mercredi 30 août 2023

Nous serons deux pleureuses ! Encore un poème précis de Desbordes-Valmore pointé en référence !

Le précédent article montrait à quel point la première des "Ariettes oubliées" suivait de près le poème "C'est moi !" de Marceline Desbordes-Valmore. La première des "Ariettes oubliées" a été publiée le 18 mai 1872 dans la revue La Renaissance littéraire et artistique, tandis que Rimbaud est revenu à Paris vers le 7 mai 1872.
Pour des raisons de cheminement de manuscrits datés, il est assez légitime de penser que Rimbaud a composé en avril et au début du mois de mai, en exil et fraîchement de retour à Paris, les poèmes "Comédie de la Soif", "Bonne pensée du matin", "Larme" et "La Rivière de Cassis". Et Verlaine a dû faire découvrir son poème daté de mai 1872 (qui sera la première des neuf "Ariettes oubliées" des Romances sans paroles) avant sa publication le 18 mai. Le poème a peut-être été composé en présence de Rimbaud, mais peu importe. Rimbaud a encore composé trois des quatre "Fêtes de la patience" en mai 1872 : "Bannières de mai", "Chanson de la plus haute Tour" et "L'Eternité". Or, la quatrième "Âge d'or" est datée de juin, ce qui dans l'optique d'une composition continue de l'ensemble conforte l'idée que les trois premières "Fêtes de la patience" furent les toutes dernières du mois de mai. Les manuscrits de "Bonne pensée du matin", "Larme", "La Rivière de Cassis" et "Les Déserts de l'amour" se sont retrouvés dans l'ensemble détenu par Forain avec des poèmes en vers première manière, tandis que les quatre "Fêtes de la patience" dans leurs versions manuscrites les plus anciennes et les plus soignées ont circulé entre les mains de Jean Richepin. Or, sur une version moins soignée de "Bannières de mai" et sans doute un peu plus tardive du coup en fait de transcription, version dont le titre varie en "Patience d'un été" Rimbaud a reporté un vers du poème "C'est moi !" : "Prends-y garde, ô ma vie absente !"
La signification est limpide et claire. Rimbaud avait poussé Verlaine à lire toutes les poésies de Marceline Desbordes-Valmore et à la prendre au sérieux, comme il a offert et donc fait découvrir des poésies charmantes de Favart. Le poème publié le 18 mai par Verlaine est donc une réponse à Rimbaud, puisque le poème va comporter une épigraphe de Favart et être la démarcation d'une romance de Desbordes-Valmore, le poème "C'est moi" publié en 1830, sachant que la romance de Desbordes-Valmore est assimilée à une ariette. Et soit Rimbaud a identifié la source d'inspiration, soit Verlaine lui en a fait part, mais il est clair que Rimbaud cite ce vers en réaction au poème publié le 18 mai. Rimbaud cite un vers qu'il trouve beau et qui vaut sans doute prolongement, et du coup l'idée de "vie absente" est à creuser dans le cas de "Bannières de mai" comme dans le cas de "Chanson de la plus haute Tour". Mais, dans la section "Ariettes oubliées" des Romances sans paroles publié en 1874, Verlaine n'a pas daté au cas par cas les neuf compositions, il s'est contenté d'une datation globale des neufs poèmes : "Mai-Juin 1872", ce qui coïncide soit dit en passant avec le chevauchement sur mai et juin des quatre "Fêtes de la patience". Marceline Desbordes-Valmore est de toute évidence derrière trois des premières "Ariettes oubliées" : la première "C'est l'extase langoureuse..." inspirée du poème "C'est moi", la deuxième "Je devine, à travers un murmure,..." sur laquelle je n'ai encore rien dit, mais j'y reviendrai, et la quatrième : "Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses..." de laquelle je vais parler dans un instant. Et selon toute vraisemblance, ces trois compositions datent plutôt du mois de mai. Il faut s'empresser d'ajouter que trois autres des "Ariettes oubliées" entrent en résonance avec la poésie valmorienne : la troisième "Il pleure dans mon coeur..." pour son thème, la septième qui s'inspire d'un poème très connu de Musset, mais qui du coup implique des échos avec des poèmes précis de la poétesse douaisienne, ce sur quoi j'aurai encore à revenir, et puis la neuvième avec son épigraphe tirée de Cyrano de Bergerac et sa mort par noyade fantasmée.
Ni Steve Murphy, ni Arnaud Bernadet, ni Olivier Bivort, qui tous trois ont édité le recueil des Romances sans paroles, ni Elleonore Zimmermann qui a analysé les "magies de Verlaine" en un ouvrage de ce titre, n'ont identifié l'influence de Desbordes-Valmore ailleurs qu'en la quatrième ariette. Et c'est pareil pour Fongaro et bien d'autres critiques. L'identification de l'influence de la poétesse douaisienne s'en tient à une remarque de filiation formelle, le recours au vers de onze syllabes avec la césure après la cinquième syllabe, et cela se renforce d'un consensus sur la thématique de l'abandon à la tristesse, avec éventuellement l'idée que ce sont deux "pleureuses", et encore je dois vérifier si ce mot est mentionné comme valmorien par un commentaire du poème de Verlaine.
Cette quatrième ariette fait l'objet de rapprochements importants avec Rimbaud qui est identifié en tant que la deuxième pleureuse à laquelle s'adresse le poème et Rimbaud semble avoir fait écho et réponse à ce poème dans un passage d'Une saison en enfer où la "Vierge folle" s'imagine en couple libre de se promener dans le paradis de la tristesse.
Mais la relation à la poétesse douaisienne devient quelque chose de subreptice et d'anodin à cette aune. Il y a plusieurs poèmes où Marceline emploie le mot "pleureuse", il n'y en a pas tant que ça, mais il y en a un petit nombre. Toutefois, un poème en particulier doit attirer l'attention, le premier poème du dernier recueil publié par Marceline de son vivant, la pièce liminaire du recueil Bouquets et prières.
Voici une citation d'une bonne partie du poème, je vous conseille d'enchaîner avec la lecture du poème suivant "Jours d'été"...
                      A celles qui pleurent

