Leconte
de Lisle Poèmes et Poésies
À MADAME A. S. M.
D’étroits
rayons filtraient à travers les feuillages.
Un
arome léger d’herbe et de fleurs montait ;
Un
murmure infini dans l’air subtil flottait :
Chœur
des Esprits cachés, âmes de toutes choses,
Qui
font chanter la source et s’entr’ouvrir les roses ;
L’aube
vive dardait sa flèche de lumière ;
Et
l’île, rougissante et lasse du sommeil,
Chantait
et souriait aux baisers du soleil.
ÇUNACÉPA.
Elle
baigne le mont bleuâtre aux lignes calmes,
Les
oiseaux au col rouge, au corps de diamant,
Tout
s’éveille, vêtu d’une couleur divine,
Tout
étincelle et rit : le fleuve, la colline,
Le
bambou grêle sonne au vent ; les mousses hautes
Entendent
murmurer leurs invisibles hôtes ;
L’abeille
en bourdonnant s’envole ; et les grands bois,
Épais,
mystérieux, pleins de confuses voix,
Où
les sages plongés dans leur rêve ascétique,
Ne
comptent plus les jours tombés du ciel antique,
Sentant
courir la sève et circuler le feu,
Se
dressent rajeunis dans l’air subtil et bleu.
C’est
ainsi que l’Aurore, à l’Océan pareille,
Disperse
ses rayons sur la terre vermeille,
Comme
de blancs troupeaux dans les herbages verts,
Et
de son doux regard pénètre l’univers.
Elle
conduit au seuil des humaines demeures
Et
croisant ses deux pieds sous sa cuisse, l’œil clos,
Immobile
et muet, il médite en repos.
Le
riz, le lait caillé, la banane et la datte ;
Ses
trois fils. L’aîné siége à droite, le plus jeune
À
gauche.
Le dernier rêve, en face, et fait jeûne.
Et
qu’on entend, aux bords du fleuve aux claires eaux,
Les
caïmans joyeux glapir dans les roseaux.
Dans
l’espace azuré monte, grandit et plane.
Tout
bruit décroît ; l’oiseau laisse tomber ses ailes,
La
fleur languissamment clôt sa corolle d’or
Mais
voici que le long du fleuve, par milliers,
Des
chars tout hérissés de faux roulent derrière
Le
vieux Maharadjah, roi des hommes, pareil
Au
magnanime Indra debout, dans le soleil,
Devant
le seuil rustique où le Brahmane siège,
S’arrête, environné du
belliqueux cortège.
Et
du ressentiment des dieux sauve la terre.
Car
Indra, que mes pleurs amers n’ont point touché,
Et
se meut dans le monde et les intelligences,
Dût
la terre, semblable à la feuille des bois,
Palpiter
dans la flamme et se tordre aux abois.
Et
la femme sentant frémir toute sa chair,
Permets,
Maharadjah, que tout un jour encor
Je
vive.
Quand, demain, dans la mer pleine d’or
Sourya
d’un seul bond poussera ses cavales,
Je
serai prêt. — C’est bien, dit le Roi. — Les cymbales
Résonnent, l’air s’emplit
du bruit strident des chars,
Hennissements
et cris roulent de toutes parts ;
Et
remontant le cours de la sainte rivière
Tous
s’en vont, inondés de flamme et de poussière.
Mes
jours seront pareils aux feuilles de l’érable
Se
blottir aux rameaux assouplis des palmiers,
A
senti tant de fois palpiter sa poitrine ;
Cimes
des monts lointains, vastes mers aux flots bleus,
Ô
fleur épanouie aux baisers de l’amour,
Auprès
de qui le monde immense n’était rien !
Puis,
d’une voix pareille aux chansons des oiseaux
Tu
lui dis de ta bouche humide, aux couleurs vives :
L’antilope
aux jarrets légers courait moins vite.
Plus
que mon père et plus que ma mère elle-même !
Lui, devant tant de
grâce et d’amour hésitant,
Se
taisait,
le front sombre et le cœur palpitant.
Quand
ils rayonnent sous ta noire
chevelure ;
Qu’un
baiser du soleil enflamme à peine éclose,
Il
souleva ce corps charmant entre ses bras,
Il
réchauffa son front blanc sous ses noires tresses.
Elle
entr’ouvrit les yeux, et des larmes amères,
Brûlantes,
aussitôt emplirent ses paupières :
Je
connais les sentiers étroits, mystérieux,
Çunacépa,
pensif, et se baissant vers elle,
La
regardait. Jamais il ne la vit si belle,
Avec
ses longs yeux noirs de pleurs étincelants.
Je
suis inoffensif et vieux, si ce n’est sage.
Je
fis pleuvoir sanglants des lambeaux de sa chair ;
Et
moi, comme un roc lourd roulant de
cime en cime,
Je
crus mourir. Enfants, je suis l’antique roi
Des
vautours.
J’ai pitié de vous ; écoutez-moi.
Dont
les austérités terribles font un dieu.
Son
char d’ébène et d’or, attelé de cavales
De
jais,
et dont les yeux sont deux larges opales ;
Tranquille,
et déroulant au souffle harmonieux.
De
l’espace,
au dessus de son front glorieux,
Sa
guirlande étoilée et l’écharpe des nues,
Descendit
dans les mers des Dêvas seuls connues.
A
travers la forêt profonde et murmurante,
Et
laisse, du sommet des immenses feuillages.
Par
les sentiers de mousse épaisse et de rosiers.
Où
les lézards aux dos diaprés, par milliers.
Rôdent
furtifs et font crier la feuille sèche ;
Et
quand le jour, tombant des cimes du ciel bleu,
Ses
yeux creux que jamais n’a fermés le sommeil
Luisaient ; ses maigres
bras brûlés par le soleil
Pendaient
le long du corps ; ses jambes décharnées.
nextricable
amas de ronce, noir réseau
De
fange desséchée et de fientes d’oiseau,
Et
nourri de son sang inerte. C’est ainsi
Que
gardant à jamais sa rigide attitude,
Çanta, le sein ému
d’une pieuse horreur,
Frémit, mais le jeune
homme, aguerrissant son cœur.
