jeudi 30 décembre 2021

Piqûre de rappel !

Le mardi 3 août 2021, j'ai mis en ligne sur ce blog l'article hors-sujet suivant "Qu'en penserait Rimbaud ?" J'y commentais un tableau d'une étude israélienne sur six mois de vaccination dans un pays.


L'étude de ce graphique se terminait par cette phrase très précise : "Vous êtes prêts à vous faire vacciner tous les trois mois ?"
Ce tableau montre l'opposition entre l'inefficacité du vaccin quant à la contagion du virus et son efficacité contre les cas graves (et efficacité limitée sur les six mois puisque si l'efficacité reste haute, elle commencerait peut-être son déclin à partir du cinquième ou sixième mois).
Je disais que le but d'une vaccination était d'atteindre l'immunité collective qui ne se joue que quand la population est efficacement vaccinée à 75% contre la simple infection. C'est pour cela que cette stratégie suppose de se rapprocher de la dose de rappel tous les trois mois. Mais je précise que la théorie de l'immunité collective est un modèle théorique vétérinaire qui ne s'applique pas aux humains, aux rapports interétatiques mondiaux et aux retours de la zoonose sur les êtres humains, qui ne s'applique pas aux activités humaines et au fait que l'être humain utilise abondamment ses mains qui sont préhensiles.

Mais, à part par la petite portion de gens qui sont d'accord avec moi, je me suis fait mal voir en commentant ce tableau. Sur le net, c'est la censure ou le mépris.

Il n'est pas un peu temps de regarder les choses en face.
On m'en veut parce que je me méfie des vaccins de la veille.
Les vaccins russe et chinois sont si pas interdits comme interdits dans l'Union européenne. Pour des raisons géopolitiques, mais les fans de vaccins admettent sans ciller cette interdiction. L'Astra Zeneca et le Jansen & Jansen un terme à leur emploi a été mis. Je disais dans l'article cité ci-dessus que malgré une vaccination à 100% (rendue possible par la situation militaire) l'épidémie était repartie à Gibraltar à l'époque. Des études prétendent même qu'au bout de quelques mois les vaccinés à l'Astra Zeneca, après un temps de meilleure défense, sont plus contagieux que les non-vaccinés, ce qui redirait un scandale qui a déjà eu lieu avec un autre vaccin aux Philippines, et cela suffit à faire réfléchir que pour le monde médical le fonctionnement des virus est encore pour partie inconnu.
Le Moderna lui-même a été mis à l'index dans cinq pays de l'Union européenne et est désormais déconseillé aux moins de 30 ans. Pour ne pas que les stocks soient périmés, on l'écoule rapidement en le rendant obligatoire (il y a eu le cas en Bretagne) aux plus de trente ans.
Comme par hasard, le vaccin qui n'avait rien à craindre et sur lequel on pouvait tous parier le Pfizer est le seul qui ne souffre d'aucune remise en cause. Madame von der Leyen, dont le mari est lié à Pfizer, embrasse sans masque le directeur de Pfizer, et ça ne vous met pas la puce à l'oreille.
Les données de la pharmacovigilance ne sont pas clairement exploitables, est-ce normal ? Aucune étude complète n'a été conduite au sujet de l'ivermectine, et pour ne pas la conduire on prétexte qu'il y a une pénurie de ce médicament utilisé abondamment depuis des décennies (actuellement interdit en France).
Depuis deux ans, on nous raconte que les pays qui ne vaccinent pas et ne confinent pas nous mentent sur leurs chiffres. C'est ça oui, la Suède, la Chine, l'Inde, tous des menteurs ! Il n'y a que les Etats-Unis et l'Union européenne qui ne mentent jamais, c'est bien connu !
Le problème n'est pas que de la dangerosité éventuelle du vaccin, il y a un problème de monopole ambigu de Pfizer. La technologie adénique du Spoutnik V, de l'Astra Zeneca et du Jansen & Jansen est tout aussi révolutionnaire et à observer avec prudence que la technologie à Arn Messager, et même un vaccin traditionnel peut être dangereux. Mais le vaccin Pfizer s'appuie sur le non-financement d'un vaccin franco-autrichien au sein de l'Union européenne, sur l'interdiction géopolitique et non sanitaire des vaccins russe et chinois, sur l'interdiction de l'ivermectine et le non-développement de procédés multi-médicamenteux. Pourquoi aucun travail sur les traitements, ou un refus de les soutenir ? Pourquoi le seul traitement dont on se félicite est celui, toujours à venir, de Pfizer ?
Le problème de ce monopole va de pair avec un problème économique, de plus. Combien ça coûte à la société le luxe de la vaccination tous les trois mois au Pfizer ?
Cette vaccination appliquée aux enfants pose évidemment un énorme problème moral. C'est les parents qui décident, et ils n'admettront jamais s'être trompés une fois qu'ils auront vacciné leurs enfants. Ils n'admettront jamais avoir fait prendre un risque à la santé de leurs enfants. Une fois qu'un parent a fait vacciner son enfant, il devient un soutien solide à la campagne de vaccination. Mais, cette vaccination est expérimentale et il me semblait qu'elle était conditionnée à un exigence de résultats qu'on n'a pas constatée jusqu'à présent. L'épidémie est toujours là. Il paraît d'ailleurs qu'on ne doit pas vacciner pendant une épidémie car le virus en pleine forme s'adapte à la vaccination en cours. On pouvait imaginer une position éthique où les adultes se vaccinent, mais à la condition sine qua non qu'on ne touche pas aux enfants. Au fil des mois, le discours évolue, toujours sur le même modèle : "on ne touchera pas aux enfants, un peu, peut-être qu'il ne faut pas, finalement si, et le plus possible". Vous jouez aux apprentis sorciers avec un vaccin qu'on retente tous les trois à six mois.
On vaccine les enfants, on vaccine les gens qui ayant eu la covid sont censés être immunisés. Où remontent les données sur les enfants qui ont de violents maux de tête qui perdurent suite à la vaccination au Pfizer ? Pourquoi circule-t-il à bas bruit que certains hauts sportifs une fois vaccinés ne peuvent plus faire du sport ? Pourquoi le Japon met-il l'étiquette que ce vaccin peut avoir des effets secondaires dangereux ? Ce vaccin peut entraîner des myocardites et péricardites, mais on ne sait pas s'il ne fait pas des dégâts qui n'auraient pas de symptômes visibles immédiats. Un fumeur s'abîme la santé sans voir des symptômes immédiats. Vous avez une confiance absolue dans le seul vaccin sur une dizaine qui n'a pas encore été mis à l'index. Vous fonctionnez à la confiance absolue. Dès que quelque chose est dénoncé, vous reformatez rapidement le logiciel. Astra Zeneca, Moderna, vaccin russe, c'est bon, on n'en parle plus, ça n'a jamais existé. Pfizer uber alles ! Le Pfizer est votre dernier rempart. Malheureusement, il est lié aux politiques, milieu dans lesquels il est bien introduit. Ô von der Leyen, etc !
Cette politique vaccinale part aussi en possibilités délirantes de contrôle de la société. On s'est fait voler la démocratie, mais ça n'a pas l'air de vous déranger. Demain, une puce avec les informations vous concernant sous la peau, ça ne vous pose aucun souci, même si vous aimez lire 1984 d'Orwell. Vous gobez déjà tous les mensonges impressionnants des américains en géopolitique internationale. Vous gobez toutes leurs conneries sur la Russie, l'Ukraine, le Vénézuela, la Syrie, les balkans, et j'en passe.
Au fait, on n'en parle plus dans la presse de l'origine possible, et en fait hautement probable du virus dans des laboratoires chinois financés par les américains. Parce que ça aussi, c'est un beau sujet. Wuhan la coïncidence. Oui, vous êtes scientifiques et prudents, vous pensez que la coïncidence existe et vous restez circonspects. Mais, dans ce cas, même si vous pensez que l'origine du virus est naturelle, ce que je ne partage pas avec vous, il reste le problème des études des gains de fonction sur les virus. Pourquoi ne sont-elles pas interdites ? Même si vous pensez que le coronavirus qui sévit est naturel, ben c'est précisément un virus équivalent qui est fabriqué avec des gains de fonction, oui ou non ? C'est marrant comme on vous a endormi sur un sujet éthique qui vous concerne ? Ce n'est pas aux scientifiques de décider s'ils veulent ou non faire des études avec des gains de fonction. C'est un sujet qui intéresse les populations, directement confrontés aux risques, oui ou merde ? Avant, on parlait d'animaux hôtes, du pangolin, plus le temps passe, plus on ne parle de rien du tout, mais alors de rien du tout, rien, pas un chameau, pas un pinguoin ? Les précédentes épidémies, des animaux hôtes avaient bien été identifiés. En tout cas, les études avec gains de fonction ont de beaux jours devant elles on dirait, et en plus si le coronavirus a été financé par des aides américaines, les américains rentabilisent avec les solutions qu'ils imposent derrière.
Quant à Robert Malone, encore une fois, les choses sont impressionnantes. Il n'y a que deux gars qui ont déposé des brevets sur la technologie à Arn Messager. Or, il est paradoxalement contre la vaccination massive avec le vaccin qu'il a contribué de manière décisive à mettre au jour et il le dit et il s'oppose à la vaccination des enfants. Pendant des mois, on a nié qu'il était un inventeur de ce type de vaccin. Maintenant, on en est revenus, mais on le minimise quand même. Il a déposé son brevet en 1989. On dit qu'il n'est plus dans le coup depuis trente ans. Bon, déjà, c'est un brevet qu'il a déposé. Ensuite, une boîte a racheté son brevet et a mis un veto pour les vingt années qui ont suivi, ce qui l'a empêché de poursuivre ses recherches. Et pendant ce temps, il a travaillé pour l'armée américaine, concerné par les questions du genre "guerre bactériologique", ce qui suppose que Malone ne va pas étaler ses travaux dans la presse, mais ce qui suppose aussi qu'il n'est pas en-dehors du coup. Or, on admet sans problème que des journalistes contre-argumentent face à Malone, qui a un brevet décisif quant au vaccin Pfizer, journalistes qui contre-argumentent et insultent des Prix Nobel, des médecins, et ainsi de suite, mais comment est-ce possible ? C'est quoi un diplôme de journaliste, d'ailleurs ? C'est quoi le contenu, les savoirs et le savoir-faire d'un journaliste au cours de ses études ? Je me pose des questions. Un journaliste peut s'improviser historien, épidémiologiste, scientifique, expert en stratégie militaire, expert en politique internationale ? D'où ça vient ce règne des journalistes ? Un journaliste est un con comme un autre, non ? A l'ère d'internet et des médias possédés par des milliardaires, il n'est même plus un con comme un autre, il est un exécutant qui a besoin de la sécurité de l'emploi...
Bon, on ne va pas parler de la fixation sur les ovaires, etc., dénoncée aussi par Malone, mais à partir des documents mêmes de Pfizer, et ainsi de suite. Moi, ce que je vois, dans la contre-argumentation des journalistes, c'est qu'ils disent que Malone n'a peut-être pas raison et que des gens ne sont pas d'accord avec lui, mais si on utilise ce conditionnel c'est que les journalistes n'ont pas la vérité pour eux, ils n'ont pas eux non plus la certitude d'avoir raison. Dans ce cas-là, la prudence est de se méfier des risques de la vaccination en cours. Il convient d'en revenir à la prudence la plus élémentaire.
Il ne s'agit pas d'un combat où à la fin s'il n'y a pas eu de problèmes avec le vaccin, c'est le camp des gens qui vantaient la vaccination qui avaient raison. Objectivement, la conduite actuelle n'est pas prudente. On joue à la roulette russe. Alors, certes, depuis des mois de vaccination, on n'a pas constaté une catastrophe, on se tranquillise, mais la conduite à risques est là, est manifeste, et les résultats efficaces de la vaccination ne sont pas confirmés.
Enfin, ce que j'écris ici, ailleurs sur le net, ça ne passera pas, ce sera censuré, ou les algorithmes empêcheront que ce soit lu par un public en en évitant la sélection. Le contrôle de l'information sur internet est devenu profondément terrifiant.

Rimbaud à la fin de l'année 1871, il y a 150 ans, ce que vous trouvez naturel de dire sur la Commune, pour lui c'était inimaginable en public.

lundi 27 décembre 2021

Verbe poétique et Verbe divin : le sonnet "Voyelles", vision ou invention ?

Ce n'est pas la suite prévue, mais le lecteur peut comprendre sans peine que c'est une part importante de la réflexion actuelle qui concerne à la fois ma série sur "Voyelles" et ma série sur le cheminement des lettres du "voyant" à "Alchimie du verbe".
Depuis 2003, j'ai nettement mis les choses au point en ce sens. Les couleurs des "voyelles" sont une révélation de l'ordre universel imitant la Bible et Hugo. Je citais à cette époque la formule de l'évangile johannique : "Au commencement était le Verbe, et le Verbe était Dieu", et je mettais cela en relation avec les déploiements métaphoriques hugoliens : "sept lettres d'or du nom de Jéhovah", "alphabet des grandes lettres d'ombre". Je précise que je citais nommément toutes ces sources hugoliennes sur le forum du site "Poetes.com", tout comme sur le site Poetes.com j'ai cité publiquement les intertextes de Leconte de Lisle par rapport à "Soir historique" avant Claisse. Il faudrait éventuellement vérifier sur le forum "mag4.net".
Mais, bref, je n'ai plus accès depuis longtemps à l'un ou l'autre de ces deux forums !
C'est un fait important ! Nous passons de lectures où Rimbaud imagine les couleurs des "voyelles" à une lecture où Rimbaud découvre les couleurs des "voyelles". Nous passons de l'idée d'invention à l'idée de découverte de la réalité telle qu'elle est. Par ailleurs, la dimension symbolique de l'alphabet que j'ai nettement mise en avant a deux conséquences. La première conséquence, c'est que je mets un terme à l'idée de rechercher des synesthésies inventées par Rimbaud dans le poème en amenant le lecteur à envisager que les "voyelles" ont une sens que le poète découvre, donc je fixais plus clairement qu'il était question d'une découverte en science pure si on peut dire et non d'une invention des sciences appliquées. L'autre point important, c'est que je ne développe pas une lecture symbolique passive, du genre le "A" est noir, il représente le répugnant, je déploie une lecture ordonnatrice des couleurs où le "noir" participe positivement à la dynamique d'ensemble en étant le "corset" ou les "golfes". Et nous avions donc finalement l'accord entre une découverte par la vision du poète de la réalité telle qu'elle est et un éclairage sur les valeurs potentielles de couleurs dont la combinatoire confinait réellement à une production d'actions.