Vous surtout que je plains si vous n'êtes chéries ;
Vous surtout qui souffrez, je vous prends pour mes soeurs :
C'est à vous qu'elles vont, mes lentes rêveries,
Et de mes pleurs chantés les amères douceurs.

Prisonnière en ce livre une âme est contenue :
Ouvrez, lisez : comptez les jours que j'ai soufferts ;
Pleureuses de ce monde où je passe inconnue,
Rêvez sur cette cendre et trempez-y vos fers.

[...]

Si vous n'avez le temps d'écrire aussi vos larmes,
Laissez-les de vos yeux descendre sur ces vers ;
[....]

Pour livrer sa pensée au vent de la parole,
S'il faut avoir perdu quelque peu sa raison,
Qui donne son secret est plus tendre que folle :
Méprise-t-on l'oiseau qui répand sa chanson ?
La suite, prochainement bien sûr !

vendredi 25 août 2023

Mai 1872 : "Prends-y garde, ô ma vie absente !" Du côté de Verlaine...

Rimbaud a été éloigné de la capitale des premiers jours de mars aux premiers jours de mai 1872 en gros. Une lettre que Verlaine a voulu envoyer à Rimbaud par l'intermédiaire de Delahaye nous est parvenue et Verlaine y remercie Rimbaud de lui avoir envié une "Ariette oubliée" de Favart, texte et musique. La première des "Ariettes oubliées" écrite en mai 1872 comportera une épigraphe tirée d'une ariette de Favart : "Le vent dans la plaine / Suspend son haleine." Signalons que quelques vers plus loin dans le texte de Favart apparaît le nom "ormeaux", nom d'arbre, de jeune orme, qui figure dans le poème daté de mai 1872 de Rimbaud intitulé "Larme". Avec la mention "colocase", le poème "Larme" invite à aller voir du côté de Victor Hugo et des Orientales sinon directement du côté du texte des Bucoliques de Virgile cité dans la préface du recueil romantique, et avec la mention "Oise", nous sommes invités à ne pas négliger l'idée d'une influence latente de Banville. Mais, "ormeaux" introduit l'idée d'une influence de Favart confortée chronologiquement par l'envoi à Verlaine d'une ariette et par l'épigraphe d'une première "ariette" composée par Verlaine en mai 1872. Hugo, Banville et Favart sont trois des grands candidats en tant que sources d'inspiration au poème "Larme" de Rimbaud. Mais, le poème "Larme" est en vers de onze syllabes. Il faudrait passer en revue tous les traités de versification parus au dix-neuvième siècle, Quicherat, etc., pour repérer les modèles célébrés comme auteurs de poèmes en vers de onze syllabes. Il va de soi que le petit traité de Banville a une importance dans le débat, puisque le poète en vue parmi les parnassiens fait une revue des différentes mesures.
Curieusement, dans son traité, Banville a donné un extrait de poème en vers de onze syllabes non référencé et visiblement personnel. Ce traité était tout récent au début de l'année 1872. C'est précisément en mai 1872, au vu des poèmes datés du recueil Romances sans paroles, que Verlaine s'est mis à composer des poèmes en vers de neuf syllabes, soit avec une césure après la troisième syllabe, soit avec une césure après la quatrième syllabe, et des vers de onze syllabes avec une césure après la cinquième syllabe. Pour les vers de neuf syllabes, Verlaine ne respecte aucun des deux modèles de Banville, lequel s'est d'ailleurs trompé dans la découpe des vers de neuf syllabes d'Eugène Scribe. Pour le vers de onze syllabes, il a suivi le modèle prôné par Banville, mais aussi celui suivi par Marceline Desbordes-Valmore dans deux poèmes de son recueil Poésies inédites. Le modèle remonte à Ronsard auteur d'odes saphiques, bien qu'il ne soit cité ni par Verlaine, ni par Banville à un quelconque moment.
Dans ses Poètes maudits, Verlaine a consacré une notice à Desbordes-Valmore et il a souligné que c'était Rimbaud qui l'avait forcé à prêter attention à la poétesse, et Verlaine souligne alors que la poétesse avait usé de mesures inhabituelles en poésies, il s'agissait du vers de onze syllabes dans deux poèmes de la section "Famille" : "La Fileuse et l'enfant" et "Rêve intermittent d'une nuit triste". Et dans le lot de poèmes cités par Verlaine dans sa notice, les poèmes du recueil posthume prédominent nettement alors même que de son vivant Desbordes-Valmore a publié plusieurs recueils. Précisons que en écrivant sa notice des Poètes maudits Verlaine n'anticipe pas que les érudits du vingtième siècle exhiberont auprès du grand public les leçons des manuscrits et notamment la transcription par Rimbaud d'un vers de Desbordes-Valmore au dos d'un poème personnel composé en mai 1872 "Patience d'un été", version alternative du poème "Bannières de mai". Nous avons donc une preuve a posteriori de l'intérêt de Rimbaud pour Desbordes-Valmore. Il faut ajouter que Rimbaud est au centre du projet des Poètes maudits et que même s'il ne faut pas donner à cela un tour systématique il n'est pas interdit de penser qu'en écrivant une notice sur Desbordes-Valmore Verlaine prépare le terrain aux lecteurs pour qu'ils puissent mieux appréhender les fameux poèmes de 1872 quand Rimbaud vire de bord et fait dans l'exprès trop simple.