Parla, plein de respect
: — Viçvamitra, mon père,
Je
ne viens point à toi dans une heure prospère :
Le
destin noir me suit comme un cerf aux abois.
Réponds
donc. Si le roi des vautours a dit vrai,
Et
l’Ascète immobile écoutait sans paraître
Entendre. Et le jeune
homme étonné reprit : — Maître,
—
Réjouis-toi mon fils ! Bien qu’il soit vain de rire
Ou
de pleurer,
et vain d’aimer ou de maudire.
Alors
Çanta, les yeux étincelants : — Oh ! non,
Maître
!
non, non ! tu veux éprouver son courage !
Mon
père vénérable et cher ! vivre est si doux !
Puissent
les dieux qui t’ont donné la foi suprême
Telle
Çanta, le front prosterné, sanglotait.
Et
l’Ascète, les yeux dans l’espace, écoutait :
D’où
vient que tout mon corps frémit, et que mes veines
C’est
assez, j’ai vécu. Pour toi, femme, pareille
À
l’Apsara qui court sur la mousse vermeille,
Aussitôt
dans la nue un bruit éclatera
Terrible, et tes liens se
briseront d’eux-mêmes ;
Et
si tu veux souffrir encore, tu vivras !
Dix
colonnes d’argent portent le large faîte
Du
trône
où des festons brodés de diamants
Pendent
aux angles droits en clairs rayonnements.
Surmonté
d’un pilier d’airain et d’un bœuf blanc
Le
Brahmane qui doit égorger la victime
Et
dans la plaine immense un peuple infini roule
Comme
les flots.
Le sol tremble au poids de la foule.
Le
jeune homme au front ceint de lotus, calme et pâle,
Il
est libre ! À travers la foule épouvantée,
Aussitôt
le soleil rayonne, et sur le flanc
Un
étalon fougueux, dont tout le poil est blanc,
Tombe, les pieds liés, hennit,
et le Brahmane
Offre
son sang au dieu de qui la foudre émane.
Les
bengalis au bec de pourpre, aux ailes fines,
Autour
du miel des fleurs, les essaims familiers,
Délaissant
les vieux troncs aux ruches pacifiques,
S’empressaient ; et partout,
sous les cieux magnifiques,
Avec
l’arome vif et pénétrant des bois,
Montait
un chant immense et paisible à la fois.
Odes
anacréontiques
LES LIBATIONS
Mollement
couché, j’assouplis ma voix.
Ma
coupe d’onyx d’un flot de vin vieux.
LA
COUPE.
LA TIGE D’ŒILLET.
Il fuit à
travers les sombres taillis,
À travers les prés
il m’entraîne et vole.
LE SOUHAIT.
LA CAVALE.
Tu hennis au bord
du fleuve mouvant,
LE PORTRAIT.
Qu’une pourpre
fine, agrafée au dos,
Flottante, et
parfois entr’ouverte, inonde
Son beau corps
plus blanc que le pur Paros ;
L’ABEILLE
— Ma mère, un
petit serpent m’a blessé
LA CIGALE
Ô cigale, née
avec les beaux jours,
LA ROSE.
La rose est le
souffle embaumé des dieux.
L’air bleu devient
rose et roses les bois ;
La bouche et le
sein des nymphes sont roses !
Qui dans les
halliers humides te cueille !
Quand de la mer
bleue Aphrodite éclose
**
LE VASE.
Reçois, pasteur
des boucs et des chèvres frugales,
Ce vase enduit de
cire, aux deux anses égales.
Avec l’odeur du
bois récemment ciselé,
Le long du bord
serpente un lierre entremêlé
D’hélichryse aux
fruits d’or. Une main ferme et fine
A sculpté ce beau
corps de femme, œuvre divine,
Qui du péplos
ornée, et le front ceint de fleurs,
Se rit du vain
amour des amants querelleurs.
Une vigne, non
loin, lourde de grappes mûres,
Ploie. Un jeune garçon,
assis sous les ramures,
La garde. Deux renards
arrivent de côté
Et mangent le
raisin par la pampre abrité ;
PHIDYLÉ.
Repose, ô Phidylé
: Midi sur les feuillages
Rayonne, et t’invite au sommeil.
Les taillis sont
muets ; le daim, par les clairières,
Devant les meutes en abois
Ne bondit plus : Diane, assise
au fond des bois,
Polit ses flèches meurtrières.
Et les Nymphes, au
seuil de leurs grottes de lierre,
En pâliront, le cœur troublé.
FULTUS HYACINTHO.
Tel que Zeus, sur
les mers portant la vierge Europe,
Une blancheur sans
tache en entier l’enveloppe.
Sa corne est fine,
aux bouts recourbés et polis ;
Ses fanons
florissants abondent à grands plis ;
Une écume d’argent
tombe à flots de sa bouche.
Et de longs poils
épars couvrent son œil farouche.
LES ASCÈTES.
Pâle, la main sanglante
et le cœur plein d’ennuis,
D’une vague
terreur troublant ses longues nuits,
Il écoutait,
couché sur la pourpre romaine.
Dans un sombre
concert gémir la race humaine ;
Et, tandis que la
Louve aux mamelles d’airain
Dormait, le dos ployé
sous son pied souverain.
Il affamait,
hâtant les jours expiatoires,
Les lions de
l’Atlas au fond des vomitoires.
Cri d’allégresse et cri d’angoisse, voix
terrible
D’amour désespéré
vers le monde invisible.
Vers la gloire des
cieux éternels déployons
Je vous salue, amants
désespérés du ciel !
Vous disiez vrai :
le cœur de l’homme est mort et vide,
Et votre âme, en
brisant l’enveloppe mortelle,
Comme un rayon
léger qui remonte au ciel bleu,
S’est-elle réunie
à la splendeur de Dieu ?
LES JUNGLES.
La bête
formidable, habitante des jungles,
S’endort, le ventre en
l’air, et dilatant les ongles.
De son mufle
marbré qui s’ouvre un souffle ardent
Fume ; la langue rude et
rose va pendant ;
Il dort tout un
soleil sous l’immensité bloue.
Le vent passe au
sommet des herbes ; il s’éveille.
Jette un morne
regard au loin, et tend l’oreille.
