vendredi 25 juin 2021

Sur les manuscrits des 'Illuminations', un sort définitif fait ici à la pagination !!!

La partie paginée des manuscrits des Illuminations peut être consultée sur le site Gallica de la BNF.

Lien pour consulter la suite paginée de feuillets manuscrits des 'Illuminations'

Peut-on parler d'un manuscrit des Illuminations ? Non, il s'agit d'une appellation tendancieuse. Il faut parler d'un ensemble de feuillets manuscrits dont la délimitation exhaustive pose problème : il nous manque le ou les manuscrits de transcription des deux poèmes "Démocratie" et "Dévotion", comme nous ignorons s'il fallait joindre à l'ensemble d'autres poèmes en prose inconnus, voire un dossier de poèmes en vers "seconde manière". Je ne trancherai pas le sujet de l'appartenance ou non des vers "seconde manière", je constate simplement que jamais il n'a été prouvé que le recueil devait les exclure. Une suspension de jugement est ici nécessaire. Enfin, même encore à l'heure actuelle, l'ensemble des manuscrits qui permettent de transcrire l'intégralité du recueil de poèmes en prose Illuminations, tel que nous le connaissons aujourd'hui, est dispersé en plusieurs endroits différents. Tous les manuscrits ne sont pas rassemblés dans un même dossier, ni en un même lieu de conservation.
Une part non négligeable des poèmes admis comme appartenant au recueil Illuminations (ou Les Illuminations, peu importe !) figurent sur des feuillets volants qui, quand ils ont été paginés, l'ont été nécessairement par les éditeurs.
Il y a donc un problème d'imposture à parler de recueil des Illuminations, à partir d'une partie paginée, puisque Rimbaud n'était pas un idiot : il savait pertinemment que les manuscrits pouvaient tomber par terre et que l'ensemble assez conséquent de feuillets non paginés n'aurait pas repris le même ordre de défilement. Si Rimbaud avait voulu paginer un recueil, il ne se serait pas arrêté à la page 24 pour laisser aux aléas de la première distribution d'éditeur venu le sort des poèmes que n'auraient pas ordonnés une table de sommaire ou une pagination menée à terme.
Parler de recueil des Illuminations, au sens fort du mot recueil, n'a aucun sens.
Or, Jacques Bienvenu a cité un témoignage d'époque de Fénéon dans la presse (7-14 octobre 1886), où il est question de donner "un ordre logique" à des "chiffons volants", ce qui laisse bien penser que la pagination des Illuminations n'est pas de Rimbaud lui-même, et dans son ouvrage Poétique du fragment André Guyaux a souligné un fait capital : la suite paginée des manuscrits des Illuminations coïncide avec la sélection des pièces fournies dans les numéros 5 et 6 de la revue La Vogue.
Il ne faut pas avoir le nez bien fin pour comprendre que la pagination des 23 feuillets en 24 pages vient non pas de Rimbaud lui-même, mais de la revue La Vogue. Cette pagination parcellaire correspond aux premières étapes de publication et par conséquent à une publication partielle des manuscrits rimbaldiens sous le titre Illuminations. Rimbaud n'avait, lui, en revanche, aucun raison d'arrêter la pagination. Les feuillets des poèmes "Mouvement", "Guerre", "Bottom" ou "Génie" nous sont bien parvenus. On ne va pas nous faire croire que Rimbaud n'avait plus assez d'encre pour achever de paginer les feuillets. Pire, il n'avait plus ni encre, ni crayon, selon certains experts. Rimbaud n'avait même plus moyen d'écrire un sommaire pour son recueil. "La dèche, moi, je vous dis, la dèche !"
Au passage, faisons remarquer que dans le cas de la suite de 24 pages (décidément !) de poèmes en vers "première manière" établie par Verlaine, la situation est différente. Nous avons un ensemble de titres de poèmes que Verlaine avait l'intention d'ajouter à l'ensemble, et il n'a pu le faire faute de manuscrits sous la main, ce qui est prouvé par deux faits. Il n'a pas reporté le nombre de vers pour les poèmes manquants et effectivement aucun manuscrit de ces poèmes ne nous est parvenu par la voie de Forain et Millanvoye visiblement. Ce cas de figure permet déjà d'exclure que l'ensemble de 24 pages de poèmes en vers "première manière" (cas à part de "Tête de faune") corresponde à un recueil, puisque cela n'a aucun sens d'imaginer que les transcriptions manquantes coïncident avec la fin d'un recueil projeté. D'une part, le dossier de 24 pages a eu des remaniements dans les cas des "Mains de Jeanne-Marie" et de "L'Homme juste", à quoi ajouter que la table disons "de sommaire" trahit l'ordre établi par la suite paginée, et, d'autre part, il faudrait imaginer que Rimbaud qui, quand il était à Paris, était fourré avec Verlaine, délivrait les dossiers de poèmes au compte-gouttes. Il est tellement plus logique de considérer que la suite de 24 pages a un caractère aléatoire, car elle ne correspond qu'à ce que Verlaine avait sous la main. Pour parler comme Pascal : "Les manuscrits manquants, Verlaine les aurait eus sous la main, l'ordre de la suite paginée eût été différent." En revanche, ici, on en revient toujours à ce constat que plein de feuillets nous sont parvenus qui n'ont pas été paginés par Rimbaud. Ce n'est pas en attribuant à Rimbaud la pagination des 24 pages qu'on pourra parler de recueil des Illuminations. C'est un fait acquis.

Précisons que pour bien étudier la question de la pagination des manuscrits admis comme faisant partie des Illuminations il convient d'étudier la pagination, quand il y en a une, des feuillets de transcriptions de poèmes en vers "seconde manière". Il convient d'étudier la pagination des autres feuillets manuscrits où sont transcrits des poèmes en prose. Il convient également d'étudier quand c'est possible les dossiers préparatoires des éditeurs.

Mais, revenons-en à la pagination des 23 feuillets en 24 pages pour ce qui est des Illuminations.
Il va de soi que si nous refusons de considérer la convergence de certains faits il devient loisible dans l'absolu d'imaginer toutes les possibilités. Pierre a pu écrite un 1) sur le premier feuillet, Paul un 2), Muriel un 3), Stéphanie un 4), et ainsi de suite. Ou on peut imaginer que les chiffres 1 à 24 sont le fait d'une seule personne, et que le repassage de 1 à 9 est d'une personne distincte qui a fait cela par pure caprice.
Mais observons bien les manuscrits. Vous allez voir qu'on ne leur fait pas dire ainsi ce qu'on veut.

Bien avant de publier une étude en deux parties sur "La pagination des Illuminations", Jacques Bienvenu a publié sur son blog Rimbaud ivre un article "Les ouvrières des 'Illuminations' " qui remettait en avant un fait qui jusque-là souffrait du plus grand silence des commentateurs. Loin d'être sacrés, les manuscrits ont été salopés tant et plus par les éditeurs de La Vogue. Il y a plein d'inscriptions ajoutées aux manuscrits, et bien sûr ces mentions de noms des ouvrières et du nombre de lignes qu'elles avaient effectuées.
Les mentions "Marie" et "54 lignes" font nettement tache. Elles gênent la relecture des lignes de poésie en prose sublime de Rimbaud, rien que ça ! Et c'est pareil pour le nom de "M Grandsire" sur le feuillet du poème "Après le Déluge". Et il faut ajouter la transcription au crayon bleu "Neuf Elzevir", on ne peut plus clairement liée à un projet de mise sous presse.

Il faut donc bien s'imprégner de l'idée que pour les éditeurs de La Vogue, ouvrières et direction (peu importe !), les manuscrits n'ont pas eu cette aura sacrée que nous pouvons leur prêter de nos jours. C'était un texte à imprimer, point ! Les gens s'en sont servis comme de brouillons ! Aujourd'hui, les écrivains conservent sans doute précieusement tous leurs brouillons pour être étudiés à l'Université dans 300 ans. Mais, Hugo, Rimbaud, Verlaine et les autres, ils ne pensaient pas du tout ainsi. Nous sommes heureux quand nous pouvons étudier la genèse de leurs recueils, mais en général ces documents ne nous sont pas parvenus. Il faut quand même en être un tant soit peu conscient.

Et si nous venons de parler de la composition des lignes à imprimer par les ouvrières, il faut préciser que les titres sont eux en majuscules avec un émargement particulier.
Or, si l'essentiel de la pagination est au crayon (puisque seuls les feuillets 12 et 18 sont directement numérotés à l'encre, tandis que les chiffres 1 à 9, repassés à l'encre, furent donc initialement établis au crayon), considérons maintenant que le crayon a également été employé sur les feuillets manuscrits pour dégager les titres. Il faut bien comprendre que la démarche tendancieuse de maints rimbaldiens, c'est de prétendre que le crayon a été utilisé par Rimbaud pour la pagination, tandis qu'on concédera que le crayon a pu être utilisé par l'équipe éditoriale de la revue La Vogue. Il y a une action d'enfumage à nier la convergence des interventions au crayon de bois sur les feuillets manuscrits. C'est ça, le problème !

Voici les spécificités qu'il convient d'observer en ce qui concerne l'usage du crayon.

Nous avons un premier ensemble de 9 pages, avec une pagination de 1 à 9 qui a pour constante le report du chiffre de la pagination dans le coin supérieur droit du recto du feuillet manuscrit, avec à chaque fois une sorte d'encerclement à angle droit du chiffre. Je vous laisse vérifier la présence de cette forme à angle droit sur les fac-similés, j'emploierai par défaut l'ouverture de parenthèse  : (1, (2, (3, (4, (5, (6, (7, (8, (9. Ce sont les neuf chiffres qui ont été repassés à l'encre. Or, au crayon toujours, la signature "Arthur Rimbaud" apparaît tout en bas du feuillet paginé 9, signature qui correspond très précisément à celle qui figure à la fin de transcription des poèmes dans le numéro 5 de la livraison de la revue La Vogue, à une exception près sur laquelle nous reviendrons qui est que le numéro 5 de la revue contient les transcriptions des 14 premières pages de la suite paginée, et donc la signature "Arthur Rimbaud" figure à la suite du texte imprimé du poème "Ornières" dans le numéro 5 de la revue La Vogue, page 161.

Nota Bene : je précise lourdement, pour ceux qui veulent vérifier par eux-mêmes, que le dossier du site Gallica de la BNF dont j'ai mis le lien plus haut et dont je remets le lien "ici" fait se succéder plusieurs documents avec à la suite des 24 pages manuscrites toute la partie imprimée des poèmes des Illuminations dans la livraison numéro 5 de la revue La Vogue. Le dossier du site Gallica a sa pagination propre. Le fac-similé des feuillets manuscrits, qui inclut la photographie des versos, va de la numérotation 5r à la numérotation 27v, tandis que le fac-similé des pages consacrées à la transcription des Illuminations dans le numéro 5 de la revue La Vogue va de la numérotation 28r à celle 36r. Vous pouvez même apprécier le verso du feuillet paginé 9 et ses salissures dont il va être question plus loin (référence 13v) !

