tomber au néant, comme si le crime mettrait un terme à la conversion, puisque le poison mène à l 'enfer, mais dans l'idée ici du poète le crime mène au néant puisqu'on ne croit pas au baptême.
Satan réagit et nous retrouvons un équivalent de sa réaction dans la prose liminaire, mais le propos n'est pas exactement le même. Dans la prose liminaire, le poète n'a qu'avoué avoir voulu éviter la mort. La tentation de la conversion a été immédiatement rejeté bien qu'il y ait songé, et c'est bien ce qui est mis en scène et développé dans "Nuit de l'enfer" : " J'avais entre vu la conversion au bien et au bonheur", ce qui prouve que le festin et la beauté sont des "nobles ambitions". Et tout au long de "Nuit de l'enfer", le poète essaie de s'imaginer prêt pour le festin : "je vois la justice", sollicitation "venez" adressée aux "âmes honnêtes", "la foi soulage, guide, guérit", etc. Mais, à chaque fois, le poète réalise que le festin ancien n'existe pas en tant que tel, les nobles ambitions, c'est en c ore la vie. Le masque des âmes honnêtes tombe et ainsi de suite. Pour ces développements, on comprend mieux le titre envisagé sur le brouillon de "Fausse conversion". La damnation par le poison sert de révélateur sur la n on authenticité de la conversion entrevue. Rimbaud a renoncé à un titre trompeur vu la construction complexe du récit. En gros, le titre "Nuit de l'enfer" désigne mieux l'enveloppe du texte, tandis que "Fausse conversion" est l'envers qu'on trouve dans le creux du texte, dans le lit du texte si vous préférez.
A cette aune, on peut minimiser l e sentiment de propos contradictoire des derniers alinéas où le poète s'adresse à Dieu et parle en même temps du feu infernal qui se relève.
Le poète a pris le poison pour fuir la conversion. Ayant médité la ruine qui en découle, il veut malgré tout et désormais remonter à la vie et donc cette fois fuir l'enfer. La conversion au festin n 'est pas acceptée, parce que c 'es t à l a v ie q ue l e poète v eut se confronter. Donc si on veut qu'il y ait un festin, il faudra "jeter les yeux sur nos difformités", et non pas se les cacher. Il y a donc un refus d'une "fausse conversion", mais d'une fausse conversion qui vaut pour tout le monde, et on entend les échos avec les passages sur les faux nègres et l es f aux élus. Le poète se maintiendra jusqu'au bout dans cette idée que la conversion est impossible, le poète ne peut que rire des "couples menteurs", un des mots de la fin. En revanche, le poète ne s'attaque pas à Dieu, ici il le supplie et il finira par dire que "La justice est le plaisir de Dieu seul." Rimbaud décide de ne pas s'affronter avec colère à l'au-delà métaphysique, c'est ainsi qu'il faut le comprendre, mais cette tolérance peut être insupportable à des lecteurs anticléricaux et athées habitués à apprécier les provocations de Rimbaud. C'est pour ça qu'il ne faut pas perdre de vue qu'on a affaire à un texte de penseur, pas à un texte où Rimbaud exprimerait son ardeur d'athée.
Si Rimbaud disait d'emblée q ue croire en Dieu, ça ne sert à rien, il n'écrirait pas un tel livre. Sans doute qu'il ne croit pas en Dieu, mais ici il pense à ce qu'il est possible ou non de faire à un humain en terme de méditation métaphysique autour d'une éducation religieuse, c'est différent.
Lors de cette lecture de "Nuit de l'enfer" nous avons parlé du sens métaphorique des "pavots". En général, les critiques vont identifier ce sens métaphorique de la même façon que nous en allant chercher une signification ailleurs dans les pages du livre Une saison en enfer, parfois certains se trompent, parfois d'autres visent juste et visent un propos similaire au nôtre en citant pourtant un tout autre extrait.
Mais j'en viens à un autre problème de la critique rimbaldienne.
