jeudi 30 mai 2024

"Stella donne à peu près la mesure de la vue de Hugo"

Dans quelques jours, nous serons en juin, ce sera l'occasion d'un retour sur la question des logements parisiens de Rimbaud, en référence à la lettre "Parmerde, Jumphe 72". En attendant, je poursuis sur le sujet des implications considérables du poème "Ophélia" de Murger comme intertexte au poème "Ophélie" de Rimbaud.
Les rimbaldiens n'ont jamais cité le poème "Ophélia" de Murger comme source au poème de Rimbaud, et cela est étonnant pour plusieurs raisons. Pratiquant la rime "Ophélie"/"folie", Banville l'a fait dans un poème à Henry Murger, ce qui aurait pu attirer l'attention. Ensuite, une universitaire, Myriam Robic, a consacré un article à Banville recensant les mentions du nom Ophélie dans ses vers et elle a indiqué qu'il existait un poème au titre "Ophélia" dans le recueil des Nuits d'hiver de Murger, deuxième point qui vaut bouclage du premier point. L'article de Robic a pu être cité, en tout cas par Tim Trzaskalik en 2019, mais apparemment les rimbaldiens n'ont pas lu l'article de Robic, attirés par la lecture de Trzaskalik, ce qui en dit long sur la maigreur des lectures de tous ces ouvrages universitaires qui coûtent si cher à produire. L'article de Robic est tout simplement en ligne pourtant. Pire encore, en 2020, Alain Chevrier a publié un article sur Rimbaud et Murger. Il n'a pas signalé à l'attention le poème "Ophélia", mais aucun rimbaldien n'a lu après lui le recueil des Nuits d'hiver et relevé l'information manquante. Et de pire en pire, l'article de 2019 de Trzaskalik sur "Ophélie" était suivi par un article de Jean-Didier Wagneur : "Verlaine et Murger, autour d'un buste".
Le fait extraordinaire, c'est qu'avant de posséder en mai tous ces volumes récents de critique rimbaldienne, j'ai identifié la source "Ophélia" en prenant la peine de lire ce recueil qui attirait ma curiosité. Du coup, quelle surprise de voir une ribambelle d'articles récents qui tournent autour du pot.
Et on le voit, le poème "Ophélia" de Murger a une importance capitale. Il explique pourquoi il y a autant de répétitions dans "Ophélie". Ce n'est pas tout, c'est un magnifique poème salué par Banville, et un magnifique poème qui nous vaut "Harmonie du soir" de Baudelaire probablement, et comme je l'ai déjà clairement établi "Paysage sentimental", le poème d'ouverture des Fêtes galantes, et "Ophélie" de Rimbaud.
Du côté des peintres, il vaut mieux modérer l'idée d'une influence, ni Delacoix ni Millais n'emportent mon adhésion. Evidemment, Rimbaud s'est maximalement inspiré des vers où Banville mentionne Ophélie, mais aussi de poèmes variés de Banville où il n'est pas forcément question de l'héroïne shakespearienne. Notez d'ailleurs que l'association du lys à Ophélie est un enjeu important à la lecture de ce poème. Rimbaud a repris la mention du "lys" à un poème où il a aussi repris la formule "âpre liberté", à savoir le poème "Inventaire" des Odes funambulesques. Cette source est connue, mais il faut méditer tout cela à nouveaux frais.
Une des grandes idées directrices des lectures du poème "Ophélie", c'est que Rimbaud ferait la leçon à Banville sur ce que c'est qu'être un poète républicain prenant exemple sur le grand exilé Victor Hugo. J'ai un peu de mal avec la netteté de cette idée. Une grande partie des rimbaldiens considère que Rimbaud a méprisé la poésie d'Hugo toute sa vie durant au-delà de mai 1870, et le poème "Ophélie" serait un peu l'exception. En réalité, Rimbaud n'enrage contre Hugo qu'à partir de 1871 et dans une relation d'admiration contrariée. Les lectures satiriques contre Hugo du "Châtiment de Tartufe" ou des "Effarés", c'est un peu trop ésotérique pour moi. Je ne comprends rien au discours des rimbaldiens à ce sujet, ils sont complètement mystiques et perchés. Mais, le problème de la relation à Hugo, ce n'est rien dans "Ophélie". Moi, ce qui me surprend, c'est que les rimbaldiens, et l'article de Trzaskalik abonde nettement dans ce sens, considèrent que Rimbaud, très sûr de lui, donne des leçons à Banville.
On ignore à quel point "Les Etrennes des orphelins", "Sensation", "Ophélie" et "Credo in unam" sont les véritables débuts littéraires de Rimbaud en fait de vers français, puisqu'il en fait déjà de latin primés dans les classes. Je remarque qu'en juin 1871 Rimbaud demande à Demeny de brûler tous les manuscrits des poèmes de 1870 qu'il lui avait remis. Pourquoi se désavoue-t-il ainsi si les rimbaldiens parlent du poème "Ophélie" comme d'une véritable leçon de poésie à Banville ? Il faudrait reprendre la réflexion sur des bases plus mesurées.
Un point intéressant sur lequel je pense travailler un jour : les variantes du poème "Les Effarés". Lorsque le poème a été publié dans l'édition des Poésies complètes de 1895 par Vanier, Verlaine a considéré que les variantes étaient des censures de l'éditeur, sinon de la famille Rimbaud, pour cacher les parties blasphématoires du poème...
Verlaine sous-évaluait sans doute le caractère déjà violent de la version initiale, mais il ne faudrait pas lui enlever le crédit d'une opposition possible entre les deux versions, signe d'une évolution du discours de Rimbaud en poésie.
En tout cas, j'en reviens à "Ophélie". La révélation du poème "Ophélia" renforce un dossier dont j'ai déjà souligné l'épaisseur : les premiers poèmes de Rimbaud s'inspirent d'expériences scolaires (ce qui veut dire un appesantissement dans les analyses en classe d'idées, thèmes, etc.) et procèdent de renvois à une ramification de poèmes sur le même thème, ce qui nous ramène à l'identification d'un lieu commun d'époque.
Le poème "L'Ange et l'enfant" de Jean Reboul est un lieu commun d'époque. Ce n'est pas du tout un poème anodin, et j'ai toujours été frappé de voir que deux poèmes de Victor Hugo ressemblaient de près à l'intrigue qui va de "L'Ange et l'enfant" aux "Etrennes des orphelins". J'ai insisté sur l'idée que le poème "Les Etrennes des orphelins" semblait une réécriture du conte "populaire" d'Andersen La petite fille aux allumettes. Le poème "Credo in unam" est considéré souvent comme un centon, tant il renvoie à un modèle de poèmes déjà plusieurs fois traités. Et c'est une erreur de n'y voir qu'un centon, car Rimbaud prend des positions fermes dans ce long poème mythologique.
Et le poème "Ophélia" de Murger vient renforcer cette idée d'un Rimbaud qui connaît un peu le fil de thèmes clefs de son époque. Rimbaud ne rend pas qu'hommage à Banville en écrivant, il lui fait savoir qu'il a lu le poème de Murger et que parler d'Ophélie comme parle de la Vénus mythologique c'est traiter des thèmes fédérateurs des poètes auxquels il veut ressembler.
Dans les études du poème "Ophélie", la réalité du monde étoilé au-dessus du lac où flotte Ophélie est envisagée comme froide, assez glacée. Il y a pourtant ce vers du mystère : "Un chant mystérieux tombe des astres d'or !"
Or, le poème "Ophélia" de Murger apporte un éclairage qui n'est pas dans Banville. Ophélia s'est penchée sur les eaux, puis Stella est venue à son tour sur les eaux, et les aléas de la reprise nominale font qu'on ne perçoit pas nettement s'il y a eu une ou deux noyées dans le récit en vers de Murger.

                   Ophélia

Sur un lit de sable, entre les roseaux,
Le flot nonchalant murmure une gamme,
Et dans sa folie, étant toujours femme,
L'enfant se pencha sur les claires eaux.

Sur les claires eaux tandis qu'elle penche
Son pâle visage et le trouve beau,
Elle voit flotter au courant de l'eau
Une herbe marine, à fleur jaune et blanche.

Dans ses longs cheveux elle met la fleur,
Et dans sa folie, étant toujours femme,
A ce ruisseau clair, qui chante une gamme,
L'enfant mire encor sa fraîche pâleur.

Une fleur du ciel, une étoile blonde
Au front de la nuit tout à coup brilla.
Et, coquette aussi comme Ophélia,
Mirait sa pâleur au cristal de l'onde.

La folle aperçoit au milieu de l'eau
L'étoile reluire ainsi qu'une flamme.
Et dans sa folie, étant toujours femme,
Elle veut avoir ce bijou nouveau.

Elle étend la main pour cueillir l'étoile
Qui l'attire au loin par son reflet d'or,
Mais l'étoile fuit ; elle avance encor :
Un soir, sur la rive on trouve son voile.

Sa tombe est au bord de ces claires eaux,
Où la nuit, Stella, vint mirer sa flamme,
Et le ruisseau clair, qui chante une gamme,
Roule vers le fleuve entre les roseaux.