En clair, le repassage à l'encre des neuf premiers chiffres coïncide avec une mention finale ajoutée au crayon au bas du feuillet paginé 9 "Arthur Rimbaud", mention au crayon qui correspond à une précision du nom de l'auteur des poèmes en question telle qu'attendue lors de la publication, et telle qu'attestée par la publication effective dans la livraison numéro 5 de la revue La Vogue. Un troisième élément converge avec les deux faits précédents. Dans Poétique du fragment, André Guyaux avait fait remarquer que le verso demeuré vierge du feuillet paginé 9 était jauni, maculé de traces digitales, comme s'il avait été la "couverture" externe d'une liasse de feuillets. Enfin, il y a un quatrième fait convergent. Des pages 1 à 9, les titres des poèmes sont flanqués de crochets au crayon. Nous avons des doubles crochets pour tous les titres des 6 premières pages, puis un simple crochet initial pour tous les titres des pages 7 à 9. En revanche, des pages 10 à 14, les titres ne sont pas dégagés par des crochets. Notons toutefois que dans l'opération, la mention "xxx" bien ponctuée en tant que titre par Rimbaud lui-même à la suite de "Being Beauteous" n'a du coup pas été identifiée comme un titre par la revue La Vogue, ce qui explique son traitement en tant que second paragraphe du poème "Being Beauteous" dans la livraison numéro 5 de la revue.
Il est clair que les mentions au crayon coïncident systématiquement avec la publication des textes de cette suite paginée dans les livraisons numéros 5 et 6 de la revue La Vogue. Le numéro 5 contient les transcriptions des quatorze premières pages, le numéro 6 contient les transcriptions des pages 15 à 24.
Nous constatons que la signature "Arthur Rimbaud" au bas de la page 9 correspond à la signature prévue par la revue à la fin des transcriptions dans une seule livraison. Nous constatons que cette mention "Arthur Rimbaud" coïncide avec une usure significative du verso du feuillet paginé 9.
Nous constatons que pour les pages 1 à 9 tous les titres sont dégagés par des crochets. Nous constatons que pour les pages 10 à 14 aucun titre n'est souligné par des crochets. Nous constatons enfin que pour les pages 15 à 24 tous les titres sont encerclés au crayon, sauf le titre "Fête d'hiver" qui va connaître un sort similaire à celui de "Les Ponts" au sein de la série des titres non démarqués des pages manuscrites 10 à 14. Ces deux titres ont précisément été oubliés dans les versions imprimées, ce qui fait que le texte de "Les Ponts" devient la suite du poème intitulé "Ouvriers" et le texte de "Fête d'hiver" la suite du poème intitulé "Marine". Il faut ajouter le problème d'identification de la valeur de titre des trois croix pour "Ô la face cendrée...", car les trois croix sont bien suivies d'un point, procédé d'époque utilisé notamment par Lemerre pour les titres de recueils "Les Lèvres closes.", et procédé que Rimbaud utilise pour le titre "Les Lèvres closes." dans l'Album zutique justement, mais aussi pour nombre de titres de ses poèmes en vers. Nous avons donc des preuves irréfutables que les crochets et les encerclements servaient, à l'équipe de mise sous presse de la revue La Vogue, à identifier les titres au sein de la liasse manuscrite afin de leur réserver un traitement particulier. Les titres des feuillets paginés 10 à 14 ne sont pas accompagnés de crochets et ils ne sont pas non plus encerclés. Nous avons les preuves manifestes que c'est la revue elle-même qui a créé une unité de neuf premières pages à publier avant de décider d'allonger la publication dans la livraison numéro 5 aux cinq pages manuscrites suivantes. C'est bien sûr l'équipe de La Vogue qui a repassé à l'encre les chiffres des neuf premières pages, sans doute avant d'enchaîner avec la préparation des cinq pages suivantes. Le fait que les titres ne soient pas soulignés est un indice supplémentaire d'un ajout fait à la hâte.
Mais il est clair également que toutes les interventions au crayon sur la suite paginée de 24 pages viennent de la revue La Vogue. Je ne peux pas étudier les différences d'encre et l'opposition systématique du crayon et de l'encre sur des fac-similés. Toutefois, il faut arrêter avec la mauvaise foi de prétendre que Rimbaud a paginé lui-même ce dossier au crayon et que tout le reste des interventions au crayon vient de la revue La Vogue. Les interventions au crayon concernent très précisément la mise en relief des titres par des crochets ou des encerclements, la mise en relief de la reprise de la publication à la page 15 avec les mentions "A" et "1er", la signature d'une fin de série transcrite avec la mention "Arthur Rimbaud" au bas de la page 9.
Par quelle coïncidence miraculeuse, l'équipe de La Vogue aurait différencié le soulignement des titres à partir des pages 10 et 15 ? La mention "1er" au crayon figure à la page 15. Les titres encerclés courent de la page 15 à la page 24. Les titres flanqués de crochets courent de la page 1 à 9 avec la mention de fin provisoire toujours au crayon "Arthur Rimbaud" au bas de la page 9.
Les mentions au crayon pour les numéros de page vont de pair avec les méthodes de soulignement des titres, avec les méthodes de mise en relief de la signature "Arthur Rimbaud" spécifique à la revue au vu de la livraison numéro 5, avec les méthodes de la revue pour attaquer un ensemble de manuscrits : mention au crayon bleu "Neuf Elzevir" sur le feuillet paginé 1, mention "A" et "1er" sur le feuillet paginé 15.
Ce n'est pas tout ! Les mentions au crayon coïncident avec des éléments que les ouvrières n'ont pas eu à composer. Les ouvrières n'avaient pas à composer les numéros des pages pour les feuillets, puisque cela ne correspondait pas aux pages de la revue. Elles n'ont pas eu non plus à composer le nom "Arthur Rimbaud" au bas de la transcription de "Royauté", puisqu'avec la rallonge celle-ci a été reportée à la suite de la transcription du poème "Ornières" ! Elles n'ont pas eu à composer les crochets devant les titres. Nous avons donc des mentions au crayon pour guider le travail des ouvrières, mais l'emploi du crayon permet de rappeler que ces mentions ne font pas partie du texte, cas à part de la mention Arthur Rimbaud au bas de la page 9. A cette aune, nous pouvons comprendre que les chiffres repassés à l'encre correspondent au travail déjà effectué, l'avertissement de la simple transcription au crayon n'a plus lieu d'être.
Notre raisonnement a commencé à être développé dans la seconde partie de l'article de Bienvenu : "La pagination des Illuminations" (lien pour consulter cette suite d'article), mais il convenait encore d'imposer aux lecteurs de s'attarder au détail de cette importante configuration d'ensemble des manuscrits.
Dans ce qui suit, nous allons rappeler toutes les mentions qui sont flanquées sur le corps manuscrit des différents feuillets paginés. Nous reportons systématiquement les titres des poèmes de Rimbaud, en y adjoignant le cas particulier des trois croix pour "Ô la face cendrée", mais nous ne mentionnerons pas les chiffres romains I, II, III, IV ou V pour "Enfance", "Vies" et "Veillées". En revanche, nous mentionnons toutes les interventions au crayon et, outre quelques remarques en passant, nous relevons aussi les mentions manuscrites des ouvrières et du nombre de lignes qu'elles revendiquent avoir effectuées quand il y a lieu. Pour précision, ces lignes correspondent approximativement aux nombres de lignes des textes imprimés, mais comme il y a des approximations nous nous réservons de revenir sur le sujet ultérieurement. Ce qui est important, c'est de constater qu'en général les ouvrières se voient confiées deux pages manuscrites à la composition. On comprend en ce cas la nécessité de numéroter les feuillets. Une ouvrière s'occupe du feuillet paginé 1 ("Après le Déluge"), une autre s'occupe des feuillets paginés 2 et 3, une autre des feuillets paginés 4 et 5, et à peu près ainsi de suite. On constate que pour le feuillet paginé 21 au recto et 22 au verso il a coïncidé avec le fait d'être confié à une unique ouvrière "Mme Grandisre", celle-là même qui s'est déjà occupée du feuillet paginé 1 particulier contenant "Après le Déluge".
Je dois encore effectuer quelques vérifications, car on peut constater que la séparation des feuillets paginés 2 et 3 et des feuillets paginés 4 et 5 correspond à une séparation entre une personne qui compose "Enfance" pour ses parties I, II et III et une personne qui compose "Enfance" pour ses parties IV et V, avec transcription de "Conte" en supplément. C'est bien ce qui semble s'être passé et ce sera assez facile à évaluer avec les précisions en nombres de lignes de la plupart des ouvrières.
Enfin, cerise sur le gâteau !!!
Pourquoi à votre avis la revue La Vogue a-t-elle bien pu décider d'allonger la quantité de transcriptions pour la livraison numéro 5 ?
La transcription "Arthur Rimbaud" au crayon figure à la suite du texte manuscrit de "Royauté". Or, reportez-vous à sa transcription imprimée dans la revue. Le poème figure au haut de la page 156 et le poème "A une Raison" est venu s'insérer sans problème à sa suite au bas de la même page 156. Toutefois, dans la précipitation, comme aucun titre n'a été mis préalablement entre crochets pour les pages 10 à 14, le titre "Les Ponts" a été oublié dans la suite des transcriptions hâtivement ajoutées. Une nouvelle erreur se produira quand Mme Grandsire ne transcrira pas le titre "Fête d'hiver", le seul à ne pas avoir été correctement encerclé pour la série de poèmes des pages 15 à 24, signe que les titres étaient préparés à part. Nous n'imaginons pas Madame Grandsire se dire que le titre n'est pas souligné, donc elle ne le met pas, d'autant plus que s'il n'était pas souligné elle aurait plutôt dû le confondre avec une ligne de texte du poème "Marine".
En clair, il est bel et bien prouvé que la pagination des manuscrits vient de la revue La Vogue. Si vous ne comprenez pas, relisez cet article autant de fois que nécessaire.
Je ne doute pas que la mauvaise foi de quelques-uns peut aller très loin. Par exemple, ils vont sans doute bientôt exploiter qu'à partir de la page 9 il y a une autre coïncidence les titres "A une Raison" et "Matinée d'ivresse" ne sont pas ponctués et, comme cette ponctuation était le fait de Rimbaud lui-même, il faudrait voir cela comme une convergence décisive avec l'absence de crochets. Non ! Il faut arrêter les âneries et hiérarchiser correctement les informations. Bien sûr que les coïncidences existent et qu'il y en a, mais dans le cas présent nous avons une correspondance d'organisation systématique entre les interventions au crayon pour les titres et les interventions au crayon et à l'encre pour la pagination, et cette convergence est systématiquement renforcée par des correspondances exactes avec les publications des livraisons dans les numéros 5 et 6 de la revue La Vogue, comme avec l'usure du verso du feuillet paginé 9.
Par chance, il semble généralement admis que l'unité des feuillets 11 et 12 est bâtarde pour créer une prétendue suite intitulée "Phrases". Reste donc le cas de la suite "Veillées" avec les feuillets paginés 18 et 19.
Eh bien, nous avons la preuve que les éditeurs ne se gênaient pas pour envisager des remaniements, puisque sur un feuillet manuscrit qui n'appartient pas à notre suite paginée la partie "IV" de "Jeunesse" qui n'a pas de titre autonome a été flanquée du titre "Veillées" par une main inconnue. L'acte n'est pas allé à son terme, mais nous avons bien frôlé le démembrement de "Jeunesse" réduit à trois parties au profit d'un ensemble "Veillées" en quatre parties. La mention "veillées" sur le manuscrit de "Jeunesse IV" est, rappelons-le, d'une main inconnue !!! L'écriture de Rimbaud n'a pas été identifiée, ni celle de Nouveau, sans compter que ce ne serait pas très malin de leur part de considérer cela comme une consigne, vu qu'elle n'a pas été suivie d'effet et même jusqu'à présent n'a jamais été prise au sérieux.

Voici donc une représentation synthétique des informations qui permettent d'affirmer que la pagination fut le fait de la revue La Vogue et non de Rimbaud lui-même.

