dimanche 24 décembre 2023

Rimbaud retrouvé, compte rendu du livre Une saison en enfer ou Rimbaud l'Introuvable d'Alain Bardel (partie 2 : la prosodie, les avant-textes et la forme d'ensemble de l'ouvrage)

Je poursuis mon compte rendu du livre sur la Saison d'Alain Bardel. Je vais bientôt me pencher sur la question du sens du livre Une saison en enfer, mais il y a un sujet en creux qu'il faut absolument soulever, celui de l'esthétique littéraire de ce livre en prose !
Les études de poèmes en vers supposent en principe une étude de la versification avec les mètres, les rimes et les strophes. Mais derrière cette étude, il existe aussi une étude possible de la prosodie où s'intéresser  aux questions de rythme et à l'arrangement des consonnes et des voyelles entre elles.  La combinaison des voyelles et des consonnes, c'est vraiment le sujet de la prosodie. Or, Une saison en enfer   est une œuvre de poète. On ne peut pas étudier formellement ce livre rimbaldien comme on le fait des Confessions de Jean-Jacques Rousseau ou des Mémoires d'outre-tombe, ni comme on le fait d'un roman de Stendhal, Sand, Balzac ou Gautier, ni même comme on le fait d'un livre de Michelet comme La Sorcière, La Mer ou Le Peuple. Tout au long de leurs essais respectifs, Alain Vaillant et Alain Bardel ne s'intéressent qu'à la signification de l'œuvre. Il n'y a aucune étude sur la dynamique des paragraphes, sur la longueur des alinéas, ni sur l'abondance de procédés stylistiques typiques de la poésie, ni sur la manière d'écrire de Rimbaud en jouant sur les répétitions, les assonances et allitérations.
Rimbaud ne ferait que prendre la parole. L'esthétique ne serait qu'un soin secondaire.
Je vais citer ici quelques exemples que je mentionne dans mes propres travaux pour qu'on voie ce qu'on est en droit d'attendre.
Rimbaud n'écrit plus en vers, mais est-ce qu'il ne tient plus aucun compte du nombre de syllabes ? Nous avons des preuves locales d'une allusion à la métrique des vers, par exemple, et là c'est connu de tous, avec la fin de la première phrase de la prose liminaire :  "où s'ouvraient tous les coeurs, où tous les vins coulaient", et j'ai dégagé une autre exception dans deux lignes de sept syllabes de  "L'Eclair" : "Que la prière galope et que la  lumière gronde..." J'ai insisté sur une série appuyée étonnante de coordinations de mots par  "et" qui riment par deux : "l'orgie et la camaraderie", "les cadavres des méchants et des fainéants", "parasites de la propreté et de la santé de nos femmes", etc. Il faut aussi s'interroger sur la régime métaphorique constant de l'ouvrage. Le titre "L'Eclair" concentre sur lui plusieurs significations et c'est un terme biblique. Vous lisez les poèmes chrétiens du fils du dramaturge Jean Racine et vous trouvez la mention symbolique "L'Eclair", et au plan prosodique, le mot "L'Eclair" n'est-il pas disséminé dans l'expression : "L'Ecclésiaste moderne" ? A partir du moment où le poète dans "Alchimie du verbe" dénonce que "la vieillerie poétique" se maintient dans ses créations nouvelles, il serait bon de s'interroger sur la présence de cette "vieillerie poétique" dans cette pratique nouvelle de la prose.
Rimbaud semble jouer à charmer par une prosodie heurtée que ne favorisait pas la langue des vers. Non soumis à une segmentation en hémistiches d'alexandrins, Rimbaud peut s'amuser plus librement avec ce que Malherbe et Pierre de Deimier, épurateurs du classicisme, appelaient des cacophonies et peut accumuler les successions ramassées de différents "e" : "Je trouve mon habillement aussi barbare que le le leur[,]" "comme si elle eût dû me laver d'une souillure". Il y aurait une étude transversale à faire sur les cacophonies, sur les mises en relief du [y] (le "u" si vous préférez !), sur les effets grinçants ou agressifs à l'aide de "b",  de "r", etc. Il y a toute une étude à faire sur  le relâchement prosodique de Rimbaud en prose, puisqu'il se contente très souvent d'assonances de voyelles basiques qui viennent de  terminaisons de mots extrêmement courantes. Cette expérience cacophonique a des prolongements dans des poèmes des Illuminations comme "Vies" : " j'ai eu une scène...", passage étonnant de la part d'un poète, puisque nous avons deux hiatus enchaînés avec en circonstance aggravante l'enchaînement de deux [y]. Il y a des facilités de rimes et de répétitions de mots dans Une saison en enfer : "Je meurs [...] je m'en vais aux vers, horreur de l'horreur ! Satan farceur [...]" Et ces procédés reviennent identiques dans d'autres parties de l'œuvre, ce qui crée une unité commotionnelle. Les ellipses nombreuses n'appellent pas qu'une réflexion herméneutique, c'est aussi une mise en forme rythmique et poétique du texte. Il y a une véritable gageure (mot dont le centre se lit d'ailleurs "u" et non  "eu")  :  Rimbaud prend plaisir à relever le défi de faire poétique à partir de l'exprès trop simple de rimes familières, à partir de répétitions quasi puériles, à partir de séquences phonétiques considérées a priori contraires à la gracieuse euphonie du langage poétique. Comment Rimbaud écrit-il en poète dans Une saison en enfer ? Cela n'intéresse pas les rimbaldiens, cela n'apparaît ni dans le livre de Vaillant, ni dans le livre de Bardel. Le livre Une saison en enfer n'appartient à aucun genre littéraire, il n'est ni un poème, ni un recueil de poèmes, donc sur l'écriture circulez il n'y a  rien à voir. Je ne suis pas d'accord : Rimbaud parle clairement en poète, en relevant de nouveaux défis d'écriture.
