lundi 2 décembre 2024

Plus personne ne me lit, mais...


Plus personne ne me lit, tant les articles s'enchaînent rapidement. Mais, bon, il faut je donne tout ce que j'ai et les curieux trouveront ici le work in progress le plus divin de la critiqe littéraire. Je donne le sens de poèmes variés de Rimbaud, je fixe l'établissement du texte, je révolutionne la compréhension de la métrique des derniers vers de Rimbaud, je refais l'histoire du vers qui vaut pour tous les poètes, pour tout l'espace littéraire francophone. L'iconographie, j'y ai participé involontairement. Je fixe les lieux de résidence de Rimbaud à Paris. Je révèle des tonnes de sources, au-delà des quelques-unes qui m'ont été pillées. Je règle les contresens sur la page liminaire d'Une saison en enfer, j'y trouve une coquille indiscutable, mais discutée par les sorts, je déchiffre un manuscrit avec une solution indiscutable, mais discutée ou accueillie avec défiance par les sorts. Je ruine les légendes de plein de recueils prétendument créés par Rimbaud.
Sur la versification, je vous montre le work in progresse avec ces copier/coller. Attention, c'est un relevé assez personnel, donc comme ça en brut il y a des vers où vous ne comprendrez pas pourquoi je les relève, vous ne devinerez l'usage que je prévois d'en faire dans un commentaire, mais je vous fais les copier/coller quand même.
Je n'ai pas de relevé en fichier informatique pour le recueil de 1852 des Poèmes antiques, mais je l'ai lu sur Wikisource et je sais déjà qu'il n'y a guère de rejets d'épithètes et que j'ai relevé d'autres profils de vers pour compenser le manque.
Attention sur les pages Wikisource le texte imprimé ne correspond pas toujours au fac-similé en miroir, il y a des coquilles et carrément des coquilles de mots ou de passages.
Le poème Surya offre des rejets d'épithètes, mais il est vers la fin du recueil et est une exception dans l'ensemble. Je rappelle que de nos jours "Surya" ouvre le volume des Poèmes barbares dans l'édition de la collection Poésie Gallimard. Ici, je cerne le contraste du poème dans un recueil daté de 1852, et comme il est vers la fin cela souligne à la fois la dominante de versification traditionnelle classique du recueil et le côté contrastif qu'il apporte en bout de course en gros.
J'avoue, j'ai laissé de côté le poème "Bhagavat" qui achèvera de me renseigner.

Elle trouble la neige errante au flanc des monts ;
(lecture d'un rejet d'épithète non obligatoire "errante au flanc des monts" est concevable.)
Qui roulent dans le sein vénérable des bois. (césure avec rejet, mais cette forme accidentée de compléments du nom enchaînés est admise chez les classiques avec Mathurin Régnier, Corneille et d'autres).
1852, dix ans après Les Cariatides, neuf ans après l'échec des Burgraves, vingt-trois ans après les Orientales et vingt-quatre après Cromwell. Leconte de Lisle ne pratique pas non plus les séparations d'auxiliaires et de participes ou si peu, ou s'il le fait c'est qu'il y a un groupe de mots enchâssés entre auxiliaire et participe passé. A ce sujet, ça se poursuit en 1855 dans Poèmes et poésies, à moins que je ne sois vraiment inattentif à la lecture.
Il y a quelques désolidarisation de semi-auxiliaires par la césure, mais de toute façon c'est classique aussi.
Notez qu'on peut lire "errante" sans le penser un rejet d'épithète.
1852, nous n'aurons Les Fleurs du Mal première fournée que de 1855 à 1857 en fait, puis la nouvelle fournée attendra 1861.
1855, Leconte de Lisle pratique la préposition "sous" à la césure, comme par hasard la préposition mise à la rime par Hugo dans Marion de Lorme, et il le fait deux fois. Et je n'ai pas encore relevé d'autres césures de ce type acrobatique dans le reste du recueil, alors que je relève aussi un "Comme" à la césure, ce qui fait encore une fois un sort à la prétendue invention baudelairienne.
Il faudra un jour que Cornulier, Gouvard ou Murphy expliquent pourquoi ils attribuent des inventions à Baudelaire alors qu'ils savent très bien que Victor Hugo lance la mécanique dans ses vers de théâtre et que cela a débordé quelque peu dans la poésie lyrique aussi.
Et les vers de 1855 révèlent un Leconte de Lisle à l'école de Chénier avec de premiers rejets d'épithètes, dont un monosyllabique, avec plein de rejets verbaux à la césure ou à l'entrevers, avec des rejets de groupes prépositionnels circonstanciels ou compléments : "au vent", "d'insectes" ou je ne sais plus. le conte de Lisle pratique le rejet des épithètes coordonnés par deux, et il pratique aussi le rejet traînant d'épithète postposé flanqué du "et". Il y a un superbe effet de calembour sur la "lenteur" citée des "éléphants" dans le poème de ce nom.
Il y a des systèmes de mise en relief sur plusieurs vers qu'il faudra que je commente.
Et comme tout cela n'était pas pratiqué dans le recueil de 1852, ça fait un excellent support d'artiste pour constater une mutation dans la manière de versifier d'un poète.
On voit apparaître chez Leconte de Lisle les groupes prépositionnels en suspens devant la césure, ceux de deux ou trois syllabes.
Au passage, il faudra parler aussi de la différence d'un contre-rejet de deux syllabes à la césure ou à l'entrevers. Dans mon souvenir, les traités rhétoriques dénoncent le contre-rejet de deux syllabes à la fin du vers, pas forcément à la césure, et c'est compréhensible, c'est pour cela que je relève des vers où "pareil" est à la rime ou à la césure, pour me donner un échantillon sur lequel je vais méditer ensuite, travail encore en cours pour précision.
J'ai remarqué aussi qu'au tout début du recueil de 1852 un poème de Leconte de Lisle était finalement le modèle initial suivi par Léon Dierx en matière de répétition de vers, et Leconte de Lisle pratique aussi le faux-quintil, le quatrain augmenté du premier vers répété comme Baudelaire.
Et puis, Leconte de Lisle, il sait écrire, il y a plein de choses à dire sur ses vers. Il dit des trucs fascinants parfois, et je n'apprécie pas toujours ses rejets d'épithètes, mais les autres effets métriques il fait des choses très fines, très significatives et en même temps parfaitement développées mélodiquement. Ce n'est pas n'importe qui !
Ci-dessous un copier/coller long, mais il annonce bien la couleur !
Je mets un peu de copier/coller de Racine et Corneille plus bas, normalement, vous allez intuitivement sentir qu'un discours sur le traitement du vers évoluant selon les époques peut se mettre en place avec vraiment de quoi alimenter la réflexion, et sans être des billevesées dérisoires. Je ne peux pas tout vous mettre, mais je vous mets des échantillons à comparer. Par exemple, pour le rejet de "au vent", paf un petit constat à faire du théâtre hugolien à la poésie de Leconte de Lisle...
C'est une mine d'or pour écrire plein de chapitres de critique littéraire ce qu'il y a en-dessous, et je ne vous mets pas les photos des cahiers de brouillon où j'ai d'abord recopié plein de vers. Je passe au copier/coller, ça va plus vite.


