Depuis plusieurs décennies, les recueils de poésies les plus cités de Victor Hugo sont sans aucun doute Les Châtiments et Les Contemplations, et nous pouvons y ajouter, bien que plein de gens, qui ont la pédanterie de prétendre savoir ce qu'est la vraie littérature, rabaisseront cela comme un plaisir coupable, La Légende des siècles. Des recueils posthumes se réclament également à l'attention, en particulier La Fin de Satan. Parmi les premiers recueils, celui des Orientales continue d'être mécaniquement cité. Mais, au dix-neuvième siècle, Victor Hugo a une réputation de poète qui s'est forgée dès ses débuts et qui s'est renforcée avec la série de quatre grands recueils de poésies lyriques de 1830 à 1840 : Les Feuilles d'automne, Les Chants du crépuscule, Les Voix intérieures et Les Rayons et les ombres.
Baudelaire flatte les goûts actuels en célébrant Les Contemplations et La Légende des siècles comme illustrations des pouvoirs de voyant de Victor Hugo dans ses "Réflexions à propos de quelques-uns de [s]es contemporains". Rimbaud s'est énormément inspiré, notamment en 1870, des recueils de l'exil Les Châtiments et Les Contemplations, voire de La Légende des siècles dans sa version initiale de 1859. Pourtant, si vous avez lu les écrits en prose de Verlaine, vous savez que celui-ci daube quelque peu les recueils volontiers estimés par Baudelaire et Rimbaud. La thèse de Verlaine, c'est que Victor Hugo en fait trop dans l'exil et qu'il avait une divine sensibilité dans les quatre recueils de la décennie 1830-1840.
Il va de soi que Rimbaud avait déjà une connaissance intime de l'œuvre hugolienne en mai 1871 lorsqu'il écrit à Izambard et Demeny, mais puisque Rimbaud veut devenir poète et qu'il monte à Paris pour profiter de la fréquentation de l'élite des écrivains contemporains il est normal qu'il relise à intervalles quasi réguliers les recueils du maître, il est normal qu'il les reprenne sans arrêt pour se familiariser avec eux. Et à partir du 15 septembre 1871, sa relation rapprochée avec Verlaine n'a pu que favoriser une lecture plus assidue des quatre recueils lyriques de la décennie 1831-1840. Par ailleurs, Victor Hugo prépare un recueil de poésies politiques pour l'année 1872 L'Année terrible et plusieurs poèmes jouissent de pré-originales dans la presse. L'identification des pré-originales de poèmes de Coppée et Hugo est essentielle aux études rimbaldiennes, et l'analyse du poème "L'Homme juste" s'est appuyée sur la réalité de publication d'un noyau de poèmes de L'Année terrible dans la presse avant juillet 1831. A la fin de l'année 1871, l'organe de presse hugolien Le Rappel a repris son activité et a publié d'autres pré-originales de poèmes de L'Année terrible qui deviennent des candidats pour s'imposer en tant que sources d'autres poèmes rimbaldiens, et c'est le cas tout particulièrement du "Bateau ivre" à partir du moment où sa date de composition présupposée recule du pseudo-témoignage favorable au mois d'août de Delahaye à l'idée d'une composition de l'hiver 1871-1872 solidement alimentée par la lecture de la presse anticommunarde des mois de septembre à décembre 1871 (ce qui exclut logiquement le témoignage de Delahaye et l'idée d'une lecture publique (nulle part attestée !) lors du dîner des Vilains Bonshommes de la fin septembre 1871. Un membre du Cercle du Zutisme publiait à cette époque même dans le journal Le Rappel. Il faut ajouter la publication de nouveaux poèmes de Glatigny parus eux aussi à la même époque dans le journal des hugoliens, sachant que Rimbaud continuait de s'intéresser de près à cet artiste quelque peu banvillien dont il suivait aussi l'actualité scénique parisienne.
La presse définit aussi une actualité que le poète peut suivre. Nous ne sommes pas dans la configuration d'un poète qui s'inspire simplement de grands modèles, mais nous voyons un poète réagir à des événements littéraires quotidiens, à des sujets de réflexion du jour qu'établissent les périodiques auprès du grand public. La méconnaissance de la presse a longtemps été un drame des études rimbaldiennes et elle continue d'être une lacune majeure en 2022. Il faut d'ailleurs apprécier toute la complexité du rapport à la presse, puisqu'il peut être question de poèmes inédits, d'articles débattant sur les mérites d'œuvres plus anciennes et de sujets d'actualité qui peuvent briguer l'intérêt du poète, comme d'œuvres intermédiaires qui invitent à se souvenir de l'impact de publications plus anciennes.