Soulignons que le premier poème en vers de onze syllabes de Rimbaud connu est daté de mai 1872, "Larme", auquel associer le poème sur plusieurs mesures "La Rivière de Cassis", et que le premier poème en vers de onze syllabes de Verlaine connu est la quatrième des "Ariettes oubliées", "Il faut, voyez-vous, nous pardonner les choses..." où, au-delà de la lecture du traité de Banville, la référence aux vers de onze syllabes de Desbordes-Valmore est rendu indiscutable par la mention "pleureuses" à la rime, le mot "pleureuse" étant employé à quelques reprises en ses poèmes par l'autrice de recueils tristes dont l'un porte simplement le titre Pleurs. Cela se joue le même mois, il est donc évident que "Larme" fait aussi référence aux vers de onze syllabes de Desbordes-Valmore quand bien même il n'en reprend pas la césure, et le traité de Banville doit lui aussi être pris en considération dans l'affaire.
Mais, il existe une énigme, Rimbaud a pu dater de mai 1872 des poèmes commencés en avril ou carrément finis en avril. On sait qu'il se permet ce genre de flottement comme l'attestent nettement les deux versions manuscrites connues du poème "Sensation", daté tantôt de mars, tantôt de mai 1870. Il y a trop de poèmes datés de mai 1872 par Rimbaud. La "Comédie de la soif" a pu être composée en grande partie en avril et terminée en mai. Toutefois, à la limite, peu importe pour l'instant que "Larme", "La Rivière de Cassis" ou "Bonne pensée du matin" aient été composés avant le retour à Paris ou un peu après. Dès le début du mois de mai, Verlaine a fait paraître dans La Renaissance littéraire et artistique une première "ariette oubliée", ce qui veut dire que la composition s'est essentiellement faite en l'absence de Rimbaud, mais à l'évidence sous l'influence de leur correspondance mutuelle inconnue dont la lettre citée plus haut offre un trop sommaire aperçu.
Et c'est là que ça devient intéressant. Rimbaud a forcé Verlaine à lire tout Desbordes-Valmore, mais la lettre citée plus haut nous révèlke que Rimbaud a aussi fait découvrir les textes de Favart à Verlaine. Verlaine a sans doute été moins réticent, mais Desbordes-Valmore était une actrice qui pouvait jouer des pièces de Favart, une actrice qui a joué au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles, tout comme Favart, et le poème "Juillet" parle du "Kiosque de la Folle par affection" et donc de Favart. On a une raison intime de Rimbaud et Verlaine de célébrer les théâtres du parc royal de Bruxelles, Vauxhall et théâtre de la Monnaie, en juillet 1872, puisque cela se joue précisément au moment où il compose des poésies inspirées de Favart et Desbordes-Valmore.
Rimbaud a écrit le vers de la poétesse au dos de son poème "Patience d'un été" l'une des quatre "Fêtes de la patience" qu'on soupçonne des compositions de la fin du mois de mai, postérieures donc à plusieurs des "Ariettes oubliées", sachant que la dernière des "Fêtes de la patience" "Âge d'or" est datée de juin. Le poème "C'est moi" d'où est tirée l'épigraphe : "Prends-y garde, ô ma vie absente! " peut être à bon droit envisager comme source d'inspiration aux "Fêtes de la patience", et notamment à "Bannières de mai" et "Chanson de la plus haute Tour". Il existe d'ailleurs un poème valmorien pour prier Notre-dame-d'Amour en sizains qui a de quoi faire écho au propos rimbaldien : "Est-ce que l'on prie / La Vierge Marie ?" et la rime "vie"/"asservie" est fréquente également sous la plume de Desbordes-Valmore, terme "vie" qui invite à méditer la notion d'absence. Et on peut aller plus loin dans les échos, qu'on les considère comme involontaires ou non.
Mais l'intérêt d'un tel indice, c'est qu'en réalité la citation faite par Rimbaud ne doit pas seulement devenir le début d'une enquête chronologique sur les poèmes de Rimbaud influencés par la poétesse douaisienne, mais c'est aussi le début d'une enquête possible du côté de Verlaine comme l'a déjà confirmé la quatrième ariette avec ses vers de onze syllabes et ses pleureuses à la rime. Et l'astuce suprême, c'est qu'en fait il faut prendre la chronologie à rebours, puisqu'en citant ce vers Rimbaud dévoile la source valmorienne d'un poème que Verlaine n'allait pas bientôt écrire, mais qu'il venait fraîchement de composer et publier, la première des "Ariettes oubliées".
Citons le poème de Desbordes-Valmore qui appartient à une section "Romances" de son recueil de 1830, puis le poème de Verlaine, ce sera dans la version du recueil de 1874 et non dans la version  peu différente de La Renaissance littéraire et artistique.