                                      1845.
Les trois premiers quatrains décrivent une Ophélia qui reproduit plus le mythe de Narcisse que la scène de la tragédie shakespearienne. Elle admire son reflet dans l'eau, elle admire une fleur emportée par le courant et s'en pare. Le quatrième quatrain introduit un autre personnage féminin, l'étoile blonde. On y trouve l'analogie réciproque : l'étoile est fleur, la fleur est étoile. Rimbaud reprend cette idée en la déplaçant sur un axe de référence à la royauté, au précieux : "astre d'or" et "lys". Du cinquième au septième quatrain, le récit repart sur Ophélie nommé "la folle", elle identifie l'étoile à une fleur dans l'eau, et la gamme musicale achève d'envoûter et perdre l'enfant. Elle a commis le péché de convoitise d'un "bijou nouveau", pleine de sa fatuité féminine.
A mon avis, Murger ne l'a pas fait exprès, mais il y a une possibilité étrange de lecture différente qui se profile pour les quatre derniers quatrains. On peut imaginer que la "folle" au quatrième quatrain est l'étoile blonde elle-même et qu'elle veut se saisir de son reflet qu'elle croit un bijou et finit ainsi par se noyer elle-même.
Cette lecture est tirée par les cheveux, mais elle a un charme et même si elle est contredite par certains indices (l'étoile est venue pour se mirer, donc elle sait que c'est son reflet) je trouve qu'avec peu de retouches on aurait une double noyade. Il fallait que je vous parle de l'effet produit sur moi par ma petite lecture improbable. Voilà, c'est fait.
Je reviens cependant à la lecture naturelle du poème. Ophélia a voulu attraper l'étoile dans l'eau, décalage par rapport au mythe de Narcisse. Elle se noie non à cause de son reflet, mais à cause d'un reflet avoisinant non identifié comme tel. Mais, vous remarquerez que ce poème "Ophélia" offre d'étonnantes ressemblances avec le poème "L'Ange et l'enfant" de Jean Reboul. Au passage, sur le site Gallica de la BNF, je relève un fac-similé de 1837 d'une traduction en vers latins du poème "L'Ange et l'enfant" par Eugène Beaufrère, professeur à Nîmes... Le début du poème "L'Ange et l'enfant" en vers français donne à penser que Murger lui-même pourrait bien s'être inspiré du poème du boulanger nîmois ;
Un ange au radieux visage
Penché sur le bord d'un berceau,
Semblait contempler son image
Comme dans l'onde d'un ruisseau.
Izambard aurait suivi des modèles scolaires d'époque où d'une année à l'autre des élèves passaient de l'étude du poème "L'Ange et l'enfant" au poème "Ophélia" de Murger, moyennant un passage par des traductions en vers latins...
L'homogénéité est palpable.
Ophélia est dite "l'enfant" au début du poème de Murger, et l'étoile partage avec l'Ange un ascendant céleste. Dans le poème de Murger, la folle Ophélie est attirée par l'étoile, tandis que l'ange fait tout pour séduire l'enfant dans le poème de Reboul, mais l'étoile fuyant le résultat est le même dans les deux poèmes les enfants meurent.
Le poème de Reboul est un peu sentencieux, il a tout un développement moral et chrétien assez pédant et la chute du dernier vers vient un peu comme un cheveu sur la soupe : "Pauvre mère, ton fils est mort !" Je ne suis pas admiratif du poème nîmois. La pièce de Murger est bien meilleure, mais voilà que le poème de Murger entre dans la catégorie des poèmes ayant pour modèle "L'Ange et l'enfant". Et vous voyez se confirmer quelque chose d'impressionnant : il y a une continuité sensible entre "Les Etrennes des orphelins" et "Ophélie", il y a bien cette idée d'un rêve qui compense la réalité. Au nom de la poésie objective du voyant, les rimbaldiens répugnent à admettre cette pente rimbaldienne et en rejettent l'idée appliquée au sonnet "Voyelles", alors que vu l'exorde du printemps ensoleillé dans "Les Etrennes des orphelins" il n'est pas difficile de mettre sur le même plan le poème "Credo in unam" où le poète dit croire à une Vénus qui est une fantaisie spirituelle prêtée à un au-delà. On voit que Rimbaud acquiesce ce modèle. Il est fasciné par la première lumière du matin dans sa chambre mansardée en mai 1872, qui n'est pas à l'hôtel Stella, mais dans un hôtel aujourd'hui disparu. On retrouve le poète qui poursuit l'aube sur les quais de marbre, etc.
Les rimbaldiens s'autopersuadent que Rimbaud ne cite ces motifs fantastiques que pour les tourner en dérision. On voit bien que non. On voit aussi que Rimbaud peaufine des motifs appris à l'école, alors que les rimbaldiens s'ingénient à nous expliquer que "Les Etrennes des orphelins" ou "Ophélie" et d'autres font la satire des illusions des poètes et donnent des leçons aux meilleurs, Hugo ou Banville.
Et puis, signe qu'il y a un problème dans ce refus du Rimbaud rêveur, je trouve remarquable la liaison du nom "Stella" entre le poème de Murger et le poème des Châtiments qui donnerait la mesure de la vue d'Hugo.
Hugo connaissait lui aussi sans aucun doute le poème de Murger. Certes, on peut avoir un peu de prudence et chercher les autres occurrences du nom "Stella" antérieures au poème de Victor Hugo publié en 1853. Mais on a l'idée de l'analogie réciproque étoile et fleur, dans un concours de séduction féminine.
Bref, ce moment de révélation du poème "Ophélia" de Murger, c'est un moment très fort, ne le gâchez pas.
J'ai parlé aussi de la notice de Jules Janin dont j'ai notamment exploité l'occurrence inattendue "frou-frou" que j'ai rapprochée bien entendue de la mention à la rime dans "Ma Bohême" sous le patronage de Banville.
Et pour dernière information, quand il compose "Ophélie", Rimbaud qui a en tête la mention "Stella" de Murger est sans nul doute déjà un lecteur des Châtiments de Victor Hugo, ce qui veut dire que "Stella" était sans doute déjà affectionné par Rimbaud en avril-mai 1870 au point d'être une source méconnue du poème "Ophélie".
Je ne vous ferai pas l'affront de vous livrer ici une transcription de la pièce hugolienne, vous la lirez dans le confort de votre fauteuil au milieu de la bibliothèque. Vérifiez si vers le début du poème un murmure de grand vent n'éveille pas notre poète. Stella parle d'une étoile et d'une fleur, de la nature et d'un plan spirituel. Je vous laisse apprécier les implications à venir pour les études rimbaldiennes.

Bonus : vous vous souvenez le non respect des rimes plates dans le manuscrit de "Credo in unam" ? On a la rime "étoile" et "voile" dans "Ophélia" de Murger avec un mouvement de restriction : on ne retrouve que le voile.

mardi 28 mai 2024

Des études sur Henry Murger lues par Rimbaud (Sensation, Ma bohême - Fantaisie, Ophélie,...)

Liens musicaux pour mettre dans l'ambiance pendant la composit..., pendant la lecture de l'article : Oui, "n'importe quoi... mais pas n'importe comment !"





Commençons, en profitant des possibilités infinies offertes par internet, par citer une "chronique" sur Arthur Rimbaud que Verlaine a rédigée à la toute fin de sa vie, suite précisément à la publication en 1895 de l'édition des Poésies complètes de Rimbaud chez Léon Vanier. Verlaine entame son article par une réponse d'actualité : il lui a été reproché d'exprimer une complaisance pour l'écrivain Henry Murger. Et Verlaine prend le temps d'y répondre, et pour faire transition il va opposer l'image du bohémien propre à Murger à ce qu'il se représente au sujet de Rimbaud.


Je cite tout le début de ce document :
   Il y a quelques mois, à l'occasion d'un monument tout simple qu'on élevait à Murger dans le Luxembourg, j'écrivais ici même quelques lignes qu'on a taxées dans certains milieux, un peu bien grincheux, faut l'avouer, de "complaisance" : à qui et pour qui, grands dieux ! Et pourquoi ces soupçons, ou pour mieux dire ces semblants, ces façons, ces manières, ces grimaces de soupçons ? A cause, je le présume et je m'y tiens, de l'indulgence que j'ai, dans le cas qui m'occupait, professée envers une mémoire légère et gracieuse, quoi qu'en aient dit ces incompétents censeurs, et, l'indulgence, ces messieurs n'en veulent plus, étant, eux, tout d'une pièce, parfaits et ne souffrant que des gens parfaits... Il est vrai que si on les scrutait, eux enfin ! Mais passons, et sautons au sujet qui doit occuper ces quelques lignes. Il se trouve donc que quelques mois après mon article sur le bohème Murger, j'élucubre un article sur je ne dirai pas le bohème Rimbaud, le mot serait faux et il vaut même mieux, mieux même, lui laisser toute son "horreur" en supprimant l'épithète :
Rimbaud ! et c'est assez !
   Non. Rimbaud ne fut pas un "bohème." Il n'en eut ni les mœurs débraillées, ni la paresse, ni aucun des défauts qu'on attribue généralement à cette caste, bien vague, toutefois, et peu déterminée jusqu'à nos jours.
Sans pourtant penser le moins du monde à la formule : "Je est un autre", Verlaine parodie ici un célèbre vers de l'horrifique Médée de Corneille :
              Nérine.

Forcez l'aveuglement dont vous êtes séduite,
Pour voir en quel état le sort vous a réduite.
Votre pays vous hait, votre époux est sans foi :
Dans un si grand revers que vous reste-t-il ?