(1
<Après le Déluge.> M Grandsire Neuf Elzevir [Note : Rimbaud avait ajouté au-dessus de la première ligne le mot "après" qui semble avoir été biffé par une intervention des éditeurs de La Vogue ! La plupart des éditeurs rétablissent cette mention "après", mais je ne peux pas en débattre ici.]
(2
<Enfance.> M Eugénie / mention pâlie au crayon dans le coin supérieur droit "50)", je suppose que c'est le nombre de lignes composées que l'ouvrière revendique et qui implique la transcription des pages 2 et 3.
(3
(4 M Walther (?) mention au crayon en haut de la page "64 lig[nes]", ce qui correspondrait aux lignes revendiquées pour les pages 4 et 5.
(5
<Conte.>
(6
<Parade.>
Melle Marie 54 lignes
(7
<Antique.
<Being Beauteous.
<xxx.
(8
<Vies.
M[°] Jeanne 59 lignes.
(9
<Départ.
<Royauté.
Mention au crayon en bas de page : "Arthur Rimbaud"
(10
A une Raison
Matinée d'ivresse
(11
12/
(13 [Les biffé] Ouvriers
Les Ponts
(14
Ville.
Ornières.
(15
[II biffé par surimpression apparemment du titre final] Villes (sur le manuscrit, titre encerclé au crayon, j'utilise le soulignement à défaut)
Mme Tavernier [9 n 2 (?)]
En haut de cette page 15, nous avons des mentions que je suppose au crayon, un A encerclé et un chiffre ordinal "1er" lui aussi encerclé à la manière du titre "Villes". Ce poème est en effet le premier en tant qu'il ouvre la série des poèmes en prose de Rimbaud transcrits dans la livraison numéro 6 de la revue La Vogue. En effet, il ne faut pas conclure trop vite que "1er" signifie que nous avons le premier des deux poèmes intitulés "Villes" au pluriel.
(16
Vagabonds. (soulignement vaut titre encerclé au crayon sur le manuscrit)
Villes (idem) Note complémentaire le chiffre I a été biffé. Les chiffres I et II pour les deux "Villes" ont été biffés à l'encre par Rimbaud et Nouveau eux-mêmes lors de la transcription des poèmes sur les feuillets.
(17
Mme Walther (?)
18/
Veillées. (titre encerclé au crayon)
Une page fraîchement composée est tombée sur le feuillet manuscrit, page qui contenait la fin de transcription du texte précédent "Villes" (fin du feuillet paginé 17) et le début de transcription de la partie I de "Veillées".
(19
Titre initial biffé par une intervention inconnue, encre très foncée visiblement : "Veillée." Ce titre a été remplacé par un chiffre romain III à l'encre très foncée également. Le titre biffé n'a pas été encerclé, ni le "III", les chiffres romains n'étant jamais identifiés comme des titres sur l'ensemble des feuillets manuscrits.
Melle Jeanne [5?]7 lignes. Une vérification est à faire pour le nombre de lignes revendiquées 37 57 87 ou 97 ?
Mystique. (titre encerclé au crayon)
Aube. (titre encerclé au crayon)
(20
Fleurs. (titre encerclé au crayon)
(21
Mme Grandsire
Nocturne vulgaire. (titre encerclé au crayon)
!!!! 22) la mention chiffrée de la pagination est reportée à gauche sur le manuscrit, sachant qu'il s'agit par exception du verso du feuillet paginé 21. C'est l'unique feuillet avec transcription au recto et au verso de la suite paginée.
Marine. (titre encerclé au crayon
Fête d'hiver. (sans entrer dans les détails d'une analyse compliquée du manuscrit, le titre est suivi d'un point allongé qui le confirme en tant que titre, procédé rimbaldien qui n'est pas systématique mais fréquent pour les poèmes en prose comme pour les poèmes en vers. Le titre n'a pas été encerclé, et il va précisément manquer dans la transcription imprimée qui donne "Marine" et le texte de "Fête d'hiver" comme un seul poème, malgré des différences formelles criantes, "Marine" étant un candidat bien connu à l'identification du vers libre).
(23
Melle Marie [7?]4 lignes, chiffre à établir et vérifier.
Angoisse. (titre encerclé au crayon)
Métropolitain. (titre encerclé au crayon)
!!! 24) nouvelle exception, la page est mentionné à gauche sur le manuscrit, par manque de place sur le côté droit.
!!! Verso non paginé du feuillet 24) : nous avons une transcription biffée sans titre et avec des variantes du premier paragraphe de "Enfance I".

Bien évidemment, il reste d'autres questions à traiter. La suite paginée correspond, pour l'essentiel, à un ensemble de feuillets manuscrits d'un même format avec le cas particulier du verso du feuillet paginé 24 qui contient une version biffée du début de "Enfance I", sachant que ce feuillet est en plus abîmé.
Toutefois, si la pagination n'est pas de Rimbaud, l'ordre de transcription n'a donc pas force de loi, c'est un premier constat. Ensuite, Verlaine n'a jamais protesté, et en 1886 il y a eu deux éditions concurrentes avec des poèmes distribués dans deux ordres différents. J'insiste ! Verlaine n'a protesté contre aucun des deux ordres, alors qu'il est mort plusieurs années après, sans manquer d'écrire à plusieurs reprises sur Rimbaud. Verlaine n'a pas protesté non plus au sujet du mélange des vers avec les poèmes en prose. Et je ne parle pas ici que du problème du mélange des vers avec la prose, car si Verlaine avait perçu l'ensemble des feuillets des poèmes en prose comme un recueil, et s'il avait constaté la présence d'une pagination auctoriale, il aurait pu définitivement dénoncer le mélange des vers avec les proses et dénoncer l'ordre final de défilement des poèmes dans le livre des Illuminations lui-même ! Pour Verlaine, si le mélange des vers et de la prose est accepté, c'est que, dans son esprit, il n'y a pas une unité de recueil pour les seuls poèmes en prose.
Et qu'il y ait eu plusieurs personnes pour écrire les chiffres, que tel chiffre puisse ressembler vaguement à l'écriture de Rimbaud, tel autre non, ce n'est pas le sujet. Qu'un chiffre ne puisse pas ressembler à sa façon d'écrire, le 7 barré, ça c'est important, cela prouve qu'il ne peut avoir écrit lui-même ce chiffre, mais jusqu'à plus ample informé personne n'est en mesure de prouver qu'un chiffre ne peut avoir été formé que par sa seule main. L'intelligence, c'est de connaître les arguments qui ont un poids, et d'identifier les approches argumentatives dont on ne peut rien faire. Et l'intelligence, c'est aussi de s'affronter à la pression convergente des faits manuscrits. Et là, c'est accablant !
La pagination de ces manuscrits ne vient pas de Rimbaud, c'est prouvé par tout ce qui précède. Nous remarquons que ceux qui veulent penser autrement se gardent bien de commenter par le menu avec leurs objections le détail serré de notre argumentation. Ils se contentent de dire que la revue La Vogue a repassé à l'encre neuf chiffres et ils ne font pas cas des autres interventions au crayon sur les manuscrits. Et ils n'ont aucune explication globale cohérente pour concilier tous les faits.
Maintenant, nous allons tout de même apporter un complément en commentant l'insertion de feuillets d'un format différent dans une suite de feuillets homogènes. Ce sera l'objet d'un prochain article qui permettra de méditer à nouveaux frais sur l'état des manuscrits des Illuminations.

Post scriptum :

Je vais aussi préciser ceci.
Pour ce qui est de savoir se remettre en cause, je précise que je me suis opposé avec sincérité à l'attribution du sonnet "Poison perdu" à Rimbaud avant de changer d'avis. Pour la pagination, d'autant plus que je n'avais pas lu directement l'article de Steve Murphy dans la revue Histoires littéraires en 2001, je partageais le sentiment d'évidence de nombreux rimbaldiens que la pagination était de Rimbaud et que c'était nécessairement lui qui avait remanié les feuillets pour établir la suite des trois "Veillées". Quand Jacques Bienvenu, le premier, a mis en doute cette pagination, j'ai résisté, et même si aujourd'hui je peaufine l'analyse il a vu avant moi que l'analyse de Murphy n'était pas fiable.
Ceux qui ne se remettent pas en cause, on peut les identifier, je n'en fais visiblement pas partie...

dimanche 20 juin 2021

Zutisme, Métrique et fin de mon compte rendu "Le Châtiment des Tartuffes" sur le Dictionnaire Rimbaud 2021

On le voit, les choses se mettent en place.
Il paraît que les gens n'aiment pas trop qu'on se cite et se mette en avant. Dans mon compte rendu du Dictionnaire 2021, j'ai pourtant habilement négocié le problème en précisant que si je ne me citais pas il ne restait pas grand-chose à citer sur ces vingt dernières en fait d'analyse des dossiers de manuscrits : prétendu "Recueil Demeny" (où je ne peux citer que Guyaux en appui, mais avec des études moins fouillées), prétendu "Recueil Verlaine" (où je suis à peu près seul), prétendue pagination et organisation d'un recueil de poèmes en prose par Rimbaud lui-même (où je suis en collaboration avec Bienvenu), Album zutique (où Bernard Teyssèdre a capté à son profit mon travail, et un travail qui plus est publié avant le sien). Sur l'établissement des textes de Rimbaud, en-dehors des nouveaux textes ou des manuscrits enfin accessibles, là encore, il n'est pas évident de citer une autre personne que moi pour ces vingt dernières années : "Paris se repeuple", "L'Homme juste", la coquille "outils" pour "autels". Je suis aussi à citer pour une réévaluation de l'attribution d'un dizain entre Verlaine et Rimbaud.
On va passer aux commentaires des poèmes, chantier par chantier si on peut dire : vers première manière, vers seconde manière, poèmes en prose et récit d'Une saison en enfer.
Pour rappel, au sujet du livre Une saison en enfer, j'ai lancé un site que j'ai laissé en plan mais qui contient plusieurs importantes mises au point.


