mercredi 26 septembre 2018

En préparation

Je ne peux pas écrire : mal à la main et migraine conjuguent leurs efforts contre moi. Mais comme je trépigne d'impatience, je fais quand même cette annonce.
J'ai un titre d'article "L'ombre discrète de Marceline Desbordes-Valmore". Je crois que je tiens un truc. Je parlerai vite fait des "Etrennes des orphelins", mais surtout des poèmes du printemps et de l'été 1872. Il sera question des "Corbeaux", des "Mains de Jeanne-Marie", de "Larme", de "Mémoire", de "Tête de faune", de "Chanson de la plus haute Tour", de "Ô saisons ! ô châteaux", de "L'Eternité", etc. Les gros coups, pour l'instant, je pense qu'ils devraient être sur "Larme" et "Mémoire". C'est très long à bien mettre en place, mais je suis content, j'espère provoquer une nouvelle avancée brusque pour une meilleure compréhension des poèmes de Rimbaud, cette fois sur les poèmes du printemps et de l'été 1872. Croisons les doigts. Je vais essayer de bien rédiger cet article, maintenant que j'ai fait mon annonce.
Après, je le répète. Je suis complètement désespéré et écoeuré. J'ai publié des tas d'articles sur "Voyelles". J'ai eu la confiance de Murphy en 2003 déjà, alors que, depuis, j'ai beaucoup amélioré ma thèse de lecture depuis et ma façon d'écrire. J'ai fait des tas d'articles sur ce blog. Les réactions, il y en a eu au début, quelques commentaires, mais là plus rien. Alain Bardeel a recensé parfois certains de mes articles, mais il fait un blocage complet sur "Voyelles" et Une saison en enfer. Les rimbaldiens font aussi l'impasse sur mon article, à part Murphy, mais il ne faut pas oublier qu'une fois qu'ils ont refusé de prendre au sérieux l'article de 2003 ils sont comme engagés à refuser les améliorations de ma thèse de lecture. Or, là, j'écris des choses qui doivent un peu toucher le sens commun des gens. Personne ne réagit, c'est affolant. Vous lisez Rimbaud, vous le rangez dans l'étagère, puis vos conversations se résument à dire : "J'aime Rimbaud !" Vous ne vous dites même pas : "C'est génial, alors 'Voyelles' ça veut dire ou ça voudrait dire ça! Mais il faut qu'on en parle de cette approche ! Il faut que les gens la connaissent!"
Là, vous êtes en train d'attendre une intronisation d'un rimbaldien. Vous attendez que je passe dans l'émission du Bernard Pivot de notre temps pour libérer votre parole, votre esprit. D'abord, ça n'arrivera jamais. Je ne passerai jamais à la télévision, je refuserai même. Vous attendez une intronisation universitaire. Là, elle devrait arriver, mais ce sera lent. Ceci dit, je publie dans Parade sauvage, dans Rimbaud vivant, dans d'autres revues ponctuellement Europe, Littératures, j'ai publié sur le blog Rimbaud ivre, des découvertes inédites ont été citées dans l'édition de la Pléiade des oeuvres complètes de Rimbaud en 2009. Je me plains des rimbaldiens, et pourtant l'année dernière j'ai participé à un colloque, j'ai déjà d'ailleurs fait plusieurs conférences dans des séminaires ou colloques. Vous pouvez aussi voir que sur la photographie du Coin de table à Aden, je faisais partie d'emblée des gens qui ne s'en laissaient pas compter et que j'étais très chahuté pour une opposition qui a pourtant fini par triompher. Moi, je le dis et répète, il faut être bête pour ne pas comprendre que j'ai raison sur "Voyelles" et Une saison en enfer. Je vous garantis que c'est mes mises au point qui vont passer dans les éditions commentées futures des oeuvres de Rimbaud. Si vous ne le comprenez pas, c'est que réellement vous n'avez pas des cerveaux de qualité, c'est comme ça !
Moi, je me dis : chaque année, il y a par milliers des nouveaux lycéens qui s'intéressent à la littérature classique, par milliers des nouveaux lecteurs de Rimbaud, si pas par milliers, au moins par centaines. Une recherche internet, on découvre rapidement mon existence et mon blog. J'ai publié mon premier article en 2003, et en 2003 les sites internet fonctionnaient déjà bien et pas mal. Nous sommes en 2018, bientôt en 2019. Quand vous prenez un volume d'histoire littéraire et que vous dénombrez les poètes nés en 1842 seulement ou bien nés entre 1840 et 1846, et que vous voyez la vacuité généralisée de l'internet littéraire.
Personne n'écrit pour m'en demander plus sur "Voyelles", pas de félicitations ou remerciements. Ni de façon anonyme, ni sous son vrai nom ! C'est complètement dingue ! Vous voulez des grands poètes sans que la société n'ait une composante de gens qui sans être poètes ont l'étincelle, entretiennent la flamme ? Mais vous êtes complètement à la masse.
Rimbaud n'est pas important pour vous. Vous ne diffusez même pas ce que je dis sur "Voyelles". Mais il vous manque des cases, ce n'est pas possible ! Un jour, je vais me retrouver sur un devant de la scène, et là soudainement on viendra me féliciter ou me demander des compléments pour une meilleure compréhension.
Mais allez vous faire foutre !

dimanche 23 septembre 2018

"Les échappons-nous ?"

Cette expression dans Une saison en enfer m'a toujours déstabilisé.
Normalement, le verbe échapper se construit avec un complément d'objet direct, pas avec un complément d'objet indirect.
"J'ai échappé à ces gens, je leur ai échappé, j'ai échappé à ce danger, j'y ai échappé, j'ai échappé à Roger, je lui ai échappé."
Dans notre citation, le verbe est construit avec un pronom de complément d'objet direct. Du coup, j'aimerais rencontrer deux choses plus souvent. D'abord, d'autres phrases avec ce pronom pour complément d'objet direct. Ensuite, des phrases où le verbe "échapper" est construit avec un complément d'objet direct qui ne soit pas un pronom, genre "échapper l'occasion", "échapper le gorille", ou que sais-je encore ?
Voici donc à tout le moins un exemple que je puis dans le roman La Joie de vivre de Zola. Je cite les paroles mêmes d'un personnage. Nous sommes à la fin du quatrième chapitre d'un roman qui en comporte onze. Les chapitres font quarante ou cinquante pages. Pauline vient d'échapper à la mort, elle est en train de guérir d'une maladie qu'il a fallu prendre au sérieux. Elle est amoureuse d'un certain Lazare et elle doit l'épouser, mais elle est instinctivement jalouse d'une certaine Louise, tandis que son amour l'empêche d'achever sa révolte de femme prudente et économe dans la mesure où elle se fait manger tout l'argent qu'elle devrait avoir le jour où elle sera majeure. Comme le danger s'éloigne, elle dit à Lazare : "Allons, mon ami, tu ne peux l'échapper : je serai ta femme."
Je suis content d'avoir trouvé un autre exemple de ce tour grammatical, un exemple un peu contemporain de la phrase de Rimbaud, puisque ce roman zolien a été publié en 1884, tandis qu'Une saison en enfer date de 1873.
Après, il me reste en tête le rapprochement avec l'expression "l'échapper belle", où le "l'" signifie la balle, mais où "échapper" a aussi plutôt le signe de "manquer". L'autre singularité de l'expression "échapper belle", c'est que le participe passé est invariable par figement malgré la présence du pronom COD : "Je l'ai échappé belle."
C'est pour cela que je suis toujours un peu interloqué par le choix rimbaldien. Si on garde le sens "échapper", il suffit de moderniser le texte et de dire "Y échappons-nous ?" au lieu d'un archaïsme ou d'une faute populaire à l'oral : "les échappons-nous ?" En revanche, si on prend le sens "manquer", la phrase prendre un sens inverse : "Les manquons-nous ?"
Pour me sentir plus à l'aise, j'aurais besoin d'une intervention d'un linguiste chevronné.
L'expression zolienne favorise la première hypothèse qui est déjà celle que je privilégie spontanément en lisant Une saison en enfer, puisque dans la phrase de Pauline on reconnaît avec un pronom aberrant en surface l'expression consacrée : "tu ne peux y échapper".
J'ai remarqué également que, si Rimbaud avait osé l'accord étonnant "bois sidérals", Zola est particulièrement friand du verbe "émotionner", là où on attendrait "émouvoir". Aujourd'hui, on nous habitue à "solutionner" au lieu de "résoudre".



jeudi 20 septembre 2018

" La strideur des clairons", la religion dans "Voyelles"

Dans les années 1990 ou en 1989, mais l'article a été repris dans le volume Le Soleil et la Chair, Antoine Fongaro a publié une petite étude sur le mot "strideur" employé dans "Voyelles" et "Paris se repeuple".
Le mot "strideur" n'est pas un latinisme. Le mot vient du Moyen Âge, mais avec des variations de forme inévitables : "strendor", "straindor", "stridour". La forme actuelle "strideur" daterait du XVIe siècle et le sens qu'on donne à ce mot est "bruit strident" ou "grincement". Le mot a une belle survivance au XVIIIe siècle avec deux exemples chez Buffon à propos des cygnes et des grillons, deux exemples qui seront cités par Littré le siècle suivant.
Ensuite, Fongaro rappelle une remarque de Suzanne Bernard qui insistait sur le fait que le mot "strideurs" chez Rimbaud était systématiquement associé au mot "clairon".
Une idée de Fongaro était de trouver une mention du mot "strideur" dans l'oeuvre de Victor Hugo, mais sa tentative a échoué. En revanche, il a découvert deux emplois du mot "strideur" dans le premier recueil en vers de Philothée O'Neddy (pseudonyme pour Théophile Dondey) : Feu et flamme. Il s'agit d'un poète romantique des années 1830 proche de Pétrus Borel.
Philothée O'Neddy a employé le mot "strideurs" au pluriel "à la cinquième strophe de la Nuit sixième (Succube): "J'eus le frisson, mes dents jetèrent des strideurs." Le vers est assez plat, mais il comporte effectivement une mention du mot "strideurs" à la rime. Cependant, la deuxième mention est plus intéressante, puisqu'elle est couplée au mot "clairons" dans un vers du "Fragment premier, intitulé Spleen" de "la section Mosaïque" : "La strideur des clairons, l'arôme du carnage !" Le rapprochement est troublant. Rimbaud a inversé le singulier et le pluriel des deux mots réemployés. Dans les deux cas rimbaldiens, "clairon" est au singulier et "strideurs" au pluriel : "Ô Suprême Clairon plein des strideurs étranges", "Amasse les strideurs au coeur du clairon lourd". Il faut remarquer que, quand Rimbaud reprend une rime à un poète, par exemple à Coppée dans certains dizains, il aime bien soit placer la rime dans une ordre inverse, soit passer du singulier au pluriel, ou l'inverse.
Le problème avec Fongaro, c'est que son analyse pour le sonnet "Voyelles" s'arrête là. Au lieu de chercher à éclairer le sens du célèbre sonnet, Fongaro fait un rapprochement entre le "Fragment premier" et Une saison en enfer, puis il rapproche l'avant-propos du recueil Feu et flamme de "Bonne pensée du matin" et "Ouvriers".
Ce n'est pas tout, si le mot "clairon" a convaincu Fongaro de chercher en vain une mention de "strideurs" dans l'oeuvre immense de Victor Hugo, c'est qu'il attribue au "clairon" de "Paris se repeuple" et à celui de "Voyelles" deux sources hugoliennes distinctes. Le "clairon" de "Paris se repeuple", ce serait quelque peu les "trompettes de Jéricho", les "clairons de la pensée" convoqués dans le recueil des Châtiments, et celui de "Voyelles", il s'agit bien évidemment selon l'identification faite depuis longtemps par Jean-Baptiste Barrère de la trompette du jugement dernier, assimilée encore une fois à un clairon dans le dernier poème de la première série de La Légende des siècles, parue en 1859, seule des trois séries déjà publiées quand Rimbaud compose "Voyelles" soit à la fin de l'année 1871, soit plus probablement dans les deux-trois premiers mois de l'année 1872.
Fongaro ne prête même pas attention au fait que le singulier "clairon" ne correspond pas au pluriel des "trompettes de Jéricho. Il ne voit pas non plus qu'entre "Paris se repeuple" et "Voyelles", pas moins de trois mots sont repris.
En effet, "Paris se repeuple" est composé de quatrains, et c'est dans un même quatrain que sont réunies les trois mentions : "suprême", "strideurs" et "clairon". "L'orage a sacré ta suprême poésie !" Tel est le vers qu'aurait dû citer Fongaro pour que le rapprochement soit complet avec "Voyelles". En revanche, dans le texte de Fongaro, nous n'avons pas la leçon "clairon lourd", mais la leçon "clairon sourd". C'est ici qu'intervient un lourd problème d'établissement du texte. Aucune version manuscrite de "Paris se repeuple" ne nous est parvenue. C'est pour cela que l'analyse du volume annoté du Reliquaire conservé à la Bibliothèque royale de Bruxelles, l'Albertine, est capitale. Ces annotations ont été faites par un éditeur qui a eu des manuscrits entre les mains. J'ai publié un article sur les versions de "Paris se repeuple" où je conteste d'ailleurs l'établissement actuel des textes. En revanche, je ne suis pas parvenu à trancher pour le mot "sourd". Selon toute vraisemblance, il s'agit d'une coquille pour "lourd", version qui elle a un vernis d'authenticité livrée par l'étude attentive des données. J'aurais bien aimé étendre le rapprochement à quatre mots : "sourd" à la rime dans "Paris se repeuple" irait bien avec "Silences" au vers 13 de "Voyelles", dans la suite immédiate de notre série des trois mots en commun avec un unique quatrain de "Paris se repeuple". Toutefois, malgré la meilleure mauvaise volonté du monde, je ne peux pas décider que "sourd" est une variante fiable, j'en resterai à trois mots pour un rapprochement, mais ce cadre est déjà tellement éloquent.
Pour moi, à la différence de Fongaro, le "clairon" est le même dans les deux poèmes de Rimbaud. Quant au vers d'O' Neddy, il correspond plus nettement au cadre du poème "Paris se repeuple", ce "clairon" a à voir avec les batailles livrées à la vie à la mort. En ce sens, je ne saurais minimiser le lien très fort que je perçois dans "Voyelles" entre les "puanteurs cruelles", le "Suprême Clairon plein des strideurs étranges" et les "ivresses pénitentes".
Mais, dans la mesure où il est question d'une "fête" au "dernier soupir" du poète, la mention "la strideur des clairons" dans le poème de Philothée O'Neddy suppose elle-même l'idée d'un jugement dernier si explicite dans "Voyelles", tandis que ce "dernier soupir" est aussi un peu de la "suprême poésie" vantée dans "Paris se repeuple".
Fongaro évoquait en passant deux emplois du mot "strideur" par Buffon qui étaient cités par Littré ensuite.
Or, le samedi 1er octobre 2011, Jacques Bienvenu a mis en ligne sur son blog "Rimbaud ivre" un article intitulé "Rimbaud et le chant du cygne", où il n'est pas du tout question des remarques de Fongaro, mais où il est constaté que Buffon avait lui-même associé "clairon" et "strideurs" avant Rimbaud.