Leconte de Lisle Poèmes et Poésies

 

À MADAME A. S. M.

 

D’étroits rayons filtraient à travers les feuillages.

Un arome léger d’herbe et de fleurs montait ;

Un murmure infini dans l’air subtil flottait :

Chœur des Esprits cachés, âmes de toutes choses,

Qui font chanter la source et s’entr’ouvrir les roses ;

L’aube vive dardait sa flèche de lumière ;

Et l’île, rougissante et lasse du sommeil,

Chantait et souriait aux baisers du soleil.

 

ÇUNACÉPA.

 

Elle baigne le mont bleuâtre aux lignes calmes,

Les oiseaux au col rouge, au corps de diamant,

Tout s’éveille, vêtu d’une couleur divine,

Tout étincelle et rit : le fleuve, la colline,

Le bambou grêle sonne au vent ; les mousses hautes

Entendent murmurer leurs invisibles hôtes ;

L’abeille en bourdonnant s’envole ; et les grands bois,

Épais, mystérieux, pleins de confuses voix,

Où les sages plongés dans leur rêve ascétique,

Ne comptent plus les jours tombés du ciel antique,

Sentant courir la sève et circuler le feu,

Se dressent rajeunis dans l’air subtil et bleu.

C’est ainsi que l’Aurore, à l’Océan pareille,

Disperse ses rayons sur la terre vermeille,

Comme de blancs troupeaux dans les herbages verts,

Et de son doux regard pénètre l’univers.

Elle conduit au seuil des humaines demeures

Et croisant ses deux pieds sous sa cuisse, l’œil clos,

Immobile et muet, il médite en repos.

Le riz, le lait caillé, la banane et la datte ;

Ses trois fils. L’aîné siége à droite, le plus jeune

À gauche. Le dernier rêve, en face, et fait jeûne.

Et qu’on entend, aux bords du fleuve aux claires eaux,

Les caïmans joyeux glapir dans les roseaux.

Dans l’espace azuré monte, grandit et plane.

Tout bruit décroît ; l’oiseau laisse tomber ses ailes,

La fleur languissamment clôt sa corolle d’or

Mais voici que le long du fleuve, par milliers,

Des chars tout hérissés de faux roulent derrière

Le vieux Maharadjah, roi des hommes, pareil

Au magnanime Indra debout, dans le soleil,

Devant le seuil rustique où le Brahmane siège,

S’arrête, environné du belliqueux cortège.

Et du ressentiment des dieux sauve la terre.

Car Indra, que mes pleurs amers n’ont point touché,

Et se meut dans le monde et les intelligences,

Dût la terre, semblable à la feuille des bois,

Palpiter dans la flamme et se tordre aux abois.

Et la femme sentant frémir toute sa chair,

Permets, Maharadjah, que tout un jour encor

Je vive. Quand, demain, dans la mer pleine d’or

Sourya d’un seul bond poussera ses cavales,

Je serai prêt. — C’est bien, dit le Roi. — Les cymbales

Résonnent, l’air s’emplit du bruit strident des chars,

Hennissements et cris roulent de toutes parts ;

Et remontant le cours de la sainte rivière

Tous s’en vont, inondés de flamme et de poussière.

Mes jours seront pareils aux feuilles de l’érable

Se blottir aux rameaux assouplis des palmiers,

A senti tant de fois palpiter sa poitrine ;

Cimes des monts lointains, vastes mers aux flots bleus,

Ô fleur épanouie aux baisers de l’amour,

Auprès de qui le monde immense n’était rien !

Puis, d’une voix pareille aux chansons des oiseaux

Tu lui dis de ta bouche humide, aux couleurs vives :

L’antilope aux jarrets légers courait moins vite.

Plus que mon père et plus que ma mère elle-même !

Lui, devant tant de grâce et d’amour hésitant,

Se taisait, le front sombre et le cœur palpitant.

Quand ils rayonnent sous ta noire chevelure ;

Qu’un baiser du soleil enflamme à peine éclose,

Il souleva ce corps charmant entre ses bras,

Il réchauffa son front blanc sous ses noires tresses.

Elle entr’ouvrit les yeux, et des larmes amères,

Brûlantes, aussitôt emplirent ses paupières :

Je connais les sentiers étroits, mystérieux,

Çunacépa, pensif, et se baissant vers elle,

La regardait. Jamais il ne la vit si belle,

Avec ses longs yeux noirs de pleurs étincelants.

Je suis inoffensif et vieux, si ce n’est sage.

Je fis pleuvoir sanglants des lambeaux de sa chair ;

Et moi, comme un roc lourd roulant de cime en cime,

Je crus mourir. Enfants, je suis l’antique roi

Des vautours. J’ai pitié de vous ; écoutez-moi.

Dont les austérités terribles font un dieu.

Son char d’ébène et d’or, attelé de cavales

De jais, et dont les yeux sont deux larges opales ;

Tranquille, et déroulant au souffle harmonieux.

De l’espace, au dessus de son front glorieux,

Sa guirlande étoilée et l’écharpe des nues,

Descendit dans les mers des Dêvas seuls connues.

A travers la forêt profonde et murmurante,

Et laisse, du sommet des immenses feuillages.

Par les sentiers de mousse épaisse et de rosiers.

Où les lézards aux dos diaprés, par milliers.

Rôdent furtifs et font crier la feuille sèche ;

Et quand le jour, tombant des cimes du ciel bleu,

Ses yeux creux que jamais n’a fermés le sommeil

Luisaient ; ses maigres bras brûlés par le soleil

Pendaient le long du corps ; ses jambes décharnées.

nextricable amas de ronce, noir réseau

De fange desséchée et de fientes d’oiseau,

Et nourri de son sang inerte. C’est ainsi

Que gardant à jamais sa rigide attitude,

Çanta, le sein ému d’une pieuse horreur,

Frémit, mais le jeune homme, aguerrissant son cœur.

Parla, plein de respect : — Viçvamitra, mon père,

Je ne viens point à toi dans une heure prospère :

Le destin noir me suit comme un cerf aux abois.

Réponds donc. Si le roi des vautours a dit vrai,

Et l’Ascète immobile écoutait sans paraître

Entendre. Et le jeune homme étonné reprit : — Maître,

— Réjouis-toi mon fils ! Bien qu’il soit vain de rire

Ou de pleurer, et vain d’aimer ou de maudire.

Alors Çanta, les yeux étincelants : — Oh ! non,

Maître ! non, non ! tu veux éprouver son courage !

Mon père vénérable et cher ! vivre est si doux !

Puissent les dieux qui t’ont donné la foi suprême

Telle Çanta, le front prosterné, sanglotait.

Et l’Ascète, les yeux dans l’espace, écoutait :

D’où vient que tout mon corps frémit, et que mes veines

C’est assez, j’ai vécu. Pour toi, femme, pareille

À l’Apsara qui court sur la mousse vermeille,

Aussitôt dans la nue un bruit éclatera

Terrible, et tes liens se briseront d’eux-mêmes ;

Et si tu veux souffrir encore, tu vivras !