On sait aujourd'hui avec les tests psychologiques qu'une personne, conditionnée à croire qu'elle va échouer, va plus probablement échouer là où une solution s'offre à elle, alors que statistiquement les personnes conditionnées à croire en la solution vont plus souvent résoudre le problème. Finalement, les lecteurs de Rimbaud subissent cet aléa. Ils pensent que le texte est difficile à lire, et que les conclusions présentées vont toujours être discutées comme incertaines. Il y a une sorte de prophétie autoréalisatrice qui confine à l'échec des études rimbaldiennes. Et cela devient plus sensible encore quand une difficulté est affirmé à propos d'un texte. Le pronom "en" de la phrase : "J'en ai trop pris" de la p rose liminaire illustre ce point. Personne ne lit "J'en ai trop pris" comme une difficulté textuelle, mais dès qu'il s'agit de rédiger un commentaire sur ce passage les rimbaldiens n 'ont de cesse d'y voir un prob lème, puisque les prédécesseurs conditionnent ainsi cette approche et ils entretiennent cet automatisme en répétant tous les uns après les autres qu'il y a une difficulté. Non, le "en" renvoie au mot "pavots" dont o n comprend que sur la tête du poète ils ont diff usé un lourd parfum endormeur et empoisonneur. Les pavots sont ceux de Satan, e t partant de là le décryptage métaphorique n'a rien de sorcier si je puis dire. Satan dit a u poète de "gagne[r] la mort", ce qui est bien une illusion trompeuse du pavot.
Les rimbaldiens se posent d 'autres difficultés du même ordre. Nous avons montré que nous-même avons suivi une piste rimbaldienne consensuelle sur plusieurs décennies selon laquelle le poison n'était pas du poison, mais une métaphore sarcastique pour désigner le baptême.
Le terme "vice" est employé par Rimbaud pour désigner les sept péchés capitaux et des tares telles que le mensonge, etc. Et, puis, dans la quatrième section, il est question d'un "vice" en particulier. Les rimbaldiens cherchent à mettre un nom sur ce vice, mais un nom qui soit une idée très préc ise à tel point que des définitions résolument étrangères au texte d e l a Saison sont proposées, comme l'homosexualité et la masturbation. Certaines hypothèses tiennent un peu plus compte de ce qui est dit dans le texte, le vice serait d'être un prolétaire, autrement dit une personne d u peuple, de la "race inférieure", puisque Rimbaud est plus dans le discours ancien où prolétaire désigne le peuple et non l'ouvrier. En réalité, le "vice" renvoie tout simplement au titre "Mauvais sang". Rimbaud énumère des vices, mais quand il parle d'un vice particulier qui lui fait sa vie, il est assez évident que cela renvoie au titre "Mauvais sang". Pourquoi ne pas relier le "vice" au titre "Mauvais sang" ? C'est un principe de b ase à la lecture, mais comme Rimbaud est compliqué à lire on oublie de le pratiquer, on n'est même pas sûr de pouvoir s'y remettre en toute quiétude. Ce n'est pas normal, il faut retrouver u ne sérénité de lecteur.