Mais revenons-en au compte rendu de ce qui se trouve dans l'essai de Bardel. En 1987, dans son édition critique chez José Corti, Pierre Brunel a dégagé le corpus de référence des écrits permettant de se faire une idée de la genèse du livre Une saison en enfer. Il rassemble la lettre à Delahaye de mai 1873, les brouillons qui nous sont parvenus de l'élaboration d'Une saison en enfer et trois parodies de passages des Evangiles qui sont transcrits sur les mêmes feuillets de brouillons de la Saison. Bardel n'a pas traité de ces points dans une série à part, mais il en fait une part importante de la réflexion mise en "Introduction".
Je signalerais un manque important. Le brouillon de "Ô saisons ! ô châteaux !" contient une phrase de prose et le débat est ouvert si oui ou non il s'agit d'un brouillon de la Saison elle-même. Yann Frémy insistait avec raison sur le problème posé par le statut du manuscrit de "Ô saisons...". L'inclusion des parodies des évangiles a elle-même du sens. Il est naturel de penser qu'ils sont antérieurs aux brouillons de "Mauvais sang", "Nuit de l'enfer" et "Alchimie du verbe", ils traitent de la question du religieux au dix-neuvième siècle, en faisant allusion à la perfide Angleterre protestante, à l'ouvrage Vie de Jésus de Renan comme l'a bien souligné Yves Reboul et ils ont des procédés d'ironie sur les miracles de Jésus comparables à ce qu'on lit dans Une saison en enfer. Bardel va surtout s'intéresser aux brouillons de la Saison et à la lettre dite "Laïtou", lettre à Delahaye de mai 1873. Il s'agit depuis longtemps, depuis le livre de Brunel même en 1987, de lieux communs de la réflexion critique rimbaldienne, où d'auteur en auteur on redit bien souvent les même choses, on passe par les mêmes atermoiements.
Je voudrais quand même faire quelques remarques.
Premièrement, prenons le cas du brouillon connu de "Mauvais sang". Il s'agit d'un brouillon qui réunit en une seule pièce la quatrième et la huitième section de "Mauvais sang" tel qu'il a été imprimé. J'ai énormément plaidé pour qu'on prenne en considération ce fait dans mon article "Les ébauches du livre Une saison en enfer" en 2009, je considère qu'il ne faut pas se contenter de constater cette réalité, il faut essayer d'en tirer parti, ce que ne font ni Bardel, ni Vaillant en 2023. En 1987, Brunel avait fixé ce que j'ai moi-même dit en 2009, c'est que nous avons une unité des sections 1 à 3,  une unité initiale des sections 4 et 8, et une unité des sections 5  à 7. En revanche, Brunel affirmait que le texte du brouillon réunissant les sections 4 et 8 était le noyau originel, et en clin d'oeil au Faust de Goethe il appelait ce brouillon des sections 4 et  8 fondues en une "Ur-Text" page 221 de son édition critique. Il emploie l'expression "noyau originel", page 217, en sous-titre au cours du commentaire consacré à "Mauvais sang". Or, nous savons que les brouillons ne forment pas un tout complet, nous n'avons que la fin de celui concernant "Alchimie du verbe" et le début du brouillon de "Mauvais sang" s'identifie clairement en tant que suite : "Oui, c'est un vice que j'ai..."
Les seules conclusions importantes, c'est que Rimbaud a découpé en deux son texte mais pour en faire le centre d'intérêt de "Mauvais sang", puisque la partie 4 est au milieu de "Mauvais sang", 4 est la moitié de 8, et puisque la section 8 clôt le récit, et comme nous avons la reprise adjectivale "française" de l'une à l'autre section dans un récit dont le premier alinéa évoque l'ancêtre "gaulois", il est évident que cela relève d'une volonté de donner à "Mauvais sang" une certaine armature.
Il faut également prendre en considération le niveau du découpage. L'exclamation "De profundis, domine ! je suis bête ?" n'était pas une clausule, le propos enchaînait directement avec les mots de la huitième section : "Assez. Voici la punition ! Plus à parler d'innocence."
En clair, les sections 5 à 7 servent à développer une idée qui justifie le basculement de l'interrogation de bêtise au dépassement de l'interrogation sur l'innocence.