               Médée.
                                                                    Moi,
Moi, dis-je, et c'est assez.
Après cette citation, vous relirez probablement l'article de Verlaine différemment.
Vous pouvez trouver le texte de cette chronique dans les Œuvres en prose complètes de Verlaine dans la collection de la Pléiade, édition de 1972 établie par Jacques Borel. L'extrait cité figure à la page 977 et cette chronique clôt la rubrique conséquente des "œuvres critiques" de Verlaine. C'est le dernier article publié par Verlaine sur Rimbaud si je ne m'abuse !
Cette chronique a été publiée dans le périodique Les Beaux-Arts, le premier décembre 1895. Dans la même revue, Verlaine avait publié un article sur "Henri Murger" le premier juillet 1895. Un buste de Murger par Bouillon devait être érigé au jardin du Luxembourg en 1895, et certains ironisaient sur la "gloriette de Murger". Verlaine pour des raisons de santé avaient dû décliner une invitation à un banquet au café Le Procope en l'honneur de l'écrivain de la vie de Bohème, mais il prend la défense sympathique de l'auteur dans son article de juillet 1895. La pièce sur Henri Murger peut également être lue sur internet, et elle se trouve aux pages 946 à 948 du volume de la Pléiade cité plus haut. Et là encore, il convient de citer les propos de Verlaine qui médite la valeur du talent littéraire du célèbre Murger (noter que l'article a un début à brûle-pourpoint) :
    A ce propos, en effet,  de ce léger talent, de ce talent léger aussi, on a versé beaucoup d'encre et bu à droite et à gauche, peu de vin, m'est-il raconté. Je ne dirai pas tant pis, parce qu'au fond, cet esprit, charmant et plutôt sobre, n'a rien de rabelaisien du tout. Je ne dirai pas tant mieux non plus parce qu'après tout il fut cet esprit dont c'est ces jours-ci la fête [Oui, Verlaine a écrit ce passage à donner mal à la tête à Malherbe], insouciant au fond gai ou presque, en dépit de la vie et de ses choses, et qu'une rasade, ou deux, ne messiéent pas en pareil cas.
   Et je ne dirai ni tant pis ni tant mieux à propos de l'encre employée bien ou mal à propos dans toute cette affaire où le nom de Murger a quasiment disparu pour laisser surgir à sa place beaucoup de noms de protestataires et d'anti et de sous et de contre protestataires, membres, secrétaires et présidents. L'encre, en effet, est faite pour être gâchée à tort ou à raison, toujours et dans tous les cas !
    Ce n'est pas pourtant un prétexte à trop en répandre d'encre, ni à trop se répandre en discours [note : ces circonlocutions, ce n'est pas le meilleur Verlaine...] ou en réclames inutiles qu'une inauguration d'un buste de "brave homme" qui, c'est vrai, fixa une époque, marqua une étape, mais de qui, après tout, la mémoire pourrait passer sans plus d'inconvénient à la postérité, qui lui est due, honorée, certes, estimée, mais oui, donc, sans tout ce bruit moins élogieux devers sa figure si sympathique, qu'agaçant un peu en fin de compte, pour le trop peut-être restreint public absolument acquis dont me voici, d'ailleurs, en somme.
     [...]
Verlaine poursuit en distinguant l'admiration qu'il a pour les grands : Balzac, Hugo, Baudelaire, de son acceptation de la "gloriette de Murger", puis il définit l'esprit de Murger, dans des termes qui sont amusants à comparer avec ceux de Rimbaud sur Musset dans sa lettre du 15 mai 1871 à Demeny ("français pas parisien", "Printanier, l'esprit de Musset ! Charmant, son amour !", "Hugo trop cabochard"), ce qui renforce ma conviction que Rimbaud parle de Musset, Baudelaire à Demeny sous l'influence de réunions avec des proches de Verlaine entre le 25 février et le 10 mars 1871 :
   Murger est charmant, d'esprit parisien, il écrit dans une langue claire, rarement incorrecte. Il a très bien parlé ex professo, c'est plus que probable, de liaisons du très jeune âge dont l'habitude sans doute s'était, à quelque dam sien, invétérée. A ce titre, il est plaisant et à mon sens, des plus et des mieux pardonnables aux yeux de la vraie Morale, indulgent à la façon du Christ 48 et peut-être moins effarouchant pour saint Bernard que pour tel apôtre "fin de siècle". Mais revenons à la littérature, s'il vous plaît.
    Oui, M. Rodenbach, excellent poète à qui son incontestable talent en français a valu, chez nous, de par la Légion d'honneur, des lettres de grande naturalisation, a raison, cent fois raison de dire que Murger a fait des vers plutôt quelconques, bien que je lui demande la permission d'en adorer d'adorablement tournés, en effet, qui hantent et hanteront toujours, je le crains, et je crains de l'espérer, ma caboche d'éternel enfant.
    Oui mais, Murger a écrit les Scènes de la vie de bohème en une prose très suffisante qu'aèrent, ventilent, essorent et parfois font s'envoler une fantaisie incessante, une gaieté résignée et l'immortelle mélancolie, sans trop de scepticisme inévitable en pareille matière, ni d'indispensable gouaillerie vengeresse parmi de telles banalement cruelles aventures et mésaventures.
   [...]
Verlaine poursuit en considérant que au-delà ce relatif chef-d'œuvre dans le domaine du roman Murger "tenta le théâtre", gagna l'estime publique en accédant à la Revue des Deux Mondes et qu'il mourut après avoir écrit une œuvre Le Sabot rouge "où s'indique nettement à son talent mûr une voie nouvelle qui s'annonçait sûre". Et Verlaine conclut ainsi sa rubrique : "paix à son âme immortelle et un sourire qui dure à son œuvre souriante qui durera !"
Vous avez donc de la part de Verlaine une recommandation à lire non seulement le roman Scènes de la vie de bohème, mais aussi Le Sabot rouge, et bien sûr les poésies en vers.
Dans sa lettre à Demeny du 15 mai 1871, Rimbaud a évité de préciser de noms certaines des catégories qu'il fait défiler dans son panorama. Plus précisément, deux catégories consécutives sont les seules du panorama à n'être pas accompagnées d'un nom d'artiste : "les bohèmes, les femmes", alors que nous avons une catégorie pour les gaulois et les Musset, une catégorie pour les écoliers, une autre pour les fantaisistes, une enfin pour les talents. Il pensait nécessairement à certains noms quand il songeait à la catégorie des femmes poètes, comme à la catégorie des bohèmes. Pour les bohèmes, il restait quoi ? Nerval ? Glatigny ? Ou bien sûr Murger ? Ou Richepin, l'ami d'Izambard tant que nous sommes en si bon chemin ?
Evidemment, plus haut, nous avons cité un passage où Verlaine oppose Rimbaud à la figure du bohémien, mais cela n'en reste pas moins plus complexe. Rimbaud mérite l'admiration, il rejoint les grands que sont Balzac, Hugo et Baudelaire. Il n'est pas qu'un poète identifiable à l'esprit bohémien. D'ailleurs, si je prolongeais la citation de la tragédie Médée de Corneille, vous auriez un passage où elle dit qu'elle est le ciel et la mer, le fer, etc. Qui plus est, nous identifions surtout Rimbaud à la figure du bohémien à cause de ses écrits de l'année 1870, écrits qui seront quelque peu rejetés et donc estimés comme dépassés en juin 1871, quand Rimbaud demande à Demeny de brûler tous les vers qu'il lui a confiés (et non le recueil, merci de prendre note et d'acter).
Il n'écrit pas seulement cela dans ses vers, mais aussi dans son courrier à Izambard : il rêve de "liberté libre" et de "bohémienneries". Il écrit le sonnet "Ma Bohème" (orthographe corrigée) et il se compare à un bohémien dès le poème en deux quatrains placé en premier dans la lettre à Banville de mai 1870.
Et Banville est important dans cette réflexion. Banville a eu la primeur d'une première version sans titre de "Par les beaux soirs d'été..." (Izambard a dû lire des versions primitives de "Sensation" et "Credo in unam", mais sans les conserver, ou sans acquérir de manuscrit personnel à leur sujet). Et ça ne s'arrête pas là.
Dans le volume Rimbaud, Verlaine et Cie, "un devoir à chercher", à la mémoire de Yann Frémy, volume collectif parallèle à la revue Parade sauvage pour dire vite, Philippe Rocher a publié en 2023 un article sur le poème "Ophélie" (pages 341-356), il s'intitule : "Et le poète dit... Ophélie, poésie, révolte". L'article est très bon, très intéressant. Il opère un lien important entre le dernier quatrain du poème "Ophélie" et le titre du poème envoyé à Banville en août 1871, plus d'un an plus tard : "Et le poète dit qu'au rayon des étoiles, / Tu viens chercher la nuit les fleurs que tu ceuillis / Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles, / La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys[,]" face à "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs", poème où parle de "lys" qu'on voit et trouve nulle part. Tout un programme ! Rocher s'en tient plutôt au poème de 1870, mais une lecture de "Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs" en fonction du poème "Ophélie" ce serait un vrai régal. Cependant, au bas de la page 343 et au début de la page 344, Rocher soutient en le répétant un propos surprenant. Les romantiques traitaient en poésie le thème d'Ophélie, mais allusivement au sein de poèmes de plus vaste envergure. Rimbaud serait le premier à lui avoir consacré tout un poème (soulignements nôtres) :
[...] Le premier écart important étant le fait que le jeune Rimbaud encore inconnu au-delà des Ardennes soit l'auteur du premier poème en vers français exclusivement consacré à Ophélie alors que la figure ophélienne était évoquée depuis longtemps par les romantiques dont le tournant mélancolicosmique, revisitant le drame shakespearien, contribuait à l'élaboration d'un mythe moderne qui traversera tout le XIXe siècle dans les œuvres picturales et littéraires, sans qu'un poème ne lui soit entièrement dédié. [...]
En 2019, dans un précédent volume collectif parallèle à la revue Parade sauvage : Rimbaud, Verlaine et zut  à la mémoire de Jean-Jacques Lefrère (mais il manque une virgule !), Tim Trzaskalik avait fourni un article qui était l'adaptation en français d'un article préalablement publié en allemand : "La souricière ou ce que Rimbaud dit à propos des Ophélies de Banville", titre d'article qui joue lui aussi le rapprochement avec la seconde lettre à Banville de 1871. Donc, il y a une idée d'un thème d'Ophélie qui est présente parmi les poètes romantiques et parnassiens (Banville n'est pas un poète parnassien d'ailleurs, il appartient au romantisme stricto sensu, tout comme Gautier, Baudelaire et Leconte de Lisle), et Banville en serait le principal illustrateur, ce qui est commode vu qu'il est le principal destinataire de l'une des trois versions manuscrites du poème "Ophélie". J'aimerais déjà un recensement poussé des mentions d'Ophélie dans les poésies du dix-neuvième siècle. Il faut se pencher sur la question du cliché d'époque, avant de privilégier la réponse directe à Banville. Izambard a témoigné en ce sens, il prétend que Rimbaud s'est inspiré d'un sujet traité en classe, et nous avons les preuves que Rimbaud fonctionnait de la sorte à ses débuts. Le poème "L'Ange et l'enfant" de Jean Reboul a été travaillé en classe, a entraîné la création d'un poème en vers latin, lui aussi en contexte scolaire : "Jamque novus", et Rimbaud n a fait le poème "Les Etrennes des orphelins". Et le poème "L'Ange et l'enfant" a donné à Hugo l'idée de deux poèmes, au moins un dans Les Contemplations, avec la mère qui perd son premier enfant et qui à nouveau mère entend le second nouveau-né lui dire qu'il est revenu. Ou bien, il a un poème sur un enfant enlevé au ciel. Dans le même ordre d'idées, en contexte scolaire, Rimbaud a été primé pour un plagiat passé inaperçu de la traduction du début du poème de Lucrèce De Natura rerum par Sully Prudhomme, et cela nous vaut quelques vers sur un printemps rêvé dans "Les Etrennes des orphelins", puis un développement d'une tout autre envergure dans le poème "Credo in unam", et il faudrait y ajouter l'érotisme du bohémien dans la Nature des deux quatrains devenus le poème au titre "Sensation". Or, Izambard prétend que son modèle de sujet sur "Ophélie" était en latin, ce qui est assez déconcertant. Rocher rappelle ce fait au tout début de son article (page 341) :
   [...] La première version du poème (mai 1870) serait, selon Izambard, une transposition personnelle d'un sujet en vers latins donné en classe, et le premier poème en vers français que Rimbaud lui a montré hors cadre scolaire [...]
Alain Chevrier a publié en 2020 un article, au moins antérieur à celui de Rocher, où il attirait l'attention sur le recueil Les Nuits d'hiver d'Henry Murger. Il n'y est fait aucune mention du poème "Ophélia", mais il s'agit d'un poème du début du recueil, et une simple consultation de la table des matière en révèle l'existence.
Personnellement, je ne possédais pas l'article de Chevrier quand j'ai publié en 2023 un article où je révélais l'existence du poème "Ophélia" dans le recueil Les Nuits d'hiver, et comme je n'avais pas fait attention, si je ne m'abuse, dans cet article j'ai aussi parlé de liens de certains vers avec "Ma Bohême" et "Sensation", sans remarquer que sur ce point précis Chevrier avait l'antériorité.
L'article d'Alain Chevrier a été publié dans le numéro 31 de la revue Parade sauvage et il s'intitule "Variations critiques sur Murger et Rimbaud". Il contient un important développement sur les retours à la ligne après une virgule, un double point ou même un mot dans les poèmes en prose de l'auteur, mais il contient aussi un développement sur l'influence possible des vers de Murger sur le sonnet "Ma Bohême".
Je vais développer ici mes propres idées.
D'abord, je reviens sur un raté de ma part. Quand j'étais lycéen et au début de ma vie d'étudiant, j'ai eu connaissance du roman Scènes de la vie de bohème, mais j'en ai expédié la lecture (un volume édité en Garnier-Flammarion) et je suis passé à autre chose, d'autant que Murger est en effet maintenu en-dehors des classiques de la Littérature du dix-neuvième siècle. Il est sur le seuil, mais pas dans la maison. Il est à peine évoqué dans l'anthologie Lagarde et Michard qui était mon support livresque en cours de français au lycée. Un peu comme tout le monde, je me suis contenté de considérer l'image d'Epinal d'un auteur qui avait popularisé en un roman une certaine figure du bohémien. Banville lui rendait hommage, mais comme il rend hommage à quantité d'auteurs que je n'ai jamais lu. Est-ce que vous avez déjà lu du Edmond About, par exemple ? J'en ai chez moi, mais je ne les ai pas encore lus.
Bref, je suis passé à côté de l'intérêt d'époque des livres de Murger, je suis passé à côté du Sabot rouge, de son théâtre et des poésies.
J'ai l'impression que j'ai déjà eu une amorce du côté des Nuits d'hiver il y a quelques années, mais peu importe, j'ai publié un article fin 2023 identifiant le poème "Ophélia" des Nuits d'hiver comme source au poème de Rimbaud. Et cela soulève aussi la question du cheminement jusqu'au sujet en vers latins donné par Izambard...
Ce qui est incroyable dans cette affaire, c'est que quand les critiques rimbaldiens citent la rime "Ophélie"/"folie" dans les poèmes de Banville, il cite inévitablement le poème des Odelettes "A Henri Murger".
Prenons l'article de Tim Trzaskalik mentionné plus haut. Il cite le couple de vers suivant du poème "Metz et Nancy" page 514 :
Mais l'éternel amour nous console. Ophélie
Cueille au bord du ruisseau la fleur déjà pâlie.
Outre l'intérêt de la mention du concept d'éternel amour, on a la rime "Ophélie" / "pâlie", la mention en attaque de vers d'une forme conjuguée du verbe "cueillir" avec inévitablement la mention d'une "fleur", et c'est précisément cette fleur qui est "pâlie". Mais Trzaskalik précise qu'il doit sa citation à la consultation d'un article de Miriam Robic : "Symbolique de l'eau dans les représentations d'Ophélie chez T. de Banville", et cet article est en ligne, et surprise il signale dès le début l'existence du poème "Ophélia" d'henry Murger.