Et derrière cela, on retrouve ce grand problème qui consiste à lire le texte en le déchiffrant à l'aide d'hypothèses biographiques pourtant non assumées par le texte. Pour "Vierge folle", il serait question de régler son compte à Verlaine pour Rimbaud et e n même temps il s'agira d'un grand texte explicite sur l'homosexualité. Non ! Il n'y a aucun développement sur l'homosexualité dans "Vierge folle", strictement aucun. Certes, la "pénétrante caresse", quand on sait que Verlaine a dû servir de modèle à la "Vierge folle", on a une lecture homosexuelle qui s'impose à un second degré de lecture. Mais "Vierge folle", c'est une prostituée compagne du poète dans le régime du récit de fiction. Et alors qu'on prétend identifier le langage de Verlaine dans son discours, nous avons montré dans un article précédent sur ce blog que la Vierge folle parle exactement comme le poète de "Mauvais sang", "Nuit de l'enfer". Nous avons même montré que Rimbaud rendait hommage à Verlaine en s'inspirant d es poèmes "Amoureuse du diable" et "La grâce". Cela change tout à l'interprétation de "Vierge folle". Certes, Verlaine sert partiellement de modèle, m ais l e p ro pos de Rimbaud c'est de montrer un couple de parias, de montrer un mensonge du couple d an s son en vers infernal qui rejoint la fausseté des couples admis, comme on l e voit dans "L'Impossible" et comme en parle l'Epoux infernal dans l es propos que l ui attribue la Vierge folle. Le texte met en scène une repentance de Vierge folle damnée qui est symétrique des tentatives de remonter à l a vie du poète de "Mauvais sang". Nous av ons un couple infernal qui n'arrive pas à l'amitié, parce que tous deux de l eur côté sont tiraillés par l 'envie d'échapper à cet enfer, parce que tous deux n 'acceptent pas finalement leur choix, ce qui e st plus net pour l 'Epoux infernal, et c'est en tant que personnage infernal que la Vierge folle fait aussi une critique efficace des mensonges et illusions de l'Epoux infernal. Il y a une différence entre les deux personnages, comme une différence entre pôle masculin et pôle féminin, il y a plus de sentiment de soumission chez la Vierge folle, mais à la fin des fins on voit bien qu'il n'est pas du tout question d'homosexualité dans un couple. Le propos n'est pas là. Rimbaud, il parle de l 'incompatibilité au sein du c ouple. Et c'est un propos général applicable à toute la société. S'il était question de traiter seulement de Verlaine, déjà il y aurait d'autres thèmes qui seraient abordés. S'il était question de Verlaine en tant qu'individu, mais il aurait été question d'un triangle amoureux avec un personnage qui aurait figuré Mathilde, par exemple. Verlaine écrivait des récits diaboliques quand il était avec Rimbaud, et il blasphémait depuis les Poèmes saturniens. Il faudrait déjà déterminer quand il a pu commencer à se tourner vers la religion. Certes, il a sans doute dû manifester de la repentance, surtout quand il avait la pulsion de reformer son couple avec Mathilde. Mais Verlaine se plaint d'être injustement identifié à un "satanique docteur" dans "Vagabonds", accusation pourtant qui a quelque chose d'ironique dans le poème en prose, et les récits "La Grâce" et "Amoureuse du diable" illustrent de fait le versant un peu complaisamment fantasmé d'un Verlaine satanique docteur. Pourquoi ce plan-là n'est-il pas développé dans "Vierge folle" si le but de ce récit est comme on le soutient de faire un bilan d'une expérience décevante de la relation de Rimbaud avec Verlaine ? On voit bien qu'il y a une lecture forcée qui est en train de faire consensus chez les rimbaldiens.
Je voulais proposer une lecture de "L'Eclair", mais l'article devient long. Je vais me contenter de quelques remarques.
La mention "L'Eclair" a un arrière-plan biblique, cette métaphore obligée est appelée par le dispositif qui métaphorise à plus d'un égard la "Saison en enfer", et en même temps il y a une symbolique de lumière que justifie l 'enchaînement des titres "L'Eclair" et "Matin", et songeons que le rapport à la lumière est paradoxale dans "Adieu", récit qui annonce l'automne et, avec ironie, la recherche d'un éternel soleil.
Les critiques rimbaldiens peuvent souligner une apparente contradiction. Le poète dit que le travail est important pour jeter une lumière d'espoir dans son abîme, alors que tout au long du récit le poète s'est défini comme un paresseux, un oisif.
