mardi 31 décembre 2024

Correction de plusieurs erreurs dans Critique du vers (Gouvard) à propos de Mme Blanchecotte

Article édité : avertissement :

J'ai mis en ligne tôt ce matin un article inachevé qui a eu quelques lecteurs, je l'ai remanié en fin de matinée, je vais le reprendre à quelques reprises. Je conseille à ceux qui ont déjà lu de revenir sur l'article une fois achevé. Cet article a son importance dans l'histoire de la versification que je corrige actuellement. Il sera à relier à l'article en cours en quatre parties sur la versification de Leconte de Lisle et à un article à venir sur la versification de Baudelaire dans la pré-originale des Fleurs du Mal parue dans la Revue des Deux Mondes en 1855. Il faut y ajouter d'autres études sur l'importance des rôles joués par Hugo et Vigny. Ces mises au point historiques vont remettre en cause plusieurs points d'un récit officiellement imposé à l'heure actuelle où Baudelaire aurait inventé une manière de versifier au détriment de Victor Hugo, puisqu'on sépare arbitrairement vers de théâtre et vers de poésie lyrique dans le récit historique que nous devons à Gouvard et Cornulier. Mais les conséquences de notre étude vont plus loin. Nous travaillons à montrer qu'il y a un manque de prudence à se servir de données statistiques pour affirmer une progression dans l'évolution de l'alexandrin. Certaines données sont erronées, d'autres sont mal analysées, surinterprétées. Certaines données sont fournies de manière vague et allusive, alors qu'elles doivent être rigoureusement détaillées sur le papier avant toute affirmation théorique de la part des chercheurs. Nous sommes en train de revoir les raisons pour lesquelles les poètes ont choisi de chahuter les césures à telle ou telle date, en fonction d'un repère qui a étonnamment manqué aux métriciens : l'émulation entre poètes. Cette émulation se mesure en fonction d'imitations objectivables par l'analyse. Or, un rimbaldien comme Murphy ou des métriciens comme Gouvard et Cornulier minimisent sans arrêt ces faits au profit d'un récit en faveur d'un poète favori, en l'occurrence Baudelaire, ou en fonction d'une approche téléologique où la versification est un dieu qui évolue sans interventions aléatoires de poètes. Nous allons réenvisager la relation du trimètre aux césures chahutées à partir d'une démarche d'investigation empirique historienne contre une fausse idée de scientificité non intuitive.

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Mme de Blanchecotte occupe une place particulière dans le livre Critique du vers de Jean-Michel Gouvard. La poétesse a deux faits d'armes métriques qui ont retenu l'attention. En 1855, elle serait l'une des premières à lancer la mode en poésie lyrique des césures d'alexandrins sur un proclitique. En 1861, elle est la première avec Banville à fournir un enjambement de mot à la césure d'un alexandrin.
Il me faut revenir sur ces points, la poétesse étant particulièrement mal connue. Elle ne l'est que pour deux contributions au second Parnasse contemporain, puisque, selon un témoignage non vérifié et même peu fiable, Rimbaud aurait caviardé de corrections manuscrites de son cru le texte de deux poèmes de Mme de Blanchecotte au plan de la publication initiale par livraisons. Ces livraisons avec des interventions de la main de Rimbaud sont inconnues des rimbaldiens et il s'agit vraisemblablement d'un témoignage mensonger, mais ce n'est pas ce qui nous intéresse présentement.
Dans Critique du vers, Jean-Michel Gouvard fournit une bibliographie du "Corpus général" dont il étudie tous les alexandrins, et à la page 134, voici le texte de l'alinéa consacré à Mme de Blanchecotte :
Anne-Marie Blanchecotte : Rêves et Réalités[7} (1855, 3 136), Nouvelles Poésies (1861, 1 114) Pendant le siège (1870-71, 234)
J'y adjoins le texte de la note 7 de bas de page 134 qui a son importance ici :
[7} Contient Rêves et Réalités, Pendant le siège.
Les prénoms sont erronés, Anne-Marie au lieu d'Augustine-Malvina. Les prénoms sont pourtant cités correctement par la suite dans le corps de l'ouvrage. Page 149, Gouvard écrit :
La configuration C5 + C6 inaugurée par Augustine-Malvina Souville, dite dame Blanchecotte, ne revient que [...}
Et, en fin d'ouvrage, dans la vraie section "Bibliographie", nous avons la référence exacte de l'ouvrage consulté par le critique universitaire :