Mais, avant de clore cette recension, je vais sans doute faire deux autres articles à part, de manière à n'en garder que la synthèse épurée quand je ferai la fin de recension du Dictionnaire 2021.
Quand j'ai épinglé le rôle important dans les publications rimbaldiennes de Yann Frémy, j'ai oublié de citer le volume dans la collection Quarto réunissant les œuvres complètes de Rimbaud à celles de Verlaine. Mais, au sujet de l'Album zutique, j'ai oublié aussi de préciser que les éditions Classiques Garnier ont publié un ouvrage de Denis Saint-Amand Sociologie du Zutisme avec une préface qui annonce cet ouvrage comme quelque chose d'exceptionnel et d'une envergure jamais atteinte au sujet de l'Album zutique, et il faut ajouter qu'avec Daniel Grojnowski Denis Saint-Amand a publié au Livre de poche une édition annotée de l'Album zutique et des Dixains réalistes, autant de publications qui étoffent le discours sur Rimbaud et ses amis d'un temps après le livre du foutoir zutique de Bernard Teyssèdre et après le volume collectif La Poésie jubilatoire. On le sait, les poèmes zutiques et le Zutisme ont fait l'objet de plusieurs articles dans les Dictionnaires Rimbaud de 2014 et 2021.
Or, je vais énumérer des conclusions qu'on vous répète et qui sont en contradiction avec ce que je développe dans mes articles, puisque je ne peux admettre que par la quantité qu'on met par-dessus mon travail on filtre mes résultats pour imposer ensuite des vues que rien ne légitime.
Il y a ensuite le problème de la versification.
Il y a un problème. Dans le Dictionnaire Rimbaud de 2021, Benoît de Cornulier publie l'article sur ce sujet en tant que spécialiste admis. Mais, dans ses conclusions, il y a une part qui me revient, et je vais un peu déterminer ce qu'il s'est passé chronologiquement dans l'histoire du rimbaldisme et de la métricométrie. En gros, tout se passe comme si Cornulier avait tout dit en 1980-1982, sachant qu'il y a tout de même déjà le problème de l'antériorité de Jacques Roubaud. En clair, à quoi a servi la carrière de quarante ans de Cornulier si en 2021 il ne s'agit que de formuler les conclusions de 1980 à un plus haut degré de finesse linguistique ?
Il y a eu en réalité une révolution de la compréhension métrique dans les années 2000, révolution dont je suis le principal moteur. Mon discours est celui de la lecture forcée de la césure, discours dont Cornulier ne cesse de se rapprocher, et ponctuellement Philippe Rocher dans l'un de ses articles de la revue Parade sauvage. Certes, Cornulier a révisé de lui-même son point de vue sur les trimètres suite à la révélation de la leçon "rios" et non "rives" sur le manuscrit des "Poètes de sept ans", et peu de gens, sans doute y compris parmi les métriciens, ont compris l'importance de l'article de Cornulier sur "Ma Bohême", puisque l'étude porte sur l'ensemble du poème et seulement ponctuellement sur son avant-dernier vers. Dans cet article, Cornulier remet en cause l'idée que le trimètre puisse être une compensation naturelle à l'alexandrin classique quand sa césure est chahutée. Nous étions alors en 2006. E, 2006, cela fait trois-quatre ans que j'ai attaqué les questions métriques et parallèlement à cet article sur "Ma Bohême", j'avais déjà attaqué la prétendue pertinence des semi-ternaires dans les études de Cornulier et Gouvard, sujet qui n'a jamais été remis sur la table, mais qui pose véritablement problème. Ensuite, j'avais formulé une loi qui est quand même capitale, c'est que si la césure au milieu de l'alexandrin (pour parler familièrement) est chahutée, comment admettre alors la compensation par un trimètre qui permet automatiquement des règles plus souples dans son découpage.
Prenons précisément l'avant-dernier vers de "Ma Bohême" :
Comme des lyres, je tirais les élastiques
Pour les lecteurs de la fin du vingtième siècle et même du début du vingt-et-unième siècle, ce vers que je viens de citer passe pour un trimètre, puisqu'on ne peut pas faire de césure après "je" en principe. Il faudrait le découper familièrement ainsi : "Comme des ly/res, je tirais / les élastiques". Cornulier consentait auparavant à cette possibilité, puisque dans "Les Poètes de sept ans" tel qu'il était imprimé à l'époque, nous avions le vers suivant :
Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait
La césure classique était rendue discutable par la finale syllabique de "rives". On se reportait alors sur une lecture compensatoire en trimètre : "Forêts, soleils, / rives, sava/nes ! - Il s'aidait", lecture non justifiée historiquement, mais qu'on admettait en théorie.
En réalité, on aurait pu très bien en rester à l'analyse d'une césure audacieusement chahutée sans envisager la compensation en trimètre, mais peu importe pour ce qu'il s'est passé ensuite.
Vers 1998, la révélation du manuscrit a permis de corriger la coquille "rives" pour la leçon manuscrite correcte "rios". Du coup, il faut comprendre la correction en chaîne dans l'approche théorique, correction qui est un point majeur de l'étude de Cornulier sur "Ma Bohême" dans son article de 2006. En effet, le vers des "Poètes de sept ans" ne pose plus de problème d'identification de la césure, c'est un alexandrin normal, sans nul besoin d'un recours au trimètre :
Forêts, soleils, rios, savanes ! - Il s'aidait
Les choses vont même plus loin. Dans ce vers corrigé, il apparaît même enfin que la lecture en trimètre est insoutenable face à la lecture binaire, puisque le mot "savanes" est mangé à la seconde césure de l'hypothétique trimètre. Dans son article sur "Ma Bohême", paru dans un numéro spécial de la revue Littératures dirigé par Yves Reboul, Cornulier disait explicitement qu'il renonçait désormais à cette idée de compensation spontanée en trimètre, voire semi-ternaire. Il n'y renonce pas complètement, mais cela nous mènerait trop loin pour l'instant. Et l'avant-dernier vers si particulier de "Ma Bohême" lui permettait d'illustrer par un commentaire de cas la nouveauté de son approche. La césure spectaculaire était bien placée après le pronom "Je", sachant qu'un autre sonnet de cette époque la pratique ("Au cabaret-vert"). Il ne fallait même pas envisager la compensation "Comme des ly/res, je tirais / les élastiques", mais simplement admettre l'audacieuse mise en relief du "Je" : "Comme des lyres, JE / tirais les élastiques". A la même époque, je publiais dans le numéro 5 des Cahiers du Centre d'études métriques de Nantes dirigé par Cornulier, mon article "Ecarts métriques d'un Bateau ivre", mais je ne l'ai pas sous la main. En revanche, je prétends de toute façon que dès cette époque je ciblais avec précision un autre défaut important de la théorie de la compensation spontanée en trimètre.
Vous avez vu que dans les deux exemples ci-dessus la théorie compensatoire tolère le découpage au milieu d'un mot à condition que la syllabe finale isolée dans l'opération soit construite autour d'un "e" instable : "lyres" et "savanes". Vous avez noté que la partie "/res" de "lyres" était rejetée dans le deuxième membre du trimètre et que la partie "/nes" de "savanes" l'était dans le troisième membre d'un autre alexandrin. Peu importe que vous préfériez un découpage "lyr/es" et "savan/es" à un découpage "ly/res" et "sava/nes", là n'est pas le problème. Dans tous les cas, le "e" instable final d'un mot est reconduit dans l'hémistiche ou "tiers-stiche" suivant. Pour les plus inattentifs, je rappelle que "rives" n'est pas concerné. Dans son cas, le problème était plutôt que le "e" était devant la césure.
On peut tout un temps s'en sortir quelque peu en hiérarchisant les audaces. Par exemple, dans le cas de la correction du vers des "Poètes de sept ans", on comprend bien que l'audace du "e" instable devant la césure "rives" est considérée comme plus grave que l'audace du "e" instable de fin de mot cédé au membre métrique suivant. En revanche, ce dernier fait est évidemment inférieur au parfait découpage séparant bien la distribution des mots d'un hémistiche à l'autre.
Toutefois, le cas du vers de "Ma Bohême" montre que cette hiérarchisation rencontre très vite des cas peu évidents. Qu'est-ce qui est le plus dérangeant, le pronom "Je" devant la césure ou l'espèce de quasi enjambement dans une structure en trimètre (donc en "tiers-stiches") du "e" final de "lyres", avec intuitivement découpage du mot en deux dans deux membres métriques distincts ?
Quelque part, la hiérarchisation s'est inversée sans raison profonde dans le discours de Cornulier. Ou plutôt l'argument qui a inversé la hiérarchisation n'est pas sur le même plan. Rimbaud ne compensait pas spontanément les césures normales entravées par le recours aux trimètres. L'argument n'est que là, et il y a une inévitable résistance résiduelle. Or, mon argument pour résoudre la difficulté, c'est que le trimètre n'a jamais eu ce rôle pleinement compensatoire qu'on lui prête avant l'extrême fin du dix-neuvième siècle. Ni Rimbaud, ni Hugo, ni Verlaine ne composaient d'authentiques trimètres. Et mon argument se fonde sur un autre, c'est que, si Rimbaud et Hugo ne pratiquent jamais l'enjambement de la césure normale par le "e" final d'un mot, type de la césure à l'italienne, comment pourrait-on dire que ponctuellement un vers difficile à analyse en alexandrin serait un trimètre tolérant des césures à l'italienne ?
J'explique autrement. Nous avons des dizaines de milliers de vers que nous découpons spontanément en deux hémistiches de six syllabes. De temps en temps, le découpage se passe mal, mais cela fait peut-être 0,1% sinon 1%. Dans ces cas-là, notre cerveau lirait spontanément des trimètres, mais tout aussi spontanément il admettrait une règle de perception plus souple que celle admise pour les plus de 99% d'alexandrins restants. Il est plus simple de considérer que si un esprit de poète français du XIXe siècle répugne à la césure à l'italienne dans la configuration normale de l'alexandrin en deux hémistiches, ce n'est pas pour la trouver plus naturelle dans un trimètre qui aura en prime le tort d'être isolé dans le poème. Pour qu'il y ait césure de trimètre à part entière, il faut que les lois de composition de la césure soit identique à celle de la césure traditionnelle.
En clair, le trimètre est une réalité dans la poésie du dix-neuvième siècle, mais le découpage du trimètre est une suggestion qui ne se met jamais sur le même plan que le découpage métrique d'ensemble du poème. Cornulier approchait déjà de cette conclusion, mais on voit que l'ère du trimètre autonome se referme avec d'un côté l'article sur "Ma Bohême" et la leçon du vers corrigé des "Poètes de sept ans" et de l'autre côté mes arguments sur l'anomalie de différenciation qualitative des césures selon qu'on parle du découpage binaire ou ternaire.
Je précise que l'idée de la lecture du trimètre autonome et même du semi-ternaire autonome a fini par s'imposer. Vous comprenez bien que les lecteurs admettant les lectures en trimètres et semi-ternaires, quand ils vont composer des vers, ils vont spontanément créer des trimètres autonomes et des semi-ternaires autonomes. Je prétends avoir identifier l'émergence du phénomène dans les années 1890, mais ceci demanderait d'étudier bien des vers de seconde zone, des vers du tout-venant, car l'aberration a proliféré sur ce lit-là, et bien sûr Philippe Martinon était lui-même contaminé par les pratiques de son époque et croyait pouvoir les identifier rétroactivement dans les vers d'Hugo, Rimbaud et d'autres. C'est un sujet métrique qui serait digne d'une thèse. Et, combattant jusqu'au bout l'idée du semi-ternaire, je précise que j'ai exhibé tel vers : "Adrien, que je redise encore une fois!" qui est un véritable pavé dans la mare pour Cornulier et Gouvard, car je suis loin, immensément loin de prendre pour argent comptant les propos et "démonstrations" de Cornulier et Gouvard sur la prégnance du semi-ternaire compensatoire tels que développés dans Théorie du vers (1982) et Critique du vers (publication d'une thèse, donc attention à la datation exacte).
Mais, cela ne s'arrête pas là. Dans Théorie du vers, Cornulier dénonce comme aberrant le mélange aléatoire des mesures dans un poème, mais les césures dans "Tête de faune" étant fortement chahutées, il n'y en a pas moins un consensus autour d'une idée lancée par Cornulier et renforcée par Philippe Rocher, selon laquelle "Tête de faune" passe d'un mètre à l'autre quatrain par quatrain, mais approximativement. Nous glisserions pour ces décasyllabes d'un hémistiche de quatre et six syllabes à deux hémistiches de cinq syllabes et enfin à la succession d'hémistiches de six et quatre syllabes, mais cela ne se ferait même pas clairement quatrain par quatrain. Je le dis depuis longtemps déjà : les trois quatrains de "Tête de faune" n'ont qu'une seule mesure, celle d'une succession d'hémistiches de quatre et six syllabes, et cette lecture a même le mérite d'offrir moins de chahut que le consensus actuel sur un déplacement de la césure. J'ai passé mon temps à observer les mesures des vers seconde manière supposant en principe une césure. J'ai souligné des harmonisations évidentes qui permettaient de souligner que la césure normale était chahutée, et cette organisation n'a de sens que si on admet que la césure habituelle doit être identifiée. Seuls les vers de onze syllabes résistent quelque peu à l'analyse. Or, tout cela dans le Dictionnaire 2021, Cornulier le définit enfin comme une possibilité de lecture. Mais, moi, je réclame mes antériorités. Parce que dans le cadre imposé, on a une primauté de Cornulier acquise depuis 1982, puis les travaux de Bobillot, Rocher ou moi sont d'office des sortes de démonstrations de disciples qui ont bien compris, mais sans plus, donc autant de choses qui n'ont pas de raison d'exister, et les articles de Cornulier depuis 1982 ne seraient eux-mêmes qu'une caisse de résonance des conclusions définitives de 1982. Il me semble que dans les années 1990, Cornulier a écrit sur les décasyllabes de Verlaine en parlant de variation de césure et de "n'importe quoi" métrique. De quand date le fait que les métriciens, Cornulier, Bobillot ou d'autres, parlent pour "Crimen amoris" d'un poème en vers de onze syllabes dont la césure est systématiquement après la quatrième syllabe. J'ai bien précisé "systématiquement", car c'est mon analyse sur le sujet et cela se distingue d'écrits où la césure est admise comme une tendance majoritaire.
Alors, on pourra toujours dire que dès le départ il y a eu l'application d'un principe de précaution consistant à ne pas exclure la lecture des poèmes en forçant les césures, un principe de précaution consistant à ne pas écarter la possibilité qu'un jour une césure fixe soit identifiée dans tel ou tel poème, mais il n'en reste pas moins que depuis très longtemps je dis que dans les poèmes de Verlaine et dans les poèmes de Rimbaud la lecture de la césure doit être forcée, et qu'il y a même des indices d'organisation dans le poème qui montrent par le chahut autour que paradoxalement le poète en a tenu compte. Cela, je le revendique comme mon apport propre, et je vais travailler à dégager des dates et des arguments clefs, et je vais montrer aussi ce qui était dit avant mes interventions. Il y a déjà eu une affaire Teyssèdre, donc vous comprenez bien que je ne vais pas accepter qu'en 2027 on attribue à Cornulier ou à un autre ce que je dis depuis 2009 ou je ne sais pas (faut que je vérifie tout point par point), et qu'on dise que moi, je suis en importance le quatorzième métricien, mais ma lecture n'est pas indispensable, puisqu'une fois qu'on a lu la thèse métrique principale le reste est accessoire, il faut seulement lire deux, trois métriciens de premier plan, le reste n'étant que pour les "geeks".
Non, il n'en est pas question, ça ne va pas marcher ainsi. Et évidemment ce que vous constatez, c'est que je joue un rôle de premier plan sur l'Album zutique, sur la définition en tant que recueils ou non de divers dossiers manuscrits, sur l'établissement de textes de Rimbaud à partir des manuscrits depuis longtemps détenus, mais j'occupe encore une place primordiale dans le fait d'identifier des strophes dans les poèmes de Rimbaud pour rapprocher cela de modèles anciens et en tirer de précieuses informations, mais là, au plan métrique, et cela va au-delà du seul cas d'Arthur Rimbaud, j'occupe une place encore prépondérante. Vous commencez à voir les limites de la réplique agacée des rimbaldiens qui vont se plaindre de mon nombril qui réclamerait sans cesse sa part. On va parler du livre Une saison en enfer, on va parler de "Voyelles", on va parler du commentaire des poèmes. On va voir que là encore j'occupe du terrain. Et pour les poèmes en prose en tant que forme, mais, à des rimbaldiens secondaires, Raybaud et Arouimi, j'ai repris l'idée des répétitions de mots organisées en réseaux dans les poèmes. Cela n'est pas repris par Michel Murat dans L'Art de Rimbaud, il s'agit pourtant d'un critère formel applicable à la plupart de ces poèmes en prose, avec quelques raffinements à la clef. Qui plus est, comme ce principe est exploité par Rimbaud dans ses poèmes en vers, cela crée un argument auquel personne n'a pensé, sauf moi qui l'ai dit sur ce blog, pour contrer la thèse selon laquelle les poèmes en prose auraient été composés par Germain Nouveau. On dit que rien n'est plus subjectif que l'analyse du style, mais là on a un argument factuel pour exclure Germain Nouveau et montrer que les poèmes en prose des Illuminations témoignent de méthodes de compositions rarissimes propres à Rimbaud. Et ce n'est pas tout. Tout en précisant, parce que moi au moins j'ai un certain seuil d'honnêteté intellectuelle j'ai longtemps combattu l'attribution de "Poison perdu" à Rimbaud au profit de Nouveau, il se trouve que cet argument formel permet pourtant à la fin de constater qu'il a une organisation des répétitions de mots selon un principe rimbaldien qui n'apparaît jamais dans les poèmes de Germain Nouveau. Au passage, il y aurait quelques trucs à redire sur l'article de Lhermelier "Poison perdu" dans le Dictionnaire Rimbaud 2021. Le rapprochement qu'il opère avec des sonnets du recueil Sagesse de Verlaine est intéressant, mais, peut-être l'ai-je lu rapidement, il y a des anomalies chronologiques et même deux, trois trucs qui n'allaient pas.
Enfin bref, à suivre, en espérant que je reprenne un jour ce que j'étais en train de faire en janvier-février sur Mendès, Banville et compagnie.