LES HURLEURS.
La queue en cercle
sous leurs ventres palpitants,
L’œil dilaté,
tremblant sur leurs pattes fébriles,
Accroupis çà et
là, tous hurlaient, immobiles,
Et d’un frisson
rapide agités par instants.
De longs poils qui
laissaient les vertèbres saillir ;
J’entends
toujours, du fond de mon passé confus,
LES ÉLÉPHANTS.
Le sable rouge est
comme une mer sans limite,
Une ondulation immobile
remplit
L’horizon aux
vapeurs de cuivre où l’homme habite.
Pas un oiseau ne
passe en fouettant de son aile
L’air épais où
circule un immense soleil.
Celui qui tient la
tête est un vieux chef. Son corps
Est gercé comme un
tronc que le temps ronge et mine ;
Sa tête est comme
un roc, et l’arc de son échine
Se voûte puissamment à ses moindres efforts.
Et leur sueur dans
l’air embrasé monte en brume,
Et bourdonnent
autour mille insectes ardents.
Mais qu’importent
la soif et la mouche vorace,
Et le soleil
cuisant leur dos noir et plissé ?
Aussi, pleins de
courage et de lenteur ils passent
Comme une ligne
noire, au sable illimité ;
LE DÉSERT.
Tout rêveur,
haletant de vivre, s’est couché,
Racine
La
Thébaïde
Il
devoit bien plûtoſt les fermer pour jamais, (Iocaste)
Apres
ceux que le Pere & la Mere ont commis :
**
Corneille
Mélite
Je
te l’avoue, ami, mon mal est incurable ; (I, 1, Eraste, vers 1)
Que
je te trouve, ami, d’une humeur admirable ! (I, 1, Tircis)
Laisse
aller tes desseins ailleurs pour l’hyménée. (idem)
Et
l’Amour, qui ne put entrer dans son courage, (I, 1, Eraste)
Que
tu seras forcé toi-même à reconnoître (idem)
De
deux amis, Madame, apaisez la querelle. (I, 2, Eraste)
Faites
mieux : pour finir vos maux et votre flamme, (I, 2, Mélite)
Cette
légère idée et foible connoissance (I, 2, Eraste)
Voilà
fort doucement dire que sans ta foi
Ma
beauté ne pourroit te conserver à moi. (I, 4, Cloris)
Ma
passion en est la cause, et non l’effet ; (I, 4, Philandre)
Regarde
dans mes yeux, et reconnois qu’en moi
On
peut voir quelque chose aussi parfait que toi. (I, 4, Philandre)
Cependant,
en faveur de ma longue souffrance… (I, 4, Philandre)
(Cloris)
Ta belle humeur te tient, mon frère. (Tircis) Assurément. (I, 5)
Ma
foi, si ton Philandre avoit vu de mes yeux,
Tes
affaires, ma sœur, n’en iroient guère mieux. (I, 5, Tircis)
Te
laisse à la merci d’Amour et de la brune. (I, 5, Tircis)
C’est
donc ainsi qu’on quitte un amant pour un frère ! (I, 5, Philandre)
Philandre,
avoir un peu de curiosité, (I, 5, Cloris)
Souffre
que je dérobe un moment à ma flamme,
Pour
lire malgré lui jusqu’au fond de son âme.
Nous
en rirons après ensemble, si tu veux. (I, 5, Cloris)
Et
pour moi, qui depuis que je vous ai servie (variante Acte I)
Encor
cette légère et foible connoissance. (variante, Acte I)
Je
recherche par où tu me pourras déplaire. (variante, Acte I)
Qu’à
la fin j’en aurai trop de présomption. (variante, Acte I)
D’avoir
tant pris de peine et souffert de tourment, (variante, Acte I)
C’est
que, te défiant de mon affection,
Tu
la veux acquérir par une flatterie. (variante, Acte I)
Philandre,
ces propos sentent la moquerie, (variante, Acte I)
Épargne-moi,
de grâce, et songe, plus discret,
Qu’étant
belle à tes yeux, plus outre je n’aspire. (variante, Acte I)
Que
tu sais dextrement adoucir mon martyre ! (variante, Acte I)
Prends-le
sans demander, poltron, pour un baiser
Crois-tu
que ta Cloris te voulut refuser ? (Cloris, variante, Acte I)
Encore
n’est-ce pas trop mal passé son temps. (variante, Acte I)
Je
pense ne pouvoir vous être qu’importun, (variante, Acte I)
Philandre,
d’un baiser scelle encor tes adieux. (variante, Acte I)
Qu’elle
ne craint ici ta langue, ni tes yeux. (variante, Acte I)
Vous
ayant pu servir deux ans, et davantage, (II, 2, Eraste)
Encor
si peu que c’est vous étant refusé, (II, 2, Mélite)
C’est
là donc ce qu’enfin me gardoit ton caprice ? (II, 3, Eraste)
Ma
sœur, un mot d’avis sur un méchant sonnet
Que
je viens de brouiller dedans mon cabinet. (II, 3, Tircis)
Comme
tu la ressens peut-être dans ton âme ? (II, 3, Cloris)
Pauvre
frère, vois-tu, ton silence t’abuse ; (II, 3, Cloris)
Ce
que depuis huit jours je brûlois de savoir. (II, 3, Cloris)
Pour
Mélite, et de plus que ta flamme n’excite (II, 3, Cloris)
Voilà
bien des détours pour dire, au bout du conte,
Que
c’est contre ton gré que l’amour te surmonte. (II, 3, Cloris)
C’est
seulement alors qu’il n’y va rien du nôtre. (II, 3, Cloris)
Il
rend depuis deux ans hommage à son mérite. (II, 3, Tircis)
Donnez-vous
patience,
Monsieur;
il ne nous faut qu’un moment de loisir, (II, 4, Cliton)
Te
rendre
Ce
sonnet que pour toi j’ai promis d’entreprendre. (II, 5, Tircis)
Aussi
j'ai seulement pour vous un peu de honte. (II, variante)
(Tircis)
Mais il faut redouter une mère. (Cloris) Aussi peu. (II, variante)
Mais
avec ton message
Tâche
si dextrement de tourner son courage. (II, variante)
Mais
tu reviens bientôt, est-ce fait ? clit. Patience,
Monsieur
; en vous donnant un moment de loisir,
Il
ne tiendra qu’à vous d’en avoir le plaisir. (II, variante)
De
tourner ce qu’elle a de flamme vers son frère. (II, variante)
Tu
l’as gagné, Mélite ; il ne m’est pas possible (III, Philandre)
Leur
attente vaut mieux, Cloris, que tes caresses. (III, Philandre)
Ou
que s’il m’en demeure encore un peu dans l’âme,
Je
souhaite en faveur de ce reste de foi
Tu
n’as pas mal choisi ; mais…
TIRCIS.