Si on étudie les brouillons, il faut étudier par le menu ce qui s'est passé et ce que ça implique. Je n'ai pas constaté que Bardel ou Vaillant mettaient en avant le caractère central des sections 4 et 8, ni qu'ils commentaient l'inclusion du récit des sections 5 à 7, et ils ne le formulaient pas non plus comme un moyen de se repérer à la lecture. Ils n'ont pas repris à Brunel l'unité des sections 1 à 3, l'unité distendue des sections 4 et 8 et l'unité des sections 5 à 7. Ils vont le faire à la marge, parce qu'inévitablement les huit sections sont dans "Mauvais sang", mais il n'y aura aucune mise en relief de la structure du texte. Je me permets ici une digression. Le fait de laisser de côté ces indices de composition concertée, c'est un peu comme le cas des spécialistes de Marco Polo. Celui-ci a rapporté un témoignage sur le Japon. Par la force des choses, les historiens n'ont pas manqué de dire que Marco Polo était en Chine au moment des deux tentatives d'invasion mongole du Japon en 1274 et 1281, mais à aucun moment les historiens ne vont dire les choses plus précisément. Le père et l'oncle de Marco Polo effectuent un retour, il n'y a que Marco Polo qui arrive pour la première fois en Chine parmi les trois vénitiens. Or, ils arrivent à la cour de l'empereur Kubilaï Khan dans les mois qui suivent la première tentative d'invasion. Kubilaï Khan  règne sur la Chine et a décidé de lancer cette invasion, comme il va décider de lancer la suivante en 1781. Et les capitales de l'empire de Kubilaï Khan, elles nous rapprochent du Japon, surtout Pékin. En 1781, Marco Polo n'était peut-être pas à la cour même, il était sans doute en  déplacement à travers la Chine. Mais il y est revenu à la cour. Comment est-il possible, surtout quand on sait les polémiques autour du voyage de Marco Polo, que les historiens ne verrouillent pas les enseignements de bon sens. On ne dit pas vaguement que Marco Polo est allé en Chine et qu'il raconte dans son livre ce qu'on lui a rapporté sur le Japon, bien qu'il n'y soit jamais allé. On ne raconte pas vaguement qu'effectivement il est en Chine quand il y a les deux invasions. Le devoir de l'historien, c'est de dire que Marco Polo était idéalement placé pour entendre parler des tentatives d'invasion. Il arrive à la cour impériale quelques mois après la première tentative, c'était le sujet d'actualité à la cour impériale, et c'était le meilleur endroit pour en entendre parler. Le texte de Marco Polo, on le connaît depuis plus de 700 ans. Des analyses de ce texte il y en a en quantité dans le monde entier. Pourquoi une chose aussi simple n'est-elle jamais formulée ? Dans le cas des brouillons d'Une saison en enfer, il faut les prendre et les faire parler.
Notons que, contrairement à Vaillant et Cavallaro, Bardel ne considère pas que le brouillon correspondant à la fin de "Alchimie du verbe" appelle à nuancer le rejet de l'art qui y est exprimé. Sur ce sujet, Bardel se rapproche nettement de nos conclusions, mais nous y reviendrons quand nous rendrons compte de l'interprétation du texte. Pour moi, les brouillons, en-dehors de la leçon "autels", il y a deux enjeux majeurs, la dislocation des sections 4 et 8, et le problème posé par le titre "Fausse conversion". Pour ce titre, je reporte aussi cela dans le problème d'interprétation. Je laisse cela de côté pour l'instant. Toutefois, le fait de pratiquer un peu de mise au point sur les brouillons va permettre de traiter à nouveaux frais des implications de l'ultime "avant-texte" qu'il nous reste à étudier, la lettre à Delahaye de mai 1873.
Pourquoi ?
Bardel la met nettement en avant dans son introduction, au moyen nettement des deux seules illustrations qu'il a intégrées à son ouvrage, puisque pages 18 et 19 nous avons droit à deux photographies fac-similaires d'extrait de cette lettre. Elles sont en couleurs, à tel point que nous pouvons apprécier le rouge sang du cachet de la bibliothèque nationale de France, ce qui est amusant quand on songe au titre en rouge de l'édition originale d'Une saison en enfer.
Commenter cette lettre est un lieu commun des études globales sur Une saison en enfer avec cet exercice toujours recommencé d'une volonté d'identification des "trois histoires atroces" déjà inventées que revendique Arthur auprès de son ami macérien. Bardel sélectionne des avis qu'il met en débat, ceux de  Yoshikazu Nakaji et Yann Frémy. Pour rappel, au printemps 1873, Verlaine et Rimbaud sont tous deux revenus en France, ils ne sont plus en Angleterre à la mi-avril pour dire vite, et ils ne sont pas ensemble, mais au cours du mois de mai, ils se rencontrent à  Bouillon, Verlaine résidant en Belgique chez une tante à Jehonville. Notons que Bardel indique entre parenthèses "Luxembourg" pour situer "Jehonville". Jehonville ne se situe pas au Luxembourg, le pays, mais dans la province belge du Luxembourg. Il s'agit même de la plus grande des neuf provinces de Belgique, si ce n'est qu'il s'agit en même temps de la moins peuplée. La ville de Bouillon, vers la frontière, était déjà une destination touristique du dimanche pour les ardennais français de Charleville. Mais ne digressons pas. Je voulais seulement bien poser le contexte.
En avril et mai 1873, Rimbaud et Verlaine se rencontrent parfois, mais ils vivent plutôt éloignés l'un de l'autre, et écrivent séparément, chacun de leur côté. Rimbaud a écrit "avril - août, 1873" pour dater la composition du livre Une saison en enfer et il dit à Delahaye qu'il compose un projet de livre qu'il prévoit d'intituler "Livre nègre ou Livre païen". Il prétend avoir déjà composé trois histoires. Peu importe que les récits dans Une saison en enfer ne ressemblent pas tellement à des histoires au sens premier du  terme. On peut supposer que la lettre  est plutôt du début du mois de mai. En clair, Rimbaud dit avoir composé trois parties d'Une saison en enfer en moins d'un mois, essentiellement au cours du mois d'avril. Il reste encore deux mois et demi avant le drame de Bruxelles, ce qui en laisse du temps pour faire avancer le projet.