Blanchecotte, A.-M., 1871 : Rêves et Réalités, précédé de Pendant le Siège, Didier et Cie.
Apparemment, comme on peut le vérifier par un lien plus loin dans notre recension, Gouvard n'a pas cité avec précision la couverture de l'ouvrage paru en 1871 : Rêves et Réalités, par Mme A.-M. Blanchecotte, ouvrage couronné par l'Académie française, troisième édition, revue et augmentée de poésies nouvelles, ni ce que j'appellerai la deuxième page de faux-titre qui précède l'Avertissement : "troisième édition, revue et augmentée de poésies nouvelles et précédée de poésies inspirées par la guerre."
Au plan du "Corpus général", la date de 1855 n'est pas très rigoureuse si l'ouvrage en question contient aussi l'ensemble intitulé "Pendant le siège" qui passe ici un peu rapidement pour un recueil indépendant, même si l'ensemble est en hors-d'œuvre. En clair, Gouvard n'a pas travaillé à partir de l'édition originale de 1855. Enfin, dans sa présentation d'un "Corpus général", vous avez des chiffres en italique avec une petite démarcation typographique pour les milliers. Alerté par deux anomalies, je me suis empressé de vérifier le décompte de 234 alexandrins pour la section "Pendant le siège" et je n'ai pas dénombré 234 alexandrins, mais seulement 232. Gouvard a assimilé à des alexandrins deux vers qui ne font pas douze syllabes, mais dix et quatorze !
D'autres révélations vont suivre, je vous propose de commencer notre revue critique par la section "Pendant le siège". Il ne s'agit pas d'un recueil au sens fort du terme ni d'une plaquette, mais d'une section de poèmes nouveaux d'actualité qui ont été mis en tête de la troisième édition de Rêves et Réalités en 1871.
Cet ensemble est constitué de neuf poèmes de circonstance. Le deuxième a été publié sur une feuille imprimée au recto et au verso en 1870, il s'agit de la pièce "A Victor Hugo", les huit autres poèmes ont pu être publiés dans la presse à l'époque, mais ils font partie d'un recueil paru au milieu de l'année 1871 seulement avec une préface datée de "juillet 1871" qui en atteste. La réédition était prévue pour juillet 1870, mais les événements ont entraîné un report de précisément un an.
Voici le détail des neuf pièces en question. Il y a un unique poème en décasyllabes de chanson 5-5v (deux hémistiches de cinq syllabes) : "IV. La Chanson des Assiégés". Les huit autres poèmes sont essentiellement en alexandrins et forment bien un ensemble de 234 vers, sauf que deux vers posent un problème de mesure dont nous allons reparler. Il s'agit de discours en vers très hugoliens sur le principe des rimes plates AABBCCDD... Les pièces sont plutôt courtes : I. La Bataille 20 alexandrins, II A Victor Hugo 42 alexandrins, III Aux Parisiens 26 vers, V Aux femmes 46 alexandrins, VI Pendant le bombardement 30 vers, VII Protestation d'un soldat 16 alexandrins, VIII Aux vaincus 32 alexandrins, IX Aux armes 22 alexandrins.
Je vous laisse vérifier et refaire les calculs.
Lien pour consulter sur GoogleBooks la 3e édition en 1871 de Rêves et Réalités !
Mme de Blanchecotte a tendance à s'autoriser d'introduire de manière peu régulière des décasyllabes littéraires (hémistiches de quatre et six syllabes) au milieu de pièces en alexandrins, voire au début; C'est le cas du premier vers du poème "III. Aux Parisiens" :
Le désespoir d'un peuple entier se lève !
Ce n'est plus un vain but de gloire - sombre rêve -
Ce n'est plus désormais l'honneur seul qu'on défend ;
C'est patrie et foyer : la femme avec l'enfant.
[...}
Je pense que, comme moi-même, la plupart des lecteurs sont piégés par la lecture du premier vers. Vous croyez lire un alexandrin et sur votre lancée vous avez le premier hémistiche "Le désespoir d'un peuple", sauf que en même temps que vous identifiez le rejet d'épithète "entier" vous ressentez un malaise "se lève" ne compte que deux syllabes métriques, c'est un peu court pour compléter un rejet de deux syllabes dans un alexandrin. C'est après avoir raté ma lecture du vers en alexandrin que j'ai compris qu'il s'agissait d'un décasyllabe avec le premier hémistiche "Le désespoir" et le second "d'un peuple entier se lève !" Même si l'idée reste dérangeante à mes sens, j'ai identifié des décasyllabes mélangés à des alexandrins dans les poèmes plus anciens de la poétesse. Je considère avoir affaire ici à un fait exprès.
Au plan prosodique, je n'aime pas du tout les trois derniers vers :
[...}
Qui tombe se relève : on ne meurt pas toujours !
Paris, Athène hier, Paris, Sparte nouvelle,
Paris, âme du monde, est la Ville éternelle !
Je ne trouve pas très heureux l'allure du second hémistiche : "on ne meurt pas toujours, l'emprunt à Rome du concept de "Ville éternelle" tombe comme un cheveu sur la soupe, et j'ai du mal à encaisser le bricolage symétrique avec trois reprises du nom "Paris". Mon cerveau est clairement rétif au jeu prosodique.
Pour la versification, Blanchecotte a évolué depuis 1855. Les modèles qu'elle revendique sont le chansonnier Béranger et Lamartine. Sa versification offrait quelques exemples de souplesse en 1855, mais elle n'était pas si libérée. La section "Pendant le siège" de 1870-1871 montre qu'elle cherche à correspondre à l'esprit des parnassiens de son époque, et du moins elle imite quelque peu les césures hugoliennes, comme le montrent les vers suivants tous repris au poème "Aux Parisiens" :

Ton âme est indomptable en toi, rien n'est perdu.

Surgira plus vivace encore une autre France !