Quoi,
mais ?
PHILANDRE.
T’aime-t-elle
?
Cela
n’est plus en doute.
PHILANDRE.
Et
de cœur ?
TIRCIS.
Et
de cœur,
Je
t’en réponds.
PHILANDRE.
Souvent
un visage moqueur
N’a
que le beau semblant d’une mine hypocrite.
Tiens,
vois ce que tu peux désormais t’en promettre. (III, Philandre)
Te
voilà tout rêveur, cher ami ; par ta foi,
Crois-tu
que ce billet s’adresse encore à toi ? (III, Philandre)
Quoi,
tu passes, Philandre, et sans me regarder ? (III, 6, Cloris)
Philandre,
tu n’es pas encore où tu prétends ; (III, 6, Cloris)
T’a
laissé dérober sur ses yeux, sur sa bouche,
Sur
sa gorge, où, que sais-je ? tirs. Ah ! ne présume pas
Que
ma témérité profane ses appas, (III, variante)
Et
quand bien j’aurois eu tant d’heur, ou d’insolence.
Je
n’en veux et n’en ai point d’autre que sa foi .
C’est
par là qu’il t’en plaît ? oui-da ; j’en ai reçu
Encore
une, qu’il faut que je te restitue.
tirs.
Dépêche, ta longueur importune me
tue. (1633-1657)
Remplissent
de bonheur Philandre, et moi de rage,
Il
a deux fois le bien de l’autre, et davantage. (IV, I, La Nourrice)
Peut-être
elle t’en veut dire quelque nouvelle. (IV, 1, La Nourrice)
C’est
l’homme qui de tous la mérite le moins (IV, 2, Cloris)
Vous
ne vous trompez pas.
MÉLITE.
Donc,
pour mieux me railler 272,
La
sœur de mon amant contrefait ma rivale ?
CLORIS.
Donc,
pour mieux m’éblouir, une âme déloyale 273
Contrefait
la fidèle ? Ah ! Mélite, sachez
Que
je ne sais que trop ce que vous me cachez.
Nous
pourrions demeurer ici jusqu’à demain,
Je
veux que, si jamais j’ai dit mot à Philandre…
Quoi
! son frère au cercueil !
LISIS.
Oui,
Tircis, plein de rage
De
voir que votre change indignement l’outrage.
Maudissant
mille fois le détestable jour
Que
votre bon accueil lui donna de l’amour,
Dedans
ce désespoir a chez moi rendu l’âme,
Et
comme si c’étoit trop peu pour me venger, (IV)
Tu
m’oses donc flatter, infâme, et tu supprimes (IV, 6)
Falsifié,
trahi, séduit, assassiné :
Je
ne l’avois pas su, Parques, jusqu’à ce jour,
Que
vous relevassiez de l’empire d’Amour ;
Vous
ne me rendez pas Mélite qui n’est plus ;
Et
que de ma main propre une âme si fidèle
Reçoive…
Mais d’où vient que tout mon corps chancelle ?
Que
de pointes de feu se perdent parmi l’air !
Et
pour leur obéir son sein me recevant
M’engloutit,
et me plonge aux enfers tout vivant.
Je
vous entends, grands Dieux : c’est là-bas que leurs âmes
Aux
champs Élysiens éternisent leurs flammes ;
C’est
là-bas qu’à leurs pieds il faut verser mon sang :
La
terre à ce dessein m’ouvre son large flanc,
Et
jusqu’aux bords du Styx me fait libre passage ;
Mais
la faute n’en est qu’au crédule Philandre ;
Je
te laisse impuni, traître : de tels remords (IV, Philandre)
C’est
assez que je passe une fois pour trompeur. (IV, Lisis)
Dont
les plus dangereux et plus rudes assauts (IV, Cloris)
Son
ami plus intime et son plus familier ! (IV, variante)
Tu
m’oses donc flatter, et ta sottise estime
M’obliger
en taisant la moitié de mon crime ? (IV, variante)
J’ignorois
que, pour être exemptes de ses coups,
Je
fis à mon défaut combattre son ennui,
Son
deuil, son désespoir, sa rage, contre lui.
Souvent
on ne rencontre à gagner que des coups : (IV, variante, Cliton)
Il
n’en aura que trop d’Éraste, de ses crimes. (IV, variante)
Arrêtez,
arrêtez, poltrons !
CLITON.
Adieu,
Nourrice : (V, 1)
Souvenir
rigoureux, trêve, trêve un moment ! (V, 2, Ergaste)
Je
vois déjà Mélite. Ah ! belle ombre, voici
L’ennemi
de votre heur qui vous cherchoit ici : (idem)
Ne
m’importune plus, Philandre, je t’en prie ; (V, 3, Cloris)
Je
ne veux point devoir mon bien à ses froideurs. (V, 3, Cloris)
Adieu
; je ne veux plus avoir d’autre espérance, (V, 3, Philandre)
Tu
railles, mais bientôt nous verrons d’autres jeux :
Mais
tu ne me dis mot, ma vie ; et quels soucis
T’obligent
à te taire auprès de ton Tircis ? (V, 4, Tircis)
Que
serois-tu d’avis de lui répondre ?
TIRCIS.
Écoute
Quatre
mots à quartier(V)
Regardez,
acceptant le pardon, ou l’oubli,
Et
puisque c’est de là que vos félicités…
Entrons
donc ; et tandis que nous irons le prendre,
(Mélite)
Recevoir le refus d’un autre ! à Dieu ne plaise ! (variante)
clor.