En réalité, dans ses lectures, le poète apprécie les réflexions sur le travail comme espoir pour l'humanité. Brunel dans son édition critique cite de nombreux extraits de l'un des ouvrages les plus célèbres de Proudhon. Proudhon est connu pour sa phrase : "La propriété, c'est le vol", phrase évoquée par Rimbaud au début de "Chant de guerre Parisien" avec mention de Thiers, en sachant que Proudhon s'est précisément affronté à Thiers dans la décennie 1840 et au moment des émois autour de l a formule "La propriété, c'est le vol." Thiers n'était pas un nouveau venu en politique en 1871, et il avait eu des confrontations intellectuelles immédiates avec Proudhon. Il me semble... Verlaine a parodié l a formule de Proudhon dans l 'Album zutique dans une réponse au sonnet "Jeune goinfre" de Rimbaud : "La propreté, c'est le viol[,]" sachant qu'on songe à la saleté de Rimbaud à cette époque selon les témoignes de Mathilde, etc.
Or, la phrase vient du livre célèbre Qu'est-ce que la propriété ? Mais il y a eu d'autres livres i mportants de Proudhon. Mais ça c'est ce à quoi nous le résumons à notre époque. A celle d e Rimbaud, il a une diffusion plus large. Il est connu pour le livre Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère, dont n ous n e nous rappelons l'existence que pour rapporter la réplique de Marx "Misère de la philosophie" qui nous dispenserait de le lire. Et puis, parmi beaucoup d'autres publications, il y a le livre de 1858 De la justice dans la Révolution et dans l'Eglise. Cet ouvrage est cité plusieurs fois pour commenter des passages d'Une saison en enfer par Pierre Brunel en 1987.
Son titre est déjà intéressant, il parle de la justice au plan de la religion et on se rappelle la formule dans "Adieu" : "La justice est le plaisir de Dieu seul." Je prétends que Rimbaud a lu certains ouvrages de Quinet dont Le Christianisme et la Révolution, ouvrage antérieur à celui que je viens de citer de Proudhon, et on retrouve cette idée d'étudier l'idée de providence historique en confrontant les deux modèles qui se la disputant, la révolution et l'église. Et dans les livres de Proudhon, il y a une énorme réflexion sur le travail et l'avenir qu'on peut espérer de ces changements sur le travail. Il va de soi que dans "L'Eclair" le "travail" va de pair avec un discours de tout le monde sur la foi dans le progrès scientifique, etc., et le mot "explosion" est sans doute une référence humoristique à l'en avant ferroviaire avec des accidents de train.
Dans "L'Eclair", Rimbaud dit : "ma vie est usée", ce qui renvoie clairement à un propos ruminé dès longtemps, comme la charité soeur de la mort renvoie à un poème de juin 1871, ce que les rimbaldiens ne citent jamais quand ils commentent Une saison en enfer, l'expression "ma vie est usée" et l'expression "les gens qui meurent sur les saisons" doivent être reliées à "Bannières de mai", poème d u printemps 1872. Mais dans son livre Le Christianisme et la Révolution Quinet dit que la ficelle de l'échafaud est usée, et puis "la mort est usée", ce qui n'exclut pas une superposition de références (le l ivre de Quinet et "Bannières de mai"). En tout cas, il va falloir lire ces livres d'historiens ou intellectuels partiellement philosophes avec un intérêt renouvelé si on veut bien comprendre de quoi nous parle Rimbaud. Même si on voudrait soutenir que Rimbaud n'a pas l u précisément ces ouvrages-là, il en restera de toute façon l'évidence d'un brassage culturel dont ces livres témoignent qui arrivent à Rimbaud, et les implications pour l'élucidation du sens des textes de Rimbaud restent automatiquement valables.
En tout cas, la contradiction n'est qu'apparente entre le Rimbaud qui songe au travail et le Rimbaud oisif, puisque l e texte "L'Eclair" orchestre explicitement ce paradoxe. Oui, le poète songe au travail, mais quelques lignes plus loin il e st question de le mettre de côté et de rester oisif.
Ce que je voudrais souligner dans ce texte dont le fil directeur est de considérer les difficultés que les lecteurs se créent eux -mêmes par leur approche, c'est que nous ne sommes p as dans une configuration narrative où une idée chasse l'autre. Je vois dans les commentaires que c'est la succession d'une idée et puis de son inverse qui choque, selon le principe que le poète vient d'énoncer une idée, puis on constaterait qu'il passe sans crier gare à l'inverse, et ces constats étendus à l'ensemble de l'ouvrage font croire à de multiples revirements.