Nous reprendrons d'un ferme élan notre drapeau ;
et, alors que je ne relevais aucune propension aux trimètres dans le recueil de 1855 je relève ici quelques cas intéressants, ainsi du dispositif des tirets au dernier vers du poème adressé justement "A Victor Hugo" le "27 septembre 1870" :

La Vérité - ce pain de vie - est notre gerbe !
Je colorie les seconds hémistiches en bleu, et vous relevez sans effort le rejet du complément "de vie", de l'adverbe "encore" (principe admis des classiques toutefois), le contre-rejet d'épithète monosyllabique "ferme", le rejet du complément "en toi".
Dans le poème VII "Protestation d'un soldat", je relève un vers assimilable à un trimètre avec un rejet d'un complément grammatical vague "de moi", si ce n'est qu'il s'agit d'une mise en relief de la première personne :
Avec la nuit autour de moi pour compagnie,
et j'insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas d'un simple trimètre : "Avec la nuit / autour de moi / pour compagnie," même si le pont "autour de moi" et les unités grammaticales favorisent cette lecture en trois membres de phrase : "Avec la nuit pour compagnie autour de moi"...
Le vers n'est pas très heureux, mais Blanchecotte tente des césures risquées et il est facile de citer des preuves de telles intentions par d'autres vers où la césure est enjambée, ainsi du dernier vers plus réussi du même poème VII, digne de Victor Hugo, apte à faire pâmer de jalousie un Baudelaire :
L'ennemi peut signer sa paix, je n'en veux pas !
Le poème V "Aux femmes" offre un cas d'adverbe en "-ment" de la longueur d'un hémistiche d'alexandrin, et le résultat est plaisant :
Infatigablement nous pansons bien des âmes !
A cause de l'enjambement de mot sur "silencieux" dans le poème "L'Homme juste", je surveille les emplois de "silence" et "silencieux". Est-il risqué de comparer la section "Pendant le siège" avec des vers de soit "L'Homme juste", soit "Paris se repeuple" ? En tout cas, en dépit des risques d'anachronisme, c'est une démarche instructive. Je pourrai en rendre compte ultérieurement.
Dans le poème VIII "Aux vaincus" avec en épigraphe une formule coppéenne : "Faites votre devoir et laissez faire aux dieux", Blanchecotte a osé le faux trimètre apparent à la manière hugolienne avec le vers suivant :
Sors du tombeau, pays libre, vieux pays franc ;
Sur le mode d'une lecture grammaticale paresseuse, certains parleront de trimètre romantique, mais le "e" de l'adjectif "libre" n'autorise pas cette reconnaissance rythmique, et il faut se rabattre sur un rejet d'un adjectif d'une syllabe "métrique" (il y a bien deux syllabes, et elles comptent toutes deux pour la mesure qui plus est, mais seule la première peut être en relief). Le procédé est hugolien de servir un vers d'allure ternaire avec une syllabe bien mise en relief par la césure.
Et j'en arrive au poème VI "Pendant le bombardement" qui offre des points de comparaison avec "Paris se repeuple", même si ce dernier parle du second siège, car il y a bien sûr une équivalence sensible du côté des bombardements. Le poème VI contient un vers de quatorze syllabes bien isolé parmi des alexandrins. Je cite un extrait pour le mettre en contexte, mais en vous invitant à lire le poème en entier, vu qu'il a plusieurs qualités qui peuvent l'appeler à l'attention :
[...}
Et c'est transfigurés par l'épreuve et l'effort
Que nous nous retrouvons, nous qui vivons encor !
Hospices défoncés et maisons éventrées,
Clochers noircis, pavés fendus, ruines effondrées,
Balafres du pays, parafes du vainqueur,
Restez les durs témoins d'un siècle accusateur
Pour qui le succès seul vaut, hélas ! quelque chose !
[...}
Difficile de passer à côté du vers : "Clochers noircis, pavés fendus, ruines effondrées," où je rappelle que le mot "ruine(s)" se lit avec diérèse, ce que vous pouvez vérifier par au moins un autre emploi du mot dans la section "Pendant le siège" ou bien dans un poème de La Légende des siècles de Victor Hugo, etc. On s'attend à un trimètre avec rejet de "fendus" : "Clochers noircis, pavés fendus", sauf que "ruines effondrées" est un hémistiche de six syllabes. J'ai un peu de mal à cerner l'effet recherché par Blanchecotte s'il s'agit d'un fait exprès, j'ai même beaucoup de mal...
Je peux broder une explication, mais que vaut-elle dans l'absolu ? Le vers aurait pu être correct transcrit de la sorte : "Clochers, pavés noircis, ruines effondrées". J'observe les assonances : "défoncés" et "pavés" invitent à identifier une fin d'hémistiche avec rejet de "fendus", puisque la rime va d'un premier hémistiche d'un vers à ce qui aurait dû être le premier hémistiche du vers suivant. Les assonances sont internes et englobent les rimes avec glissement de cadence masculine à féminine d'un vers à l'autre : "défoncés", éventrées" / "clochers", "pavés", "effondrées". Il y aurait une volonté de mimer la scène par des vers ruinés, éventrés, mais le résultat ne s'impose pas avec évidence du tout.
Il faudrait confronter cela éventuellement à d'autres éditions du poème. S'agit-il d'une erreur d'impression ? Difficile à croire : je n'arrive pas à déterminer une logique qui irait au-delà de l'anomalie exhibée.
Faute de mieux, j'identifie ici un vers de quatorze syllabes avec un premier hémistiche de huit syllabes et un second de six syllabes. Cela reste tout de même dérangeant. Ce type de vers n'a aucune tradition sur laquelle s'appuyer et il est isolé.
Comment Gouvard a-t-il césuré ce vers de quatorze syllabes et celui de dix syllabes mentionné plus haut, vu qu'il les a inclus dans un ensemble de 234 alexandrins ? A-t-il eu accès à une édition corrigée ?
Ces deux vers auraient-ils échappé à une lecture vigilante ou bien le critique les a-t-il écartés lors de l'analyse, en oubliant ensuite de les décompter ?
Enfin, il y a dans ce même poème "VI Pendant le bombardement" un vers exceptionnel, contemporain d'une audace similaire de Leconte de Lisle dans le "Kaïn" qui ouvre le second Parnasse contemporain. Le poème de Leconte de Lisle a été publié dans le volume collectif au même moment que le vers que nous allons citer, mais il avait été publié sous forme de livraison initiale en 1869. Leconte de Lisle a refoulé l'audace métrique dans les éditions ultérieures du poème, je cite ce vers peu connu et qui a une valeur historique sur laquelle nous reviendrons plus bas :
Plus haut que ce tumulte vain, comme il parla
Voici maintenant le vers qui visiblement a échappé à l'attention de Gouvard et du coup à son relevé statistique même :
L'homme combat, la femme veille, l'enfant crie !
Il s'agit à nouveau d'un jeu sur fond d'impression ternaire, mais le mot "femme" franchit la césure. Vous avez une tripartition phrastique : l'homme, la femme, l'enfant, avec chacun son verbe, mais le verbe "veille" n'est pas seule après la césure et le syntagme "l'enfant crie" bien que pourvu de quatre syllabes n'a que trois syllabes "métriques". Il s'agit d'un enjambement à l'italienne, et il est particulièrement audacieux avec le dissyllabe "femme", au sein duquel observer que la voyelle forte prononcée [a} s'écrit "e".
Bien qu'il étudie des vers de ce profil dans Critique du vers, Gouvard ne cite pas ce vers précis de Blanchecotte, et bien qu'il soit d'une réelle importance d'époque.