Reprenons d'un peu plus loin.
Dans les lettres dites "du voyant" de mai 1871, Rimbaud parle à la fois du fait de devenir un "voyant", un réceptacle d'un savoir supérieur et de l'intention de créer une langue. Il y a une coordination entre le fait de rapporter des vérités révélées et la capacité à mettre au point pour pouvoir atteindre ces révélations.
Parmi les poèmes en vers "première manière", "Voyelles" et "Le Bateau ivre" sont par excellence les deux poèmes que la critique préfère citer comme illustration de la poétique du "voyant".
Le poème "Le Bateau ivre" est l'exemple d'une poésie aux moyens renouvelés et nous pouvons étudier ces cent vers en essayant de déterminer la part active du travail poétique rimbaldien. Mais, dans le discours du poème, dans le récit lui-même, il faut mesurer que nous n'avons pas droit à une explicitation des procédés du poète. Celui-ci prend les traits d'un objet passif contrôlé dans un premier temps par les haleurs, puis livré aux flots. Il parle bien de sa volonté, mais le bateau n'a pas fait le choix du "Poème / De la Mer", il a été pris par l'éveil de la tempête maritime et ce ne fut qu'une chance pour lui que cela coïncidât avec son désir le plus profond. Beaucoup de commentaires du "Bateau ivre" sont quelque peu piégés et traitent cette expérience du frêle esquif en tant qu'action. Non, il s'agit d'une expérience passive de "voyant". Le bateau ivre a eu des visions, mais il ne les a pas eues par le fait d'une activité poétique singulière de son invention.
Dans "Voyelles", le sujet est un peu plus délicat à traiter. Le sujet métaphorique du poème pose un premier problème. Je ne vais pas revenir sur le fait que les "voyelles" sont en réalité un terme métaphorique pour désigner cinq couleurs élémentaires universelles. Je vais rester sur l'entre-deux des lecteurs. Rimbaud désigne soit une découverte des cinq voyelles universelles et donc il nous révèle le Verbe divin, soit un ordonnancement génial qui va permettre de renouveler les moyens du poète.
En clair, les lecteurs sont dans l'hésitation entre deux sujets à prêter au sonnet : soit il s'agit d'un alphabet du monde que le poète découvre comme une vérité, soit il s'agit d'un alphabet support de la création poétique. Je penche nettement pour la première solution, mais la caractéristique des lectures de "Voyelles" est un louvoiement entre les deux possibilités.
Il y a un second niveau de difficultés avec le sonnet "Voyelles", c'est sa combinaison de propositions phrastiques.
Il est quelque peu délicat de définir ce qu'est une phrase, et à l'époque même de Rimbaud la définition d'une phrase en grammaire n'était pas du tout au point. L'opposition entre les notions de phrase et de proposition est propre au vingtième siècle et n'est d'emploi courant dans la population et les écoles que depuis fort peu de décennies. Même dans les années 1980, et je peux en parler, les collégiens en France ou les élèves des écoles primaires belges n'opposaient pas les notions de phrase et de proposition dans les classes.
En plus, même encore à l'heure actuelle, y compris parmi les grammairiens universitaires, pratiquement personne ne souligne l'immense problème d'écart entre l'oral et l'écrit au plan de la ponctuation.
Dans un cadre scolaire, on apprendra passivement à identifier certaines phrases à l'écrit composées de plusieurs propositions. On apprendra les juxtapositions en particulier à l'aide d'une virgule ou d'un point-virgule. Or, le principe de la juxtaposition n'existe qu'à l'écrit, pas à l'oral. On peut envisager minimalement la juxtaposition à l'oral, quand il y a un principe de corrélation entre les énoncés : "Tel père, tel fils" ou "Les chiens aboient, la caravane passe." Mais, dans la plupart des cas, la juxtaposition à l'écrit n'a pas de contrepartie à l'oral. Par exemple, imaginons une énumération à l'écrit : "Il frappe, il crie, il tue." On dira qu'il y a ici une phrase juxtaposant trois propositions, mais cette lecture n'a de valeur qu'à l'écrit. Quelqu'un qui entendra réciter le texte aura deux choix de transcription qui s'offriront à lui. Il pourra très bien transformer cela en trois phrases : "Il frappe. Il crie. Il tue." On soutiendra qu'on peut considérer que la virgule et le point ne doivent pas être rendus de la même manière à l'oral, que cela a une incidence rythmique, mais il s'agit là d'une pétition de principe qui n'a aucun fondement rigoureux. Oui, on peut comprendre cet usage contrasté, mais ce n'est pas comme si c'était une vérité intangible.
Le poème "Voyelles" pose un problème de cet ordre que révèle la confrontation des deux versions manuscrites connues.
La copie autographe est la plus célèbre et l'idée c'est que le poème est composé d'une seule phrase contenant plusieurs propositions. La proposition principale est formulée au vers 2. Les autres propositions ont une relative autonomie, mais lui sont en quelque sorte subordonnées. En revanche, la copie établie par Verlaine sépare nettement le poème en sept phrases.
En clair, on touche du doigt une idée grammaticale importante. La structuration grammaticale du poème dans la tête de Rimbaud est quasi indifférente à la ponctuation stricte de l'un ou l'autre manuscrit.
La copie établie par Verlaine, mais je précise que c'est sans aucun doute fidèlement à un premier état manuscrit autographe qui ne nous est pas parvenu, sépare les deux premiers vers qui forment une phrase. Puis, nous avons cinq phrases, une par voyelle, et enfin, le dernier vers fait partie du descriptif du "O bleu", mais il s'agit d'un énoncé à part.
Dans la version autographe, les sept énoncés sont soudés dans une unique phrase au plan graphique, et nous retrouvons l'identification traditionnelle de la phrase qui commence par une majuscule et se finit par un signe de ponctuation fort. Nous avons une seule phrase, mais nous pouvons identifier plusieurs propositions. Dans ce nouveau cadre manuscrit, les cinq propositions, voyelle par voyelle, sont subordonnées à l'énoncé des deux premiers vers qui vaut proposition principale de tout le poème, tandis que le dernier introduit un heurt et une rupture de construction dans l'ensemble.
Ce n'est pas parce que la ponctuation change qu'il cesse d'y avoir six propositions dans le poème au-delà du vers 2. En revanche, la nouvelle ponctuation adoptée permet de préciser que les propositions nouvelles sont dans une dépendance logique par rapport aux deux premiers vers.
La liaison est opérée par le recours au double point (on parle traditionnellement des deux points et en jargon universitaire de "le deux-points", ce qui ne fait pas vraiment honneur à la langue française, d'où ma préférence nette pour l'expression "double point" que j'ai reprise au livre L'Art de Rimbaud de Michel Murat). Le double point a différents usages, il permet d'introduire un exemple, une énumération, une citation, une analyse, un récit, une explication, une annonce, un discours rapporté, etc. Les vers 3 à 14, sinon les vers 3 à 13, correspondent à la partie du poème introduite par le double point. Mais il faut être plus précis. Le double point relie les vers 3 à 14 à un élément précis qui est soit l'ensemble formé par la proposition principale des deux premiers vers, soit le groupe nominal "vos naissances latentes".
Je ne répondrai pas ici à cette question. Je me contente d'indiquer le travail important qui doit être fait quant à l'analyse grammaticale du sonnet, et je laisse de la place pour un peu de débat, même si j'ai mes convictions et mes interprétations spontanées.
Le poème "Voyelles" pose donc pas mal de problèmes grammaticaux peu courants : rupture de construction du vers final, réalité d'un manque de consistance grammaticale du concept de ponctuation si nous comparons les deux versions manuscrites du poème, incertitudes sur l'enchâssement des propositions des vers 3 à 14 (ou des vers 3 à 13) par rapport à la proposition principale des deux premiers vers.
Ce n'est pas tout.
Les deux premiers vers posent encore deux autres problèmes assez retors.
En général, on se contente de citer la version autographe :
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes[.]
Mais, la version copiée par Verlaine a une ponctuation différente qui suppose une analyse grammaticale légèrement différente :
A, noir ; E, blanc ; I, rouge ; U, vert ; O, bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes.
Admettons l'intuition courante qui, à ma connaissance, n'a jamais fait débat : "noir", "blanc", "rouge", "vert" et "bleu" sont des adjectifs et non des substantifs au vers 1. Je ne vais pas faire mon intéressant et les analyser comme noms. Je considère comme tout le monde que ce sont cinq adjectifs. Cette lecture s'impose assez naturellement dans le cas de la version autographe.
Dans une proposition, cas à part des constructions verbales "avoir beau", "prendre cher", etc., l'adjectif a trois fonctions : épithète, apposition, attribut. Dans un délire d'invention linguistique universitaire, l'école a rebaptisé les deux premières fonctions : l'épithète est devenue l'épithète liée, l'apposition est devenue l'épithète détachée. Je vous laisse imaginer les dégâts sur les élèves les plus faibles. L'idée hypocrite est d'aligner le français sur le modèle du latin où il existe une apposition, mais qui ne peut concerner que les noms substantifs, pas les adjectifs. Je suis contre de telles pratiques.
J'en reviens à mon propos, mais vous allez voir que je ne fais pas vraiment une digression. Donc, nous avons trois possibilités qui sont moins des fonctions grammaticales en tant que telles que des logiques de liaison d'un adjectif par rapport à un nom. L'épithète signifie que l'adjectif est collé au nom dans la phrase : "la voiture rouge". L'apposition signifie que l'adjectif est à proximité du nom, mais rythmiquement autonome : "Epuisés, les enfants reviennent de la plage." La construction attributive suppose le recours à une forme verbale rectrice. C'est évident dans le cas de l'attribut du sujet : "La voiture est rouge", et c'est plus subtil dans le cas de l'attribut essentiel de l'objet : "Il trouve la voiture blanche", et plus subtil encore dans le cas de l'attribut accessoire de l'objet : "C'est un poète mort jeune", "Il suivait tout pensif le chemin de Mycènes", sous réserve qu'une partie au moins des attributs accessoires de l'objet ne soient pas en réalité des constructions détachées assimilables à des appositions adjectivales.
Mais, bref !
J'ai l'air de développer des considérations inutiles et il suffit d'analyser les deux versions du premier vers de "Voyelles". Mais je crois qu'un tableau complet a son importance pour la suite.
La version manuscrite la plus ancienne serait celle de Verlaine. Rimbaud aurait d'abord conçu une série de cinq appositions : "A, noir" et ainsi de suite. Dans la version autographe, il a créé cinq épithètes : "A noir". L'épithète permet un gain assez évident. Dans la version copiée par Verlaine, nous pouvons avoir une hésitation entre l'idée de vision et l'idée d'invention : "A, noir". On pourrait soutenir que Rimbaud vient d'imposer la couleur à la voyelle, alors que dans la version définitive : "A noir", il n'y a pas d'acte inventeur au moment de la profération du vers 1, on ne peut pas dire que Rimbaud est en train de choisir la couleur comme quand il scande : "A, noir". Cette fois, la mention "A noir" fait bloc, et donc l'idée de "A noir" n'est pas inventée sous nos yeux, mais rapportée. Ce changement dans la ponctuation est décisif. Mais je ne viens de l'étudier que sur le plan intéressant de l'évolution du poème. J'ai une autre idée en tête. Je parlais plus haut de l'absence de contrepartie à l'oral de certains faits écrits au plan de la ponctuation. Et j'ai parlé aussi de l'opposition entre proposition et phrase.
D'abord, malgré notre analyse de la ponctuation des deux versions manuscrites, on peut se dire que dans le cadre d'une récitation du sonnet lors d'un spectacle à Avignon la ville des trognons ou à Paris la ville des prurits la prestation orale ne permet pas nécessairement aux spectateurs de déterminer la ponctuation du premier vers. On pourrait imaginer que l'acteur récite par cœur la version recopiée par Verlaine qui a quelques différences de mots. L'auditoire pourra ou non constater les différences pour certains mots, mais aucun d'entre eux ne se représentera lors de la récitation du tout premier vers la ponctuation de la copie établie par Verlaine, et cela quand bien même le récitant accentuerait rythmiquement les virgules par des pauses plus appuyées. Rien ne l'oblige d'ailleurs à marquer des arrêts en fonction des virgules. C'est un choix possible qui permet d'opposer les deux versions du poème, mais ce n'est pas une obligation à suivre.
Et puis, il y a autre chose. Si réellement la leçon manuscrite établie par Verlaine est la plus ancienne, à quel moment dans la tête de Rimbaud la grammaire du vers 1 est exclusivement celle de la version ultérieure autographe ? A quel moment y a-t-il une solution de continuité entre les deux versions ?
On retrouve l'idée d'un problème de discrimination grammaticale à l'oral, on rencontre aussi une autre idée importante : malgré les remaniements, à quel moment le poème perd-il un aspect logique de sa création originelle ? Nous rencontrons la question du continuum grammatical entre deux versions, l'idée qu'il n'y a pas toujours des ruptures tranchées.
Mais, cette idée de prestation orale permet d'engager une autre idée importante, celle de la délimitation des propositions. Il n'est pas question ici de remettre en cause les subordinations de plusieurs propositions par rapport à une proposition principale. Il est clair que sur le manuscrit autographe, la proposition principale est au vers 2, et il est clair que, quelle que soit la version manuscrite, les éléments du vers 1 sont subordonnés à la proposition principale du vers 2 : "Je dirai quelque jour vos naissances latentes".
Cependant, dans l'analyse basique, le premier vers est une longue apostrophe complexe. Le vers 1 est un vers d'adresse où le poète interpelle les voyelles, ce qu'au passage beaucoup de commentaires du poème oublient.
Nous avons cinq apostrophes : "A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu" qui sont reprises et synthétisées en une seule : "voyelles".
Cela est assez net au plan de la version autographe.
En revanche, au plan de la copie verlainienne, l'adjonction des virgules crée une forme d'adresse assez chahutée. Nous n'avons pas une énumération et une reprise lisses : "A, E, I, U, O, voyelles," ou "A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles," mais une forme plus compliquée : "A, noir ; E, blanc ; I, rouge ; U, vert ; O, bleu : voyelles". Notons l'emploi du double point qui ici est la reprise de cinq associations minimales quand il sera l'introducteur de cinq associations plus étoffées sur le manuscrit autographe. Mais, j'en viens à une autre idée essentielle. Une phrase peut être sans verbe. Sur la copie établie par Verlaine, il y a sept phrases, et six d'entre elles sont averbales (il y a bien des verbes conjuguées "bombinent" et "imprima" au sein de propositions relatives, mais aucun verbe principal). Et ceci interroge le problème de la différence de nature entre les épithètes, les appositions et les attributs. Les constructions attributives supposent la référence à un verbe, mais ce n'est pas simple que ça. "La voiture est rouge", "De quelle couleur est la voiture ? - Rouge." "La voiture, rouge." Au plan de l'écrit, nous pouvons soutenir que les cinq associations du vers 1 de "Voyelles" ne sont pas cinq propositions, mais qu'est-ce qui empêche à l'oral de penser que Rimbaud égrène cinq propositions, ce que nous rendrions par la ponctuation suivante : "A, noir ; E, blanc, I, rouge ; U, vert ; O, bleu. Voyelles, / Je dirai quelque jour..." ?