Post scriptum : tout de suite après avoir mis en ligne l'article, je suis allé consulter le site d'Alain Bardel. Il vient de mettre en ligne un article qu'il croit habilement pouvoir intitulé "L'hypothèse la plus vraisemblable..." Il y maintient aveuglément, c'est le mot, la thèse d'une pagination des poèmes en prose par Rimbaud lui-même. Je n'ai pas lu sa prose, je l'ai juste survolée rapidement. On sait que Bardel n'est pas un interlocuteur valable, c'est un maréchal-des-logis et il veut marcher sur les pas d'un officier supérieur qui n'est ni Murat, ni Claisse, mais Murphy, voilà tout.
Sur cette pagination, vous observez que se maintient le silence radio de Murphy, lequel continue pourtant de publier en 2021 des articles tant sur Rimbaud que sur Verlaine (cinq entrées dans le Dictionnaire Rimbaud 2021 et un article au sommaire du nouveau numéro de la Revue Verlaine). C'est la je ne sais quantième intervention de Bardel sur le sujet. Pourquoi n'avons-nous pas droit à la réponse argumentée de Murphy lui-même ? On peut d'ailleurs supposer qu'il a des contacts par courriels avec Bardel, dans la mesure où ils ont collaboré au même dictionnaire, dans la mesure où c'est un fait connu que Murphy a relu pas mal des articles de Bardel avant publication. Michel Murat n'a pas affronté pleinement le sujet non plus, mais il a évité d'affirmer que Murphy avait raison comme il le faisait auparavant.
Quel interlocuteur valable va-t-il enfin s'exprimer sur le sujet de la pagination en lieu et place de Bardel ?
Evidemment, l'évolution n'est pas actée outre-mesure. On constate bien une fragilisation des certitudes sur cette pagination prétendue de la main de Rimbaud.
Enfin, dans ce nouvel article, Bardel ne cite qu'à la marge l'opposition et il ne se penche pas sur l'argumentation développée. Bardel discute l'argumentation de Murat, mais ne fait qu'allusion à l'article en deux parties de 2012.
Bardel concède que les protes de la revue La Vogue ont repassé à l'encre la pagination au crayon des neuf premières pages. C'est génial, les raisonnements à la Bardel ! Ils ont fait ça et ils n'ont fait que ça ! Evidemment, Bardel ne se pose à aucun moment la question des titres des poèmes dégagés par des crochets, doubles crochets ou entourés, ce qui va bien sûr de pair avec la question du repassage des numéros pour les feuillets 1 à 9, ce qui permet de comprendre pourquoi cela implique une extension jusqu'à la page 14 en fonction de la publication de la première livraison de poèmes en prose dans La Vogue, pourquoi cela implique la prise en considération de la signature "Arthur Rimbaud". Bardel n'a rien compris à la démonstration de 2012, rien du tout, et pour la simple et bonne raison qu'il refuse de prendre en compte la contre-argumentation dans toute son étendue.
Yves Reboul, Michel Murat, Steve Murphy, Jean-Pierre Bobillot, ça ne vous dirait pas d'écrire un courriel personnel à Bardel pour lui dire d'arrêter de raconter des âneries sur la pagination des manuscrits des poèmes en prose des Illuminations, que l'idée d'un procédé de la main de Rimbaud est morte et enterrée depuis 2012 et que les publications ne servent qu'à établir un écran de fumée le temps que le monde rimbaldien puisse digérer la chose ? Moi, à votre place, c'est ce que je ferais.
Je ferai un sort plus tard au présent article de Bardel. Je pense que la plupart des rimbaldiens, après ma recension au sujet du Dictionnaire 2021, ont compris qu'il posait tout de même problème. On notera que Yves Reboul quand il parle de Bardel, y compris dans les réponses mises en ligne par Bardel lui-même sur son site, se plaint nettement du caractère obtus de cet ami des études rimbaldiennes (géniale, cette périphrase : brevetée, adoptée !)

mercredi 16 juin 2021

Château de Saint-Cloud et Courrier(s) des Ardennes 14-16 oct. 1870

Il me fallait travailler à une petite mise au point provisoire au sujet du château de Saint-Cloud incendié par les prussiens le 14 octobre 1870.
Dans le Courrier des Ardennes du samedi 15 octobre 1870, il en est assez peu dit sur les combats du côté de Saint-Cloud et rien sur l'incendie du château lui-même.

Le "Bulletin du Jour" parle des prétentions de Bismarck sur l'Alsace et la Lorraine, en faisant remarquer qu'il n'est plus question toutefois de Soissons. Et dans le "post scriptum", voici tout ce qui est dit sur Saint-Cloud : "L'ennemi est entré à Orléans, mardi soir. Vendredi, il a subi un grave échec, à St-Cloud et a dû se replier sur Versailles. Une lettre personnelle arrivée par ballon monté nous mande que les Prussiens n'ont pas réussi à établir une seule batterie sous Paris." La même information est répétée dans le "bulletin télégraphique" : "[...] au sud-ouest, on leur a enlevé le bas Meudon et St-Cloud, les refoulant sur Versailles."
En page 2, dans la deuxième colonne, nous avons une petite rubrique "La Commune de Paris" où il est question de Delescluze :

   M. Delescluze est le promoteur le plus ardent, peut-être, de l'idée de faire élire immédiatement, par la population, la commune de Paris.
   Dans le Réveil, il ne cesse de développer les motifs qui conseillent, d'après lui, la constitution du pouvoir nouveau.
   Nous sommes donc heureux de reproduire les lignes suivantes dans lesquelles se trouve appréciée avec autant de modération que de force la manifestation faite hier devant l'Hôtel-de-Ville, par cinq bataillons de la garde nationale :
   "La démarche faite hier à l'Hôtel-de-Ville par les bataillons de Belleville est regrettable, nous n'hésitons pas à le dire.
   "D'autre part, les manifestations armées semblent toujours porter avec elles la menace d'un appel à la violence, lors même que la pensée qui les a déterminées en est le plus éloignée, l'ordre y fût-il maintenu de la manière la plus exemplaire, comme cela a eu lieu hier notamment.
    "D'autre part, l'expression des vœux d'un quartier de Paris ne peut être jamais qu'un acte isolé, partiel, et ceux auxquels on les adresse sont toujours en droit d'attribuer une volonté contraire aux dix-neuf vingtièmes non représentés."
    Rien n'est plus honnête, plus sensé, ni plus politique que ce langage. Tenu par un homme qui a réellement consacré toute son existence au triomphe de la démocratie et de la révolution, il est de nature à impressionner fortement les hommes du parti radical. Dans les circonstances où nous sommes, en face de l'étranger, c'est un acte de bon citoyen.
En revanche, le dimanche 16 octobre 1870, le nouveau numéro du Courrier des Ardennes précise enfin, quoique sommairement, la destruction du château, sachant que celle du château de Meudon avait été actée à peu près de la même façon quelques jours plus tôt. Dans le Bulletin du jour, on peut lire dans une dépêche aux alinéas brefs datée de Tours, 15 octobre : "Le château de Saint-Cloud est brûlé."
Fait curieux : sur la même première page du journal, si nous passons de la première à la deuxième colonne, nous avons quelques paragraphes étonnants sur le prince Max de Wurtemberg qui a subi selon les journaux anglais une mésaventure en plein parc de Saint-Cloud digne de "Rages de Césars" :

L'un des derniers jours de septembre, après un déjeûner copieux et d'excessives libations, il s'est avancé imprudemment dans le parc de Saint-Cloud, près la lanterne de Diogène. Là, en face de Paris, il s'est mis à chanter. Mais des francs-tireurs, cachés dans les broussailles, l'ont atteint de deux balles. L'une le frappa à l'occiput, l'autre lui brisa la mâchoire inférieure. Il n'est pas mort, mais il est à jamais défiguré.

Pour l'instant, l'enquête est insuffisante.

Commentaires épinglés

Suite à la troisième partie de ma recension mise en ligne le 12 juin où je disais que le rimbladien Méline m'était un parfait inconnu mais que cela importait peu, un certain "Jean Baudry" a apporté en précision le commentaire suivant :

Jean-Marie Méline est un des pseudonymes de... Baronian!

 J'ai validé ce message et j'ai mis à la queue leu leu trois réponses. Il y a une limite à la longueur des commentaires ce qui explique ce découpage, mais j'ai eu envie ensuite de mettre en vedette les trois réponses.

Profitons-en pour signaler à l'attention cette recension de 2015 par Jean-Pierre Bobillot, d'où Jean Baudry tire même les points de suspension pour introduire le nom Baronian.
http://cahiercritiquedepoesie.fr/ccp-30-1/dictionnaire-rimbaud


C'est l'occasion du beau jeu de mots : "Sur ce beau billot, plaçons cette tête."
La recension de Bobillot tient en deux courts paragraphes. Elle se veut salée. Notons que le deuxième paragraphe n'est pas facile du tout à lire et qu'il porte tout entier sur la question du vers libre. Or, j'ai fait un sort au problème posé par la nouvelle entrée "vers libre" du dico 2021 qui vient de la plume de Bobillot précisément. Il nous manque toujours un historique fouillé de la notion de vers libre. Et l'idée d'une absence d'intérêt pour le nombre de syllabes continue de relever d'une pétition de principe non éprouvée dans le cas très précis des possibles vers libres rimbaldiens.
Et pour le premier paragraphe, donc le ton est donné. Il est clair que l'équipe du Dico 2021 prétend enterrer comme sot le projet de 2014 : "ce n'est pas une réussite", "inconsistante et inutile", "de véritables connaisseurs" (sous-entendu il en est de faux dans ce dico), "notices creuses, contestables ou mal informées" qui ne "disent quasiment rien" sur tel ou tel poème.
On est d'accord, ça tire à boulets rouges.
Maintenant, on attend de voir comment les rimbaldiens vont prendre acte de mon compte rendu au sujet du Dico 2021 où je mets autant de distance entre eux et moi, qu'il en a été mis entre l'équipe 2014 et l'équipe 2021.