En ce qui concerne les recueils de poésies, les différences entre éditions ont une importance également. Il existe trois versions des Fleurs du Mal et un recueil appendice paru sous le manteau Les Epaves. Banville et Baudelaire modifiaient certains vers lors des rééditions. Ou bien, et cela vaut pour Lamartine, Hugo, Musset, Banville, plusieurs recueils étaient réunis en un seul volume. Le titre Les Cariatides de Banville est quelque peu piégeux, puisque quand Rimbaud en parle il faut déterminer s'il parle exclusivement du recueil de 1840 ou du titre générique réunissant plusieurs des premiers recueils de Banville, à l'exception des Odes funambulesques et des Exilés.
Dans le cas de Victor Hugo, seul le premier recueil a connu plusieurs transformations pour devenir Odes et ballades. Victor Hugo n'a pas réarrangé le nombre et l'ordre des poèmes dans ses recueils ultérieurs, et surtout il ne retouchait pas ses vers. Le recueil La Légende des siècles est l'exception, mais Rimbaud dans sa période poétique ne connaissait de toute façon que la version initiale de 1859.
Cela peut en réalité être quelque peu nuancé. En réalité, il existe des variantes et vers inédits pour le recueil Les Feuilles d'automne qui sont fournis dans la section de "Notes" en fin d'ouvrage en général. Ces variantes semblent dater de 1880 à une époque où Hugo décline mentalement et laisse le toilettage de ses publications à ses proches. Pour illustrer mon propos, prenons le célèbre premier poème des Feuilles d'automne. Vous connaissez tous la célèbre attaque de son vers initial : "Ce siècle avait deux ans [...]". En 1880, quatre autres vers précédaient ce qu'on croyait l'immuable "incipit" de cette pièce éternelle :
Sans doute il vous souvient de ce guerrier suprême
Qui, comme un ancien dieu, se transforma lui-même
D'Annibal en Cromwell, de Cromwell en César.
- C'était quand il couvait son troisième avatar.
Ce siècle avait deux ans. Rome remplaçait Sparte,
Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte,
[...]
Bien qu'ils puissent être comparés au célèbre alexandrin de Mallarmé : "Tel qu'en lui-même enfin l'éternité le change", la suppression de ces quatre vers fut heureuse à la dynamique poétique de la pièce d'ouverture des Feuilles d'automne. Il me faudrait enquêter sur la présence ou non de ces variantes dans les éditions antérieures à 1880. Plusieurs autres variantes sont répertoriées, dix-sept, ou dix-huit en incluant une dédicace.
Prenons le deuxième poème "A M. Louis B." Victor Hugo évoque la dernière maison où a vécu son père dans la ville de Blois. Le témoignage unique d'un dessin d'époque de cette maison qui a été depuis démolie peut être consulté sur internet.
Dans ce poème, Hugo évoque en passant la beauté de la ville de Blois, mais il va refouler cette description pour mieux mettre en valeur l'idée d'un pèlerinage à la maison de son père.
Usant des prestiges du poète, Hugo déforme un peu la réalité en parlant de "mille archipels" sur la Loire, d'une "ville étagée en long amphithéâtre", des "cent tourelles" de Chambord et d'un "escalier de rues". On n'aperçoit pas Chambord de loin en jouissant de la vue panoramique de Blois, il faut se déplacer sur les routes pour cela. L'idée d'amphithéâtre ou celle d'un "escalier de rues" ont quelque chose de pertinent, à condition d'effectuer la correction en esprit pour ceux qui ont réellement vu la ville. En effet, dans une configuration de pays assez plat comme l'atteste la vue à l'horizon sur les hauteurs de Blois, il se trouve que la ville s'élève soudainement d'un côté des rives de la Loire, et on a une vraie ascension rapide jusqu'au sommet de la ville, on a quelques espaces à flanc de colline avec des murets, jardins, constructions châtelaines en effet. Puis, avec les rues on n'a pas forcément la perspective panoramique vu qu'on voyage entre les maisons qui restreignent la portée du regard. Mais il y a des escaliers, des marches donc dans la rue, et notamment on a une allée perpendiculaire à la Loire avec un immense escalier, et quand on est au haut de cet escalier on a une vue plongeante saisissante d'une rue bordée de maisons qui va jusqu'à la rive du Loire. C'est cela que Victor Hugo met en scène dans ses vers, mais l'impression sur le lecteur sera difficilement la même selon qu'il ait vu ou non la ville de Blois.
Il est aussi question du château et d'une tour octogone flanquée de gorgone à chaque pan. A l'évidence, l'image existe parce que Victor Hugo a rencontré la possibilité d'une rime acrobatique :
Admirez, en passant cette tour octogone
Qui fait à ses huit pans hurler une gorgone ;
Mais passez. [...]
