mardi 31 décembre 2024

Correction de plusieurs erreurs dans Critique du vers (Gouvard) à propos de Mme Blanchecotte

Article édité : avertissement :

J'ai mis en ligne tôt ce matin un article inachevé qui a eu quelques lecteurs, je l'ai remanié en fin de matinée, je vais le reprendre à quelques reprises. Je conseille à ceux qui ont déjà lu de revenir sur l'article une fois achevé. Cet article a son importance dans l'histoire de la versification que je corrige actuellement. Il sera à relier à l'article en cours en quatre parties sur la versification de Leconte de Lisle et à un article à venir sur la versification de Baudelaire dans la pré-originale des Fleurs du Mal parue dans la Revue des Deux Mondes en 1855. Il faut y ajouter d'autres études sur l'importance des rôles joués par Hugo et Vigny. Ces mises au point historiques vont remettre en cause plusieurs points d'un récit officiellement imposé à l'heure actuelle où Baudelaire aurait inventé une manière de versifier au détriment de Victor Hugo, puisqu'on sépare arbitrairement vers de théâtre et vers de poésie lyrique dans le récit historique que nous devons à Gouvard et Cornulier. Mais les conséquences de notre étude vont plus loin. Nous travaillons à montrer qu'il y a un manque de prudence à se servir de données statistiques pour affirmer une progression dans l'évolution de l'alexandrin. Certaines données sont erronées, d'autres sont mal analysées, surinterprétées. Certaines données sont fournies de manière vague et allusive, alors qu'elles doivent être rigoureusement détaillées sur le papier avant toute affirmation théorique de la part des chercheurs. Nous sommes en train de revoir les raisons pour lesquelles les poètes ont choisi de chahuter les césures à telle ou telle date, en fonction d'un repère qui a étonnamment manqué aux métriciens : l'émulation entre poètes. Cette émulation se mesure en fonction d'imitations objectivables par l'analyse. Or, un rimbaldien comme Murphy ou des métriciens comme Gouvard et Cornulier minimisent sans arrêt ces faits au profit d'un récit en faveur d'un poète favori, en l'occurrence Baudelaire, ou en fonction d'une approche téléologique où la versification est un dieu qui évolue sans interventions aléatoires de poètes. Nous allons réenvisager la relation du trimètre aux césures chahutées à partir d'une démarche d'investigation empirique historienne contre une fausse idée de scientificité non intuitive.

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Mme de Blanchecotte occupe une place particulière dans le livre Critique du vers de Jean-Michel Gouvard. La poétesse a deux faits d'armes métriques qui ont retenu l'attention. En 1855, elle serait l'une des premières à lancer la mode en poésie lyrique des césures d'alexandrins sur un proclitique. En 1861, elle est la première avec Banville à fournir un enjambement de mot à la césure d'un alexandrin.
Il me faut revenir sur ces points, la poétesse étant particulièrement mal connue. Elle ne l'est que pour deux contributions au second Parnasse contemporain, puisque, selon un témoignage non vérifié et même peu fiable, Rimbaud aurait caviardé de corrections manuscrites de son cru le texte de deux poèmes de Mme de Blanchecotte au plan de la publication initiale par livraisons. Ces livraisons avec des interventions de la main de Rimbaud sont inconnues des rimbaldiens et il s'agit vraisemblablement d'un témoignage mensonger, mais ce n'est pas ce qui nous intéresse présentement.
Dans Critique du vers, Jean-Michel Gouvard fournit une bibliographie du "Corpus général" dont il étudie tous les alexandrins, et à la page 134, voici le texte de l'alinéa consacré à Mme de Blanchecotte :
Anne-Marie Blanchecotte : Rêves et Réalités[7} (1855, 3 136), Nouvelles Poésies (1861, 1 114) Pendant le siège (1870-71, 234)
J'y adjoins le texte de la note 7 de bas de page 134 qui a son importance ici :
[7} Contient Rêves et Réalités, Pendant le siège.
Les prénoms sont erronés, Anne-Marie au lieu d'Augustine-Malvina. Les prénoms sont pourtant cités correctement par la suite dans le corps de l'ouvrage. Page 149, Gouvard écrit :
La configuration C5 + C6 inaugurée par Augustine-Malvina Souville, dite dame Blanchecotte, ne revient que [...}
Et, en fin d'ouvrage, dans la vraie section "Bibliographie", nous avons la référence exacte de l'ouvrage consulté par le critique universitaire :

Blanchecotte, A.-M., 1871 : Rêves et Réalités, précédé de Pendant le Siège, Didier et Cie.
Apparemment, comme on peut le vérifier par un lien plus loin dans notre recension, Gouvard n'a pas cité avec précision la couverture de l'ouvrage paru en 1871 : Rêves et Réalités, par Mme A.-M. Blanchecotte, ouvrage couronné par l'Académie française, troisième édition, revue et augmentée de poésies nouvelles, ni ce que j'appellerai la deuxième page de faux-titre qui précède l'Avertissement : "troisième édition, revue et augmentée de poésies nouvelles et précédée de poésies inspirées par la guerre."
Au plan du "Corpus général", la date de 1855 n'est pas très rigoureuse si l'ouvrage en question contient aussi l'ensemble intitulé "Pendant le siège" qui passe ici un peu rapidement pour un recueil indépendant, même si l'ensemble est en hors-d'œuvre. En clair, Gouvard n'a pas travaillé à partir de l'édition originale de 1855. Enfin, dans sa présentation d'un "Corpus général", vous avez des chiffres en italique avec une petite démarcation typographique pour les milliers. Alerté par deux anomalies, je me suis empressé de vérifier le décompte de 234 alexandrins pour la section "Pendant le siège" et je n'ai pas dénombré 234 alexandrins, mais seulement 232. Gouvard a assimilé à des alexandrins deux vers qui ne font pas douze syllabes, mais dix et quatorze !
D'autres révélations vont suivre, je vous propose de commencer notre revue critique par la section "Pendant le siège". Il ne s'agit pas d'un recueil au sens fort du terme ni d'une plaquette, mais d'une section de poèmes nouveaux d'actualité qui ont été mis en tête de la troisième édition de Rêves et Réalités en 1871.
Cet ensemble est constitué de neuf poèmes de circonstance. Le deuxième a été publié sur une feuille imprimée au recto et au verso en 1870, il s'agit de la pièce "A Victor Hugo", les huit autres poèmes ont pu être publiés dans la presse à l'époque, mais ils font partie d'un recueil paru au milieu de l'année 1871 seulement avec une préface datée de "juillet 1871" qui en atteste. La réédition était prévue pour juillet 1870, mais les événements ont entraîné un report de précisément un an.
Voici le détail des neuf pièces en question. Il y a un unique poème en décasyllabes de chanson 5-5v (deux hémistiches de cinq syllabes) : "IV. La Chanson des Assiégés". Les huit autres poèmes sont essentiellement en alexandrins et forment bien un ensemble de 234 vers, sauf que deux vers posent un problème de mesure dont nous allons reparler. Il s'agit de discours en vers très hugoliens sur le principe des rimes plates AABBCCDD... Les pièces sont plutôt courtes : I. La Bataille 20 alexandrins, II A Victor Hugo 42 alexandrins, III Aux Parisiens 26 vers, V Aux femmes 46 alexandrins, VI Pendant le bombardement 30 vers, VII Protestation d'un soldat 16 alexandrins, VIII Aux vaincus 32 alexandrins, IX Aux armes 22 alexandrins.
Je vous laisse vérifier et refaire les calculs.
Lien pour consulter sur GoogleBooks la 3e édition en 1871 de Rêves et Réalités !
Mme de Blanchecotte a tendance à s'autoriser d'introduire de manière peu régulière des décasyllabes littéraires (hémistiches de quatre et six syllabes) au milieu de pièces en alexandrins, voire au début; C'est le cas du premier vers du poème "III. Aux Parisiens" :
Le désespoir d'un peuple entier se lève !
Ce n'est plus un vain but de gloire - sombre rêve -
Ce n'est plus désormais l'honneur seul qu'on défend ;
C'est patrie et foyer : la femme avec l'enfant.
[...}
Je pense que, comme moi-même, la plupart des lecteurs sont piégés par la lecture du premier vers. Vous croyez lire un alexandrin et sur votre lancée vous avez le premier hémistiche "Le désespoir d'un peuple", sauf que en même temps que vous identifiez le rejet d'épithète "entier" vous ressentez un malaise "se lève" ne compte que deux syllabes métriques, c'est un peu court pour compléter un rejet de deux syllabes dans un alexandrin. C'est après avoir raté ma lecture du vers en alexandrin que j'ai compris qu'il s'agissait d'un décasyllabe avec le premier hémistiche "Le désespoir" et le second "d'un peuple entier se lève !" Même si l'idée reste dérangeante à mes sens, j'ai identifié des décasyllabes mélangés à des alexandrins dans les poèmes plus anciens de la poétesse. Je considère avoir affaire ici à un fait exprès.
Au plan prosodique, je n'aime pas du tout les trois derniers vers :
[...}
Qui tombe se relève : on ne meurt pas toujours !
Paris, Athène hier, Paris, Sparte nouvelle,
Paris, âme du monde, est la Ville éternelle !
Je ne trouve pas très heureux l'allure du second hémistiche : "on ne meurt pas toujours, l'emprunt à Rome du concept de "Ville éternelle" tombe comme un cheveu sur la soupe, et j'ai du mal à encaisser le bricolage symétrique avec trois reprises du nom "Paris". Mon cerveau est clairement rétif au jeu prosodique.
Pour la versification, Blanchecotte a évolué depuis 1855. Les modèles qu'elle revendique sont le chansonnier Béranger et Lamartine. Sa versification offrait quelques exemples de souplesse en 1855, mais elle n'était pas si libérée. La section "Pendant le siège" de 1870-1871 montre qu'elle cherche à correspondre à l'esprit des parnassiens de son époque, et du moins elle imite quelque peu les césures hugoliennes, comme le montrent les vers suivants tous repris au poème "Aux Parisiens" :

Ton âme est indomptable en toi, rien n'est perdu.

Surgira plus vivace encore une autre France !

Nous reprendrons d'un ferme élan notre drapeau ;
et, alors que je ne relevais aucune propension aux trimètres dans le recueil de 1855 je relève ici quelques cas intéressants, ainsi du dispositif des tirets au dernier vers du poème adressé justement "A Victor Hugo" le "27 septembre 1870" :