Les mots "strideur" et "clairons" sont associés par Buffon au retentissement de la voix du cygne, et quelque peu à une idée corrigée que nous devrions nous faire d'un "chant du cygne". Je ne retiendrai pas l'idée d'associer les "rois blancs" à des cygnes, ni les développement sur la voix "sourde" du cygne et le "clairon sourd" puisque la variante "sourd" semble malheureusement une coquille pour "lourd". Je ne crois pas non plus à des coïncidences en cascade. Si je ne crois pas que Buffon, Rimbaud et O' Neddy aient tous trois associés ces deux mots indépendamment les uns des autres, j'ai presque autant de mal à imaginer Rimbaud avoir la même idée qu'O'Neddy sans en avoir conscience. Pour moi, il est clair comme de l'eau de roche que Rimbaud s'est inspiré à deux reprises du vers d'O'Neddy. A partir de là, il y a deux hypothèses. Ou l'emploi fait par O'Neddy l'a amené à consulter le Littré, et il aurait cerné la source d'O'Neddy, mais j'ignore les dates de publication des volumes du dictionnaire de Littré, alors que c'est le seul angle d'attaque par lequel Bienvenu pourrait envisager que Rimbaud s'est également inspiré du texte de Buffon. L'autre hypothèse, c'est qu'O'Neddy s'étant clairement inspiré de Buffon, son dernier soupir étant bien un chant du cygne dans l'idée, Rimbaud s'est inspiré d'O'Neddy sans savoir qu'il existait une référence à Buffon dans le poème d'O'Neddy.
Quelle que soit l'hypothèse retenue, la source première pour Rimbaud a été la lecture d'O' Neddy. Ensuite, il faudrait vérifier les dictionnaires du dix-neuvième siècle. Selon toute vraisemblance, Rimbaud a lu le mot "strideur" dans le recueil Feu et flamme, à deux reprises qui plus est, et il a été vérifié ce mot dans des dictionnaires. Littré l'aurait ainsi amené à la lecture du passage de Buffon cité par Bienvenu et ce serait peut-être même le constat de ce lien d'O'Neddy à Buffon qui aurait donné un surplus de motivation à Rimbaud pour employer à son tour le couple "strideurs" et "clairon".
Je remarque également que Buffon met à côté l'un de l'autre les mots "trompettes" et "clairons", quand il est assez connu que dans son poème "La Trompette du jugement" Hugo fait en réalité un emploi abusif du mot "clairon" au lieu du nom "trompette" du titre du poème.
Pour ce qui est du poème "La Trompette du jugement", procédons maintenant à quelques rappels.
Beaucoup de lecteurs contemporains ont peut-être lu La Légende des siècles dans sa version définitive, mais cette version définitive, outre qu'on se demande quel rôle a pu jouer un Hugo très diminué et proche de la mort dans sa confection, a été précédé par une publication des poèmes en trois séries. La deuxième série n'a été publiée que tardivement en 1877, à une époque où nous pouvons être sûrs que le sonnet "Voyelles" de Rimbaud existait depuis plusieurs années déjà. Rimbaud n'a connu que la première série de La Légende des siècles, celle qui porte le sous-titre "Les Petites Epopées". Cette première série a été publiée en 1859, six ans après Châtiments, trois ans après Les Contemplations. En fait de recueils de poésies, Hugo n'a publié ensuite que Chansons des rues et des bois et L'Année terrible, avant que Rimbaud ne compose son poème autour de l'hiver 1871-1872. En plus, le recueil La Légende des siècles fait partie des recueils encensés par Baudelaire dans ses "Réflexions à propos de quelques-uns de mes contemporains", car il faut bien comprendre qu'à notre époque des années 1960 à 2018, Victor Hugo est un poète et même un écrivain dé-mo-né-ti-sé dans les milieux universitaires. Il faut bien comprendre la situation. Si vous dites que vous aimez les petits contes poétiques de Victor Hugo, vous passez pour un gamin, vous ne passez pour un connaisseur, un gourmet, ni rien, vous passez pour grossier. C'est ça, l'idée ! En-dehors de la modernité de Baudelaire, point de salut ! C'est pour cela qu'il est croustillant de renvoyer ces censeurs à la lecture de ce que leur maître a pu dire d'exalté au sujet de l'oeuvre du Victor Hugo de l'exil. Nous sommes loin des sornettes du dernier Verlaine, vous pouvez me croire. Vous serez impressionnés.
En tout cas, en 2000, la première série de La Légende des siècles a eu les honneurs d'une édition au Livre de poche avec une présentation et des notes par Claude Millet. Ainsi, les lecteurs plus jeunes ont finalement peut-être plutôt lu la seule première série et non le volume définitif publié par les autres éditeurs, notamment dans la collection Poésie Gallimard.
La première série a le mérite, reconnu cette fois dans le milieu universitaire, d'avoir une superbe architecture de recueil, à la différence du volume définitif fourre-tout.
Or, où je voulais en venir ? Tout simplement à ceci : dans la série de 1859, le poème se termine par trois sections, intitulées respectivement : "Maintenant", "Vingtième siècle" et "Hors des temps". La section "Maintenant" contient quatre poèmes : "Après la bataille", "Le Crapaud", "Les Pauvres gens" et "Paroles dans l'épreuve". Le poème "Les Pauvres gens" est une source d'inspiration bien connue, non contestée et non contestable des "Etrennes des orphelins", poème des débuts de Rimbaud. Les titres "Après la bataille" et "Paroles dans l'épreuve" pour délimiter une section intitulée "Maintenant" ont du sens. Il s'agit bien d'insister sur les luttes du temps présent, et je songe au "I rouge" avec son "sang craché" et "son rire des lèvres belles / Dans la colère ou les ivresses pénitentes", mais aussi aux "puanteurs cruelles". Mais, le lecteur doit me suivre quand je précise que les trois derniers poèmes du recueil "Pleine mer", "Plein ciel" et "La Trompette du jugement" sont des sources d'inspiration incontestables du "Bateau ivre" et de "Voyelles" de Rimbaud.
"Pleine mer" et "Plein ciel", avec leurs titres en jeu de miroir pourraient n'être considérés que comme un seul poème, ils forment le tout de la section "Vingtième siècle". Jusqu'aux années 1970 environ, ils étaient considérés comme des sources sensibles, "Pleine mer" surtout, du poème "Le Bateau ivre", ce qui nous valait plusieurs notes en ce sens dans les éditions commentées des oeuvres de Rimbaud par Suzanne Bernard. Des années 1970 aux années 2000, l'idée d'une influence de ces deux poèmes de Victor Hugo sur "Le Bateau ivre" a été traitée comme moins certaine et beaucoup plus accessoire, jusqu'à mon article de 2006 où j'ai montré, ce qui n'était pas le cas dans les annotations de Suzanne Bernard, que Rimbaud avait décalqué plusieurs vers précis de "Pleine mer" et de "Plein ciel". "Pleine mer" et "Plein ciel" étant réunis dans une rubrique intitulée "Vingtième siècle", il n'est pour moi pas négligeable de considérer que "Le Bateau ivre" est précisément une réflexion au seuil d'un avenir incertain. Pourtant, malgré mon article de 2006, une idée forte demeure figée dans la pensée de commentateurs : "Le Bateau ivre" s'inspirerait du "Voyage" de Baudelaire comme "Voyelles" s'inspire du sonnet "Les Correspondances". Or, si le lien des "Correspondances" à "Voyelles" est indiscutable, il n'est pas exclusif, tandis que, dans le cas du "Bateau ivre", aucun lien au poème "Le Voyage" n'a été établi avec certitude : il n'existe aucune étude d'un rimbaldien qui fasse consensus pour dire que tel aspect est un développement exprès d'un aspect du poème "Le Voyage" de Baudelaire. Personne n'a jamais dit : un tel critique a établi que ceci dans "Le Bateau ivre" vient du poème "Le Voyage", donc il faut nous accorder là-dessus. Tout ce que nous avons, c'est des déclarations de principe, une sorte de foi.
Et maintenant, si "Voyelles" a bien un lien avec le sonnet "Les Correspondances", il a un lien tout aussi fort avec "La Trompette du jugement" de Victor Hugo. Et, tandis que "Les Correspondances" et "Le Voyage" sont deux poèmes aux extrémités du recueil Les Fleurs du Mal, "Pleine mer", "Plein ciel" et "La Trompette du jugement" sont à la fois les trois derniers poèmes successifs de La Légende des siècles de 1859, mais encore ces trois poèmes forment l'ensemble du recueil consacré au regard tourné vers l'avenir en formant des sections significativement intitulées "Vingtième siècle" et "Hors les temps". Dois-je préciser que pour Hugo et Rimbaud le "Vingtième siècle" est une projection dans l'avenir qui n'a rien à voir avec ce que nous en avons vécu ou appris ?
De tels rapprochements ont du poids. Quand on sait cela, on ne peut pas dire que "Le Bateau ivre" n'a aucun sens ambitieux, qu'il s'agit d'étonner les Parisiens par de la virtuosité, on ne peut pas dire non plus que "Voyelles", c'est une fumisterie, un poème codé personnel, une chose à ne pas prendre au sérieux, etc, une théorie sur l'aléatoire des associations en poésie, etc.
"Le Bateau ivre" et "Voyelles" sont deux oeuvres où Rimbaud se situe en tant que mages par rapport à Hugo et même quelque peu par rapport à Baudelaire, et Rimbaud se met en concurrence avec de tels poètes en tenant bien compte de la perspective historique qui se dégage au moment où il compose, c'est-à-dire au tournant des années 1871 et 1872.
Un reproche qui peut être fait à l'ancienne critique des sources, c'est qu'elle pouvait se contenter des rapprochements d'idées et ne pas suffisamment tenir compte des rapprochements formels. Le rapprochement était fait avec "La Trompette du jugement", mais on ne citait que des passages frappants du poème hugolien, notamment son début : "Je vis dans la nuée un clairon monstrueux." Barrère et tous ceux qui l'ont suivi ne citaient jamais la mention "clairon suprême" que Rimbaud a inversée en "Suprême Clairon", alors qu'il s'agit de la signature qui permet de constater qu'il y a bien un renvoi au poème hugolien. Un récent article d'Yves Reboul, dont nous contestons à peu près toutes les conclusions, fait exception, le passage avec la mention "clairon suprême" est effectivement cité. La mention "clairon suprême" figure également dans le poème "Eviradnus" du même recueil de 1859, ce que j'avais fait remarquer dans un article paru en 2004.
Le poème "La Trompette du jugement" est composé de 184 alexandrins.
Le "clairon" est qualifié de plusieurs façons. La mention "clairon suprême" n'apparaît qu'au vers 36. Auparavant, nous avons rencontré les désignations : "clairon monstrueux" (vers 1), "buccin fatal" (vers 6), "clairon de l'abîme" (vers 17), "cet impénétrable et morne avertisseur" (vers 22), "clairon souverain" (vers 25). Il y a d'autres éléments de description, mais je ne vais pas m'éparpiller.
En revanche, puisque nous avons la qualification au vers 36 de "clairon suprême", la citation du vers 8 s'impose: ce clairon "Avait été forgé par quelqu'un de suprême".
De ce clairon, il est également dit au vers 14 (qui n'est pas le dernier d'un sonnet!) : "Il semblait un réveil songeant près d'un chevet." Et le réveil était facile à associé à l'idée d'une aube dont la lumière ramène l'activité sur Terre, citons aussi ces deux vers qui signifient expressément l'idée d'une aube latente au sein du redoutable instrument :