Les rimbaldiens, et Bardel rejoint cette tradition, considèrent que le projet a évolué au fil des mois, qu'il a connu des mutations profondes. Bardel crée un développement qui tient surtout à ses convictions intimes, puisque cela par la force des choses n'est pas étayé par la mobilisation de nouveaux documents. Rimbaud aurait eu un projet initial de "Livre nègre" ou "païen" qui correspondrait plutôt à "Mauvais sang" et qui aurait concerné le mois d'avril et le début du mois de mai 1873, puis une première mutation du projet l'aurait amené à un scénario infernal au milieu du mois de mai 1873, et puis à partir de juillet avec les événements le poète aurait eu un projet plus "philosophique" avec une  vraie envie de "résolution des problèmes existentiels" et cela se serait terminé par la rédaction d'un "prologue" permettant d'unifier le tout a posteriori.
Ce raisonnement pose plusieurs problèmes. Faisons tout d'abord remarquer que Bardel cite lui-même avec raison un reproche fait par Frémy à l'analyse de Nakaji. Ce dernier envisageait que "Mauvais sang" correspondait au "Livre païen" initial et que le poète avait dû en composer trois parties sur huit, puisque dans la lettre à Delahaye il est question de trois récits inventés et d'une demi-douzaine encore à créer. Et il s'agit bien d'un projet de livre à éditer. Frémy s'oppose à la thèse de Nakaji en faisant remarquer que Rimbaud n'allait pas publier une plaquette toute mince ne contenant que le texte de "Mauvais sang". Ensuite, sur le brouillon de "Mauvais sang" qui nous est parvenu, nous apprenons qu'assez longtemps les sections 4 et 8 ne formaient qu'un seul récit, ce qui remet complètement en cause la pertinence d'une identification sommaire de trois sections de "Mauvais sang".
En réalité, Rimbaud dit qu'il a déjà composé un tiers du livre prévu, trois histoires sur neuf. Ensuite, au nom de quoi peut-on identifier clairement un changement de projet de "Livre nègre" à Une saison en enfer ? Pourquoi le thème infernal ne serait-il pas compris dans le projet initial où on voit tourner les mots "nègre", "païen" et "innocence" ? Certes, le projet a dû évoluer, mais comment fait-on pour apprécier la radicalité de cette évolution ? Parce que le thème du "nègre" ou du "païen" n'apparaît plus  dans "L'Impossible" il faudrait exclure cette section du projet initial. Mais peut-être que le poète prévoyait en s'identifiant à un "nègre" ou un "païen" de développer de telles considérations dès le début de l'élaboration de son livre. Mieux encore, vu que le poète joue plutôt à s'identifier à un païen ou un nègre dans "Mauvais sang", la section "L'Impossible" pouvait être amenée dès le départ dans ces termes de débat. Il y a un rejet de l'occident et une quête de l'Orient primitif dans "L'Impossible". Rimbaud a surtout abandonné l'idée de ressasser que le sang païen revenait en lui. En plus, les liens consubstantiels sont accablants entre "Mauvais sang" et "L'Impossible", on passe du motif des "faux nègres" à celui des "faux élus". Nous avons la poursuite de la réflexion sur la vie française, sur le refus de l'histoire que les institutions imposent. Bardel nous impose de croire comme une évidence que le projet a profondément muté, mais où sont les preuves ? Phrase après phrase dans ma lecture, j'ai à  l'esprit que de nombreuses évidences pour Bardel n'en sont pas pour moi.
Je continue sur cette lettre à Delahaye. Les mots "nègre" et "païen" concernent essentiellement "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer". Visiblement, le recours à ces deux motifs n'a pas perduré, ce qui a justifié une évolution du titre, mais le schéma infernal est immédiat à l'ouvrage. Les mots "nègre" ou "païen" sont interchangeables, et le mot "innocence" impose l'idée d'une volonté de se soustraire à l'enfer chrétien.
Le mot "innocence" n'est pas de peu d'importance. Lui aussi n'est pas employé tout du long, il est absent des quatre parties finales : "L'Impossible", "L'Eclair", "Matin", "Adieu", de la prose liminaire et de "Vierge folle". Il y a une mention minimale dans "Alchimie du verbe". Et donc, les mentions concernent comme "nègre" et "païen" exclusivement "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer".
Il suffit de  faire un relevé,  non ?
Prose liminaire : néant.
"Mauvais sang" : "La dernière innocence et la dernière timidité." (section 4) / "Apprécions sans vertige l'étendue de mon innocence." (début de section 7) / "Farce continuelle. Mon innocence me ferait pleurer." (fin de section 7)
"Nuit de l'enfer" : "Pauvre innocent ! - l'enfer ne peut attaquer les païens."
"Vierge folle" : néant.
"Alchimie du verbe" : "[...] j'enviais la félicité des bêtes, - les chenilles, qui représentent l'innocence des limbes, les taupes, le sommeil de la virginité !" 
"L'Impossible", "L'Eclair", "Matin", "Adieu" : néant.
Utile mise en garde avec un autre relevé parallèle : "pardonnant" (section 5 de "Mauvais sang"), scansion à trois reprises du mot "pardon" dans "Vierge folle" et mention finale "demander pardon" dans "Adieu".