En réalité, le poète dans "L'Eclair" dit qu'il tient compte de l'idée du travail, mais que même au plus f ort de cette attention il reste oisif parce qu'il ironise sur le discours d e manière i mmédiate e t parce qu'il trouve que cela est bien lent. Les critiques se font un faux schéma d'étapes successives dans l'intérêt du poète, alors que non tout le paradoxe est immédiat : le poète s'intéresse au travail, mais dans le même temps il n'a pas la motivation pour passer à l'acte. Et, du coup, je ne ressens pas les contradictions dont les rimbaldiens font état.
Pour moi, "L'Eclair" est conçu comme un miroir symétrique d'un état de pensée unique. Le début est la concession d'un intérêt pour le rôle du travail à corriger le sort humain, la thèse, et la suite, c'est l'antithèse. Et puis, il y a une troisième partie avec la r évolte c ontre l a m ort, sans que je n'ose clairement parler d'un plan dialectique, puisqu'on a une révolte contre les deux tableaux, une révolte contre le tableau du travail, et une révolte contre une acceptation par les rêves de l'usure de l a vie.
Il y a enfin une difficulté du texte. Nous avons tous été conditionnés à penser que "aller ses vingt ans, si les autres vont vingt ans", cela veut dire atteindre les vingt ans, sauf que l'expression consacrée, c'est aller sur ses vingt ans".
D'un côté, l'idée des "vingt ans" qui figure aussi dans le poème "Jeunesse" des Illuminations a de l'intérêt. Si le poète a pu vivre oisif sans travailler, c'est qu'il n'a pas encore vingt ans, mais d'un autre côté, le poète n'a jamais fixé son âge dans le récit de la Saison, et l'expression "aller vingt ans" n'existe pas à ma connaissance pour dire qu'on va atteindre les vingt ans. De plus, il n'y a pas de coquille, puisque la répétition montre que Rimbaud a bien écrit grammaticalement aller vingt ans : "aller s es vingt ans, si les autres vont vingt ans".
Je trouve ça un peu bizarre. Spontanément, j'ai toujours eu une lecture concurrente qui est que Rimbaud se dit "pourquoi faire vingt ans, si les autres font vingt ans". Pour moi, l'expression "aller vingt ans" elle est la réduction d'une phrase type du genre : "Nous allons aller vingt ans en Espagne". "Il va aller vingt ans dans l'armée", etc. "Nous devons aller vingt ans au charbon." Et dans ces exemples, où j'ai fait exprès de glisser l'enchaînement de deux verbes "aller", on peut remplacer "aller" par "faire" : "Il va faire vingt ans de travail." "Nous allons faire vingt ans en Espagne", etc.
Je vais arrêter là pour l'instant mon commentaire sur "L'Eclair".
Passons à "Adieu".
Comme pour "L'Eclair", je ne fais pas une lecture en supposant des revirements. Le poète quand il écrit "Quelquefois je vois au ciel [...]" n'est pas pour moi, comme l'écrivent de récents essais ou d'autres plus anciens, un revirement, un énième rebondissement.
Il s'agit plutôt d'une construction en miroir.
Le poète a refusé la mort et prétend par sa mise au point mentale échapper à l'enfer, et donc au jugement qui mène à l'enfer. Toutefois, dans la vie, il y a des cycles et notamment des cycles saisonniers. Les climats d'Europe, pour citer "Mauvais sang" ou "L'Impossible", supposent un contraste du printemps et de l 'été par r apport à l'automne et à l'hiver. Et Rimbaud dit échapper de l'enfer au moment même où le monde bascule dans des conditions de vie difficiles, ça peut être une métaphore de nos temps actuels, comme chez Quinet, et comme dans "Génie" : "C 'est cette époque-ci qui a sombré !" Mais Rimbaud choisit la réalité matérielle, toute concrète, des saisons automne et hiver.