À force de baiser vous m’en feriez envie :
Trêve.
tirs. Si notre exemple à baiser te convie, (variante)
Sachez
donc que, sitôt qu’il a vu son méconte, (Cloris, variante)
Thétis
court au-devant de ses embrassements.
Mais
de peur qu’il n’en fasse autant que l’autre a fait,
/Promets-le-moi,
sinon…/
**
CorneilleSuite
Le Menteur
Vous ferez en une
heure ici mille jaloux. (I, 1, Cliton)
Et vous vous
ennuyez déjà d’être inutile ! (I, 1, Cliton)
À ne rien
déguiser, Cliton, je te confesse (I, 1, Dorante)
Le climat
différent veut une autre méthode ; (I, 1, Dorante)
Comme l’intention
seule en forme le prix, (I, 2, Dorante)
Tais-toi.
CLITON.
Vous rêvez,
dis-je, ou…
DORANTE.
Tais-toi,
misérable.
Vous en revîntes
hier.
DORANTE, à Cliton.
Te tairas-tu,
maraud ?
Je vous vis, et je
fus retenu par l’amour.
Adieu.
DORANTE.
Quoi ? me priver
sitôt de tout mon bien !
Il faut que nous
fassions seules deux tours d’allée.
C’est Lucrèce, ce
l’est sans aucun contredit :
Quoi ! sur l’eau
la musique, et la collation ?
ALCIPPE, à
Philiste.
Oui, la collation
avecque la musique.
Sur l’eau ?
ALCIPPE.
Sur l’eau.
DORANTE.
Souvent l’onde
irrite la flamme.
Quelquefois.
DORANTE.
Et ce fut hier au
soir ?
ALCIPPE.
Hier au soir.
On le dit.
DORANTE.
Fort superbe ?
ALCIPPE.
Et fort bien
ordonnée.
Tais-toi ; si
jamais plus tu me viens avertir…
Dont on pouvoit
nommer les douceurs infinies.
N’eût pas troublé
sitôt ma petite fortune ;
On leur fait
admirer les bayes qu’on leur donne,
Vous allez au delà
de leurs enchantements :
Cette perfection
est rare, et nous pouvons (I, variante)
**
Marion de Lorme
Médisants, curieux, indiscrets, brouillons ; mais
Nous bavardons toujours et ne parlons jamais. –
Venir à Blois filer l’amour avec un rustre !
Avant que d’achever ce pas, je me suis dit :
Si bien que me voici, jeune encore, et pourtant
Vieux, et du monde las comme on l’est en sortant ;
(M) Je ne puis. Jamais. (D) L’offre était peu généreuse
(cris) A l’aide ! au meurtre (D) C’est quelqu’un qu’on
assassine…
– La porte, c’est-à-dire à la fenêtre, - Non,
Il ne sera pas dit qu’un homme de mon nom
Monsieur ? Didier Didier de quoi ? Didier de rien.
[…] Vous êtes brusque mais
Je vous dois d’être en vie, et s’il vous faut jamais
[…]
Enfin, Caussade avec Latournelle, pour rien
De tous ces duels. Qu’en dit le roi ? Le cardinal
Pas de nouvelles ? - Mais, un miracle, un prodige,
De qui ? De Marion de Lorme de la belle
Des belles
Mais il peut bien l’aller trouver chez elle.
Non.
Elle a changé depuis de logis et de nom.
Il nomme à tout propos les choses peur leur nom.
Comme si ces esprits fameux avaient laissé
Deux mots ; A l’épée ? Oui.
Ecoutez, messieurs ! / …Roi de France et de Navarre…
De renoncer au duel ? / Mais c’est très sage. / Oui,
mais
Que les vilains qui soient faits pour être pendus.
[…] cela ne peut suffire en somme
[…]
Une épée ! / Il n’a pas d’épée ! Ah pasquedieu,
Un bon duel ! C’est charmant ! / Mais où nous
mettre ? / Sous
Ce réverbère.
[…]
D’une botte poussée en tierce, qui d’abord
A rompu le pourpoint, puis s’est fait une voie
Entre les côtes, par le poumon, jusqu’au foie
[…]
Mal parler d’un ami défunt, c’est sans excuse !
Qu’il est des duels que nul ne peut répudier !
Mais s’aller battre avec je ne sais quel Didier !
Monseigneur / Laissez donc tranquille, votre maître !
Retour rapproché rime Didier.
C’est le sceau de l’état. – Oui, le grand sceau de cire
Rouge.
Ma destinée
Marche, et brise la vôtre
Contre ma colère… Ah ! cet homme, il vous dit :
Tu !
On appelle dona Chimène dans la grange…
Monsieur, je prends congé de vous… Ah ! vous voilà,
En Espagnole, - avec une basquine verte…
C’est elle ! Marion de Lorme ! Je le tiens !
Faisons vite garder la porte. Il faudra bien
Que je démêle après le faux comédien.
C’est monsieur ? Dites-moi… - Mais c’est singulier
comme
Il me regarde… Allons, mais c’est lui, c’est mon homme.
Vous trouvez ? / C’est pour vous, dites, qu’elle fit
faire
C’est honorable ; et puis cela donne bon air ;
C’est de bon goût ; et si de vous quelqu’un s’informe,
Est-il là ? / Sans doute. Hé ! fais-moi le
voir ! / C’est moi.
Tu chantes faux, à rendre envieuse une orfraie !
Mais j’en fais une avec monsieur le cardinal ;
Bonne nouvelle, mais prêtez-moi votre escorte.
Ah madame ! régnez au bal, brillez aux fêtes,
[…] S’il n’était pas mort, certe,
Je ne dis pas… mon cœur n’est pas de roche,… et si…
Est-ce bien là Gaspard de Saverny ? Comment
Pouvez-vous en douter […]
De quel droit ? Demandez compte à son éminence.
Rire de mon deuil ! / Ah ! monsieurs, tous ces
muguets !
Prenez garde qu’un jour je ne veuille plus, moi !
Comme elle y va. / C’est un refus ? / Mais je suis vôtre.
Plusieurs suspensions de paroles après « pour… »
Marion, chez Louis-le-Chaste, c’est charmant !
Oui-dà, monsieur, c’est très-spirituel, vraiment !