Je le considérais dans les vapeurs funèbres
Comme on verrait se taire un coq dans les ténèbres.
Je viens de citer les vers 23 et 24 où je relève une mention au pluriel "vapeurs", mais pour désigner autre chose que celles de "Voyelles". Cependant, le rapprochement n'en est pas moins pertinent, puisqu'il est question ensuite du "coq" tapi dans l'ombre, dont on comprend qu'il attend le jour pour s'époumoner et annoncer le jour avec ses vapeurs qui elles ne seront pas funèbres.
Dans le poème de Rimbaud, les "strideurs" sont liées aux "Silences", à tel point qu'on peut hésiter entre une série de trois associations : "clairon", "silences" et "rayon" ou une série de deux associations : "clairon" et "rayon", "silences" étant en apposition à "strideurs".
En fait, la métaphore du poème est d'associer des voyelles à des couleurs. Les voyelles sont tirées de l'alphabet et renvoient donc aux lettres, au code graphique, à l'écriture, mais il n'en est pas moins question de parole, de langage. Les couleurs sont assimilées à un langage. Pour moi, les "strideurs" ne sont pas simplement des "bruits stridents, grinçants", plutôt sourds qu'éclatants pour reprendre le discours de Buffon, mais ce mot "strideurs" qui consonne avec plusieurs autres du sonnet "Voyelles" : "puanteurs", "candeurs", "vapeurs", évoque inévitablement pour moi le terme "splendeurs" consécration religieuse par la lumière. Le mot "strideurs" est une métaphore pour des éléments bleus-violets qui deviennent le langage aigu des anges, ce que je vais étayer un peu plus loin. Je pense à un jeu de mots latent avec "striures". En ce sens, ces "strideurs" peuvent être des "silences", puisqu'il s'agit d'un langage suraigu de la lumière, de la couleur elle-même. Ce jeu de mots réside dans le nom "clairon" également avec la présence de "clair" dans sa composition.
Or, pour "Paris se repeuple" et "Voyelles", je faisais remarquer que Fongaro se limitait au couple "clairon" et "strideurs", sans voir que s'il élargissait la comparaison entre un quatrain et un tercet, nous avions trois termes communs, en y ajoutant "suprême". Maintenant, dans le cas de "La Trompette du jugement" et "Voyelles", le rapprochement est à nouveau de trois termes. Hugo n'a pas employé le mot "strideurs", mais juste après l'expression "clairon suprême" inversée par Rimbaud Hugo lance son vers par l'emploi verbal "Se tairait" (vers 37), et juste avant il attaquait le vers 35 par la mention "Ce silence..."

Ce silence tenait en suspens l'anathème.
On comprenait que tant que ce clairon suprême
Se tairait, le sépulcre, obscur, roidi, béant,
Garderait l'attitude horrible du néant,
[...]
La proposition s'étend jusqu'au vers 47 avec l'idée de "La pourriture, orgie offerte aux vers convives", en passant par les "héros ivres, les tyrans soûls", mais un point-virgule fait repartir la phrase dans une proposition complémentaire, solidaire, qui progresse jusqu'au vers 57 à la révélation non pas d'un regard, mais d'un front divin avec le rayonnement d'une aube intense :

Blanchissant l'absolu, comme un jour qui se lève,
Le front mystérieux du juge apparaîtrait !

On a bien une grande idée de révélation latente par les couleurs, puisque, finalement, dans "Voyelles", ni le noir, ni le rouge, ni le vert, ni le bleu-violet, ni le blanc, ne sont la pleine vision de la source !
Je n'ai pas fini mes citations, je vous épargne même certains détails. En tout cas, au sujet des "candeurs des vapeurs et des tentes", j'ai déjà expliqué qu'il s'agissait de l'aube qui tombant sur les tentes réveillent les humains et les renvoient à leurs activités. J'ai cité le début du poème "Moïse" de Vigny où il est question de l'aube qui touche les tentes et les blanchit. Je pourrais faire d'autres citations, mais vu que "La Trompette du jugement" est une source explicite au sonnet "Voyelles" de Rimbaud, je ne saurais manquer de citer (à nouveau) les vers 97 à 100 de "La Trompette du jugement" :
Alors, dans le silence horrible, un rayon blanc,
Long, pâle, glissera, formidable et tremblant,
Sur ces haltes de nuit qu'on nomme cimetières,
Les tentes frémiront, quoiqu'elles soient de pierres,
[...]
 Il va de soi que le poème orchestre un basculement de la voix contenue à la profération splendide. Dans "Voyelles", on a bien la matrice du "A noir" où les "Golfes d'ombre" ne peuvent manquer d'imposer à l'esprit l'idée du recueillement, avant que la parole ne se fasse expression tournée vers le monde. C'est pour moi toute la superbe du glissement de "Golfes d'ombre" à "frissons d'ombelles" avec cette reprise phonématique partielle "omb-" qui permet de créer une équivalence entre la parole recueillie dans l'ombre et la parole blanche qui communie et rayonne. Même si je peux trouver cela passablement inutile, je vais quand même citer les vers suivants qui montrent quand même que l'ombre n'est pas l'opposé net de la lumière quand il est question de parole sacralisée :

Quelque chose tremblait de vaguement terrible,
Et brillait et passait, inexprimable éclair.
Toutes les profondeurs des mondes avaient l'air
De méditer, dans l'ombre où l'ombre se répète,
L'heure où l'on entendrait de cette âpre trompette
Un appel aussi long que l'infini jaillir.

Dans cette citation, nous avons toujours l'idée d'aube, puisque l'heure de la trompette déjà préparée par l'image du coq qui veille y renvoie, nous avons l'idée de lumière comme éclair, nous avons l'ombre et donc le "A noir" mais associée aux "profondeurs des mondes" et donc à une image du tercet du O bleu-violet. Nous cernons bien une méditation qui peut à tout instant devenir lumière. Un peu plus loin, il est question "Du silence où l'haleine osait à peine éclore". Si le clairon de Rimbaud est plein de strideurs qui sont des silences, vers la fin de son poème, Hugo lâche encore tels vers: une main s'apprêtait :

A saisir ce clairon qui se tait dans la nuit,
Et qu''emplit le sommeil formidable du bruit.

Je n'ai aucun mal à rapprocher le "sommeil formidable du bruit" de l'idée de "strideurs étranges" qui sont des "silences". Nous avons vu qu'il était question des "Mondes" dans le poème hugolien, voici maintenant vers sa toute fin, alors que non des yeux mais cinq doigts se révèlent qu'il est question des "Anges" :
- Sans doute quelque archange ou quelque séraphin
Immobile, attendant le signe de la fin, -
Plongeait [...]
Parmi les détails du poème hugolien que j'ai laissés de côté, il en est que je veux ici évoquer en dernier. Dans le poème de Rimbaud, nous rencontrons au vers 9, centre du sonnet, puisque premier vers des tercets, le mot "vibrements". Là encore, dans les années 1990 ou en 1989, Fongaro avait publié une note pour préciser qu'il ne s'agissait pas d'un néologisme. Longtemps avant Rimbaud, Gautier avait employé ce mot à deux reprises, une fois dans la nouvelle fantastique "La Cafetière" parfois étudiée dans les classes de collège de nos jours, une fois dans son recueil de Premières poésies. Le mot "vibrement" est-il une création de Gautier ? En tout cas, le mot a du sens. Le mot "vibrer" est très employé en poésie au dix-neuvième siècle, et même dans le champ littéraire en général. Il peut être lié au lexique amoureux, mais il a aussi des connotations religieuses : la vibration des cloches d'une cathédrale, etc. Le mot "vibrer" renvoie aussi à l'idée d'unisson romantique dans l'univers, avatar de l'idée pythagoricienne d'harmonie des sphères, idée pythagoricienne à laquelle il est fait allusion d'ailleurs au vers 168 de "La Trompette du jugement" : "Et je ne sentais plus ni le temps ni le nombre."
Le verbe "vibrer" est un terme clef du poème "Credo in unam" rebaptisé "Soleil et Chair".
Je ne manque évidemment pas de relever la présence de l'infinitif "vibrer" au vers 60 de "La Trompette du jugement" et du mot "vibration" au vers 87 du même poème hugolien.
Enfin, si Hugo a intitulé son recueil La Légende des siècles, je n'oublie pas la résonance qu'il y a avec un livre d'édification chrétienne La Légende dorée. Et ceci m'amène à une autre étape de mon article. Je vais effectuer quelques comparaisons entre le sonnet "Voyelles" et le roman d'Emile Zola Le Rêve. Ces rapprochements ne seront pas du même ordre. Le roman de Zola ne saurait en aucun cas être une source au poème de Rimbaud, il vaudrait mieux même chercher une démonstration en sens inverse, puisque le roman de Zola a été publié en 1888 et en tout cas composé quelques années après la première publication par Verlaine d'une version du sonnet "Voyelles" dans Les Poètes maudits.
Le roman de Zola est à mon sens l'un des moins bons de la série des Rougon-Macquart, un de ceux où il éclate en même temps avec le plus d'évidence que Zola n'a jamais été un écrivain réaliste ou naturaliste malgré toute son envie de paraître tel. Mais ce n'est pas le sujet ici. Je ne ferai pas non plus de rapprochement indu entre le poème "Larme" et les premières lignes du roman où il est question de l'Oise qui gela lors du "rude hiver de 1860". Ce qui m'a amusé, c'est que plusieurs rapprochements sont faciles à faire avec "Voyelles". Premièrement, je peux ajouter à la liste des rapprochements douteux l'idée développée dans un des chapitres du roman zolien que la brodeuse doit employer le noir, le blanc, le rouge, le vert et le bleu, avec parfois de l'or pour broder les chasubles. Je me trompe peut-être, je ne sais plus s'il était question du bleu ou du violet, mais je crois bien que c'était le bleu, parce que le violet il était du côté de l'héroïne principal dont il est rappelé un nombre conséquent de fois, surtout vers le début du roman, au moins une fois vers la fin qu'elle a les yeux couleur de violette. Et au beau milieu du roman, on apprend que les fleurs lui donnent la migraine, sauf les violettes qui l'apaisent.
L'héroïne est une fille adoptée, moyennant une fausse idée selon laquelle sa véritable mère serait morte. Elle tombe amoureuse du fils naturel inavoué d'un "Monseigneur". Les deux enfants vont être sacrifiés à l'égoïsme religieux des parents. Le prêtre ne veut pas marier son fils à cette fille, il a sa propre faute à faire laver par son fils, tandis que, dans les parents adoptifs, c'est la mère qui s'en croit une, mais qui n'en est pas une, qui mène la danse, qui reproche à son mari la stérilité de son couple comme la punition d'une faute pour déclassement social, mère qui donc punit la fille pour achever le châtiment de ce qu'elle croit sa propre faute, en mentant et opérant en cachette pour l'empêcher d'être à celui qu'elle aime. Du sordide que les écrivains romantiques ou naturalistes n'admettaient pas encore en tant que tel, mais qui n'en était pas moins du sordide ! Evidemment, la petite se meurt d'amour, les adultes se rétractent trop tard, c'est-à-dire que l'héroïne meurt pendant la cérémonie du mariage dans une ambiance de fête, juste après son union et juste quand elle vient de donner le premier et donc unique baiser d'épouse. C'est du tarabiscoté. Zola est content, la symbolique, l'université aussi, c'est un des romans les plus lus de Zola, bien que peu présents dans les programmes scolaires, tout le monde s'y retrouve, sauf moi qui pense à la Rimbaud que c'est pondu comme une m... Enfin, bref ! On retrouve l'idée d'une éducation par les livres, mais à rebours des lectures romanesques d'Indiana, Emma Bovary, etc. Ici, nous avons une lectrice captivée par les choses de la religion, par les mortifications, par l'édification des vierges martyres, etc., par les récits précisément de La Légende dorée, ouvrage mentionné à bien des reprises au fil des chapitres.
Par exception, je n'ai pas accompagné ma récente relecture de ce roman de prises de notes, mais je signale à l'attention deux autres éléments importants à rapprocher du sonnet "Voyelles".
Premièrement, je l'ai déjà dit souvent, mais la candeur liée au "E blanc" renvoie à l'idée de pureté au plan religieux, il faut songer rien qu'avec Rimbaud aux "candeurs plus candides que les Maries", mais ce motif n'est pas personnel à Rimbaud. Or, dans le roman, plusieurs fois, il est question du caractère candide du personnage, avec emploi des mots "candeur" ou "candide" bien sûr, mais aussi avec l'idée d'une chambre toute blanche, car la jeune fille est passionnée par le blanc et dérobe tant, tant et plus, d'objets insignifiants de couleur blanche. C'est même ce blanc qui va l'empêcher à un moment donné de quitter sa chambre pour fuir avec Félicien. Ce blanc de candeur religieuse, c'est la soumission et l'obéissance, elle le dit elle-même au moment de renoncer à la fuite.
Deuxièmement, les "strideurs" sont à rapprocher du fait que les "Silences" du "clairon sont "traversés des Mondes et des Anges". Vous vous êtes déjà demandé quel bruit ça fait un ange ? Eh bien Zola répond à cette question dans le cas du séraphin. Dans un chapitre de son roman, même s'il me faudrait retrouver le passage, je peux affirmer qu'il est question d'une comparaison imaginaire avec le cri aigu d'un séraphin, il y avait une expression du genre "comme le cri aigu d'un séraphin".
Je pense que ces petites remarques suggestives ne manquent pas d'intérêt.