En clair, à l'oral, le premier vers qu'on peut représenter en une séquence déponctuée :
A noir E blanc I rouge U vert O bleu voyelles
peut confondre les trois fonctions attribuées aux adjectifs !
On peut lire une apposition "A, noir", on peut lire une épithète "A noir" et on peut même lire cinq propositions attributives sans verbe : "A, noir ; E, blanc ; I, rouge ; U, vert ; O, bleu." Puisque dans cette dernière optique, le point placé après "bleu" fait que "voyelles" ne reprend pas directement en apposition le début du poème, mais s'en désolidarise quelque peu. Nous aurions un premier énoncé important avec sa clôture, puis nous passerions à l'idée suivante. Car, qu'on le veuille ou non, la logique du discours des dix premières syllabes de "Voyelles" est d'une importance essentielle à la compréhension d'ensemble du sonnet.
Je ne veux pas soutenir qu'il faut désormais envisager la présence de cinq propositions supplémentaires dans le sonnet, j'essaie simplement de montrer que la hiérarchie des constituants grammaticaux peut empêcher d'apprécier le continuum entre propositions énoncées et phrase ordonnée. Par ailleurs, un effet paradoxal de notre recherche est de conforter le rapprochement symétrique des dix premières syllabes du poème avec l'ensemble des vers 3 à 13 ou 14. Je ne vais pas tout développer ici, mais je pense que j'ai jeté des bases importantes pour une reprise en mains de l'analyse grammaticale du poème, en essayant finalement de minimiser les contraints grammaticales au profit d'une approche plus pragmatique du discours tenu par le poète.
Passons au dernier point important que je voulais soulever.
Le vers 2 : "Je dirai quelque jours vos naissances latentes[,]" se termine par un point sur la copie établie par Verlaine, par un double point sur la version autographe connue. Dans tous les cas, il s'agit de la proposition principale du sonnet. Nous pouvons comprendre en esprit sa prédominance dans le cas de la copie Verlaine, nous la comprenons par la ponctuation contraignante dans le cas de l'autographe. Et j'insiste sur un apport paradoxal de mon approche qui a renforcé l'idée spontanée que les dix premières syllabes sont symétriques des vers 3 à 14. Il y a donc dans le poème une unicité du propos principal tenu au vers 2. Or, c'est là qu'on va rejoindre notre problématique de départ : le sonnet décrit-il un verbe poétique ou décrit-il le Verbe divin ? Le poème fait-il montre d'une invention ou bien d'une découverte indépendante de la volonté créatrice du poète ?
En général, ce vers est dénoncé par la critique. Le poète fait une promesse affectée qui ne sera pas tenue. Il n'expliquera pas ici les naissances latentes. En réalité, le second vers est conjuguée à l'indicatif futur simple et aucune lecteur spontanément n'est choqué par la prétendue anomalie qui est souvent dénoncée. Le poète ne dit pas qu'il va nous faire cette explication dans la suite du sonnet, il dit qu'il la fera un jour en-dehors donc de ce poème lui-même. En fait, il ne faut bien sûr pas céder à l'autopersuasion critique que ce vers 2 est une anomalie. On fait passer ce vers pour un scandale provocateur, mais ce n'est pas du tout convaincant. En revanche, qu'on se scandalise ou non de cette remise d'une explication aux calendes grecques, on fait de ce vers un propos insignifiant qui n'a aucune importance à la lecture. Les commentaires du poème ne concerne que le premier vers et l'ensemble des vers 3 à 14. Tout se passe comme si on pouvait escamoter la proposition principale du vers 2.
Or, c'est là que se glisse un autre problème retors. Je ne vais pas traiter ici de ma lecture du vers 2 où je considère que les vers 3 à 13 ont précipité une révélation, incomplète, mais décisive, au vers 14 sur les "naissances latentes" que le poète prétend un jour formuler. Je vais simplement souligner que ce vers 2 est mis en relation avec certains passages de la section "Alchimie du verbe" et que, comme ce vers 2, est considéré comme accessoire à la lecture du sonnet "Voyelles" dans l'essentiel des commentaires, il y a un conflit logique entre les citations de "Voyelles" et celles de "Alchimie du verbe". Dans "Alchimie du verbe", le poète ne dit pas qu'il a découvert un secret de l'univers, il dit qu'il a "invent[é] la couleur des voyelles". Il parle aussi "d'inventer un verbe poétique, accessible un jour ou l'autre, à tous les sens." Rimbaud emploie le verbe "inventer" dans son sens courant. Il revendique l'initiative créatrice. En plus, nous pouvons faire correspondre certains éléments de la prose de "Alchimie du verbe" au contenu du vers 2 de "Voyelles". En effet, il est assez facile de songer à rapprocher "quelque jour" de "un jour ou l'autre". En si bon chemin, on peut donc considérer que "Je dirai quelque jours vos naissances latentes" est synonyme de deux phrases successives dans "Alchimie du verbe" : "je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens" et "Je réservais la traduction." Du coup, la phrase initiale du paragraphe consacré à "Voyelles" dans "Alchimie du verbe" : "J'inventai la couleur des voyelles !" devient l'explication du vers 1 de "Voyelles" dont elle introduit précisément une citation approximative : "- A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert." La mention des voyelles en italique est-elle le fait du manuscrit rimbaldien ou de l'imprimeur Poot ? Peu importe. En revanche, il y a ici un important problème à soulever. Pour moi, même si je serai le premier à insister sur les rapprochements terme à terme, ce que je viens d'ailleurs de faire, il y a une tension contradictoire entre le discours tenu au sein du sonnet "Voyelles" et le discours tenu dans "Alchimie du verbe". Dans "Voyelles", le poète ne dit pas qu'il invente la couleur des voyelles, il dit qu'il a identifié quelles sont les couleurs de chacune des cinq voyelles. Entre les deux idées, il y a un saut logique considérable. Dans "Voyelles", le poète constate une réalité des couleurs des voyelles qui ne vient pas de lui et il s'agit alors de désigner le Verbe divin. Dans "Alchimie du verbe", le poète se dévalorise en se faisant passer pour le pitre qui a imaginé aléatoirement mais en se prenant sottement au sérieux les couleurs des voyelles. On a déjà insisté par le passé sur le fait que dans "Alchimie du verbe", Rimbaud cite les cinq voyelles dans l'ordre et non dans celui très bien organisé de "Voyelles" avec une idée de commencement et de fin. Il n'y a plus la présidence du "Oméga" dans l'ordre prosaïque livré dans "Alchimie du verbe", l'interversion du O et du U n'est pas respectée, le U reprend sa place conclusive. C'est un indice fort pour considérer que le discours tenu dans "Alchimie du verbe" n'est pas à prendre au premier degré. L'ironie formulée dans "Alchimie du verbe" ne vaut pas lecture du sonnet "Voyelles".
C'est là que nous en arrivons à un point critique important au débat sur la poétique du voyant.
Qu'ils prennent ou non au sérieux Rimbaud dans le paragraphe ici cité de "Alchimie du verbe", les rimbaldiens en général analysent "Voyelles" en prêtant à Rimbaud un rôle d'inventeur, ce qui n'est pas du tout mon cas. Pour moi, "Le Bateau ivre" et "Voyelles" sont des comptes rendus d'expériences pleines de révélations dont les vérités ne sont pas des créations de l'auteur, mais des aperçus de la réalité.
Je ne suis pas bloqué dans ma lecture de "Voyelles" parce que je ne suis pas obnubilé par l'idée d'une méthode poétique que le poète chercherait à nous faire comprendre en écrivant ce sonnet. Ce n'est pas le cas des autres lectures du sonnet en général.
Par ailleurs, en général, les gens cultivés sont des intellectuels urbains et surtout pas des intellectuels paysans, alors que moi je suis plutôt un intellectuel paysan, et Rimbaud qui bien sûr disait pis que pendre sur ses origines et les paysans était un ardennais, un enfant élevé dans une forte mentalité paysanne, et je suis convaincu que Rimbaud, le poète admiré, a beaucoup d'un intellectuel paysan. Je suis convaincu que les gens prennent pas mal de propos de Rimbaud au premier degré ou en s'inquiétant de devoir les prendre au premier degré parce qu'ils pensent en citadins très dignes, alors qu'en fait Rimbaud ne se pose pas ses problèmes, parce qu'il peut dire des choses invraisemblables en admettant qu'elles soient passées au tamis du bon sens.
Mais, peu importe que ce que je viens de dire soit compris ou non. En gros, moi, quand je lis une phrase comme : "Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne," je n'ai pas tant de débats métaphysiques que les autres rimbaldiens. J'ai cette logique paysanne qui ressort et qui me fait dire que, dans tous les cas, les poètes ont toujours fait ainsi. J'ai cette réalité brute en moi qui me fait dire : "Mais, Rimbaud peut dire ce qu'il veut, quand il écrit un poème, déjà il obéit à l'idée d'aligner des mots de français et des phrases conformes à la logique de la langue, et qu'il fasse des allitérations ou des assonances minimales ou étoffées, qu'il se fasse une science d'une consonne placée à l'initiale d'un mot ou non, dans le principe, il n'y aura rien de nouveau théoriquement sous le soleil." Je n'ai pas cette obsession qu'il y a un truc à trouver et qu'il faut dès lors faire comme si je le savais, sauf que je vais devoir me taire pour ne pas trahir mon ignorance. Alors, il faut bien sûr songer à "Adieu", quand le poète s'avoue "Paysan". A-t-il eu des illusions précises sur ses pouvoirs de poète, sur la création par l'ordonnancement des consonnes, etc. ? Pour moi, il a eu des illusions, mais celles qu'ils formulent dans "Alchimie du verbe", je ne les prends pas du tout pour argent comptant.
Pourtant, il demeure un problème. De "Voyelles" à "Alchimie du verbe", Rimbaud passe bien d'un discours de révélations universelles à un discours d'inventeur, il passe bien de l'idée du Verbe divin à l'idée explicite d'un "verbe poétique". Il y a quand même un sujet qui reste à étudier qui est l'articulation de la prétendue découverte d'un Verbe divin à l'idée d'un verbe que le poète déploie en retour. On peut dire que, tant que le poète était dans l'illusion de ses pouvoirs, il croyait identifier une vérité qui ne venait pas de lui, qui était un ordre transcendant universel, et il s'appliquait en tant que poète à se faire l'écho de cette idée. Il va de soi que, comme Verlaine l'a dit, je considère que Rimbaud se moquait de l'idée d'une valeur scientifique du "A noir". Moi, ce qui m'intéresse, en revanche, c'est la lecture symbolique de "Voyelles" et le point de départ qu'il en fait pour penser le monde selon une certaine logique de valeurs. Mais, on peut comprendre en tout cas que dans "Alchimie du verbe", le constat que son approche était chimérique l'amène à tout assimiler à une invention personnelle qu'on persifle, alors que du temps de l'illusion ce n'est pas que Rimbaud croyait à la couleur des voyelles, mais c'est qu'il croyait qu'il avait une vision claire de l'ordre des choses qui lui faisait considérer que quand il composait un poème il dit plus de vérités qu'un Hugo, qu'un Baudelaire, qu'un philosophe, qu'un savant, etc. C'est ça que je comprends comme enjeu, mais on le voit, je me détache complètement de la lettre de ce que dit Rimbaud dans "Alchimie du verbe".
Dans "Voyelles", Rimbaud n'invente pas non plus des procédés poétiques résolument neufs, il approfondit les recours habituels. Rimbaud ne réinvente pas la logique des rimes, la logique de symétrie entre quatrains et tercets, il ne réinvente pas les métaphores, les assonances et allitérations, il ne réinvente pas les métonymies, il ne réinvente pas les juxtapositions dont tirer des enseignements implicites, etc.
C'est ce bon sens supérieur de paysan qui fait que ma lecture de "Voyelles" est très au-dessus de tout ce qu'ont jamais su faire les rimbaldiens, qui sont des citadins, des gens érudits privilégiés de ce monde déconnectés du rapport brut à la réalité.
Mais, partant de tous ces constats, de toutes ces considérations, il reste malgré tout une question ouverte du lien perceptible à la lecture de "Voyelles" entre la révélation du verbe divin et la pratique en retour par le poète d'un verbe poétique. Dans le tercet du "U vert", le mot "alchimie" commun du coup au titre de section "Alchimie du verbe" est exhibé et nous avons l'idée des "fronts studieux" avec le glissement de la vie des mers virides aux rides qui est très important, mais vraiment très important.
J'en profite pour citer, avant que ce ne soit perdu dans l'univers des idées fugaces que j'ai pu avoir, un rapprochement avec une nouvelle de Paul Morand. Je possède un recueil de nouvelles L'Europe galante dans lequel le récit intitulé "Lorenzaccio ou le retour du proscrit" m'a offert un point de comparaison inattendu avec "Voyelles". Je songe aussi à "Nocturne vulgaire" en lisant ce passage de Morand, mais je ne vais pas m'égarer et faire la citation minimale suivante : "Ses rides, représentation graphique de sa vie, le firent sourire." J'ai toujours été surpris de constater que dans le cas de "Voyelles" personne ne réagissait comme moi au calembour sensible de Rimbaud dans le passage du mot "virides" au mot "rides". Je trouve ça génial, immédiat, mais personne n'apprécie ! Vous connaissez peut-être les facéties de Victor Hugo à la rime avec dans ses Châtiments, dans le poème "On loge à la nuit" de mémoire, cette saillie où le mot "Sacre" écrit solennellement s'impose comme la transcription un peu effacée du mot "Massacre" à l'esprit du poète. Moi, quand je lis le "U vert, j'admire l'allusion au mot "vie" au vers 9 avec l'entrelacement des "v" et des "i" dont j'ai par ailleurs commenté la logique symbolique du I sang jaillissant de l'imperium humain coordonnée aux cycles naturels, et j'admire bien évidemment que "rides" soit une impression alchimique imparfaite du mot "virides" où "rides" se dépare la mention phonétique équivoque "vie". Rimbaud a employé le verbe "imprimer" ("imprime" ou "imprima" selon la version manuscrite). Or, ce calembour, personne ne le relève à ma connaissance, ni avant moi, ni après moi. Ni Reboul, ni Cornulier, ni les compilateurs, ni qui que ce soit, ni les hugoliens qui viennent faire des incursions chez les rimbaldiens. Je n'arrive pas bien à comprendre ce que vous aimez chez Rimbaud et Hugo, si vous n'arrivez pas à lire cela.
Toujours est-il que dans la lecture de "Voyelles" il y a donc une prédominance d'une relation de découverte d'un secret universel qui dans la logique fantaisiste n'est pas une création du poète, mais il reste à creuser ce que Rimbaud met d'identité personnelle dans ce sonnet. Il y a bien sûr le cas du vers 14, mais il faut surtout laisser tomber cette obnubilation critique d'un Rimbaud qui peindrait des voyelles et inventerait des images ensuite. Je pense que la part d'invention revendiquée est à la marge dans la logique fantaisiste de "Voyelles", la part d'invention est dans le fait de rendre témoignage, puis après sur le déploiement du corpus de poèmes rimbaldiens on peut aller cerner l'invention dans d'autres poèmes.
Enfin, pour parler non du verbe divin, mais du verbe poétique dans "Voyelles", il faut éviter de partir du sens premier des énoncés dans "Alchimie du verbe", il faut vraiment intellectualiser avec rigueur ce que peuvent être ou non les prétentions créatrices nouvelles du poète, et cela se jouera nécessairement au plan des idées et des récits, au plan des synthèses symboliques, à condition encore qu'elles soient articulées, que nous pourrons tirer des récits poétiques. C'est la condition pour ne pas que la critique rimbaldienne demeure dans l'impasse en ce qui concerne les ambitions du poète voyant.