Mais je ne me fais guère d'illusions. Nous sommes à l'ère des cuistres, la vérité n'importe pas. Il s'agit juste de faire des livres collectifs pour en parler de temps en temps entre quatre ou cinq copains et de dire qu'on a fait ça dans sa vie. Le Dico 2021, combien de BHL ? C'est ma question du jour.
Après, heureusement que Bardel a participé activement à ce dictionnaire, heureusement que j'épingle en retour les jalons de la création de ce Dico 2021.
On voit bien que loin du rimbaldisme (j'imite le début de second paragraphe de la recension de Bobillot) il y a un esprit de caserne. Le maréchal-des-logis Bardel ne peut pas penser les enseignements philologiques rimbaldiens ou le sens de tel poème, "Voyelles" pour en nommer un, sans se demander : "Mais que penserait mon officier ?"
Le Dico 2021, ce qui le résume, c'est l'esprit de caserne, rien à voir avec l'esprit libre de Rimbaud, c'est le moins qu'on puisse dire.
Et les universitaires sont payés pour ne pas qu'enseigner, mais faire de la recherche, et ils sont payés... cher.
Pour "Voyelles", ils sont incapables de se dire que le "A noir" décrit un charnier, qu'un charnier ça renvoie à des événements exceptionnels : catastrophes naturelles ou guerres, et que des guerres il vient d'y en avoir deux dans le pays. Le "A noir" et le "I rouge", nous avons de véritables connaisseurs bien adoubés, mais ils sont incapables d'identifier les allusions aux charniers et aux martyrs de la Commune. Bra^veaux

La lecture officielle 2021 de "Voyelles", c'est quoi ? De la paresse, de la mauvaise foi et de l'incompétence. Continuez ainsi, les gars !

samedi 12 juin 2021

"N'oublie pas de chier sur le "Dictionnaire Rimbaud" si tu le rencontres (troisième partie : projets de recueils, établissement du texte, les 20 dernières années)

Dans la deuxième partie de mon compte rendu critique du Dictionnaire Rimbaud paru en février 2021, j'ai insisté sur une chronologie. L'édition critique de Steve Murphy du tome I Poésies des Œuvres complètes d'Arthur Rimbaud, chez Honoré Champion, date de 1999, ce qui remonte à plus de 20 ans, et c'est en 2001 que Steve Murphy a également publié l'article où il affirmait que la pagination des manuscrits des Illuminations était de Rimbaud lui-même.
En clair, le Dictionnaire Rimbaud de 2021 défend pour l'essentiel des conclusions philologiques sur lesquelles nous avons vingt ans de recul.
Les gens qui ont contribué à ce Dictionnaire, parmi lesquels Steve Murphy lui-même, ont écrit quantité d'études ces vingt dernières années, mais tout se passe comme si quelque chose s'était figé en 1999, puis en 2001. Ajoutons qu'en 2002, nous avons eu droit à un tome 4 des Œuvres complètes qui offrait l'ensemble des fac-similés des écrits rimbaldiens alors disponibles. Mais cet ouvrage où les reproductions sont très souvent miniaturisées sert plutôt finalement de caution au travail déjà accompli en 1999 et en 2001 plutôt que de support pour donner un nouvel élan à la recherche philologique, puisque rien d'intéressant n'aurait eu lieu ces vingt dernières années.
Oui, il y a eu la découverte du manuscrit de "Famille maudite" en 2004. Mais il s'agit d'un ajout à l'ensemble. Qui plus est, Steve Murphy s'est empressé de publier l'étude philologique de cette nouvelle version connue du poème "Mémoire". Oui, il y a eu la découverte du texte imprimé "Le Rêve de Bismarck" dans un numéro du Progrès des Ardennes. Mais, là encore, il s'agit d'un document qui vient s'ajouter à l'ensemble, et comme il est en prose il n'a de toute façon pas à figurer dans le tome I Poésies de 1999. Et la tendance actuelle à considérer que le sonnet "Poison perdu" serait bien une œuvre de Rimbaud va dans le même sens d'un ajout.
Quelques mises en vente de manuscrits jusque-là confisqués dans des collections privées ont permis de progresser dans l'établissement de certains textes. Il faut considérer le cas particulier de "Plates-bandes d'amarantes...", puisque cela a révélé le titre exact du poème "Juillet", l'orthographe exacte des mots du premier vers selon Rimbaud : "Platebandes d'amaranthes...", ainsi qu'une déchirure au niveau du vers 3 laissant supposer l'absence d'un mot monosyllabique à la rime qui pourrait, selon un très haut degré de probabilité être "Père", voire commencer par un "P", mais sans certitude absolue. Il faut considérer aussi le cas du poème "Génie" avec l'abondance remarquable de mots soulignés sur le manuscrit qui n'avaient jamais été mis en italique depuis la première édition.
Remarquons également qu'en 1999 Steve Murphy n'a pas distribué les poèmes en vers en fonction de projets de recueils, bien que cette idée avait toute sa sympathie. L'idée qu'il existe un "recueil Demeny" vient de Bouillane de Lacoste, a été revalorisée plus tard par Pierre Brunel et a été soutenue par une étude de Steve Murphy dans les années 1990. Et Murphy était également favorable à l'idée de considérer comme un prototype de recueil la suite paginée établie, non par Rimbaud, mais par Verlaine, avec un aveu pourtant rédhibitoire d'une liste indiquant qu'il manquait des poèmes pour constituer un ensemble complet.

Revoyons un peu tout ça.

Pour ce qui concerne les Illuminations, le démenti à l'idée d'une pagination de la main de Rimbaud même (article de Murphy de 2001) date de 2012. Il s'agit d'un article en deux parties mis en ligne par Jacques Bienvenu sur son blog Rimbaud ivre. J'ai participé à ce démenti, je suis cité dans cet article, et Jacques Bienvenu ou moi-même étions alors d'anciens collaborateurs de la revue Parade sauvage. Et nos publications dans cette revue étaient encore récentes, tandis que notre lutte victorieuse contre la photographie dite du "Coin de table à Aden" ne permet pas de considérer que l'audience du blog Rimbaud ivre était confidentielle et ignorée des rimbaldiens.
Michel Murat avait publié en 2002 un ouvrage intitulé L'Art de Rimbaud. En 2013, il en a proposé une nouvelle édition revue et augmentée. Il a alors développé quelques chapitres sur le livre Une saison en enfer. En revanche, la partie sur les poèmes en prose n'a été retouchée qu'à la marge et l'auteur n'a mentionné, avec une fin de non-recevoir péremptoire, qu'une seule partie de l'article de Bienvenu sur la pagination. Dans le Dictionnaire Rimbaud de 2021, Murat n'a collaboré qu'à un seul article, celui sur les "Manuscrits" des Illuminations. Pour la première fois, Murat ne dit pas que la pagination est de Rimbaud ni que cela a été démontré par Murphy. Il ne va pas jusqu'à reconnaître que la preuve est même établie que ça ne peut pas être de la main de Rimbaud. Cependant, Murat ne cite pas l'article de Bienvenu, pas même pour une seule partie.
Sur 20 ans, sur ce sujet fondamental, il y a une étude en deux parties à citer. Cela n'a pas été fait.
Voici les liens pour consulter l'article en question.

Au passage, sans parler des articles de Jacques Bienvenu lui-même, notamment sur l'intégralité du fac-similé retrouvé de la lettre de Gênes de 1878, je me permets de rappeler à l'attention un article de démenti sur la datation "5 mars" d'une lettre de Rimbaud datée de 1875, lettre qui intéresse le débat sur la fin de transcription des Illuminations et les séjours carolopolitains de Verlaine et Nouveau.

Passons à la mise au point sur les prétendus projets de recueils. Dans le Dictionnaire Rimbaud de 2014 dirigé par Baronian, nous avons une entrée "Cahiers de Douai" avec quelques lignes de commentaire de la plume de Jean-Marie Méline, parfait inconnu pour moi, mais peu importe. Il est précisé que rien ne justifie une telle "appellation" qui s'est imposée par "habitude" parmi les rimbaldiens. La notice de Méline fait état de "vingt-deux poèmes" qui sont scrupuleusement cités l'un après l'autre. L'auteur indique qu'ils sont également "regroupés sous l'appellation 'Recueil Demeny' ", mais en-dehors de cette concurrence des appellations, Méline ne dit à aucun moment qu'il s'agit d'un recueil en tant que tel. Toutefois, une remarque erronée apparaît dans son écrit, puisqu'il parle d'un séjour d'une "vingtaine de jours, en septembre 1870, chez les sœurs Gindre, la famille adoptive de Georges Izambard, à Douai". Six manuscrits sont datés d'octobre 1870 ("Rêvé pour l'hiver" est même plus précisément daté (ou antidaté) d'un voyage en train le 7 octobre), ce qui signifie qu'ils n'ont pu être remis que lors du second séjour, point sur lequel nous allons revenir un peu plus bas. Concurremment au sein du même dictionnaire, André Guyaux a rédigé une notice "Recueil Demeny" où il fait l'historique des éditions des vingt-deux poèmes en fonction ou non d'un présupposé de recueil remis à Demeny en 1870. Guyaux a déjà contesté cette idée de recueil dans son édition des Œuvres complètes d'Arthur Rimbaud dans la collection de La Pléiade en 2009 et nous ne pouvons manquer de citer la fin d'une notice de 2014 dont nous partageons les conclusions :
[...] Les poèmes, suivis d'une signature au bas de chaque texte, figurent sur des feuillets volants, non numérotés (de telle sorte qu'aucun ordre déterminé par Rimbaud n'est envisageable), ils ne sont précédés d'aucune page de titre. Parler de "cahier" ou de "recueil" est un abus de langage.
Nous avons publié le lundi 19 juillet 2010 sur le blog Rimbaud ivre de Jacques Bienvenu une très longue étude intitulée "La Légende du 'recueil Demeny' " qui est l'étude la plus fouillée et la plus conséquente à ce jour sur le sujet.