Dix colonnes d’argent portent le large faîte

Du trône où des festons brodés de diamants

Pendent aux angles droits en clairs rayonnements.

Surmonté d’un pilier d’airain et d’un bœuf blanc

Le Brahmane qui doit égorger la victime

Et dans la plaine immense un peuple infini roule

Comme les flots. Le sol tremble au poids de la foule.

Le jeune homme au front ceint de lotus, calme et pâle,

Il est libre ! À travers la foule épouvantée,

Aussitôt le soleil rayonne, et sur le flanc

Un étalon fougueux, dont tout le poil est blanc,

Tombe, les pieds liés, hennit, et le Brahmane

Offre son sang au dieu de qui la foudre émane.

Les bengalis au bec de pourpre, aux ailes fines,

Autour du miel des fleurs, les essaims familiers,

Délaissant les vieux troncs aux ruches pacifiques,

S’empressaient ; et partout, sous les cieux magnifiques,

Avec l’arome vif et pénétrant des bois,

Montait un chant immense et paisible à la fois.

Odes anacréontiques

 

LES LIBATIONS

 

Mollement couché, j’assouplis ma voix.

Ma coupe d’onyx d’un flot de vin vieux.

 

LA COUPE.

 

LA TIGE D’ŒILLET.

 

Il fuit à travers les sombres taillis,

À travers les prés il m’entraîne et vole.

 

LE SOUHAIT.

 

LA CAVALE.

 

Tu hennis au bord du fleuve mouvant,

 

LE PORTRAIT.

 

Qu’une pourpre fine, agrafée au dos,

Flottante, et parfois entr’ouverte, inonde

Son beau corps plus blanc que le pur Paros ;

 

L’ABEILLE

 

— Ma mère, un petit serpent m’a blessé

 

LA CIGALE

 

Ô cigale, née avec les beaux jours,

 

LA ROSE.

 

La rose est le souffle embaumé des dieux.

L’air bleu devient rose et roses les bois ;

La bouche et le sein des nymphes sont roses !

Qui dans les halliers humides te cueille !

Quand de la mer bleue Aphrodite éclose

 

**

 

LE VASE.

 

Reçois, pasteur des boucs et des chèvres frugales,

Ce vase enduit de cire, aux deux anses égales.

Avec l’odeur du bois récemment ciselé,

Le long du bord serpente un lierre entremêlé

D’hélichryse aux fruits d’or. Une main ferme et fine

A sculpté ce beau corps de femme, œuvre divine,

Qui du péplos ornée, et le front ceint de fleurs,

Se rit du vain amour des amants querelleurs.

 

Une vigne, non loin, lourde de grappes mûres,

Ploie. Un jeune garçon, assis sous les ramures,

La garde. Deux renards arrivent de côté

Et mangent le raisin par la pampre abrité ;

 

PHIDYLÉ.

 

Repose, ô Phidylé : Midi sur les feuillages

       Rayonne, et t’invite au sommeil.

 

Les taillis sont muets ; le daim, par les clairières,

       Devant les meutes en abois

Ne bondit plus : Diane, assise au fond des bois,

       Polit ses flèches meurtrières.

 

Et les Nymphes, au seuil de leurs grottes de lierre,

       En pâliront, le cœur troublé.

 

FULTUS HYACINTHO.

 

Tel que Zeus, sur les mers portant la vierge Europe,

Une blancheur sans tache en entier l’enveloppe.

Sa corne est fine, aux bouts recourbés et polis ;

Ses fanons florissants abondent à grands plis ;

Une écume d’argent tombe à flots de sa bouche.

Et de longs poils épars couvrent son œil farouche.

 

LES ASCÈTES.

 

Pâle, la main sanglante et le cœur plein d’ennuis,

D’une vague terreur troublant ses longues nuits,

Il écoutait, couché sur la pourpre romaine.

Dans un sombre concert gémir la race humaine ;

Et, tandis que la Louve aux mamelles d’airain

Dormait, le dos ployé sous son pied souverain.

Il affamait, hâtant les jours expiatoires,

Les lions de l’Atlas au fond des vomitoires.

 

Cri d’allégresse et cri d’angoisse, voix terrible

D’amour désespéré vers le monde invisible.

Vers la gloire des cieux éternels déployons

Je vous salue, amants désespérés du ciel !

Vous disiez vrai : le cœur de l’homme est mort et vide,

Et votre âme, en brisant l’enveloppe mortelle,

 

Comme un rayon léger qui remonte au ciel bleu,

S’est-elle réunie à la splendeur de Dieu ?

 

LES JUNGLES.

 

La bête formidable, habitante des jungles,

S’endort, le ventre en l’air, et dilatant les ongles.

De son mufle marbré qui s’ouvre un souffle ardent

Fume ; la langue rude et rose va pendant ;

Il dort tout un soleil sous l’immensité bloue.

Le vent passe au sommet des herbes ; il s’éveille.

Jette un morne regard au loin, et tend l’oreille.

 

LES HURLEURS.

 

La queue en cercle sous leurs ventres palpitants,

L’œil dilaté, tremblant sur leurs pattes fébriles,

Accroupis çà et là, tous hurlaient, immobiles,

Et d’un frisson rapide agités par instants.

De longs poils qui laissaient les vertèbres saillir ;

J’entends toujours, du fond de mon passé confus,

 

LES ÉLÉPHANTS.

 

Le sable rouge est comme une mer sans limite,

Une ondulation immobile remplit

L’horizon aux vapeurs de cuivre où l’homme habite.

Pas un oiseau ne passe en fouettant de son aile

L’air épais où circule un immense soleil.

 

Celui qui tient la tête est un vieux chef. Son corps

Est gercé comme un tronc que le temps ronge et mine ;

Sa tête est comme un roc, et l’arc de son échine

Se voûte puissamment à ses moindres efforts.

 

Et leur sueur dans l’air embrasé monte en brume,

Et bourdonnent autour mille insectes ardents.

 

Mais qu’importent la soif et la mouche vorace,

Et le soleil cuisant leur dos noir et plissé ?

 

Aussi, pleins de courage et de lenteur ils passent

Comme une ligne noire, au sable illimité ;

 

LE DÉSERT.