Se précipitent. Moi, je suis pour les Français
[…] Toutes
De mes amis ! […]
Cet homme fait le bon mauvais, le mauvais pire.
Viens ! – Toi qui n’as jamais peur de ma majesté,
Lui, voyez déjà, comme en litière on le traîne !...
[…] en somme
J’en suis.
Tant pis ! cela fera plaisir à Bellegarde.
O Didier ! la dernière espérance est éteinte !
Laisse-moi pure. / Donc je n’ai plus qu’un service
Tiens vous prenez cela froidement. L’intérêt
[…]
Vint de moi ; vous viviez heureux. Il m’a suffi
La porte est basse, et nul n’y passe avec sa tête !
On veut notre tête ? hé ! pour n’être pas en
faute,
Richelieu va venir voir comme on exécute
Ses ordres.
Vite ! / Rien ne presse. / Ah ! l mort est à la
porte !
Souvent le mal, et puis,
Que je le broie ici, que je l’écrase comme
Ceci ! […]
Didier ! Didier ! c’est vous par moi ! […]
L’heure passe. / Ah ! le temps marche, et l’instant
s’envole !
Vous m’avez réprouvée et maudite, et c’est bien,
Vous bénit ; mais voici l’heure où le bourreau vient,
Veux-tu me prendre, avec mes crimes expiés
Marquis de Saverny ? / Réveillez-le ! / Mais comme
Il dort. ! […]
Hé bien non ! mon cœur se brise ! c’est
horrible !
Et t’afflige
Par moi.
Les Burgraves
La fille à je ne sais quel horrible bandit.
En haut, en bas, cribles de coups, baignés de sang,
Et vous le savez bien. — Oh ! les femmes vraiment
Sont cruelles toujours, et rien ne leur plaît comme
De jouer avec l'âme et la douleur d'un nomme ! —
Venir, à toi, la vie au front, la joie au cœur,
Il me semble qu'on a parlé de Barberousse,
Il me semble qu'on a loué ce compagnon.
Rien n'a vaincu, rien n'a dompté, rien n'a ployé
Si rien, en méditant vos actions passées,
Ne trouble vos cœurs, purs comme le ciel est bleu,
Fraîche, rose, le front joyeux, l'air triomphant.
N'est-ce pas?
Régina.
Je lui dois la vie.
Job.
Avant ma chute,
J'étais pareil à lui ! grave, pur, chaste et fier
Comme une vierge et comme une épée.
Il va à la fenêtre.
Ah ! cet air
Est doux, le ciel sourit et le soleil rassure.
Que tout ira bien. Puis vous reviendrez me voir[U1] ,
J'ai démembré Henri-le-Lion de mes mains,
Fils méchants, vous pillez la-mère à l'agonie!
Elle pleure, et, levant au ciel ses bras roidis,
Sa voix faible en râlant vous dit : Soyez maudits!
Grande jeunesse; mais perversité plus grande.
Empereur, qui ne sais pas même à qui tu parles,
Le nouveau siècle à tout submergé ! mais ses flots
N'ont point couvert nos fronts, parce qu'ils sont trop
hauts!
Demain, je n'aurai plus de fils, plus de vassaux.
Mon burg est mort; mon fils est vieux; ses fils sont
traîtres ;
Mon dernier-né ! — je l'ai perdu ! — dernier trésor !
Toi, mon fils ! — Ne fais pas ce rêve ! — Je te jure...
Et tu me dis : A toi la tombe! à moi l'enfer !
C'est un vrai sage, pur de haine, exempt d'erreur.
**
Dorimond, L’Ecole
des cocus ou la précaution inutile, comédie, 1656, Acte unique, scène 4, vers
141-142).
Le Docteur
Il faut donc que
je jette un œil de Galien,
Pour cela, dans
son dispotaire féminin.
Athalie, Acte II,
scène 7)
Athalie :
[…]
A ma table,
partout à mes côtés assis,
Je prétends vous
traiter comme mon propre fils.
Joas :
Comme votre
fils ?
Athalie :
Oui… Vous vous
taisez ?
Joas :
Quel père
Je
quitterais ! et pour…
Athalie :
Eh bien ?
Joas :
Pour quelle
mère ?
**
Molière L’Etourdi
ou les contretemps (Acte I, scène 6) 1653, 1658 ou première édition 1663 :
Mascarille :
[…]
Mais j’avais
médité tantôt un coup de maître
Dont tout
présentement je veux voir les effets,
A la charge que
si…
Lélie :
Non, je te le
promets,
De ne me mêler
plus de rien dire ou rien faire.
***
Je rêvais, comme
si j’avais, durant mes jours, (« Mon enfance ») Hugo.
**
Cromwell, Hugo,
1827
« Demain,
vingt-cinq juin mil six-cent-cinquante-sept, (Acte I, scène 1, vers1, Lord
Broghill lisant une lettre)
Que Charle, à
Worcester abandonné de Dieu, (I, 1, vers 6)
– Mais ce billet
qu’hier j’ai reçu, d’où vient-il ?
[…]
Sir Richard
Willis.
Mais ceux-là sont
en prison !
Je verrai Francis.
Mais souffrez que
je la plie
De grand cœur –
votre épée au vent, beau damoiseau !
Molière :
L’Etourdi :
Acte I, scène 1 :
LÉLIE
Ah ! Mascarille !
MASCARILLE
Quoi ?
LÉLIE
Voici bien des affaires ;
Commentaire :
Alexandrin partagé en trois répliques. Les deux premières forment un seul
hémistiche. Surtout, nous avons un mot d’une syllabe à la césure. Mais, le lecteur
n’aura aucune hésitation, puisque la syllabe précédente est un « e »
féminin de fin de mot. Le lecteur (ou spectateur) reportera naturellement la
césure à l’exclamation « Quoi ? »
Mais, enfin, discourons un peu de ma captive :
Commentaire :
le rejet de la forme adverbiale « un peu » après la césure est
naturel chez les classiques. Il n’y a pas à imaginer une séquence étroitement
solidaire : « discourons un peu / de ma captive ».