Quand on lit le poème sans connaître la ville, ce qui fut un certain temps mon cas, on ne comprend pas que la tour est un élément de la cour intérieure du château de Blois, et on s'imagine que le château et la tour sont deux architectures situées à des endroits bien distincts. En réalité, il ne s'agit même pas vraiment d'une tour. Hugo est tout simplement en train de parler du célèbre escalier en vis et extérieur au bâtiment qui fait l'un des attraits principaux du château de Blois, et comme cet escalier au sommet octogonal est calée à la façade et n'excède guère la toiture je n'ai pas dans le souvenir qu'il y ait une gorgone à chacun des huit flancs. Il y a bien quelques gorgones au sommet de cet escalier, mais il est amusant de voir Hugo s'attarder sur ce détail alors que c'est l'escalier à vis lui-même qui fait l'intérêt architectural de l'ensemble. Le poème hugolien élude complètement ce qui fait la valeur historique en prenant appui sur un terme imprécis qui nous induit en erreur, puisqu'en l'espèce "tour" est plutôt une désignation métaphorique pour l'escalier. Avec les trois mots, "tour", "octogone" et "gorgone", il est impossible de bien se représenter ce à quoi le poète fait allusion.
Mais dans l'édition de 1880, ces deux vers sont remplacés par une variante qui m'interpelle et dont je n'ai pas encore percé le mystère :
Admirez, en passant, cette tour transformée
En écurie, au gré des chevaux de l'armée ;
Mais passez.... [...]
Il n'est pas possible que l'escalier ait été un temps une écurie. La tour désignerait cette fois le château par métonymie.
Peu importe, je me suis plu à faire une petite digression.
J'en viens cette fois à mon sujet. J'ai parlé des variations des éditions, des variantes de vers, des rééditions d'actualité, parce que par rapport à l'enquête sur les influences décisives des lectures de Rimbaud les quatre recueils lyriques hugoliens de la décennie 1830-1840 posent le problème de datation des lectures faites par notre jeune poète ardennais.
Nous nous retrouvons dans la situation de base où que ce soit pour nous à la fin du vingtième siècle ou au début du vingt-et-unième, ou que ce soit pour Rimbaud, il suffit de considérer qu'il s'agit de quatre recueils connus et de lectures obligées pour tout grand amateur de poésies. En gros, on peut faire une référence à un extrait de ces quatre recueils hugoliens dès qu'on le souhaite, dès que cela nous paraît pertinent. Cela a l'air simple et commode, mais il faut pourtant considérer qu'il y a des subtilités derrière cette approche.
Vous ne vivez pas en permanence avec un souvenir frais de vos lectures, encore moins avec une mémorisation de maints détails pointus de tel ou tel poème d'un recueil, de tel ou tel page d'un roman. En plus, de nos jours, la technologie d'internet fait que nous avons en permanence une immense bibliothèque à côté de nous, et mieux encore nous pouvons faire des recherches au moyen de mots-clefs. A son époque, Rimbaud pouvaitt bien connaître un certain nombre de poèmes pratiquement par cœur, il était tributaire d'un accès à des étagères chargées de livres. Il est important de déterminer quand Rimbaud a eu accès ou non à une bibliothèque publique, ou à une bibliothèque privée, ou à une communauté d'écrivains qui fait circuler des ouvrages comme ce fut le cas à Paris du 15 septembre 1871 au début du mois de mars 1872. Si, dans un poème, Rimbaud réécrit un vers de Victor Hugo, ou un autre de Baudelaire, et ainsi de suite, soit il s'agit d'une référence à un poème emblématique de l'époque dont les artistes avaient une connaissance plus intime, et il n'est pas vain alors de dresser un catalogue des candidats en faisant le départ entre les poèmes qui ont marqué les gens au dix-neuvième siècles et les nouveaux choix anthologiques de notre monde actuel ; soit il s'agit d'une lecture que Rimbaud a pu faire ou reprendre récemment, à cause d'un proche qui l'y a invité, à cause d'un article dans la presse, à cause d'une publication d'actualité dans les librairies, etc. Et il faut ajouter à cela l'idée que si Rimbaud relit attentivement une oeuvre à une période donnée cela ne peut que rejaillir en termes d'influences potentielles sur l'ensemble des compositions de cette époque. Une influence sur un poème de Rimbaud ouvre la voie à l'idée que les autres poèmes composés au même moment ont pu profiter eux aussi de l'innutrition littéraire du même ouvrage précis.
On le sait, le poème "Après le Déluge" a été l'un des premiers textes en prose de Rimbaud à jouir d'une tentative d'élucidation conséquente. Il était question du monde ennuyeux se reformant après l'échec historique de la Commune. Auteur de la première étude décisive sur "Après le Déluge" dans la revue Les Temps modernes, Yves Denis avait cité le dernier vers du poème conclusif "Dans l'ombre" du recueil L'Année terrible. Il s'agit d'un dialogue entre "Le Vieux monde" et "Le Flot", avec une disproportion dans les répliques, "Le Flot" ne prononce que la chute du poème, que la réplique finale qui tient en un alexandrin :
Tu me crois la marée et je suis le déluge.