Passons maintenant à l'autre erreur importante de Gouvard à propos des vers de Mme de Blanchecotte. Il date de 1855 le vers suivant :
Je les revois, je les reprends, je te les donne !
L'édition originale de 1855 de Rêves et réalités ne contient pas ce vers, ni le poème qui est censé l'inclure, ce qui peut être vérifié sur son fac-similé mis à disposition sur le site Gallica de la BNF. Nous pouvons aussi vérifier que l'hommage final de Lamartine faisait partie de l'édition originale et n'a pas attendu la seconde édition.
La deuxième édition du recueil de 1856 peut être consultée sur GoogleBooks, elle ne contient pas non plus le vers et le poème en question. Gouvard a considéré que seul l'ensemble "Pendant le siège" était inédit en 1871, alors qu'en réalité le recueil a été remanié et augmenté. Le vers cité comme étant de 1855 est un inédit de 1871.


Le poème "A Nobody", l'un des deux à porter ce titre dans l'économie du recueil de 1861, est une pièce nouvelle qui ne date certainement pas de 1855. Le poème "Dédicace - A Nobody" ouvre la section "Chants et Pensées", il va de la page 187 à la page 189, il est en quatrains d'alexandrins à rimes croisées, et le vers qui nous intéresse figure à la page 188. Le poème est dédié "A personne" et est quelque peu une variation, la déclaration amoureuse en moins, sur l'adresse à l'inconnue du célèbre sonnet d'Arvers. Un autre poème intitulé "A Nobody" clôt l'ensemble du recueil. Il s'agit donc bien de compositions nouvelles qui créent la toute nouvelle forme de recueil propre à cette troisième édition. Dans les deux premières éditions de 1855 et 1856, nous avions une première section de "Poèmes", essentiellement dominées par des portraits de femmes amoureuses d'hommes qui ne leur rendaient pas leurs sentiments : "Blanche", "Jobbie", "Maria", Lucie", "Henrietta", "Madeleine", "Gabrielle", "Conchita", "Léopold", puis nous avions une seconde section de "poésies diverses" qui allait d'un poème adressé à Alphonse de Lamartine : "A M. A. de L." enrichi d'un "Souvenez-vous de moi" en 1856, à une réponse en vers de Lamartine : "A l'auteur, ouvrière et poète". Les deux poèmes "A Nobody" se substituent donc au miroir initial d'un échange en vers entre Lamartine, décédé en 1869, et Blanchecotte. La réponse de Lamartine est déplacée vers le début de la nouvelle section "Chants t pensées" et prend le titre "Chanter et prier".
Gouvard cite un autre vers de l'autrice qu'il date de 1855 et qui offre une césure similaire avec une apparence de trimètre.
Non les honneurs, non les succès, non la fortune[.}
Malheureusement, il s'agit à nouveau d'un vers d'un poème nouvellement publié en 1871. Le poème s'intitule "A mon fils, le jour de sa première Communion." Ce fils est né après le mariage avec monsieur Blanchecotte en 1850. Non seulement le poème ne figure pas dans les deux premières éditions, mais la composition est nécessairement postérieure de quelques années.
Les deux vers que Gouvard datent de 1855 ne sont ni l'un ni l'autre dans l'édition originale de 1855 du recueil Rêves et réalités dont un fac-similé est consultable sur le site Gallica de la BNF.
Ces deux vers ne figurent pas non plus sur la deuxième édition de 1856, ils sont exclusifs à l'édition de 1871 comme il vous est aisé de vérifier.
Ces deux vers présentés comme importants sont à retirer de l'histoire du vers racontée par Gouvard.
Loin d'avoir influencé Leconte de Lisle, ils sont nés de l'influence de Leconte de Lisle et d'autres sur la poétesse qui a dû les composer plus tardivement dans la décennie 1860.
Il reste le recueil de 1861 Nouvelles poésies, où là les vers sont authentiques, mais tout le récit est bouleversé. Sans son antériorité de 1855, il est clair que Blanchecotte en 1861 n'innove pas parallèlement aux grands poètes connus et qu'elle s'est plutôt inspirée d'eux. Je rappelle que dans Critique du vers Gouvard soutient que Banville a  antidaté de 1861 son vers : "Où je filais pensivement la blanche laine" du poème "La Reine Omphale" paru dans le recueil Les Exilés à la toute fin de 1866. Non, le vers a réellement été publié en 1861 avec cet enjambement de mot dans une revue. Blanchecotte s'inspire de Leconte de Lisle, Baudelaire et d'autres dans quelques vers des Nouvelles poésies et plus particulièrement de Banville pour l'enjambement de mot. Il faudrait il est vrai préciser les dates exactes de publications pour Banville et Blanchecotte.
Ensuite, le choix du trimètre pour faire digérer l'effet de chahut à la césure vient donc de Leconte de Lisle et de Baudelaire.
Dans Critique du vers, Gouvard cite à plusieurs reprises les deux vers qu'il date de 1855, il cite à plusieurs reprises Mme de Blanchecotte. Ces références éparses font partie d'un tissu d'analyse critique qui prétend démontrer une évolution progressive du vers chahuté à la césure. Il convient donc de citer ces passages et de montrer en quoi les affirmations de Gouvard posent problème.
Grâce à l'index, où il manque tout de même "Villiers de L'Isle-Adam", nous savons que Gouvard a mentionné notre poétesse aux pages 105, 134, 146, 149, 152, 172, 174, 175, 193, 216, 220 et 236 de son ouvrage. J'écarte la page 134 déjà citée et qui correspond au "Corpus général". Je commence par citer les pages qui ont mis en avant les deux vers erronément datés de 1855.
A la page 146, dans une sous-partie intitulée "Distribution sur la cinquième syllabe", Gouvard énumère les auteurs qui ont pratiqué entre 1850 et 1858 la césure d'alexandrin dite CP6 (césure sur proclitique d'une syllabe : déterminant du nom, préposition, pronom devant un verbe) :