***

          C'est moi

   Si ta marche attristée
   S'égare au fond d'un bois,
   Dans la feuille agitée
   Reconnais-tu ma voix ?
Et dans la fontaine argentée,
Crois-tu me voir quand tu te vois ?

   Qu'une rose s'effeuille,
   En roulant sur tes pas,
   Si ta pitié la cueille,
   Dis ! ne me plains-tu pas ?
Et de ton sein, qui la recueille,
Mon nom s'exhale-t-il tout bas ?

   Qu'un léger bruit s'éveille,
   T'annonce-t-il mes voeux
   Et si la jeune abeille
   Passe devant tes yeux,
N'entends-tu rien à ton oreille ?
N'entends-tu pas ce que je veux ?

   La feuille frémissante,
   L'eau qui parle en courant,
   La rose languissante,
   Qui te cherche en mourant ;
Prends-y garde, ô ma vie absente !
C'est moi qui t'appelle en pleurant.

***

C'est l'extase langoureuse,
C'est la fatigue amoureuse,
C'est tous les frissons des bois
Parmi l'étreinte des brises,
C'est, vers les ramures grises,
Le choeur des petites voix.

Ô le frêle et frais murmure !
Cela gazouille et susurre, 
Cela ressemble au cri doux
Que l'herbe agitée expire...
Tu dirais, sous l'eau qui vire,
Le roulis sourd des cailloux.

Cette âme qui se lamente
En cette plainte dormante
C'est la nôtre, n'est-ce pas ?
La mienne, dis, et la tienne,
Dont s'exhale l'humble antienne
Par ce tiède soir, tout bas ?
Il va de soi que je pourrais citer en renfort d'autres extraits de la poétesse et si ce lien entre les deux poèmes m'avait bêtement échappé jusqu'à présent j'avais déjà à plus d'une reprise souligné que le poème de Verlaine avec cette communion de frissons et de langage entre la Nature et les êtres aimants relevait d'une métaphysique romantique qu'on peut même dire clichéique.
Je songe notamment au poème "L'Arbrisseau" qui ouvre le recueil de 1830 et dont la césure sur le déterminant "leur" pour souligner un "impénétrable ombrage" permet de songer à la métrique particulière et aussi aux thèmes de "Tête de faune" composé vers février-mars 1872 par Rimbaud visiblement. Je songe beaucoup et souvent au poème "Mémoire" en lisant les pièces de Desbordes-Valmore, mais ici la confrontation des deux poèmes permet de s'en tenir à une convergence plus qu'évidente. Le "C'est moi" devient "C'est la nôtre", puis "La mienne (...) et la tienne". L'incise "dis" passe aussi d'un poème à l'autre. La conjugaison "exhale" au sein d'une phrase interrogative ponctuée par un "tout bas" se pratique dans l'un et l'autre poème, sachant que le verbe "exhaler" revient dans d'autres poésies valmoriennes. Nous passons de "la feuille agitée" à "l'herbe agitée". Nous passons de l'indentification d'une seule voix à celle d'un ensemble de petites voix. Nous avons dans les deux cas l'idée d'un cours d'eau qui exprime une voix en harmonie avec les voix qui résonnent en souvenirs à l'intérieur du poème, et je vous invite à nouveau à lire plein de poèmes valmoriens, dont toujours "L'Arbrisseau" ou certains intitulés "Souvenir" et d'autres encore pour vraiment vous pénétrer de la logique des poèmes ici comparés. Appréciez aussi l'écho de rime par suffixe affecté de "feuille frémissante" à "plainte dormante" et doublez cela du rapprochement entre "un léger bruit s'éveille" (Valmore) et "plainte dormante" (Verlaine). Verlaine dans une autre ariette inspirée de Desbordes-Valmore parle d'une identification d'un couple de voix (du modèle la mienne et la tienne, n'est-ce pas ?) en "pleureuses" et le poème valmorien "C'est moi" se clôt sur le gérondif "en pleurant".
Après autant de rapprochements avez-vous encore des doutes sur la filiation entre les deux poèmes ? Si oui, la poésie n'est pas une occupation faite pour vous, passez à autre chose.

mercredi 23 août 2023

1830 : une césure audacieuse passée inaperçue dans un recueil de Desbordes-Valmore !