 

Tout rêveur, haletant de vivre, s’est couché,

**

Racine

 

La Thébaïde

 

Il devoit bien plûtoſt les fermer pour jamais, (Iocaste)

Apres ceux que le Pere & la Mere ont commis :

**

Corneille

 

Mélite

 

Je te l’avoue, ami, mon mal est incurable ; (I, 1, Eraste, vers 1)

Que je te trouve, ami, d’une humeur admirable ! (I, 1, Tircis)

Laisse aller tes desseins ailleurs pour l’hyménée. (idem)

Et l’Amour, qui ne put entrer dans son courage, (I, 1, Eraste)

Que tu seras forcé toi-même à reconnoître (idem)

De deux amis, Madame, apaisez la querelle. (I, 2, Eraste)

Faites mieux : pour finir vos maux et votre flamme, (I, 2, Mélite)

Cette légère idée et foible connoissance (I, 2, Eraste)

Voilà fort doucement dire que sans ta foi

Ma beauté ne pourroit te conserver à moi. (I, 4, Cloris)

Ma passion en est la cause, et non l’effet ; (I, 4, Philandre)

Regarde dans mes yeux, et reconnois qu’en moi

On peut voir quelque chose aussi parfait que toi. (I, 4, Philandre)

Cependant, en faveur de ma longue souffrance… (I, 4, Philandre)

(Cloris) Ta belle humeur te tient, mon frère. (Tircis) Assurément. (I, 5)

Ma foi, si ton Philandre avoit vu de mes yeux,

Tes affaires, ma sœur, n’en iroient guère mieux. (I, 5, Tircis)

Te laisse à la merci d’Amour et de la brune. (I, 5, Tircis)

C’est donc ainsi qu’on quitte un amant pour un frère ! (I, 5, Philandre)

Philandre, avoir un peu de curiosité, (I, 5, Cloris)

Souffre que je dérobe un moment à ma flamme,

Pour lire malgré lui jusqu’au fond de son âme.

Nous en rirons après ensemble, si tu veux. (I, 5, Cloris)

Et pour moi, qui depuis que je vous ai servie (variante Acte I)

Encor cette légère et foible connoissance. (variante, Acte I)

Je recherche par où tu me pourras déplaire. (variante, Acte I)

Qu’à la fin j’en aurai trop de présomption. (variante, Acte I)

D’avoir tant pris de peine et souffert de tourment, (variante, Acte I)

C’est que, te défiant de mon affection,

Tu la veux acquérir par une flatterie. (variante, Acte I)

Philandre, ces propos sentent la moquerie, (variante, Acte I)

Épargne-moi, de grâce, et songe, plus discret,

Qu’étant belle à tes yeux, plus outre je n’aspire. (variante, Acte I)

Que tu sais dextrement adoucir mon martyre ! (variante, Acte I)

Prends-le sans demander, poltron, pour un baiser

Crois-tu que ta Cloris te voulut refuser ? (Cloris, variante, Acte I)

Encore n’est-ce pas trop mal passé son temps. (variante, Acte I)

Je pense ne pouvoir vous être qu’importun, (variante, Acte I)

Philandre, d’un baiser scelle encor tes adieux. (variante, Acte I)

Qu’elle ne craint ici ta langue, ni tes yeux. (variante, Acte I)

Vous ayant pu servir deux ans, et davantage, (II, 2, Eraste)

Encor si peu que c’est vous étant refusé, (II, 2, Mélite)

C’est là donc ce qu’enfin me gardoit ton caprice ? (II, 3, Eraste)

Ma sœur, un mot d’avis sur un méchant sonnet

Que je viens de brouiller dedans mon cabinet. (II, 3, Tircis)

Comme tu la ressens peut-être dans ton âme ? (II, 3, Cloris)

Pauvre frère, vois-tu, ton silence t’abuse ; (II, 3, Cloris)

Ce que depuis huit jours je brûlois de savoir. (II, 3, Cloris)

Pour Mélite, et de plus que ta flamme n’excite (II, 3, Cloris)

Voilà bien des détours pour dire, au bout du conte,

Que c’est contre ton gré que l’amour te surmonte. (II, 3, Cloris)

C’est seulement alors qu’il n’y va rien du nôtre. (II, 3, Cloris)

Il rend depuis deux ans hommage à son mérite. (II, 3, Tircis)

Donnez-vous patience,

Monsieur; il ne nous faut qu’un moment de loisir, (II, 4, Cliton)

Te rendre

Ce sonnet que pour toi j’ai promis d’entreprendre. (II, 5, Tircis)

Aussi j'ai seulement pour vous un peu de honte. (II, variante)

(Tircis) Mais il faut redouter une mère. (Cloris) Aussi peu. (II, variante)

Mais avec ton message

Tâche si dextrement de tourner son courage. (II, variante)

Mais tu reviens bientôt, est-ce fait ? clit. Patience,

Monsieur ; en vous donnant un moment de loisir,

Il ne tiendra qu’à vous d’en avoir le plaisir. (II, variante)

De tourner ce qu’elle a de flamme vers son frère. (II, variante)

Tu l’as gagné, Mélite ; il ne m’est pas possible (III, Philandre)

Leur attente vaut mieux, Cloris, que tes caresses. (III, Philandre)

Ou que s’il m’en demeure encore un peu dans l’âme,

Je souhaite en faveur de ce reste de foi

Tu n’as pas mal choisi ; mais…

 

 

TIRCIS.

 

Quoi, mais ?

 

 

PHILANDRE.

 

T’aime-t-elle ?

Cela n’est plus en doute.

 

 

PHILANDRE.

 

Et de cœur ?

 

 

TIRCIS.

 

Et de cœur,

Je t’en réponds.

 

 

PHILANDRE.

 

Souvent un visage moqueur

N’a que le beau semblant d’une mine hypocrite.

Tiens, vois ce que tu peux désormais t’en promettre. (III, Philandre)

Te voilà tout rêveur, cher ami ; par ta foi,

Crois-tu que ce billet s’adresse encore à toi ? (III, Philandre)

Quoi, tu passes, Philandre, et sans me regarder ? (III, 6, Cloris)

Philandre, tu n’es pas encore où tu prétends ; (III, 6, Cloris)

T’a laissé dérober sur ses yeux, sur sa bouche,

Sur sa gorge, où, que sais-je ? tirs. Ah ! ne présume pas

Que ma témérité profane ses appas, (III, variante)

Et quand bien j’aurois eu tant d’heur, ou d’insolence.

Je n’en veux et n’en ai point d’autre que sa foi .

C’est par là qu’il t’en plaît ? oui-da ; j’en ai reçu

Encore une, qu’il faut que je te restitue.

tirs. Dépêche, ta longueur importune me tue. (1633-1657)

Remplissent de bonheur Philandre, et moi de rage,

Il a deux fois le bien de l’autre, et davantage. (IV, I, La Nourrice)

Peut-être elle t’en veut dire quelque nouvelle. (IV, 1, La Nourrice)

C’est l’homme qui de tous la mérite le moins (IV, 2, Cloris)

Vous ne vous trompez pas.

 

 

MÉLITE.

 

Donc, pour mieux me railler272,

La sœur de mon amant contrefait ma rivale ?

 

 

CLORIS.

 

Donc, pour mieux m’éblouir, une âme déloyale273

Contrefait la fidèle ? Ah ! Mélite, sachez

Que je ne sais que trop ce que vous me cachez.

Nous pourrions demeurer ici jusqu’à demain,

Je veux que, si jamais j’ai dit mot à Philandre…

Quoi ! son frère au cercueil !

 

 

LISIS.

 

Oui, Tircis, plein de rage

De voir que votre change indignement l’outrage.