La Vérité - ce pain de vie - est notre gerbe !
Je colorie les seconds hémistiches en bleu, et vous relevez sans effort le rejet du complément "de vie", de l'adverbe "encore" (principe admis des classiques toutefois), le contre-rejet d'épithète monosyllabique "ferme", le rejet du complément "en toi".
Dans le poème VII "Protestation d'un soldat", je relève un vers assimilable à un trimètre avec un rejet d'un complément grammatical vague "de moi", si ce n'est qu'il s'agit d'une mise en relief de la première personne :
Avec la nuit autour de moi pour compagnie,
et j'insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un simple trimètre : "Avec la nuit / autour de moi / pour compagnie," même si le pont "autour de moi" et les unités grammaticales favorisent cette lecture en trois membres de phrase : "Avec la nuit pour compagnie autour de moi"...
Le vers n'est pas très heureux, mais Blanchecotte tente des césures risquées et il est facile de citer des preuves de telles intentions par d'autres vers où la césure est enjambée, ainsi du dernier vers plus réussi du même poème VII, digne de Victor Hugo, apte à faire pâmer de jalousie un Baudelaire :
L'ennemi peut signer sa paix, je n'en veux pas !
Le poème V "Aux femmes" offre un cas d'adverbe en "-ment" de la longueur d'un hémistiche d'alexandrin, et le résultat est plaisant :
Infatigablement nous pansons bien des âmes !
A cause de l'enjambement de mot sur "silencieux" dans le poème "L'Homme juste", je surveille les emplois de "silence" et "silencieux". Est-il risqué de comparer la section "Pendant le siège" avec des vers de soit "L'Homme juste", soit "Paris se repeuple" ? En tout cas, en dépit des risques d'anachronisme, c'est une démarche instructive. Je pourrai en rendre compte ultérieurement.
Dans le poème VIII "Aux vaincus" avec en épigraphe une formule coppéenne : "Faites votre devoir et laissez faire aux dieux", Blanchecotte a osé le faux trimètre apparent à la manière hugolienne avec le vers suivant :
Sors du tombeau, pays libre, vieux pays franc ;
Sur le mode d'une lecture grammaticale paresseuse, certains parleront de trimètre romantique, mais le "e" de l'adjectif "libre" n'autorise pas cette reconnaissance rythmique, et il faut se rabattre sur un rejet d'un adjectif d'une syllabe "métrique" (il y a bien deux syllabes, et elles comptent toutes deux pour la mesure qui plus est, mais seule la première peut être en relief). Le procédé est hugolien de servir un vers d'allure ternaire avec une syllabe bien mise en relief par la césure.
Et j'en arrive au poème VI "Pendant le bombardement" qui offre des points de comparaison avec "Paris se repeuple", même si ce dernier parle du second siège, car il y a bien sûr une équivalence sensible du côté des bombardements. Le poème VI contient un vers de quatorze syllabes bien isolé parmi des alexandrins. Je cite un extrait pour le mettre en contexte, mais en vous invitant à lire le poème en entier, vu qu'il a plusieurs qualités qui peuvent l'appeler à l'attention :
[...}
Et c'est transfigurés par l'épreuve et l'effort
Que nous nous retrouvons, nous qui vivons encor !
Hospices défoncés et maisons éventrées,
Clochers noircis, pavés fendus, ruines effondrées,
Balafres du pays, parafes du vainqueur,
Restez les durs témoins d'un siècle accusateur
Pour qui le succès seul vaut, hélas ! quelque chose !
[...}
Difficile de passer à côté du vers : "Clochers noircis, pavés fendus, ruines effondrées," où je rappelle que le mot "ruine(s)" se lit avec diérèse, ce que vous pouvez vérifier par au moins un autre emploi du mot dans la section "Pendant le siège" ou bien dans un poème de La Légende des siècles de Victor Hugo, etc. On s'attend à un trimètre avec rejet de "fendus" : "Clochers noircis, pavés fendus", sauf que "ruines effondrées" est un hémistiche de six syllabes. J'ai un peu de mal à cerner l'effet recherché par Blanchecotte s'il s'agit d'un fait exprès, j'ai même beaucoup de mal...
Je peux broder une explication, mais que vaut-elle dans l'absolu ? Le vers aurait pu être correct transcrit de la sorte : "Clochers, pavés noircis, ruines effondrées". J'observe les assonances : "défoncés" et "pavés" invitent à identifier une fin d'hémistiche avec rejet de "fendus", puisque la rime va d'un premier hémistiche d'un vers à ce qui aurait dû être le premier hémistiche du vers suivant. Les assonances sont internes et englobent les rimes avec glissement de cadence masculine à féminine d'un vers à l'autre : "défoncés", éventrées" / "clochers", "pavés", "effondrées". Il y aurait une volonté de mimer la scène par des vers ruinés, éventrés, mais le résultat ne s'impose pas avec évidence du tout.
Il faudrait confronter cela éventuellement à d'autres éditions du poème. S'agit-il d'une erreur d'impression ? Difficile à croire : je n'arrive pas à déterminer une logique qui irait au-delà de l'anomalie exhibée.
Faute de mieux, j'identifie ici un vers de quatorze syllabes avec un premier hémistiche de huit syllabes et un second de six syllabes. Cela reste tout de même dérangeant. Ce type de vers n'a aucune tradition sur laquelle s'appuyer et il est isolé.
Comment Gouvard a-t-il césuré ce vers de quatorze syllabes et celui de dix syllabes mentionné plus haut, vu qu'il les a inclus dans un ensemble de 234 alexandrins ? A-t-il eu accès à une édition corrigée ?
Ces deux vers auraient-ils échappé à une lecture vigilante ou bien le critique les a-t-il écartés lors de l'analyse, en oubliant ensuite de les décompter ?
Enfin, il y a dans ce même poème "VI Pendant le bombardement" un vers exceptionnel, contemporain d'une audace similaire de Leconte de Lisle dans le "Kaïn" qui ouvre le second Parnasse contemporain. Le poème de Leconte de Lisle a été publié dans le volume collectif au même moment que le vers que nous allons citer, mais il avait été publié sous forme de livraison initiale en 1869. Leconte de Lisle a refoulé l'audace métrique dans les éditions ultérieures du poème, je cite ce vers peu connu et qui a une valeur historique sur laquelle nous reviendrons plus bas :
Plus haut que ce tumulte vain, comme il parla
Voici maintenant le vers qui visiblement a échappé à l'attention de Gouvard et du coup à son relevé statistique même :
L'homme combat, la femme veille, l'enfant crie !
Il s'agit à nouveau d'un jeu sur fond d'impression ternaire, mais le mot "femme" franchit la césure. Vous avez une tripartition phrastique : l'homme, la femme, l'enfant, avec chacun son verbe, mais le verbe "veille" n'est pas seule après la césure et le syntagme "l'enfant crie" bien que pourvu de quatre syllabes n'a que trois syllabes "métriques". Il s'agit d'un enjambement à l'italienne, et il est particulièrement audacieux avec le dissyllabe "femme", au sein duquel observer que la voyelle forte prononcée [a} s'écrit "e".
Bien qu'il étudie des vers de ce profil dans Critique du vers, Gouvard ne cite pas ce vers précis de Blanchecotte, et bien qu'il soit d'une réelle importance d'époque.

Passons maintenant à l'autre erreur importante de Gouvard à propos des vers de Mme de Blanchecotte. Il date de 1855 le vers suivant :
Je les revois, je les reprends, je te les donne !
L'édition originale de 1855 de Rêves et réalités ne contient pas ce vers, ni le poème qui est censé l'inclure, ce qui peut être vérifié sur son fac-similé mis à disposition sur le site Gallica de la BNF. Nous pouvons aussi vérifier que l'hommage final de Lamartine faisait partie de l'édition originale et n'a pas attendu la seconde édition.
La deuxième édition du recueil de 1856 peut être consultée sur GoogleBooks, elle ne contient pas non plus le vers et le poème en question. Gouvard a considéré que seul l'ensemble "Pendant le siège" était inédit en 1871, alors qu'en réalité le recueil a été remanié et augmenté. Le vers cité comme étant de 1855 est un inédit de 1871.


Le poème "A Nobody", l'un des deux à porter ce titre dans l'économie du recueil de 1861, est une pièce nouvelle qui ne date certainement pas de 1855. Le poème "Dédicace - A Nobody" ouvre la section "Chants et Pensées", il va de la page 187 à la page 189, il est en quatrains d'alexandrins à rimes croisées, et le vers qui nous intéresse figure à la page 188. Le poème est dédié "A personne" et est quelque peu une variation, la déclaration amoureuse en moins, sur l'adresse à l'inconnue du célèbre sonnet d'Arvers. Un autre poème intitulé "A Nobody" clôt l'ensemble du recueil. Il s'agit donc bien de compositions nouvelles qui créent la toute nouvelle forme de recueil propre à cette troisième édition. Dans les deux premières éditions de 1855 et 1856, nous avions une première section de "Poèmes", essentiellement dominées par des portraits de femmes amoureuses d'hommes qui ne leur rendaient pas leurs sentiments : "Blanche", "Jobbie", "Maria", Lucie", "Henrietta", "Madeleine", "Gabrielle", "Conchita", "Léopold", puis nous avions une seconde section de "poésies diverses" qui allait d'un poème adressé à Alphonse de Lamartine : "A M. A. de L." enrichi d'un "Souvenez-vous de moi" en 1856, à une réponse en vers de Lamartine : "A l'auteur, ouvrière et poète". Les deux poèmes "A Nobody" se substituent donc au miroir initial d'un échange en vers entre Lamartine, décédé en 1869, et Blanchecotte. La réponse de Lamartine est déplacée vers le début de la nouvelle section "Chants t pensées" et prend le titre "Chanter et prier".
Gouvard cite un autre vers de l'autrice qu'il date de 1855 et qui offre une césure similaire avec une apparence de trimètre.
Non les honneurs, non les succès, non la fortune[.}
Malheureusement, il s'agit à nouveau d'un vers d'un poème nouvellement publié en 1871. Le poème s'intitule "A mon fils, le jour de sa première Communion." Ce fils est né après le mariage avec monsieur Blanchecotte en 1850. Non seulement le poème ne figure pas dans les deux premières éditions, mais la composition est nécessairement postérieure de quelques années.
Les deux vers que Gouvard datent de 1855 ne sont ni l'un ni l'autre dans l'édition originale de 1855 du recueil Rêves et réalités dont un fac-similé est consultable sur le site Gallica de la BNF.
Ces deux vers ne figurent pas non plus sur la deuxième édition de 1856, ils sont exclusifs à l'édition de 1871 comme il vous est aisé de vérifier.
Ces deux vers présentés comme importants sont à retirer de l'histoire du vers racontée par Gouvard.
Loin d'avoir influencé Leconte de Lisle, ils sont nés de l'influence de Leconte de Lisle et d'autres sur la poétesse qui a dû les composer plus tardivement dans la décennie 1860.
Il reste le recueil de 1861 Nouvelles poésies, où là les vers sont authentiques, mais tout le récit est bouleversé. Sans son antériorité de 1855, il est clair que Blanchecotte en 1861 n'innove pas parallèlement aux grands poètes connus et qu'elle s'est plutôt inspirée d'eux. Je rappelle que dans Critique du vers Gouvard soutient que Banville a  antidaté de 1861 son vers : "Où je filais pensivement la blanche laine" du poème "La Reine Omphale" paru dans le recueil Les Exilés à la toute fin de 1866. Non, le vers a réellement été publié en 1861 avec cet enjambement de mot dans une revue. Blanchecotte s'inspire de Leconte de Lisle, Baudelaire et d'autres dans quelques vers des Nouvelles poésies et plus particulièrement de Banville pour l'enjambement de mot. Il faudrait il est vrai préciser les dates exactes de publications pour Banville et Blanchecotte.
Ensuite, le choix du trimètre pour faire digérer l'effet de chahut à la césure vient donc de Leconte de Lisle et de Baudelaire.
Dans Critique du vers, Gouvard cite à plusieurs reprises les deux vers qu'il date de 1855, il cite à plusieurs reprises Mme de Blanchecotte. Ces références éparses font partie d'un tissu d'analyse critique qui prétend démontrer une évolution progressive du vers chahuté à la césure. Il convient donc de citer ces passages et de montrer en quoi les affirmations de Gouvard posent problème.
Grâce à l'index, où il manque tout de même "Villiers de L'Isle-Adam", nous savons que Gouvard a mentionné notre poétesse aux pages 105, 134, 146, 149, 152, 172, 174, 175, 193, 216, 220 et 236 de son ouvrage. J'écarte la page 134 déjà citée et qui correspond au "Corpus général". Je commence par citer les pages qui ont mis en avant les deux vers erronément datés de 1855.
A la page 146, dans une sous-partie intitulée "Distribution sur la cinquième syllabe", Gouvard énumère les auteurs qui ont pratiqué entre 1850 et 1858 la césure d'alexandrin dite CP6 (césure sur proclitique d'une syllabe : déterminant du nom, préposition, pronom devant un verbe) :
   A partir des années 1850, les vers CP6 commencent à apparaître chez plusieurs auteurs. Jusque vers 1858, ils ne sont pas employés plus d'une ou deux fois chez Blanchecotte, Glatigny, Hugo, Nerval, Du Camp, Villiers, Baudelaire ou Leconte de Lisle Puis, après 1858, chez les deux derniers poètes cités, le nombre de CP6 s'accroît, à raison de plusieurs occurrences tant pour 1859 que 1860. A l'époque, Baudelaire a déjà publié Les Fleurs du Mal dans leur première version, et Leconte de Lisle les Poèmes Antiques. Ils ne passent donc nullement d'une phase de formation à une période de production plus active : ce sont déjà des poètes en vue qui continuent d'écrire, mais en modifiant leurs habitudes de versification, du moins quant au vers alexandrin. [...}
Le relevé de Gouvard est défectueux sur plusieurs points. Il se coupe des exemples antérieurs à 1850, ce qui témoigne d'un manque de rigueur analytique évident. Il ne mentionne pas Banville dont les Odes funambulesques datent de 1857. Ne se préoccupant que des vers CP6, il parle de l'évolution de Leconte de Lisle et de Baudelaire, mais comme si ce critère CP6 était le seul. Il ne cite pas tous les recueils de Leconte de Lisle, car après les Poèmes antiques, il y a eu un recueil en 1855 dont le titre n'appartiendra pas à la trilogie définitive, mais aussi un recueil de Poésies nouvelles en 1858. On ne sait pas pour quel vers ou quels vers Hugo est cité ? Il ne s'agit même pas du vers du "Mariage de Roland" publié en 1859 et considéré comme ayant été composé en 1846 par Gouvard, ce que rien ne garantit. Il s'agirait de vers de La Fin de Satan. Gouvard semble citer Glatigny sur la foi de manuscrits non référencés.
Surtout, il doit renoncer à citer Mme de Blanchecotte qui n'a pas à faire partie de cette liste fermée.
Enfin, quant à cette liste, je souligne aussi une faille théorique cachée. Gouvard incluait des vers de Blanchecotte qui n'existaient pas à l'époque, il date des vers manuscrits et il cite sur un même plan des vers de poètes célèbres et des vers d'inconnus. Avec la relativisation du rôle joué par Mme de Blanchecotte, nous sommes invités à plutôt tenir compte des vers de poètes célèbres. Mais Gouvard inclut des vers inédits de Victor Hugo visiblement. En s'intéressant à des datations manuscrites, Gouvard s'éparpille aussi en négligeant les publications décisives. Ce sont bien les publications qui ont été connues des poètes et qui ont influencé éventuellement leurs pratiques. Gouvard passe à côté de la pré-originale des Fleurs du Mal dans la Revue des deux Mondes, préférant date sans documents à l'appui tel poème de 1851, tel autre de 1854, et le tout à l'avenant.
Sur ce lit d'imprécisions, Gouvard a fait jouer un rôle à deux vers de Mme Blanchecotte qui avaient une forme de trimètre ostentatoires. D'autres éléments sont biaisés dans l'analyse de Gouvard, comme la mise à l'écart de vers plus anciens, sous prétexte qu'ils sont des faits isolés de leur époque ou dus à leur inscription dans l'univers du théâtre. Il ne faut pas oublier que les œuvres sont publiées et lues à quelques années d'écart, que ces œuvres des années trente sinon vingt eurent un impact décisif sur de futurs poètes encore adolescents. Né en 1821, Baudelaire a vécu avec la lecture des vers de Musset, Hugo et d'autres. Gouvard, Cornulier et Murphy ne se rendent même pas compte que dans "Un Voyage à Cythère" paru en 1855, Baudelaire reprend le "comme un" antécésural à une rime des "Marrons du feu" de Musset, puis, le "comme" antécésural à une dizaine d'exemples hugoliens, tandis que dans "Au lecteur" le "ni" devant la césure est repris à un vers du "Mardoche" de Musset. Gouvard, Cornulier et Murphy identifient le rôle du trimètre dans l'évolution des césures chahutées à partir de vers de Baudelaire et Leconte de Lisle de la décennie 1850, mais ils écartent l'objection des vers non trimètres aux césures chahutés produits par Hugo, Musset et quelques autres. Or, cela prouve que le trimètre ne s'imposait pas, c'est un héritage aléatoire d'un comportement initié par Baudelaire et Leconte de Lisle, comportement qui ne fut pas systématique mais prégnant. Et cette référence au ternaire n'était pas possible à la lecture du Cromwell de Victor Hugo qui pratique quelques trimètres et quelques vers déviants sans les confondre. Hugo a ensuite associé le trimètre et les vers déviants, comme il a multiplié les exemples de trimètres, et c'est à cette aune que Baudelaire et Leconte de Lisle ont pu autant se référer au trimètre quand ils produisaient des vers aux césures chahutées.
Remise en cause dans sa précocité, Mme Blanchecotte passe d'un rang d'initiateur à un rang de suiveur de Leconte de Lisle, Banville et Baudelaire. Ses trimètres à césures chahutés ne sont plus des étapes de l'histoire de la versification, mais des imitations de Baudelaire et Leconte de Lisle, deux poètes sur lesquels resserrer l'enquête au sujet du recours au trimètre en regard de la référence hugolienne. J'ajoute que en écartant les vers de théâtre Gouvard manque les modèles verbaux mais non trimètres des configurations CP5CP6 qu'il prétend une étape intermédiaire, puisque Baudelaire se réfère au vers de "Mardoche" qui n'est pas de théâtre et au deuxième vers CP6 de Cromwell que Cornulier et Gouvard ne citent jamais comme s'il n'y avait qu'un vers P6 dans le drame de 1828.
Montrons par des citations que la correction de dates pour les vers de Blanchecotte a des conséquences sur le discours tenu dans Critique du vers. A la page 149, Blanchecotte est mise directement à la suite de Baudelaire en tant qu'initiatrice :
   Si nous examinons la morphologie des alexandrins CP6 qui apparaissent ensuite jusqu'en 1860, 39 sur 47, soit 83%, présentent ainsi un mot grammatical sur la cinquième syllabe, qui est soit une conjonction, soit un proclitique, soit, le plus souvent, une préposition. Les suites P5+C6 ou C5+C6 sont employées, respectivement, pour la première fois par Baudelaire en 1854, et par Blanchecotte en 1855 :