   A partir des années 1850, les vers CP6 commencent à apparaître chez plusieurs auteurs. Jusque vers 1858, ils ne sont pas employés plus d'une ou deux fois chez Blanchecotte, Glatigny, Hugo, Nerval, Du Camp, Villiers, Baudelaire ou Leconte de Lisle Puis, après 1858, chez les deux derniers poètes cités, le nombre de CP6 s'accroît, à raison de plusieurs occurrences tant pour 1859 que 1860. A l'époque, Baudelaire a déjà publié Les Fleurs du Mal dans leur première version, et Leconte de Lisle les Poèmes Antiques. Ils ne passent donc nullement d'une phase de formation à une période de production plus active : ce sont déjà des poètes en vue qui continuent d'écrire, mais en modifiant leurs habitudes de versification, du moins quant au vers alexandrin. [...}
Le relevé de Gouvard est défectueux sur plusieurs points. Il se coupe des exemples antérieurs à 1850, ce qui témoigne d'un manque de rigueur analytique évident. Il ne mentionne pas Banville dont les Odes funambulesques datent de 1857. Ne se préoccupant que des vers CP6, il parle de l'évolution de Leconte de Lisle et de Baudelaire, mais comme si ce critère CP6 était le seul. Il ne cite pas tous les recueils de Leconte de Lisle, car après les Poèmes antiques, il y a eu un recueil en 1855 dont le titre n'appartiendra pas à la trilogie définitive, mais aussi un recueil de Poésies nouvelles en 1858. On ne sait pas pour quel vers ou quels vers Hugo est cité ? Il ne s'agit même pas du vers du "Mariage de Roland" publié en 1859 et considéré comme ayant été composé en 1846 par Gouvard, ce que rien ne garantit. Il s'agirait de vers de La Fin de Satan. Gouvard semble citer Glatigny sur la foi de manuscrits non référencés.
Surtout, il doit renoncer à citer Mme de Blanchecotte qui n'a pas à faire partie de cette liste fermée.
Enfin, quant à cette liste, je souligne aussi une faille théorique cachée. Gouvard incluait des vers de Blanchecotte qui n'existaient pas à l'époque, il date des vers manuscrits et il cite sur un même plan des vers de poètes célèbres et des vers d'inconnus. Avec la relativisation du rôle joué par Mme de Blanchecotte, nous sommes invités à plutôt tenir compte des vers de poètes célèbres. Mais Gouvard inclut des vers inédits de Victor Hugo visiblement. En s'intéressant à des datations manuscrites, Gouvard s'éparpille aussi en négligeant les publications décisives. Ce sont bien les publications qui ont été connues des poètes et qui ont influencé éventuellement leurs pratiques. Gouvard passe à côté de la pré-originale des Fleurs du Mal dans la Revue des deux Mondes, préférant date sans documents à l'appui tel poème de 1851, tel autre de 1854, et le tout à l'avenant.
Sur ce lit d'imprécisions, Gouvard a fait jouer un rôle à deux vers de Mme Blanchecotte qui avaient une forme de trimètre ostentatoires. D'autres éléments sont biaisés dans l'analyse de Gouvard, comme la mise à l'écart de vers plus anciens, sous prétexte qu'ils sont des faits isolés de leur époque ou dus à leur inscription dans l'univers du théâtre. Il ne faut pas oublier que les œuvres sont publiées et lues à quelques années d'écart, que ces œuvres des années trente sinon vingt eurent un impact décisif sur de futurs poètes encore adolescents. Né en 1821, Baudelaire a vécu avec la lecture des vers de Musset, Hugo et d'autres. Gouvard, Cornulier et Murphy ne se rendent même pas compte que dans "Un Voyage à Cythère" paru en 1855, Baudelaire reprend le "comme un" antécésural à une rime des "Marrons du feu" de Musset, puis, le "comme" antécésural à une dizaine d'exemples hugoliens, tandis que dans "Au lecteur" le "ni" devant la césure est repris à un vers du "Mardoche" de Musset. Gouvard, Cornulier et Murphy identifient le rôle du trimètre dans l'évolution des césures chahutées à partir de vers de Baudelaire et Leconte de Lisle de la décennie 1850, mais ils écartent l'objection des vers non trimètres aux césures chahutés produits par Hugo, Musset et quelques autres. Or, cela prouve que le trimètre ne s'imposait pas, c'est un héritage aléatoire d'un comportement initié par Baudelaire et Leconte de Lisle, comportement qui ne fut pas systématique mais prégnant. Et cette référence au ternaire n'était pas possible à la lecture du Cromwell de Victor Hugo qui pratique quelques trimètres et quelques vers déviants sans les confondre. Hugo a ensuite associé le trimètre et les vers déviants, comme il a multiplié les exemples de trimètres, et c'est à cette aune que Baudelaire et Leconte de Lisle ont pu autant se référer au trimètre quand ils produisaient des vers aux césures chahutées.
Remise en cause dans sa précocité, Mme Blanchecotte passe d'un rang d'initiateur à un rang de suiveur de Leconte de Lisle, Banville et Baudelaire. Ses trimètres à césures chahutés ne sont plus des étapes de l'histoire de la versification, mais des imitations de Baudelaire et Leconte de Lisle, deux poètes sur lesquels resserrer l'enquête au sujet du recours au trimètre en regard de la référence hugolienne. J'ajoute que en écartant les vers de théâtre Gouvard manque les modèles verbaux mais non trimètres des configurations CP5CP6 qu'il prétend une étape intermédiaire, puisque Baudelaire se réfère au vers de "Mardoche" qui n'est pas de théâtre et au deuxième vers CP6 de Cromwell que Cornulier et Gouvard ne citent jamais comme s'il n'y avait qu'un vers P6 dans le drame de 1828.
Montrons par des citations que la correction de dates pour les vers de Blanchecotte a des conséquences sur le discours tenu dans Critique du vers. A la page 149, Blanchecotte est mise directement à la suite de Baudelaire en tant qu'initiatrice :
   Si nous examinons la morphologie des alexandrins CP6 qui apparaissent ensuite jusqu'en 1860, 39 sur 47, soit 83%, présentent ainsi un mot grammatical sur la cinquième syllabe, qui est soit une conjonction, soit un proclitique, soit, le plus souvent, une préposition. Les suites P5+C6 ou C5+C6 sont employées, respectivement, pour la première fois par Baudelaire en 1854, et par Blanchecotte en 1855 :