Le soleil est de toute façon éternel, on va le regretter parce qu'il fait moin s c haud , mais si l'enjeu c'est la vie éternelle il est quelque peu secondaire et trivial de s'inquiéter de ce temps d'épreuve cyclique. Rappelons que dans "L'Eclair", le poète s'inquiète de l a perte de l'éternité, et il ne s'agit pas de prendre au premier degré pur et simple sa quête d e clarté divine.
En tout cas, ce qui est important, c'est que l'expression "loin des gens qui meurent sur les saisons", c'est un rappel que le poète a failli mourir en une saison infernale et que si lui survit d'autres vont mourir.
Et on passe alors au deuxième alinéa de la première section de "Adieu" qui décrit ce moment de l'automne où la barque, sorte d'arche des vivants, se tourne vers le port de la misère, refuge, mais lieu d e vie infernale. Le poète dit qu'il en a réchappé, qu'il a vécu parmi ces gens et qu'il aurait pu y mourir et il reste dans sa crainte de l'hiver, parce qu'à ce moment-là il vaut mieux avoir son petit confort chez soi.
Or, le "pain tremplé de pluie" est un rappel en mode inversé du "festin" de la prose liminaire.
Rimbaud décrit les gueux exclus du festin.
Et eux seront jugés.
Alors, j'ai encore une grande recherche à faire sur les passages en italique d'Une saison en enfer et leurs liens avec des sources : Quinet, Proudhon, etc. Tous les italiques n'ont pas la même signification, vous avez "une fois" dans "Matin", "changer la vie" dans "Vierge folle", mais "posséder la vie dans une âme et un corps" et "qui seront jugés" ou "avec son idée", il y a des sources à faire remonter. Pour l'instant, laissez-moi le temps de traiter tout ça. Je pense savoir où je vais.
Notez que le passage en italique "et qui seront jugés" est précédé par les mentions "d'âmes et de corps morts", alors que en clausule "âme" et "corps" sont intégrés au passage en italique avec le mot clef "vér ité" : "posséder la vérité dans une âme et un corps." Et après une mise à l 'éc art de la n otion de justice sans révolte : " La justice e st le p laisir de dieu seul." On comprend que le jugement n'est pas l e plaisir de Dieu seul dans les italiques de la première section, parce q ue ces miséreux n'ont pas fait la mise au point du poète puisqu'ils ne s'évadent et puisque cela les met en butte à une société mensongère qui prétend pratiquer l'amour e t l a j ustice.
Donc, là, je dégage une symétrie entre le début de "Adieu" et sa toute fin, entre l es deux sections. Et j'ai montré le lien par contraste entre ce début de "Adieu" et la prose l iminaire, et la notion de justice est dans la prose liminaire. Tout se tient, le travail est indéniablement concerté de l a p art de cet oisif de Rimbaud.
Passons à l'image "- Quelquefois, je vois..."
Les rimbaldiens lisent cela comme un revirement de pensée qui va ensuite retomber, alors que je considère plutôt l'ensemble de la première section comme un tableau. A cause du cycle des s aisons, la barque permet un regard un peu comparable au coup d'oeil sur le rétroviseur. Le poète se revoit là où il n'est plus, et en imagination il continue de se représenter cet idéal illusoire, d'ailleurs inspiré par ses lectures. Et il en fait le procès. On n'est pas dans un alinéa qui chasse l'autre, Rimbaud fait le bilan des deux plans. Et il est bien obligé de traiter une idée puis l'autre. Il ne peut pas tout mélanger. De plus, la symétrie réactive un passage sur la charité des sections 6 et 7 de "Mauvais sang" quand le poète dit que s'il est choisi parmi les damnés i l y en a d'autres. Dans "Adieu", le poète fait un sort à cette réaction. Il n'a pas les pouvoirs de changer le monde.