Maudissant mille fois le détestable jour

Que votre bon accueil lui donna de l’amour,

Dedans ce désespoir a chez moi rendu l’âme,

Et comme si c’étoit trop peu pour me venger, (IV)

Tu m’oses donc flatter, infâme, et tu supprimes (IV, 6)

Falsifié, trahi, séduit, assassiné :

Je ne l’avois pas su, Parques, jusqu’à ce jour,

Que vous relevassiez de l’empire d’Amour ;

Vous ne me rendez pas Mélite qui n’est plus ;

Et que de ma main propre une âme si fidèle

Reçoive… Mais d’où vient que tout mon corps chancelle ?

Que de pointes de feu se perdent parmi l’air !

Et pour leur obéir son sein me recevant

M’engloutit, et me plonge aux enfers tout vivant.

Je vous entends, grands Dieux : c’est là-bas que leurs âmes

Aux champs Élysiens éternisent leurs flammes ;

C’est là-bas qu’à leurs pieds il faut verser mon sang :

La terre à ce dessein m’ouvre son large flanc,

Et jusqu’aux bords du Styx me fait libre passage ;

Mais la faute n’en est qu’au crédule Philandre ;

Je te laisse impuni, traître : de tels remords (IV, Philandre)

C’est assez que je passe une fois pour trompeur. (IV, Lisis)

Dont les plus dangereux et plus rudes assauts (IV, Cloris)

Son ami plus intime et son plus familier ! (IV, variante)

Tu m’oses donc flatter, et ta sottise estime

M’obliger en taisant la moitié de mon crime ? (IV, variante)

J’ignorois que, pour être exemptes de ses coups,

Je fis à mon défaut combattre son ennui,

Son deuil, son désespoir, sa rage, contre lui.

Souvent on ne rencontre à gagner que des coups : (IV, variante, Cliton)

Il n’en aura que trop d’Éraste, de ses crimes. (IV, variante)

Arrêtez, arrêtez, poltrons !

 

 

CLITON.

 

Adieu, Nourrice : (V, 1)

Souvenir rigoureux, trêve, trêve un moment ! (V, 2, Ergaste)

Je vois déjà Mélite. Ah ! belle ombre, voici

L’ennemi de votre heur qui vous cherchoit ici : (idem)

Ne m’importune plus, Philandre, je t’en prie ; (V, 3, Cloris)

Je ne veux point devoir mon bien à ses froideurs. (V, 3, Cloris)

Adieu ; je ne veux plus avoir d’autre espérance, (V, 3, Philandre)

Tu railles, mais bientôt nous verrons d’autres jeux :

Mais tu ne me dis mot, ma vie ; et quels soucis

T’obligent à te taire auprès de ton Tircis ? (V, 4, Tircis)

Que serois-tu d’avis de lui répondre ?

 

 

TIRCIS.

 

Écoute

Quatre mots à quartier(V)

Regardez, acceptant le pardon, ou l’oubli,

Et puisque c’est de là que vos félicités…

Entrons donc ; et tandis que nous irons le prendre,

(Mélite) Recevoir le refus d’un autre ! à Dieu ne plaise ! (variante)

clor. À force de baiser vous m’en feriez envie :

Trêve. tirs. Si notre exemple à baiser te convie, (variante)

Sachez donc que, sitôt qu’il a vu son méconte, (Cloris, variante)

Thétis court au-devant de ses embrassements.

Mais de peur qu’il n’en fasse autant que l’autre a fait,

/Promets-le-moi, sinon…/

**


CorneilleSuite

 

Le Menteur

 

Vous ferez en une heure ici mille jaloux. (I, 1, Cliton)

Et vous vous ennuyez déjà d’être inutile ! (I, 1, Cliton)

À ne rien déguiser, Cliton, je te confesse (I, 1, Dorante)

Le climat différent veut une autre méthode ; (I, 1, Dorante)

Comme l’intention seule en forme le prix, (I, 2, Dorante)

Tais-toi.

 

CLITON.

Vous rêvez, dis-je, ou…

 

DORANTE.

Tais-toi, misérable.

Vous en revîntes hier.

 

DORANTE, à Cliton.

Te tairas-tu, maraud ?

Je vous vis, et je fus retenu par l’amour.

Adieu.

 

DORANTE.

Quoi ? me priver sitôt de tout mon bien !

Il faut que nous fassions seules deux tours d’allée.

C’est Lucrèce, ce l’est sans aucun contredit :

Quoi ! sur l’eau la musique, et la collation ?

 

ALCIPPE, à Philiste.

Oui, la collation avecque la musique.

Sur l’eau ?

 

ALCIPPE.

Sur l’eau.

 

DORANTE.

Souvent l’onde irrite la flamme.

Quelquefois.

 

DORANTE.

Et ce fut hier au soir ?

 

ALCIPPE.

Hier au soir.

On le dit.

 

DORANTE.

Fort superbe ?

 

ALCIPPE.

Et fort bien ordonnée.

Tais-toi ; si jamais plus tu me viens avertir…

Dont on pouvoit nommer les douceurs infinies.

N’eût pas troublé sitôt ma petite fortune ;

On leur fait admirer les bayes qu’on leur donne,

Vous allez au delà de leurs enchantements :

Cette perfection est rare, et nous pouvons (I, variante)


**


Marion de Lorme

 

Médisants, curieux, indiscrets, brouillons ; mais

Nous bavardons toujours et ne parlons jamais. –

 

Venir à Blois filer l’amour avec un rustre !

Avant que d’achever ce pas, je me suis dit :

 

Si bien que me voici, jeune encore, et pourtant

Vieux, et du monde las comme on l’est en sortant ;

 

(M) Je ne puis. Jamais. (D) L’offre était peu généreuse

(cris) A l’aide ! au meurtre (D) C’est quelqu’un qu’on assassine…

 

– La porte, c’est-à-dire à la fenêtre, - Non,

Il ne sera pas dit qu’un homme de mon nom

Monsieur ? Didier Didier de quoi ? Didier de rien.

[…] Vous êtes brusque mais

Je vous dois d’être en vie, et s’il vous faut jamais

[…]

Enfin, Caussade avec Latournelle, pour rien

De tous ces duels. Qu’en dit le roi ? Le cardinal

Pas de nouvelles ? - Mais, un miracle, un prodige,

De qui ? De Marion de Lorme de la belle

Des belles

 

Mais il peut bien l’aller trouver chez elle.

Non.

Elle a changé depuis de logis et de nom.

Il nomme à tout propos les choses peur leur nom.

Comme si ces esprits fameux avaient laissé

Deux mots ; A l’épée ? Oui.

Ecoutez, messieurs ! / …Roi de France et de Navarre…

De renoncer au duel ? / Mais c’est très sage. / Oui, mais

Que les vilains qui soient faits pour être pendus.

[…] cela ne peut suffire en somme

[…]

Une épée ! / Il n’a pas d’épée ! Ah pasquedieu,

 

Un bon duel ! C’est charmant ! / Mais où nous mettre ? / Sous

Ce réverbère.

 

[…]

D’une botte poussée en tierce, qui d’abord

A rompu le pourpoint, puis s’est fait une voie

Entre les côtes, par le poumon, jusqu’au foie

[…]

Mal parler d’un ami défunt, c’est sans excuse !