Dis si les plus cruels et plus durs sentiments
Commentaire :
Un aspect intéressant. Les classiques évitent les rejets et contre-rejets
d’épithètes. Ici, dans l’absolu, le premier hémistiche : « Di si les
plus cruels », se prête à une lecture en tant que contre-rejet, mais la
coordination qui lance le second hémistiche semble régulariser
psychologiquement l’ensemble du vers, puisque les classiques se permettent à de
nombreuses reprises ce genre de configurations.
S’imaginant que c’est dans le seul mariage
Qu’il pourra rencontrer de quoi vous faire sage.
Commentaire :
le premier de ces deux vers dément les traités du dix-huitième siècle qui
prétendaient qu’il fallait éviter la césure après la forme « c’est »,
et ce n’est pas un cas isolé.
Et s’il vient à savoir que, rebutant son choix,
Commentaire :
appréciez la structure de ce vers. Malgré la virgule après « que »,
la césure est après l’infinitif « savoir », le mot « que »
est bien placé en tête de second hémistiche, quand bien même il est suivi d’une
possibilité de repos importante. Ce profil de vers, banal chez les classiques,
montre que la césure n’est pas une question de pause, de repos, mais qu’il y a
une sensibilité abstraite aux articulations grammaticales des énoncés qui joue
dans la perception des césures.
Dieu sait quelle tempête alors éclatera,
Commentaire :
appréciez le rejet, naturel pour un classique, de l’adverbe
« alors ». Comparez avec la forme « un peu » plus haut.
Sais-tu qu’on n’acquiert rien de bon à me fâcher ?
Commentaire :
notez que la césure est après « rien » et non après
« acquiert », « rien de bon » n’était pas considéré comme
une unité au dix-septième siècle.
Et Mascarille est-il ennemi de nature ?
Commentaire :
nouvel exemple, rendu plus évident encore par l’inversion « est-il »
que la forme « est » peut aisément être placé à la césure chez les
classiques.
Poussez votre bidet, vous dis-je, et laissez faire ;
Commentaire :
l’incise « vous dis-je » est placée en rejet et ne s’étend pas non
plus à l’ensemble du second hémistiche, exemple de la souplesse de
versification des classiques.
LÉLIE
Eh bien ! le stratagème ?
MASCARILLE
Ah ! comme vous courez !
Commentaire :
Exemple à opposer aux trois répliques plus haut avec le mot
« Quoi ? » à la césure, ici l’exclamation
« Ah ! » est placée à la césure. La comparaison des deux cas
prouve assez que le public doit avoir une certaine attention pour sentir les
césures. Il ne s’agit pas de croire passivement que la syntaxe et le vers
marchent d’un pas uniforme.
Ma cervelle toujours marche à pas mesurés.
Commentaire :
la même remarque vaut pour la position des verbes. Le vers monosyllabique
« marche » vient ici après la césure, mais on aurait très bien pu
avoir ce verbe avant la césure avec un profil grammatical similaire pour
l’ensemble de l’alexandrin.
Mais si vous alliez…
LÉLIE
Où ?
MASCARILLE
C’est une faible ruse.
Commentaire :
Selon Verluyten (années 1990), appuyé par Dominicy, les classiques ne
pratiquent pas de ponctuation forte après la cinquième syllabe, ou alors ils
l’atténuent par une marque de « e » de fin de phrase en cinquième
syllabe. Ici, nous avons une preuve que c’est inexact.
Mais ne pourriez-vous pas… ?
LÉLIE
Quoi ?
MASCARILLE
Vous ne pourriez rien.
Commentaire :
Comparez avec la première citation plus haut. Ici, le même
« Quoi ? » interrogatif et solitaire est placé après la césure.
Monsieur, si vous aviez en main force pistoles,
Commentaire :
le vers n’a pas une césure étonnante, on pourrait se dispenser de le citer,
mais on pourrait imaginer un lecteur qui identifie une séquence
solidaire : « si vous aviez en main ». Or, notez que les
classiques pratiques la transposition (figure aussi appelée l’inversion) :
« si vous aviez force pistoles en main », « si vous aviez en
main force pistoles ». Il faut vraiment être sensible à ces subdivisions
internes des énoncés.
Et pourrions, par un prompt achat de cette esclave,
Commentaire :
un contre-rejet d’épithète. Ils vont disparaître du théâtre de Molière, comme
ils sont extrêmement rares chez Corneille, et totalement absents chez Racine.
Ils sont extrêmement rares chez André Chénier lui-même, chez Lamartine !
Et ce vers ne plaide pas pour une attribution de la mise en vers de la comédie L’Etourdi à Corneille, puisqu’il savait
éviter d’y recourir.
Je sais bien qu’il serait très ravi de la vendre :
Commentaire :
rejet de l’attribut du sujet et preuve qu’il ne faut pas sous-estimer la grande
souplesse d’emploi du verbe « être » à la césure chez les classiques.
Mais le mal, c’est…
LÉLIE
Quoi ? c’est…
MASCARILLE
Que monsieur votre père
Commentaire :
césure sur suspension de la parole et après la forme « c’est ».
**
Tantôt pâle, tantôt rouge
et splendide à voir,
Fuir toute la fumée
ardente et tout le bruit
La mer ! partout la mer !
des flots, des flots encor.
Le ciel bleu se mêle aux
eaux bleues.
Un sphinx de granit rose,
un dieu de marbre vert,
Les gardaient, sans qu’il
fût vent de flamme au désert
— Faut-il changer en lac
ce désert ? dit la nue.
Des plafonds d’un seul
bloc couvrant de vastes salles,
Immense entassement de
ténèbres voilé !
Brillait comme à travers
une dentelle noire.
Murmurer mollement d’une
étreinte d’amour ;
On dit qu’alors, ainsi
que pour voir un supplice,
On entendit, durant cet
étrange mystère,
Qu’un flux et qu’un
reflux d’hommes roule et s’enfuit
Et saigner, à travers son
armure d’airain,
Tel un aigle puissant
pose, après le combat,
Et dont le reflet d’or
dans l’onde, tour à tour,
S’élargit et s’allonge.