A défaut des recueils publiés au XIXe, je possède une édition de l'intégrale des poésies de Marceline Desbordes-Valmore : Oeuvre poétique, textes poétiques publiés et inédits rassemblés et révisés par Marc Bertrand, Jacques André éditeur, 2007. L'ouvrage lancé au prix de 60 euros a un peu la forme allongée de l'Album zutique avec deux colonnes de texte par page et il a été financé par la ville de Douai. Il a d'énormes défauts de conception. Il manque un sommaire et il manque d'annotations pour retrouver le contenu des recueils d'époque. Vu qu'il y a des poésies inédites à plusieurs niveaux, le recueil intitulé Poésies inédites de 1860 non seulement est fondu dans la masse, mais son ensemble est coiffé du titre "Poésies posthumes". On ne peut pas identifier correctement le recueil Les Pleurs et ainsi de suite. Un fait m'intriguait depuis longtemps, il y a un vers dont la césure est résolument étonnante qui ouvre une section intitulée "Le recueil de 1830". Le poème s'intitule "L'Arbrisseau", et on  peut songer à "Famille maudite"/"Mémoire" en le lisant, sinon à "Larme", pour certains détails. Il s'agit d'un poème hétérométrique, une forme courante vers 1830 qui sera prolongée par exemple par un Musset, on a donc des séquences de vers inégales entre elles, et non pas des strophes avec un même nombre de vers chacune, et on a un mélange d'alexandrins, de vers de dix syllabes avec la césure après la quatrième syllabe et d'octosyllabes. Dans la troisième séquence, l'arbrisseau se lamente et envie "la couronne verte et fleurie" des arbres qui jouissent du soleil, puisque lui reste dans l'ombre, et qu'on pense au titre valmorien "La Couronne effeuillée" car il y a des constantes à observer dans les pièces de la poétesse douaisienne. Et je cite les vers suivants, deux alexandrins suivis d'un décasyllabe et d'un octosyllabe. Les émargement tiennent bien compte de la différence des trois mesures :
[...]
Ils dominent au loin sur les champs d'alentour :
On dit que le soleil dore leur beau feuillage ;
      Et moi, sous leur impénétrable ombrage,
               Je devine à peine le jour !
[...]
Détail amusant, l'expression "Je devine..." entame la deuxième des "Ariettes oubliées" de Verlaine.
Le fait troublant, c'est le déterminant "leur" placé devant la césure, césure qui fait calembour avec la qualification "impénétrable" pour "ombrage" : "Et moi, sous leur + impénétrable ombrage[.]"
Il est quasi impossible qu'il manque un groupe de deux syllabes entre "leur" et "impénétrable", cela ne pourrait être qu'un adjectif de deux syllabes, je ne vois pas d'autre possibilité pour rendre la césure acceptable en imaginant qu'il manque deux syllabes bien sûr, mais l'effet a l'air voulu et recherché par la poétesse, ce qui en fait une audace particulièrement précoce.
Je viens de vérifier sur le site Gallica de la BNF. Nous avons deux versions du recueil, une en deux volumes, une en trois volumes, à chaque fois le texte est le même que dans l'édition que j'ai de 2007. La césure après le déterminant "leur" a été publiée telle quelle et fut donc lue par Rimbaud et Verlaine quand ils eurent une édition entre leurs mains.
Pour rappel, en suivant le modèle repris à Chénier par Vigny, à partir de 1824 Hugo a créé des césures plus souples dans l'alexandrin, et aussi plus timidement Lamartine, Deschamps et quelques autres comme Sainte-Beuve. Mais Hugo a fait des audaces encore plus marquées dans ses vers de théâtre s'interdisant d'en commettre dans sa poésie lyrique de toute évidence, et plus que probablement averti de la distinction d'Hugo entre vers de théâtre et vers de poésie lyrique, Musset a imité les audaces dans des pièces en vers mêlées à ses poésies, sans oser pratiquer ces audaces dans des poèmes lyriques, d'où la légende que Baudelaire fut le premier à essayer de telles césures à partir de 1851. Or, Desbordes-Valmore a pratiqué une telle césure dans un poème lyrique, et plus précisément dans le poème d'ouverture de son recueil de 1830.
L'étude statistique de Gouvard est à refaire sur la période 1830-1870. Il y a plein de lacunes et de défauts d'analyse qui rendent son étude caduque alors qu'elle sert de référence dans le monde des études métriques du côté de Benoît de Cornulier.
Enfin, j'en profite pour revenir sur le cas du choix du vers de onze syllabes.
Dans les Poésies inédites e 1860 publiées en effet à titre posthume, les deux poèmes en vers de onze syllabes de la section "Famille", proches l'un de l'autre quelque peu, sont des nouveautés. Personne ne pratiquait ces vers à l'époque, et ils sont glissés dans l'économie du recueil sans prévenir, sans aucune forme de mise en garde. Le lecteur rencontre soudain un poème en vers de onze syllabes "La Fileuse et l'enfant", et il peut lire le poème sans voir que ce ne sont ni des alexandrins ni des décasyllabes, cas du lecteur inattentif à qui l'harmonie sensible a suffi. Mais le lecteur peut avoir une hésitation et ça devient amusant, d'autant qu'il doit prendre le temps de constater que la césure est bien après la cinquième syllabe, et pas après la quatrième ou la sixième. L'expérience est rejouée avec "Rêve intermittent d'une nuit triste".
En composant "Larme", Rimbaud pense précisément aux deux poèmes de Desbordes-Valmore, n'en déplaise à Bobillot qui dit que la mesure n'a rien à voir. Rimbaud s'est dit qu'il allait aller plus loin avec une césure difficilement identifiable. Tout simplement. Et quand on dit que "Larme" a beaucoup de vers qui ont une allure ternaire, ce que je dis en parlant de jeu sur l'apparence du trimètre, mais c'est un fait connu, Bernard Meyer le dit lui-même que le poème a des vers d'allure ternaire. Mais reportez-vous au "Rêve intermittent d'une nuit triste" et abstraction faite de l'identification facile de la césure vous vous rendrez compte qu'eux aussi ont une allure ternaire.
Evidemment que "Larme" fait référence à Desbordes-Valmore par son vers de onze syllabes, et cela vaut aussi pour son titre qui renvoie à la tristesse valmorienne d'une poésie alimentée de beaucoup de pleurs.
En plus, à cause de la rupture que nous subissons dans l'enseignement de l'histoire du vers français, nous avons perdu la logique qui a amené à Lamartine et à Desbordes-Valmore. Nous ne lisons pratiquement aucun poète du dix-huitième et les identifions à une manière classique défraîchie et fade par rapport aux poètes du dix-septième qui se défendaient encore. Chénier maintient quelque chose de classique par ses thèmes grecs et il n'est pas dans le lyrisme de Lamartine ou de Desbordes-Valmore. Certes, jusqu'à un certain point, il y a une nouveauté radicale chez Lamartine, mais son salut à l'automne, ses émotions liées aux saisons, l'influence de l'atmosphère sur ses pensées, tout ça s'est développé dans la poésie française de la fin du dix-huitième siècle, et dans le Lagarde et Michard du dix-huitième siècle vous avez des poèmes qui sont les sources évidentes de poèmes lamartiniens parmi les plus connus.
Or, en s'intéressant à Favart et à Marceline Desbordes-Valmore, Rimbaud va toucher d'assez près à cette origine de la poésie lyrique romantique. On interdit aujourd'hui d'appeler ça le préromantisme, ce qui n'est pas très clair ni très habilement motivé comme interdiction. Desbordes-Valmore était actrice, elle jouait des personnages de Racine, par exemple Aricie dans Phèdre, elle jouait des pièces amoureuses de Favart avec ariettes et en nourrissait sa poésie, et en 1819 quand elle publiait son premier recueil elle n'était pas sous l'influence à venir des romantiques, elle était dans cette continuité-là. Et elle a pris le train du romantisme en marche en gardant sa spécificité, et finalement cette spécificité est un naturel moins apprêté que les ronflements cosmiques de Lamartine et Hugo. Verlaine qui aimait l'esprit ancien de la Régence avec ses Fêtes galantes et du moins une certaine poésie obscure du dix-septième qu'il confondait avec la Régence a été séduit quand Rimbaud lui a fait découvrir plus avant les poésies légères de Favart et l'intimisme habile de Desbordes-Valmore.
Et la prochaine fois on va parler de la première des "Ariettes oubliées", parce qu'il y a une très forte mise au point chronologique à faire tout en établissant de manière irréfutable que Verlaine s'inspire alors du poème "C'est moi" du recueil de 1830 de Desbordes-Valmore. Il y a du jeu entre Ariettes oubliées et Fêtes de la patience en mai 1872. Il s'est passé quelque chose de capital.