Qu’il est des duels que nul ne peut répudier !

Mais s’aller battre avec je ne sais quel Didier !

Monseigneur / Laissez donc tranquille, votre maître !

Retour rapproché rime Didier.

C’est le sceau de l’état. – Oui, le grand sceau de cire

Rouge.

Ma destinée

Marche, et brise la vôtre

Contre ma colère… Ah ! cet homme, il vous dit : Tu !

On appelle dona Chimène dans la grange…

Monsieur, je prends congé de vous… Ah ! vous voilà,

En Espagnole, - avec une basquine verte…

C’est elle ! Marion de Lorme ! Je le tiens !

Faisons vite garder la porte. Il faudra bien

Que je démêle après le faux comédien.

 

C’est monsieur ? Dites-moi… - Mais c’est singulier comme

Il me regarde… Allons, mais c’est lui, c’est mon homme.

Vous trouvez ? / C’est pour vous, dites, qu’elle fit faire

C’est honorable ; et puis cela donne bon air ;

C’est de bon goût ; et si de vous quelqu’un s’informe,

Est-il là ? / Sans doute. Hé ! fais-moi le voir ! / C’est moi.

Tu chantes faux, à rendre envieuse une orfraie !

Mais j’en fais une avec monsieur le cardinal ;

Bonne nouvelle, mais prêtez-moi votre escorte.

Ah madame ! régnez au bal, brillez aux fêtes,

[…] S’il n’était pas mort, certe,

Je ne dis pas… mon cœur n’est pas de roche,… et si…

Est-ce bien là Gaspard de Saverny ? Comment

Pouvez-vous en douter […]

De quel droit ? Demandez compte à son éminence.

Rire de mon deuil ! / Ah ! monsieurs, tous ces muguets !

Prenez garde qu’un jour je ne veuille plus, moi !

Comme elle y va. / C’est un refus ? / Mais je suis vôtre.

Plusieurs suspensions de paroles après « pour… »

Marion, chez Louis-le-Chaste, c’est charmant !

Oui-dà, monsieur, c’est très-spirituel, vraiment !

Se précipitent. Moi, je suis pour les Français

[…] Toutes

De mes amis ! […]

Cet homme fait le bon mauvais, le mauvais pire.

Viens ! – Toi qui n’as jamais peur de ma majesté,

 

Lui, voyez déjà, comme en litière on le traîne !...

 

[…] en somme

J’en suis.

 

Tant pis ! cela fera plaisir à Bellegarde.

O Didier ! la dernière espérance est éteinte !

 

Laisse-moi pure. / Donc je n’ai plus qu’un service

Tiens vous prenez cela froidement. L’intérêt

[…]

Vint de moi ; vous viviez heureux. Il m’a suffi

La porte est basse, et nul n’y passe avec sa tête !

On veut notre tête ? hé ! pour n’être pas en faute,

Richelieu va venir voir comme on exécute

Ses ordres.

Vite ! / Rien ne presse. / Ah ! l mort est à la porte !

Souvent le mal, et puis,

Que je le broie ici, que je l’écrase comme

Ceci ! […]

Didier ! Didier ! c’est vous par moi ! […]

L’heure passe. / Ah ! le temps marche, et l’instant s’envole !

Vous m’avez réprouvée et maudite, et c’est bien,

Vous bénit ; mais voici l’heure où le bourreau vient,

Veux-tu me prendre, avec mes crimes expiés

Marquis de Saverny ? / Réveillez-le ! / Mais comme

Il dort. ! […]

Hé bien non ! mon cœur se brise ! c’est horrible !

Et t’afflige

Par moi.

 

 

 

 

 

Les Burgraves

 

La fille à je ne sais quel horrible bandit.

 

En haut, en bas, cribles de coups, baignés de sang,

 

Et vous le savez bien. — Oh ! les femmes vraiment

Sont cruelles toujours, et rien ne leur plaît comme

De jouer avec l'âme et la douleur d'un nomme ! —

 

Venir, à toi, la vie au front, la joie au cœur,

 

Il me semble qu'on a parlé de Barberousse,

Il me semble qu'on a loué ce compagnon.

Rien n'a vaincu, rien n'a dompté, rien n'a ployé

 

Si rien, en méditant vos actions passées,

Ne trouble vos cœurs, purs comme le ciel est bleu,

 

Fraîche, rose, le front joyeux, l'air triomphant.

 

N'est-ce pas?

 

Régina.

Je lui dois la vie.

 

Job.

Avant ma chute,

J'étais pareil à lui ! grave, pur, chaste et fier

Comme une vierge et comme une épée.

Il va à la fenêtre.

Ah ! cet air

Est doux, le ciel sourit et le soleil rassure.

 

Que tout ira bien. Puis vous reviendrez me voir[U1] ,

 

J'ai démembré Henri-le-Lion de mes mains,

Fils méchants, vous pillez la-mère à l'agonie!

Elle pleure, et, levant au ciel ses bras roidis,

Sa voix faible en râlant vous dit : Soyez maudits!

 

Grande jeunesse; mais perversité plus grande.

 

Empereur, qui ne sais pas même à qui tu parles,

 

Le nouveau siècle à tout submergé ! mais ses flots

N'ont point couvert nos fronts, parce qu'ils sont trop hauts!

 

Demain, je n'aurai plus de fils, plus de vassaux.

 

Mon burg est mort; mon fils est vieux; ses fils sont traîtres ;

Mon dernier-né ! — je l'ai perdu ! — dernier trésor !

 

Toi, mon fils ! — Ne fais pas ce rêve ! — Je te jure...

 

Et tu me dis : A toi la tombe! à moi l'enfer !

 

C'est un vrai sage, pur de haine, exempt d'erreur.

**

Dorimond, L’Ecole des cocus ou la précaution inutile, comédie, 1656, Acte unique, scène 4, vers 141-142).

 

Le Docteur

 

Il faut donc que je jette un œil de Galien,

Pour cela, dans son dispotaire féminin.

 

 

Athalie, Acte II, scène 7)

 

Athalie :

[…]

A ma table, partout à mes côtés assis,

Je prétends vous traiter comme mon propre fils.

 

Joas :

Comme votre fils ?

 

Athalie :

Oui… Vous vous taisez ?

 

Joas :

Quel père

Je quitterais ! et pour…

 

Athalie :

Eh bien ?

 

Joas :

Pour quelle mère ?

 

**

 

Molière L’Etourdi ou les contretemps (Acte I, scène 6) 1653, 1658 ou première édition 1663 :

 

Mascarille :

[…]

Mais j’avais médité tantôt un coup de maître

Dont tout présentement je veux voir les effets,

A la charge que si…

Lélie :

Non, je te le promets,

De ne me mêler plus de rien dire ou rien faire.

 

***

 

Je rêvais, comme si j’avais, durant mes jours, (« Mon enfance ») Hugo.