La mention "Murger" apparaît à quinze reprises dans l'article et Robic compare le poème de Murger aux mentions d'Ophélie chez Banville.
Dans la section des "ouvrages consultés", Banville, Gautier, Rimbaud et Murger sont les seuls mentionnés comme auteurs, il y a une mention de Lamartine, mais en tant que sujet d'étude du livre répertorié. Gautier est mentionné pour l'ouvrage Les Beaux-arts en Europe en 1855. Dans le paragraphe d'introduction de son article, Robic cite aussi le poète Laforgue. Deux références ont de l'importance en peinture : Delacroix "La Mort d'Ophélie" en 1857 et Millais "Ophelia" en 1852, avec une troisième à leur adjoindre Delaroche "La Jeune martyre".
Le tableau "La Mort d'Ophélie" de Delacroix fait partie des collections du Louvre. Robic date le tableau de 1857, mais le Louvre et d'autres sources le datent de 1853. Cela a son importance, puisque Millais conserverait son antériorité, et son nom "Ophelia" a été retenu par Murger pour son poème. Mais il existe aussi un dessin de 1843 de Delacroix conservé au Metropolitan Museum of Art de New York, ce qui enlève l'idée d'une influence résolument première du peintre Millais. Carpeaux a sculpté une "Ophélie morte" en 1862. Le peintre préraphaélite Millais a joué un rôle évident avec son tableau idéalisant, d'autant que Murger, Banville et Rimbaud offrent une version idéalisante et non la version plus brutale de Delacroix.La peinture de Millais est clairement la représentation iconographique clef de 1952. Millais a des origines françaises, il vient de Jersey, mais j'ignore encore comment la création de son tableau a traversé la Manche pour faire parler d'elle en France et parmi les poètes français. En tout cas, Ophélie est idéalisé, la peinture n'est pas heurtante, et Ophélie allongée est représentée en train de chanter en train de se noyer. Il faut d'ailleurs méditer à nouveaux frais à quel point l'image d'Ophélie peut expliquer les noyés du poème "Le Bateau ivre".
Le tableau a la particularité de représenter Ophélie flottant encore quelque peu sur l'eau avec une ambiguïté sur son état : mort ou sommeil. Et le décor est particulièrement floral. Millais a intégré plusieurs fleurs citées dans la pièce Hamlet de Shakespeare (renoncules, orties, marguerites, "doigts d'hommes morts", salicaire pourpre), mais aussi d'autres de son cru, et je ne relève aucune mention du lys pour autant : coquelicots, roses, pensées, fritillaires, violettes,...


Passons maintenant aux références dans les poèmes de Banville et Murger.
Deux recueils de poésies sont associés à Henry Murger (1822-1861). Murger a publié un premier recueil Ballades et Fantaisies en 1854, les "fantaisies" sont des poèmes en vers, tandis que les "ballades" sont des poèmes en prose.
En 1861, l'année de sa mort, il mettait sans doute la dernière main à un recueil, mais il a été édité à titre posthume : Les Nuits d'hiver. Le recueil reprend les pièces de 1854 et est composé de sections. Il s'ouvre par un "Sonnet au lecteur", se poursuit par une "Dédicace de la vie de Bohème", puis nous avons cinq sections de poèmes. La première "Les Amoureux" commence par le poème "A Ninon" suivi de la pièce "Ophelia", et plus loin y figure "La Chanson de Musette". On imagine tout le parti à tirer d'une telle section en regard des poèmes de Rimbaud "Ophélie", "Les Reparties de Nina", "Mes petites amoureuses" et aussi "Rêvé pour l'hiver". Les autres sections portent les titres : "Chansons rustiques", "Fantaisies", "Petits poèmes" et "Ballades". Le titre "Fantaisies" proche du concept si propre à Murger de "bohème", voilà qui renforce l'intérêt d'une lecture à la lumière de Murger de "Sensation", "Ma bohème", mais aussi de quelques autres poèmes.
Enfin, nous avons une dernière section d'hommages qui réunit des interventions publiques d'époque, la section s'intitule "Etudes critiques" et contient des notices de plumes connues de l'époque Jules Janin, Théophile Gautier, P.-A. Fiorentino, Arsène Houssaye et Paul de Saint-Victor. Le dernier sera un anticommunard notoire avec son livre Barbares et bandits. Arsène Houssaye suppose évidemment pas mal de ramifications avec Banville, la revue L'Artiste, les seconds romantiques, Baudelaire, Charles Cros, etc. Gautier est bien sûr un nom clef, et si Fiorentino m'était inconnu jusqu'à présent Jules Janin est un nom qui revient souvent dans les études sur les milieux littéraires de l'époque, et son article qui vient en premier contient quelques propos troublants.
J'y reviendrai.
Murger a daté son poème "Ophélia" de 1845. Pourquoi ne l'avoir publié en recueil que si tardivement ? Pourquoi ne figurait-il pas dans Ballades et fantaisies, sept ans plus tôt. Cette date de 1845 prend de court l'idée d'une référence au tableau de 1852 de Millais. Toutefois, le récit n'est pas idéalisé, il a une tournure nettement dramatique.
Ce qui frappe à la lecture, c'est que si le poème date bien de 1845 il a dû avoir une influence profonde sur Baudelaire, l'auteur de poèmes tels que "Harmonie du soir", Banville faisant inévitablement le lien qui peut aller de son ami Murger à son autre ami Baudelaire. Qu'on en juge ! A noter que le nom de l'héroïne shakesperienne est flanqué d'un accent aigu conforme à la prononciation française :

                  Ophélia

Sur un lit de sable, entre les roseaux,
Le flot nonchalant murmure une gamme,
Et dans sa folie, étant toujours femme,
L'enfant se pencha sur les claires eaux.

Sur les claires eaux tandis qu'elle penche
Son pâle visage et le trouve beau,
Elle voit flotter au courant de l'eau
Une herbe marine, à fleur jaune et blanche.

Dans ses longs cheveux elle met la fleur,
Et dans sa folie, étant toujours femme,
A ce ruisseau clair, qui chante une gamme,
L'enfant mire encor sa fraîche pâleur.

Une fleur du ciel, une étoile blonde
Au front de la nuit tout à coup brilla.
Et, coquette aussi comme Ophélia,
Mirait sa pâleur au cristal de l'onde.

La folle aperçoit au milieu de l'eau
L'étoile reluire ainsi qu'une flamme.
Et dans sa folie, étant toujours femme,
Elle veut avoir ce bijou nouveau.

Elle étend la main pour cueillir l'étoile
Qui l'attire au loin par son reflet d'or,
Mais l'étoile fuit ; elle avance encor :
Un soir, sur la rive on trouve son voile.

Sa tombe est au bord de ces claires eaux,
Où la nuit, Stella, vint mirer sa flamme,
Et le ruisseau clair, qui chante une gamme,
Roule vers le fleuve entre les roseaux.

                                      1845.

Le poème est en vers de dix syllabes de chanson (deux hémistiches de cinq syllabes). Rimbaud, poète se forgeant un début d'expérience, a privilégié l'alexandrin. Les échos sont évidents entre ce poème et la pièce de Rimbaud, avec surtout le fait que le poème de Murger a offert un modèle à Rimbaud de répétitions musicales que ne lui offraient pas les poèmes de Banville mentionnant Ophélie. Rimbaud a récupéré également la mention "Ophélia" qu'il utilise comme variante.
Le poème "Metz et Nancy" de Banville étant une pièce inédite posthume selon Robic, Rimbaud n'a pu la connaître, ni s'en inspirer en 1870. Remarquez toutefois que Murger ne pratique pas la rime "Ophélie" / "folie". Le mot "folie" revient tout de même à trois reprises à la césure, mais il est certain que le poème "Ophélie" de Rimbaud, vu la rime "Ophélie" et "folie" du deuxième quatrain, s'inspire aussi des vers de Banville. Rimbaud a bien évidemment une double référence à Banville et Murger quand il compose ce poème. Mais ce n'est pas tout. La fin du premier poème "Clair de Lune" des Fêtes galantes de Verlaine a tout l'air de s'inspirer de répétitions précises du présent poème de Murger :
[...]
Et leur chanson se mêle au clair de lune

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres.
Verlaine adopte l'autre décasyllabe, le littéraire avec un hémistiche de quatre syllabes suivi d'un hémistiche de six syllabes, mais les deux pièces sont en quatrains, et Verlaine rend plus souple et moins mécanique le retour des répétitions, mais en s'inspirant nettement de la technique d'envoûtement musical de la pièce de Murger :
[...]
L'enfant se pencha sur les claires eaux.