mardi 22 août 2023

"Prends-y garde, ô ma vie absente !", le poème "C'est moi" source jusqu'ici jamais identifiée de la première des "Ariettes oubliées"

Oui, je sais, l'article est encore à écrire, mais tout est dans le titre, je vais écrire l'article complet.
L'article d'Olivier Bivort est en ligne : "Les vies absentes...", il n'y a pas d'identification de "C'est moi" comme source à la première des ariettes. Sur son site personnel, Christian Hervé dans la section des intertextes ne rapporte que la citation de Favart et propose un rapprochement avec un extrait des Goncourt.
Les articles de Fongaro remontent aux années soixante si pas cinquante sur les échos verlainiens et Desbordes-Valmore et ils n'ont pas rapporté l'idée que Verlaine s'est inspiré de la poétesse douaisienne pour sa première ariette. On ne retient que la quatrième, pareil pour Murphy. Pour la quatrième, je citerai tous les poèmes où le mot "pleureuse" est employé par Marceline, mais il suffit de lire la première ariette de Verlaine et "C'est moi" l'un après l'autre, et l'évidence du lien apparaît.
Desbordes-Valmore comédienne a joué à Bruxelles au Théâtre de la Monnaie, lien avec Favart du coup, et on pense au poème "Juillet", avec une scène sur le parc royal....