samedi 25 décembre 2021

Récréation de fin d'année, un peu de "Voyelles"...

Je prépare un prochain article un peu à part. J'ai pris les poésies d'Antony Valabrègue et j'ai fait des rapprochements systématiques avec des poèmes de Rimbaud. J'ai pris ce qu'il a publié dans les deuxième et troisième tomes du Parnasse contemporain, et surtout le recueil qui a été publié en 1880. Je pourrais éventuellement faire une petite recherche de ce qu'il avait publié dans des revues. Il va de soi que des poèmes publiés en 1876 ou 1880 n'ont pas pu inspirer Rimbaud. L'idée est de me servir de ces rapprochements systématiques pour montrer à quel point Rimbaud est profondément parnassien dans ses préoccupations de poète.
Bref, c'est un article un peu original, un peu accessoire, mais intéressant quand même je pense.
Je vais aussi publier la suite de l'article "Lunettes pour 'Voyelles'". J'ai traité du "A noir", je vais passer à une revue à fond sur le "U vert". J'ai un terme clef "vibrements". Il y a quelques points dont je m'interdirai de parler, mais on va parler de la vibration comme point commun entre la couleur et la voyelle, en liaison avec l'état de la science à l'époque de Rimbaud. Et pour ceux qui ne veulent pas de cette interférence de la culture scientifique dans le poème, on va de toute façon parler d'un cliché poétique central dans la poésie du dix-neuvième siècle et dans la poésie de Rimbaud. Il faut bien comprendre que le "U vert" est celui des "cycles" de la Nature, cycles qui débouchent sur plusieurs formes de paix, puisque les cycles introduisent la stabilisation, régulation du mouvement. Les manifestations de colère du "I" avaient besoin de la régulation des cycles du "U vert", toute l'astuce de génie du vers 9 central de "Voyelles" avec l'entremêlement des "v" et des "i" formant au passage le mot "vie", ce qu'Etiemble avait sottement utilisé pour dire que Rimbaud ne pensait pas du tout aux sons des "voyelles". Il faut rebondir sur ce vers 9. Les rimbaldiens quand ils ne comprennent pas Rimbaud, au lieu d'essayer de trouver pourquoi c'est génial, systématiquement ils vont dire que c'est de la parodie et que Rimbaude, puisqu'il est nécessairement intelligent, se moque de son lecteur. Non, ce n'est pas ça ! Les rimbaldiens n'ont pas compris qu'il fallait passer au plan symbolique de la lecture des cinq voyelles. Ils ont préféré soutenir que le poème associait le "I", la couleur rouge et des images. C'est un peu comme si aujourd'hui on applaudissait un écrivain d'associer la Ferrari au "I rouge". Woah, Alphonse Rimbaud, écrivain du XXIe siècle, a eu l'idée inspirée d'associer le "I rouge" à la Ferrari. Quel génie ! quel visionnaire ! Il va de soi que les rimbaldiens se sont enferrés dans des lectures complètement idiotes, pas seulement réductrices, mais carrément sans enjeu, sans pertinence. Rimbaud, ce n'est pas du coloriage. C'est la symbolique alphabétique. Les voyelles ne sont pas les sons ou phonèmes mis à disposition de l'humanité pour parler dans le poème. Ce que dit Rimbaud, c'est que le A dont il parle et qui fait partie d'un alphabet précis qui n'est pas d'invention humaine est consubstantiellement noir, et on observe que dans le passage de la version recopiée par Verlaine à la version recopiée par Rimbaud nous sommes passés d'une structure à virgules à une structure épithétique immédiate : "A, noir" est devenu "A noir" sur les transcriptions. Autrement dit, cette évolution signifie clairement qu'il n'est pas question, comme dans le discours ambiant des rimbaldiens, que le poète propose la couleur noire, mais dans la version "A noir" Rimbaud s'assure d'éliminer l'instant où le lecteur envisagerait une invention immédiate. Quand Rimbaud dit "A noir", sans mettre de virgule, le "A noir" est antérieur à sa profération, c'est du déjà acquis, ce qui pouvait être plus flottant quand il y avait encore une virgule : "A, noir". Et Rimbaud ne colorie pas les voyelles dans son poème, il précise que le "noir" est le "A", que le "blanc" est le "E". Ce qu'il dit précisément, c'est que l'alphabet de l'univers est fait de cinq couleurs. On pourrait presque dire que "Voyelles" ne devrait pas s'appeler "Les Voyelles," mais "Les Cinq couleurs". Il y a un alphabet de cinq couleurs et si on veut une équivalence avec nos alphabets humains ce sera équivalent à nos cinq voyelles de base. Une fois que vous avez compris ça, le poème est beaucoup moins compliqué à comprendre, beaucoup moins. Et les images, il ne s'agit pas d'illustrer ce que peut être le "A noir", le "E blanc" et ainsi de suite. Non ! Rimbaud dit que quand on voit un "noir corset d'une mouche s'agitant sur un charnier" c'est du "noir" et c'est du "A", et ainsi de suite. C'est ça l'axe de compréhension du poème.
Il y a cinq couleurs fondamentales. Le "noir" est plutôt lié à un commencement d'où son lien à la lettre A, le "bleu" ou "violet" est plutôt la perspective ultime d'où son lien à l'idée de l'oméga.
Il va de soi que la lecture qui se croit maligne d'identifier que Rimbaud désigne des choses en fonction de la couleur de la voyelle est idiote. Oui, les lèvres, c'est rouge, et ainsi de suite. Et alors ? Où est le mérite poétique là-dedans ?
Il y a d'ailleurs une exception un peu particulière avec le "clairon" qui est associé au "bleu" alors que finalement il aurait bien venu en tant qu'or alchimique. C'est une idée que j'avais déjà en 2003 quand je développais l'idée que le poème de lumière décrivait un énorme lever de Soleil. Elle reste là dans un coin, car ce n'est pas un truc qu'on peut sortir ainsi dans un article. C'est le genre d'idée bâtarde dont on ne sait pas trop quoi faire.
Mais, j'en reviens au "U vert" et aux vibrations. J'ai montré le jeu formel sur l'entrelacement savant des voyelles "I" et "U" pour former l'expression de la vie au vers 9 : "U, cycles, vibrements divins des mers virides", mais je rappelle que le mot "vibrements" semble un néologisme de Théophile Gautier qui l'a employé au début de sa carrière plutôt, soit dans ses Premières poésies, soit dans le conte fantastique "La Cafetière". Gautier emploie lui-même le mot "vibrement(s)" au vers 9 d'un sonnet.
Mais ça ne s'arrête pas là.
On sait que les repères chronologiques tendent à se déplacer. Le poème "Le Bateau ivre" a été composé sans doute au début de l'année 1872 et non à Charleville avant le 15 septembre 1871. Prenez "Cocher ivre", vous ne pouvez plus dire que Rimbaud reprend le titre de son poème connu, puisque le titre "Cocher ivre" a précédé la création du "Bateau ivre", et admirez une possibilité d'investigation qui se crée au passage, puisque "Cocher ivre" s'inspire de vers d'Amédée Pommier, au plan des reprises de mots, je ne parle pas que de la longueur des vers. Prenez le dessin d'André Gill représentant Rimbaud dans une embarcation dont le feuillet a été arraché à l'Album zutique et vendu séparément. Vous ne pouvez plus dire que le dessin parodie l'auteur du "Bateau ivre", poème qui n'était peut-être pas composé à l'époque de la caricature faite par Gill dans le corps de l'Album zutique. Du coup, vous êtes invités à chercher à justifier le dessin d'André Gill qui devient une des sources de Rimbaud pour composer "Le Bateau ivre". Ce ne sont pas des renversements de perspective innocents. Si Rimbaud a composé "Le Bateau ivre" au début de l'année 1872, il a pu s'inspirer de la presse, de l'arrestation de Maroteau ou des poèmes publiés par Victor Hugo dans le journal Le Rappel à la fin de l'année 1871 ou du poème "Le Drapeau rouge" de Victor Fournel ou encore des articles sur la vie des prisonniers sur les pontons à la même fin de l'année 1871. On n'est plus dans le poème qui ne doit quasi rien à aucune source d'inspiration qui, s'il fait allusion à la Commune, ne le ferait que selon un plus maigre amas de sources possibles dans la presse écrite accessible à Charleville de juin à août 1871. On n'est plus dans le récit où Rimbaud a d'abord eu telle idée, telle métaphore, puis la presse a utilisé une métaphore similaire pour déprécier la Commune. Non, on lit alors "Le Bateau ivre" comme réponses aux mots griffus de la presse. Si "Les Mains de Jeanne-Marie" est daté de février 1872, c'est que ce n'est pas un poème écrit à chaud en mai ou juin pour dire une adhésion à la Commune, mais que c'est un poème en écho plusieurs mois après la guerre civile aux procès des femmes de la Commune, et la fierté du poème n'est pas celle rebelle de mai ou juin 1871, mais celle de quelqu'un qui réagit face aux insultes de la société triomphante, de quelqu'un qui a de la compassion pour des condamnées. Et ce changement de perspective concerne aussi "Voyelles". Dans l'Album zutique, la succession sonnet et quatrain n'est plus une allusion à la création de "Voyelles" et de "L'Etoile a pleuré rose..." C'est au contraire la copie de Verlaine qui montre que "Voyelles" et "L'Etoile a pleuré rose..." reprennent le dispositif du "Sonnet du Trou du Cul" et de "Lys" dans l'Album zutique. Il faut alors méditer sur les cibles que sont Mendès, Mérat et Silvestre, mais je ne le ferai pas ici. En revanche, la forme sonnet et quatrain a été imitée par Pelletan et Valade en vis-à-vis à la parodie de L'Idole et à la parodie de Silvestre. Et, le poème de Pelletan parle de la Nature et dans les tercets eux-mêmes parlent de vibrer, sur un mode obscène proche de "absorculèrent" dans la lettre à Laitou de 1873, mais je fais cette comparaison en tant que significative vu qu'il est question de Mère-Nature. Or, dans Credo in unam, non seulement nous avions l'idée que la Nature a une sève verte qui est comme du sang, ce qui justifie le rapprochement avec l'enchaînement de "I" à "U" dans "Voyelles", mais nous avions aussi des affirmations que tout vibre. avec l'image de l'énorme lyre, référence culturelle à l'harmonie des sphères. Dans l'image du "U vert", le mot "cycles" suppose bien évidemment l'harmonie des sphères et comme nous n'entendons pas la musique des astres nous n'entendons pas le "U" autrement qu'en le voyant vert puisque la lettre U est une couleur, pas un son.

Mais, bon, aujourd'hui, vous préférez vous vacciner avec une invention de la veille, et vous seriez capable d'utiliser Rimbaud le rebelle pour une campagne promotionnelle. Oui, avec la vaccin, rien ne se fixe sur les ovaires, oui, il n'y a pas de problèmes chez les sportifs. Oui, il y a tellement peu de remontées à vos oreilles de problèmes que vous pouvez passer sans crainte à la vaccination des enfants de cinq ans. Oui, vous n'avez pas de myocardites après deux jours, c'est que tout va bien. Un dégât sans symptôme, ce n'est pas envisageable, allons-y en confiance. Oui, vous avez une pénurie d'ivermectine qui vous empêche de faire les tests convenablement. Oui, oui, tout ce qui n'est pas Pfizer n'est pas autorisé, oui, vive l'Amérique, avec elle tout ira bien, oui, oui, et n'oubliez pas, le principal, surtout mettez bien l'oignon dans la bouche !

mercredi 15 décembre 2021

Les Assis ont la tristesse du Diable !