Sur les claires eaux tandis qu'elle penche
Son pâle visage [...]
J'identifie le modèle de reprise "sur les claires eaux", tout en observant l'habile reprise de Murger de "pencha" à "penche". Verlaine a repris aussi la rime en "-eaux".
De toute évidence, le poème "Ophélia" qui a des mérites personnels réels a fortement impressionné Banville, Verlaine et Rimbaud, au point que deux poèmes célèbres, l'un de Rimbaud, l'un de Verlaine, s'en inspirent directement. Et je maintiens qu'il faut envisager l'influence sur Baudelaire et son "Harmonie du soir".
Il faut même songer à une influence sur Léon Dierx, en soulignant non seulement les répétitions d'une fin de vers à un début de vers, mais aussi les à peu près dans les répétitions ou bien la construction de séries en résonance : "entre les roseaux", "sur les claires eaux", "au milieu de l'eau", "au courant de l'eau"...
La mention "Stella" est frappante également, puisque dans la lettre à Demeny du 15 mai 1871 "Stella" illustre la hauteur de vue du voyant Victor Hugo, Rimbaud ne pouvant ignorer la résonance avec le poème "Ophélia" de Murger qu'il avait quelque peu démarqué...
Au fait, à la lecture du poème, vous dénombrez combien de noyades : Ophélia, ou Ophélia et Stella ?
L'inflexion idéalisante du poème de Rimbaud passe-telle par Millais, par Banville ?
Banville a mentionné en poésie Ophélie avant Murger, puisqu'Ophélie est citée dans le poème "La Voie lactée" des Cariatides de 1842 (attention, Banville a remanié les vers des poèmes de ce recueil au fil des éditions). Par ailleurs, on se retrouve à tourner autour de l'idée que le motif d'Ophélie prenait de l'intérêt dans les années 1840, avec la mention de Banville dès 1842, le dessin de Delacroix précurseur de son tableau en 1843 et le poème de Murger en 1845.
Il est clair que Rimbaud cite les deux vers de "La Voie lactée" où "Ophélie" rime avec "folie" dans son poème de 1870 :
Qui répétant tout bas les chansons d'Ophélie,
Ne retrouve des pleurs pour sa douce folie ?
Nous avons le registre compassionnel, la rime bien sûr ! et la forme adverbiale "tout bas" initialement empruntée par Rimbaud "version Izambard" avant qu'il ne lui préfère l'inversion "tout haut" :
- C'est que les vents tombant des grands monts de Norwège
T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté.
Dans cette version initiale remise à Izambard, les "vents" sont identifiés à ceux qui compatissent, mais alors que chez Banville nous avons des admirateurs qui répètent les chansons apprises par Ophélie, ici les vents apprennent les chansons à Ophélie, et dans la liaison opérée par la mention "tout bas" entre les deux poèmes on retrouve la même étreinte émotionnelle de la voix, une communion d'âmes entre les inspirants et les inspirés en quelque sorte. Notez aussi comment Rimbaud s'inspire de Banville. Il ne reprend pas ici "douce folie", mais "âpre liberté" est une sorte de décalque : "âpre" inverse "douce" et "liberté" valorise l'idée de "folie", tandis que les "vents" sont évidemment un substitut sonore à l'idée de "chansons" quasi inaudibles (les vents ont parlé tout bas, malgré leur souffle puissant, tandis que les admirateurs chantent pour eux-mêmes à voix basse chez Banville).
Banville va exploiter à d'autres reprises la mention d'Ophélie, et il le fait en privilégiant nettement les mentions à la rime. Cela se retrouve dans le poème "Mascarades", dans le poème "Rouvière", dans le poème "A Henry Murger". Banville privilégie clairement la rime reprise par Rimbaud : "Ophélie" / "folie", puisqu'elle apparaît dans "La  Voix lactée", "A Henry Murger", "Rouvière". Le poème "Mascarades" fait exception avec une rime "Ophélie" / "mélancolie", tandis que la rime "Ophélie" / "pâlie" est à écarter, faute d'accès de l'adolescent Rimbaud au poème "Metz et Nancy".
En hexasyllabes, le poème "Mascarades" s'inspire clairement de la pièce d'Henry Murger :
Que la pâle Ophélie,
En sa mélancolie,
Cueille dans les roseaux
Les fleurs des eaux !
Ce quatrain en rimes plates manque nettement de talent et d'intérêt. On observe tout de même la mention ramassée : "pâle Ophélie" retenue par Rimbaud.
Le poème "A Henry Murger" est également en hexasyllabes et il ne fait aucun doute que Banville se réfère du coup au poème "Ophélia" de Murger. En clair, après avoir lu "La Voie lactée" de Banville, Murger a composé un poème musical exceptionnel intitulé "Ophélia" et, circularité des influences entre amis poètes, Banville a fait des mentions d'Ophélie à la rime un leitmotiv poétique renforçant son amour commun du funambulesque et de la bohème avec Murger. Rimbaud a clairement identifié l'étendard, il a lu et les poésies de Banville, et celles de Murger, et peu importe dans quel ordre il a fait le lien entre les aspirations de Banville et celles de Murger.
Et quand Rimbaud a composé "Ophélie" il a pris soin de s'inspirer à la fois des vers de Banville et des vers de Murger. Plus fort encore, quand il envoie sa lettre de mai 1870 à Banville, où figure "Ophélie" en deuxième position, il a tendu un premier poème à Banville où il était loisible d'identifier le motif de la vie de bohème propre à Murger.
Je vais d'ailleurs y revenir.
Je passe sur les implications pour "Credo in unam" contenu dans la même lettre.
Passons à la fin de l'année 1870, dans le cadre du séjour douaisien. Rimbaud a composé plusieurs sonnets en octobre 1870, et peut-être pas seulement sept, puisqu'il y a à débattre sur "Rages de Césars". Or, je l'ai déjà dit : les tercets de "Rêvé pour l'hiver" s'inspirent du poème en sizains final des Cariatides de 1842 : "A une Muse folle", avec des reprises nettes et précises, et les tercets de "Ma Bohême" démarquent un sizain très précis du dernier poème des Odes funambulesques, "Le Saut du tremplin". Or, le poème "Rêvé pour l'hiver" contient dans son titre l'idée d'une bohème bénie malgré l'hiver où une richesse rêvée compense la misère réelle, c'est précisément ce qu'on trouve dans l'idée du titre Les Nuits d'hiver, et on va aller voir les échos possibles dans les compositions de Murger et les oeuvres critiques qui lui rendent hommage. Quant au sonnet "Ma Bohème", je ne peux que souscrire à l'approche fournie par Murger.
Justement, je parlais du poème en deux quatrains : "Sensation".
Prenons le poème "Dédicace de la vie de Bohème". Il s'étale sur deux pages du recueil Les Nuits d'hiver, mais il est résolument court, puisqu'il s'agit d'un poème en six quatrains d'heptasyllabes. En gros, il n'a pas autant de syllabes qu'un sonnet d'alexandrins. Surtout, dans l'édition de 1861, il est distribué sur deux pages, avec une première page comportant les seuls deux premiers quatrains. Et je trouve saisissante la ressemblance d'esprit de ces seuls deux premiers quatrains avec "Sensation" de Rimbaud :
Comme un enfant de Bohème,
Marchant toujours au hasard,
Ami, je marche de même
Sur le grand chemin de l'art.

Et pour bâton de voyage,
Comme le bohémien,
J'ai l'espoir et le courage :
Sans cela je n'aurais rien.
Je vous cite à présent le poème "Sensation" dans sa version initiale sans titre :
Par les beaux soirs d'été, j'irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue :
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais un amour immense entrera dans mon âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, - heureux comme avec une femme.
Rimbaud a repris la comparaison "Comme le bohémien" (déjà appelée par "Comme un enfant de Bohème") en lui imposant une légère variation : "Comme un bohémien", mais ce faisant il a repris aussi la rime "rien" / "bohémien" en inversant l'ordre de passage. Notez que la rime est dans les deuxièmes quatrains des deux poèmes. Notez aussi que derrière les alexandrins les rimes léonines montrent un Rimbaud tenté par la mesure de chanson de l'hexasyllabe, si proche de celle du vers de sept syllabes de la pièce de Murger : "loin" / "bohémien" au vers 7, avec écho à "rien", ou assonance en "é" aux trois premiers hémistiches de "Sensation" : "été", "sentiers", "blés" avec renfort "Picoté".
Il va de soi que le poème de Rimbaud explore aussi d'autres thèmes, d'autres idées indépendantes du poème de Murger, mais le lien est réel.
La page suivante avec les quatre autres quatrains du poème de Murger ne convient plus guère au rapprochement avec "Sensation", mais elle contient l'idée inverse des "pieds meurtris", idée de Murger sur laquelle revient Rimbaud dans deux poèmes d'octobre 1870 : "Ma bohème" et "Au Cabaret-vert".
Le poème "A Ninon" qui ouvre les amoureux n'a peut-être pas inspiré de vers précis aux "Reparties de Nina", mais il contient les variations "Ninon", "Ninette", "Nini", pose le ton du persiflage et traite d'un amant qui s'est ruiné pour cette femme entretenue Ninon et qui pleure de savoir que maintenant qu'il est ruiné elle va le congédier. Rimbaud s'inspire plus directement de Musset, Ofenbach et Glatigny, mais cette pièce est d'évidence à verser au dossier. Or, de part et d'autres du poème "Ophélia", les pièces "A Ninon" et "Madrigal" offrent un diptyque comparable à celui de Musset avec la "Chanson de Fortunio" et "Réponse à Ninon", on trouve le "vous en rirez" notamment dans "Madrigal". Les poèmes suivants "Chanson", "Renovare", "Le Requiem d'amour" et bien sûr "La Chanson de Musette" supposent tous un rapprochement potentiel avec "Ce qui retient Nina" et "Mes petites amoureuses". Le poème "Chanson d'hiver" confirme pour sa part que Rimbaud pratique la double allusion à Banville et Murger dans "Rêvé pour l'hiver" : "Enfermons-nous pour nous aimer !" "Verrous tirés, ô ma petite!", "Quand le givre aux carreaux burine", "Que notre amour frileux s'exile / Dans l'égoïsme du chez nous." Le poème "Chanson d'hiver" a même un lien avec la thématique de "Noël" des "Effarés" et aussi on observe une mention de Gavarni qui inévitablement lie encore Murger à Banville dans l'esprit de Rimbaud : "Qu'à son gré Gavarni déguise," et je précise que je suis loin de trouver d'une banalité décevante tous les vers de Murger. Verlaine faisait semblant d'en tant concéder à la critique acerbe d'un Rodenbach. Il est vrai toutefois que les ballades poèmes en prose de Murger sont assez laborieuses, et que nous avons affaire à une production en vers qui a parfois de sacrées faiblesses. Le poète n'était pas assez investi à temps plein dans la confection de ses poèmes. Il est tout simplement irrégulier, mais avec du génie ici et là.
Je reprendrai ma recension ultérieurement, je me suis même écarté de l'analyse des mentions du nom "Ophélie" chez Banville, mais je voulais aussi attirer votre attention sur les études critiques, notamment celle de Jules Janin.
Janin reconnaît à Murger de faire partie des rares poètes à avoir été un inventeur : "un chercheur de nouveaux mondes", un "des rares artistes qui ont trouvé quelque chose" (comparez avec "Vies" : "un inventeur [...] qui ai trouvé quelque chose comme la clef de l'amour"). Nous retrouvons cette manière de qualifier le poète de charmant. Janin entre ensuite dans la définition de trois types de bohème pour dire ensuite, par pirouette, que Murger appartient à une autre catégorie encore. La première catégorie des imprévoyants fait nettement écho aux développements de Rimbaud : "l'artiste ignoré et faisant de l'art pour l'art, sans trop songer qu'il faut avoir en ce bas monde un domicile, un habit présentable, et pour le moins un repas chaque jour." Le poème "Ma bohème" développe l'idée de la nudité désirée, du refus du foyer, idée qui a des échos à identifier dans d'autres poèmes, comme les effarés qui crèvent leurs culottes, dénuement bohémien révolutionnaire. La deuxième catégorie n'est pas valorisante, celle des minables aigris. La troisième catégorie est celle des enfants prodigues, autrement dit de ceux qui tâtent la misère un temps, mais l'abandonne quand ça va trop loin, et là encore on voit que le sonnet "Ma bohème" fait référence au texte de Janin : "quand leur habit est un haillon et leur chemise une loque, aussitôt les voilà qui retournent au foyer domestique". Le sonnet "Ma bohème" décrit clairement un tenant de la première catégorie, celle qui d'ailleurs insulte les bourgeois selon la définition même de Janin. Et on observe un jeu de mots "petits bohèmes de leur composition". Revenus de leur folie, les enfants prodigues écrivent des poésies sur leur passé rebelle.
Et Murger trouve ces trois voies ridicules pour une autre plus authentique, car le bohème authentique va se différencier de la première catégorie par une capacité à vivre riche même dans la pauvreté, par une capacité à pouvoir passer de la pauvreté à l'aisance, et réciproquement. Son bon goût le préserve de n'aimer que la misère. Tout de même, les bohèmes de Murger sont les ennemis du propriétaire et du portier, "portier" profession évoquée dans "Les Premières communions" de Rimbaud soit dit en passant.
Ce sont des "chanteurs de la mansarde" et on pense à la lettre "Parmerde, Jumphe 72". Ils ont aussi "de l'espoir plein le coeur", formule qui entre en résonance avec l'hémistiche final de "Ma Bohème". Et Murger pour ne pas lasser avec la misère du bohème "appelle à son aide un grand frou-frou de belles toilettes un peu risquées, des robes à n'en pas finir, des chapeaux qui commencent à peine, et la fortune passagère des vingt ans de Musette. Le "frou-frou" à la rime dans "Ma bohême" vient de Banville, mais difficile de ne pas envisager un double emploi face au texte de Janin...
Murger a-t-il compris le romantisme comment dirait Rimbaud? En tout cas, Janin lui prête d'avoir compris des choses sur l'homme et sur la vie...
Enfin bref, je vais m'arrêter là, cet article brasse large et il vous suffira de lire le recueil Les Nuits d'hiver, les sens bien mis en alerte par les jalons posés ici pour que vous en cerniez l'importance pour Rimbaud lecteur, et vous comprendrez plein d'astuces à la lecture des pièces de Rimbaud. Il y a de vraies perspectives qui se dessinent.
J'en dis aussi suffisamment ici aussi pour faire sentir qu'un article d'analyse des vers du poème "Ophélie" reste en réalité à écrire, pour faire sentir aussi que même l'étude de Robic sur Banville pourrait gagner des forces nouvelles avec de nouvelles formes de réflexion.
Et j'ai bien sûr oublié deux ou trois trucs que je rajouterai prochainement.
Ouf !
