L'idée d'une réécriture dans "Après le Déluge" ne pose aucun problème au plan chronologique. En revanche, le recueil hugolien n'a été publié qu'en avril 1872 et du coup il reste le cas de tous les poèmes en vers de Rimbaud qui assimilent le peuple à une marée révolutionnaire. Il faut citer "Les Poètes de sept ans" et "Le Bateau ivre", mais aussi le poème "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,..." Notons dans le cas de ce dernier poème qu'il suppose un dialogue du coeur et de l'esprit quand le poème "Dans l'ombre" fait dialoguer "vieux monde" et "flot". Les rapprochements ne s'arrêtent pas là. Le poème "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,..." décrit le mouvement de flots qui recouvrent les terres, sauf que cette fois la terre lutte et combat l'océan par des tremblements et explosions volcaniques. Et enfin, l'Esprit locuteur du poème "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,..." est du côté de l'océan qui s'oppose à la terre et au vieux monde et cela permet de constater un dernier effet de symétrie étonnant entre le dernier vers de L'Année terrible et le dernier alexandrin incomplet de "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,..." Le flot déclare submerger le vieux monde et étale sa présence dans la pièce hugolienne, tandis qu'ici nous avons une scène à relent biblique avec si pas le dernier humain la dernière résistance du "je" au rétablissement de l'ordre terrestre :
Ce n'est rien ! j'y suis ! j'y suis toujours !
Benoît de Cornulier a depuis longtemps compris qu'il s'agissait d'un début d'alexandrin, et donc d'un début de nouveau quatrain, dont l'inachèvement s'expliquait par une feinte : la mort physique du locuteur. Malheureusement, j'ai l'impression que Cornulier n'affirme pas avec conviction cette lecture incontestable et logique, et il ne défend même pas l'idée qu'il s'agit d'un début d'alexandrin, alors que l'alignement de la marge sur le manuscrit fait la preuve sans appel qu'il s'agit d'un alexandrin. Pour rappel, à la différence des éditeurs et universitaires contemporains, les poètes et les éditeurs au dix-neuvième siècle émargeaient différemment non seulement pour la prose et les vers, mais pour les vers de différentes longueurs. L'alignement manuscrit prouve l'intention de Rimbaud de rédiger un alexandrin inachevé.
Le problème que pose la pièce sans titre "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,..." c'est qu'elle n'est pas datée dans la production rimbaldienne. On présuppose que ce poème a dû être écrit après la parution du recueil L'Année terrible, mais sans avoir les preuves qu'il faille écarter l'éventualité d'une composition précoce en mars ou avril 1872. Un problème similaire se pose dans le cas de "Famille maudite" devenu "Mémoire".
En plus, le mot "marée" assez frappant dans le dernier vers de L'Année terrible favorise plutôt un rapprochement avec "Le Bateau ivre".
En réalité, la solution est assez simple. Rimbaud était imprégné de la lecture de l'ensemble des recueils hugoliens et il avait pu lire à de nombreuses reprises l'assimilation métaphorique du peuple émeutier en marée révolutionnaire, y compris dans les pièces des Contemplations. Du coup, la pièce finale de L'Année terrible ne doit être privilégiée pour "Qu'est-ce..." ou L'Année terrible qu'en passant à un repérage plus exigeant du travail de réécriture par Rimbaud. Notez en passant le contraste satirique violent que présuppose le rapprochement du vers avorté rimbaldien avec le vers final de L'Année terrible, puisque Rimbaud rappelle au maître qu'il y a eu un terme à la révolution avec la semaine sanglante. Il y a quand même un sentiment tragique qui perce dans le poème de Rimbaud. Les morts ne reviendront pas ainsi changer le monde.
Le malheur, c'est que les gens ont tendance à confondre les plans d'analyse et à considérer paresseusement qu'il suffit que le poème "Dans l'ombre" vaille attestation d'une assimilation métaphorique du peuple émeutier à une marée révolutionnaire et plus fort encore à un déluge. Cette paresse est problématique. Le poème "Le Bateau ivre", antérieur à la publication du recueil L'Année terrible, d'après tous les recoupements savant qu'on peut effectuer, prouve que la métaphore ne fut pas nouvelle à Rimbaud en avril 1872 et qu'il y a tout un arrière-plan qui nous vaut son traitement privilégié en poésie rimbaldienne.
Lorsque j'ai publié mes deux premiers articles clefs sur "Le Bateau ivre" autour de 2006, "Trajectoire du Bateau ivre" (volume numéro 21 de la revue Parade sauvage) et "Ecarts métriques d'un 'Bateau ivre' " (deux titres se faisant volontairement écho), j'ai avancé un certain nombre de sources parmi les vers hugoliens. Toutes ces sources n'ont pas reçu le même accueil et ce qui s'est surtout imposé c'est que comme il était déjà sensible que "Le Bateau ivre" devait quelque chose aux pièces "Pleine mer" et "Plein ciel" de La Légende des siècles il fut admis comme décisif que soit soulignée pour la première fois des réécritures très précises de vers hugoliens. L'influence n'était plus vague, mais il était désormais démontré que plusieurs vers furent l'objet d'une réécriture immédiate indiscutable. Malheureusement, d'autres rapprochements sont considérés comme moins évidents et l'idée d'un dialogue satirique essentiel avec Victor Hugo a été minorée, au profit d'une relation d'émulation avec "Le Voyage" de Baudelaire.