Que pensait lui Rimbaud de la métaphysique qu'il mobilisait dans "Voyelles" ? Dans "La Trompette du jugement", l'instant de basculement est assimilé à une vision de l'éternité. Rimbaud a composé un poème ayant pour titre "L'Eternité" où il veut nous faire entendre qu'elle est là ici et maintenant. Dans un poème en prose des Illuminations, "Les Ponts", "un rayon blanc, tombant du haut du ciel, anéantit cette comédie", dit le poète, ce que je rapprocherais là encore d'un extrait cité plus haut de "La Trompette du jugement" : "Alors, dans le silence horrible, un rayon blanc [...]"
Dans "Voyelles", plusieurs mots rares sont employés qui font songer à un arrière-plan religieux. Fongaro a publié des notes sur "strideurs" ou "vibrements", mais aussi sur "bombinent" où ressort constamment un rapprochement avec un texte en latin de Rabelais. J'y reviendrai ultérieurement, comme je reviendrai sur l'expression "ivresses pénitentes" où le mot "pénitentes" à la rime s'avère un élément bien au centre du poème, puisque c'est le dernier mot des quatrains.
Comme Verlaine le fait entendre dans une lettre qu'il a écrite à Rimbaud au cours du printemps 1872, mais qui ne lui est peut-être pas parvenue, Rimbaud voulait alors écrire des poèmes qui seraient des prières et la note de la prière est bien présente dans les poèmes de cette époque, "Les Corbeaux" ou des poèmes de sa nouvelle manière.
Pour l'instant, je suis en train de lire des poésies en vers peu plébiscitées de nos jours. Je lis tout Desbordes-Valmore, je lis les pièces de Favart, etc. C'est un dossier qui se constitue lentement. Par exemple, le mot "asservie" à la rime est très présent dans les poèmes de Desbordes-Valmore. Je laisse tout ça mûrir, mais si vous pensez pouvoir prédire tout ce ce que je dirai à ce sujet, publiez vite, cela fera gagner du temps à tout le monde.
Je songe aussi au poème "Mémoire". La mémoire de l'eau, c'est bien sûr le reflet de la lumière du ciel, et le poème se fonde, une analyse de Cornulier allant nettement en ce sens, sur la superposition d'un flot de lumière au flot de la rivière elle-même. Je vais laisser mûrir tout ça, et quand ce sera bien prêt je publierai quelque chose. Je n'ai pas à précipiter les choses. Dites-vous que quelque chose se prépare et que "Voyelles", sonnet que je date du début de l'année 1872, véhicule une sorte de pensée métaphysique qui est très proche des poèmes du printemps et de l'été 1872.
Pour "Le Bateau ivre", il faut inévitablement se reporter à mon article de 2006 qui n'est pas si ardu que ça, qui est très bien composé, n'en déplaise aux mauvaises langues. J'aurai des corrections à apporter, sur les "noyés" en particulier je pense, mais l'essentiel de la lecture du "Bateau ivre" est posée dans cet article, selon moi.
Enfin, vu les enjeux et vu le nombre d'idées nouvelles qui fleurissent à chaque fois, et toujours en phase avec les idées principales que je défends, personne ne pourra me reprocher de m'éterniser sur le cas des "Voyelles" de Rimbaud. C'est autrement passionnant que de prendre un crayon et que de compter comme on l'verra des signes graphiques jusqu'au nombre 666, avant de se rendre compte que des "vibrements divins des mers virides", des "strideurs étranges" ou des "ivresses pénitentes" on ne sait pas ce que c'est et qu'on a aucune conversation avec les gens...

dimanche 16 septembre 2018

Intermède : je confirme que La Marseillaise plagie un concerto pour piano de Mozart

Je ne résiste pas à ce nouveau moment d'autosatisfation.
En effet, j'écoute l'autre fois avec quelqu'un Radio Classique. Il y avait un concerto n°5 pour harpes d'un nom que je ne connais pas du tout "Bluehorf", j'ai jamais compris, alors que j'aurais été curieux de réécouter ce truc pas compliqué à tel point que j'ai cru reconnaître vers la fin la gamme do ré mi fa sol la si do tout connement, mais c'était quelque chose aux sons un peu différents de ce qu'on entend d'habitude. Il y eut aussi par la suite un concerto pour piano de Mozart, le vingt-cinquième. Et là, quand je l'ai entendu, j'ai sursauté et j'ai dit : "Mais c'est clairement l'origine de la Marseillaise". J'ai dit que j'allais vérifier ça et que j'avais encore fait une super découverte au plan des sources. Le copain sait qu'effectivement je fais plein de découvertes hallucinantes sur Rimbaud, dans la musique rock ou blues, dans d'autres domaines encore, il était d'accord pour reconnaître La Marseillaise et me donnait immédiatement raison. Il était d'accord avec un autre de mes arguments, la convergence de dates... Je ne savais pas quand le concerto avait été composé, mais c'était forcément quelques années avant la Marseillaise. Seulement voilà, une fois revenu chez moi, je suis passé à autre chose, et c'est seulement maintenant que je réagis. Je suis allé sur le net et j'ai fait sur internet une recherche avec les mots clefs Marseillaise Mozart concerto pour piano, le 25 est sorti tout seul, j'ai lancé la recherche et je suis tombé sur plein de liens qui signalent que le rapprochement est fait depuis longtemps. Evidemment, il y a les sceptiques et les commentaires qui tournent la prétention en dérision, les petits malins qui veulent ne comparer que le rythme. Il y a ceux qui minimisent en disant que ça rappelle, que c'est un hommage. En fait, le refrain de La Marseillaise est un plagiat indiscutable du concerto pour piano n°25 de Mozart. C'est complètement évident.

 
Donc moi je confirme, je m'en fous que les gens disent qu'ils ne sont pas convaincus, moi je n'ai qu'à répondre qu'ils sont cons.

vendredi 14 septembre 2018

Voyelles : plus de lumière du blanc

Après un exposé sur  la forme que prennent dans l'ensemble les cinq séries d'associations, je reviens sur les vers 5 et 6 de "Voyelles" en considérant cette fois la copie de Verlaine, et je développe quelques autres idées ensuite.

Face à une adversité dont le manque d'intuition logique me dépasse, je reprends mon idée. Les associations pour chaque lettre de couleur prennent chacune la forme d'un groupe nominal. Il suffit alors de distinguer le nom noyau de tout ce qu'on appelle aujourd'hui les expansions du nom (dans disons 99% des cas : adjectifs épithètes, groupes prépositionnels compléments du nom, propositions subordonnées relatives / Il y a juste ici un cas particulier pour le vers 8 "Dans la colère ou les ivresses pénitentes", mais je ne vais pas me pencher sur sa singularité, il s'agit de toute façon d'une expansion au nom "rire", puisque la proposition ne comporte pas de verbes).

Je reprends le tableau. J'écris en rouge les trois éléments qui camouflent l'homogénéité du principe appliqué par Rimbaud :

A noir
Nom noyau : corset Expansions (3) : noir + velu + des mouches éclatantes Qui bombinent autour des puanteurs cruelles
Nom noyau : golfes Expansion (1): d'ombre

La présentation est très claire : mention de la lettre, première association sur deux vers, puis en trois mots la seconde association en début du vers suivant, en l'occurrence le vers 5.

Donc on a bien le couple "corset" et "golfes" et ce que j'appellerai un cortège de précisions.
J'ai parlé de matrice, de maternité en développant ce que pouvait communément suggérer les mots "corset" et "golfes". N'étant pas dans une impasse complète, il y a une personne qui pense que ma lecture de "Voyelles" relève du bon sens et que les autres se ridiculisent à ne pas voir ce qui crève les yeux, j'ai reçu en renfort des petites références sur l'idée d'une association entre le mot "golfe" et l'idée du sein.
D'abord, on peut consulter le Larousse du dix-neuvième siècle avec référence à la mer, mais aussi au sein dans le sens de matrice ! Je donne le lien sur le site "Gallica" de la BNF.

Lien pour lire la définition du mot "golfe" dans le Larousse du dix-neuvième siècle

Une étymologie grecque est donnée. Le nom "golfe" vient du grec kolpos signifiant "sein, giron, golfe, fond de la mer, abîme". Le lien est fait aussi avec le mot "gouffre".

Le Littré cite des vers de Lamartine, un extrait d'un poème du recueil Harmonies poétiques et religieuses. Lamartine est important en poésie avant tout pour ce recueil et bien sûr son premier Les Méditations poétiques, ainsi que pour Jocelyn.

Lien pour la définition en ligne donnée par le Littré

Lien pour lire le poème de Lamartine

J'ai déjà fait face au golfe de Gênes, il n'est sans doute plus tel que l'a connu Lamartine, malheureusement, mais il faut observer que c'est l'occasion d'un jeu entre la lumière de la Lune et les ombres du golfe bien précisément. Il faut inévitablement citer quelques passages. J'essaie de choisir le moins d'extraits suggestifs possible pour ne garder que ce qui est apte à marquer mes lecteurs. Ou plutôt, si je cite tout, je serai lu passivement, donc je choisis des extraits qui demandent aux lecteurs de faire un peu agir le cerveau.

[...]


A sa clarté tremblante et tendre,
L'oeil qu'elle attire aime à descendre
Les molles pentes des coteaux,
A longer ces golfes sans nombre
Où la terre embrasse dans l'ombre
Les replis sinueux des eaux.

[...]

Astre au rayons muets, que ta splendeur est douce,
[...]
[Nota Bene : je pense au dernier tercet de "Voyelles", je pense au dernier tercet de "Voyelles", je pense au dernier tercet de "Voyelles",... même si "Voyelles" ne parle pas de la Lune !]
Hors, un pauvre pêcheur soupirant vers le bord,
Qui, tandis que le vent le berce loin du port,
Demande à tes rayons de blanchir la demeure
Où de son long retard les enfants comptent l'heure ;
[... / Nota Bene : je pense aux "candeurs des vapeurs et des tentes", je pênse aux "candeurs des vapeurs et des tentes", je pense aux "candeurs des vapeurs et des tentes",...]

Et tu guides ses yeux, de miracle en miracle,
Jusqu'au seuil éclatant du divin tabernacle
Où celui dont le nom n'est pas encor trouvé,
Quoique en lettres de feu sur les sphères gravé,
Autour de sa splendeur multipliant les voiles,
Sema derrière lui ses portiques d'étoiles !

[... / Nota Bene: je pense au dernier tercet de "Voyelles", mais aussi à mon rapprochement entre les "pâtis semés d'animaux" et les "Silences" traversés ou semés de Mondes et d'Anges.]