(17) Baudelaire 1854 A la très belle, à la très bonne, à la très chère, P5C6
        Blanchecotte 1855 Je les revois, je les reprends, je te les donne ! C5C6

La configuration C5+C6 inaugurée par Augustine-Malvina Souville, dite dame Blanchecotte, ne revient que trois fois avant l'explosion des années 1860, toujours chez Leconte de Lisle :

(18) L. de Lisle 1860 Toujours est-il qu'il s'en était débarrassé.
       L. de Lisle 1860 Jeune et vierge, je vous convie, ô jeunes hommes !
        L. de Lisle 1860 - Pieux Abbé, ne vous irritez point ainsi :

[...} 
Les dates de composition de 1860 sont à vérifier ici, elles sont à discuter comme valeurs dans le débat. Mais, on voit disparaître un trimètre ostentatoire. Aucun des trois vers de Leconte de Lisle n'est un trimètre, deux excluent même ce découpage. La lecture en 48 ne s'impose pas non plus pour deux vers, seulement pour "Pieux Abbé,..." Elle est exclue pour "Jeune et vierge,..." où la lecture 84 n'a aucun caractère d'évidence. Blanchecotte n'est plus le modèle suivi par Leconte de Lisle. La relation s'est inversée pour les deux auteurs. L'année de 1854 servait à assurer une antériorité de papier à Baudelaire, puisqu'après tout on ignore tout des états manuscrits des poèmes de Blanchecotte, mais cette fois vu que le vers de Blanchecotte est bien plus tardif, on comprend l'importance de dater l'occurrence du moment de sa publication, en principe en 1855 dans la Revue des Deux Mondes, puisque c'est cette publication qui peut avoir des suites chez les autres poètes. Gouvard et Cornulier semblent obnubilés par l'idée d'une évolution d'époque qui fait converger involontairement les poètes, alors que, plus rationnel, nous privilégions les imitations de poète à poète, et à cette aune, nous rappelons à l'attention le vers de "Mardoche" que Gouvard a résolument laissé de côté, comme si Musset n'avait été à la mode qu'un an ou deux (???) :
Mais une fois qu'on les commence, on ne peut plus
Musset s'inspirait du poète que Gouvard, Cornulier et Murphy haïssent le plus au monde, Victor Hugo :