Parmi les sources que j'ai mises en avant, il y en a pourtant une qui m'est chère et dont le caractère structurant est incontestable. Dans le poème de Rimbaud, nous avons les mentions "lavé" et "pontons", mentions que nous pouvons élargir à un arrière-plan avec les idées de bain, de sang versé, etc. Or, j'avais martelé en 2006 que la liaison des mentions "lavé" et "pontons" était sensible dans plus d'un poème des Châtiments. Je citais une section de "Nox" et d'autres poèmes encore. Et on sait que le recueil Les Châtiments est un pôle essentiel à la poésie politique rimbaldienne. En 1870, disons qu'un tiers des poèmes de Rimbaud parle de l'actualité de la guerre franco-prussienne en dénonçant le régime impérial de Napoléon III. Rimbaud fait cela très souvent sous la forme de sonnets, forme non usitée par Hugo à l'époque (il n'en a encore publié aucun), mais les sonnets contre l'Empire de Rimbaud étaient saturés de reprises des Châtiments et cela valait encore pour la pièce "Le Forgeron". La filiation était naturelle puisque des Châtiments aux poèmes rimbaldiens de 1870 il s'agit de la même cible, le Second Empire, et du désir d'un soulèvement en faveur d'une République, même si la nature de cette République doit ensuite être sujet de débats clivants. En 1871, Rimbaud adhère à la Commune et que les compositions datent de mars à mai, ou soient un peu postérieures, le poète va se nourrir à nouveau de la rhétorique satirique des Châtiments, avec en particulier "Paris se repeuple", mais pas seulement. Encore une fois, un fonctionnement paresseux tend à limiter l'intérêt de la lecture des Châtiments aux poèmes antibonapartistes de 1870 et si ce lien est également bien mis en relief au sujet de "Paris se repeuple", cela ne débouche pas sur l'idée d'une importance séminale des Châtiments pour toute la carrière poétique de Rimbaud. On ne voit que les occasions, on ne saisit pas l'importance du phénomène d'imprégnation.
Il est alors temps d'en venir aux recueils lyriques hugoliens de la décennie 1830-1840.
Je le disais plus haut. La métaphore du peuple en marée révolutionnaire est dans plein de recueils hugoliens, y compris les productions lyriques telles que Les Contemplations. Cette métaphore se retrouve aussi dans un recueil tel que Les Feuilles d'automne.
Et puis, il y a ce fait étonnant sur lequel j'ai déjà insisté. Le tout premier vers de "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur, que les nappes de sang [...]" est une réécriture du tout premier vers du quatrième poème des Feuilles d'automne : "Que t'importe, mon coeur, ces naissances des rois, / [...]" Et je ne me suis pas contenté comme Steve Murphy ou Benoît de Cornulier à sa suite, de considérer que le poème "Qu'est-ce..." se contentait d'une réécriture d'un premier vers, j'ai soutenu que la construction d'ensemble du poème "Qu'est-ce" rimbaldien s'inspirait de la construction d'ensemble du quatrième poème des Feuilles d'automne et que le "Rien" martelé dans le dialogue poétique rimbaldien faisait écho à l'emploi du mot "rien" dans le poème hugolien de juin 1830 : "Rien ici-bas qui n'ait en soi sa vanité[,]" (vers 6 chez Hugo, milieu de vers 5 chez Rimbaud, deuxième strophe dans les deux cas), "Rien qui ne tombe et ne s'efface !"
On entre ici dans quelque chose de fascinant dans le domaine de la compréhension de la poésie rimbaldienne. Les poèmes "Le Bateau ivre", "Après le Déluge" et "Qu'est-ce..." tiennent des propos politiques engagés d'un adepte du soulèvement communaliste en mars-mai 1871 et les rapprochements avec des passages hugoliens permettent de renforcer le sentiment d'évidence d'un discours qui fait retour sur l'événement de la Commune avec son soulèvement et sa semaine sanglante, et cela permet aussi d'envisager l'articulation entre les ambitions de poète et les ambitions d'un personnage qui pense politiquement le devenir historique de la société dans laquelle il s'inscrit. On constate l'interpénétration bien concrète du poétique et du politique.