Le poème "Les Assis" s'inspire à l'évidence pour moi de certains poèmes de Leconte de Lisle, et j'ai dû parler dans mon article "Assiégeons Les Assis !" paru en 2008 d'une liste de modèles pour le chevauchement de la césure avec rejet du mot "dents" du vers : "Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes"...
Il va de soi que ce rejet "aux dents" est assez rare et quelque peu caractérisé. En plus, Rimbaud va l'affectionner à son tour et le déployer d'une manière différente dans "Oraison du soir" :
[...]
L'hypogastre et le col cambrés, une Gambier
Aux dents, sous l'air gonflé d'impalpables voilures.
Le poète dans "Oraison du soir" précise qu'il vit assis, ce qui fait que nous pouvons apprécier deux points communs avec les portraits satiriques des "Assis". Il est assis avec une position bizarre d'un corps décrit cliniquement : "hypogastre", "col cambrés" et il a quelque chose qu'il vient serrer contre ses dents, sa pipe Gambier. Dans "Les Assis", ce sont les genoux qui remontent aux dents.
Ce rejet de la forme "aux dents", s'il a été pratiqué par un des poètes que Rimbaud lisait assidûment, c'est que Rimbaud l'a repris à ce poète et qu'en plus le poème où nous pouvons trouver le rejet "aux dents" aura nécessairement marqué son esprit de poète.
Je ne me rappelle plus la liste que j'avais établie, mais il est un poème de Leconte de Lisle qui est remarquable à cet égard : "La Tristesse du Diable". Au lieu des "genoux", ce sont les "poings" qui montent aux dents, et l'intérêt du rapprochement est de présenter la rage des "Assis" comme une sorte de tristesse démoniaque. Le rejet de la forme "aux dents" a en plus l'intérêt de se jouer au premier vers même du poème.
Toutes les expressions du premier vers de "La Tristesse du diable" ont de l'intérêt, l'adjectif "Silencieux" se retrouve dans le dernier quintil initial d'un poème daté de juillet 1871 "L'Homme juste", poème dont le premier vers qui nous est parvenu nous parle étrangement d'un "Juste" demeurant droit et debout "sur ses hanches". Le silence caractérise aussi quelque peu les "Assis" dans le poème de ce titre, puisqu'ils dorment, rêvent et songent et s'ils jettent l'anathème le poète ne nous fait pas entendre leurs voix. Ces "Assis", en revanche, s'écoutent en train de jouer des "barcarolles" tristes, mais on ne les écoute pas. Le parallèle entre "les poings aux dents" et "les genoux au dents" avec l'allure de trimètre conférée au vers et l'enjambement de la césure est lui forcément pertinent. Mais, la mention "le dos ployé" a de l'intérêt également, puisque et dans "Les Assis" et dans "Oraison du soir", Rimbaud s'intéresse à la voûture du corps, "L'hypogastre et le col cambrés", ou bien la greffe de la fantasque ossature dans les chaises, les "reins boursouflés" dans la paille "culottée / De brun". La position même d'avoir "les genoux aux dents" permet de songer à une position au dos ployé. Rimbaud accumule les mentions participiales sinon adjectivales avec un phonème "-é" de participe passé ou non dans ses "Assis" et la tendance est nette à privilégier les mots de deux syllabes : "grêlés" et "cerclés" au sein du premier vers, "crispés", au deuxième vers, "plaqué" au vers 3. Cela se calme un temps mais nous relevons un peu plus loin "giflés" à la rime avec le suivant "boursouflés" qui passe à trois syllabes. Nous relevons "noyés", puis le mot de trois syllabes "fécondés" qui rime avec "bordés".
Mais, dans ce relevé, nous avons un autre fait intéressant qui vient s'emmêler à nos raisons de penser que Rimbaud s'est fortement inspiré du premier vers de "La Tristesse du diable", puisque si les "genoux" se sont substitués aux "poings" on constate qu'au vers 2 des "Assis", nous avons des "doigts boulus crispés" qui s'agrippent aux "fémurs", voisins des "genoux". Et le mot "poings" n'est pas en reste, puisque vers la fin du poème, après une mention en écho au titre du poème, "Rassis", ce sont les "poings" eux-mêmes qui sont "noyés dans des manchettes sales". Et, à proximité du vers comportant l'enjambement "genoux au dents", nous avons, rien moins qu'au vers suivant, une autre mention des "doigts" : "Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour".
Citons le début du poème de Leconte de Lisle :
Silencieux, les poings aux dents, le dos ployé,
Enveloppé du noir manteau de ses deux ailes,
Sur un pic hérissé de neiges éternelles,
Une nuit, s'arrêta l'antique Foudroyé.

La terre prolongeait en bas, immense et sombre,
Les continents battus par la houle des mers ;
Au-dessus flamboyait le ciel plein d'univers ;
Mais Lui ne regardait que l'abîme de l'ombre.

Il était là, dardant ses yeux ensanglantés
Dans ce gouffre où la vie amasse ses tempêtes,
Où le fourmillement des hommes et des bêtes
Pullule sous le vol des siècles irrités.

[...]

Notons que dans "Les Assis", les êtres portraiturés sont assimilés à des chaises par idée d'un prolongement de leur squelette, tandis que dans le premier quatrain de "La Tristesse du diable", les ailes de l'être maudit sont assimilées à un "manteau", logique un peu inverse, mais qui joue de manière similaire sur l'idée d'une confusion du corps avec ses appuis ou ce qui le couvre. Il va de soi que le diable est souligné par son côté sombre et noir, tout comme "Les Assis". Or, cela va plus loin dans le rapprochement, puisque le diable est noir par ses ailes qui lui sont comme un manteau, tandis que "Les Assis", déjà "Noirs de loupes" sont confondus avec les "grands squelettes noirs / De leurs chaises". Le "noir manteau des ailes" et les chaises noires prolongement des "Assis" soutiennent encore un persistant parallèle entre les deux poèmes. Pour le regard et les globes oculaires du diable, nous avons une mention des "yeux ensanglantés" et si les hargneux Assis se réfugient dans leurs rêves, notre diable est à l'écoute des "siècles irrités". Et alors que les Assis ne veulent pas qu'on les fasse lever et faire naufrage, le diable scrute "ce gouffre où la vie amasse ses tempêtes".
Satan va alors souhaiter sa fin.
Mais, ce souhait lui vient comme une révélation dans un mouvement à nouveau fort proche de celui d'une bonne partie du poème "Les Assis". Je reprends la citation du poème, là où je l'avais laissée :
[...]

Il entendait monter les hosannah serviles,
Le cri des égorgeurs, les Te Deum des rois,
L'appel désespéré des nations en croix
Et des justes râlant sur le fumier des villes.

Ce lugubre concert du mal universel,
Aussi vieux que le monde et que la race humaine,
Plus fort, plus acharné, plus ardent que sa haine,
Tourbillonnait autour du sinistre Immortel.

Il remonta d'un bond vers les temps insondables
Où sa gloire allumait le céleste matin,
Et, devant la stupide horreur de son destin,
Un grand frisson courut dans ses reins formidables.

Et se tordant les bras, et crispant ses orteils,
Lui, le premier rêveur, la plus vieille victime,
Il cria par delà l'immensité sublime
Où déferle en brûlant l'écume des soleils :

- Les monotones jours, comme une horrible pluie,
S'amassent, sans l'emplir, dans mon éternité ;
Force, orgueil, désespoir, tout n'est que vanité ;
Et la fureur me pèse, et le combat m'ennuie.

Presque autant que l'amour la haine m'a menti :
J'ai bu toute la mer des larmes infécondes.
Tombez, écrasez-moi, foudres ,monceaux des mondes !
Dans le sommeil sacré que je sois englouti !

Et les lâches heureux, et les races damnées,
Par l'espace éclatant qui n'a ni fond ni bord,
Entendront une Voix disant : Satan est mort !
Et ce sera ta fin, Œuvre des six Journées !
Voilà un intertexte que Claisse aurait aimé me piquer comme il l'a fait pour "Solvet seclum" par rappor à "Soir historique" (J'aurais dû protester, c'est vrai !). Allez, Claisse, reviens, il y a une vie après le "Solvet seclum". Il y a même encore du Leconte de Lisle !
J'avais hésité à parler du "manteau" des "ailes" en regard des vêtements et des effets "boursouflés" dans "Les Assis", mais vous apprécierez que nous retrouvons le mot "crispés" du premier quatrain des "Asssis" dans la forme participiale "crispant", forme participiale qui fait songer à "plaquant et plaquant leurs pieds tors", "pieds tors" qu'on retrouve ici dans "se tordant les bras". Pour "tordant les bras" et "crispant", je songe aussi au poème "Bénédiction" de Baudelaire, "Bénédiction" étant une source importante aux "Chercheuses de poux", ainsi que je l'ai précisé récemment, et poème "Bénédiction" qui, je le rappelle, est un poème placé significativement au tout début des Fleurs du Mal.
Notez bien qu'au début des "Assis" on a la position tordue des corps, mais qu'on a plus loin une action scénique de grande colère de leur part. Plusieurs autres rapprochements sont à envisager, par exemple je n'hésite pas à faire entrer en résonance : "larmes infécondes" et "sièges fécondés", ou "le premier rêveur" avec "ils rêvent sur leur bras" dans le même vers que "sièges fécondés" pour ceux qui suivent. Pour "Il entendait monter...", avouez que vous pensez aussi aux "Chercheuses de poux", pourtant déjà nettement liées au poème "Le Jugement de Chérubin", mais bien sûr c'est à rapprocher de "Ils 'écoutent clapoter..." et moins directement de "Et vous les écoutez..." On appréciera l'écart entre les "barcaroles tristes" qui entraînent dans des "roulis d'amour" et le "lugubre concert". Vous apprécierez l'idée d'amas dans les deux poèmes, jours contre grains. Vous apprécierez que dans les deux poèmes le mot au pluriel "soleils" apparaît. Vous apprécierez la mention des "reins formidables" parcourus d'un frisson, quand le mot "reins" revient à plusieurs reprises dans "Les Assis". Vous apprécierez que dans les deux poèmes le triste Diable et les tristes Assis souffrent à la fois de l'amour et de la haine.
On va demander à quel rimbaldien de me relayer, parce qu'ils attendent avec le couteau et la fourchette. Moi, je pêche des sources, puis il faut que je les mette directement dans leur assiette, c'est tout un art, faut surtout pas que je lance à côté. Directement dans l'assiette, il leur faut !

***

Normalement, j'avais été également intrigué par les poèmes publiés par Leconte de Lisle au sujet de la guerre franco-prussienne et cités par Rimbaud dans sa lettre à Demeny du 17 avril 187, "Le Soir d'une bataille" et "Le Sacre de Paris", j'en ai parlé dans mon article "Assiégeons Les Assis !" Je réagis vraiment tard sur "La Tristesse du diable". En plus, Leconte de Lisle, j'ai plusieurs éditions de ses recueils qui datent du dix-neuvième siècle même. Je vais reprendre ça un peu plus sérieusement.
Ah ouyi, j'allais oublier; Philippe Rocher avait fait un article très intéressant sur un aspect grammatical original très présent dans "Les Assis", l'abus de constituants détachés. Et j'ai réagi en faisant remarquer que l'antéposition de ces constituants détachés était typique de Rimbaud, car cela n'était pas du tout le cas dans les poésies de Victor Hugo, Charles Baudelaire, ni même dans celles de Leconte de Lisle, et ainsi de suite. Le début du poème "Les Assis" est plein de constituants détachés avant la mention du sujet de la phrase. Or, dans le premier quatrain de "La Tristesse du diable", nous avons trois premiers vers de constituants détachés et antéposés au sujet. Ce qui est un peu différent de Rimbaud et pourrait cacher dans un premier temps la similitude, c'est qu'au quatrième vers Leconte de Lisle a pratiqué l'inversion du verbe et du sujet. Mais cette inversion ne remet pas en cause que les trois premiers vers rassemblent des constituants détachés qui ouvrent la phrase longtemps avant la mention du sujet comme c'est le cas dans le poème de Rimbaud : "Noirs de loups, grêlés, ..." Et aussi étonnant que cela puisse sembler, c'est une configuration très rare.

mardi 14 décembre 2021

Lunettes pour "Voyelles" (partie 3 : les associations du "A noir", l'entrelacement du "i" et du "v")

J'ai hésité à appeler ma troisième sous-partie les appositions, mais mon choix final permet de ne pas m'embarrasser d'une discussion technique sur des points de grammaire.
Nous avons vu que Rimbaud désignait les "voyelles" en tant que lettres, éléments de représentation graphique de la langue, et non en tant que phonèmes, et que les cinq voyelles, avec l'idée de totalité de l'alpha à l'oméga, reprenaient à leur compte toute la symbolique de la notion d'alphabet. L'idée qu'il soit question de lettres et non de phonèmes permet notamment de prendre ses distances avec les lectures qui insistent sur la relation entre la dimension orale des voyelles et la contrepartie visuelle des couleurs, puisqu'il n'est même plus exactement question de synesthésies. Le A en tant que lettre est sur le même plan de la vision que la couleur finalement. Emilie Noulet, Peter Collier et plein d'autres développent en fonction de l'idée que les voyelles sont des phonèmes une lecture impliquant une rupture des conventions dans la relation de différents sons à différentes couleurs. Je cite Noulet et Collier, parce que le rapporteur rimbaldien officiel sur internet, Alain Bardel, parle de "sensations chromatiques éclatées" sur la page de "commentaire" qu'il consacre au poème, en supprimant l'idée de passage des voyelles aux couleurs, tandis que Noulet et Collier parle d'un "éclatement d'un tout fragile" (Noulet) et d'une "synthèse des sens" que le poème "cherche [] à faire éclater" (Collier citant ensuite l'extrait de Noulet). Mais, même dans les citations de Noulet et Collier, le lien de cet éclatement aux cinq voyelles n'a rien d'évident, et tout se passe comme s'ils ne s'en rendaient pas compte.
En gros, il y a un discours confus où on soutient que le sonnet "Voyelles" fait éclater des unités conventionnelles, mais sans parler du lien des couleurs aux voyelles. Mais si on ne parle pas du lien des couleurs aux voyelles, qu'est-ce qui est éclaté ? Je ne comprends pas.
Je cite maintenant (page 59 du bulletin n°5 de la revue Parade sauvage) le commentaire de Collier incluant la citation de Noulet. Collier vient de citer une critique du sonnet "Voyelles" par Ruchon qui fait une comparaison avec "Les Correspondances" de Baudelaire. Baudelaire offre l'exemple d'une gradation des sons aux parfums, du concret à l'idéologique, mais Ruchon reproche niaisement à Rimbaud de ne pas faire pareil et d'omettre le parfum. Au lieu de demander à Ruchon s'il a compris le projet du sonnet "Voyelles", Collier lui oppose le point de vue de Noulet sur le projet de "Voyelles" en disant que c'est ce qui s'est fait de mieux, ce qui n'a pas de sens :