Nous pourrons, puisqu'il nous appelle et nous invite, (Acte V)
Ni Blanchecotte, ni Leconte de Lisle, ni Baudelaire ne sont à mettre en premier pour la configuration CP5CP6.
La césure sur "ni" vient de "Mardoche" elle aussi, et comme pour "comme un(e)", Baudelaire s'inspire d'une rime et passe à la césure :
Il n'avait vu ni Kean, ni Bonaparte, ni
Monsieur de Metternich ; - quand il avait fini
Cela devient : "Quoiqu'il ne fasse ni grands gestes ni grands cris" dans "Au Lecteur" de Baudelaire, et les sources de Baudelaire étant des effets à la rime cela discrédite encore plus nettement l'idée d'une référence nécessaire à un équilibre du genre trimètre. Si Baudelaire a adouci ses audaces dans la forme d'un trimètre, c'est par choix et aussi parce que Victor Hugo jouait avec la césure des trimètres avant lui. Les analyses théoriques de Gouvard et Cornulier sont inutiles face à un tel constat de fait. Je ne cite pas la page 152 où Gouvard cite en tête d'une liste de vers le trimètre publié en 1871  "Non les honneurs, non les succès, non la fortune;" afin de montrer par des données "objectives" une évolution des césures dans le temps. Cette évolution est facile à démentir en citant des vers antérieurs laissés de côté, voire des vers contemporains, sans oublier le problème des dates de publication, vu que jusqu'à plus ample informé il n'existe pas une âme collective faisant communiquer les poètes entre eux pour bien d'une évolution harmonieuse des césures. Je rappelle que l'acclimatation dont parle Gouvard ne peut se faire que poète par poète, alors qu'il applique ce principe à l'histoire confondue de tous les vers de poètes, ce qui n'a aucun sens.
Aux pages 174-175, Gouvard cite les cinq vers qu'il a estimés déviants dans les recueils qu'il a pu lire de Blanchecotte. Remarquons qu'il a définitivement oublié de mentionner le vers avec césure à l'italienne : "... la femme veille...", qui ne correspondait pas pour une fois à un trimètre tranché de la part de l'autrice. C'est d'autant plus dommage que Gouvard prétend montrer que Blanchecotte s'émancipe de la référence au trimètre en citant un vers du Tombeau de Théophile Gautier de 1873. Or, les deux trimètres de Rêves et réalités ne furent publiés qu'en 1871 et ils sont peut-être même postérieurs aux deux vers CP6 de 1861. Gouvard perd aussi l'échelonnement dans le temps, car il devrait renoncer au receuil de 1855 pour citer en premier le recueil de 1861 Nouvelles poésies où Blanchecotte fournit trois trimètres à césure chahutée mais sur un patron préétabli par des prédécesseurs en vue Baudelaire et Leconte de Lisle, Banville subissant lui-même cette pression. En 1861, elle fournit un enjambement de mot à la césure sur trimètre comme Banville, un trimètre avec césure réelle sur le pronom "elle" et un trimètre sur locution et proclitique. Ne citons pour l'instant que les deux CP 6 :
Je restais là, bien qu'il fît froid, bien qu'il fût tard,
Elle était belle, elle t'aimait, elle est passée,
Il s'agit de trimètres à la Victor Hugo, on en trouve dans les poésies de Théophile Gautier, dans les recueils lyriques hugoliens comme dans ses drames en vers, et Baudelaire a pu donner l'idée de les rendre plus choquants avec une césure acrobatique CP6. L'analyse d'une relativisation de l'audace CP6 par l'adoucissement harmonieux du trimètre ne s'impose pas.
En 1871, Blanchecotte publie de nouveaux vers dans ce style :
Je les revois, je les reprends, je te les donne !
Non les honneurs, non les succès, non la fortune ;
Il n'y a aucune évolution de 1861 à 1871. Gouvard ratent le faux trimètre, eux aussi hugoliens :
Sors du tombeau, pays libre, vieux pays franc ;
Certes, ce premier n'est pas déviant, mais le deuxième avait une place obligée dans Critique du vers :
L'homme combat, la femme veille, l'enfant crie !
Loin de noter la souplesse d'un tel vers, Gouvard cite alors un vers du Tombeau de Théophile Gautier de 1873, mais il n'est plus que de deux ans postérieurs à deux trimètres bien nets sur les quatre exhibés, et ce vers est moins déviant que celui avec césure à l'italienne. En clair, la continuité limpide exhibée par Gouvard résulte d'erreurs importantes de relevés. Le rectificatif vaut démenti effectif de la thèse affirmée par Gouvard. Citons ce vers de Blanchecotte en 1873 à son tour :
Le char allait à ce repos : l'enterrement !
Gouvard lui applique un découpage en trimètre qui pourtant ne s'impose pas :
Le char allait à ce repos : l'enterrement !
A défaut de trimètre, il pourrait se rabattre sur l'idée d'un semi-ternaire 84 autour du double point, mais si je cite le vers suivant, vous allez encore trouver ça si évident qu'il faut parler de semi-ternaire 84 ?
L'ennemi peut signer sa paix, je n'en veux pas !
Oui, ce vers peut lui aussi être découpé en 84, mais comme vous sentez plus nettement l'effet de sens du suspens offensant à la césure, vous voyez bien que vous n'avez aucune raison de songer à un découpage 84. Il y a un suspens pour une mise en relief similaire de "repos", mais l'effet est moins vif, se fait moins sentir à la lecture.
 Il est très imprudent de parler de semi-ternaire parce que la syntaxe s'y prête.
Dans L'Art de Rimbaud, Michel Murat s'appuie sur ce qu'il estime les démonstrations de Critique du vers au sujet de l'étape intermédiaire du CP5CP6 à la césure. Le présent article dément l'établissement des données elles-mêmes, dénoncent les manques de rigueur de l'analyse et envisagent des explications concurrentes plus rationnelles et mieux charpentées historiquement. Reboul a fait une recension du livre de Murat qui suppose une acceptation de la thèse de Gouvard et Cornulier s'est appuyé sur les conclusions du livre de Gouvard qui vient d'une thèse dont il était le directeur.
Vous voulez briller à l'université en études métriques, cet article est fait pour vous.
Je vous cite un extrait de la page 193 qui témoigne de l'influence insidieuse des deux vers mal datés de Blanchecotte sur l'ensemble de Critique du vers :
[...} On pourrait considérer que les alexandrins CP6 de Theuriet, Boyer et Lacaussade offrent simplement un "rythme" ternaire, comparable à ce que faisait Baudelaire ou Blanchecotte dans les années 1850. [...}
Gouvard a décidé une fois pour toutes que les trimètres de Victor Hugo n'avaient joué aucun rôle. Il doit renoncer à l'idée d'un rôle quelconque joué par Mme Blanchecotte sur ces poètes. La base est de se reporter à Hugo, Baudelaire et Leconte de Lisle en les étudiant selon une méthode entièrement renouvelée.
Evidemment, avec deux vers datés de 1855, on pouvait supposer qu'elle les avait créés sans lire les vers de Baudelaire parus dans la Revue des deux mondes et ce problème se posait à nouveau en 1861. Blanchecotte pratique la même année que Banville un enjambement de mot à la césure, mais dans un recueil quand Banville publie son poème dans une revue. Deux fois, on suppose que Blanchecotte a agi indépendamment et n'a pas lu les vers d'un grand poète. Ce récit tombe pour l'année 1855, ce qui soulève un doute pour 1861, et ce qui supprime aussi pour l'année 1861 le point d'appui qu'offraient des antériorités fixées six ans auparavant.
Désormais, il faut se renseigner avec précision sur les dates de publication au mois et au jour près du poème "La Reine Omphale" de Banville et du recueil Nouvelles poésies de Blanchecotte.
Très soucieuse d'exhiber la reconnaissance de Lamartine ou Sainte-Beuve ou Hugo, Blanchecotte était sans aucun doute capable de composer rapidement des césures audacieuses à un moment où une publication de ses poésies approchait.
Sans réfléchir dans le vide, en tout cas, tout est remis à plat. Gouvard met même en doute que Banville ait composé son enjambement de mot en 1861, supposant que Banville essayait de faire croire à une antériorité sur Blanchecotte qu'il aurait imité. Banville a réellement publié ce vers-là en 1861 dans une revue, comme l'ont rappelé d'un côté Edwards, éditeur des poésies de Banville, de l'autre Jacques Bienvenu sur son blog Rimbaud ivre. Qui plus est, alors que l'annotation d'Edwards pose problème, Bienvenu rappelle aussi que l'enjambement de mot figurait dans l'édition originale des Exilés à la fin de l'année 1866, tandis que c'est ultérieurement que Banville y a renoncé pour une forme plus sage respectueuse de la césure : "Où je filais, d'un doigt pensif, la blanche laine". Leconte de Lisle a également renoncé à son audace pour le vers de "Kaïn" cité plus haut dans sa version du second Parnasse contemporain.
Ici, une mise au point s'impose. Banville a publié plusieurs recueils avant 1857, sinon avant 1855, et il y a eu un début de vers audacieux dans l'édition originale des Odes funambulesques en 1857. En clair, en 1861, Banville ne publiait pas de recueil, mais voulait montrer qu'il ne se laissait pas distancer par Baudelaire et Leconte de Lisle, année où Baudelaire publiait une seconde édition des Fleurs du Mal avec toujours plus de césures chahutées CP6. Il va de soi que le trimètre avec l'enjambement de mot "pensivement" est l'adaptation des trimètres CP6 à la Baudelaire qui font suite aux trimètres déjà quelque peu chahuté de Victor Hugo. Il n'y a pas que la statistique, il faut aussi de la finesse de jugement littéraire dans ces questions.
Voici ce qu'écrit Gouvard à la page 216 :