Mais, dans la foulée, le lien aux poésies hugoliennes permet de souligner que le plan méditatif s'élargit. Hugo n'est déjà plus légitimiste quand il publie Les Feuilles d'automne, il le signale à l'attention dans la préface, mais il est encore un défenseur de certaines valeurs, et notamment de valeurs de piété religieuse. Dans "Le Bateau ivre", j'ai déjà insisté sur le fait que quand Rimbaud déclare que les pieds lumineux des Maries ne pourront pas repousser les océans qui poussent ("poussifs" étant le choix railleur du poète pour s'exprimer) il s'agit d'une allusion sensible aux grandes poésies lamartiniennes, car avant Hugo il y a eu André Chénier et Lamartine. Dans ses recueils, Lamartine sélectionne la métaphore du peuple océan et comme il défend la piété religieuse il souligne à quelques reprises l'idée d'une toute-puissance divine qui arrête les océans, et il y a notamment cette phrase au discours direct : "Tu n'iras pas plus loin !" Cette idée d'opposer la foule et Dieu a été reprise par Victor Hugo, et notamment dans Les Feuilles d'automne. Hugo relaie donc l'idée lamartinienne et développe un discours le cul entre deux chaises, puisqu'il se déclare partisan passionné du peuple maintenant qu'il n'est plus légitimiste, mais il maintient ce recul critique de celui qui voit les errements des passions de la foule. Le peuple émeutier peut ne pas comprendre la sagesse que Dieu attend des hommes.
Le poème IV des Feuilles d'automne ne parle de l'actualité politique comme c'est le cas des pièces des Châtiments, et il faut noter que le poème "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,..." offre toutes les garanties d'un discours révolutionnaire de revanche des communards, mais il le fait sous une forme de généralité intemporelle. Cette similitude confirme la pertinence d'une lecture contrastée du poème de juin 1830 et du poème aux alexandrins chahutés de 1872. Et cela permet aussi de considérer que le poème "Le Bateau ivre" est à la fois un discours satirique répondant au positionnement hugolien hostile à la Commune en 1871, mais en même temps le support d'une réflexion rimbaldienne répliquant à l'édifice de discours moralisant hugolien au-delà de la mêlée politique événementielle. Et là, nous ne sommes plus dans le débat où il y a d'un côté ceux qui partent de l'évidence des allusions à la Commune pour ne voir "Le Bateau ivre" que comme un tombeau de la Commune et ceux qui, comme Steve Murphy, voient "Le Bateau ivre" comme un fourre-tout d'ambitions poétiques incluant les aspirations communardes à côté de l'ouverture des perceptions sensorielles, du projet métaphysique baudelairien d'exploration de l'inconnu, etc. Ma position est clairement plus proche de la première option : une lecture résolument communarde du "Bateau ivre", mais avec un plan élargi parce que le poète Rimbaud établit un dialogue des valeurs avec les pièces hugoliennes assez nombreuses auxquelles il fait allusion.
Je voudrais insister du coup sur d'autres singularités qu'il faut voir à la loupe.
Rimbaud fait un emploi étonnant du mot "colocase" dans le poème "Larme" qui semble le reflet d'une lecture d'une préface de Victor Hugo à un autre de ses recueils, peut-être les Orientales. En clair, on voit s'affirmer l'idée que Rimbaud a lu de manière particulièrement attentive l'ensemble des premiers recueils de Victor Hugo, cas à part des Odes et ballades, lors de ses séjours parisiens de septembre 1871 à juillet 1872. Difficile de ne pas songer aux goûts déclarés de Verlaine sur le sujet, mais Rimbaud aurait particulièrement médité la lecture des Orientales, des Feuilles d'automne, des Chants du crépuscule, des Voix intérieures jusqu'au volume de 1840 Les Rayons et les ombres, à l'époque clef où il composait "Le Bateau ivre", "Voyelles", "Tête de faune", "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur..." et plusieurs de ses poèmes en vers nouvelle manière.
Les préfaces des recueils hugoliens ne sont pas particulièrement longues et semblent être systématiquement reportées dans les diverses éditions.
Prenons celle des Feuilles d'automne. Le recueil date de la fin de l'année 1831 qui a connu les journées révolutionnaires que l'on sait. Je cite le début de cette préface :
Le moment politique est grave [...]
Quelques lignes plus loin, nous avons la formule "fournaise d'une révolution, puis nous avons cette phrase qui rappelle l'importance de lire les journaux pour comprendre nos auteurs favoris : "le ressentiment perpétuel de la tribune sur la presse et de la presse sur la tribune ; l'émeute, qui fait la morte [...]"
Il faut quand même mesurer que le titre de recueil L'Année terrible est une autre façon de dire "Le moment politique est grave". Avant même la publication de ce recueil de 1872, Rimbaud lecteur des Feuilles d'automne pouvait apprécier le sens des mots pour sa propre époque, après l'émeute bien morte de la Commune.