Sur ce point c'est Emilie Noulet qui semble seule avoir vu l'originalité de Voyelles, poème qui au lieu de tenter de faire la synthèse des sens, cherche à la faire éclater :
Ne prétend-il pas y défaire une unité conventionnelle (celle du mot) en ses parties, les libérant de toute cohésion, leur conférant une folle et arbitraire autonomie ? Le poème n'a-t-il pas pour sujet l'éclatement d'un tout fragile en ses plus petits morceaux ? Pour thème, celui de la dispersion, de la variété, de la multiplicité ?.... Son mouvement est centrifuge (Noulet, PVR, 155).
Bien que Rimbaud ait déclaré ironiquement dans "Alchimie du Verbe" qu'il avait "inventé la couleur des voyelles", la question n'est pas réglée si simplement : le sonnet ne dit pas que l'A est noir, comme Baudelaire avait dit qu'il y avait des "parfums... verts", le sonnet dit "A noir", ce qui est autre chose. Là où Rimbaud a été le plus critiqué au sujet de son prétendu assujettissement à l'idée de synesthésie, c'est dans la notion même d'une audition des voyelles.
Collier salue une citation à laquelle, personnellement, je ne comprends rien du tout. Où y a-t-il dans le sonnet "Voyelles" une rupture de l'unité conventionnelle d'un mot ? Rimbaud cite cinq voyelles qu'il associe de manière surprenante dans un premier temps à cinq couleurs exclusives, puis dans un second temps à des images qui illustrent le potentiel symbolique de ces couleurs. Quand Collier reprend la parole, il parle du A, pas d'un mot du sonnet "Voyelles" dont l'unité conventionnelle aurait été rompue. Je ne comprends strictement rien à ce qu'a écrit : "les libérant de toute cohésion", "une folle et arbitraire autonomie", "l'éclatement d'un tout fragile en ses plus petits morceaux", tout ça, c'est du charabia ! Et c'est quoi un thème qui est à la fois celui de la dispersion, de la variété et de la multiplicité ? Est-elle payée à la ligne ? Qu'est-ce que ça veut dire : "Son mouvement est centrifuge" ?
Le premier mouvement d'associations se situe au vers 1. Tout commence par l'association d'une voyelle et d'une couleur. Cela forme un tout : cinq voyelles avec idée de totalité de l'alpha et l'oméga et une idée de totalité est applicable aux couleurs puisqu'à côté du couple noir et blanc la suite rouge vert et bleu coïncide avec les avancées fondamentales de Young, Maxwell et Helmholtz sur la théorie de la vision, l'idée d'une allusion à cette théorie est renforcée par le jeu sur l'idée d'un bleu et d'un violet interchangeables pour désigner le "O" dans le dernier tercet. En effet, Rimbaud ne dit pas qu'il existe des "A noirs" comme il existerait des "parfums verts" selon Baudelaire. Ce que dit Rimbaud, c'est que le A est fondamentalement associé à la couleur noire. Dans la copie établie par Verlaine, nous apprenons que Rimbaud optait initialement pour l'apposition, mais une apposition adjectivale, encore qu'on puisse dire le noir, le blanc, le rouge, le vert, le bleu, et qu'on puisse vu qu'il n'y a pas de déterminant devant les cinq voyelles envisager des mentions de noms sans aucun déterminant : "A, noir". Je ne sais pas si c'est l'habitude de l'autographe "A noir" qui me prédétermine ma lecture de la copie par Verlaine (ce qui ne veut pas dire que Verlaine a trahi un manuscrit antérieur de Rimbaud, je précise !) mais je n'arrive pas à lire autrement qu'en tant qu'adjectif le mot "noir" dans ce début de sonnet : "A, noir". L'idée que je perçois, c'est que la manifestation physique du "A" en ce monde passe par la couleur noire. Et il en va ainsi pour les quatre associations suivantes. Dans la version autographe, Rimbaud a fait le choix de lier les adjectifs aux voyelles, autrement dit d'en faire des épithètes, mais la mention "A noir" ainsi absolue veut bien dire que tout "A" est indissolublement lié à la couleur noire.
Alors, ici, j'en profite pour faire une autre mise au point. La grande folie des rimbaldiens depuis quelques décennies, c'est de toujours ne retenir des poésies de Rimbaud qu'une pensée appréciable au premier degré. Evidemment, par le passé, plusieurs rimbaldiens (Richer, Gengoux, etc.) ont proposé des lectures occultistes des poèmes de Rimbaud, et les lectures occultistes sont faites au premier degré. Il est normal d'évincer ces lectures, mais ce qui m'inquiète c'est qu'une lecture qui prend en compte le sens littéral du poème est elle-même taxée de croyance en une sorte de voyance métaphysique. Le poème "Aube", il faudrait se garder de le lire en prêtant au poète des pouvoirs magiques. Ou alors, il ne faut lui en prêter qu'en fonction d'une lecture ironique pour dire que Rimbaud a voulu doctement nous enseigner qu'on est vraiment idiots de croire à de telles inepties et Rimbaud rira avec l'élite de ses lecteurs de ceux qui lisent ses poèmes au premier degré pour ce qui est des envolées mystiques. Evidemment, "Voyelles" est par excellence le poème qui pose ce problème de mépris pour la lecture fantaisiste.
Mais, à un moment donné, il faut arrêter d'être tabanard. Rimbaud écrivait un poème par jour ou sinon un poème tous les trois jours, tous les cinq jours. Que sais-je ? Vous croyez naïvement que chaque poème était conçu par Rimbaud comme une révélation bouleversante sur le sens de la vie, sur le sens de la pratique poétique, sur l'actualité politique. En daubant le sens littéral des poèmes, vous faites pareil que les lectures occultistes, vous vous enfermez dans la tour d'ivoire du plus grand sérieux porté à chaque poème. Certes, Rimbaud est très sérieux, mais vous ne pouvez dégager le sérieux de ses poèmes qu'en en admettant la part de fantaisie, la part ludique, la part gratuite et aléatoire. Puis, Genette, ce n'est pas ce qu'il y a de mieux pour éveiller une sensibilité à la littérature. Quand on parle d'un poème, il faut aimer son miroitement, il faut aimer son rythme, il faut aimer sa fièvre ! C'est ça, aimer la poésie de Rimbaud, et c'est ça aller à la confrontation avec le sens de ses poèmes. Dans "Voyelles", le sens littéral implique l'alchimie par une mention explicite et il est clairement affirmé que cinq voyelles vont avec cinq couleurs précises : il faut en prendre son parti. Vous cherchez à dominer cette fantaisie, mais si vous n'êtes pas capable de dire le dernier mot du sonnet, mais acceptez qu'on développe la logique de la fantaisie. C'est en développant la logique de la fantaisie qu'on arrivera au sens ultime du poème de Rimbaud, pas en partant avec des préventions contre. Qui plus est, Collier rappelle que dans "Alchimie du Verbe" Rimbaud a "déclaré ironiquement" avoir "inventé la couleur des voyelles". Mais, ce n'est pas un mode d'emploi pour lire le sonnet "Voyelles", et surtout vous vous dites, rassurés, au moins on peut lire au premier degré l'ironie de cette phrase dans "Alchimie du Verbe", sauf que récemment j'ai fait remarquer que plusieurs formules dans "Alchimie du Verbe" faisaient écho au mémoire de Cros : J'ai mis en relation le titre "Alchimie du Verbe" et le titre du mémoire de Cros qui commence par le beau mot "Solution", j'ai mis en regard le "J'ai trouvé" d'attaque de ce mémoire avec le "J'ai inventé..." du paragraphe rimbaldien, j'ai mis en relation l'extrait "tous les phénomènes visibles" avec l'expression "tous les paysages possibles". En clair, identifier l'ironie ne suffit même pas pour être un bon lecteur de la phrase en question dans "Alchimie du Verbe" : "J'ai inventé la couleur des voyelles". Le narcissisme de Cros passe à Rimbaud, et il y a tout un parallèle à faire sur le découvreur scientifique et le poète qui mime la découverte scientifique dans le cadre ludique de la poésie. Rimbaud, et cela dès 1871, était dans une émulation face à Charles Cros et ses expériences sur la photographie en couleurs. Rimbaud cherchait à faire l'équivalent en poésie, avec une sorte de compromis bâtard, puisque le projet était à moitié sérieux, à moitié une imitation ludique. Mais, on préfère simplifier en disant que comme les couleurs ne peuvent être qu'aléatoirement associées à des voyelles, Rimbaud n'écrit son sonnet que pour se moquer. Mais, cette lecture, votre boulanger, votre boucher, votre banquier, votre plombier peuvent la faire aussi bien que vous et Rimbaud. Où est l'intérêt ? Je n'en vois aucun.
Reprenons.
Nous avons vu le cas de la première série d'associations au vers 1, nous passons aux associations de différentes images.
La coordination permet d'identifier cinq nouvelles séries d'associations, voyelle par voyelle. Et comme les voyelles sont des lettres et non des phonèmes, j'en profite pour insister sur un autre point peut-être non négligeable à la lecture. Je pense que certains lecteurs pensent que le "A" est une profération en ce monde au début du vers 3, puis pour parler comme Ruchon et Collier il y aurait une gradation progressive. Le "A" proféré deviendrait "corset", puis "golfes". Notons tout de même que Ruchon aurait préféré que l'image complexe autour du corset passe après l'image simple "Golfes d'ombre". On retrouverait l'idée de gradation pour d'autres voyelles. Le "I" serait proféré, puis se préciserait en "pourpre(s)" avec une mention de couleur altérée, puis se préciserait en "sang craché" puis en plus complexe "rire des lèvres belles / Dans la colère ou les ivresses pénitentes". Cependant, je ne vois pas de logique graduelle précise, bien définie pour passer ne fût-ce que de "sang craché" à "rire des lèvres belles". Qui plus est, l'alternative au vers 8 "Dans la colère ou les ivresses pénitentes" ne me paraît pas compatible avec une idée de gradation. L'idée de gradation reviendrait dans le cas du "U vert", avec la mention initiale d'une réalité abstraite, les "cycles", puis nous aurions une précision physique avec les "vibrements divins des mers virides", puis on passerait encore à un autre plan "Paix des pâtis"... Mais je ne ressens aucune homogénéité là-dedans, je ne perçois pas une progression par paliers. Et il suffit qu'une série ne corresponde pas à une progression bien graduée pour que le concept soit invalidé pour l'ensemble du poème.
Mais, j'en viens à l'idée des lettres à cinq reprises rapportées. Comme m'a dit un jour Jacques Bienvenu, si je regarde un arbre, le chiffre 1 n'existe pas et pourtant on utilise les nombres. Ici, dans "Voyelles", je pense qu'il y a deux types de lectures. Il y a ceux qui lisent du vers 3 au vers 14 les mentions des "voyelles" comme des manifestations physiques qui ensuite deviennent images, et il y a ceux qui considèrent qu'il y a d'un côté les cinq voyelles du côté du langage et de l'autre des images formulées bien sûr en imagination, surtout quand elles visent à la généralisation "dans la colère ou les ivresses pénitentes", mais qui sont des manifestations visuelles possibles des cinq voyelles. Moi, ce que je comprends, c'est un peu ça. On ne voit pas le chiffre 1, mais on dit qu'il y a un arbre, et le poète ne voit pas un "A" dans la Nature comme il est dans la langue et dans l'alphabet, mais il voit la lettre dans les visions imagées. Pour moi, c'est ça qu'il dit le poème, et je ne sais pas trop si cette mise au point a jamais été faite. Et pour moi, il y a une construction thème et prédicat si on peut dire, et cela qu'on veuille parler d'appositions ou de structures attributives sans verbe. Rimbaud dit le "A" et qu'est-ce que c'est le "A" ? eh bien je vais vous le dire par une série d'illustrations, par une série d'exemples.
Pour le "A", il n'y a que deux associations : "noir corset velu des mouches éclatantes / Qui bombinent autour des puanteurs cruelles" et "golfes d'ombre". J'ai énormément souligné les points importants que jamais personne ne souligne. Dans ces deux groupes nominaux, les noyaux sont "corset" et "golfes", et c'est précisément le corset de la mouche qui justifie une référence visuelle à la forme de la lettre A, et les "golfes" offrent clairement l'idée d'un angle resserré à la manière du "A" qui fait songer à deux côté avec une petite portion de cercle interne pour souligner son angle aigu. Le mot "corset" souligne l'idée d'étranglement tout comme le mot "golfe". Le "A" a déjà une valeur de commencement actée à cause de la référence à l'idée de parcours de l'alpha à l'oméga, mais il a bien ici aussi une valeur d'angle qui contraint et protège. Et j'ai déclaré que cela signifiait un commencement maternel des êtres. Mais ce commencement maternel est précisé. Les "golfes" sont "d'ombre", le "corset" est celui de "mouches", ce corset est "velu", ce "corset" est plongé dans les "puanteurs cruelles". C'est clairement une façon de redire que la vie naît du chaos, sauf que ce chaos est cette fois l'horreur et la destruction de vies antérieures. Et finalement, vous pouvez apprécier que le "A" a une connexion avec le "U vert" qui parle de "cycles", et bien évidemment j'ai déjà insisté sur la relation possible de ces "mouches éclatantes" sur un charnier avec les "pâtis semés d'animaux". J'ai souligné deux autres idées importantes en ce qui concerne le "A noir". Premièrement, j'ai insisté sur le fait que le "corset" étant le noyau de l'image ce que veut signifier Rimbaud c'est que malgré l'horreur des "puanteurs cruelles", il y a une vie qui naît ici. Il s'agit d'une polarisation inversée. Au lieu de voir le pôle d'horreur de l'image en grand il faut voir le pôle réjouissant de l'image passée au microscope. J'ai même parlé récemment que finalement le "A noir" en tant que corset était une image de salut.  Deuxièmement, le syntagme "les puanteurs cruelles" permet d'évoquer l'idée du charnier, ce qui n'est pas une situation normale. Cela peut l'être dans un safari avec des animaux carnivores, mais dans nos sociétés un charnier à ciel ouvert ne peut renvoyer qu'à la guerre. Il y a eu la guerre franco-prussienne, puis la guerre civile de la Commune. Et l'un des drames pour Rimbaud, c'est de penser la défaite de la Commune, c'est de donner du sens à la vie de tous ces gens qui sont morts, puisque Rimbaud est athée. Si le "corset" est le salut au sein du charnier, c'est que Rimbaud est en train de penser contre la "semaine sanglante". Mais comment vous faites pour ne pas comprendre ? Vous n'avez aucune intuition logique, à ce point-là ? Rimbaud compose peu de temps après "Voyelles", le poème "L'Eternité". Sans débattre du sens du poème "L'Eternité" ici, vous n'êtes quand même pas incapable de comprendre que Rimbaud veut surmonter le néant du massacre de la semaine sanglante. Rimbaud est préoccupé par la question de l'éternité, éternité qu'il rattache aux valeurs qu'il défend. Ses valeurs, il les a pas mal explicitées dans "Credo in unam".