 [...]
La lumière éblouit leurs cimes,
[....]
De brillants glaciers les couronnent ;
[...]
Tout fond dans le vide des cieux ;
Ce n'est plus qu'un troupeau candide,
Qu'un pasteur invisible guide
Dans les plaines de l'horizon,
[... / Nota Bene : je songe aux "candeurs" comme aux "pâtis semés d'animaux" ici mis au plan de "célestes campagnes.]

[....]

Je suis loin d'avoir tout cité sur la lumière, la langue inconnue, les insectes humains des orageuses cités, le golfe comme lieu d'ombre pour dormir bien, etc.



E blanc
Nom noyau : candeurs (variante frissons copie Verlaine) Expansions (2) : des vapeurs + et des tentes
Nom noyau : Lances Expansion (1) : des glaciers fiers
rois blancs (variante : "rais blancs" copie Verlaine)
Nom noyau : frissons Expansion : d'ombelles

I rouge
pourpres (variante : pourpre pour la copie Verlaine)
Nom noyau : sang Expansion (1) craché
Nom noyau : rire Expansions (2) : des lèvres belles + Dans la colère ou les ivresses pénitentes

U vert
cycles
Nom noyau : vibrements Expansions (2) : divins + des mers virides,
Nom noyau : Paix Expansion (1) des pâtis semés d'animaux
Nom noyau : paix Expansion (1) des rides Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux (variante des rides qu'imprima l'alchimie aux doux fronts studieux)

O bleu-violet
Nom noyau : Clairon Expansions (2) : Suprême + plein des strideurs étranges
Nom noyau : Silences Expansion (1) traversés des Mondes et des Anges
[Reformulation du "O bleu" en "Oméga" avec reprise de l'expansion "Suprême" précédente]
Nom noyau : rayon Expansions (2) violet + de Ses Yeux

Dans le cas du tercet du O bleu, l'alignement vers pas vers soutient nettement l'évidence d'une analyse nom noyau et expansions.

Ô Suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
- Ô l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !

Mais remarquez un autre fait troublant. Comparez les vers 9 et 14, le premier et le dernier vers des tercets ! Tous deux sont caractérisés par un rejet d'épithète, mais il s'agit à peu près de l'unique cas dans la poésie classique où étrangement les rejets d'adjectifs épithètes sont tolérés. Il s'agit de cas assez rares dans la poésie classique, mais ils existent.
En effet, "divins" et "des mers virides" sont deux expansions du nom "mers" qui forment un second hémistiche, mais cela ne forme pas un tout stable au plan du rythme. La remarque sera exactement la même pour "violet" et "de Ses Yeux" par rapport à "rayon".
Vibrements divins et vibrements des mers virides peut donner vibrements des mers virides
Rayon violet et Rayon de ses yeux peut donner rayon violet de ses yeux.
Mais comparer avec les seconds hémistiches des vers suivants inventés pour la circonstance

U, cycles, vibrements divins et qui font vivre
U, cycles, vibrements divins et infinis,
U, cycles, vibrements divins, époustouflants,
Ô, l'Oméga rayon violet et divin,
Ô l'Oméga rayon violet, tout intense,

Vous pouvez constater que les seconds hémistiches forment un tout avec son autonomie rythmique : "divins et qui font vivre", "divins et infinis", "divins, époustouflants", "violet et divin", "violet tout intense", alors que les deux hémistiches de Rimbaud ont une forme discontinue adjectif plus complément du nom : "divins des mers virides", "violet de Ses Yeux" (ne pas lire "le violet de ses yeux"). Je n'ai plus d'exemple en tête dans les poésies de Mathurin Régnier ou même d'un poète de l'époque de Boileau, mais il s'agit d'un cas particulier de rejet d'épithète toléré dans la poésie classique. Il faut noter que c'est le même principe qui est appliqué pour le second hémistiche du vers 3 : "velu des mouches éclatantes".
Je remarque également au passage que Cosme Olvera est un sacré cachottier. Non seulement son idée farfelu de considérer le dernier vers du sonnet "Voyelles" comme une parenthèse en ajoutant un second tiret s'inspire d'un mauvais déchiffrement du manuscrit et d'un cafouillage dans l'édition philologique de Steve Murphy, mais ce second tiret apparaît également dans l'édition du Centenaire dirigée par Alain Borer. J'ai l'exemplaire sous les yeux, page 255. Je n'ai pas vu d'explication dans les notes.
Ce tiret est aberrant, n'en déplaise à Cosme Olvera. En tant que spécialiste de l'Album zutique, je vous conseille de consulter la fin manuscrite du vers 14 du sonnet "Propos du Cercle", vous y verrez la même tache qui n'est pas un tiret que pour la copie autographe de "Voyelles". Hahahahaha hahahahaha hahahaha! Hahhahahah Hahahahahaha!

J'en viens enfin à mes vers 5 et 6.
Prenons la leçon de la copie Verlaine (je n'ai pas le texte sous les yeux, la ponctuation sera peut-être un peu inexacte, mais ce n'est pas un problème ici pour mon propos :

Golfes d'ombre, E, frissons des vapeurs et des tentes,
Lances de glaçons fiers, rais blancs; frissons d'ombelles,

Je vous explique ce que je vois d'important. On constate bien sûr le bouclage "Golfes d'ombre" et "frissons d'ombelles". On comprend bien que "Golfes" correspond à "frissons" et "d'ombre" à "d'ombelles", avec un jeu malicieux, puisqu'une partie du mot "ombre" se retrouve quelque dans la désignation du blanc par une fleur "ombelles". Ce bouclage confirme bien sûr que le premier hémistiche du vers 5 : "Golfes d'ombre, E frissons" orchestre le passage de la nuit au jour, de l'ombre à la lumière. Mais on voit aussi que si "Golfes" est sur le même plan que "frissons", j'ai mille fois raison d'insister sur les noms noyaux comme les éléments directeurs des associations, mille fois raison de dire que finalement les séries sont les suivantes : corset - golfes / frissons - lances - frissons / sang - rire / vibrements - paix - paix / Clarion - Silences - rayon.
La copie de Verlaine apporte un plus, car la reprise de "frissons" si elle semble bien maladroite souligne nettement une structure commune au "A noir" et au "E blanc". Il y a deux associations dans un cas, trois au moins dans l'autre, mais il y a une longue association précise suivie d'une conclusive pour le "A noir" et quelques associations précises et une conclusive pour le "E blanc".

A, noir corset velu des mouches éclatantes Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,
Golfes d'ombre ;

E, frissons des vapeurs et des tentes, Lances de glaçons fiers, rais blancs,
Frissons d'ombelles ;

Rermarquez que selon ce découpage on a bien à chaque fois une formule conclusive sur le même moule, mais aussi que les mentions "noir" et "blancs" sont prises dans l'élan descriptif précis qui précède la formule concise de conclusion. Dans le cas du "A noir", c'est le fait qu'il n'y a que deux associations qui favorise le découpage, dans le second cas, c'est la reprise de "frissons".
Pourtant, le "E blanc" contient plus d'associations. Je suis parti sur une base de trois associations à partir des noms noyaux candeurs ./ Lances / frissons (version autographe) ou frissons / Lances / frissons (copie Verlaine), et j'ai considéré que "rois blancs" dans la copie autographe était en apposition à "glaciers fiers". Mais le découpage binaire que je propose me fait considérer que "rois blancs" peut être en apposition à "glaciers", "vapeurs" et "tentes", sauf pour les débiles qui prônent l'écriture inclusive (jusqu'à plus ample informé, un groupe de "chanteurs-ses", ce n'est pas une écriture qui plaît aux femmes, seulement aux viragos!).
Or, une variante de la copie Verlaine me fait revenir sur ce problème d'apposition. A la différence du mot "rois", le mot "rais" s'harmonise parfaitement dans la série "frissons" / "Lances" / "rais" / "frissons"  Je ne suis pas encore à trouver comme pouvant aller de soi la série "candeurs" / "Lances" / "rois" / "frissons", mais pour la copie Verlaine l'idée de quatre associations avec une homogénéité patente pour les quatre mots directeurs ça marche ! Ceci dit, je comprends plutôt que "rois blancs" comme "rais blancs" sont finalement en apposition non pas à "glaciers" ou "glaçons fiers", etc., mais à "frissons" et "Lances". Les "frissons" ou les "lances" sont des "rais blancs", des "rois blancs" et se transposent encore en "frissons d'ombelles".
Les trois expressions "rois blancs", "pourpres" et "cycles" sont toutes les trois, dans tous les cas, proches des séries de noms noyaux. J'ai déjà dit que "vibrements" et "paix" était deux visages des "cycles", le "sang" et le "rire" sont deux images de la "pourpre", puisque deux images de la bouche colorée.
Enfin, il y a bien sûr un problème de spiritualisme posé par "Voyelles". En gros, les martyrs communards sont morts. Pour un esprit matérialiste, ils ont servi une cause, mais leur mort est cruelle et avec un peu de cynisme ils auraient pu éviter de servir une cause aussi dangereuse. On fait de Rimbaud un matérialiste pour plusieurs raisons. Il a adhéré à la Commune et ce mouvement a été pendant une bonne partie du vingtième siècle récupérer par une idéologie marxiste qui revendique une pensée matérialiste, alors que les communeux n'étaient pas forcément matérialistes. Gustave Lefrançais le rappelle, il existait une pensée spiritualiste parmi les communeux. Ensuite, il y a le mot de Rimbaud sur la certitude que l'avenir sera matérialiste, mot à mettre en relation avec les triomphes de la science face au recul de la religion, mot à mettre en relation avec le développement à l'époque du positivisme.
Je suis désolé, mais quand je lis le dernier tercet de "Voyelles", on a une évocation d'un jugement dernier. Pour certains, le poème date carrément de l'été 1871, ils sont encore plus près que moi des lendemains de la Semaine sanglante. Ma conviction, c'est que ce sonnet date du début de l'année 1872. Les rimbaldiens sont de plus en plus nombreux à penser en ce sens. Mais, au début de l'année 1872, comme le rappelle un poème daté de février "Les Mains de Jeanne-Marie", l'actualité communarde est encore bel et bien là dans la presse, en particulier avec les procès des femmes de la Commune, etc. Comment Rimbaud ne pourrait-il pas penser au martyre de la Semaine sanglante quand il parle d'un jugement dernier sept mois ou huit mois après les faits, et en même temps que se déroulent les procès des condamnés qui ont survécu et ont été faits prisonniers ?
Il a foi dans un jugement dernier, c'est une attitude spiritualiste, et il se moule pleinement dans le style prophétique chrétien, sauf que comme le monde est atroce depuis que ce Dieu nous attelle à sa croix il  y a toute la pirouette érotique du "rayon violet" d'un regard de Vénus.
On peut toujours qu'il écrit cela sans y croire, que c'est juste pour faire beau, mais c'est ce qu'il écrit. Quant à dire que ce qui est ironique, ça n'a aucun sens ici. Ou les signes de l'ironie sont visibles, ou c'est uniquement le lecteur qui peut transformer un beau poème en bouillie ironique. Il y a bien une raillerie dans ce sonnet, l'érotisation du "rayon violet" nous détourne de Dieu et du christianisme. Mais, pour le reste, c'est une célébration où il est impossible d'observer la moindre raillerie manifeste. Il n'y a aucun travail de style sensible pour nous prévenir de la moindre dérision.
Une prochaine grande étape sera de consolider la lecture communarde que je fais du sonnet. Je sais de toute façon ce que j'ai à faire, ça viendra.
Maintenant, il faut un mot sur ces questions d'aléatoire des associations et sur la vérité du dire poétique.
Personnellement, je n'ai jamais compris la prétention du réalisme en Littérature. Les mots sont des idées. Opposer deux chaises, ça se fait en un coup d'oeil, mais il y a faut des milliers d'heures et de mots pour le dire. Et encore, les chaises sont décrites à travers un regard, et on pourra regarder selon plusieurs angles variés une chaise qu'il faudra encore confronter quantité de façons d'aborder cette chaise par les mots, et on peut encore ajouter que quand on regarde une chose on est attentif ou on ne l'est pas, on pense en même temps à autre chose ou pas, etc., etc.
Les mots sont au plan des idées, et la volupté de la poésie va consister sur ce que la langue peut faire au plan de la vue et de l'ouîe, puis au plan des idées, jamais il n'y aura de rendu des choses. Quand je lis "frissons d'ombelles" ou "lances des glaciers fiers", je dois l'avouer, je ne me fais pas des images en tête aussi belles que je pourrais les avoir avec un film ou une peinture. Et pourtant, j'ai une énorme puissance de rêveries pour ce qui est des images. Je sais qu'on pourrait s'extraire des visions que je peux avoir j'aurais des chefs-d'oeuvre à exposer dans des salons artistiques. Je sais que j'ai cette force là en moi, mais il n'en reste pas moins que ma lecture de poèmes ne s'accompagne pas de flashs visuels aussi forts que ce que je peux avoir quand je cherche le sommeil, quand je rêve ou quand je fais jouer mon imagination rêvasseuse. Quand je vois certains commentaires sur la poésie, je me dis qu'ils n'ont pas les mêmes organes. Qu'est-ce que c'est que ce cirque ? Et je vois même très bien qu'ils n'ont pas l'air d'avoir réellement toutes ces visions qu'ils prétendent le sel de leurs lectures poétiques. Tout ça, c'est du pipeau ! Lire de la poésie, c'est une activité cérébrale. Mieux encore, plus on veut créer des images en lisant de la poésie, plus on se concentre sur ce qu'on lit, plus on réfléchit au-delà de la lecture passive du poème pour provoquer notre propre jeu de l'imaginaire. Si on lit passivement, on n'a qu'une petite compréhension immédiate. C'est l'activité cérébrale qui fait qu'on frissonne et qu'on a de grands développements en lisant de la poésie.
Ce qui me dépasse, c'est cette histoire d'une poésie qui nous dévoile des mondes. Le mot "table" n'est pas une vision, le mot est un média, un intermédiaire entre la réalité et nous. D'ailleurs, le seul mot "table" dans toute sa nudité n'impose pas une seule image. Le lecteur va l'associer à une série de tables de son environnement, à une série de tables qu'il a emmagasiné dans son imaginaire. Plus loin,, une description plus précise des pieds de cette table va l'amener à corriger ce qu'il avait d'abord cru pouvoir concevoir, etc. Les mots en s'assemblant ne créent pas des réalités, ils créent des assemblages qui peuvent nous faire envisager ce qui n'est pas dans la réalité : la vache carnivore qui parle, ou que sais-je ? mais il faut arrêter avec ce cirque de visions rapportées telles quelles par les mots.
C'est pareil quand je lis le Manuel d'Epictère, il prétend opposer ce qui est à notre portée et ce qui ne l'est pas, et en fait cette séparation je n'y crois, je ne crois pas qu'on puisse avoir à notre portée le désir, l'aversion, le jugement, à condition de savoir les dissocier des représentations, etc. Je n'y crois pas un instant que Dieu ne peut pas nous retirer l'exercice dynamique de la raison. Tout ça, c'est du charabia. On a exercé correctement la raison, mais c'est la même chose pour un oiseau qui exerce correctement son vol. On enlève ses ailes à l'oiseau, c'est fini. L'homme peut voir se détériorer son cerveau. Moi, je ne perds pas mon temps avec ces croyances en une raison qui nous fait égal à Dieu ou en une poésie qui ramène d'autres mondes. C'est absurde, je veux bien analyser les discours tenus en ce sens, mais je ne vais pas faire semblant de prendre ça au pied de la lettre. C'est absurde et c'est tout ! J'en reparlerai, j'ai encore de gros combats à mener pour me faire entendre, je pense.