Le dôme obscur des nuits,
semé d’astres sans nombre,
Semblait, couchée au bord
du golfe qui l’inonde,
On dit qu’alors, tandis
qu’immobiles comme elles
Les trois têtes soudain
parlèrent ; et leurs voix
Ressemblaient à ces
chants qu’on entend dans les rêves,
Frères, Missolonghi
fumante nous réclame,
Écueils de l’Archipel sur
tous les flots semés,
« Mais non ! je me
réveille enfin !… Mais quel mystère ?
Quel rêve affreux !… mon
bras manque à mon cimeterre.
« Oui, Canaris, tu vois
le sérail, et ma tête
Arrachée au cercueil pour
orner cette fête.
Tout se tait ; et mon
œil, ouvert pour l’autre monde,
Voit ce que nul vivant
n’eût pu voir de ses yeux.
J’ignore quelle main me
frappa : je priais.
« Que l’apostat surtout
vous envie ! Anathème
Au chrétien qui souilla
l’eau sainte du baptême !
Choisis enfin, avant que
ton Dieu ne se lève,
En Grèce ! en Grèce !
adieu, vous tous ! il faut partir !
Tout me fait songer :
l’air, les prés, les monts, les bois.
J’aime une lune, ardente
et rouge comme l’or,
Se levant dans la brume
épaisse, ou bien encor
Blanche au bord d’un
nuage sombre ;
J’aime ces chariots
lourds et noirs, qui la nuit,
Pourquoi, sans Canaris,
sur ces flottes, pourquoi
Porter la guerre et ses
tempêtes ?
Ô spectacle ! Tandis que
l’Afrique grondante
Fendit la foule, prit son
cheval par la bride,
Ou ta flotte te puisse
aider dans ta détresse
Et tombe enfin, avec sa
forteresse blanche,
Dis, combien te faut-il de
temps, ô mer fidèle,
Afin que rien n’en reste
au monde, et qu’on respire
De ne plus voir la tour
d’Ali, pacha d’Épire ;
De plus de coups, que n’a
de taches étoilées
Et pousse son coursier
qui se lasse, et le flatte
Pour en égorger plus
encor !
Qui la nuit allumait tant
de feux, qu’à leur nombre
« Tous ces chevaux, à
l’œil de flamme, aux jambes grêles,
Du fond des bois, du haut
des chauves promontoires,
Ils accourent ; des morts
ils rongent les lambeaux ;
Et cette armée, hier
formidable et suprême,
Cette puissante armée,
hélas ! ne peut plus même
Portaient, devant le
seuil de ma tente dorée,
Qu’un cheval au galop
met, toujours en courant,
Sa corbeille de fleurs
sur la tête, à nos yeux
Elle va, court, s’arrête,
et vole, et les oiseaux
Et son rouge turban de
soie, et ses habits
Ce n’est point un pacha,
c’est un klephte à l’œil noir
Qui l’a prise, et qui n’a
rien donné pour l’avoir ;
Un bon fusil bronzé par
la fumée, et puis
La liberté sur la
montagne.
Les tout petits enfants,
écrasés sous les dalles,
Ont vécu ; de leur sang
le fer s’abreuve encor… —
Tu marches donc sans
cesse ! Oh ! que n’es-tu de ceux
Qui donnent pour limite à
leurs pieds paresseux
De la vieille qui va
seule et d’un pas tremblant ;
Qu’il glisse, et roule,
et tombe, et tombe, et se rattache
De l’ongle à leurs parois
!
Quand la lune, à travers
les mille arceaux arabes,
Grenade efface en tout
ses rivales ; Grenade
Et l’on dit que les vents
suspendent leurs haleines
Quand par un soir d’été
Grenade dans ses plaines
Hélas ! que j’en ai vu
mourir de jeunes filles !
C’est le destin. Il faut
une proie au trépas.
Il faut que l’éclair
brille, et brille peu d’instants,
Oui, c’est la vie. Après
le jour, la nuit livide.
Non, ce n’est point
d’amour qu’elle est morte : pour elle,
Rien ne faisait encor
battre son cœur rebelle ;
Puis s’asseyait parmi les
écharpes soyeuses,
La cendre y vole autour
des tuniques de soie,
Si l’on chasse en fuyant
la terre, ou si l’on foule
Un flot tournoyant sous
ses pieds !
À quoi bon ? — Maintenant
la jeune trépassée,
Sous le plomb du
cercueil, livide, en proie au ver,
Dort ; et si, dans la
tombe où nous l’avons laissée,
Ainsi qu’Ophélia par le
fleuve entraînée,
Leur course comme un vol
les emporte, et grands chênes,
Et si l’infortuné, dont
la tête se brise,
Se débat, le cheval, qui
devance la brise,
Il voit ; et des
troupeaux de fumantes cavales
Toujours fuit, et
toujours son sang coule et ruisselle,
Les corbeaux, le
grand-duc à l’œil rond, qui s’effraie,
L’aigle effaré des champs
de bataille, et l’orfraie,
Et quand il passera, ces
peuples de la tente,
Prosternés, enverront la
fanfare éclatante
Oh ! laissez-moi ! c’est
l’heure où l’horizon qui fume
Là-bas, — tandis que seul
je rêve à la fenêtre
Et les bois, et les
monts, et toute la nature,
Semblaient interroger
dans un confus murmure
― C’est le Seigneur, le
Seigneur Dieu !
Ce nuage à ses yeux, ce
bruit à son oreille,
Rêve, et, comme à
l’amante on voit songer l’amant,
Et quand j’ai dit : Allah
! mon bon cheval de guerre
Vole, et sous sa paupière
a deux charbons ardents !
Grave et serein, avec un
éclair dans les yeux.
Qu’il est grand à cette
heure où, prêt à voir Dieu même,
Son œil qui s’éteint
roule une larme suprême !
La tente de l’arabe est
pleine de sa gloire.
Tout bédouin libre était
son hardi compagnon ;
Les petits enfants, l’œil
tourné vers nos rivages,
Du haut des caps, du bord
des presqu’îles fleuries,
Ton beau rêve d’Asie
avorte, et tu ne vois
Puis tu me vois du pied
pressant l’escarpolette
Qui d’un vieux marronnier
fait crier le squelette,
Et vole, de ma mère
éternelle terreur !
Essaim doré qui n’a qu’un
jour dans tous nos jours.
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