Aucune des idées que je précise ici sur le "A noir" n'est relayée par un quelconque rimbaldien, aucune ! Pourquoi ? Qu'est-ce qui ne va pas ? Qu'est-ce que vous arrivez à dire d'autre ? Dites-le-moi. Expliquez moi le sens profond de l'association au "A" de ces deux images ! Expliquez-moi la relation étroite entre ces deux images : "noir corset velu des mouches éclatantes / Qui bombinent autour des puanteurs cruelles" et "Golfes d'ombre" ! Puisque vous êtes si forts, puisque vous savez à l'avance ce qui vaut comme lecture du sonnet et ce qui ne vaut rien, je vous prie de nous apporter vos lumières. Qu'est-ce que vous attendez ? Qu'est-ce que vous avez à dire d'intéressant ? J'attends. Mon article était très imparfait en 2003, mais tout y était déjà en germe. J'avais formulé les bases. 2003, ça fait 18 ans. En 18 ans, un bébé il devient un jeune homme. A 18 ans, il a son baccalauréat et s'il ne fait pas d'études il est peut-être déjà dans le monde du travail. La plupart d'entre vous êtes ou avez été des professeurs qui évaluent les progrès des élèves sur un an, sans s'interdire des piques sur leur niveau insuffisant. Imaginez-vous en train de leur demander ce qu'ils pensent des "poys au lard cum commento" dans Rabelais, et puis, tout d'un coup, le "A noir" surgit devant vos yeux. Le sonnet "Voyelles", nous le connaissons depuis 1883 en gros. Vous êtes tous nés avec un sonnet "Voyelles" qui était célèbre. Mais, ne prenons que 2003 comme repère, ça fait 18 ans. A quoi ça rime de prétendre conférer et débattre sur Rimbaud pendant 18 ans, pour ne rien avoir à dire du passage "noir corset velu des mouches éclatantes / Qui bombinent autour des puanteurs cruelles" et "golfes d'ombres". Alors, c'est vrai que parfois on croit pendant longtemps une chose évidente avant de se rendre compte que ce n'est rien, mais là vous n'avez rien à dire, rien à opposer, vous n'avez pas le jus pour contre-argumenter. Vous ne dites rien, vous daubez superbement. Mais ça sert à quoi que vous méditiez Rimbaud, si le dernier réflexe c'est le mutisme dédaigneux ?
Je ne comprends pas. Je ne vois pas l'intérêt de votre façon d'être rimbaldien. Je n'y vois même pas de la passion et de la vie. Je ne vois rien, un gros rien que je vois.
Et le fait que l'image soit similaire dans un poème clairement admis comme référence à la Commune "Les Mains de Jeanne-Marie", vous n'en faites rien non plus ! Je précise qu'il y a deux voies d'accès pour une référence à la Commune dans la première image du "A noir". Il y a les "puanteurs cruelles" qui amènent à identifier un charnier et à chercher quel il pourrait être dans la pensée de l'auteur. Il y a ensuite le fait qu'une image similaire soit déployée dans "Les Mains de Jeanne-Marie" avec le verbe "bombinent". Le verbe "bombiner" n'est pas réputé exister en français. En-dehors de Rimbaud, le verbe a une forme participiale "bombinant" qui nous vient de Rabelais et de ceux qui le citent régulièrement. Je pense que cette citation de Rabelais est par ailleurs intéressante à creuser, mais j'avoue ne l'avoir jamais entrepris. Je ne peux pas tout faire. Il y a évidemment aussi une question du passage du verbe "bombinare" latin au verbe français "bombiner". Mais, indépendamment de ces recherches, comment expliquer cette fin brutale de non-recevoir ? Les images similaires de "Voyelles" et "Les Mains de Jeanne-Marie" ne permettent pas d'identifier une même idée sous-jacente, circulez, il n'y a rien à voir.
Bref, moi, je n'en peux plus. Sur le "A noir", j'ai sorti un dossier en béton armé. Débrouillez-vous, vous me fatiguez !
Alors, vous allez vous réfugier derrière les synthèses qui sont en début de liaison avec la lecture symbolique que je déploie. Très bien ! Vous voulez jouer à ça ! Mais, vous n'anticipez pas qu'on va les citer ces études antérieures qui auraient dit tout ce que vous prétendrez ensuite conserver de mon discours.
Prenons Peter Collier en s'en tenant à peu près au cas du "A noir". Il dit lui-même qu'Etiemble et Noulet n'ont pas tiré toutes les conséquences de leur réfutation d'une lecture du sonnet selon le principe de l'audition colorée. Mais le fait-il lui-même ? Très tard dans son article, il écrit encore ceci (page 79) :
La puissance phonétique de l'A initial qui crée le noir se manifeste de façon plus sournoise lorsque l'U, en ouvrant sa rubrique, est submergé par une accumulation de sons I : l'U est comme nié par ces I, dès la parution du mot "cycles".
L'information défile rapidement et il y a pas mal d'idées pour partie implicites dans cette citation. Attardons-nous à en cerner le sens précis. Collier pose que le "A" s'entend phonétiquement derrière le digraphe "oi" de "noir", ce qui n'est pas discutable en soi, mais il affirme par sa formulation allusive que, d'une part, Rimbaud a fait exprès de choisir le "noir" pour l'associer au "A" à cause de l'écho invisible du phonème [a] au sein du digraphe "oi", et que, d'autre part, c'est un point essentiel de la composition du poème. Même si Rimbaud a pu faire ce choix exprès selon l'explication proposée, ce qui reste à démontrer, j'insiste bien que l'idée d'un point essentiel à la composition est un sujet distinct. Or, en affirmant que Rimbaud a fait cette liaison ostentatoire, mais qu'il ne l'a pas reconduite ensuite pour les autres voyelles, Collier développe une lecture de l'éclatement des sens. C'est à cause de cela qu'il va dire que la voyelle "A" a par le phonème [a] favorisé l'association au "noir", mais comme il n'y a plus de principe de la sorte ensuite Collier estime qu'ensuite pour le "E" l'idée du blanc a été précipitée par le "noir" et non plus par la mention de la voyelle. C'est ça la lecture éclatée que Collier que formule explicitement dans son article (page 61) :
   Ce qui me semble bien plus important, c'est qu'une fois le noir engendré par l'A, ce n'est plus la lettre qui engendre les autres couleurs, c'est le noir même qui devient producteur du blanc. L'importance respective des schémas bascule.
Quand Bardel, dans son bref "commentaire" sur son site rimbaldien (cliquer ici), écrit que l'originalité du poème est moins dans l'idée que dans le "dispositif métaphorique que cette idée permet de mettre en place, fondé sur un jet d'images disparates, génératrices d'émotions et de sensations chromatiques éclatées, tour de force poétique [...]" à proximité d'une occurrence de l'adjectif "conventionnelle" : "le caractère aléatoire de la séquence conventionnelle AEIOU", nul doute qu'il avait en mémoire une fraîche lecture de la page 59 de l'article de Peter Collier "Lire Voyelles". Bardel a repris le mot "originalité" à Collier, l'adjectif "conventionnelle" à Noulet et sa formulation "dispositif métaphorique", patin-couffin, elle est directement inspirée de l'écho que se faisait entre eux les écrits de Collier et Noulet : "la synthèse des sens, cherche à la faire éclater" pour l'un et "l'éclatement d'un tout fragile", etc., pour l'autre. Toutefois, dans la reformulation par Bardel, il y a restriction du propos, puisque "dispositif métaphorique" et "sensations chromatiques éclatées" ont une moindre étendue que les théories de l'éclatement des sens et du sens chez Collier et Noulet, et du coup on ne comprend pas bien en quoi Bardel peut prétendre identifier un "tour de force", ni même en quoi il y a véritablement un éclatement des couleurs. Mais c'est bien sûr parce qu'il s'inspire de Collier et de Noulet et croit s'inscrire dans leur continuité que Bardel croit naturel de parler d'originalité et de tour de force d'un dispositif métaphorique éclatant des couleurs. Je n'ai jamais lu directement l'article d'Emilie Noulet, mais vous voyez ce que dit Collier sur le basculement des schémas. Par inadvertance, Bardel a gommé la gageure qui justifiait le propos des prédécesseurs, à tout le moins le discours de Collier (pour celui de Noulet, je ne peux guère me prononcer). Toutefois, le discours de Collier est absurde. Collier affirme non pas la complexité du poème, mais une complication dérisoire qui permet d'éliminer les difficultés de compréhension. Rimbaud fait les choses ainsi à tel passage du moment, mais il peut changer au gré de ses envies. Moi, je n'appelle ça identifier du génie poétique.
Alors, même si j'ai annoncé que j'allais m'en tenir le plus possible au seul cas du "A noir", il m'a fallu citer une comparaison avec le cas du "U vert". Cela revient d'ailleurs à plusieurs reprises dans l'article de Collier. Collier revient sans arrêt sur des idées, ce que je ne vais pas critiquer, j'aurais tendance à faire pareil, sauf que Collier revient sur des idées, même quand il a prétendu leur avoir donné leur renvoi, ce qui fait que son article est très difficile à cerner, puisque les conclusions transitoires sont molles et ignorées plusieurs pages plus loin dans la suite de l'étude.
Mais, donc, Collier sait gré à Etiemble et Noulet (page 58) d'avoir "enterr[é] une fois pour toutes" "la théorie de l'audition colorée", tout en leur reprochant de ne pas en avoir tiré toutes les conséquences, et à la page 59 dont provient l'extrait cité plus haut dont Bardel s'est inspiré pour sa page de commentaire du sonnet "Voyelles" sur son site (passage textuellement repris en toute fin de l'entrée "Voyelles" du Dictionnaire Rimbaud de 2021, car cela a été avalisé comme la vérité vraie et vaillante qui cavale et fait frémir), vous avez donc aussi un rappel d'un argument clef d'Etiemble précisément sur le problème du "i" et du "u" :
Etiemble rend justice à Rimbaud qui de toute évidence, là encore, n'a nullement échoué, puisque le cumul de sons en "i" qui suit la lettre U (vert) ne laisse aucun doute que tel n'a pas été son but ("Cela prouve que Rimbaud ne pense jamais aux sons voyelles", Etiemble, p. 228).
Face à ce que je viens de citer, j'attends qu'on m'explique pourquoi ensuite Collier tort le coup à ce "jamais" souligné par Etiemble, en considérant que c'est quand même vrai pour le phonème [a] dans "noir" (on parlait de son à l'époque, phonème est le terme plus scientifique, mais peu importe). Collier va justifier minimalement le procédé pour le "A" en considérant qu'ensuite Rimbaud procède différemment. En gros, Collier ne retient qu'une conclusion : "Rimbaud n'était pas obnubilé par des théories de concordance entre l'audition et la perception des couleurs", et il reproche à Etiemble et Noulet de ne pas prendre acte de cette conclusion, mais Collier dans le même temps régresse par rapport au propos d'Etiemble, en disant : "oui, mais quand même, de temps en temps, il pense au son d'une voyelle pour en tirer un parti dans la création de son sonnet.
Et, là, j'arrive là-dedans comme un chien dans un jeu de quilles, ou comme Hugo tiens ! et je dis : "Pourquoi toi écurie d'Augias tu dis que Rimbaud ne pense jamais aux sons voyelles dans ce poème en se servant si mal à propos de la preuve par le vers 9 et pourquoi toi franc du collier te sers-tu si mal à propos d'une prétendue exception dans la justification des associations systématiques entre voyelles et couleurs, alors que tu as le vers 9 devant toi ? Pourquoi toujours ceux-ci devant, toujours ceux-ci derrière ?
Bon, alors, reprenons le truc. A partir du moment où "E" n'est pas dans "blanc", "I" n'est pas dans "rouge", "U", dans "vert" (encore que sous forme de consonne "v"), "O" n'est pas dans "bleu", je vous avoue que m'exciter sur la présence du phonème [a] dans "noir" ce n'est pas trop mon truc. L'importance du principe est ruinée, je ne vois pas pourquoi insister. A la limite, on peut l'envisager. On peut dire que Rimbaud trouvait très drôle que la couleur pour le "A" soit le "noir" où la lettre s'entend mais ne se voit pas. On peut penser que pour le "vert" Rimbaud trouvait très drôle d'associer le U à un mot dont l'initiale était une consonne dérivée du "U", alors que le mot "vert" ne fait pas entendre de "u", et cela irait de pair avec la réalité du jeu graphique sur le "v" dans "vibrements divins des mers virides". Mais, bon, dans tous les cas, c'est secondaire, ce n'est pas la base première des associations. C'est ça la conclusion importante. En plus, dans le cas du passage de "noir"  à "vert" et de la séquence "vibrements divins des mers virides", si c'est bien un fait exprès rimbaldien, nous sommes passés subrepticement d'un jeu ludique sur un phonème à un jeu ludique sur une lettre. Donc, cela n'est pas la peine d'essayer à tout prix de dire que Rimbaud a pensé à mentionner le "noir" à cause du phonème [a]. A un moment donné, il faut savoir lâcher prise. C'est peut-être un fait ludique, mais c'est complètement secondaire.