samedi 8 septembre 2018

La logique de Voyelles pour les nuls

Je prends le A noir et je confronte les deux associations.

A, noir corset velu des mouches éclatantes Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre

Le poète ne formule pas des phrases complètes autour d'un verbe, il juxtapose deux groupes nominaux. Dans le premier groupe, le noyau est corset, dans le second le noyau est golfes. Le A noir est une forme qui permet de contenir : corset ou golfe, et le fait qu'il soit "noir" vient du contenu de ce corps. Ce contenu est noir parce qu'il est soustrait à la lumière, mais aussi parce que le couple "corset" et "golfes" est relayé par un second : "d'ombre" avec ses connotations négatives ou inquiétantes est en parallèle au complément du nom "des mouches éclatantes...". Les connotations négatives sont relayées également par la construction des épithètes "noir" et "velu" de part et d'autre du mot "corset". Un autre détail retient l'attention : les mouches sont éclatantes et bombinent. Ainsi, le A noir est perçu en lien avec un jeu de lumière et en même temps "éclatantes" et "bombinent" suggèrent déjà un jaillissement possible vers l'extérieur du sombre contenu du corset.
On voit qu'il y a donc deux parallélismes à relever pour le "A noir". Corset et golfes sont le A, les autres éléments justifient la mention de couleur, celle ici du noir.

Je prends le E blanc et je confronte les associations en jeu. Il s'agit toujours de groupes nominaux, et si on veut retrouver l'idée d'une symétrie sur le même plan que corset et golfes, le E est non pas dans les vapeurs, les tentes, les glaciers et les ombelles, mais dans les candeurs, les lances et les frissons, les frissons et les candeurs étant sur le même plan par la seule confrontation des deux versions connues du poème, puisque "candeurs" est une variante pour "frissons". Remarquons que les glaciers ne sont pas nécessairement des pics neigeux, ils ne le sont même pas normalement. En revanche, on comprend que comme les vapeurs et les tentes ont des candeurs ou des frissons, comme les ombelles ont des frissons, les glaciers s'animent et créent des lances blanches qui sont les frissons de lumière à sa surface. L'association "frissons" et "candeurs" prouvée par la confrontation des copies prouve que les frissons et les éclats blancs sont superposables dans l'idée de Rimbaud. Les lances sont bien des frissons et candeurs de la lumière reluisant sur les glaciers. Un axe moral positif se dessine avec les mentions "candeurs" et "rois". La positivité de "Lances" est soutenue par l'ajout de l'adjectif épithète "fiers" à "glaciers". Les vapeurs, les tentes, les glaciers et les ombelles ont pour point commun de pouvoir être blancs, mais la base de l'association est la série "candeurs", "frissons" et "lances". L'expression "rois blancs" ne dégage pas l'idée de base et s'impose à moi comme une apposition à "glaciers fiers". L'expression "rois blancs" implique tout de même un sacre du blanc, et un frisson de vie. Nous avons l'idée d'une royauté du blanc à cause du frisson de vie des fleurs, poncif des poésies romantiques et parnassiennes.

J'en arrive aux deux cas particuliers : "pourpres" pour "I rouge" et "cycles" pour "U vert".
Pour le "A noir", le "noir" précise le corset, et pour le "E blanc", il précise des figures de "rois" que j'interprète comme les "glaciers fiers". Ni "noir", ni "blanc" ne sont le mot clef d'une des deux premières séries.
En fait, dans le cas du "I rouge", le mot fédérateur est "pourpre" et dans le cas du "U vert", le mot fédérateur est "cycles". Je vais expliquer cela, ce sera particulièrement limpide dans le cas du "U vert".

Je prends le I rouge. Nous avons le mot clef "pourpre" au singulier ou au pluriel selon la version retenue, la copie de Verlaine ou celle de Rimbaud.
L'image globale "sang craché" et l'image "Rire des lèvres belles" sont deux illustrations du "I rouge", mais aussi du mot "pourpre" et par conséquent deux expressions des connotations du mot "pourpre".
La succession de "rois blancs" à "pourpre" illustre bien le passage d'une royauté conçue comme un état à une royauté par les actes. Il est question d'une royauté de l'être commandée par le sang, mais aussi finalement tout ce qui s'est fabriqué à l'intérieur du corset des êtres, puisque le rire suppose la bouche et même la respiration. Le sang est consacré par le fait qu'il soit craché, car c'est une marque de prise de pouvoir sur la vie, même s'ils nous en coûtent. On voit aussi que la série se déploie bien du corps à une série d'oscillations d'abord individuelles (blanc et rouge) puis universelles et cosmiques (vert et bleu). La série "corset" et "golfes" est relayée par une série "candeurs", "frissons" et "Lances" illustrant l'idée de rayonnement princier (rois blancs), puis par une série "sang" et "rire" illustrant l'idée de "pourpre".

Je prends maintenant le U vert et j'en traite à nouveau les associations livrées par le poète.
La série clef est "vibrements", et "paix" à deux reprises. Le mot "vibrements" confirme l'idée de "vibration" comme moteur physique et métaphysique de la perception de la Nature par Rimbaud, ce qu'une lecture de "Credo in unam" a tôt fait de renforcer. Le mot "vibrements" est aussi à rapprocher du mot "frissons" et on voit bien que les ondes sont réinterprétées selon les plans. Les frissons sont candeurs dans le cas du "E blanc", en même temps que signe d'élection divine (rois blancs) dans le cas du E blanc. Dans le cas du U vert, les vibrements figurent cette fois la paix. Or, les cycles offrent l'idée d'une stabilité, d'équilibre. Le mot "cycles" contient idéalement les idées de "vibrements" et de "paix". Associé à "paix", le mot "vibrements" est conforté dans l'idée de régularité du mouvement.
Si "vibrerments" et "paix" sont deux aspects du mot "cycles", les groupes nominaux sont bien articulés en fonction de l'idée suivante : cycles des mers, cycles de la Nature, cycles imprimés dans la vieillesse des sages qui acceptent leur sort. On peut remplacer "vibrements divins" par "cycles" et "paix" par "cycles". Comme dans le cas du "I rouge", le mot "cycles" en tête est l'élément symbole qui recoupe la série "vibrements", "paix", "paix". En effet, à cause des mentions "rois blancs", "pourpre" et "cycles", le lecteur ne se concentre pas d'emblée sur les rapports évidents des séries : corset et golfes / candeurs (ou frissons), lances et frissons / sang et rire / vibrements, paix et paix.

Je prends maintenant le O bleu. Il y a trois associations, chacune étendue sur un vers. Les mots clefs sont "Clairon", "Silences" et "rayon". C'est un assemblage retors. Le "clairon" connote la lumière "clair", mais il est du côté du son. Le rayon est lui du côté de la lumière. Il y a bien un recoupement des sens de la vue et l'ouïe, ce qui est nécessairement au coeur de l'idée de voyelles-couleurs. On peut remarquer que "Suprême" a son correspondant dans "Oméga", et à cette aune, on coupera court aux lectures qui voudraient maladroitement envisager qu'il y a deux "o" distincts dans le dernier tercet.
Mais entre "Clairon" et "rayon", le mot clef est "Silences", lequel mot s'oppose au couplage vue et ouïe, de prime abord, à moins de considérer que la lumière est conçue comme une parole silencieuse. Ces associations imposent un plan mystique ou métaphysique évident, puisque du côté de l'ouïe le "Suprême Clairon" suppose déjà le silence énigmatique de Dieu et évoque sans détour le jugement dernier. Le "rayon" pose le problème de l'interprétation de la lumière comme "onde", voire comme liquidité". Rimbaud affectionnait l'idée de la lumière comme liquide dans ses poèmes. Dois-je citer des passages de "Credo in unam", du "Dormeur du Val", etc., etc. ? Il existe un débat entre ondes et corpuscules. Rimbaud dans ses séries rapproche les mots "frissons", "vibrements" et "rayon".

Enfin, je vous cite le quatrain dont la seule version connue figure en-dessous de la copie par Verlaine du sonnet "Voyelles":

L'Etoile a pleuré rose au coeur de tes oreilles,
L'infini roulé blanc de ta nuque à tes reins
La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles
Et l'Homme saigné noir à ton flanc souverain.

Dans ce quatrain, il n'y a pas d'associations entre voyelles et couleurs, mais il y a une mobilisation symbolique des couleurs sur un plan conjoignant l'humain à l'universel.

Il n'existe à l'heure actuelle aucune édition des oeuvres de Rimbaud qui fixe ce que je viens de préciser, alors que dans le principe ce n'est pas bien compliqué à comprendre. Un jour, on soutiendra dans les classes que c'est assez évident de procéder avec méthode et de mettre en relation les termes noyaux des associations. Quelle détresse ! Quelle détresse ! Rimbaud, le poète le plus lu ou le plus commenté au monde. Rimbaud, le poète que même les politiciens prennent en charge avec des livres sur son sujet, avec des commémorations officielles et des petits mots allusifs. Hugo ou d'autres sont cités pour un contenu explicite, pour du débat d'idées. Rimbaud, lui, il est cité comme le poète qui rayonne par-dessus tout dans notre culture. Et face à un tel phénomène, vous préférez rester dubitatifs face à ce qui précède, et lire des considérations de petits enfants sur une cour de récréation : gratuité des associations, illustration du pouvoir de l'aléatoire des mots, séduction du chiffre de la Bête, refuge d'illisibilité pour le confort du quant à soi de chaque lecture individuelle, visions d'un au-delà cernée par des mots qui jusqu'à plus ample informé ne sont pourtant que des médias, et j'en passe...

lundi 3 septembre 2018

Voyelles, une réflexion sur les difficultés posées par le texte

Je reviens encore une fois sur le cas du sonnet "Voyelles".
Il devrait être évident pour tout le monde que ce texte n'est pas ironique et qu'il a une forte charge symbolique. Les séries d'associations se parlent entre elles, se font écho, entrent en résonance, etc., etc.
Voici pourtant le genre d'âneries qu'on peut glaner dans les commentaires et notices le concernant.
Sur son site, Alain Bardel écrit : "Ne cherchons pas autre chose dans ce bel et célèbre 'sonnet des Voyelles' qu'un poème à feuilleter comme un livre d'images, un ingénieux protocole de création poétique." Bardel ne voit là que du "prétexte" à des "associations d'idées". Selon lui, "Ces associations sont presque exclusivement et simplement fondées sur le rapprochement d'images évoquant la même couleur".
 