(17) Baudelaire 1854 A la très belle, à la très bonne, à la très chère, P5C6
        Blanchecotte 1855 Je les revois, je les reprends, je te les donne ! C5C6

La configuration C5+C6 inaugurée par Augustine-Malvina Souville, dite dame Blanchecotte, ne revient que trois fois avant l'explosion des années 1860, toujours chez Leconte de Lisle :

(18) L. de Lisle 1860 Toujours est-il qu'il s'en était débarrassé.
       L. de Lisle 1860 Jeune et vierge, je vous convie, ô jeunes hommes !
        L. de Lisle 1860 - Pieux Abbé, ne vous irritez point ainsi :

[...} 
Les dates de composition de 1860 sont à vérifier ici, elles sont à discuter comme valeurs dans le débat. Mais, on voit disparaître un trimètre ostentatoire. Aucun des trois vers de Leconte de Lisle n'est un trimètre, deux excluent même ce découpage. La lecture en 48 ne s'impose pas non plus pour deux vers, seulement pour "Pieux Abbé,..." Elle est exclue pour "Jeune et vierge,..." où la lecture 84 n'a aucun caractère d'évidence. Blanchecotte n'est plus le modèle suivi par Leconte de Lisle. La relation s'est inversée pour les deux auteurs. L'année de 1854 servait à assurer une antériorité de papier à Baudelaire, puisqu'après tout on ignore tout des états manuscrits des poèmes de Blanchecotte, mais cette fois vu que le vers de Blanchecotte est bien plus tardif, on comprend l'importance de dater l'occurrence du moment de sa publication, en principe en 1855 dans la Revue des Deux Mondes, puisque c'est cette publication qui peut avoir des suites chez les autres poètes. Gouvard et Cornulier semblent obnubilés par l'idée d'une évolution d'époque qui fait converger involontairement les poètes, alors que, plus rationnel, nous privilégions les imitations de poète à poète, et à cette aune, nous rappelons à l'attention le vers de "Mardoche" que Gouvard a résolument laissé de côté, comme si Musset n'avait été à la mode qu'un an ou deux (???) :
Mais une fois qu'on les commence, on ne peut plus
Musset s'inspirait du poète que Gouvard, Cornulier et Murphy haïssent le plus au monde, Victor Hugo :

Nous pourrons, puisqu'il nous appelle et nous invite, (Acte V)
Ni Blanchecotte, ni Leconte de Lisle, ni Baudelaire ne sont à mettre en premier pour la configuration CP5CP6.
La césure sur "ni" vient de "Mardoche" elle aussi, et comme pour "comme un(e)", Baudelaire s'inspire d'une rime et passe à la césure :
Il n'avait vu ni Kean, ni Bonaparte, ni
Monsieur de Metternich ; - quand il avait fini
Cela devient : "Quoiqu'il ne fasse ni grands gestes ni grands cris" dans "Au Lecteur" de Baudelaire, et les sources de Baudelaire étant des effets à la rime cela discrédite encore plus nettement l'idée d'une référence nécessaire à un équilibre du genre trimètre. Si Baudelaire a adouci ses audaces dans la forme d'un trimètre, c'est par choix et aussi parce que Victor Hugo jouait avec la césure des trimètres avant lui. Les analyses théoriques de Gouvard et Cornulier sont inutiles face à un tel constat de fait. Je ne cite pas la page 152 où Gouvard cite en tête d'une liste de vers le trimètre publié en 1871  "Non les honneurs, non les succès, non la fortune;" afin de montrer par des données "objectives" une évolution des césures dans le temps. Cette évolution est facile à démentir en citant des vers antérieurs laissés de côté, voire des vers contemporains, sans oublier le problème des dates de publication, vu que jusqu'à plus ample informé il n'existe pas une âme collective faisant communiquer les poètes entre eux pour bien d'une évolution harmonieuse des césures. Je rappelle que l'acclimatation dont parle Gouvard ne peut se faire que poète par poète, alors qu'il applique ce principe à l'histoire confondue de tous les vers de poètes, ce qui n'a aucun sens.
Aux pages 174-175, Gouvard cite les cinq vers qu'il a estimés déviants dans les recueils qu'il a pu lire de Blanchecotte. Remarquons qu'il a définitivement oublié de mentionner le vers avec césure à l'italienne : "... la femme veille...", qui ne correspondait pas pour une fois à un trimètre tranché de la part de l'autrice. C'est d'autant plus dommage que Gouvard prétend montrer que Blanchecotte s'émancipe de la référence au trimètre en citant un vers du Tombeau de Théophile Gautier de 1873. Or, les deux trimètres de Rêves et réalités ne furent publiés qu'en 1871 et ils sont peut-être même postérieurs aux deux vers CP6 de 1861. Gouvard perd aussi l'échelonnement dans le temps, car il devrait renoncer au receuil de 1855 pour citer en premier le recueil de 1861 Nouvelles poésies où Blanchecotte fournit trois trimètres à césure chahutée mais sur un patron préétabli par des prédécesseurs en vue Baudelaire et Leconte de Lisle, Banville subissant lui-même cette pression. En 1861, elle fournit un enjambement de mot à la césure sur trimètre comme Banville, un trimètre avec césure réelle sur le pronom "elle" et un trimètre sur locution et proclitique. Ne citons pour l'instant que les deux CP 6 :
Je restais là, bien qu'il fît froid, bien qu'il fût tard,
Elle était belle, elle t'aimait, elle est passée,
Il s'agit de trimètres à la Victor Hugo, on en trouve dans les poésies de Théophile Gautier, dans les recueils lyriques hugoliens comme dans ses drames en vers, et Baudelaire a pu donner l'idée de les rendre plus choquants avec une césure acrobatique CP6. L'analyse d'une relativisation de l'audace CP6 par l'adoucissement harmonieux du trimètre ne s'impose pas.
En 1871, Blanchecotte publie de nouveaux vers dans ce style :
Je les revois, je les reprends, je te les donne !
Non les honneurs, non les succès, non la fortune ;
Il n'y a aucune évolution de 1861 à 1871. Gouvard ratent le faux trimètre, eux aussi hugoliens :
Sors du tombeau, pays libre, vieux pays franc ;
Certes, ce premier n'est pas déviant, mais le deuxième avait une place obligée dans Critique du vers :
L'homme combat, la femme veille, l'enfant crie !
Loin de noter la souplesse d'un tel vers, Gouvard cite alors un vers du Tombeau de Théophile Gautier de 1873, mais il n'est plus que de deux ans postérieurs à deux trimètres bien nets sur les quatre exhibés, et ce vers est moins déviant que celui avec césure à l'italienne. En clair, la continuité limpide exhibée par Gouvard résulte d'erreurs importantes de relevés. Le rectificatif vaut démenti effectif de la thèse affirmée par Gouvard. Citons ce vers de Blanchecotte en 1873 à son tour :
Le char allait à ce repos : l'enterrement !
Gouvard lui applique un découpage en trimètre qui pourtant ne s'impose pas :
Le char allait à ce repos : l'enterrement !
A défaut de trimètre, il pourrait se rabattre sur l'idée d'un semi-ternaire 84 autour du double point, mais si je cite le vers suivant, vous allez encore trouver ça si évident qu'il faut parler de semi-ternaire 84 ?
L'ennemi peut signer sa paix, je n'en veux pas !
Oui, ce vers peut lui aussi être découpé en 84, mais comme vous sentez plus nettement l'effet de sens du suspens offensant à la césure, vous voyez bien que vous n'avez aucune raison de songer à un découpage 84. Il y a un suspens pour une mise en relief similaire de "repos", mais l'effet est moins vif, se fait moins sentir à la lecture.
 Il est très imprudent de parler de semi-ternaire parce que la syntaxe s'y prête.
Dans L'Art de Rimbaud, Michel Murat s'appuie sur ce qu'il estime les démonstrations de Critique du vers au sujet de l'étape intermédiaire du CP5CP6 à la césure. Le présent article dément l'établissement des données elles-mêmes, dénoncent les manques de rigueur de l'analyse et envisagent des explications concurrentes plus rationnelles et mieux charpentées historiquement. Reboul a fait une recension du livre de Murat qui suppose une acceptation de la thèse de Gouvard et Cornulier s'est appuyé sur les conclusions du livre de Gouvard qui vient d'une thèse dont il était le directeur.
Vous voulez briller à l'université en études métriques, cet article est fait pour vous.
Je vous cite un extrait de la page 193 qui témoigne de l'influence insidieuse des deux vers mal datés de Blanchecotte sur l'ensemble de Critique du vers :
[...} On pourrait considérer que les alexandrins CP6 de Theuriet, Boyer et Lacaussade offrent simplement un "rythme" ternaire, comparable à ce que faisait Baudelaire ou Blanchecotte dans les années 1850. [...}
Gouvard a décidé une fois pour toutes que les trimètres de Victor Hugo n'avaient joué aucun rôle. Il doit renoncer à l'idée d'un rôle quelconque joué par Mme Blanchecotte sur ces poètes. La base est de se reporter à Hugo, Baudelaire et Leconte de Lisle en les étudiant selon une méthode entièrement renouvelée.
Evidemment, avec deux vers datés de 1855, on pouvait supposer qu'elle les avait créés sans lire les vers de Baudelaire parus dans la Revue des deux mondes et ce problème se posait à nouveau en 1861. Blanchecotte pratique la même année que Banville un enjambement de mot à la césure, mais dans un recueil quand Banville publie son poème dans une revue. Deux fois, on suppose que Blanchecotte a agi indépendamment et n'a pas lu les vers d'un grand poète. Ce récit tombe pour l'année 1855, ce qui soulève un doute pour 1861, et ce qui supprime aussi pour l'année 1861 le point d'appui qu'offraient des antériorités fixées six ans auparavant.
Désormais, il faut se renseigner avec précision sur les dates de publication au mois et au jour près du poème "La Reine Omphale" de Banville et du recueil Nouvelles poésies de Blanchecotte.
Très soucieuse d'exhiber la reconnaissance de Lamartine ou Sainte-Beuve ou Hugo, Blanchecotte était sans aucun doute capable de composer rapidement des césures audacieuses à un moment où une publication de ses poésies approchait.
Sans réfléchir dans le vide, en tout cas, tout est remis à plat. Gouvard met même en doute que Banville ait composé son enjambement de mot en 1861, supposant que Banville essayait de faire croire à une antériorité sur Blanchecotte qu'il aurait imité. Banville a réellement publié ce vers-là en 1861 dans une revue, comme l'ont rappelé d'un côté Edwards, éditeur des poésies de Banville, de l'autre Jacques Bienvenu sur son blog Rimbaud ivre. Qui plus est, alors que l'annotation d'Edwards pose problème, Bienvenu rappelle aussi que l'enjambement de mot figurait dans l'édition originale des Exilés à la fin de l'année 1866, tandis que c'est ultérieurement que Banville y a renoncé pour une forme plus sage respectueuse de la césure : "Où je filais, d'un doigt pensif, la blanche laine". Leconte de Lisle a également renoncé à son audace pour le vers de "Kaïn" cité plus haut dans sa version du second Parnasse contemporain.
Ici, une mise au point s'impose. Banville a publié plusieurs recueils avant 1857, sinon avant 1855, et il y a eu un début de vers audacieux dans l'édition originale des Odes funambulesques en 1857. En clair, en 1861, Banville ne publiait pas de recueil, mais voulait montrer qu'il ne se laissait pas distancer par Baudelaire et Leconte de Lisle, année où Baudelaire publiait une seconde édition des Fleurs du Mal avec toujours plus de césures chahutées CP6. Il va de soi que le trimètre avec l'enjambement de mot "pensivement" est l'adaptation des trimètres CP6 à la Baudelaire qui font suite aux trimètres déjà quelque peu chahuté de Victor Hugo. Il n'y a pas que la statistique, il faut aussi de la finesse de jugement littéraire dans ces questions.
Voici ce qu'écrit Gouvard à la page 216 :

   Si je soupçonne Banville d'avoir quelque peu antidaté "La Rein Omphale", c'est aussi parce qu'il connaissait sans doute au moins l'un des deux vers suivants, parus également en 1861, et signés respectivement, Blancecotte ("Deux Soeurs", 1861 : 84) et Mendès ("Le Bénitier", 1864 : 37) :

(21) a Il me faut l'air et l'infini, le libre espace.
        b Et quand l'aurore a terrassé la messe noire,

[...}
La publication de 1861 étant avérée, et Mendès courant les patronages de grands poètes pour les revues qu'il lançait, justement la Revue fantaisiste !!! Mendès s'est inspiré de Banville. Blanchecotte et Mendès prouvent que le vers de Banville est perçu comme un trimètre et témoignent de l'évolution de souplesse du trimètre, qui n'est plus forcément alimenté en répétitions vers 1861. Toutes remarques non faites par Gouvard qui pensent que Mendès et Blanchecotte ont influencé Banville, son vers étant déplacé de 1861 à 1867...
Il est vrai que la vérification au mois près manque pour Blanchecotte, mais son vers n'en est pas moins comme celui de Banville la suite logique du trimètre CP6 de Baudelaire et Leconte de Lisle, tandis que le nombre de poètes à l'origine du trimètre CP6 se rétrécit à deux uniquement.
Je vous donne rendez-vous pour de prochains articles métriques retentissants. Je reviendrai alors sur l'enjambement du mot "l'infini" dans un vers de Blanchecotte en 1861, mais Banville n'est pas le premier. Outre qu'il faut parler de Dorimond, il y a ce vers de Pétrus Borel que ni Baudelaire ni Banville n'ignoraient :

Adrien, que je redise encore une fois !

samedi 28 décembre 2024

Baudelaire, Leconte de Lisle, Banville et Blanchecotte : 1855-1857, ce qu'il s'est passé !