samedi 25 mai 2024

En bus, idées romantiques

 Je vois qu'un nouveau numéro spécial Rimbaud vient de sortir, à nouveau dirigé par Adrien Cavallaro et il est assez clairement tourné contre moi. Autour de 2009, j'ai laissé en plan le projet de thèse Rimbaud et le romantisme, le voilà qui arrive.
Ce n'est pas tout. J'ai fixé la chronologie d'audace des vers romantiques en gros dans la décennie 1920. Là, on va voir l'article de Gouvard à quel point il reprend ce que j'ai mis au point.
Puis, la perle, c'est l'article de Sophie Guermes sur Rimbaud et Quinet ou je ne suis pas cité (j'ai vérifié en me servant de l'index des noms ou seulement Cornulier me cite une fois).
En décembre, j'ai publié au moins deux articles sur Quinet et la suite est en attente bien sûr. 
Le résumé de l'article fait eloquemment écho à ce que j'ai écrit en décembre.
Bah ! Je vais rendre compte de l'article, rappeler mes antériorité et remettre un coup de manivelle. Pareil pour la versification.
Sinon, il faudra citer les articles en prose, surtout de Janin, à la fin decl'edition de 1861 des Nuits d'hiver de Murger. Il y a plusieurs éléments pour au moins Ma Bohême. 
Là,  je lisais les études de Dominicy et Claes sur "Entends comme brame..."
Pour la datation, je le pense de juin 1872. Pure intuition, pure hypothèse et aucune valeur scientifique, mais je le crois dans la continuité de Âge d'or, pentasyllabes bouffonnants et dissolution métrique  une nouvelle étape vers Fêtes de la faim et un avant-goût de Juillet pour les escargots et l'attaque des "a" : "Plates-bandes d'amaranthes". Je bois la le profil des rebondissements d'essais par le poète de certaines combinés.
Ajoutons que "virides" est repris à Viyelles composé vers fevrier-ars 1872 comme La Rivière de Cassis de mai 1872 reprenait un vers des Corbeaux de fevrier-mars 1872.
Les deux lectures de Dominicy et Claes sont techniques et peu précises sur le sens global du poème.
Ils rappellent tous deux que le poème est réputé incompréhensible.
Oui, il faut penser à allemand dans le défaut de rime allemand et justement, oui le à est surtout en même rime licenciées oi à sur au moins trois quatrains avec acacias et.
Mais, j'attends une lecture qui étudié le premier quatrain en regard des autres.
A partir du second quatrain, le récit est articulé. 
Le premier quatrain est à part. Et il invite à entendre (écouter et comprendre) que la culture peu naturelle de la rame de pois rivalise d'élan amoureux avec la Nature, les acacias à fleurs blanches, etc. La séquence "en avril" est d'ailleurs différée.
Le discours sur une brume nocturne ne se met en place qu'enseigne. Donc il y a une feinte qui relié le premier quatrain aux autres. Souvent, je pense aux flatulences même si les pois ne sont pas les haricots, mais il y a la purée de petits pois. Et à propos de Phoebe,  les explications me paraissent bizarres et maigres, d'autant que Rimbaud a relié Vers Phoebe et ni astrale.
Je vais peut-être m'attaquer prochainement à cette pièce.
Enfin, à la question : les rimbaldiens sont-ils romantiques, la réponse est non, puisque ni moi ni Rimbaud ne sommes des rimbaldiens.





vendredi 24 mai 2024

Pot-pourri de réflexions rimbaldiennes en mode détente

Alain Chevrier a publié un article conséquent sur les particularités de versification du recueil Les Nuits persanes d'Armand Renaud. J'ai moi-même rédigé un article sur les subtilités de versification de ce recueil, mais les mots clefs "Renaud", "persanes" et autres ne m'ont pas permis de retrouver cet article sur ce blog. Je ne pense pas qu'il figure sur le blog "Rimbaud ivre" de Jacques Bienvenu. C'était sur les forums de discussion du genre "mag4.net" ? Bizarre !
Peu importe, je ferai un compte rendu de cet article.
Chevrier est l'un des principaux rimbaldiens à lire pour une raison toute simple, il est à peu près le seul avec moi à lire massivement les recueils de poésies du dix-neuvième siècle en partant dans toutes les directions, et en s'intéressant autant à des faits métriques qui en principe intéressent les métriciens Cornulier, Gouvard ou Bobillot, sauf que les métriciens ne sont pas tellement historiens de la littérature, même si Cornulier y correspond quelque peu et à une connaissance étendue d'oeuvres plus obscures avec de forts appoints encyclopédiques de sa part.
Prendre le recueil d'Armand Renaud et en faire un compte rendu systématique, c'est la bonne démarche, et c'est à refaire pour quantité de poètes, d'écrivains, d'ouvrages.
Je prévoyais de lire la traduction en vers de La Comédie de Dante par Ratisbonne, et j'ai été devancé par un article de Cornulier au sujet de "L'Angelot maudit".
Je reviens vite sur le cas d'Armand Renaud. Il est cité dans la célèbre lettre dite "du voyant" à Demeny datée du 15 mai 1871, et comme moi Chevrier souligne l'étrange accord au féminin, il le cite en le flanquant d'un "(sic !)". "Rompue aux formes nouvelles", Rimbaud devait avoir en tête une phrase du genre : "la poésie d'Armand Renaud".
C'est intéressant à observer de près, parce qu'effectivement l'expression correspond à Renaud qui expérimente, mais pas du tout à Grandet qui suit, et c'est fort aléatoirement que "Rompue aux formes nouvelles" peut correspondre à chaque parnassien cité, tandis que le singulier "Rompue" prouve que Rimbaud pensait à un seul auteur.
Chevrier a également publié un article sur les vers de quatorze syllabes de Verlaine, et là étonnamment il m'a cité, mais pour épingler une bévue bouleversante de ma part que le monde doit apprendre. Mais, tout ce que ça me remue, c'est que j'ai la preuve que Chevrier me lit, et puis il faudra que je reprenne l'histoire de ce qu'il me reproche, je n'aurais pas vu la diérèse à "pieds" ce qui me dépasse un peu, mais de toute façon ça doit aller de pair avec une réévaluation de la césure que j'avais déterminée.
On verra ça plus tard.
Enfin, il y a l'excellent article sur Murger qui fait écho à ce que j'ai moi-même pondu récemment. L'antériorité d'étude du recueil Les Nuits d'hiver vient donc de Chevrier, et je ne l'avais pas en vue quand j'ai écrit mon article récent, d'autant que je n'avais pas lu l'article en question faute de posséder le volume de la revue. Les développements de Chevrier sont distincts des miens et complémentaires.
Je reviens toutefois sur deux problèmes d'approche.
A propos de "Tête de faune", Chevrier prend pour argent comptant l'hypothèse de Cornulier, développée ensuite par Philippe Rocher et d'autres, selon laquelle le poème changerait de mètre de référence quatrain par quatrain. Je m'inscris en faux contre cette lecture clairement erronée. Cornulier s'est trompé et n'est simplement jamais revenu sur cette erreur, et l'étoffement de contributions critiques n'y change rien. On se retrouve dans cette situation où on relaie une conclusion fausse sans en rappeler les arguments. J'ai dénoncé la faiblesse argumentative et les contradictions flagrantes de la thèse de lecture métrique de Cornulier, et j'ai argumenté une lecture qui elle n'a forcément jamais reçu le moindre démenti puisque jamais commentée.
Un autre problème similaire est posé par l'étude de "Mouvement" et "Marine". Dans son article sur Murger, Chevrier souligne avec raison que le procédé du retour à la ligne après un signe de ponctuation faible à la fin de paragraphe (et même il est question de retours à la ligne sans ponctuation du tout parfois), chez Cros, puis Chez Rimbaud, vient de l'influence de trois ballades en prose de Murger, mais que cette influence est rendue diffuse par sa réalité matérielle dans les traductions qui prétendent rendre compte de constructions séquentielles ou strophiques de textes à l'origine en vers, en gros. Les antériorités de Judith Walter sur Cros me paraissent aussi incontestables et ne doivent pas passer à l'as sous prétexte qu'elle ferait dans la traduction, vu que son oeuvre revendique un lyrisme personnel et rend ostentatoire le procédé. Notons que Chevrier révèle qu Murger s'est inspiré de Nodier, mais sans l'affirmer alors que c'est l'évidence même, puisque Murger a fait précéder d'une note sienne une réédition dans la revue L'Artiste d'un texte de Nodier initiant le procédé que Murger allait faire sien.
Mais, Chevrier en arrive à l'étude du retour ligne après ligne de "Marine" et "Mouvement", et là je ne peux en aucun cas être d'accord avec lui. Chevrier prétend que Mouvement" est un poème en prose qui aurait pu avoir le formatage en paragraphes d'autres pièces du recueil, et sa disposition ligne par ligne ne serait que superposée pour ressembler à une traduction d'un poème de langue étrangère.
Faux !
D'abord, il faut méditer le problème de la scansion dans "Marine" et "Mouvement", il faut aussi évaluer la relation entre syntaxe et retour à la ligne. Mais, surtout, dans la revue La Vogue, les deux poèmes furent distingués : "Marine" est une prose, et "Mouvement" un poème en vers. Cette opposition paraît artificielle, et les rimbaldiens ont rangé "Mouvement" parmi les poèmes en prose dans le recueil Illuminations compris comme celui des seuls poèmes en prose. Cependant, Rimbaud a explicitement séparé "Marine" et "Mouvement" dans sa présentation typographique manuscrite, puisqu'il utilise le crochet pour identifier les lignes de Mouvement à des vers, alors que "Marine" pratique le retour à la ligne du type alinéa.
A part ça, j'ai d'autres horizons de recherche. J'ai enfin lu le poème de 1863 "La Résurrection de la Pologne", oùj'aurai pas mal de vers à citer contenant le mot "l'humanité". J'ai de nouvelles idées pour parler du monostiche "L'humanité chaussait le vaste enfant Progrès" dans l'Album zutique, notamment le vers isolé et répété qui lance deux parties chiffrées du poème de 1863.
Enfin, je remarque qu'à propos de l'adjectif "abracadabrantesques" la thèse circule toujours que ça viendrait d'un mot de Gautier pour se moquer des écrits fleuves de l'amie de Balzac la duchesse d'Abrantès. Gautier épinglait "Les Mémoires de la duchesse d'Abracadantès" et de fait, l'adjectif "abracadabrantesques" a l'intense mérite de transformer le nom propre ainsi déformé de la duchesse en adjectif. Ce bon mot est déjà cité au début des années 2000 par l'universitaire Berchet.
Cependant, j'aimerais avoir des attestations du jeu de mots avec des références livresques d'époque. Je veux une citation datée, même une citation où quelqu'un dirait rapporter cela indirectement.
En attendant, Mario Proth est l'inventeur de l'adjectif dans son livre Les Vagabonds, puisqu'aucune attestation n'existe de la part de Gautier, puisque les mémoires de la duchesse datent des années 1830 et que lorsqu'elle était tombée dans l'oubli Gautier louvoyait entre "abracadants" et "abracadabresque". Il y a fort à parier que Gutier a effectivement pratiqué le jeu de mots, mais pourquoi aucune attestation écrite ?
En tout cas, faute d'attestation écrite, il me semble définitivement évident que Rimbaud a lu le mot dans le livre du douaisien, je dis bien douaisien !!! Mario proth.
Point barre comme je dis souvent.