Un autre site qui nous vend du "Rimbaud expliqué" renvoie précisément à cette page d'Alain Bardel, mais nous soutient également le point de vue suivant : Le sonnet est un "exercice de style" qui "témoigne de l'arbitraire de tout jeu associatif" et ce sonnet serait le poème "le plus représentatif d['un] dépassement rimbaldien" impliquant des "visions".

Peut-on apprécier un texte parce qu'il illustre l'arbitraire, l'aléatoire, etc. ? Peut-être ! Mais en quoi "Voyelles" illustrerait-il mieux l'arbitraire et l'aléatoire que tel exemple suivant de mon invention : "Une petite montre pour une grosse coiffure, je tape à gaille et j'ai bu tous les livres" ? Sur quels principes, nos commentateurs vont-ils séparer les associations aléatoires qui sont pertinentes, artistiques, et celles qui ne le sont pas ? Le sonnet "Voyelles" est-il un poème qui a un mérite en soi ou n'a-t-il qu'une valeur historique de premier abandon explicite à l'aléatoire ? Faut-il célébrer l'arbitraire d'un rapprochement ou bien plutôt la pertinence d'un rapprochement inattendu ? Poser cette dernière question, c'est suggérer la réponse et elle ne va pas dans le sens des citations faites plus haut.

Reprenons donc les cinq séries d'associations dans "Voyelles". Nous avons un regroupement du "A noir", du "E blanc" et du "I rouge" sur six vers (vers 3 à 8), puisqu'il faut isoler les deux premiers vers d'annonce. Le U vert et le O bleu forment un autre ensemble de six vers. Le premier ensemble est compris dans les quatrains, le second forme l'ensemble des tercets. Nous avons trois vers pour le U vert, trois vers pour le O bleu, mais seulement deux pour le A, le E et le I. Toutefois, un rejet entre quatrains fausse même ce dernier rapport, puisque le A mange sur le vers 5 et réduit la part métrique consacrée au "E". Ce cas d'interpénétration est unique et il concerne comme par hasard le basculement du noir au blanc, avec en prime, du moins dans la version finale autographe, une symétrie : "Golfes d'ombre, E candeurs" où "candeurs" implique l'idée de blanc quand "ombre" implique l'idée du noir. On comprend aisément que nous avons un passage de la nuit au jour, ou en tout cas de l'obscurité au dévoilement des choses par la lumière.
Traitons maintenant les cinq séries une par une.
Quatre séries sont faciles à comprendre spontanément, le cas du "E blanc" sera traité à part.
Commençons par les tercets.

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux.

Abstraction faite d'une variante de détail dans la ponctuation, la copie Verlaine offre une leçon différente pour ce tercet : "Qu'imprima l'alchimie aux doux fronts studieux." J'en retiens l'adjectif "doux" qui entre fortement en résonance avec la répétition "paix".
Le tercet du "U vert" offre un tableau parfaitement articulé. Rimbaud n'a pas du tout créé une série aléatoire sur la couleur verte, par exemple une suite : "petits pois, crotte de nez, banc vert, volets verts, poteaux verts". Sa série commence par un terme général abstrait "cycles", mais elle se poursuit pas deux associations dans les mots clefs sont "mers" et "pâtis" couplés à "vibrements" et "paix". On comprend que les "vibrements" sont sur le même plan que la "paix", on comprend qu'il est question des "mers" et de la Nature: "vibrements divins des mers virides" et "Paix des pâtis semés d'animaux". On comprend qu'il est donc question du monde sublunaire dans lequel nous vivons. Les cycles sont ceux des marées, des saisons et de la faune, cycles qui forment l'harmonie. Ces vibrements et cette paix, c'est l'harmonie des cycles du monde. Or, face à cela, nous avons la présence contemplative des vieux sages, avec la reprise du mot "paix" pour bien signifer que la paix de la Nature passe à l'Homme : paix des rides / Que l'alchimie imprime aux grands [ou doux] fronts studieux." Il est bien évidemment question de la figure du sage à travers les mentions "rides", "studieux" et "fronts". Il est question d'une position contemplative, passive donc, mais avec un gain. Les rides signifient l'approche de la mort, mais il y a une acceptation dans le regard de ses hommes qui ont vévu et ont bien compris que c'est la loi naturelle et harmonique de la vie.
En quoi ce tercet parfaitement structuré et porteur d'un sens assez clichéique finalement illustre-t-il la modernité des associations aléatoires ? En quoi, l'idée de U vert n'a-t-elle été que le prétexte à des associations gratuites et bizarres qui feraient sensation ? C'est un discours antique qui est tenu dans ce tercet et c'est l'imprégnation de cette idée venue du fond des temps qui a de l'effet sur nous lecteurs !
Or, si le U vert sous forme de tercet a décrit rapidement le monde sublunaire et la contemplation assagie qu'il procure aux hommes mûrs, le tercet du O bleu lui oppose précisément la vue du ciel, et non pas le ciel bleu, mais le ciel comme coin de l'espace où nous cherchons la solution à nos interrogations métaphysiques.

O, Suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges,
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux.
Certes, vous pouvez chercher à en savoir plus sur le mot "strideurs" ou bien sur la nature de ce "rauon violet" ou bien cette idée de "Mondes et Anges" qui traversent les silences, mais ce n'est pas parce que ces éléments du texte vous interpellent que vous devez négliger la ligne essentielle transparente. Le "Suprême Clairon", on en convient, c'est la trompette du Jugement dernier, les "strideurs" sont un élément de la "trompette du jugement dernier" de toute façon, donc pas la peine de rétorquer que la lecture est bloquée pour le vers 12. Le vers 13 est piloté par le mot clef "Silences". Or, si l'homme cherche la raison de son existence, s'il cherche une transcendance, s'il cherche à résoudre un questionnement métaphysique, s'il cherche Dieu, il ne fait que collecter des indices, que soupçonner une existence. L'homme interroge le ciel, mais Dieu ne répond pas. Vigny le vivait très mal ce silence et c'est ce qu'il exprime dans plus d'un de ses poèmes. Or, le vers 13 de Rimbaud est nécessairement dans le sujet, puisque les "Silences" sont traversés par des "Mondes" ce qui rompt l'idée de solitude inquiétante, mais aussi par des "Anges": on a donc bien l'idée clef de "Silences" liés à une quête d'indices métaphysiques de l'existence d'autres mondes ou de Dieu. Ce vers 13, il suffit de le comparer à la célèbre formule de Pascal : "Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie." Enfin, le vers 14 est celui de la révélation d'un Dieu qui nous observe, tout à fait à la manière des représentations de l'oeil de Dieu pris dans un triangle au milieu d'un nuage. La subtilité, c'est que la formulation érotique : "rayon violet de Ses Yeux" subvertit le modèle chrétien. Le poète ne désigne pas Dieu comme l'idée de trompette du jugement dernier pouvait nous préparer, mais une sorte de Vénus, et c'est ce qui justifie le tiret qui lance le dernier vers, car la subversion montre que le dernier vers est bien en quelque sorte une espèce de pointe moqueuse.
Certains commentateurs prétendent qu'il n'est nullement question de Dieu ou de divinité dans ce dernier vers. Mais, bon sang, les voyelles sont organisées du A au O, et le O est transcendé en Oméga, lettre grecque qui n'a pas la forme o micron du O latin soit dit en passant. C'est une claire allusion à une expression de l'Apocalypse: "Je suis l'Alpha et l'Oméga." Je ne suis pas spécialiste de ce texte biblique, mais jusqu'à plus ample informé cette expression désigne le Christ. Et, dans le même ordre idées, le fait d'employer une majuscule pour un déterminant ou pour un pronom : "Je vois Son visage, Je Le vois, etc." est appliquée au possessif "Ses" dans la copie autographe : "Ses Yeux"; ce qui renvoie à l'idée d'un personnage supérieur qu'on nomme dans toute sa majesté. Ce procédé s'applique à Dieu. Il y a bien un jeu dans le texte de désignation de la divinité, mais avec une dérobade provocatrice par le rayon violet.
Si Rimbaud voulait exhiber un principe associatif aléatoire, jamais il n'aurait si clairement articulé une telle bipartition des tercets. L'un décrit la contemplation du monde sublunaire par l'homme sage, l'autre décrit le ciel comme espace des attentes métaphysiques des mêmes fronts. Et ces fronts tournés vers le ciel croisent un regard.
Du coup, il y a certainement encore beaucoup de petits détails qu'on peut commenter dans les six vers de tercets, mais l'idée essentielle on la tient. Elle n'est pas à discuter.
Passons maintenant au cas du "A noir". Je cite le passage qui nous intéresse en soulignant en gras deux mots clefs :