Je ne vais pas donner une lecture d'ensemble de la deuxième section de "Adieu". Vous en comprenez déjà les grandes lignes, j'ai déjà donné récemment une lecture en ce sens en détaillant "l'enfer des femmes", et il me reste simplement à préciser ceci : "posséder la vérité dans une âme et un corps" ponctue un mouvement de parodie de l'attitude christique, ce n'est pas dépourvu de sarcasme. Je rappelle que le christianisme est la religion de l'amour, et au plan universel qui plus est, et Rimbaud vient de dire qu'il allait pouvoir rire des "vieilles amours mensongères" et des "couples menteurs", et entendons de "vieilles énormités crevées" comme le christianisme. Rimbaud se rapproche alors d'une idée spiritualiste de Quinet qui est que l'avenir de l 'homme est de découvrir le Dieu en soi.
Dans Credo in unam, Rimbaud parlait déjà d'un individu homme devenant son propre roi, idée issue bien sûr de l'effet de la Révolution française, et l'idée que tout homme découvre le divin en lui est le versant spirituel de cette idée. Et Credo in unam montrait que Rimbaud pensait déjà la vérité de l'amour en ce monde.
Rimbaud parodie laïquement et subtilement le discours christique et c'est ce qui peut donner l'impression qu'il fait semblant de sortir de l'enfer, ou bien qu'il fait mine d'être converti pour qu'on lui foute la paix, morale d'oeuvre bien mesquine, alors que la subtilité est dans un décalage de conscience.
Voilà, ceux qui pourront penser que j'ai toujours surtout p arler de la p rose liminaire et de "Mauvais s ang" verront que j'ai une lecture assez poussée de toute la partie finale "L'Eclair", "Matin" même si je n'en ai pas parlé et "Adieu". J'ai aussi enfin pris mon parti de mieux ex pliquer mon revirement de 2009 à 2010 sur la section "Nuit de l 'enfer". J'ai aussi donné une certaine idée de ma l ecture de "Vierge folle", ça commence à bien brasser large.
Il faudra que j e fasse une réelle m ise au point sur "L'Impossible" et bien sûr sur "Alchimie du verbe".
Après, vu qu'il était question des difficultés que se créent les lecteurs et vu qu'il est question de montrer que Rimbaud est à lire comme un penseur qui a ruminé ses pensées, et non pas comme qui s'emporte avec ses passions pleines d'une conviction immédiate, je voulais revenir sur une i dée que j'ai développée à propos de "Mauvais sang" e t qui s'applique aussi au "festin" au début de la prose liminaire.
Rimbaud a identifié que quand on nous éduque on fait passer l'histoire pour nôtre, comme faisant partie de nous, alors qu'en réalité c'est un héritage qui certes nous façonne, mais au moment où on nous la transmet, c'est là qu'on nous façonne, et nous pouvons ne pas accepter d'être façonné, nous pouvons remettre en cause l'opération. Les rimbaldiens ne semblent pas comprendre que le "festin" est un faux souvenir parce qu'inculqué par une éducation pernicieuse. Et comme dans "Matin" il est question d'une e nfance merveilleuse, les rimbaldiens vont croire légitime de considérer le festin comme une métaphore de l'enfance. Non, le festin vient de notre éducation, pas d'une enfance préservée. Et, dans "Mauvais sang", j'estime que ce rapport à l'Histoire comme faux souvenir de n otre vie élucide pleinement le charme humoristique de phrases telles que celles-ci : "Je ne me souviens pas plus loin que cette terre-ci et le christianisme."
Je trouve assez étonnant que depuis la Seconde Guerre Mondiale avec tout ce qui s'est mis en place en ce sens dans l es domaines des sciences humaines et sociales on ne se rende pas compte que Rimbaud, dès 1873, avait identifié le p roblème de confusion de l'Histoire avec une réalité ontologique personnelle. Rimbaud était en avance sur son époque, quand on compare avec les discours d'un Quinet, d'un Michelet, d'un Hugo et d'autres.
Je n'arrive pas à comprendre le blocage des rimbaldiens à ce sujet, ils sont trop obnubilés par des lectures biographiques on dirait. Ce blocage est désespérément bizarre.