Dans cette étude, nous traitons de l'origine de l'appellation "recueil Demeny" par Bouillane de Lacoste, nous évoquons l'ouvrage de 1983 de Pierre Brunel au titre significatif : Rimbaud, Projets et réalisations. Puis, nous faisons état de l'édition en Garnier-Flammarion des Poésies d'Arthur Rimbaud en 1989. Enfin, nous revenons aussi en conséquence sur un article peu connu de Steve Murphy, mais qui a contribué à légitimer l'idée de recueil : "Autour des 'cahiers Demeny' de Rimbaud ", Studi francesi n°103, gennaio-aprile 1991, p. 78-91. Il faut ajouter que nous avons épluché aussi les témoignages d'Izambard, notes de bas de page incluses, pour en tirer tout un parti significatif. Enfin, nous avons rappelé qu'adhérant à l'idée d'un recueil, Jean-Jacques Lefrère, dans sa biographie de Rimbaud chez Fayard, avait tout de même émis une objection de taille : le fait que la signature du poème apparaisse poème après poème.
Dans cette étude, nous développons un nombre conséquent de considérations qui permettent de fermer progressivement toutes les portes.
Nous traitons en particulier du mot d'adieu au crayon adressé bien sûr à Demeny qui figure sur les feuillets de la transcription de "Soleil et Chair" et qui suffisent à eux seuls à invalider l'idée d'un recueil remis à des fins d'édition à la Librairie Artistique, puisque le poète exprime un doute sur le fait que Demeny daigne lui écrire ! Je cite : "Vous m'écrirez ? Pas ?" A partir de l'ordre des manuscrits légèrement désordonné, nous en arrivons même à la conclusion glaciale et cruelle que Demeny n'a probablement jamais lu ou relu ces manuscrits depuis le départ de Rimbaud. Il faut lire mon article pour comprendre de quoi il s'agit.
Toutefois, je voudrais profiter de l'occasion pour souligner deux points de mon article qu'aujourd'hui je reverrais. D'abord, sur la place du sonnet "Le Dormeur du Val" avant qu'il ne soit remis à Darzens, je n'ai aucun moyen d'être sûr de ce que j'ai pu avancer dans cette étude de 2010. Mais il est un autre problème dans mon étude.
En juillet 2010, quand je l'ai publiée, je me suis accroché à l'idée qu'un premier ensemble de manuscrits avait été remis à Demeny en septembre, et un autre ensemble en octobre 1870. Toutefois, je faisais remarquer par les pliures et l'évolution du moyen de transcription (de l'encre à la plume) que les manuscrits correspondant au premier ensemble avaient été remis en plusieurs étapes à Demeny. Rimbaud recopiait quelques poèmes, puis il les amenait à Demeny, puis il en copiait de nouveaux, et les amenait à Demeny, et ainsi de suite. Je faisais remarquer aussi le problème posé par la nature différente des deux manuscrits contenant "Les Effarés" et "Roman", deux poèmes qui, par exception, étaient datés de la dernière dizaine de jours du mois de septembre 1870. Le manuscrit du poème "Les Effarés" remis à Demeny est daté du "20 sept. 70" et le manuscrit de "Roman" est daté du "29 sept. 70". Les deux poèmes semblent avoir été composés à Douai. Toutefois, la date du 29 septembre ne va pas sans nous alerter quelque peu, puisque s'il est indiscutable que le poème évoque un cadre douaisien (dans son article sur ce poème, Christophe Bataillé a notamment insisté sur la production de bière dans cette ville) on peut se demander si Izambard n'avait pas déjà ramené le fugueur chez sa mère un peu avant le premier octobre.
En fait, l'idée, c'est que, si Rimbaud a remis le premier ensemble de manuscrits à Demeny en septembre, le poème "Roman" daté du 29 septembre a fait l'objet d'un recopiage dans toute l'imminence d'un prochain départ. Il faut aussi noter que selon Murphy il y a un rapprochement à faire entre l'encre noire utilisée pour la transcription du poème "Les Effarés" et le début de transcription de "Soleil et Chair", poème pour partie recopié au crayon, pour partie à l'encre noire. Et c'est sur la transcription de "Soleil et Chair" que figure le mot d'adieu de Rimbaud à Demeny, mot où notre poète précise qu'il n'a pas pu rencontrer le collègue douaisien. Rimbaud a remis de derniers manuscrits sur une table en l'absence de cette personne qu'il comptait voir et qu'on prétend l'éditeur potentiel recherché, que disons-nous ? déjà "engagé" par lui. Il était également question d'un "sauf-conduit" et on pouvait penser qu'il en avait besoin pour ce premier retour de Douai à Charleville.
Toutefois, des difficultés subsistent. En 2009, dans son édition des Œuvres complètes d'Arthur Rimbaud dans la collection de La Pléiade, Guyaux envisageait déjà que tous les poèmes ont pu être remis lors du seul séjour d'octobre. Cela coïnciderait avec les propos de Rimbaud lui-même dans sa lettre à Demeny ultérieure du 10 juin 1871 où il n'est question que d'un seul séjour : "[...] brûlez tous les vers que je fus assez sot pour vous donner lors de mon séjour à Douai [...]". Rimbaud a en réalité effectué deux séjours douaisiens et cette réalité factuelle permet d'éluder la difficulté dans un premier temps en parlant d'un singulier elliptique ou stylistique ("mon séjour" au lieu de "mes séjours"). Cependant, de septembre à octobre, le cas du fugueur s'est aggravé, et il n'est pas vain de penser que le "sauf-conduit" participe à une montée en puissance des pressions administratives pour que l'enfant retourne à sa mère. Mais, d'autres éléments encore sont à prendre en considération. Pour la première fugue, Rimbaud ignorait tout de son avenir et celle-ci s'est jouée dans un mélange d'intérêts, entre d'un côté le désir de rencontrer le milieu littéraire parisien avec Verlaine en point de mire et de l'autre l'envie brûlante d'assister à la tendance insurrectionnelle parisienne face à un Empire dont, si pas l'effondrement prochain, au moins les déconvenues militaires étaient de plus en plus patentes autour du 29 août. En revanche, la seconde fugue était un peu plus organisée et notre poète souhaitait devenir journaliste. Il est impossible de répondre, car c'est affaire de conviction intime, mais on peut se demander si Rimbaud a plutôt eu tous ces manuscrits sur lui en septembre ou bien en octobre.
On peut imaginer que Rimbaud a lancé la composition du poème "Roman" lors de son premier séjour douaisien en septembre, mais, et cela qu'il ait terminé sa composition à Douai ou à Charleville, il n'est pas inenvisageable que Rimbaud ait remis à Demeny des copies d'inventions de son premier séjour seulement au cours de son second séjour en octobre. De fil en aiguille, on comprend qu'il n'est pas impossible que les manuscrits des sept sonnets dont six sont datés d'octobre aient été transcrits avant l'ensemble des quinze poèmes plus anciens. Il est délicat de trancher à ce sujet et j'aimerais reprendre à tête reposée l'enquête dans son ensemble.
Il existe un poème important dans ce débat, c'est le sonnet "Rages de Césars". Il y est question d'un "cigare en feu" et du souvenir du château de Saint-Cloud pour un Napoléon III emprisonné à Wilhelmshöhe. Le sonnet ne peut être antérieur à la fin du mois de septembre 1870. Mais, s'il date du premier séjour douaisien, il n'a pas été daté comme l'ont été les poèmes "Les Effarés" et "Roman", ce qui est quelque peu étonnant. Mais ce n'est pas tout. Le 14 octobre même, alors que Napoléon III est toujours prisonnier comme décrit dans le sonnet, le château de Saint-Cloud a été incendié par les Prussiens, puisque les combats se poursuivaient auprès de la capitale. En 1991, dans l'édition du centenaire d'Alain Borer des œuvres complètes d'Arthur Rimbaud, Marc Ascione tirait déjà argument de ce fait historique pour commenter la signification satirique des quatorze vers. Il faudrait se reporter à la presse d'époque, éventuellement le Courrier des Ardennes, ou mieux encore la presse diffusée à Douai en octobre 1870, pour déterminer si Rimbaud ne s'est pas inspiré, pour composer son sonnet, de saillies faites dans la presse, saillies qu'il aurait mélangées à la reprise d'éléments satiriques des Châtiments de Victor Hugo. J'ai déjà signalé à l'attention que, dans Le Monde illustré de septembre 1870, l'idée d'un Napoléon III qui fume énormément malgré la défaite et la mention "Le pauvre homme !" qui semble une citation telle quelle du Tartuffe de Molière figuraient toutes deux dans un même article. Il faut admettre que l'idée d'une allusion à l'incendie du château de Saint-Cloud dans le sonnet "Rages de Césars" a du sens et qu'à cette aune le poème ne pourrait être antérieur à la relation de cet événement dans la presse. Le poème pourrait être nécessairement postérieur au 14 octobre 1870. Pour précision, dans le dictionnaire dirigé par Baronian, la courte notice sur "Rages de Césars" a de nouveau été confiée à Jean-Marie Méline qui n'évoque pas du tout l'incendie de Saint-Cloud le 14 octobre, celui-ci insistant plutôt sur la chute de l'Empire : "Ce sonnet antibonapartiste, qui a été inspiré à Rimbaud après la terrible déroute de Sedan du 1er septembre 1870, fait partie des poèmes confiés à Demeny, en octobre 1870." Et si Méline parle de manuscrits remis en octobre cette fois, rappelons que dans la notice "Cahiers de Douai" il était question de manuscrits remis en septembre, contradiction qui révèle un manque d'attention aux enjeux de précision de toute cette chronologie littéraire.
Pourtant, le débat sur l'allusion ou non à l'incendie du château de l'empereur n'est pas d'une maigre importance, puisqu'il engage la meilleure compréhension possible d'un sonnet de Rimbaud et permet de réenvisager à nouveaux frais la transmission de copies de vingt-deux poèmes à Demeny en 1870.
En attendant, dans le Dictionnaire Rimbaud de 2021, nous n'avons pas d'article "Cahiers de Douai" ou "Recueil Demeny". Tout ce sujet rimbaldien a été escamoté, alors même que nombre de contributeurs à cet ouvrage sont partisans de l'idée d'un vrai projet de recueil remis à Demeny, à commencer par Brunel et Murphy. Or, pour compenser, il nous reste à nous reporter à deux articles, d'un côté l'article "Manuscrits" d'Alain Bardel, de l'autre l'article "Rages de Césars".
La notice "Rages de Césars" du Dictionnaire Rimbaud de 2021 est due à la plume d'Adrien Cavallaro qui se cite lui-même bien volontiers dans les références bibliographiques. Celui-ci affirme tout aussi péremptoirement que Méline que le manuscrit a été remis en octobre à Demeny, ce qui est possible, mais ce qui reste à démontrer. Mais, surtout, il n'est fait à aucun moment mention de la thèse d'Ascione selon laquelle le "fin nuage bleu" d'un "cigare en feu" serait une perfide allusion à l'incendie du château de Saint-Cloud par les prussiens. Ajoutons que l'idée de mettre le feu avec sa pipe passe de "Rages de Césars" au texte en prose "Le Rêve de Bismarck" composé peu après le second séjour douaisien et publié le 25 novembre 1870 dans Le Progrès des Ardennes.
Les études sur le sonnet "Rages de Césars" ne courent pas les rues. Pourtant, ni Méline ni Cavallaro (2021, et apparemment 2013 !) ne semblent connaître la lecture d'une certaine étendue d'Ascione qui figure pourtant dans un ouvrage qu'aucun rimbaldien ne peut prétendre ignorer : l'édition "Œuvre-Vie" du centenaire de la mort d'Arthur Rimbaud ! Il me semble qu'avant de faire une notice il faut minimalement lire les études les plus connues sur un poème. Et cette absence de mention a à voir avec un problème de compétences requises pour écrire une telle notice.
L'article sur les "Manuscrits" a été confié à Alain Bardel et il s'agit inévitablement d'une notice assez longue qui court sur plusieurs pages. Il s'agit surtout d'une approche tendancieuse. Le sujet des recueils est noyé dans une étude surdimensionnée, alors qu'il ne figure aucune entrée "Cahiers de Douai" ou "Recueil Demeny". Bardel fait en plusieurs parties de l'article l'apologie du travail de Steve Murphy et quand enfin il en vient à traiter du cas des manuscrits remis à Demeny il ne manque pas de pratiquer les affirmations péremptoires et de confondre son intime conviction avec une vérité factuelle. Je cite :
   Mais Rimbaud n'a pas attendu 1874 et les Illuminations pour songer à rassembler ses poèmes dans l'optique de les publier. Lorsque, en 1989, dans son édition de poche des Poésies chez GF, Jean-Luc Steinmetz présente pour la première fois comme un ensemble à part, sous le titre "[Cahier de Douai]", les textes soigneusement recopiés par Rimbaud en septembre et octobre 1870, il interprète à juste titre comme un geste éditorial sui generis le don de ces poèmes à Paul Demeny, co-directeur d'une petite maison d'édition parisienne. Steve Murphy a pu montrer qu'ils ne se présentent nullement comme un "cahier" mais comme une liasse de feuillets qui révèle cependant un certain souci d'organisation. Car l'ordre dans lequel ces feuillets étaient disposés au sein du dossier détenu par Demeny (ordre correspondant à celui suivi par Darzens dans le Reliquaire) renvoie peut-être (comme Steve Murphy en risque prudemment l'hypothèse) à une volonté rimbaldienne de clore le recueil sur une séquence de sonnets, de la même façon que Verlaine, dans ses Poèmes saturniens, propose une section exclusivement composée de sonnets. Autant de raisons pour que l'éditeur se fasse une obligation de respecter cet agencement.