jeudi 23 mai 2024

Avalanche de lectures des Effares chez les rimbaldiens

De nombreux articles sont consacrés au poème "Les Effarés", et dans le lot de cinq recueils d'articles qui vient de m'être offert, j'en relève trois. Les cinq volumes sont tous édités chez les Classiques Garnier, il y a trois volumes de la revue Parade sauvage et deux volumes d'hommages, l'un à Lefrère,  l'autre à Frémy, ce qui veut dire que les contributeurs tournent aussi autour de la revue Parade sauvage. Les volumes de la revue sont les numéros 30, 31 et 33 et datent de 2019, 2020 et 2022. L'Homme à Lefrère "Rimaud, Verlaine et zut" date de 2019, celui à Frémy "Rimbaud, Verlaine et Cie, 'un devoir à chercher'" (notez la symétrie des titres) date de 2023.
Benoît de Cornulier a composé un article"Pas de Noël pour les 'Effarés' de Rimbaud" (pages 161-172) dans le volume "Zut" de 2019. Murphy a publié l'article "Vers une scato-idéo-logique des 'Effarés'" dans le PS de 2019 même, et spécialiste de Victor Hugo, Pierre Laforgue a publié dans le numéro suivant de la revue l'article " 'Les Effarés', un poème misérable. La tendresse de Rimbaud".
Il existe une étude formelle plus ancienne de Philippe Rocher à laquelle Murphy renvoie, tandis que Laforgue renvoie à un article court paru dans le numéro 20 de la revue Parade sauvage. Laforgue l'appelle un articulet et le juge insuffisant, mais il s'agissait d'un article fait par deux hugoliens qui venaient reprocher aux rimbaldiens un traitement condescendant de l'influence hugolienne sur Rimbaud en soulignant que le poème "Les Effarés" à tout l'air de récrire des scènes des Misérables,  tout particulièrement la rencontré de Gavroche avec des enfants dont il ignore qu'ils sont ses petits frères biologiques avec une scène de boulangerie qui forcément doit être mise en relation avec le début du roman, puisque Jean Valjean a été condamné au bagne pour avoir volé du pain. Et c'est mécaniquement dans la situation de forçat que Valjean à subi une accumulation d'années de peine à accomplir, un peu comme l'oncle de Rimbaud dans l'article fourni tout récemment par FD sur le blog Rimbaud ivre de Jacques Bienvenu.
Il va de soi que je partage les conclusions des hugoliens sur l'influence du roman Les Misérables : la symbolique du pain pour les miséreux est un rapprochement éclatant d'évidence. L'emploi du mot "misère" est un indice patent. C'est moins évident pour le mot "Effarés" qui n'est pas exclusivement hugolien.
Face à cette référence hugolienne, Murphy, notamment dans son article récent de 2019, puisqu'il a déjà écrit sur ce poème, accentue l'idée d'une influence de poèmes en prose de Baudelaire "Le Joujou du pauvre", "Les Yeux des pauvres" et "Le Gâteau". Là lecture de Murphy est très fine, mais les liens aux poèmes de Baudelaire ne sont pas véritablement étayés.  Puis, Laforgue accueille l'idée d'une influence baudelairienne qui s'expliquent aussi par le fait que les proses de Baudelaire s'inspirent aussi des Misérables. Cependant, il faut se méfier de l'idée d'un Rimbaud encyclopédique qui créerait à un moment donné un poème dans la quadruple référence à des passages espacés des Misérables, à trois poèmes en prose de Baudelaire, à des extraits du livre ancien Les Rêveries du promeneur solitaire et à un contexte de Noël dont nous parlerons plus loin mais qui est déjà développé par Cornulier en 2019.
L'idée d'une influence des Misérables me paraît bien étayée et j'ajouterais que vu les révélations sur le frère de la mère d'Arthur cela éclairé d'un jour nouveau la lettre à Izambard ou elle lui reproche le prêt des Misérables avec cette histoire de forçat qui faisait écho au secret familial.
Sur un autre plan, l'opposition des hugoliens à la baudelairophilie des contributeurs de la revue Parade sauvage entraîne aussi un conflit interprétatif où Laforgue insiste sur une tendresse de Rimbaud comparable à celle d'Hugo,  pendant que Murphy et d'autres éventuellement soulignent le caractère grinçant du poète jusqu'à envisager que Rimbaud écrit contre le misérabilisme complaisant et bourgeois des écrivains admis ou peu s'en faut : Coppée,  Hugo...
Là,  il faut nuancer.
On dirait à lire les rimbaldiens qu'il y a un concours d'image politique propre à donner de soi. Rimbaud vient d'un milieu politiquement conservateur semble-t-il,  le père plus présent aurait affermi une filiation bonapartiste. La mère défendait la religion. En 1868, Arthur était à la fin de son parcours d'enfant chrétien et bonapartiste modèle, ce en quoi il n'a été suivi ni par son frère, ni par ses sœurs. Le modèle sulfureux de l'oncle bagnard relève donc d'une exception, mais le modèle est absent et fantasmé.  Il existe une énigme en l'état insoluble l'envoi de vers latins au prince impérial pour sa première communion. Ce poème contenait-il un persiflage précoce ? Pourquoi prendre un tel risque ? Ou bien l'acte sincère d'Arthur a-t-il été l'occasion de cerner une divergence politique qui fera basculer Rimbaud dans des valeurs opposées au modèle de sagesse auquel il avait consenti jusque-là ?
En tout cas, Rimbaud n'est pas un ouvrier, il fait partie de la classe moyenne ou de la petite bourgeoisie. Il a également rencontré as mal de francs-maçons sur sa route, mais il n'en fera pas lui-même partie. Rappelons qu'il est question aussi d'imaginer les Bonaparte comme membres de la franc-maconnerie. Il ne s'agit pas d'une société au profil communales et il s'agit d'une société à pouvoir occulte et hiérarchisé dont on ne voit pas très bien en quoi elle s'oppose aux privilèges de l'ancien Régime et à l'influence sur la bande des riches. Que du contraire ! C'est un moyen de pouvoir pour intrigants.
Politiquement, Rimbaud a visiblement une sensibilité libertaire. Il aime la liberté libre. Il cite Proudhon au début du poème de lutte communaliste "Chant de guerre Parisien" et Verlaine dans l'album zutique associé la saleté fière de Rimbaud a une réécriture de la même formule de Proudhon : Là propreté c'est le viol, qui reprend La propriété c'est le vol.
Rimbaud se réclame plutôt de l'ennemi français déclaré de Marx, et son poème "Les Mains de Jeanne-Marie" rend hommage à des femmes libertaires qui seront plus tard dans l'anarchisme, courant encore non clairement défini en 1871.
Par ailleurs, les critiques rimbaldiens actuels et même du vingtième ne sont jamais des ouvriers, ils sont tous automatiquement ou à minima des gens des classes moyennes, liés à un relatif embourgeoisement. Et dans les universités, ce sont des gens de pouvoir. Et les votes au parti socialiste ou aux partis des verts sont des votes tout autant bourgeois et Adolphe thiersistes versaillaisque les votes pour les républicains ou En marche. Et le dérèglement des mœurs à depuis longtemps montré qu'il n'était pas l'ennemi de la rapacité des milliardaires capitalistes.
J'ai un peu de mal à comprendre pourquoi Rimbaud devrait railler le malheur des enfants du poème "Les Étrennes des orphelins" sous prétexte qu'ils sont dans un cadre petit-bourgeois et non ouvrier, comme j'ai du mal à comprendre pourquoi Rimbaud et les rimbaldiens seraient dédouaner de leurs situations sociales embourgeoisées.
Le sujet politique actuel, et il est rimbaldien, c'est que nous avons une guerre économique civilisationnelle majeure où trois pays et un continent jouent leur vie.
On aurait pu 3viter cette configuration, mais les milliardaires américains ne l'ont pas voulu. Ils ont cru dans les années quatre-vingt-dix que le monde dirige de manière orwellienne était possible enfin. Il suffit de maîtriser l'opinion par une mainmise sur les médias et une infiltration des partis politiques. La Russie, reste de l'URSS, était à terre, tandis que certaines de ses avancés au plan militaire étaient ignorées.  En un quart de siècle, le redressement est spectaculaire. Impatients, les américains ont attaqué la Russie vingt ans trop tôt au lieu de bien l'infiltration et user par le soft power. Une fois la Russie tombée, il ne resterait que la Chine, mais elle aurait été encerclée par les bases américaines installées dans d'anciens territoires de la Russie et dans la Russie même. Ici, la Chine récupérera d'évidence Taiwan, tandis que Poutine est une icône parmi tous les peuples du monde économiquement lésés par les européens et américains qui en bons bourgeois traitent Poutine d'horreur absolue. De toute façon, la Russie et la Chine vont gagner. Les États-Unis vont perdre et vont même voir se retourner contre eux les techniques qu'ils ont favorisées contre la Russie : le gel des avoir russes sera un jour le gel des avoir américains, le passage des détroits du côté d'orgue et de la Mer rouge sera toujours plus compromis, et ainsi de suite.
Enfin bref, je reviens aux Effarés. 