Tadadam !

dimanche 20 août 2023

Avant-propos à l'article "Prends-y garde, ô ma vie absente !"

Prenons la température à partir d'une publication récente qui en principe fait un sort à la recherche rimbaldienne.
Dans le Dictionnaire Rimbaud des éditions Classiques Garnier, l'entrée consacrée à Marceline Desbordes-Valmore tient presque en une colonne et cinq lignes de textes, la deuxième colonne étant dominée par les références bibliographiques. L'article commence au bas de la première colonne de la page 228 et se termine à la troisième ligne de la première colonne de la page 229. Les références bibliographiques tiennent sur une moitié de cette première colonne de la page 229. Et les références bibliographiques ne sont en réalité qu'au nombre de trois, un article d'Olivier Bivort qui a identifié le vers de Marceline Desbordes-Valmore transcrit par Rimbaud sur un de ses manuscrits, un article d'Adrien Cavallaro, l'un des directeurs du dictionnaire, et un article de Michel Murat. Cette entrée est due à la plume de Jean-Pierre Bobillot et cela se ressent vu la prédominance du questionnement sur la métrique des vers de onze syllabes.
Bobillot commence par rappeler un point capital. C'est grâce au témoignage écrit de Verlaine dans ses Poètes maudits que nous avons connaissance de l'intérêt prononcé de Rimbaud pour les poésies de Marceline Desbordes-Valmore. Cité par Bobillot, Verlaine le dit explicitement : Rimbaud l'a forcé à lire toute la poésie de Desbordes-Valmore et à ne pas la considérer comme une poétesse ayant de temps en temps un agrément. Il est assez sensible que Verlaine partageait une forte misogynie instinctive en vigueur à son époque. George Sand en a quelque peu fait les frais et il est clair que Verlaine avait un préjugé envers ce qu'il nommait un "fatras avec des beautés dedans". Misogyne également, Baudelaire avait toutefois dit du bien de la poétesse, dont il faut rappeler que le premier recueil paru en 1819 en fait une figure poétique de la toute première génération romantique avec Lamartine, Hugo et Vigny. Elle a publié des recueils dans la décennie 1830 également, et en disant cela je songe à des influences possibles de la poétesse sur la composition de certaines des Contemplations de Victor Hugo qui ne parurent qu'en 1856.
Toutefois, tout en citant ce point de vue significatif de Verlaine qui montre que Rimbaud allait à contre-courant des réticences de son époque en admirant aussi sincèrement l'œuvre de la poétesse, Bobillot se lance malheureusement dans une réserve sceptique sarcastique peu compréhensible. Bobillot torpille un avis péremptoire et gratuit de Jacques Borel qui prétend que c'est à Londres en 1873 que Rimbaud a forcé Verlaine à lire tout Marceline Desbordes-Valmore. A ce sujet, il suffit de rappeler qu'il était plus facile de convaincre Verlaine en France, notamment à Paris, là où il était loisible de se procurer les recueils de la poétesse. Et les plus malins d'entre vous entreverront déjà la réponse que je vais faire dans mon prochain article. Bobillot n'en fait rien, et il signale à l'attention que la lettre à Demeny ne cite pas une fois Desbordes-Valmore le 15 mai 1871, comme si cela pouvait contrebalancer l'affirmation écrite de Verlaine. Mais le plus drôle, c'esty que Bobillot qui a employé à la deuxième ligne de sa notice la périphrase "poétesse douaisienne", précise que Demeny est un "poète douaisien lui aussi". En clair, en allant à Douai en 187, Rimbaud a eu tout le loisir d'entendre parler des sommités littéraires locales : Desbordes-Valmore et aussi Mario Proth l'inventeur de "abracadabrantesques" dans une revue panoramique de la littérature française. Le mot "abracadabrantesques" est comme par hasard dans la lettre du 13 mai à Izambard et le sera dans celle du 10 juin à Demeny avec les versions du poème "Le Cœur supplicié" / "Le Cœur du pitre". Et si Rimbaud ne cite pas la poétesse, c'est peut-être qu'il n'a pas envie d'ouvrir une porte complaisante par laquelle Demeny pourrait s'engouffrer, sans compter que la revue des poètes faite à Demeny n'a pas affiché un parti pris d'exhaustivité. Desbordes-Valmore, Vigny, Nerval, Sainte-Beuve, Glatigny, Mallarmé, il manque du monde, même parmi ceux qui publiaient dans les livraisons du Parnasse contemporain.