Le fameux discours du vieux monde balayé par le flot est déjà dans les mots de la préface de 1831 : "quelque chose de vermoulu qui se disloque", "le bruit sourd que font les révolutions, encore enfouies dans la sape, en poussant sous tous les royaumes de l'Europe leurs galeries souterraines, ramification de la grande révolution centrale dont le cratère est Paris." Ces lignes entrent en résonance avec "Qu'est-ce...", mais aussi avec des poèmes en prose tels que "Barbare" ou "Enfance V". Je parlais du plan métaphysique élargi qui fait que Rimbaud ne riposte pas simplement sur la question de l'adhésion à la Commune ou non en s'adressant à Hugo, et voici une citation sur les "croyances", la "foi" traditionnelle et les "nouvelles religions", puis de "formules", de "question de l'avenir" :
[...] Enfin, au dehors comme au dedans, les croyances en lutte, les consciences en travail ; de nouvelles religions, chose sérieuse ! qui bégayent des formules, mauvaises d'un côté, bonnes de l'autre ; les vieilles religions qui font peau neuve ; Rome, la cité de la foi, qui va se redresser peut-être à la hauteur de Paris, la cité de l'intelligence ; les théories, les imaginations et les systèmes aux prises de toutes parts avec le vrai ; la question de l'avenir déjà explorée et soudée comme celle du passé. [...]
Dans "Génie", poème d'une nouvelle religion s'en prenant à l'ancienne en lui prenant sa "peau neuve", le "pôle tumultueux" est une image politique que je n'hésite pas à rapprocher de la reprise abondante du terme dans la préface des Feuilles d'automne, puisque la répétition par Hugo prouve qu'il s'agit d'une image cliché du discours politique : ["orageux conflit",] "concile tumultueux de toutes les idées", "le tumulte de la place publique", ["accidents politiques", "orages politiques",] "tempête", "torrent", "point là de la poésie de tumulte et de bruit",...
La préface hugolienne avait une raison d'être conjoncturelle. Le poète avait composé un ensemble de pièces lyriques avant les journées de juillet, et au moment de les publier en recueil la sérénité des vers en question risque de ne pas être en phase avec l'actualité fébrile. Hugo a d'ailleurs publié des poèmes sur les événements en cours dans la presse. Il s'empresse d'annoncer que ces pièces sont reportées au recueil suivant pour ne pas dénaturer le présent projet. Notons tout de même une continuité entre les deux recueils en question en citant leurs deux titres : Les Feuilles d'automne et Les Chants du crépuscule. La préface des Chants du crépuscule sera l'occasion de réinterroger en termes visionnaire l'idée d'orient en rappel du titre des Orientales, et on sait l'importance que cela aura pour Rimbaud, pas seulement à cause d'Une saison en enfer. Dans son effort de justification, Hugo déploie une métaphore proche du poème "Qu'est-ce". Si la "terre tremble", l'art n'en a pas moins sa loi, et il faut continuer de marcher. Le "sol de la vieille Europe" connaît les "guerres", mot répété cinq fois, et les "écroulements des choses anciennes" face au "bruyant et sonore avènement des nouveautés". Et Hugo ironise sur le fait qu'entre deux contemporains Luther et Michel-Ange c'est l'artiste dont l'oeuvre n'a pas encore été remisée parmi les vieilleries, propos dont la perfidie n'échappe pas à un Rimbaud apte à l'élargir à un rejet intégral du christianisme.
Je vous épargne le relevé de tout ce que j'ai pu noter dans cette préface, mais une autre idée est à souligner en regard du poème "Qu'est-ce". Selon Hugo, "les révolutions transforment tout, excepté le coeur humain". Hugo ajoute que "[l]e coeur humain est comme la terre", puis qu'il est "la base de l'art" et que "Pour que l'art fût détruit, il faudrait donc commencer par détruire le coeur humain."
Voilà un propos qui rend plus piquant encore le vers brisé ultime de "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur,...."
Le "qu'importe" ou "Qu'est-ce pour nous" a ses équivalents dans la préface hugolienne : "Mais qu'est-ce que cela fait ?" Et quand on songe à l'aquilon et aussi au bateau frêle du "Bateau ivre", nous avons ici l'idée d'un poète emporté comme une feuille à tous les vents. La métaphore du "vent" revient abondamment sous la plume de Victor Hugo, préface en prose ou pièces en vers :
[...] parce que le vent, comme on dit, n'est pas à la poésie, ce n'est pas un motif pour que la poésie ne prenne pas son vol. Tout au contraire des vaisseaux, les oiseaux ne volent bien que contre le vent. Or la poésie tient de l'oiseau. Musa ales, dit un ancien.
La sérénité et tranquillité du recueil lyrique va "prouve[r] la vitalité de l'art au milieu d'une révolution" car "le poète qui fait acte de poésie entre deux émeutes, est un grand homme, un génie, un oeil [...]". Ce seront aussi des vers du foyer, de la vie privée, de l'intérieur de l'âme et non d'agitations, des vers qui mesureront avec mélancolie aussi "ce qui est, et surtout ce qui a été". Quant aux poèmes politiques, ils seront reconduits dans un prochain recueil, mais Hugo voudrait encore qu'on ne les appelât pas politiques, mais historiques.
J'observe au passage que la préface des Feuilles d'automne contient un renvoi à la préface d'une pièce de théâtre Marion Delorme [sic].
Il se trouve que dans "Le Bateau ivre" nous avons un couple de vers où la présence au pluriel du mot "juillets" imposé aisément l'allusion à la métaphore du flot révolutionnaire :
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs
[...]