 J'annonce la suite. Je vais faire les deux parties suivantes sur L'écoute de Lisle. Je précise aussi que dans Critique du vers Gouvard cité bien quelques vers d'Hugo et de parodies théâtrales ainsi que deux CP6 de Dorimond au XVIIe. Il n'en reste pas moins qu'en mettant entre parenthèses les vers de théâtre de Victor Hugo Gouvard ignore les vrais processus historiques et la vraie évolution du vers alexandrin.
Il ignore aussi les faits suivants.
Le "comme un" dans un "voyage à Cythere" est repris à Musset à la rime mais en datant le vers de 1851 sans aucun document référence à l'appui (manuscrit en principe) Gouvard raté l'importance de la pre-originale des Fleurs du Mal en 1855 dans la Revue des deux Mondes. Nous y trouvons entre vingt et trente poèmes en alexandrins et les césures sont régulières en général, pas un seul "comme" à la césure.
Le comme un y est donc isolé, mais Gouvard raté le relevé du ni conjonction de coordination à la césure, mot grammatical non pris en considération par Cornulier dans ses critères CPMFs. Il rayé le rejet d'epithetes "nouvelles" qui suit le nom "fleurs".
Face à cela en 1855, nous avons le second recueil de Leconte de Lisle avec un "comme" à la césure sur le modèle hugolien, avec la préposition "sous" à la césure et une évolution propre au poète reunionnais.
Gouvard remarque que Baudelaire a repris à L'écoute de Lisle le sous à la césure dans Le Beau navire, sauf que le sous est déjà à la rime dans Marion de L'orme. Cotnulier, Murphy et Gouvard se sont donné le mot pour ne jamais reconnaître mes antériorité hugoliennes. Ils sont pour dire que Baudelaire est un génie créateur au plan de la versification, ce qui est faux. Baudelaire apporte quelque peu, joue un rôle, mais il n'invente pas et est inférieur à Hugo.
Blanchecotte joue un rôle, elle publie un recueil avec un vers chahuteur en 1855. 1855 réunit de premières audaces publiées par L'écoute de Lisle, Baudelaire et Blanchecotte. Go7vard à raté cette date. Par ailleurs, en 1855, un poème des Fleurs du Mal offre à la rime la forme "au milieu", ce qui prouve assez qu'il faut étudier la rime et la césure pour les enjambements, ce que Gouvard et Cornulier tendent à ignorer superbement.
En 1857, c'est l'édition censurée des Fleurs du Mal ou les audaces augmentent mais aussi les Odes funambulesques.
A étudier les hypothèses de datation des compositions des poêles, Gouvard à négligé les dates de publication. 1861, Blanchecotte et nouvelle édition des Fleurs du Mal. Il y avait une compétition en fonction des publications.
Cerise sur le gâteau, Rimbaud lisait les premiers recueils de L'écoute de L8sle, puisque me premier vers de son Invocation à Venus est repris au premier du poème Hélène.
D'autres précisions bientôt.

samedi 21 décembre 2024

Erreurs de Gouvard dans Critique du vers

Edité le 22 décembre à 20 heures, voir la toute fin d'article...
 
Dans Critique du vers, Jean-Michel Gouvard sépare l'existence des alexandrins des drames romantiques de Victor Hugo des alexandrins de la poésie lyrique. Il néglige la comparaison des configurations à la rime qui sont comparables à ce qui se déroule à la césure. Il attribue ainsi des innovations à Baudelaire qui ne furent pas de son fait. Gouvard ignore l'importance des rejets d'épithètes, ce qui est étrange quand on sait le succès de scandale de l'entrevers de "l'escalier / Dérobé" au début de la pièce Hernani. Il ignore enfin la question des poètes qui ont évolué soudainement dans leur manière de versifier au cours de la décennie 1850 : Banville et Leconte de Lisle, et même Baudelaire n'est pas traité rigoureusement à ce sujet. Il manque aussi une étude comparative d'importance avec les césures des vers de dix syllabes, étude qui aurait remis en cause le discours sur le recours au trimètre ou au semi-ternaire pour adoucir la transgression de la césure entre deux hémistiches de six syllabes.
Comme certains vers de Victor Hugo et d'Alfred de Musset sont cités dans Critique du vers, ainsi que les vers de Leconte de Lisle, je prends donc la peine de prouver que les erreurs sont réelles.
Des pages 134 à 137, Gouvard fournit le "Corpus général" des recueils de vers qui ont servi à son étude. Il manque l'intégralité des poésies de Marceline Desbordes-Valmore et il en manque du coup un enjambement de mot précoce à la césure au sein d'un vers de dix syllabes. Il manque les recueils de romantiques mineurs Philothée O'Neddy et Pétrus Borel, avec une perte sèche de "que" à la césure, d'enjambement sur trait d'union : "royauté-charogne" et d'enjambement au milieu d'un verbe, après un prefixe en "e" : "redise".
Pour Leconte de Lisle, Gouvard recense le recueil de 1852 des Poèmes antiques, mais il travaille sur une édition de 1891. Il fait l'impasse sur le recueil de 1855 Poèmes et Poésies, sur le recueil de 1858 avec quelques poésies nouvelles, sur le recueil Poésies barbares de 1862. Gouvard va privilégier l'édition définitive en une sorte de trilogie Poèmes antiques, Poèmes barbares et Poèmes traghiques, alors que les vers sont remaniés et les ensembles complètement refondus. Il ne faut pas croire que le recueil Poèmes barbares correspond au recueil Poésies barbares remanié et enrichi.
Ce problème de méthode concerne aussi les recueils de Banville, mais c'est plus gênant dans le cas de Leconte de Lisle, vu que les recueils ont été complètement refondus.
Gouvard a beau citer Leconte de Lisle comme témoin dans son ouvrage, il le fait selon une voie biaisée et ignorant ce qu'étaient exactement les deux premiers recueils publiés par Leconte de Lisle il n'y a aucune conscience de l'évolution de Leconte de Lisle de 1852 à 1855 dans un premier temps, tandis que la maîtrise de son évolution est toute relative.
Gouvard n'a pas lu les recueils dans leurs formes originales d'époque. Ceci fragilise l'ensemble de ses analyses.
Je précise d'ores et déjà que l'étude sera à reprendre en incluant La Divine Comédie de Dante dans sa traduction en vers par Louis Ratisbonne. Il faudra ajouter des vers de théâtre, des parodies d'époque des vers de Victor Hugo, etc.
Passons maintenant au problème des antériorités de Victor Hugo et d'Alfred de Musset sur Charles Baudelaire.
A partir de la page 140, Gouvard cite les premiers vers de la poésie lyrique du dix-neuvième siècle où il découvre une césure après un proclitique d'une syllabe, préposition, pronom, déterminant.
Il cite un vers de "Mardoche" comme étant la première attestation : 

Mais une fois qu'on les commence, on ne peut plus / [...]
Il le rencontre dans les Contes d'Espagne et d'Italie. En bon historien, Gouvard aurait dû considérer que Musset fait écho à la pratique de tels vers par Hugo dans Cromwell. C'est essentiel, c'est un écho aux audaces du moment. Gouvard transforme Musset en initiateur et génie solitaire qu'il n'est pas. Le vers est une étrangeté en passant dans l'optique de Gouvard. Musset n'a pas donné suite. Mais il suffit de voir que c'est un écho à l'actualité du Cromwell de Victor Hugo. Et il suffit de comprendre qu'à ce moment-là personne ne devine que Victor Hugo va éviter de recourir à ces audaces dans ses recueils de poésies lyriques. C'est Hugo seul qui a pratiqué la séparation entre vers de théâtre et vers de poésie lyrique, ce qui ne change rien pour autant au fait que Musset, Baudelaire et compagnie ne font qu'imiter Hugo.
Gouvard cite ensuite un vers isolé de Barbier et un vers d'un poète sans intérêt Savinien Lapointe. Je passe sur le vers correctement identifié comme antidaté par Gouvard dans les poésies de Vacquerie.
Musset et Barbier ont eu un moment de fantaisie, passons à autre chose. L'analyse de Gouvard nous laisse clairement sur notre faim.
A propos de Victor Hugo, voici le discours explicatif lunaire que fournit Gouvard. il dénonce le côté antidaté du poème "Le Mariage de Roland" daté de 1846 alors qu'il n'a été publié qu'en 1859 dans la première série de La Légende des siècles. Gouvard dit qu'ensuite Hugo va pratiquer régulièrement mais épisodiquement le procédé, mais il manque des dates précises : sept ans après 1846 ? dans quels recueils, dans Les Châtiments ? Quels vers en ce cas ? Sur des manuscrits aux dates fiables ?
En tout cas, faire un procès à l'inventeur du procédé qui l'antériorité dans son drame Cromwell il fallait oser. Gouvard, Cornulier et Murphy ne doutent de rien.
A la page 146, Gouvard attribue donc un rôle d'initiateur à Charles Baudelaire avec un vers daté de 1851, il s'agit d'un vers du poème "Voyage à Cythère", source essentielle au sonnet "Oraison du soir" de Rimbaud dont le premier vers est un jeu précisément sur la césure du vers que nous citons maintenant :
Chacun, plantant comme un outil, son bec impur
et "Accroupissements" s'inspire lui aussi de cette césure et du poème "Un voyage à Cythère".
Gouvard part ensuite sur une analyse de l'évolution du placement du mot "comme" dans les vers de Baudelaire. Auparavant, il le plaçait après la césure selon le principe de convergence classique entre le vers et la syntaxe, mais des premiers "comme" devant la césure apparaissent, ce "comme" qui est évidemment présent dans le duo "comme un".
Gouvard se moque du monde. Il y a une quantité importante de "comme" à la césure dans les vers de Victor Hugo, un au moins en 1853 dans ses Châtiments, mais une dizaine auparavant dans ses drames : Cromwell, Marion de Lorme, Ruy Blas, Les Burgraves et peut-être aussi dans Hernani et Le Roi s'amuse. Et on reconnaît le procédé appliqué à la rime du vers 2 des Tragiques d'Agrippa d'Aubigné. Gouvard, Cornulier et Murphy ne doutent de rien. Qui plus, pourquoi ne pas continuer sur la forme "comme un", pourquoi passer à l'analyse du mot "comme" ? Gouvard fait comme s'il y avait un glissement naturel de "comme un" à "comme", alors que la césure sur "comme un" est plus discordante que la césure sur le mot "comme". Gouvard nous plie à une thèse que d'abord il y a deux mots grammaticaux devant la césure, mais c'est une pétition de principe, et les "comme" à la césure de Victor Hugo antérieurs au "comme un" de Baudelaire fragilise bien cette pétition de principe. Mais, la césure sur le déterminant "un" est initié par Hugo dans Marion de Lorme : "C'est un refus ?" procédé imité par Baudelaire dans un sonnet "c'est un secret..." Et surtout, puisque les rejets sont comparables à l'entrevers, il convient de se reporter à une rime d'Alfred de Musset dans Les Marrons du feu : "Comme une / Aile de papillon". Baudelaire ne fait que reprendre la forme déployée par Musset, mais Gouvard va développer toute une théorie sur la pratique discordante à l'essai chez Baudelaire. Je cite Gouvard commentant ce vers à la page 146 :