Or, qu'écrit Rimbaud dans sa lettre à Delahaye ? Je le cite :
[...] Je travaille pourtant assez régulièrement ; je fais de petites histoires en prose, titre général : Livre païen ou Livre nègre. C'est bête et innocent. Ô innocence ! innocence ; innocence, innoc... fléau !!
C'est en rouvrant la lettre avec un post scriptum que Rimbaud précise avoir déjà écrit trois histoires. Il ne les envoie pas, parce que ça coûte trop cher, mais il y a songé, ce qui laisse supposer une certaine finition.
Alors, vous voulez savoir quelles sont les trois histoires ? On peut parier qu'il y a comme une seule histoire les trois premières sections de "Mauvais sang", puis il y a forcément l'histoire réunissant les sections 4 et 8, et enfin Rimbaud vient tout simplement de terminer les sections 5  à 7. Il est tellement pénétré par son effort d'artiste, - et c'est utile de remarquer que la lettre témoigne de l'effort d'immersion qu'il s'est appliqué à lui-même, - qu'il crie comme le narrateur possédé de "Mauvais sang" : "innocence, innoc... fléau", avec effet littéraire voulu de l'interruption de la parole. Le mot "fléau" n'apparaît pas une seule fois dans les "feuillets du carnet de damné" (sous réserve de vérification du côté des brouillons), il apparaît uniquement, mais avec un emploi bien distinct, dans la prose liminaire. Cependant, il ne faut pas être grand clerc pour faire le rapprochement avec la fin de la section 7 : "Farce continuelle. Mon innocence me ferait pleurer." Un rapprochement qui concerne toute la section 7 dont citer aussi le début : "Apprécions sans vertige l'étendue de mon innocence."
Et j'évoquais plus haut le découpage en deux du récit initial avec les sections 4 et 8 de "Mauvais sang". Donc, la section 7  est le moment de bascule où l'aspiration à l'innocence prend fin, et c'est la partie conclusive du récit des sections 5 à 7 qui a été intercalé entre les sections 4 et 8 initialement continues de "Mauvais sang". Je cite la phrase de fin de section 4, toute proche donc du découpage : "La dernière innocence et la dernière timidité."
Sur le brouillon correspondant aux sections 4 et 8, nous avions une phrase mentionnant à nouveau l'idée d'innocence : "Assez. Voici la punition ! Plus à parler d'innocence."
Cette mention disparaît du texte imprimé définitif, et il est donc clair que le mouvement des sections 5 à 7 permet au poète de justifier l'idée que la quête de l'innocence tourne court. Toutes nos citations du mot "innocence" sur le brouillon, ou dans les sections 4 et 7 de "Mauvais sang" renvoient clairement à la signification du propos tenu dans la lettre à Delahaye, il y a une conformité de sens évidente. Notons que cette phrase du brouillon est l'un des arguments qui font analyser très souvent Une saison en enfer comme une sorte d'écriture en transe de réflexions immédiates. Le témoignage d'une transe est indéniable, mais plus prudemment je considère qu'il s'agit d'un état contrôlé qui favorise l'écriture, mais Rimbaud montre à Delahaye ce qu'il sait faire, il n'est pas en train de perdre les pédales devant Delahaye à manifester des idées changeantes.
A défaut de la mention "fléau", on peut remarquer que la section 4 parle de tortures similaires à celles au début de "Nuit de l'enfer", que la section 8 renchérit sur ces tortures. Dans le cas des sections 4 e t 8, les tortures viennent de la société punitive. En revanche, pour "Nuit de l'enfer", une étude suivie est demandée pour vérifier si nous sommes dans la continuité d'un poison qui est la punition et une conversion ratée au christianisme, ou si le poète a voulu fuir en s'empoisonnant, mise en scène donc du "dernier couac !" En tout cas, on comprend que l'écriture de "Nuit de l'enfer" a suivi de peu la composition des trois histoires réarrangées ultérieurement en "Mauvais sang", et en anticipant un peu plus, on peut deviner que la section "L'Impossible" a elle-même été rédigée très peu de temps après "Nuit de l'enfer" et la lettre de mai à Delahaye. Les continuités de ces récits sont beaucoup trop sensibles que pour en douter.
Et on peut aller plus loin. Rimbaud dit de son récit qu'il est "bête et innocent". Or, nous relevons dans "Alchimie du verbe", une identification de l'état d'innocence à  la condition de "bête" avec mention complémentaire de chenilles et de taupes dans un cadre souterrain assimilé à des limbes et du sommeil.
La contermplation ironique de la Nature fait songer au passage "connais-je encore la nature", l'expression : "Mon sort dépend de ce livre" fait songer au refus du "dernier couac !" dont bien des rimbaldiens parmi lesquels Bardel prétendent qu'il renvoie à un événement ultérieur, le coup de feu de Verlaine, qui aurait amené une modification substantielle du projet livresque rimbaldien, l'expression "Quelle horreur que cette campagne française" fait songer aux mentions "française" de "Mauvais sang" et à tous les emplois du mot "horreur" dans Une saison en enfer, et même assez précisément à l'expression :  "j'ai horreur  de  la patrie",  mention proche de cette autre : "Le meilleur, c'est un sommeil bien ivre sur la grève" qui fait écho au désir de boire dans un "cabaret" ou à Charleville dans la lettre à Delahaye. Et dans cette lettre à  Delahaye toujours, nous avons avec l'accent les paysans assimilés à des "monstres d'innocince", sachant que le mot "paysan" est étymologiquement lié au nom "païen", et je rappelle que dans "Adieu", avouant s'être trompé, le poète ne se dit plus "païen", mais s'admet "paysan",  feinte discrète qui devait de toute évidence être déjà prévue dans le cas du projet de mai 1873. Il ne faudrait surtout pas s'imaginer que si Rimbaud tient sans distance critique le discours de "Mauvais sang" dans sa lettre à Delahaye c'est qu'il n'a pas encore dépassé ce point de vue. La lettre à Delahaye relève du jeu d'acteur. Rimbaud est en phase avec ce qu'il est en train d'écrire, mais il va de soi qu'il a une maturité de point de vue qu'il cache à  Delahaye. Rimbaud n'écrirait pas un livre s'il  n'en était qu'à exposer un problème qu'il ne maîtrise pas.