Même si le mois de juillet est aisément associé aux orages, l'allusion à la Révolution est sensible. La rime "triques" / "électrique" vient d'ailleurs de la lecture des Châtiments. J'ai souligné que non seulement "juillets", mais "crouler" et "coups de triques" (avec source hugolienne à la clef et renvoi au poème "Morts de Quatre-vingt-douze...") étaient des termes révolutionnaires connotés. L'image de la chute dans les "ardents entonnoirs" confirme l'idée de combat dans une émeute, même s'il existe une tension troublante entre l'image des "ardents entonnoirs" et celle proche des "Maelstroms épais", puisque "ardents" ne correspond pas à l'idée de courant froid du Maelstrom. Une contamination de l'imaginaire volcanique paraît ici sensible, imaginaire volcanique également déployé dans la préface des Feuilles d'automne que j'ai déjà pas mal citée jusqu'ici.
Une autre idée qui m'est venue a été de souligner la mention "ultra" dans "ultramarin". Le bleu outremer est celui du plafond étoilé de fleur de lys de la Sainbte Chappelle à Paris et par équivoque la mention "ultra" peut fait songer aux royalistes. J'ai fait remarquer en 2006 qu'une phrase de la préface de Hernani réunissait les mentions "juillet", "crouler" et "Ultras" avec le sens politique explicite que je prête aux deux vers en question de Rimbaud. Ce lien n'a pas paru probant, mais j'en profite pour faire remarquer que la préface des Feuilles d'automne invitait Rimbaud à lire les préfaces des pièces de théâtre, et sur des plans d'idées politiques.
Je vais faire une petite pause, l'article étant déjà assez conséquent. Je peux tout de même tenter une mise en bouche pour la suite.
Nous avons commencé par évoqué le premier poème des Feuilles d'automne. Vous vous rappelez que j'ai déjà soutenu que le second vers inhabituel du sonnet "Voyelles" pouvait se rapprocher de deux passages de "Ce siècle avait deux ans" ?
Premier passage. A cause du retour à la ligne, il va manquer deux syllabes au premier alexandrin cité :
Je vous dirai peut-être quelque jour
Quel lait pur, que de soins, que de voeux, que d'amour,
Prodigués pour ma vie en naissant condamnée,
M'ont fait deux fois l'enfant de ma mère obstinée,
Ange qui sur trois fils attachés à ses pas,
Epandait son amour et ne mesurait pas !
Second passage :
Je pourrai dire un jour, lorsque la nuit douteuse
Fera parler les soirs ma vieillesse conteuse,
[....]
Ces rapprochements troublants sont confortés dans l'optique d'une lecture assidue des recueils hugoliens de la décennie 1830-1840 dans les mois où furent composés "Le Bateau ivre", "Voyelles", "Tête de faune", puis "Qu'est-ce".
Les "grands fronts studieux" ont toujours été rapprochés de la mention du "grand front" dans les écrits hugoliens, puis dans les satires et caricatures tournées contre Hugo. En 2003, dans mon premier article sur "Voyelles", je dégageais l'idée de l'alchimie chez Hugo à partir du recueil Les Rayons et les ombres ce qui est parfois cité comme plausible par les rimbaldiens, puis je soulignais l'idée des "rides" permettant de lire des enseignements de la sagesse dans divers poèmes hugoliens. La pièce "Ce siècle avait deux ans" en fait partie, et donc devient une pièce candidate pour deux vers clefs du sonnet "Voyelles", ce qui ne veut pas dire que ces deux vers s'en tiennent à une seule source d'inspiration pour autant. Les vers hugoliens sont connus et ont inspiré Baudelaire qui plus est :
J'ai plus d'un souvenir profondément gravé
Et l'on peut distinguer bien des choses passées
Dans ces plis de mon front que creusent mes pensées.
Le poème suivant sur lequel j'ai plus haut aimé digresser comporte la même image avec un recours immédiat au verbe "imprimer" lui-même :
"Il continûra donc sa tâche commencée,
"Tandis que sa famille, autour de lui pressée,
"Sur son front, où des ans s'imprimera le cours,
"Verra tomber sans cesse et s'amasser toujours,
"Comme les feuilles d'arbre au vent de la tempête,
"Cette neige des jours qui blanchit notre tête !
"[...]"
Bien que le recueil soit annoncé comme un ensemble lyrique et non pas plein des passions politiques, nous verrons que les poèmes en question parlent pourtant de politique, de révolutions, de vie comme une épreuve de bateau en mer, etc. Nous verrons aussi que comme à la fin de "Voyelles" il est question de voir un être dans le ciel et de ne rien manquer des splendeurs sidérales dont il faut savoir entendre le discours. Nous reparlerons des "flots que Dieu seul peut dompter".
Il faut vraiment une vanité immense comme l'espace entre deux étoiles pour dire que tous ces rapprochements n'éclairent pas de jolies perspectives la signification de plus d'un des plus célèbres poèmes de Rimbaud.