Cette occurrence est intéressante, car elle laisse entrevoir selon quel processus de discordance syntaxique accrue le marquage CP6 va progressivement se mettre en place. [...]
Gouvard veut nous convaincre que Baudelaire a pensé cela tout seul, sans influence, et il veut nous faire croire que quand on passe à ce genre de versification le poète ressent le besoin de s'acclimater : il pratique d'abord la césure acrobatique après deux mots grammaticaux avant d'oser la pratiquer sur un seul mot d'une syllabe.
Murat a considéré comme acquis cette transition des deux mots grammaticaux dans son livre L'Art de Rimbaud. Cela est moins évident pour Cornulier, mais il était tout de même directeur de la thèse de Gouvard, donc l'affirmation il l'a laissée passer. Murphy n'a de cesse d'attribuer les césures sur "comme un" et "comme" à Baudelaire.
Moi, je pense cruellement que Baudelaire n'a pas les capacités de Victor Hugo pour versifier souplement, peut-être pas même celles d'un Musset. Et Baudelaire imite Hugo et Musset, et il a la chance de faire école et de profiter de la distraction de ceux qui n'ont pas vu ces audaces chez Hugo et Musset.
Ceci dit, Banville, Leconte de Lisle, Blanchecotte et quelques autres pratiquent ces audaces au même moment dans la décennie 1850. Gouvard déclare que Maxime Du Camp a pratiqué la césure sur un seul mot grammatical d'une syllabe avant Baudelaire, le dédicataire du poème "Le Voyage". En clair, il faudrait une étude historienne sur la fenêtre de la décennie 1850, même si le rôle influent joué par Baudelaire est indéniable.
L'historique de l'évolution du vers que fournit Gouvard ne se confond pas avec le nôtre, puisque Gouvard ignore le problème des épithètes, le rôle joué par Vigny, même s'il cite l'oeuvre pionnière de Chénbier, le rôle phare de Victor Hugo ensuite. Non, Gouvard oublie les vers les plus déviants des drames hugoliens, il les écarte indûment du raisonnement critique. Et Gouvard psychologise la création de césures reprises telles quelles à d'autres auteurs.
Gouvard ignore dans son relevé des vers qui ne cadrent pas avec la thèse d'une acclimatation des audaces moyennant la compensation ternaire ou semi-ternaire : "Adrien, que je redise encore une fois" de Borel, enjambement de mot d'un décasyllabe en 1830 de Marceline Desbordes-Valmore, réduction immédiate à un seul mot grammatical à la césure pour une partie des premiers CP6 de Victor Hugo où il ne saurait être question de parler d'acclimatation progressive.
Revenant sur les vers lyriques de Victor Hugo, Gouvard spécule sur le fait que Victor Hugo n'a pas connu le vers de Baudelaire avec césure sur "comme un" à la césure publié dans la Revue des deux mondes en 1855. Notez en passant que la datation 1851 pose du coup un petit problème.
Victor Hugo pouvait la connaître d'abord, et de toute façon il connaissait le "comme un" à la rime des Marrons du feu et il connaissait ses propres vers "comme" à la césure", "c'est un" à la césure, etc.
Dans Théorie du vers, Cornulier citait au moins un des deux vers de Cromwell de Victor Hugo avec un effet CP6, en l'occurrence préposition d'une syllabe devant la césure. Gouvard semble superbement ignorer ce fait qu'il a pourtant dû lire quantité de fois dans l'ouvrage clef qui l'a décidé à suivre une thèse sous la direction de Cornulier...
Voici ce qu'affirme Gouvard sans broncher :
[...] le poète n'a pas franchi le pas qui consisterait à écrire "*Et grandissait comme il grandissait sous l'affront". Ce constat conforte la proposition selon laquelle la discordance mètre / phrase était une procédure de composition nouvelle qui était dans l'air du temps, sans être l'apanage exclusif d'une signature.
Gouvard est en train de critiquer Hugo de ne pas avoir osé essayer ce qu'il a pourtant été le premier à pratiquer ! Et cerise sur le gâteau, Gouvard dit que le procédé n'a pas à être "l'apanage exclusif d'une signature". Hugo est dépossédé  de son "apanage exclusif" et il est même mis en-dessous du petit groupe de ceux qui lui ont pris le procédé.
C'est du papier Gouvard !
Qu'on ne me dise pas que Gouvard a cité tels vers d'Hugo, Musset, a fait telle étude statistique sur Leconte de Lisle pour amener une fin de non-recevoir à mes critiques. Ci-dessus, vous avez une mise en forme imparable et succincte.

**

Avant Hugo, il existait des enjambements de mots à la césure ayant connu l'impression, le "dispotaire féminin" de Dorimon. Il existait des suspensions de la parole sur le mot "que" ("La Carpe et les carpillons" de Florian, fable de fin du XXVIIIe siècle), sur la conjonction "si" (Molière, Corneille), sur une préposition ou un déterminant (Racine dans Athalie ou Les Plaideurs). Il avait existé des césures lyriques ("e" féminin devant la césure) jusqu'au début du XVIe siècle, avec Villon parmi les exemples, il avait aussi existé des césures à l'italienne "e" de fin de mot comptant pour le second hémistiche, mais les critères CP6 dont parle Gouvard sont jusqu'à plus ample informé l'invention du seul Victor Hugo dans son drame Cromwell paru en 1828.

Nous pourrons, puisqu'il nous appelle et nous invite, (Acte V, Cromwell)

(P) Je t'approuve. (B) Il faut, pour ne rien faire à demi, (Acte II)
(P : Plinlimmon, B : Barebone)

Le deuxième vers cité est le premier à apparaître dans ce drame. Hugo n'a bien sûr pas médité la modération que procurerait la suite de deux mots grammaticaux devant la césure... Ce vers ne peut être classé ni en tant que trimètre, ni en tant que semi-ternaire.
Le premier vers cité serait 84 selon la théorie du semi-ternaire. Je n'y adhère bien sûr pas. Les semi-ternaires ne sont d'ailleurs peut-être que le reflet involontaire de rejets et contre-rejets volontiers dissyllabiques.
Gouvard reproche à Hugo de ne pas avoir imité Baudelaire, Leconte de Lisle et Banville en inventant ces deux vers-là. Gouvard soutient que l'invention des CP6 n'est l'apanage exclusif d'aucun poète. Ici, au seul nom de Victor Hugo, vous avez le premier P6 et le premier C6 de l'histoire de l'alexandrin français.
La thèse d'une évolution progressive est également battue en brèche par ces deux exemples.
Je précise que peu de temps avant la césure sur "nous" prononcée par Cromwell, Hugo glisser plusieurs trimètres à triple répétition : "Malheur à vous ! Malheur à moi ! Malheur à tous !" ou "Il faut qu'il marche ! Il faut qu'il roule ! Il faut qu'il aille !" Cela est contre-balancé par un grand nom de mots d'une syllabe isolés à la césure ou à la rime, par un grand nombre de monosyllabes ("frère", "non", etc.) détachés devant la césure ou bien à l'inverse ("vite") détachés après la césure : "Les premiers. / Mettons-nous vite aux places d'honneur."
Ajoutons aussi que Victor Hugo pense avec habileté les effets mélodiques :
Comme elle y va ! / C'est un refus ? / Mais je suis vôtre.
La césure entre "un" et "refus" permet clairement d'installer un jeu scénique féminin, puisque c'est Marion qui parle. On sent comment elle met le poids sur le mot "refus" et on en sent l'effet immédiat sur l'homme : "Mais je suis vôtre". Le suspens sur "pour" est très léger, presque non justifié dans le développement grammatical, mais il permet de saisir la note un peu précieuse, un peu pédante du discours tenu, on sent la touche de vanité dans ce "pour, ne rien faire à demi" où "pour" est mis en léger suspens.
Le "nous" est évidemment chargé de fatuité et de symbolique dans l'alexandrin prononcé par Cromwell.
On compare avec Baudelaire ?
Vivre est un mal. C'est un secret de tous connu[.]
Dans "Semper eadem", Baudelaire imite directement le "c'est un refus ?" de Marion de Lorme, mais le suspens sur le déterminant et le soulignement du nom "secret" n'ont pas la mélodie naturelle au vers hugolien.
Et dans "C'est un", Gouvard identifie-t-il "C'est" comme un mot grammatical en cinquième syllabe ? Parce que cette histoire d'une suite de deux mots grammaticaux aux cinquième et sixième syllabes, ça manque de la plus élémentaire rigueur d'analyse par-dessus le marché.

mercredi 18 décembre 2024

Le fonds de la revue d'études rimbaldiennes Parade sauvage de nouveau disponible, revue critique

Je commence par un petit rappel à la liberté à mes lecteurs (rappel à l'ordre, c'est versaillais). Je vois que sur mes quatre derniers articles, c'est l'avant-dernier "Et pendant ce temps-là sur le site d'Alain Bardel" qui passe en tête. Cet article a certes son importance, il met clairement les points sur les "i" sur une manipulation qui va au-delà du site que je pointe du doigt, puisque derrière il y a des gens que ça arrange bien et qui laissent faire, qui flattent ce genre de dérives. Le présent article va montrer que nous ne fonctionnons pas sur le principe de "passer sous silence la parole adverse", adversité qui n'est pas que de propos interprétatifs bien sûr. Mais je ne cherche pas un public qui raffole des commérages. Dans le même temps, je publie un article récapitulatif très solide sur la question de la césure dans les vers de 1872. On peut le trouver narcissique, mais dans cet article vous avez des arguments qui fixent les preuves de la lecture forcée de la césure dans les poèmes "nouvelle manière" de dix, onze et douze syllabes. Et aussi je suis un peu inquiet de voir passer à la trappe ce que je dis sur "L'Angelot maudit". J'ai précisé il y a quelques mois que le poème avait aussi une source dans la poésie satirique du XVIIIe siècle, je vais devoir le rappeler parce que ça va se perdre et être peu retrouvable par recherches à partir de mots clefs, mais je viens de souligner la présence de la rime "vaque"/"cloaque" dans une traduction en vers de La Divine Comédie qui date de 1842, par un certain Auroux, ce qui montre que Ratisbonne est assez fanfaron quand il parle de l'exclusivité de sa tentative, mais cette traduction de 1842 est bilingue, elle offre le texte italien en vis-à-vis, elle contient la rime "vaque"/"cloaque" que Rimbaud a reprise du coup à cet ouvrage. C'était l'élément intermédiaire qui manquait à l'article de Cornulier reliant "L'Angelot maudit" à un passage en italien du Chant XXVII du "Paradis". Et personne ne mentionnait jusqu'à présent l'article de Cornulier comme important, ni ne relevait la lacune évidente de sa démonstration. Personne ne s'était mis en quête d'un résultat. Je rappelle que l'article de Cornulier fait suite à une longue étude de Murphy sur le poème "L'Angelot maudit" qui s'éparpille dans plein de directions sans jamais dominer son sujet. J'identifie d'ailleurs une réécriture "accourir" du poème "Le Gourmand" de Ratisbonne dans "L'Angelot maudit". Il faut bien comprendre toute l'importance de ce qui se joue avec cette révélation de la traduction d'Auroux. Que lisait Rimbaud à son époque pour devenir poète ? La littérature étrangère occupait-elle une place ? Quelle est la part d'influence des œuvres en vers qui ne viennent pas des poètes devenus des classiques de la Littérature ? Quel est l'intérêt pour vous de vous repaître de la facticité d'un article sur le site Fabula avec des titres ronflants "Pour une herméneutique..." pour des phrases du type : "il paraît que les rimbaldiens pensent qu'il faut interpréter comme ci" et une bibliographie indigente qui demande trois heures de lecture tout au plus, avec un rappel de livres lus dans l'adolescence comme le Foliothèque de Dominique Combes, si à côté vous ne lisez pas les articles importants ?
Bardel ne cite pas les articles auxquels pourtant il réagit, auxquels il fait une guerre tacite, ceux de moi ou de Bienvenu, alors qu'il nous a cités par le passé et que son article vient un mois après mes articles du 14 et du 20 novembre. Bardel est certes un rimbaldien sans réelle importance du point de vue de son apport personnel, mais il est un peu un réseau influent sur lequel le monde la revue Parade sauvage s'appuie pour conserver son aura, pour soit la propager, soit la protéger, préserver. Très clairement, la revue Parade sauvage est passée du rimbaldisme libertaire à l'antirimbaldisme macronien. Il y a eu une transformation en Thiers-état.
Ceci dit, il y a eu récemment une remise à disposition du fonds de la revue Parade sauvage. Les éditions Classiques Garnier n'éditaient la revue qu'à partir du numéro 22. Les 21 premiers numéros étaient devenus inaccessibles.
Je m'empresse toutefois d'exprimer le souhait qu'il en aille de même pour les bulletins et les colloques. Publier les bulletins tels quels n'est pas toujours souhaitable. Il y avait un annuaire des rimbaldiens dans un numéro, mais on pourrait réunir la matière sur un seul volume. Ce qui m'intéresse encore plus, c'est la réédition des colloques. Je les ai pour la plupart, mais le cinquième est en mauvais état. Les colloques sont plus intéressants que les numéros de la revue, puisqu'ils sont les compte-rendus de conférences orales où le critique veut tout de même donner ce qu'il y a de meilleur en principe.
Passons maintenant en revue les numéros 1 à 21 qui sont de nouveau disponibles.
Le premier numéro date d'octobre 1984 (cent-trente ans de la naissance de Rimbaud). Les articles sont très courts. Il s'agit aussi d'un commencement qui porte le reflet d'une certaine transition. En effet, parmi les participants, vous relevez des noms du passés qui ne vont pas persévérer ensuite dans leur collaboration (décès ou autres voies) : René Etiemble, Cecil Arthur Hackett, Alain Borer, et j'y ajoute Corsetti, Caradec, Roger Little. Fongaro, Ascione et Chambon vont être un temps des collaborateurs fidèles de la revue, même si Chambon va se retirer et un peu après lui Ascione s'effacera aussi. Mais cela donne le ton d'articles plus sulfureux qui faisaient la marque de cette revue. On peut relever une contribution occasionnelle de Danielle Bandelier qui annonce l'ouvrage Se dire et se taire qu'elle a consacré à l'analyse formelle d'Une saison en enfer.
Le principe est déjà adopté de publier les articles dans l'ordre chronologique des publications et des événements de la vie de Rimbaud, avec de derniers articles sur sa postérité littéraire. Le premier numéro a vraiment l'apparence d'une suite décousue de petites notules. Si vous l'acquérez, c'est que vous voulez faire la collection complète de la revue, ou bien que vous êtes passionné au point de tout lire, ou bien parce qu'il y a un article précis qui vous attire.
Je vous recommande la partie finale "Singularités" : le titre est une citation de "Vénus anadyomène" censée s'intéresser aux petits détails à voir à la loupe. Le prix est un peu élevé puisqu'il s'agit d'interventions très courtes d'une demi-page, de quelques lignes, etc. Toutefois, les interventions d'Ascione sont intéressantes ici, et aussi paradoxalement celles de Claude Zissmann. Ce dernier n'a aucune valeur en tant que critique rimbaldien. C'est un personnage qui délire au sens premier du terme. Il brode des interprétations, il invente la vie des poètes, et ça n'a aucune espèce d'intérêt, sauf qu'ici il cite une source éventuelle chez des Essarts pour le dernier tercet de "Voyelles" et surtout il fournissait des sources au poème "Ophélie" et soulignait la référence à l'image du romantique exilé Victor Hugo.