Pour moi, le poème décrit la misère des cinq enfants et s'attendait sur leur sort, et vu la dureté deniaisante du récit des Misérables je ne crois pas que le poème soit une mise en conserve du misérabilisme hugolien un an avant le cas de "L'Homme juste" motivé par la révélation du positionnement mitigé d'Hugo par rapport à la révolution communaliste.
En revanche, je m'éloigne de la lecture attendrissante dans la mesure où la fin du poème évoque clairement un petit protestataire de sans-culottes : "ils crèvent leur culotte". Le thème du pain renvoie à la grande Révolution française, crever sa culotté veut dire devenir sans-culotte et il y a un pet populaire qui double clairement le vent du dehors. Le poème va clairement du visuel culs en rond au sonore "crèvent leurs culottes".
D'ailleurs, le poème "Les Effarés" a des liens avec le poème "Le Forgeron" où la substitution à la figure historique d'un boucher n'empêche pas des développements sur le pain qu'on fait pousser avec de mêmes équivoques séquelles que le bras qui enfourne le pain dans Les Effarés: "voitures de foin / Enormes", "sentir l'odeur de ce qui pousse", "Oh, plus fort, on irait, au fourneau qui s'allume, / Chanter joyeusement en martela l'enclume". Là symbolique de jouissances phallique n'y est-elle pas sensible ?
Ce n'est pas tout.
Dans "Les Poètes de sept ans", le locuteur dit s'enfermer dans les latrines où il cumule le sentiment du cadre "Tranquille" avec le fait de respirer la liberté par les "narines" , mot en rime à "latrines" où le poète s'attache à des enfants puant la foire, autrement dit la matière fécale. Autrement dit l'odeur de pet des Effarés qui crèvent leurs culottes.
Le couplage narines et tranquille est significativement présent dans le sonnet "Le Dormeur du Val" dont on soutient régulièrement qu'il dénonce l'horreur d'une mort causée par la guerre, ce qui est en contradiction flagrante avec plusieurs éléments : datation du poème en octobre 1870, époque à laquelle Rimbaud réclame des armes et munitions, ce qui n'est pas spécialement pacifiste, en contradiction avec la répétition constante "il dort", en contradiction avec le rejet de "Tranquille". Certes. Les parfums ne font pas frissonner sa narine...
Reprenons le cas des Effarés.
Cornulier souligne l'importance du mot "médianoche" pour identifier une Nuit de Noël à l'ensemble du poème, ce qui emporté l'adhésion de Murphy. Il me semble que la signification de mediaboche a déjà été traitée auparavant, peut-être dans l'article plus ancien de Philippe Rocher, mais en tout cas en avril j'ai mis en ligne un article décisif qui montre que le poème très connu d'auguste de Châtillon A la Grand-pinte à servi de modèle pour les deux titres "A la Musique" et "Au cabaret-vert", pour les thèmes du "Cabaret-vett", de "La Maline", de "Larme", etc., et pour la forme en semaine d'octosyllabes avec des vers de quatre syllabes des "Effarés ". Le fait d'écrire les sizains en tercets renvoie au poème des "Feuillantines" d'Hugo. Verlaine à pratiqué cette forme, mais aussi Veuillot d'après l'anthologie L'émerveillement à la fin du siècle. Or, ici, Rimbaud a inversé le choix de Châtellenie qui au lieu de sectionner les sizains en tercets à monte des strophes doubles de douze vers.
Le poème en octosyllabes "Une nuit de Noël " avec en prime sa rime tournebroche accroché préparant la variante de Rimbaud medianoche brioches une source thématique évidente au poème Les Effarés, une fois admise la référence au poème Là grand-pinte, et le mot plus populaire "réveillon " pour "medianoche" fait partie des premiers à la rime de la pièce de Chatillon.
En adjoignant l'importance de Murger soulignée dans mes articles récents, le lien des Effarés au recueil de Chatillon à beaucoup de conséquences  : confirmation que Rimbaud décrit une nuit de Noël sachant que le mot "medianoche" est une variante de juin 1871, donc avec notre source la référence à la nuit Sainte ne se discute pas pour la pièce originale. On a aussi un révélateur d'une homogénéité des représentations de la révolte bohémienne dénudée dans un nombre conséquent de poèmes de Rimbaud de 1870 comme de 1871, et au-delà.  Nous sortons de l'alternative réductrice Hugo contre Baudelaire.
Puis, il y a le motif du grillon qui est partagé par Rimbaud, Murger et Châtillon, sachant que Murphy cité, mais sans y croire, un récit de Charles Dickens que je n'ai pas encore lu.
Précisons aussi un autre lien passe inaperçu. Même si Murphy cite "Les Étrennes des orphelins", il ne dit nulle part il me semble que le poème "Les Effarés " reprend aux "Étrennes des orphelins" le projet d'écrire un conte de Noël en vers.
J'ai énormément de mal à comprendre les raisonnements de Murphy, Cornulier et quelques autres sur le caractère grinçant des "Étrennes des orphelins".
Oui, Rimbaud est souvent obscène, et cela des ses débuts. Il aime les fausses notes au bon goût poétique. Avec raison, Christophe Bataillé a souligné l'équivoque latente du nom "vit" dans des emplois du verbe conjugué homonyme, et dans l'un d'eux Rimbaudle fait avec une césure tout aussi équivoque sur la préposition "sous" : sous - son argile charnelle", ce qui entre en résistance avec le même jeune suspension de la même préposition "sous" en fin de ligne sur le manuscrit obscène d'un cœur sous une soutane, et cela est reconduit avec la rime sur la préposition "sous" dans "Le Châtiment de Tartufe" dans un contexte de description masturbatoire voilée : " Tisonnant, tisonnant son cœur amoureux sous / Sa chaste robe noire". A noter que l'attaque Tisonnant, tisonnant... vient apparemment de celle d'un poème des Nuits d'hiver de Murger : "Traînant, traînant..."
On peut trouver de telles corruptions inouïes dans Les Étrennes des orphelins, mais je n'arrive pas à comprendre en quoi le poète serait féroce pour ces pauvres enfants, au-delà de la cruauté à la Maupassant du dernier vers les montrant confondre les décorations mortuaires avec des Étrennes.
Mais, comme je l'ai indiqué récemment le poème "Les Étrennes des orphelins" réécrit déjà un conte de Noël, celui célèbre et si court de la petite fille aux allumettes d'Andersen. Conte que Rimbaud a pu lire dans une traduction ou adaptation avec le nom ou non de l'auteur.
Le poème "Les Étrennes des orphelins" reprend un travail scolaire et surtout sa référence un poème bien connu "L'ange et l'enfant" de Jean Reboul, dont je rappelle que la célébrité venait du fait qu'il était un ouvrier, un boulanger. Le boulanger au "gras sourire", grivois comme le souligne Murphy, est clairement une antithèse du portait de Jean Reboul.
Qui plus est, le poème de Reboul a été imite à plusieurs reprises par Victor Hugo, notamment dans Les Contemplations.
Et il de trouvé que le début du poème de 1869 de Rimbaud commence par un emprunt patent au poème "Les Pauvres gens" de Victor Hugo, poème célèbre aussi en tant qu'il est l'adaptation en alexandrins d'un récit en prose d'un autre écrivain, tandis que l'alexandrin final du morceau hugolien était en réalité un vers blanc sans doute involontaire dans le récit en prose du modèle.
Jusqu'à quel point Rimbaud etait-il bien renseigné sur toutes ces sources de sources, je l'ignore . Mais une bonne part des rapprochements vont de soi à la simple lecture des textes concernés.
Je rappelle que dans le poème de Reboul et les imitations faites par Hugo l'enfant mort est enlevé au paradis ou il retrouve sa mère, un autre enfant,... Dans le conte d'Andersen, la fille est emmenée au paradis par la vision de sa grand-mère au moment où le froid va l'emporter. La double lecture est bien sûr maintenue par Andersen, quand Hugo force le discours de la foi.
Ni dans " Les Effarés " ni dans "Les Étrennes des orphelins", Rimbaud ne force le discours de la foi, mais je ne partage pas les automatismes qui consistent à prétendre qu'il raille forcément l'illusion pour marquer son irréligion. Dans les Étrennes des orphelins, Rimbaud décrit une vision de la mère comme ange qui montre le paradis riant à ses enfants, ce qui est exactement le ressort fantasmagorique consolateur développé par Hugo et Reboul. C'est aussi une démarcation de la fin en rêve de la fille aux allumettes.
Dans "Les Effarés ", les petits sont ravis au sens d'élèves au ciel. Le traitement du lieu commun se teint d'ironie.
Soutenant une lecture sarcastique anti-bourgeoise des Étrennes des orphelins et même une satire du misérabilisme hugolien, ceux qui suivent la lecture de Murphy ne se préoccupent jamais de ce plan pourtant majeur des Étrennes des orphelins, il s'agit pourtant d'un lieu commun déclaré vu les réécritures hugoliennes du poème de Reboul.
Pour dire le poème anti-miserabiliste, il faut pourtant dénoncer la valeur consolatrice du rêve.
Aboyer pour aboyer, ça ne fait pas une valeur de bon poète communaliste en soi, que je sache.
Dans Les Effarés, il y a une violence latente mais les enfants la partagent avec Rimbaud par le fait de péter en crevant leurs culottes.