Ma manière de rendre compte de l'étude de Bardel est ici un peu particulière puisque je développe une analyse personnelle au lieu de m'en tenir à observer et commenter le travail de Bardel. Mais j'ai absolument besoin de poser le contrepoint. Sans cela, on ne peut pas comprendre pourquoi page après page je ne me satisfais pas des développements non seulement de Bardel, mais de Vaillant, de Frémy, de Nakaji, etc.
Dans son "Introduction", Bardel signale à l'attention des poèmes de Verlaine dont Rimbaud possédait des manuscrits : "Crimen amoris", "La grâce", "Don juan pipé", "L'impénitence finale" et "Amoureuse du diable". Il s'inscrit dans une continuité, puisque Bardel cite Frémy à la même page 13 de son étude. En réalité, il faut se reporter au site internet "Arthur Rimbaud, le poète" d'Alain Bardel lui-même pour une meilleure genèse de cette idée selon laquelle en 1873 Rimbaud et Verlaine ont en commun des projets de récits sataniques.
En fait, lorsqu'il a réagi à la lecture de l'édition critique de Pierre Brunel, en dénonçant l'idée absurde et contradictoire d'un Satan qui serait  fâché par le refus rimbaldien de pratiquer la charité, vertu théologale, Jean Molino a aussi prôné l'identification de la "Vierge folle" à Verlaine. Bardel fait l'historique de cette problématique sur son site. Cette identification a toujours été un peu contestée, mais alors qu'elle semblait admise, à partir des années 1960 les théories littéraires ambiantes favorisaient le rejet du biographique, tandis qu'un universitaire connue l'époque, Marcel Ruff, a soutenu que la "Vierge folle" était un double psychique de Rimbaud dont l'autre terme était "l'Epoux infernal". On a eu beau jeu avec la "pénétrante caresse" de se moquer de cette vision dématérialisée du couple du récit (Antoine Fongaro, et Christian Moncel alias Alain Dumaine alias Jean Donat). Et Molino a ajouté un argument : les récits diaboliques de Verlaine ont l'air d'être le modèle de récits d'Une saison en enfer, "Vierge folle" décrit un cas comparable de querelle bourgeoise au sein du couple, et il y a plusieurs correspondances à relever. Depuis, personne n'a vraiment pris en charge l'étude comparative, mais l'argument semble considérer comme un acquis en faveur de l'identification de la "Vierge folle" à Verlaine", ce qui est le cas pour Bardel. Le problème, c'est que l'argument ne va pas de soi. Quand Suzanne Bernard dit que la "Vierge folle" parle d'elle comme une veuve et que c'est un cliché de Verlaine de parler de ces veuvages, là je veux bien entendre qu'il y a un argument. Il ne s'impose pas, je suis prêt à le discuter pour le relativiser, mais il s'agit d'un argument direct. Dans le cas des récits diaboliques, les choses sont différentes, puisque Verlaine ne s'identifie pas aux femmes de ses récits, et il pratique même le persiflage à leur encontre. "Vierge folle" est plutôt un hommage à "Amoureuse du Diable" qu'une critique de la pensée de Verlaine. Je rappelle que Rimbaud, dès qu'il a eu un exemplaire en main de son livre, s'est rendu à  Mons et a déposé un volume, avec une dédicace, à l'intention de Verlaine. Bardel soutient que c'est une démarche de rupture à la lumière de son interprétation du livre Une saison en enfer, alors que la démarche est précisément le contraire d'une rupture. Verlaine admirait le livre Une saison enfer, il appréciait la dédicace. Bardel mentionne ces faits, mais les recouvre de l'affirmation selon laquelle il s'agit d'une rupture. C'est une contradiction logique qui devrait jurer aux yeux de tous les lecteurs de cet essai.
De plus, Bardel optant pour l'identification de Verlaine dans la figure de la "Vierge folle", il critique avec d'autres la dématérialisation absurde proposée par Ruff, la thèse d'un double psychique de Rimbaud, sauf que Bardel la reconduit pour envisager que c'est plutôt Satan qui est un double psychique de Rimbaud dans Une saison en enfer. Je suis d'accord pour ne pas identifier la "Vierge folle" à un double psychique de Rimbaud, mais si on soutient que c'est ridicule d'avoir pensé cela il devient délicat de soutenir qu'il y a bien un double psychique de Rimbaud dans une autre figure du texte infernal.