Le deuxième numéro est, en revanche, l'un des plus importants de toute l'histoire de la revue. Les articles demeurent assez courts. Steve Murphy qui était resté en arrière quant au premier numéro y publie un article et une "singularité". Ce numéro fourmille d'articles importants. Il contient l'article célèbre d'Yves Reboul "L'Homme juste" qui identifie celui-ci à Victor Hugo. Après, on en a fait des caisses sur cette révélation, alors que ça n'a pas lieu d'être. Personne ne publiait sur ce poème et il était évident que l'Homme juste n'était pas Jésus à la lecture de ce texte. L'article est méritoire, mais on en parle comme si personne n'avait pu voir le coup venir. Je trouve ça assez farfelu. Ceci dit, l'article se trouvait dans cette revue en 1985. Il est repris dans le livre de Reboul Rimbaud dans son temps. Il y a deux articles sur "Paris se repeuple", celui de Murphy avec son titre ludique, mais aussi celui de George Hugo Tucker qui, dans mon souvenir, était meilleur et plus en phase avec ce que je considère la signification réelle du poème. Et l'article de Tucker, vous ne le trouverez pas ailleurs cette fois.Vous avez un article d'Ascione sur le poème "Le Forgeron" avec des petites remarques de détail, dignes des "singularités". L'article de Chambon est également important et impossible à trouver ailleurs. L'article de Fongaro fait partie lui aussi des pièces importantes, mais il l'a repris dans ses publications personnelles ultérieures. Il y a article sur L'Homme qui rit qui rappelle que Rimbaud l'évoque dans sa lettre du 15 mai 1871 avec le mot "comprachicos".
Bref, ce numéro 2, c'est le numéro à acheter en priorité si vous voulez vous faire une idée sous son meilleur jour des débuts de la revue. S'il y a un numéro à acheter sur les dix premiers tomes, quatorze premiers tomes même, c'est sans doute celui-là.

D'avril 1986, le numéro 3 redevient plutôt faible, malgré les noms de ses contributeurs. On repart dans une disparate de notules d'un intérêt parfois bien relatif. Ou c'est intéressant, mais c'est tellement de l'ordre du détail qu'on se demande s'il est bon d'y investir son argent. En clair, même s'il n'y a pas de réduction de prix à acheter en lot des numéros de la revue, il est plus satisfaisant d'acheter tous les numéros et d'apprécier la multitude des détails, plutôt que de s'en tenir à l'achat d'un numéro et s'en tenir maigrement aux détails et suggestions du seul tome en question. Ou on achète tous les numéros ou on achète rien. Le volume 2 échappe à la règle, mais les débuts de la revue Parade sauvage, c'était bien une sorte de bric-à-brac. On peut relever la première intervention de Benoît de Cornulier, elle ne semble pas métrique, mais lexicale avec la question des "becs de canne", mais l'expression lexicalisée chevauche la césure et cache justement le mot "bec-de-cane" bizarrement orthographié par Rimbaud. Il me faudrait revenir sur ce sujet, parce qu'en effet Rimbaud a écrit "becs de canne" et non "becs-de-cane" qui a un sens plus évident vu qu'il est question de portes forcées. Moi, mon idée, c'est de lancer avec les techniques actuelles d'internet une recherche de "becs de canne" puisque l'idée c'est que Rimbaud a repris un mot qu'il a vu orthographié de la sorte à l'époque, non ?
C'est important. Le livre Théorie du vers date de 1982 et dès 1986 la revue Parade sauvage l'incluait dans ses ranges avec l'influence à venir que l'on sait sur les études de poèmes par Steve Murphy, puis d'autres. Les études n'étaient pas encore métriques. Jean-Jacques Lefrère, qui a contribué à ce troisième numéro, lisait des articles courts de Caradec, d'Etiemble, et ici un article liminaire de Michel Butor, romancier en vue. On relève une nouvelle intervention d'André Guyaux, trois pages seulement, mais on constate que la séparation de certaines chapelles n'avait pas encore vu le jour. Fongaro était alors le principal contributeur problématique de la revue, puisqu'il fustigeait les autres rimbaldiens par articles interposés. Fongaro était un génial dénicheur de détails et avait une bonne vue d'ensemble des poèmes grâce à son refus d'une lecture mystique des poèmes, mais il n'avait pas toujours raison et il avait en particulier des lectures réductrices à la Etiemble pour les vers "nouvelle manière".
Il y a aussi une des rares contributions de jean-François Laurent. Je ne recommande pas spécialement à l'attention ses articles, sauf un, mais contenu dans un numéro des colloques, puisque Jean-François Laurent a produit une étude remarquable sur "Le Dormeur du Val" en identifiant une métaphore de résurrection christique. Il s'agit de l'un des articles les plus importants des années 1980 sur Rimbaud, comme l'article de Reboul sur "L'Homme juste" par exemple. La différence, c'est que Reboul, Murphy et d'autres vont fournir pas mal d'articles importants par la suite, alors que Laurent est un peu l'homme d'un seul article. Voici déjà une raison de souhaiter la remise à disposition des cinq colloques eux-mêmes de la revue.
Je remarque que le prix pour acheter au format PDF les "Singularités" monte vie : de 4 euros pour le premier numéro à 6 euros pour le numéro 3. C'est excessif, je trouve. On n'a pas affaire à des articles. Pourquoi un tel prix ?

Le numéro 4 de la revue affiche son sujet Les Illuminations. Cette écriture du titre était contestée par Fongaro, et Murphy a répondu à Fongaro par un article, mais en 1986 le titre sur l'édition original de ce numéro de la revue n'était-il pas Illuminations ? Je pense que réellement le titre exact doit être Les Illuminations, malgré la tradition suivie. Mais ce n'est pas si clair que ça non plus. Je ne peux pas considérer le débat comme tranché puisque de 1986 à 1995 Verlaine n'a pas réfuté la version sans article, que je sache ! Ce problème n'est pas du tout évident, d'autant qu'il est lié à l'absence d'article des titres de la plupart des poèmes en prose. Je penche tout de même pour une transcription Les Illuminations, parce que, dans la prose, effectivement l'article n'est pas un objet de débat au dix-neuvième siècle. Il n'y a pas ce normatif du vingtième siècle à séparer à tue-tête "Illuminations" et "Les Illuminations". L'article est un épiphénomène au dix-neuvième. Il n'est pas intégré à une réflexion philologique réelle sur les titres des ouvrages. C'est ce que je pense.
Les articles sont toujours aussi courts, parfois très courts. Après Michel Butor, l'article liminaire est confié à un poète en vue à l'époque Michel Deguy, ventes dérisoires comparées à celles de La Modification, mais j'ai possédé en Poésie Gallimard mon volume de Fragments du cadastre. Je n'ai jamais acheté un recueil de poésies plus récent que celui-là je pense. Oui, je n'achète jamais depuis près de trente ans un quelconque recueil de poésies contemporain...
L'article de Cecil Arthur Hackett rappelle que les contributions célèbrent le centenaire de la publication initiale du recueil.
Nous relevons une première contribution de Sergio Sacchi. Il mourra assez précocement à la fin des années 1990, ou au milieu des années 1990, et ses amis rimbaldiens assureront la publication d'un volume collectif des études qu'il a consacrées au recueil des Illuminations. C'était un critique italien qui privilégiait tout particulièrement les poèmes en prose de Rimbaud. Après, il a plus publié des articles suggestifs que de vraies mises au point. Si on veut se créer une bibliothèque d'ouvrages méditant le sens des poèmes en prose de Rimbaud, on achètera son volume, comme on achètera Fabrique d'Illuminations d'Antoine Raybaud ou Pour une poétique de la violence de Pierre Brunel, mais il s'agit d'ouvrages où les réflexions sont en roue libre et où il y a à boire et à manger.
Michel Murat publiait alors une étude sur "Mouvement", à cause surtout de sa forme en vers libres. On voit à quel point le sens des poèmes était perçu comme énigmatique à cette époque.
Steve Murphy publie pour sa part une de ses rares études sur un poème des Illuminations, mais il s'agissait de la pièce fort explicitement politique "Démocratie". "Démocratie", je rappelle que son contenu ironise par anticipation sur le discours du parti démocrate américain, sur l'évolution de la France (Sarkozy-Hollande-Macron) et... sur les pratiques actuelles des rimbaldiens qui refoulent bien peu rimbaldiennement les discours qui ne les brossent pas dans le sens du poil. je préférais la revue quand Fongaro y était publié. C'était plus vivant, il se passait quelque chose ! Il fait une intervention sur "Nocturne vulgaire" où il met en avant Michelet par-dessus Vigny...
Ascione était encore pas mal impliqué, ici il publie une étude sur "Dévotion" où il cite en titre un vers célèbre du Tartuffe.
Dans le numéro 5, Etiemble, toujours présent, prend la place tenue par Butor puis Deguy auparavant en fournissant l'article liminaire. Nous sommes déjà en juillet 1988, le rythme de la publication a accusé un petit retard. Olivier Bivort fournit sa première contribution ensuite. Les articles de Bivort ont cette tendance à prendre un sujet et à le traiter. On n'a pas avec lui des études d'un seul poème. Il a un sujet et il le traite. Et ça peut être un sujet thématique ou un sujet linguistique, ça dépend. Tous ses articles n'ont pas le même intérêt constant, et on n'est pas toujours d'accord, mais ça fait partie des rimbaldiens à lire, et dans son cas il n'y a pas de volumes réunissant tout ce qu'il a fait, et bien sûr tout n'est pas dans Parade sauvage. Il faut partir à la chasse aux papillons pour retrouver tous ses articles, il y en a qui me sont restés inaccessibles.
A noter que dans son article de 2024 du volume collectif sur Rimbaud et le romantisme, que je viens de relire, il précise qu'Antony Deschamps a été le premier romantique à parler des trains dans un poème ! Quand je vous dis qu'Antony Deschamps est peut-être plus important à lire que son frère Emile...
Vous remarquez que dans ce numéro certains contributeurs appellent leurs articles des "Notes", cela apparaît dans les titres d'Olivier Bivort, P. S. Hambly et de Pierre Délot. C'est ce que je vous disais, les articles sont vraiment un ensemble de notules disparates. Vous avez une nouvelle intervention d'Albert Henry, contributeur que je n'ai pas cité plus tôt, parce que je ne me suis jamais intéressé à ce qu'il écrivait, même si par acquit de conscience j'aurais voulu lire le livre qu'il a plus tard consacré à Rimbaud.
Je ne sais pas si Margaret Jones-Davies et la Margaret Davies qui publiait sur Une saison en enfer, une étude de référence que je suis le seul à avoir dépassé. Je suppose que oui, mais à part son étude sur Une saison en enfer je n'ai pas été marqué par ce qu'elle écrivait. Sur Une saison en enfer, c'est moins que son étude soit méritoire qu'il y a eu pour je ne sais quelles raisons une accumulation d'études soit un peu vaines, un peu vaporeuses (Bandelier,  Nakaji, Brunel, Frémy, et sans doute Coelho), soit un peu trop portées sur la forme (Bandelier, Murat), soit aux interprétations complètement problématiques (Brunel, Molino en un article, Bardel, Vaillant), à quoi ajouter des articles à thèse forcée (Richter) ou des articles intéressants et philosophiques, mais pas assez dans la chair littéraire (Hiroo Yuasa).
Benoît de Cornulier contribue à nouveau et toujours pas sur le terrain métrique. Mais le numéro vaut surtout pour les premières publications de Bruno Claisse, deux en un seul volume : deux pages sur "Métropolitain" et une étude mettant en résonance "Les Soeurs de charité" et "Dévotion". Il n'y aurait pas eu le numéro 2 de la revue, on pourrait dire qu'enfin les choses sérieuses commencent.