Comme si des consultations de son site ne suffisaient pas à s'en assurer, rappelons que Bardel ne peut pas ignorer l'existence de mon discours, ni l'existence du discours de Guyaux qui figure tantôt dans l'édition dite de référence des Œuvres complètes d'Arthur Rimbaud dans la collection La Pléiade en 2009, tantôt dans la notice "Recueil Demeny" du Dictionnaire Rimbaud de 2014 dirigé par Baronian. Il n'ignore pas non plus la recension de Jean-Jacques Lefrère au sujet de l'édition rimbaldienne de 2009 dans La Pléiade. Bardel rédige une notice qui ne fait aucun cas des avis divergents. Il affirme une vérité clanique. Puisqu'il n'ignore pas le texte de Lefrère, nul doute qu'il y a un caractère de menace d'infâmie quand il écrit : "Autant de raisons pour que l'éditeur se fasse une obligation de respecter cet agencement." Les nuances existent, mais elles sont déplacées de niveau. Le projet de recueil est une évidence, mais c'est l'idée d'une section finale de sonnets qui mérite une réserve prudente. Bardel daigne uniquement signaler à l'attention les restrictions ou objections qui partent de son clan. Murphy a montré qu'il ne s'agissait pas d'un cahier, ni de plusieurs cahiers, mais d'une liasse de feuillets. Remarquons que Steinmetz ignorait ce fait en 1989, tout comme Brunel en 1983. En réalité, en maintenant son adhésion à l'idée d'un recueil, Murphy a sous-évalué une objection majeure, et Bardel poursuit dans cette veine, en dépit des mises au point de moi ou de Guyaux en 2009, 2010 et 2014. L'extrait que j'ai cité est clairement péremptoire : "[Steinmetz] interprète à juste titre comme un geste éditorial..." et il relève d'une logique partisane indiscutable, puisque l'opposition est passée sous silence, que ce soit dans le texte même de la notice ou dans la rubrique de références bibliographiques qui l'accompagne. Bardel n'est pas un professeur d'université. En revanche, le principal directeur de la publication l'est et dans son "Avant-propos", je rappelle qu'il a écrit ceci :

[...] chacun de nos contributeurs était donc libre (et responsable) de ses interprétations - à la condition qu'elles aient été validées par nous et que nous les ayons jugées, non pas toujours conformes aux nôtres, mais à ce qu'il nous paraissait admissible de publier.

S'il y a des choses admissibles, il en est donc d'inadmissibles. Et à lire l'extrait cité plus haut de Bardel, je pose la question : où commence l'inadmissible ? Vaillant parlait lui-même dans son "avant-propos" d'une certaine "gravité" et un peu plus loin il écrit encore ceci :
[...] La vocation qu'embrassent les notices sur l'œuvre est ainsi, dans la mesure du possible, celle du bilan critique autant que d'une interprétation qui engage les auteurs : un tel dictionnaire doit servir à ordonner et à hiérarchiser la masse surabondante des gloses rimbaldiennes. Il nous semble d'ailleurs, après des décennies qui ont renouvelé en profondeur l'approche du texte de Rimbaud, qu'il est aujourd'hui possible, et souhaitable, d'aspirer à un certain consensus critique [...]
La conciliation critique ne me paraît pas compatible avec une phrase de menace telle que celle-ci : "Autant de raisons pour que l'éditeur se fasse une obligation de respecter cet agencement." Et je ne vois pas comment reconnaître un "bilan critique" et un tri opéré dans la "masse surabondante des gloses rimbaldiennes" dans une phrase péremptoire brève perdue au milieu d'un article de longue haleine qui parle de nombreux sujets à la fois : "il interprète à juste titre comme un geste éditorial...", sans citer l'existence non seulement d'avis opposés, mais de contestations en règle des thèses imposées par l'auteur de la notice, autrement dit sans même qu'il n'y ait la moindre remise en cause des arguments de la partie adverse.
Et tout cela est d'autant plus dérangeant que Bardel ne s'appuie que sur des études qui ont plus de vingt ans, avec une prédilection pour les seuls travaux de Murphy (l'article dans la revue Studi Francesi en 1991 et l'édition critique des Poésies en 1999). Sur ces vingt dernières années, il était peu d'ouvrages à citer, il y avait l'article de Guyaux en 2014 dans le Dictionnaire Rimbaud, sinon ses notices dans l'édition de La Pléiade en 2009, et il y avait mon article "La Légende du 'recueil Demeny' ". Mais ce n'est pas tout ! J'ai aussi contesté l'idée de présenter comme un prototype de recueil la suite paginée de poèmes de Rimbaud établie par Demeny.
Il faut tout de même constater que nous en sommes à trois articles contestant les unités de trois prétendus projets de recueil rimbaldiens, articles qui figurent tous sur le blog Rimbaud ivre. Ces articles ont systématiquement été passés sous silence dans ce Dictionnaire Rimbaud de 2021. Deux de ces articles sont de moi, et j'ai participé au troisième, tandis que je suis le spécialiste reconnu de l'Album zutique désormais selon certains écrits rimbaldiens, et selon un certain nombre élevé de résultats factuels, ce qui veut dire que j'occupe une place privilégiée dans l'analyse des manuscrits et des dossiers de poèmes. Et si on est libre de ne pas être d'accord avec la moindre de mes thèses, le jeu de la critique littéraire exige de motiver les opinions contraires par une contre-argumentation qui n'apparaît nulle part dans cet ouvrage. Pourtant, cet ouvrage, je le rappelle, n'offre aucune entrée "Cahiers de Douai" ou "Recueil Demeny", ni la moindre entrée "Recueil Verlaine" ou "Dossier Verlaine". Le sujet des prétendus recueils de Rimbaud est en réalité traité par-dessus la jambe, au moins pour les dossiers de poèmes en vers.
Il reste à parler de l'établissement du texte. Je ne vais pas revenir ici sur la signature "PV" en bas du manuscrit de "L'Enfant qui ramassa les balles..." En revanche, il faut citer une coquille que j'ai dénoncée dans la version imprimée originale du livre Une saison en enfer. Le mot "outils" à la fin de "Mauvais sang" est une coquille pour "autels" comme permet de l'attester clairement le brouillon du passage correspondant qui nous est parvenu. Cela est cité dans le Dictionnaire Rimbaud, mais minimisé, voire contesté avec condescendance. Précisons que dans les révisions de son édition des Œuvres complètes d'Arthur Rimbaud André Guyaux a corrigé la coquille "outils" en lui substituant la leçon "autels" désormais, acte essentiel dans la réception critique du livre Une saison en enfer, puisque c'est la compréhension du texte lui-même qui est en jeu, et là pour le coup, réellement, cette seule variation d'un mot a un effet considérable sur la lecture.
Mais ce n'est pas tout. La notice sur le poème "L'Homme juste" a été confiée à nouveau à Alain Bardel, lequel commente le poème, mais ne fait aucun cas du progrès acquis dans l'établissement du texte. Un renvoi à l'article où je déchiffre les deux passages réputés illisibles du poème apparaît dans les références bibliographiques, mais ne fait l'objet d'aucune remarque. Si lire Rimbaud est le plus important, n'importe-t-il pas de prévenir le lecteur qu'un terme a été mis à cette hérésie du passage entre crochets : "chinois [...]aines", ou "chinois [à bed]aines" ? La remarque vaut pour le vers suivant avec ma confirmation de la lecture "Nuit" envisagée par Murphy en 1999. La leçon "ou daines" n'est d'ailleurs jamais donnée correctement par les éditeurs ou les critiques rimbaldiens quand ils en font cas, ce qui, au passage, pose à nouveau la question du problème de compétences. Mon déchiffrement a été publié initialement dans une revue universitaire, mais je rappelle la référence du second article de mise au point sur le sujet, article mis en ligne et que Bardel a donné minimalement dans les références bibliographiques, se gardant bien toutefois de se prononcer. Cet article mis en ligne contient un extrait fac-similaire du prétendu passage illisible, et tous ceux qui s'y reporteront auront de bonnes raisons de rire de l'incompétence des rimbaldiens, puisqu'à part Reboul et Bienvenu qui m'ont donné absolument raison (éventuellement Cornulier), mon déchiffrement est rendu de façon erronée : "d'aines", "de daines", etc., ou bien ravalé au rang de simple conjecture, ou bien ignoré avec sans doute beaucoup de défiance. Je vous laisse juger sur pièce, parce qu'à un moment la farce il faut bien qu'elle cesse.
Et je vais citer un dernier article, sauf qu'il n'a pas été mis en ligne cette fois. Il est en effet un poème en vers de Rimbaud qui pose d'énormes problèmes d'établissement : "L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple". Le poème est connu par deux versions imprimées, mais aucun manuscrit.
En 2012, dans un volume collectif Rimbaud "littéralement et dans tous les sens" en hommage à Alain Tourneux, j'ai publié un article "Mais que sont devenus les manuscrits de Paris se repeuple ?" Il y est question du volume du Reliquaire annoté par Vanier en prévision de son édition des Œuvres complètes d'Arthur Rimbaud de 1895. Je rappelle que dans son édition philologique de 1999 Steve Murphy prétend citer les premières versions connues de chaque poème en vers ou de chaque premier extrait connu d'un poème en vers. Il s'appuie sur un manuscrit quand c'est possible, et à défaut sur les premières versions imprimées. Aussi, pour les deux versions connues de "Paris se repeuple", il se contente de citer les deux versions imprimées. Toutefois, si un manuscrit est disponible, Murphy citera autant une copie de la main de Verlaine ou de quiconque qu'une transcription de la main de Rimbaud lui-même, et c'est bien normal que Murphy procède ainsi. Or, dans cet article, je montre qu'il existe une version manuscrite de strophes de "L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple" antérieure à la publication de 1895 ! Et je souligne que la leçon du texte manuscrit a subi des altérations sur le texte final imprimé, et j'ajoute que ces strophes sont mélangées au texte imprimé de la version de "Paris se repeuple" du Reliquaire et que cela n'est pas sans conséquences pour une réflexion à nouveaux frais sur les variantes, les faits de négligence au plan de la ponctuation des paroles rapportées, et que cela peut inviter à réévaluer la question de la modification dans l'ordonnancement des quatrains.
Bardel se contente dans sa notice sur "Paris se repeuple" d'un commentaire du poème, et sur ce plan-là le travail fait est valable, mais à aucun moment il ne cite mon article avec tout de même la réévaluation qu'il implique quant à l'établissement du texte, sachant que les lecteurs qui n'aiment pas la critique littéraire et dont les positions rageuses sont de toute façon une hypocrite comédie pourront tout de même difficilement contester l'intérêt du meilleur établissement du texte possible.
Je précise que je possède des photographies de cet exemplaire du Reliquaire conservé à l'Albertine à Bruxelles. Ce document n'a jamais été consulté par Steve Murphy. Il n'est pas seulement intéressant pour les quatrains transcrits de manière manuscrite. Il y a d'autres annotations en jeu. Ces photographies sont toujours inédites, alors que leur analyse permet de comprendre qui possédait certains manuscrits en 1895, manuscrits dont les cheminements sont aujourd'hui encore considérés comme inconnus.
Et si Bardel n'a pas recensé cet article et si l'équipe de direction n'a pas corrigé le tir, il s'agit à nouveau d'un problème de compétences requises, puisque cet article figure dans un ouvrage collectif où prédominent nettement l'équipe de la revue Parade sauvage et puis du coup celle des contributeurs au Dictionnaire Rimbaud de 2021.
Je ne vais pas vous l'écrire aujourd'hui, mais j'ai donc un établissement du texte de "L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple" distinct de celui établi par Murphy dans l'édition philologique de 1999. Il s'agit de points qui sont plus proches du détail : présence de majuscules ou non, petites différences de ponctuation, puis problème d'établissement de certains mots. Rien de très important. Il y a eu tellement de quantités de sujets rimbaldiens primordiaux à traiter ces vingt dernières années.
Bref, dans tout ce qui est dans l'article ci-dessus. J'ai quand même l'air d'indiquer que les contributeurs au Dictionnaire Rimbaud de 2021 considèrent qu'il ne s'est rien passé au sujet de la réflexion sur les projets ou non de Rimbaud en fait de recueils depuis vingt ans, qu'il ne s'est pas passé grand-chose non plus en fait d'établissement plus fiable du texte rimbaldien en-dehors des découvertes de nouveaux textes et des révélations de fac-similés pour des manuscrits jusqu'alors inaccessibles.
Ces vingt dernières années, il ne s'est rien passé, si ce n'est du recensement mécanique, mais il faudrait admirer ce qui s'est passé avant 2001. Et, après cela, on nous parle sans rire de l'avenir de la recherche rimbaldienne avec les contributeurs de ce Dictionnaire qui passent le relais.
Tout se serait-il joué au plan de l'élucidation du sens des poèmes ? On va voir cela de plus près dans la prochaine partie de notre recension, partie finale en principe, même si je vais devoir faire une section sur les poèmes en vers, une à part tout de même sur l'Album zutique, une sur Une saison en enfer et une sur les poèmes en prose, sans oublier qu'il y aura aussi quelques aspects particuliers à traiter : métrique, etc.