Enfin, j'en arrive à l'idée de la liaison des parties du livre Une saison en enfer. Cela est lié avec la réflexion sur les "avant-textes", expression de Brunel en 1987. Il y a un aspect de réflexion à brûle-pourpoint dans la lettre à Delahaye qui peut encourager le critique sans qu'il ait conscience de l'influence de cette lettre que les idées du poète ont fortement évolué d'avril à juillet 1873. Il y a cette idée que le coup de feu de Verlaine à Bruxelles a eu des conséquences importantes sur les idées de Rimbaud au point de l'amener à remanier le livre Une saison en enfer. Bardel décrit plusieurs mutations successives du projet, sauf que les indices concrets manquent à l'appel.
Les documents, en incluant les poèmes de Verlaine, invitent au contraire à estimer raisonnable que Rimbaud avait composé l'essentiel d'Une saison en  enfer avant le mois de juillet. Les trois histoires de "Mauvais sang" sont sans doute antérieurs à la lettre à Delahaye, il y aura un mélange de deux des histoires. La section "Vierge folle" inspirée par des récits comme "Amoureuse du diable" n'a aucune raison d'être postérieure au coup de feu de Bruxelles, et ne respire pas les règlements de compte non plus, en tout cas ce n'est pas le coeur. Verlaine possédait des brouillons de "Alchimie du verbe" et de "Nuit de l'enfer", donc deux écrits là encore antérieurs au mois de juillet, et les brouillons sont incomplets, ce n'est pas un tout qui nous est parvenu. Deux bons mois séparent la lettre à Delahaye de l'incident de Bruxelles. Le jeu de mot sur "Paysan" dans "Adieu" fait écho au titre initial "Livre païen" et la section "L'Impossible" est le clair prolongement du  style et du  discours de " Mauvais sang".
Ce n'est pas tout. Dès la lettre à Delahaye, Rimbaud parle de la composition d'un livre qui sera mis sur le marché. Et le libraire choisi, Rimbaud l'a forcément rencontré à Bruxelles en juillet, à un moment où en principe il avait d'autres préoccupations. Si Rimbaud est allé voir un libraire, c'est que son projet était avancé, et du 10  au 19 juillet Rimbaud n'a pas eu le temps comme semble l'envisager Bardel de méditer philosophiquement pour écrire "L'Impossible", "L'Eclair", "Matin" et "Adieu". Oui, Rimbaud devait écrire à ce moment-là, remanier son texte, mais il le faisait parce que l'essentiel était déjà en place. Nous ne sommes pas dans une situation magique où d'un coup de feu jaillit la moitié d'une œuvre en cours. Notre poète est blessé à la main, il lui faut se fournir en papier pour écrire dans des conditions contraintes. Rimbaud n'est pas allé voir l'éditeur Poot à sa sortie d'hôpital le 19 juillet pour lui dire comment imprimer un texte dont la moitié n'était pas encore inventée. C'est évident qu'il lui a montré un texte quasi définitif.
Puis, parlons-en des problèmes d'argent. En mai 1873, Rimbaud dit qu'il trouve que ça lui coûte tr op cher d'envoyer à Delahaye un tiers de "Mauvais sang", pas même une histoire ne sera envoyée. Rimbaud reçoit de l'argent pour mettre un livre sous presse, mais il passerait son temps à envoyer des manuscrits par la poste. Il enverrait le texte, mais il corrigerait aussi des épreuves et il échangerait encore par courrier sur la présentation de l'ouvrage. Moi, je n'y crois pas. L'éditeur Poot, il avait d'autres chats à fouetter, il  fallait sembler sérieux devant lui. Dès le 19 juillet, Rimbaud a dû lui donner une idée claire de ce qu'il fallait créer comme livre et il est bien plus naturel de penser que du 10 au 19 juillet dans son temps libre Rimbaud a recopié un ouvrage prêt à  être imprimé, et c'est peut-être la raison pour laquelle les sections finales sont si courtes, quelque part. Rimbaud a dû précipiter la conclusion de son livre.
Oui, l'ouvrage est daté avec une conclusion au mois d'août. Donc, on comprend qu'il a envoyé les dernières pages manuscrites par la poste. C'est du pur bon sens.
Et c'est là que nous en arrivons à la structure du  livre. Je remarque que comme les sections 5 à 7, les deux "Délires" semblent correspondre à une intercalation entre  "Nuit  de l 'e n fer" et "L'impossible", alors que la continuité "Mauvais sang", "Nuit de l'enfer" et "L'Impossible" était sensible. Comme Steinmetz et d'autres, je constate que les dernières sections mettent des remarques pilotis pour que le lecteur comprenne que le poète sort de l'enfer, en réchappe, et c'est corrélé à l'affirmation d'une refus de mourir, tout cela apparaît dans les sections finales : "L'Eclair", "Matin" et "Adieu". Le refus de la mort va de pair avec la fin de la relation infernale. Qu'on comprenne pas les sens profonds du récit, c'est dit en toutes lettres.
Et j'en arrive à ce qui se joue au plan de la prose liminaire et de "Adieu". Brunel avait envisagé que la prose liminaire avait été écrite en dernier et Bardel adhère, comme moi, à cette thèse, et même Bardel comme moi pense que Rimbaud a très bien fait de ne pas donner la résolution de l'énigme dans le prologue et de ménager un suspense, mais l'idée de la rédaction finale de la prose liminaire est liée à une thèse que je ne partage. Rimbaud aurait été face à un ensemble de feuillets aux réflexions disparates et la prose liminaire permettrait de donner un semblant de cohérence.
Mais, les remarques sur le refus de la mort et la sortie de l'enfer dans les trois  sections finales,  doit-on comprendre qu'il s'agit aussi d'un rafistolage de dernière minute ? Je ne le crois pas. Cela participe de la composition très concertée du livre.