Le numéro 6 est un "Hommage à Pierre Petitfils", rimbaldien d'un autre temps aux apports du coup assez maigres, il a même eu une conséquence fâcheuse puisque c'est à cause de lui que tout le monde croit que Rimbaud a lu "Le Bateau ivre" lors d'un dîner des "Vilains Bonshommes". C'est une conviction qu'il a lancée comme ça, et qui passe aujourd'hui pour une vérité en l'absence de tout témoignage.
Je passe sur les pages nécrologiques, je serais directeur de revue, je les rendrais à la portion congrue.
Le principe de publication annuel reprend puisque nous sommes en juin 1989 et la taille du volume augmente, mais c'est paradoxalement le moins intéressant des numéros de la revue depuis sa création je dirais. Il y a beaucoup de sujets biographiques et les études datent, elles sont souvent dépassées, souvent démenties par des études plus récentes. Il y a un article de Chambon sur Izambard et Richepin tout de même. Michael Pakenham se fait un peu abuser par le cas de Jules Mary. On peut acheter ce numéro pour les éléments biographiques et assimilés tout de même. Pour l'analyse des poèmes, c'est un volume quasi inutile. Je ne me rappelle plus rien sur l'article de Watson à propos du "Traité du docteur Venetti". L'article est peut-être un peu intéressant au plan zutique.
Le volume numéro 7 a attendu l'année du centenaire de la mort de Rimbaud pour paraître (janvier 1991).
Il s'agit à nouveau d'un numéro d'un intérêt très faible. Il doit souffrir de la concurrence des autres publications autour du centenaire. Il contient une étude linguistique indigeste rare pour une telle revue : "Structuralisme et motivation du signe poétique" par Kingma-Eijgendaal. On dirait un nom scandinave, il y a aussi deux contributions néerlandaises de Ruud Verwaal. En tout cas, ça fait des contributions sans lendemain dans les études rimbaldiennes. Malgré le peu d'intérêt du numéro, on a l'exception d'une étude du sonnet "Le Buffet", poème jamais étudié à ma connaissance. Il y a surtout la contribution de Bernard Meyer qui va se spécialiser sur les vers "nouvelle manière" et produire des analyses d'une assez grande rigueur méthodologique où il se fera le nez de Fongaro à l'occasion. Malheureusement, les études de Meyer sont prudentes et en restent à un sens littéral peu profitable en soi. Malgré tout, c'est un livre indispensable à tout rimbaldien, puisque, par sa rigueur, c'est un vrai catalogue de mises en garde, de cadrage des efforts à fournir à la lecture.
Olivier Bivort opte pour un article linguistique : "les syntagmes nominaux démonstratifs" et leur relation à la référence.
Enfin, le pus éclate avec l'article de Jacques Plessen qui réplique à Fongaro, lequel a critiqué les somnolences des rimbaldiens qui lui étaient contemporains. Cela n'ira pas très loin, puisque ça n'a débouché sur aucun débat constructif.
Le numéro 8 paraît lui aussi l'année du centenaire en septembre 1991. Il joint deux parties, un hommage à Albert Henry (lequel n'est pas décédé à l'époque) et un "Rimbaud au Japon".
André Guyaux est toujours un contributeur de la revue Parade sauvage. On a perdu René Etiemble en route à ce moment-là, lequel n'a pas non plus reçu d'hommage. Ou alors c'était son article liminaire pour le numéro 6.
Ce numéro 8 offre enfin à nouveau des articles intéressants. Vous pouvez découvrir la manière particulière d'Hiroo Yuasa avec un article sur "Vierge folle". Nakaji fournit une étude d'un poème des Illuminations, il sort du cadre sa thèse sur Une saison en enfer. Même s'il travaille avec une thèse interprétative forcée, Mario Richter est un critique italien important à lire et je recommande son article sur "race" et "sang" dans Une saison en enfer. Avant 2009, il manquait tellement d'études rimbaldiennes sérieuses sur Une saison en enfer. Les articles d'Hiroo Yuasa et de Mario Richter sont à rassembler si possible et ça ne vaut pas moins que les livres qu'on n'arrête pas de hisser au rang de références incontournables : Nakaji, Brunel, Frémy, Bandelier, ou le collectif "Dix études sur Une saison en enfer".
Yves Reboul intervient sur la chronologie des "Déserts de l'amour", ce qui me rappelle que je n'ai toujours pas acheté le livre de Bataillé sur ces poèmes en prose. Mais il faut dire que la table des matières n'est tellement pas un encouragement à l'investissement.
On voit qu Murphy gardait ses études de poèmes pour ses livres. Il fournit à nouveau une étude de lettre ici, à nouveau une étude plutôt sur les documents avec un fac-similé aussi de "La Rivière de Cassis".
Olivier Bivort poursuit sur les sujets linguistiques avec le cas du tiret.
Je vous laisse consulter le sommaire pour le reste.
C'est un numéro qui en vaut la peine en gros. Mais nous sommes encore à l'ère des études disparates, souvent de détails qui ne sont pas les plus excitants pour commencer la recherche et on a toujours ce principe des articles courts.
 
Le numéro 9 date de février 1994. Il y a de nouveau une perte de vitesse, une fois passé le centenaire. Il y a une des rares contributions de Paul Martin, ici sur l'origine du poncif des "soeurs de charité". J'avais un autre article court de lui, mais je ne me rappelle plus à quel sujet. Il y a un article aussi sur le manuscrit autographe de "L'Homme juste". On y apprend qu'il peut être consulté par les universitaires et rimbaldiens depuis 1986. La première page de l'article est consultable sur le site des éditions Classiques Garnier. Je ris beaucoup en songeant aux difficultés de déchiffrement des rimbaldiens qui publient encore récemment l'article drolatique de Marc Dominciy. Enfin, ce serait drôle si la mauvaise foi n'avait pas des conséquences toxiques.
Il y a plusieurs articles intéressants de Murphy, Meyer et même d'Albert Henry. Il y a une section comptes rendus, je n'ai pas fait attention à son moment d'apparition dans les précédents numéros, mais il s'agit aussi d'une rubrique qui va prendre de l'ampleur avec des comptes rendus longs, qui opposent parfois des arguments ou qui glissent en passant une idée nouvelle, puis ça permet de repérer l'existence d'époque de certains ouvrages.
Au fil du temps, les comptes rendus vont devenir un centre de mise au point sur la parole d'évangile de Murphy et de la revue Parade sauvage, cela était favorisé au départ par le fait qu'ils avaient sur pas mal de sujets, mais à la longue...
L'article de Fongaro sur "Les Premières communions" s'inscrit dans une grande fresque épique de débats opposant Fongaro seul à Murphy, Ascione et Cornulier. Fongaro a fini par perdre. Il faut dire qu'il soutenait que, par défaut de mémoire, Verlaine avait confondu en un deux poèmes distincts de Rimbaud.
En fait, Fongaro était carrément illogique : il soutenait que Verlaine se souvenait de deux pièces vers par vers, mais pas qu'elles étaient distinctes. Il faut avouer que ça n'a pas de sens. Sa façon d'admettre sa défaite fut un peu lâche, il n'a pas avoué, il a juste abandonné le combat en ne parlant plus de ce poème, en gros.
Dire qu'il m'avait envoyé son livre et qu'à cause d'une faute d'adresse, "rue de l'espinasse" au lieu de "rue Espinasse" le livre ne m'est jamais arrivé. Je n'ai jamais eu d'échanges avec Fongaro. Je ne sais même pas ce qu'il m'avait écrit à l'envoi de son volume. Et en septembre 1994, il n'était déjà plus professeur d'université à l'université de Toulouse le Mirail. Je l'ai raté de peu avec une régularité consternante, ç'aurait été marrant que je m'empoigne avec lui.
 
Le numéro 10, paru en juillet 1994, confirme une volonté de ne pas perdre pied sur le rythme de publication annuelle, mais c'est aussi le temps de la riposte. Murphy qui a publié en 1990 et 1991 deux volumes d'études de poèmes publie une étude de poème dans la revue et c'est une riposte immédiate à l'article de Fongaro, ça polémique sévèrement. Les métriciens s'invitent : Bobillot et Gouvard apportent chacun une contribution, ils ont fait chacun une thèse sous la direction de Cornulier. Bobillot est également poète. Ses articles sont un peu confus. Henriette Chataginé qui a déjà contribué pour une "singularité" fournit une étude sur "Jeune ménage", qui va de pair avec celle de Benoît de Cornulier dans une autre revue si je ne m'abuse.
Ce n'est pas le numéro de revue le plus mémorable, malgré son début.
 
Le numéro 11 paraît lui en décembre 1994, je ne m'étais jamais rendu compte que trois numéros étaient sortis en cette seule année 1994. Nous sommes toujours dans les articles courts qui partent dans tous les sens. Les intervenants sont variés, mais avec aussi pour conséquence un lot d'articles assez faibles. André Guyaux est toujours un contributeur de la revue à ce moment-là : huit pages sur la "mécanique des vers". Agnès Rosenstiehl publie un article, je ne sais plus ce qu'il vaut. J'ai son livre aussi (petit fascicule je dirais), elle a fait quelques remarques de détail intéressantes, mais dans des formes de considérations qui sont un peu déconcertantes, ça part dans tous les sens et ce n'est pas uniquement de la critique littéraire.
L'article sur "Voyelles" de Bruno Claisse est décevant et court. On attendait plus que ça de son grand retour.
Les études importantes sont celles de Steinmetz et Reboul. C'est très rare que Steinmetz ait dit un truc important sur Rimbaud. Ce n'est pas un rimbaldien très compétent, même s'il est un éditeur bien installé chez Garnier-Flammarion, puis en Livre de poche. Il est à peu près nul en réalité. Mais il publie une étude importante sur "Il faut être absolument moderne" commenté par l'inénarrable Henri Meschonnic, et c'est sans doute à partir de ce moment-là que Claisse dont l'article sur "Voyelles" montre qu'il cherchait à passer d'articles sur le sens à des articles sur la poéticité a probablement découvert les ouvrages pourtant déjà anciens du linguiste Henry Meschonnic, et il en a fait un gourou qui a eu une incidence assez fâcheuse sur sa manière d'écrire et sa conception des poèmes, dans le temps même où pourtant pour l'interprétation Claisse devenait de plus en plus remarquable.
L'étude de Reboul est une des plus importantes à son actif, il montre clairement que Rimbaud cible Renan et sa Vie de Jésus dans ses parodies des proses évangéliques. Bizarrement, les rimbaldiens ont réagi mollement à cette mise au point, ils ont eu du mal à l'accepter, à s'en emparer et à en faire quelque chose.
Gonou Lee me fait mentir sur l'importance éminente pour les rimbaldiens du sonnet "Le Buffet".


Paru en décembre 1995, Le numéro 12 est toujours acquis au principe des articles courts qui partent dans tous les sens, il est l'occasion de l'entrée en scène de Jacques Bienvenu avec une mise au point sur "Alcide Bava". Fongaro réagit immédiatement à l'étude de Murphy sur "Les Premières communions" dans le numéro 10. Vous voyez l'importance de cette polémique qui parcourt plusieurs numéros de la revue. Bruno Claisse continue de chercher sa voie sur une forme d'analyse plus poéticienne avec son article sur "Le Bateau ivre". Il mentionne le titre de recueil de Joseph Autran Les Poèmes de la mer, découverte qu'on lui attribue depuis, mais j'avais l'impression que ce titre avait déjà été mentionné auparavant, par Ascione ou un autre. Peu importe, le titre d'Autran en valait la peine, même si l'article en soi reste plus faible. Claisse était nettement plus un spécialiste des poèmes en prose que des poèmes en vers.
La contribution de Jean Donat, dispensable dans mon souvenir, cache une intervention sous pseudonyme de Christian Moncel, connu aussi sous le nom Alain Dumaine. Il s'agit d'un auteur à thèse : influence prédominante de Baudelaire sur Rimbaud. Mais il a fait quelques apports intéressants dans ses brochures, notamment celle mise en avant par Fongaro sur les "formes monstrueuses de l'amour".
Bruno Claisse produit un second article dans ce numéro, cette fois sur "Ornières" où (pardon du jeu de mots) il est plus à l'aise.
Paru en mars 1996, le numéro 13 nous maintient dans cette zone où on peut hésiter à acheter les numéros de la revue. C'est là que Murat a publié la première version de son étude du "sonnet" chez Rimbaud. Jean-Louis Aroui s'intéresse aux rimes de "Larme", c'est intéressant, mais les conclusions sont trop ouvertes et je trouve que le repère de la forme ABAB manque trop à l'analyse.
Michel Arouimi fait des articles étranges. Il tient des propos dérisoires et absurdes sur la signification des poèmes, et il se trompe dans ses décomptes, mais il souligne un fait déjà quasi entrevu par Antoine Raybaud : Rimbaud compose à partir de répétitions qu'il dose exprès.
Cela n'a jamais intéressé les rimbaldiens, pas même Murat. Je suis le seul à en avoir considéré l'importance factuelle évidente. Malheureusement, Arouimi en fait une exploitation complètement perchée. Il a fumé la moquette pour le dire poliment.
Claisse changera d'opinion sur "Solde", on a droit ici à sa première lecture, à sa première version interprétative, celle donc qu'il reniera par la suite. Il a fait la même chose avec "Matinée d'ivresse", deux articles dont l'un renie le premier.
Reporté à mai 1997, le numéro 14 montre que la revue n'arrive pas à tenir son rythme annuel à l'époque. C'est un des volumes les moins marquants qu'il m'ait été donné de lire dans toute la série.
Paru en novembre 1998, le numéro 15 est lui aussi particulièrement faible. Il contient pourtant deux études sur "Le Coeur volé" par Murphy et Dominicy, celle de Dominicy est très longue : pages 109 à 188. L'étude de Dominicy est très mauvaise sur de nombreux points, notamment sur la "Muse des méphitiques" d'Izambard. L'étude est un étalage énorme qui accouche souvent d'une souris, mais j'ai quand même bien aimé un aspect précis de son travail, c'est quand, en comparant linguistiquement les variantes des deux versions connues il oppose une version plus dans l'approche cérébrale, conceptuelle et une autre privilégiant la perception. Il faut au moins lire l'article pour ça. Au plan de l'analyse métrique, ça ne vaut rien. Dominicy s'inscrit dans la perspective erronée et contradictoire avec les principes de la métricométrie de l'inventeur de la méthode métricométrique Benoît de Cornulier.
L'article de Dominciy ouvre une boîte de Pandore. On sait que Murphy aime s'épancher dans ses analyses, mais il n'en faisait pas profiter la revue Parade sauvage. Ce numéro s'inscrit dans une période de transition des articles courts aux articles longs pour la revue, et il est même provocateur sur le sujet, l'article fait 80 pages tout de même. Et ce n'est pas aussi dense qu'un article de Steve Murphy  pourtant.
Cornulier écrit un court poème dans ce numéro intitulé "Tombeau d'Ophélie".