A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre [...]
Il n'y a que deux associations, et la deuxième a une forme succincte lapidaire. Nous avons pour cette deuxième un simple complément du nom "d'ombre", ce qui veut dire que le terme clef est ce nom "Golfes". Dans le complément du nom, nous n'avons finalement qu'une précision justifiant l'idée du "noir", ce qui peut même faire dire que les "Golfes" sont des "A". La forme de la lettre "A" correspond à un angle aigu fermé par une barre. Les "golfes" sont un peu l'équivalent de ce resserrement, de ce goulot d'étranglement perceptible dans la représentation de la lettre "A". Dans son recoin intérieur, le "A" contient l'ombre. L'autre association se fonde sur le mot "corset", tout le reste n'étant qu'expansions ajoutées au nom "corset". L'adjectif "noir" précise "corset". Ensuite, "des mouches éclatantes...", c'est un complément du nom "corset" et la relative "Qui bombinent..." est un complément des "mouches éclatantes", mais un complément qui fait partie du complément au nom "corset". Ce que j'anticipe, c'est que le lecteur peut avoir la faculté naïve de ne pas s'arrêter à ce qu'ont en commun les mots "corset" et "Golfes". Le lecteur est capable de laisser vagabonder son esprit. Le corset est fermé, le golfe est ouvert, etc. Le corset a tel sens précis, le golfe a tel autre sens précis. Mais, l'activité cérébrale du lecteur doit ici se concentrer sur la convergence de sens entre les deux mots. C'est un principe de pertinence que de rechercher ce qu'il y a de commun entre le corset et les golfes, car on part de l'idée que ce qui justifie que le corset est un "A noir" c'est aussi ce qui vaut justification pour les "golfes". Pour des raisons que j'ignore, ce trait fondamental de l'intelligence humaine n'est pas partagé par beaucoup de personnes. Chez moi, il est immédiat. J'ai constaté que quelques personnes me donnaient raison pour le rapprochement entre corset et golfes, mais la quasi totalité des gens n'ont pas ce réflexe intelligent de lecture. Je les ai vu faire. Ils étudient corset, puis golfes, mais ils passent en revue des différences entre les deux mots, et du coup ils s'interdisent de revenir, même s'ils l'ont amorcé auparavant, sur la mise à jour de facteurs communs entre les deux mots. Il lâche la proie pour l'ombre. C'est un signe de bêtise, mais il est dominant parmi les hommes. Je ne comprends pas pourquoi.
Il va de soi que la figure du corset de la mouche correspond mieux à l'image de la lettre A, mais le golfe est aussi une forme d'enceinte, et j'emploie le mot à dessein, parce que le corset contient un corps et suggère l'idée de parties féminines consacrées à la maternité, tandis que les golfes sont des terrains d'accumulation, de sédimentation, qui favorisent la vie. D'ailleurs, la vie maritime ne se joue-t-elle pas plutôt le long des côtes et dans les golfes que loin en mer. Le golfe crée une forme qui contient, qui empêche un délitement, le golfe évoque comme le corset l'idée d'un embrassement corporel protecteur. Le golfe et le corset supposent tous les deux un contenu soustrait à la pleine lumière. Si le début du vers 5 joue explicitement sur l'idée de passage de la nuit au jour, c'est bien sûr ce rapprochement entre les mots directeurs des associations du "A noir" : "corset" et "golfes", qui permet de dire que le "A noir" symbolise la matrice. Il y a d'autres choses, puisqu'il  y a l'idée d'un être intime, fragile, couvé, caché à la lumière, mais aussi l'idée de la décomposition, de la pourriture, du répugnant qui n'en prépare pas moins la vie. Les mouches se repaissent de cadavres, mais parce qu'elles doivent vivre elles aussi. Ce qui est répugnant de notre point de vue ne l'est pas pour la mouche, et ça les sages aux "fronts studieux" qui font le rapprochement avec les "pâtis semés d'animaux" le comprennent.
Passons au "I rouge". La mention de couleur "pourpres" est isolée, avec un passage du singulier au pluriel entre les deux copies manuscrites connues. Il va de soi que la connotation symbolique du pourpre est engagée, sachant qu'au vers précédent nous avons une mention "rois blancs".
Juste devant la césure, nous avons l'expression "sang craché" au vers 7, puis dans le second hémistiche la prise d'élan de l'expression "rire des lèvres belles". Si l'aléatoire était le principe suivi par le poète dans ses associations, comment aurait-il négligé d'éviter une nouvelle symétrie patente entre "sang craché" et "rire des lèvres belles". Nous avons déjà vu le contraste symétrique : "Golfes d'ombre, E candeurs", où "ombre" s'oppose à "candeurs" (expression du blanc) quand "Golfes" représentation du "A" fait face à la lettre "E". Au vers 7, l'expression "sang craché" contient l'idée clef du "I rouge", celle de "sang", comme nous allons le montrer, mais aussi celle de "bouche", et même celle de propulsion vers l'extérieur : "craché". Le "rire des lèvres belles" implique quelque peu l'idée de "sang" au plan des "lèvres belles" comme au plan du "rire qui agite les personnes, mais le "rire des lèvres belles" implique inévitablement la bouche (rire et lèvres), comme à nouveau le fait que quelque chose part de l'intérieur et va communiquer son être à l'extérieur en se propageant (rire). Or, cas à part de la mention "pourpres", ce sont les deux seules associations concernant le "I rouge", puisque le vers 8 "Dans la colère ou les ivresses pénitentes" est une expansion qui précise le cas du "rire". On prétend que Rimbaud fait des associations gratuites d'un arbitraire étonnant, mais, encore une fois, on constate qu'il n'en est rien : "sang craché, rire des lèvres belles", tout cela s'interpénètre étroitement au plan du sens. Rien à voir avec un rapprochement arbitraire entre différents éléments de couleur rouge : "drapeau rouge, couchant, coccinelle, etc." Et si, dans un premier temps, certains penseront opposer le "rire" au "sang craché", le vers 8 est là pour couper court à cette opposition, puisque ce "rire" est celui soit de la "colère", soit des "ivresses pénitentes".
L'alliance de mots "ivresses pénitentes" ne retient guère l'attention des commentateurs, alors qu'il s'agit des deux mots qui concluent les quatrains, moment peu innocent dans un sonnet.
Le "sang craché" devient alors d'évidence celui de la lutte, puisqu'il est couplé à un "rire dans la colère", puisqu'il est sur le même plan que des "ivresses pénitentes" qui ne peuvent renvoyer qu'à une fierté de se battre pour une cause, bien évidemment. La "colère", c'est encore ce qui bout en soi et qu'on extériorise. Les "ivresses pénitentes" confirme l'idée d'un soi intérieur qui lutte avec le monde.
On comprend désormais que le A, le E et le I vont représenter une unité symbolique autour du déploiement de l'individu : matrice, E blanc, sang qui affirme la vie par la lutte, tandis que le U vert et le O bleu sont l'expression du positionnement de l'individu doué de sagesse par rapport au monde, dans sa forme sublunaire, puis selon le mode de l'interrogation métaphysique.
Ce qui peut entraîner des réticences, c'est que les lecteurs vont procéder comme ils le font pour "corset" et "golfes", ils vont accentuer des divergences. Pour eux, certains vers concernent les êtres humains, d'autres les animaux, les choses ou la Nature. Les lecteurs vont avoir du mal à corréler la matrice au plan des mouches avec la paix des fronts studieux et le rire dans la colère. Les lecteurs vont compartimenter les plans symboliques, les cloisonner de manière étanche, parce que pour eux la matrice du "A noir" n'a rien à faire avec un discours sur l'Homme dans le "I rouge" ou le "O bleu". Pour eux, la succession des "pâtis semés d'animaux" et des "grands fronts studieux" ridés ne fait pas sens. Ils n'ont pas la capacité naturelle à subsumer. Ils créent des zones tampon qui font que les éléments du poème sont irréconciliables entre eux, au mépris de l'évidence nécessaire que tout est soudé dans ce sonnet, au mépris de l'idée que ce sonnet n'est pas si tous ses éléments ne sont pas solidaires entre eux. C'est un blocage que je n'ai pas et qui rend ma relation assez étrange avec les autres humains.
Enfin, il faut en venir au cas du "E blanc". Les associations du "E blanc" sont hétérogènes à la différence de ce que nous observons pour le "A noir" et le "I rouge" qui s'en tiennent à deux associations, à la différence de ce que nous observons de clairement articulé et organisé pour le tercet du "U vert", à la différence même de la suite de trois idées métaphysiques que nous relevons dans le tercet du "O bleu".
Pour le U vert, nous avions repéré la série mers / Nature / sages contemplatifs, mais nous avions aussi relevé le parallèle vibrements / paix / paix. Dans ler cas du "E blanc", nous pouvons au moins cerner un parallèle du type vibrements / Paix / Paix, il s'agit de la suite : "candeurs / Lances ./ frissons", sachant que cette série sur la copie Verlaine suppose une répétition comme ce l'est resté pour "paix" dans le cas du "U vert", puisque nous avions la suite : "frissons / Lances / frissons".
Cette idée de "frissons" est capitale et nous pouvons comprendre que les "lances" bien que plus concrètes sont une variante de l'idée de "frissons". Le "E blanc" crée une effet de "frissons" quand le "U vert" crée un effet de "paix" Il y aussi l'idée d'une grande oscillation universelle quand on songe que "frissons" et "vibrements" se répondent quelque peu. Le "sang" et le "rire" ont aussi à voir avec la vibration. Pour le "A noir", la vibration n'est pas tout à fait envisageable au même plan, mais elle apparaît quand même dans le verbe "bombinent".
Reprenons pourtant notre lecture en situant le E blanc dans le contexte d'enchaînement du sonnet. Apèrs un "A noir" de matrice, le passage du noir au blanc est clairement orchestré en fonction d'une idée de passage de la nuit au jour. Ensuite, nous aurons le I rouge dont l'idée clef sera le sang comme vie autonome accomplie avec cette fois une affirmation de soi qui va de l'intérieur vers l'extérieur, alors que le A noir était plutôt la soustraction protectrice aux dangers de l'extérieur.
Le E blanc comme idée de dévoilement par la lumière de jour offre un magnifique symbole intermédiaire. Le corps est protégé dans le ventre enceinte, dans le ventre maternel. Il se forme, mais sa naissance est celle de sa venue au monde. Le poussin doit sortir de sa coquille. Ensuite, plein de sang, il va aller à la conquête du monde.
Mais les associations du "E blanc" vont poser problème aux lecteurs. Nous avons une série hétérogène : "vapeurs", "tentes", "glaciers" et donc sommets de montagnes, éventuellement rois et enfin ombelles autrement dit fleurs blanches. Cette suite hétérogène peut difficilement correspondre, surtout pour des esprits qui vagabondent plus volontiers dans les oppositions que dans les mises en facteur commun, à l'idée d'une enveloppe, d'une coquille de l'être qui va se révéler au jour. Spécifiquement pour ce "E blanc", l'approche enseignante doit s'accompagner d'un étalage de sources pour offrir aux lecteurs une familiarité avec la célébration de la venue du jour en poésie qu'ils n'ont pas. Il faut offrir aux lecteurs plusieurs textes tremplin de Victor Hugo, d'Alfred de Vigny, d'Alphonse de Laamrtine, de Leconte de Lisle, de Paul Verlaine et d'Arthur Rimbaud lui-même pour qu'ils s'imprègnent de ce qu'impliquent en général les mentions "glaciers", "tentes" ou "frissons" dans la poésie du dix-neuvième siècle. IL faut qu'ils lisent nombre de poèmes où il est question des "frissons des bois", de l'effet de la lumière sur les choses. Le lecteur doit sentir que le sommet de la montagne, l'éclat de la fleur et l'effet de lumière sur la tente sont trois clichés de la célébration du jour ou du moment de l'aube dans la poésie romantique. Plus il aura ces textes sous les yeux, plus il sera disposé à admettre l'unité des associations du "E blanc" dans le sonnet "Voyelles".
Cette lumière du jour suppose aussi la chaleur qui amène à la vie. Les "vapeurs" sont un état de l'atmosphère sous l'effet de cette succession de l'ombre aux candeurs telle qu'elle est orchestrée dans le premier hémistiche du vers 5. L'éclat du jour sur les tentes invite l'homme à sortir de sa tente, c'est un moment de réveil parce que nous avons la lumière et en général la chaleur du soleil qui reviennent. Le frisson de la tente, c'est la lumière du soleil qui pénètre la tente et qui vient dire aux hommes de reprendre leurs activités. Enfin, à cause de la série "candeurs"/"Lances"/"frissons", je suis convaincu que l'expression "rois blancs" est en apposition à "glaciers fiers". Il est évident qu'il est question d'une royauté par la blancheur, et pas du tout de "rois" que le blanc viendrait sacrer dans un second temps.
Maintenant, j'ai aussi une lecture communarde du sonnet "Voyelles", mais il est depuis assez longtemps malsain que les rimbaldiens ne tiennent aucun compte de cette lecture symbolique articulée où il est question d'affirmation de soi et de foi en une éternité dans un spectacle qui engage la vie et la mort. Je voudrais déjà assurer ceci. Et là, pour l'instant, on est dans un schéma inquiétant. Ma lecture n'est même pas citée, n'est même pas présentée comme une hypothèse à débattre. Et ceux qui sont jaloux ne peuvent que s'en mordre les doigts. Ils m'auraient pris au sérieux en 2003, ils avaient un boulevard pour corriger ma lecture, moquer mes errements et présenter des conclusions plus fermes. Il aurait été si facile de pointer du doigt les insuffisances de ma lecture aurorale et de corriger les symboles des cinq séries. Certes, le E blanc c'était le jour, mais on ne pouvait pas s'en tenir à assimiler le "A noir" à la nuit, ni évidemment le rouge et le pourpre à un éclat du soleil à l'horizon, pour paresseusement considérer ensuite que le vert et le bleu étaient les couleurs de la Nature et du ciel une fois que le soleil s'était levé. On aurait pu après 2003 fixer plus posément que moi que le vert c'était finalement le monde sublunaire et le bleu le ciel perçu comme plan de la méditation spiritualiste ou métaphysique. On aurait pu dégager le "A noir" comme matrice et le I rouge comme expression du sang, fluide vital pour s'affirmer. Ma lecture a été rejetée en bloc, on voit le résultat : aujourd'hui, elle approche de la perfection, mais qui, mais qui va reconnaître ses erreurs, qui va pouvoir dire que c'est juste maintenant qu'il découvre que j'étais en bonne voie depuis quinze ans au moins... ? C'est ça la situation de dingues dans laquelle nous sommes...
Vous pouvez aller sur Wikipédia. Vous ne trouvez pas affligeant et pauvre, signe d'un lectorat désemparé, que nous ayons comme tentatives de compréhension du sonnet "Voyelles" des réflexions qu'un lycéen peut faire en dix minutes après une première lecture du texte : l'aléatoire des rapprochement, ou bien l'absence de la lettre dans la mention de couleur correspondante. Cela ne vous inquiète pas de lire sur la page Wikipédia consacrée à "Voyelles" qu'un biographe a remarqué que le A n'est pas dans noir, que le E n'est pas dans blanc, que le I n'est pas dans rouge, que le U n'est pas dans vert, que le O n'est pas dans bleu. Cela ne vous afflige pas de voir que sur Wikipédia on recense déjà, même si c'est en la mettant en doute, une explication qui nous dit que le poème est illisible si on ne passe son temps à dénombrer les caractères typographiques employés, tant la lecture est dans le seul dénombrement des 666 caractères. Selon Cosme Olvera, "Oraison du soir" et "Voyelles" sont deux variantes du même poème. Le contenu n'a aucune importance, puisqu'on vous dit que le poème est illisible et que tout tient dans un décompte de lettres, signes de ponctuation et d'espaces. Il n'y a pas un moment où vous vous dites que vous avez affaire à un cirque et à une belle brochette d'imposteurs ?