En revanche, penchons-nous maintenant sur le vers 9 : "U, cycles, vibrements divins des mers virides[.]" Le propos qu'on considère lumineux d'Etiemble c'est de souligner que pour définir le "U" en tant que "vert", Rimbaud fait entendre une cascade de "i", ce qu'il aurait été plus logique de faire au plan du "I". Et Etiemble considère qu'il a prouvé qu'il n'y avait pas d'allusion à l'audition colorée, pas d'allusion non plus à une justification des images et mots choisis en fonction des "sons" des voyelles correspondantes. Mais Etiemble va plus loin, il soutient que Rimbaud ne songe jamais aux sons des voyelles. Vous pourriez vous dire naïvement qu'il me rejoint en envisageant donc que Rimbaud parle des lettres graphiques de l'alphabet et non des phonèmes, mais en réalité, outre qu'Etiemble ne me semble pas clairement insister sur le primat de la référence aux lettres (après tout, après lui, personne n'a fait attention au problème, ce qui serait étonnant s'il en avait parlé), surtout le critique affirme que Rimbaud ne pense jamais aux sons voyelles. Et c'est là où je ne suis pas d'accord. Du point de vue symbolique, dans le poème, il est clair que la référence graphique aux lettres de l'alphabet prédomine, mais les lettres servent à écrire les discours des uns et des autres et sont une contrepartie visuelle à une performance orale possible. Pour le dire plus simplement, en général, le "a" vaut pour le phonème [a], le "i" pour le phonème [I], le "u" pour le phonème [y] et le "o" pour le phonème [o]. C'est plus complexe pour le e, puis il y a les digraphes (sinon trigraphes) en fort grand nombre en français : "on", "an", "un", "in", "ou", "au", "oi", "eu" (feu), "eu" (boeuf), et j'en passe. Bref, il n'est pas absurde que Rimbaud puisse songer aussi à la prononciation des voyelles qu'il égrène, et il me semble que c'est bien le cas du [I] au centre du poème. Dans les deux vers consacrés au [I], les vers 7 et 8, la voyelle "i" n'est pas tellement présente, mais ses quatre seules occurrences en tant que lettres correspondent systématiquement au phonème [I]. C'est le cas du "I" en mention, c'est le cas du "i" du monosyllabe "rire", où je suis désolé d'insister sur le superbe encadrement et relief du "i". Rimbaud a choisi un mot particulièrement expressif "rire", et le "i" y est calé entre deux occurrences de la même consonne liquide "r". Excusez du peu ! Le mot "ivresses" a un "i" à l'initiale. Et je me permets de vous faire remarquer que si on tient compte de la construction des hémistiches dans un sonnet où les assonances en fin d'hémistiches sont nombreuses, nous avons le "I" première syllabe du premier hémistiche du vers 7, le "i" de "rire" dans la première syllabe du second hémistiche du vers 7, et au vers 8, le "i" initiale de "ivresses" avec une liaison [z] suite à l'unique césure acrobatique du sonnet est lui aussi à la première syllabe d'un second hémistiche (vers 8), et je n'ai pas à insister sur la facilité de liaison thématique entre "rire" et "ivresses". Le "i" de "pénitentes'' est en revanche en milieu d'hémistiche, mais notons qu'il précède la rime "-entes" qui structure les deux quatrains. Je ne vais pas insister non plus sur la verticalité de certaines consonnes, les "t" qui ont une valeur phonétique par ailleurs, et les "l", on m'accuserait assez vite de délirer. Mais, je ne m'arrête pas là. Dans "ivresses", mot bien apprécié des amateurs du "Bateau ivre", nous avons la succession du "i" et du "v", précisément les deux lettres qui vont littéralement s'enivrer dans le poème de la mer du vers 9. Je rappelle que ça fait partie aussi des propos que je tiens depuis longtemps que le vers 9 évoque le "Poème de la Mer", encore une de mes affirmations superbement daubées. Or, j'en viens au retable d'Etiemble. Ce qu'il ne dit pas, c'est que le jeu sur le "i" qui se mêle à la description du "U vert" vient précisément après le traitement du "I rouge". On ne vous a jamais appris à ne jamais dire jamais monsieur Etiemble ? Il ne faut pas, ou alors il faut le dire trois fois comme je viens de le faire. C'est conjuratoire. Enfin, bref ! Comment ne voyez-vous pas que le vers 9 est un peu un moment de reprise articulatoire. Le tercet du "U" commence par la mention de la voyelle "U", puis nous enchaînons avec la mention "cycles" au pluriel. Dans son étude, comme beaucoup d'autres avant et après lui, Collier identifie le "y" comme un calembour qui servait à désigner le phonème [y] en grec. D'ailleurs, la graphie [u] désigne le phonème du digraphe "ou" en français, la plupart des langues du monde utilise d'ailleurs le "u" pour le phonème [u] à la manière des ancêtres latins des français. Les français, les allemands et les anglais doivent être à peu près les seuls à utiliser différemment la lettre "u". Mais bon, dans "cycles", Rimbaud évoque le "u" des grecs et joue sur le fait qu'il passe à "i" en français où il est appelé non pas "u grec qu'on prononce i", mais directement "i grec". Comme, par hasard, après "ivresses", après "cycles", Rimbaud joue sur le fait que la lettre consonne "v" est issue de la voyelle latine "u" mais aussi sur une association avec la voyelle graphique "i" prononcée [i], sinon nasalisée dans "divins" : "vibrements divins des mers virides". Bon, alors, on s'arrête, et je vous explique ce qui se passe. Ma thèse, puisque vous ne l'acceptez pas, je vais la nommer ainsi, ma thèse, dis-je ! c'est que nous avons une progression : "A noir", début de la vie dans un cadre qui pourtant semble s'y opposer, naissance donc dans une lutte et idée de création à l'intérieur d'une poche (protection maternelle de l'angle alpha du commencement), ensuite, nous avons la grâce de lumière blanche pure du E qui vient toucher l'enveloppe des êtres, et puis le "I", c'est la vie interne arrive à maturité qui rend en retour avec un don profus du sang, avec un don du rire, et donc à partir du I rouge les êtres communiquent la vie à leur tour.
Dans les tercets, nous avons le plan de la Nature mers et prés avec le U vert, puis nous avons le plan céleste offert à la méditation dans le cas du "O bleu / violet". Or, la progression du "A noir" au "I rouge" a affirmé la vie, les tercets vont la mettre en jeu dans le monde, puis dans l'univers. Pour ne pas que le sang soit dispersé en pure perte, il faut que tout cela soit cadré. Le premier mot du "U vert" qui est aussi le premier mot de la grande Nature ("mers" et "pâtis"), c'est le mot "cycles" au pluriel. Et je rappelle, parce que j'ignore à quel point vous êtes imprégné de vos lectures et relectures des poèmes de Rimbaud, que dans "Credo in unam", la "sève" de la Nature est assimilé à du sang, la Nature déborde de sang. Avec de telles considérations, il n'est donc vraiment pas compliqué de comprendre que le mélange du "i" et du "v" est un mélange cyclique du sang de vie du "I" avec le "U" de la Nature ordonnatrice. L'oscillation cyclique des "v" fait ressortir le "sang craché" : "vibrements divins des mers virides".
Il écrit des commentaires aussi poétiques que les miens sur Rimbaud, Etiemble ? Vous voulez comparer ? Vous ne trouvez pas ce que j'écris autrement exaltant que ce qu'écrivent des cohortes de pignoufs qui en dernier ressort vous annoncent qu'on n'accédera jamais à la poésie du sonnet "Voyelles" ? Ce n'est pas poétique ce que j'explique, ce n'est pas montrer qu'il y a bien un tour de force dans la composition de ce sonnet ? Vous trouvez que si Rimbaud a conçu les choses ainsi, c'est que c'est un passe-temps ridicule ?
Evidemment, le mot "vie" s'entend quelque peu dans le rythme à rebondissements de ce vers 9 : "vibrements" et "virides", à deux reprises en tête de mots qui plus est. En plus, le mot "virides" fait résonner l'idée de virilité qui s'affirme, et bien sûr le fait de mêler le sang du "I" aux images du "U vert" permet de réactiver clairement l'idée qu'il y a une sève de la Nature et qui est comme le sang pour nos organismes humains, tout cela s'inscrivant dans une continuité. Evidemment, vous ne manquerez pas de vous précipiter sur le "y", c'est la sixième voyelle que Rimbaud semble avoir écartée, mais qu'il réinvestit. Il y a "cycles" au début du premier tercet et "Yeux" en dernier mot du dernier tercet. Et les cycles c'est rond et les Yeux c'est rond aussi. Alors, ouais, je ne vais pas discuter de cette réalité dans le poème, le "y" semble créer une boucle pour les tercets, du début de vers 9 à la fin même du sonnet, mais avant de vous passionner pour cette énigme prenez en considération ce que je vous ai expliqué sur la "vie" du vers 9, sachant que la vie est aussi dans la variation en "violet" au dernier vers. Cette idée que le mot "cycles" permet une reprise du sang du "I rouge". Prenez bien la mesure de ce que cela implique quant à l'idée que Rimbaud a pensé la relation symbolique des voyelles entre elles.
Pourquoi moi j'y arrive, et vous pas ? Je ne comprends pas. C'est une énigme autrement plus troublante que le sonnet "Voyelles" lui-même. Mais vraiment !
J'en reviens au traitement du "A noir" par Collier dans son article. Page 57, je suis obligé de citer le texte que je ne comprends pas du tout, tant il est allusif :
Un Frohock par exemple laissera carrément tomber le sonnet en disant que cela n'a aucun sens (p. 133.), que nous devons tout bonnement admettre que l'A est noir et qu'il renvoie à des "fuzzy flies" (lecture pourtant extrêmement tendancieuse, qui mêle "noir corset velu" et "mouches éclatantes").
J'ignore s'il faut dire "un Frohock", des frolics, mais je ne comprends rien à ce qu'écrit Collier. La traduction de "fuzzy flies" est "mouches duveteuses" et Collier semble reprocher à Frohock de superposer "noir corset velu" et "mouches éclatantes". En gros, Collier veut dire que seul le corset est velu, pas les mouches éclatantes ! Je comprends si c'est ça qu'il veut dire, mais ça reste étrange comme reproche critique, je ne comprends pas bien. De toute façon, le "corset" est celui des mêmes "mouches", je ne vois pas trop où va le reproche. En quoi c'est extrêmement tendancieux ? Je ne pige pas.
A la page 85, bien plus loin, Collier revient sur ce problème qui l'obsède apparemment :
Même à l'intérieur de certains schémas, comme je l'ai montré pour le blanc, tout est dans les gradations - comme le prouve pour le noir le contraste entre le corset noir "velu", duveteux mais louche, et les mouches "éclatantes", stridentes et lumineuses. Tout est dans la résolution de ces contradictions virtuelles.
Je ne rêve pas. Collier oppose le "A noir" pour le "corset velu" au "A noir" pour les "mouches éclatantes". Il voit une contradiction virtuelle entre un "noir corset velu" et des "mouches éclatantes", mais dans le poème le "A noir" est le "corset", pas les "mouches éclatantes", premier point, ensuite, le "corset velu" est celui des "mouche éclatantes", ce qui veut dire que sur un même être on peut voir une partie noire et sombre et puis un ensemble noir et lumineux. Je ne vois pas où est le problème.
Ensuite, l'ensemble du poème est une célébration. Or, à aucun moment, Collier ne négocie cette difficulté au sujet du "A noir". Il relaie une évaluation symbolique de Charles Chadwick à la page 59 :
[...] La plupart des critiques reconnaissent maintenant que Rimbaud a composé une symphonie des couleurs, avec des allusions symboliques. Chadwick parle à ce propos de rapprochements affectifs, le vert paisible, le noir morbide, le blanc frais, le rouge violent.
On peut comprendre dans ce relevé que le poème va supposer une dialectique complémentaire du rouge violent et du vert paisible, ce qui se rapproche de ma démarche, sauf que vous l'avez vu je vais beaucoup plus loin, mais si on peut comprendre que les valeurs sont positives pour le vert, le blanc et même le rouge : paisible, frais et violent, car la violence peut être une ressource positive, une affirmation de soi, une rébellion, il reste que l'adjectif "morbide" pose problème. Le "A noir", ce serait le petit clin d'œil aux amateurs d'histoires horribles, anachroniquement cela serait pour inclure ceux qui consomment les films d'horreur et d'épouvante. Je ne comprends pas bien. Nous aurions une voyelle répugnante et quatre voyelles appréciables. Il est clair pourtant que ce n'est pas ce que dit le poème. Les cinq voyelles sont célébrées, et si le "A noir" suppose la confrontation à la putréfaction l'intérêt c'est de voir qu'il ne s'y confond pas. C'est ce que je fais dans ma lecture. Encore une fois, on ne pourra pas confondre ma lecture avec celle de Collier. On voit bien qu'il y a un monde entre son approche et la mienne.
Les rimbaldiens ont décidé que non, je ne dirais pas plus que Collier, ce qui les dispenserait de me citer. Bien, là, vous allez le retour analytique de ma part, je déclare que vous avez des problèmes de compétence en tant que lecteurs. Qu'allez-vous me répondre ? Et surtout qu'allez-vous répondre à la postérité ? Parce qu'un jour il y aura des gens qui liront sans passion toutes les études et ils risquent de faire les conclusions qui sont contraignantes d'un point de vue logique, non ?
Evidemment, Collier aggrave l'idée de Chadwick, puisque Collier suppose que le noir et le blanc sont l'absence de vie. Il n'y a pas de mention de l'oeuf dans le sonnet "Voyelles", mais en gros j'insiste depuis dix-huit ans pour dire à peu près ceci, le "A noir", c'est ce qui est materné à l'intérieur de l'oeuf, et le blanc c'est l'éclat sur la coquille au point d'éclore, et le I rouge c'est l'animal dont les veines sont formées et qui explosent de vie, et qui parfois en saigne. Les cycles de la Nature vont recadrer les saignements. Pour Collier, il en reste à la surface, page 60 : le noir c'est "mort ou corruption", le blanc c'est "pureté ou absence de vie". Je suis désolé, mais le "A noir" c'est le corset qui est dans les puanteurs cruelles, pas les puanteurs cruelles elles-mêmes on dirait. C'est bien "corset" le noyau du rapprochement, les "puanteurs cruelles" c'est un complément circonstanciel. On peut le supprimer, la construction reste correcte : "noir corset velu des mouches éclatantes qui bombinent" ou "noir corset velu des mouches". Faites vos choix. Le "E blanc" serait l'absence de vie. Vous m'expliquez en ce cas le choix du mot "vapeurs" qui permet d'évoquer des "haleines" au plan de la Nature. Vous m'expliquez les "frissons d'ombelles" ? Sur la copie faite par Verlaine, mais aussi sur le premier état de la version autographe, il y avait deux occurrences du mot "frissons", poncif romantique lié à la Nature s'il en est, rien qu'au plan du "E blanc". C'est ça une absence de vie ? Les "Lances des glaciers fiers", vous avez où une absence de vie, vous avez soit l'élan des lances, soit une qualité morale avec "fiers" ! Pour "rois blancs", on en parlera plus tard, mais quand on songe à "Credo in unam" où l'Homme est roi en affirmant sa vie, je suis désolé, on ne part pas sur des bases évidentes pour dire que le "E blanc" correspondrait à l'absence de vie.
Vous commencez à voir le problème ?
C'est certain qu'à d'autres moments Collier va vous dire que le "A" c'est "tout l'univers naissant" (page 68), il a seulement oublié de stabiliser sa lecture. La naissance est admise quand on parle du "A" comme première lettre de l'alphabet, mais jamais quand on parle des images associées au "A noir" qui sont spécifiquement répugnantes, dignes du clin d'œil à "Une charogne" de Baudelaire, avec tout ce que cela suppose de théorie pédante sur la modernité du laid qui peut être beau, avec la surenchère de la charogne baudelairienne qui enfonce Hugo (le slogan "Le beau, c'est le laid" lui était associé dans la caricature). Pour moi, ce n'est pas ça, le "A noir", ce n'est pas ce que je lis.
Bon, je vais arrêter là. Il y a sans doute des citations que j'avais l'intention de faire qui sont passées à la trappe, mais je travaille sans notes. On reprendra ça très prochainement.