   Si je soupçonne Banville d'avoir quelque peu antidaté "La Rein Omphale", c'est aussi parce qu'il connaissait sans doute au moins l'un des deux vers suivants, parus également en 1861, et signés respectivement, Blancecotte ("Deux Soeurs", 1861 : 84) et Mendès ("Le Bénitier", 1864 : 37) :

(21) a Il me faut l'air et l'infini, le libre espace.
        b Et quand l'aurore a terrassé la messe noire,

[...}
La publication de 1861 étant avérée, et Mendès courant les patronages de grands poètes pour les revues qu'il lançait, justement la Revue fantaisiste !!! Mendès s'est inspiré de Banville. Blanchecotte et Mendès prouvent que le vers de Banville est perçu comme un trimètre et témoignent de l'évolution de souplesse du trimètre, qui n'est plus forcément alimenté en répétitions vers 1861. Toutes remarques non faites par Gouvard qui pensent que Mendès et Blanchecotte ont influencé Banville, son vers étant déplacé de 1861 à 1867...
Il est vrai que la vérification au mois près manque pour Blanchecotte, mais son vers n'en est pas moins comme celui de Banville la suite logique du trimètre CP6 de Baudelaire et Leconte de Lisle, tandis que le nombre de poètes à l'origine du trimètre CP6 se rétrécit à deux uniquement.
Je vous donne rendez-vous pour de prochains articles métriques retentissants. Je reviendrai alors sur l'enjambement du mot "l'infini" dans un vers de Blanchecotte en 1861, mais Banville n'est pas le premier. Outre qu'il faut parler de Dorimond, il y a ce vers de Pétrus Borel que ni Baudelaire ni Banville n'ignoraient :

Adrien, que je redise encore une fois !

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