 

**

 

Cromwell, Hugo, 1827

 

« Demain, vingt-cinq juin mil six-cent-cinquante-sept, (Acte I, scène 1, vers1, Lord Broghill lisant une lettre)

 

Que Charle, à Worcester abandonné de Dieu, (I, 1, vers 6)

 

– Mais ce billet qu’hier j’ai reçu, d’où vient-il ?

[…]

Sir Richard Willis.

Mais ceux-là sont en prison !

 

Je verrai Francis.

Mais souffrez que je la plie

 

De grand cœur – votre épée au vent, beau damoiseau !

**

Molière :

 

L’Etourdi :

 

Acte I, scène 1 :

 

LÉLIE

Ah ! Mascarille !

 

                    MASCARILLE

                                  Quoi ?

 

                                                   LÉLIE

                                                                Voici bien des affaires ;

 

Commentaire : Alexandrin partagé en trois répliques. Les deux premières forment un seul hémistiche. Surtout, nous avons un mot d’une syllabe à la césure. Mais, le lecteur n’aura aucune hésitation, puisque la syllabe précédente est un « e » féminin de fin de mot. Le lecteur (ou spectateur) reportera naturellement la césure à l’exclamation « Quoi ? »

 

Mais, enfin, discourons un peu de ma captive :

 

Commentaire : le rejet de la forme adverbiale « un peu » après la césure est naturel chez les classiques. Il n’y a pas à imaginer une séquence étroitement solidaire : « discourons un peu / de ma captive ».

 

Dis si les plus cruels et plus durs sentiments

 

Commentaire : Un aspect intéressant. Les classiques évitent les rejets et contre-rejets d’épithètes. Ici, dans l’absolu, le premier hémistiche : « Di si les plus cruels », se prête à une lecture en tant que contre-rejet, mais la coordination qui lance le second hémistiche semble régulariser psychologiquement l’ensemble du vers, puisque les classiques se permettent à de nombreuses reprises ce genre de configurations.

 

S’imaginant que c’est dans le seul mariage

Qu’il pourra rencontrer de quoi vous faire sage.

 

Commentaire : le premier de ces deux vers dément les traités du dix-huitième siècle qui prétendaient qu’il fallait éviter la césure après la forme « c’est », et ce n’est pas un cas isolé.

 

Et s’il vient à savoir que, rebutant son choix,

 

Commentaire : appréciez la structure de ce vers. Malgré la virgule après « que », la césure est après l’infinitif « savoir », le mot « que » est bien placé en tête de second hémistiche, quand bien même il est suivi d’une possibilité de repos importante. Ce profil de vers, banal chez les classiques, montre que la césure n’est pas une question de pause, de repos, mais qu’il y a une sensibilité abstraite aux articulations grammaticales des énoncés qui joue dans la perception des césures.

 

Dieu sait quelle tempête alors éclatera,

Commentaire : appréciez le rejet, naturel pour un classique, de l’adverbe « alors ». Comparez avec la forme « un peu » plus haut.

 

Sais-tu qu’on n’acquiert rien de bon à me fâcher ?

 

Commentaire : notez que la césure est après « rien » et non après « acquiert », « rien de bon » n’était pas considéré comme une unité au dix-septième siècle.

 

Et Mascarille est-il ennemi de nature ?

 

Commentaire : nouvel exemple, rendu plus évident encore par l’inversion « est-il » que la forme « est » peut aisément être placé à la césure chez les classiques.

 

Poussez votre bidet, vous dis-je, et laissez faire ;

 

Commentaire : l’incise « vous dis-je » est placée en rejet et ne s’étend pas non plus à l’ensemble du second hémistiche, exemple de la souplesse de versification des classiques.

 

LÉLIE

Eh bien ! le stratagème ?

 

                                          MASCARILLE

                                              Ah ! comme vous courez !

 

Commentaire : Exemple à opposer aux trois répliques plus haut avec le mot « Quoi ? » à la césure, ici l’exclamation « Ah ! » est placée à la césure. La comparaison des deux cas prouve assez que le public doit avoir une certaine attention pour sentir les césures. Il ne s’agit pas de croire passivement que la syntaxe et le vers marchent d’un pas uniforme.

 

Ma cervelle toujours marche à pas mesurés.

 

Commentaire : la même remarque vaut pour la position des verbes. Le vers monosyllabique « marche » vient ici après la césure, mais on aurait très bien pu avoir ce verbe avant la césure avec un profil grammatical similaire pour l’ensemble de l’alexandrin.

 

Mais si vous alliez…

 

                                  LÉLIE

                                      Où ?

 

                                              MASCARILLE

                                                   C’est une faible ruse.

 

Commentaire : Selon Verluyten (années 1990), appuyé par Dominicy, les classiques ne pratiquent pas de ponctuation forte après la cinquième syllabe, ou alors ils l’atténuent par une marque de « e » de fin de phrase en cinquième syllabe. Ici, nous avons une preuve que c’est inexact.

 

Mais ne pourriez-vous pas… ?

 

                                         LÉLIE

                                         Quoi ?

 

                                                      MASCARILLE

                                                         Vous ne pourriez rien.

 

Commentaire : Comparez avec la première citation plus haut. Ici, le même « Quoi ? » interrogatif et solitaire est placé après la césure.

 

Monsieur, si vous aviez en main force pistoles,

 

Commentaire : le vers n’a pas une césure étonnante, on pourrait se dispenser de le citer, mais on pourrait imaginer un lecteur qui identifie une séquence solidaire : « si vous aviez en main ». Or, notez que les classiques pratiques la transposition (figure aussi appelée l’inversion) : « si vous aviez force pistoles en main », « si vous aviez en main force pistoles ». Il faut vraiment être sensible à ces subdivisions internes des énoncés.

 

Et pourrions, par un prompt achat de cette esclave,

 

Commentaire : un contre-rejet d’épithète. Ils vont disparaître du théâtre de Molière, comme ils sont extrêmement rares chez Corneille, et totalement absents chez Racine. Ils sont extrêmement rares chez André Chénier lui-même, chez Lamartine ! Et ce vers ne plaide pas pour une attribution de la mise en vers de la comédie L’Etourdi à Corneille, puisqu’il savait éviter d’y recourir.

 

Je sais bien qu’il serait très ravi de la vendre :

 

Commentaire : rejet de l’attribut du sujet et preuve qu’il ne faut pas sous-estimer la grande souplesse d’emploi du verbe « être » à la césure chez les classiques.

 

Mais le mal, c’est…

 

                                  LÉLIE

                                    Quoi ? c’est…

 

                                                              MASCARILLE

                                                             Que monsieur votre père

 

Commentaire : césure sur suspension de la parole et après la forme « c’est ».

**

Tantôt pâle, tantôt rouge et splendide à voir,

 

Fuir toute la fumée ardente et tout le bruit

 

La mer ! partout la mer ! des flots, des flots encor.

 

Le ciel bleu se mêle aux eaux bleues.

 

Un sphinx de granit rose, un dieu de marbre vert,

Les gardaient, sans qu’il fût vent de flamme au désert

 

— Faut-il changer en lac ce désert ? dit la nue.