Mais, j'en arrive à  la subtilité finale. Que la prose liminaire ait été composé en dernier, c'est ce que dit sur le mode de la fiction le locuteur : "je vous  détache ces quelques hideux  feuillets...", mais même si ce texte a été écrit en dernier, il ne faut jamais oublier la dialectique de l'œuf et de la poule. Avant même d'écrire ou la prose liminaire ou "Adieu", il y a eu le projet  d'écrire  un  livre  avec un  prologue qui  annonçait  les enjeux,  l 'intrigue  et avec une conclusion  qui apportait une solution dont l'intérêt de la révélation ultime n 'avait pas été mangé. Sachant qu'il devait composer un prologue  et  une   conclusion, Rimbaud savait pertinemment que les deux écrits devaient être symétriques. L'image du "festin" est liée à celle du "pain trempé de pluie", nous avons un contraste indéniable entre les deux situations. La révolte contre la "justice" fait bien écho à deux passages distincts de la section "Adieu", les miséreux qui seront jugés et la déclaration qui fait penser à  Proudhon que "la justice est le plaisir de dieu seul."
Un tel constat n'est pas compatible avec la lecture biographique qui se concentre sur des expériences personnelles de Rimbaud, expériences sexuelles et artistiques, et n'est pas compatible avec l'idée d'un livre fait dans le temps avec des mutations du projet qui livrerait un objet fascinant, mais encore hétérogène.
J'ai beaucoup mis en avant mes idées dans cette seconde partie de compte rendu, mais c'est l'indispensable contrepoint qui va donner du poids à un commentaire de l'interprétation de Bardel dans la troisième partie. Si je conteste des détails  d'une lecture, mais que les gens ne constatent pas que je le fais au nom d'une contre-expertise très élaborée, ces gens n'y verront qu'un conflit d'opinions, alors que je veux faire sentir à quel  point les divergences sont profondes et engagent une  réévaluation de ce que  doit être la méthode d 'approche critique appliquée à Une saison en enfer.

2 commentaires:

  1. Quelques coquilles, "ces" pour "ses" à propos des "veuvages", "Qu'on comprenne pas" pour "qu'on comprenne ou pas", etc.
    Malheureusement, j'ai tous les problèmes informatiques en même temps. La souris à fil ne fonctionne plus bien, une souris à pile a tenu deux jours, et le clavier j'en peux plus de devoir contrôler l a touche espace.
    Il va y avoir une suite, je vais parler de ce que j'ai annoncé en fin de partie 1, l'essai de Bardel a privilégié trois entrées dites de problèmes existentiels : travail, vie littéraire, vie affective . Vie littéraire nous limite à "Alchimie du verbe" avec un peu d e "Adieu". L'allusion à "Voyelles" est traité à deux reprises comme de l a légère ironie, alors qu'il y a un propos de démiurge et un lien au "mouvement" de "L'Impossible". Rimbaud considérait avoir donné une leçon de production d'un message poétique dans "Voyelles", sonnet par excellence qui repose sur la non armature explicite du propos. Le travail, on part de L'Eclair, mais ça part pour une fois dans tous les sens. La vie affective, c'est Vierge folle assimilé à Verlaine. Le reste de l'oeuvre (Mauvais sang, Nuit de l'enfer, L'Impossible, L'Eclair, Matin) est peu convoqué, et une autre idée Bardel décrit un Rimbaud sensualiste qui rend compte en poésie d'idée du jour. Or, dès Credo in unam, Rimbaud parle avec gravité de la vraie vie amoureuse du couple. Dans Bannières de mai, on a les saisons qui usent la vie du poète et alors l'acceptation de la mort. Des lettres du voyant à la Saison, Rimbaud rumine des idées, c'est un penseur.
    Pour le spiritualisme, Bardel vient enfin sur le terrain d'un désir de salut, non sans réticences, mais pour Rimbaud la réflexion sur Dieu est capital tout au long de sa vie de poète, même s'il est probablement athée et qu'il ne se convertit pas. Il faut prendre Rimbaud pour un penseur sérieux.
    En attendant la suite, une étude inédite sur le "dernier couac" comme coup de feu de la Vierge folle.

    https://www.youtube.com/watch?v=v9JulN7LrIc&list=RDv9JulN7LrIc&start_radio=1

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  2. J'ai un moyen de contourner mes problèmes de clavier et souris en recourant au smartphone.
    Mais je vais vous lâcher pour un Noël de lectures.
    Je reviens sur deux idées.
    Sur "Voyelles" , je cite la phrase d'un ami que le lui ai annoncé vouloir reprendre juste après qu'il l'ait formulée : " Rimbaud a écrit un poème en éliminant tout ce qui sert à permettre une communication normale." Comprendre qu'il n'y a pas les mots du genre mais ou et donc or ni car dans Voyelles ni verbes sauf dans les compléments du nom. Le deuxième vers a un verbe non essentiel au propos 3t au futur. Dans Alchimie du verbe le réglage est sur les Voyelles et leur délimitation par des consonnes mais dans Voyelles on avait une esthétique elliptique affirmant la possibilité de raconter sans les facilités du langage.
    Pour forme et mouvement lues à Alchimie du verbe et L'impossible, je souligne que mouvement entre aussi dans des séries avec les poèmes Mouvement et Solde. De tout cela nous aurons à reparler....

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