Le numéro 16 est un nouveau numéro exceptionnel de la revue, il dépasse les numéros 2 et 8. Pour la première fois, un volume contient deux études qui fournissent aisément des lectures de deux poèmes des Illuminations. Qu'on soit d'accord ou non avec ces deux lectures, au moins, pour la première fois, deux intervenants font des lectures complètes d'un poème en prose de Rimbaud comme quelque chose qui peut et doit aller de soi. Il y a un article, le premier publié, de David Ducoffre sur "A une Raison", et il est suivi d'un article sur "Nocturne vulgaire" par Bruno Claisse, lequel remet complètement en cause l'interprétation au coin du feu qui faisait consensus auparavant. Il se trouve que j'avais moi-même déjà à l'époque un long article sur "Nocturne vulgaire" où je n'identifiais pas le "foyer" à une cheminée. Je n'ai malheureusement jamais publié cet article, il aurait fallu le remanier après l'étude de Claisse. Ceci dit, j'ai plein d'éléments qui ne sont pas dans l'article de Claisse, des réécritures de Baudelaire, Vigny, etc. Je relevais que Rimbaud réécrivait des vers de "Horreur sympathique" et "Rêve parisien", que Rimbaud s'inspirait de Vigny pour "l'aboi des dogues", que "panneaux bombés" figurait tel quel dans "Le Beau navire" des Fleurs du Mal, toutes révélations encore inédites aujourd'hui en décembre 2024. Reboul et Murphy connaissaient mon article sur "Nocturne vulgaire" au moment de la publication de l'article de Claisse.
L'article de Claisse est l'un des meilleurs qu'il ait produit. Il va avoir une suite prodigieuse dans la revue Parade sauvage si on inclut les colloques avec ses lectures de "Nocturne vulgaire", "Mouvement", "Villes (Ce sont des villes)" et "Soir historique", mais dans ce cas, il m'a piqué la découverte de l'intertexte de Leconte de Lisle "Ce ne sera point un effet de légende." Je lui ai fourni cela dans une discussion privée à Paris en juin 2003 et je peux prouver mon antériorité puisque j'avais publié cela sur le forum du site canadien Poetes.com qui doit avoir des archives.
Pour le reste, les articles du numéro 16 sont plus faibles, cas à part de Meyer et Fongaro qui se tiennent. Je signale à l'attention l'étude de Paul Claes sur "Fairy". Il fait une lecture erronée, il avait un principe interprétatif systématique délirant : tous les poèmes décrivaient hermétiquement des nuages. Mais, il avait un mérite pour certains détails, il soulignait l'importance de la périphrase, ou bien avant les articles de Reboul et Claisse sur "Mystique" il identifiait la métaphore de lumière pour les "herbages d'acier et d'émeraude". Paul Claes a publié un livre entier d'interprétations par les nuages des poèmes en prose de Rimbaud. Même les études délirantes ont leurs apports parfois.
 
Il y a eu ensuite un double numéro 17-18 en un volume, je trouve ça un peu débile de faire ça, mais bon. Je n'y ai pas participé, alors que j'aurais pu. J'avais déjà attendu un certain temps avant d'être dans le numéro 16 de l'an 2000. Jacques Bienvenu y répond à des remarques de Fongaro. Philippe Rocher y publie un article sur "Chant de guerre Parisien", il va devenir un contributeur régulier de la revue. Et Benoît de Cornulier envoie l'étude qui met au tapis Fongaro au sujet des "Premières communions". Vu le prix fixe, le volume étant assez épais, il est intéressant à acheter. Il contient de bons articles, celui de Reboul sur "Les Douaniers", un article sur "Tête de faune" par Christophe Bataillé, un étude de synthèse de Claisse sur les Illuminations, et puis après celui de Bivort un article sur le tiret de Michel Murat. Bienvenu entre alors dans le club fermé de ceux qui ont publié deux articles dans un seul volume de la revue (même si c'est un double numéro). Fongaro est toujours là pour ses petits articles de détails minutieux. Paul Claes part en vrille dans les nuages à propos de "Villes" II. Il y a tout de même toujours un lot d'articles anecdotiques qui déjà peu motivants à leur sortie sont difficiles à vendre en 2024.

Le numéro 19 est l'un des meilleurs numéros jamais sortis de la revue. Il contient le très long article "Consonne" de David Ducoffre sur le sonnet "Voyelles". Le titre vient d'une connaissance qui avait parlé d'écrire "Les Consonnes", j'ai adapté ça avec l'idée d'une explication qui "consonne" avec son objet. Il y a des points que j'ai remis en question de mon étude de 2003, mais c'est le début de ma lignée de travaux de référence sur le sonnet "Voyelles", sujet sur lequel aucun rimbaldien ne rivalise de près ou de loin avec moi. Enfin, le sonnet "Voyelles" sort de la dimension de poème inexplicable dans laquelle on l'a enfermé. Reboul échouera à produire une contre-étude importante sur ce sonnet. Lors d'une réunion des amis de Rimbaud, il recommande plusieurs articles de son livre Rimbaud dans son temps, mais pas celui sur "Voyelles". Des articles publiés dans la revue Parade sauvage par Philippe Rocher et Benoît de Cornulier s'inspirent cette étude de 2003. Une autre étude décisive de ma part a été publié dans la revue Rimbaud vivant autour de 2011-2012. Puis j'ai rayonné sur ce blog. Cet article de 2003 a des défauts, il a aussi ceux de mon écriture universitaire mal digérée d'époque. Mais c'était le début.
Le volume contient aussi une étude essentielle de Bruno Claisse sur le poème "Mouvement", étude décisive pour le sens et plus souvent citée que mon article sur "Voyelles". Christophe Bataillé y a publié l'article de sa vie sur "Roman". Jacques Bienvenu émet l'idée impressionnante que le texte de "La Chasse spirituelle" n'existe pas. C'est très intéressant et convaincant, mais il y a quand même un degré d'assimilation du texte "La Chasse spirituelle" avec "Les Déserts de l'amour". Il est clair que les proses des "Déserts de l'amour" auraient à tout le moins joué le rôle écran pour faire croire que les lettres de Rimbaud à Verlaine lues par quelques-uns étaient un texte littéraire. C'est un peu l'aspect nuancé qui manque à cet article, la place des "Déserts de l'amour" dans le raisonnement tactique de Verlaine.

Paru en décembre 2004, le volume 20 doit être la fin de transition pour les articles courts et disparates. J'y ai fait deux interventions, une pas terrible hâtivement écrite dans la continuité de mon étude sur "Voyelles", puis une longue étude sur les poèmes de bilan : Vies, Guerre, et le poème liminaire d'Une saison en enfer, article mal écrit, peu digeste peut-être, mais dont je reste assez content avec le recul. Depuis, j'ai fait une lecture de "Vies" où à la suite d'une étude de Brunel rappelée à l'attention par Bardel, j'ai montré que l'intégralité de "Vies" réécrivait des passages de la conclusion des Mémoires d'outre-tombe, en allant beaucoup plus loin que Brunel et Bardel. Cela se trouve sur mon blog, ça date de mes derniers échanges viables avec des rimbaldiens, donc d'il y a quelques années.
Le volume contient la révélation du manuscrit "Famille maudite". Je trouve quand même que Murphy a eu beau jeu de pondre un article si détaillé sur un manuscrit dont il a eu connaissance avant la plupart des rimbaldiens eux-mêmes. J'avais remarqué aussi à l'époque que, dans les comptes rendus, Murphy citait des idées personnelles. On a un peu le début d'une revue qui sert à garantir des antériorités. Malgré tout, rien de grave à l'époque, ça restait un numéro de qualité de toute façon que ce numéro 20. Mur^phy publiait aussi un article sur les caricatures de Félicien Rops pour l'édition sous le manteau des Joyeusetés galantes de Glatigny. C'est marrant, ça coïncide avec le fait qu'un peu auparavant j'avais signalé à l'attention à Steve Murphy lui-même la vente à 600 euros d'un exemplaire sur eBay. J'ai peut-être encore les courriels d'époque à ce sujet. Cette acquisition n'était pas à portée de ma bourse à l'époque.
Il y a un article intéressant de Bienvenu sur Taine, sujet toujours resté souterrain dans les études rimbaldiennes et qui n'a toujours pas été pris complètement à bras-le-corps.
Je passe directement au numéro 21, paru en 2006. C'est encore un numéro exceptionnel de la revue, avec mon article magnifique à lire, ma manière d'écrire amorçant une première phase de mutations, sur "Le Bateau ivre", j'ai publié la même année l'étude métrique "Ecarts métriques d'un Bateau ivre" dans les cahiers du centre d'études métriques de Nantes dirigé par Benoît de Cornulier. Mon article était en gestation depuis 2004, il était question oralement entre moi, Murphy, Ascione et Claisse lors du colloque qui s'est tenu vers septembre 2004. Steve Murphy m'a demandé l'autorisation de publier un article sur "Le Bateau ivre" dans la revue Littératures, article qui est sorti un peu avant le mien, mais qui précise qu'il m'a lu. De manière éhontée, les rimbaldiens ont mis tout l'honneur sur l'article de Murphy et ont évité la mise en avant du mien, alors que j'avais non seulement l'antériorité, mais relisez les deux articles et c'est le mien qui va rester au plan de l'interprétation.
C'est un paradoxe, il y a des chapelles de croyants chez les rimbaldiens en principe antireligieux, et aussi des crimes de lèse-majesté. Pas question dans le milieu rimbaldien de citer favorablement mes études sur "Voyelles" et "Le Bateau ivre". Il fallait minimiser mon impact.
Jacques Bienvenu était en forme aussi à ce moment-là avec son article sur Banville, Cros et Mallarmé. Il a souligné l'influence du traité de Banville sur Rimbaud à l'époque, mais les rimbaldiens et aussi les spécialistes de versification n'ont visiblement rien compris à l'importance décisive de cette information, preuve que les métriciens sont dans une illusoire recherche de scientificité au détriment de la démarche historienne essentielle à l'enquête littéraire.
Le numéro 21 est un épais volume qui n'a rien à envier au double numéro 17-18. C'est le déut des articles fleuves, je m'inscris dans les responsables de cette nouvelle tendance. Il y a d'autres articles intéressants dans ce volume de Fongaro, Chevrier etCandice Nicolas. A 42 euros, c'est un volume à acquérir en priorité.
Les numéros 2, 8, 16, 19 et 21 vous avez cinq tomes plus importants que les autres je dirais.

Il reste le volume dit "Numéro spécial" "Hommage à Steve Murphy" paru en octobre 2008.
Il s'agit là encore d'un épais volume avec des contributions intéressantes. Il peut compléter les cinq numéros sortis du lot ci-dessus.
Roger Little y parodiait I like Ike en Vive Steve dans un propos d'introduction. Philippe Rocher se préoccupait déjà de la présence du motif d'Ophélie en allant inspecter les Romances sans paroles, démarche paradoxale puisque Verlaine est supposé n'avoir pas connu de version du poème, ce qui il est vrai n'est pas garanti.
Les articles partent tout de même dans tous les sens, même s'ils sont plus étoffés que ceux des premiers numéros. Alain Vaillant commence à contribuer à la revue. On retrouve un article du latiniste George Hugo Tucker, ce qui est toujours bon à prendre. Benoît de Cornulier amorce une évolution dans ses zones d'intérêt ou du moins dans ses habitudes de publication en s'intéressant au style de chant chez Baudelaire et Rimbaud. Taliercio y publie sur sa découverte du "Rêve de Bismarck" qui était alors d'actualité.
J'y publie un article dont je ne suis pas pleinement satisfait mais qui reste à l'heure actuelle l'étude la plus poussée du poème "Les Assis". On voit que plusieurs intervenants réagissaient aux articles de 2006 sur "Le Bateau ivre", mais il y avait de toute évidence un droit d'hommage privilégié au directeur de la revue Parade sauvage. Je ne trouve pas ça très élégant, mais bon...
Jacques Bienvenu intervenait sur "Chanson de la plus haute Tour" avec un propos intéressant, des sources, mais j'avoue que les difficultés ne m'ont pas semblé ainsi toutes résolues.
Michel Murat amorce la préparation de son complément sur Une saison en enfer à son livre L'Art de Rimbaud. Claisse répudie son ancienne lecture de "Matinée d'ivresse" par une nouvelle, il ose dire qu'il n'y a aucune allusion étymologique évidente dans l'inscription en italique du mot "Assassins", l'étymologie supposée "haschichin" étant erronée dans tous les cas. Il met en doute qu'il soit question d'une expérience de hachisch dans ce poème, ce qui était aussi mon cas.
Yves Reboul fournit quatre notes sur le poème "Dévotion", mais je n'ai pas compris pourquoi il soutenait Fongaro à propos d'une prétendue anomalie du possessif dans "A ma sœur". L'article ne m'a pas convaincu sur d'autres points également. Il faudrait reprendre tout cela à tête reposée.
Fongaro contribuait pour l'une des dernières fois à un numéro de la revue.
Moi-même, j'allais tourner le dos bientôt à cette revue dont je constatais trop la mise sous cloche, le doigt sur le pantalon en faveur de personnes à plus privilégier que d'autres.
Je trouvais aussi anormal que certains rimbaldiens aux écrits pas spécialement percutants se retrouvaient dans des postes intéressants pour contrôler le réseau des rimbaldiens et avoir des facilités de publications.
J'arrête là ma recension, puisque à partir du numéro 22 les tomes ont toujours été disponibles aux éditions Classiques Garnier.
Je n'ai pas tellement commenté les articles, donc si vous n'êtes pas d'accord avec moi en tout cas ça vous donne une idée de ce qui doit être lu dans mon optique.