 

Des plafonds d’un seul bloc couvrant de vastes salles,

 

Immense entassement de ténèbres voilé !

 

Brillait comme à travers une dentelle noire.

 

Murmurer mollement d’une étreinte d’amour ;

 

On dit qu’alors, ainsi que pour voir un supplice,

 

On entendit, durant cet étrange mystère,

 

Qu’un flux et qu’un reflux d’hommes roule et s’enfuit

 

Et saigner, à travers son armure d’airain,

 

Tel un aigle puissant pose, après le combat,

 

Et dont le reflet d’or dans l’onde, tour à tour,

 

S’élargit et s’allonge.

 

Le dôme obscur des nuits, semé d’astres sans nombre,

 

Semblait, couchée au bord du golfe qui l’inonde,

 

On dit qu’alors, tandis qu’immobiles comme elles

 

Les trois têtes soudain parlèrent ; et leurs voix

Ressemblaient à ces chants qu’on entend dans les rêves,

 

Frères, Missolonghi fumante nous réclame,

 

Écueils de l’Archipel sur tous les flots semés,

 

« Mais non ! je me réveille enfin !… Mais quel mystère ?

Quel rêve affreux !… mon bras manque à mon cimeterre.

 

« Oui, Canaris, tu vois le sérail, et ma tête

Arrachée au cercueil pour orner cette fête.

 

Tout se tait ; et mon œil, ouvert pour l’autre monde,

Voit ce que nul vivant n’eût pu voir de ses yeux.

 

J’ignore quelle main me frappa : je priais.

 

« Que l’apostat surtout vous envie ! Anathème

Au chrétien qui souilla l’eau sainte du baptême !

 

Choisis enfin, avant que ton Dieu ne se lève,

 

En Grèce ! en Grèce ! adieu, vous tous ! il faut partir !

 

Tout me fait songer : l’air, les prés, les monts, les bois.

 

J’aime une lune, ardente et rouge comme l’or,

Se levant dans la brume épaisse, ou bien encor

 

Blanche au bord d’un nuage sombre ;

 

J’aime ces chariots lourds et noirs, qui la nuit,

 

Pourquoi, sans Canaris, sur ces flottes, pourquoi

 

Porter la guerre et ses tempêtes ?

 

Ô spectacle ! Tandis que l’Afrique grondante

 

Fendit la foule, prit son cheval par la bride,

 

Ou ta flotte te puisse aider dans ta détresse

 

Et tombe enfin, avec sa forteresse blanche,

 

Dis, combien te faut-il de temps, ô mer fidèle,

 

Afin que rien n’en reste au monde, et qu’on respire

De ne plus voir la tour d’Ali, pacha d’Épire ;

 

De plus de coups, que n’a de taches étoilées

 

Et pousse son coursier qui se lasse, et le flatte

 

Pour en égorger plus encor !

 

Qui la nuit allumait tant de feux, qu’à leur nombre

 

« Tous ces chevaux, à l’œil de flamme, aux jambes grêles,

 

Du fond des bois, du haut des chauves promontoires,

Ils accourent ; des morts ils rongent les lambeaux ;

 

Et cette armée, hier formidable et suprême,

Cette puissante armée, hélas ! ne peut plus même

 

Portaient, devant le seuil de ma tente dorée,

 

Qu’un cheval au galop met, toujours en courant,

 

Sa corbeille de fleurs sur la tête, à nos yeux

 

Elle va, court, s’arrête, et vole, et les oiseaux

 

Et son rouge turban de soie, et ses habits

 

Ce n’est point un pacha, c’est un klephte à l’œil noir

Qui l’a prise, et qui n’a rien donné pour l’avoir ;

 

Un bon fusil bronzé par la fumée, et puis

 

La liberté sur la montagne.

 

Les tout petits enfants, écrasés sous les dalles,

Ont vécu ; de leur sang le fer s’abreuve encor… —

 

Tu marches donc sans cesse ! Oh ! que n’es-tu de ceux

Qui donnent pour limite à leurs pieds paresseux

 

De la vieille qui va seule et d’un pas tremblant ;

 

Qu’il glisse, et roule, et tombe, et tombe, et se rattache

 

De l’ongle à leurs parois !

 

Quand la lune, à travers les mille arceaux arabes,

 

Grenade efface en tout ses rivales ; Grenade

 

Et l’on dit que les vents suspendent leurs haleines

Quand par un soir d’été Grenade dans ses plaines

 

Hélas ! que j’en ai vu mourir de jeunes filles !

C’est le destin. Il faut une proie au trépas.

 

Il faut que l’éclair brille, et brille peu d’instants,

 

Oui, c’est la vie. Après le jour, la nuit livide.

 

Non, ce n’est point d’amour qu’elle est morte : pour elle,

 

Rien ne faisait encor battre son cœur rebelle ;

 

Puis s’asseyait parmi les écharpes soyeuses,

 

La cendre y vole autour des tuniques de soie,

 

Si l’on chasse en fuyant la terre, ou si l’on foule

 

Un flot tournoyant sous ses pieds !

 

À quoi bon ? — Maintenant la jeune trépassée,

Sous le plomb du cercueil, livide, en proie au ver,

Dort ; et si, dans la tombe où nous l’avons laissée,

 

Ainsi qu’Ophélia par le fleuve entraînée,

 

Leur course comme un vol les emporte, et grands chênes,

 

Et si l’infortuné, dont la tête se brise,

Se débat, le cheval, qui devance la brise,

 

Il voit ; et des troupeaux de fumantes cavales

 

Toujours fuit, et toujours son sang coule et ruisselle,

 

Les corbeaux, le grand-duc à l’œil rond, qui s’effraie,

 

L’aigle effaré des champs de bataille, et l’orfraie,

 

Et quand il passera, ces peuples de la tente,

Prosternés, enverront la fanfare éclatante

 

Oh ! laissez-moi ! c’est l’heure où l’horizon qui fume

 

Là-bas, — tandis que seul je rêve à la fenêtre

 

Et les bois, et les monts, et toute la nature,

Semblaient interroger dans un confus murmure

 

― C’est le Seigneur, le Seigneur Dieu !

 

Ce nuage à ses yeux, ce bruit à son oreille,

Rêve, et, comme à l’amante on voit songer l’amant,

 

Et quand j’ai dit : Allah ! mon bon cheval de guerre

Vole, et sous sa paupière a deux charbons ardents !

 

Grave et serein, avec un éclair dans les yeux.

 

Qu’il est grand à cette heure où, prêt à voir Dieu même,

Son œil qui s’éteint roule une larme suprême !

La tente de l’arabe est pleine de sa gloire.

 

Tout bédouin libre était son hardi compagnon ;

 

Les petits enfants, l’œil tourné vers nos rivages,

 

Du haut des caps, du bord des presqu’îles fleuries,

 

Ton beau rêve d’Asie avorte, et tu ne vois

 

Puis tu me vois du pied pressant l’escarpolette

Qui d’un vieux marronnier fait crier le squelette,

Et vole, de ma mère éternelle terreur !

 

Essaim doré qui n’a qu’un jour dans tous nos jours.


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