Bobillot veut croire que Rimbaud n'aurait découvert la poétesse que tardivement, mais cela cadre mal avec les données biographiques puisqu'il est clair que Rimbaud s'il a fait découvrir Desbordes-Valmore à Verlaine l'a lue quand il n'était pas constamment en sa compagnie. En tout cas, au dos du manuscrit de "Patience d'un été", Rimbaud a transcrit un vers de Marceline Desbordes-Valmore : "Prends-y garde, ô ma vie absente !" Pendant longtemps, on a cru qu'il s'agissait d'un vers inédit de Rimbaud laissé en plan et appartenant à on ne sait quel poème inconnu, avant qu'au tournant du nouveau millénaire deux articles indépendants d'Olivier Bivort et Lucien Chovet ne précisent que ce vers appartenait à un poème de la poétesse douaisienne. Il faudrait vérifier ce que dit Georges Zayed dans son livre La Formation littéraire de Verlaine, car il me semble que dans cet ouvrage on a la citation de ce vers en tant qu'il était de Desbordes-Valmore. Malheureusement, je n'ai plus accès à cet ouvrage, et en tout cas pour les rimbaldiens l'identification de la source date donc de 2001 environ. Bobillot n'a même pas daigné citer le titre du poème, ni le localiser dans un recueil. Ce poème s'intitule "C'est moi", et dans mon prochain article on va en parler de ce titre comme on va se pencher sur son contenu... Et ce poème "C'est moi" fait également partie d'une section de "romances".
Alors, on peut consulter les articles de Wikipédia sur la poétesse et sur le recueil Romances sans paroles et se dire que l'influence de Desbordes-Valmore sur la composition des Romances sans paroles c'est une affaire entendue, mais à y regarder de près l'idée d'influence se limite à considérer que Verlaine a repris le vers de onze syllabes à Desbordes-Valmore avec la césure après la cinquième syllabe, en développant un thème triste. En réalité, l'influence va bien au-delà. C'est tellement énorme que je me dis que je ne peux pas être le premier à l'avoir vu, mais, peu importe, d'ici quelques jours je vais faire la mise au point, il me reste à consulter ce que peut dire Steve Murphy dans son ouvrage critique sur Romances sans paroles, à propos au moins de la première des "Ariettes oubliées". Je vais faire les choses bien et à fond, je vais bien poser les choses, et je vais aussi beaucoup travailler sur les données chronologiques, ce qui répondra aux atermoiements de Bobillot qui a manqué d'identifier que si Rimbaud ne découvre pas la poétesse tardivement il s'y intéressé tout particulièrement au printemps 1872, et c'est évidemment à ce moment-là qu'il a forcé Verlaine à la lire ainsi qu'il l'a amené à lire des ariettes de Favart, et vous imaginez que du coup on a bien, comme je l'ai déjà évoqué sur ce blog, un couple d'auteurs Favart et Desbordes-Valmore qui a une forte valeur de patron poétique pour ce qui concerne la poétique des vers particuliers de Rimbaud au printemps et à l'été 1872.
Je vous en dis beaucoup trop déjà, mais j'ai encore des petits points précis qui vont venir. Dites-vous qu'il y en aura encore dans ce que je vais écrire la prochaine fois.
Dans la suite de sa brève notice, Bobillot se maintient pour sa part dans un rejet ironique reprochant des "qualités peu rimbaldiennes" à la poétesse douaisienne. Il cite un avis de Sainte-Beuve qui peut servir de manière péjorative : "toujours souffrir, chanter toujours !" dont on aurait aimé avoir la source, d'autant qu'en-dehors de ses Cours Sainte-Beuve semble avoir écrit un livre publié à titre posthume sur Desbordes-Valmore. Sainte-Beuve est mort en 1869 et son livre sur la poétesse date de 1870, ce qui nous rapproche évidemment de la période d'activité littéraire de Rimbaud. Bobillot manque complètement de citer Verlaine qui parle d'un compère poète ayant viré de bord, et se complaisant dans le naïf et l'exprès trop-simple. Encore une fois, je dénonce une entrée du Dictionnaire Rimbaud dirigé par Vaillant, Cavallaro et Frémy, qui est entièrement à refaire. Je laisse à Murphy, Reboul et autres chroniqueurs de la revue Parade sauvage le soin de nous expliquer les louanges qu'ils servent ou soutiennent en faveur d'un dictionnaire décidément aussi contestable.
Et Bobillot termine sa recension par le cas du vers de onze syllabes, mais pour souligner que Rimbaud n'a pas appliqué la césure de la poétesse, ce qui, chez les métriciens, signifie que le vers de Rimbaud n'a rien du tout à voir avec celui de Desbordes-Valmore. Evidemment, il ne faut pas conclure aussi vite. Oui, Rimbaud n'a pas repris la césure après la cinquième syllabe, mais il a utilisé la longueur du vers de onze syllabes à partir de mai 1872, ce qui, oh j'anticipe sur mon prochain article, nous renvoie à la composition de la première des "Ariettes oubliées" et aussi quelque peu à la composition de la cinquième, ce qui nous renvoie aussi à la composition de "Patience d'un été". Les convergences sont élevées. Rimbaud a composé deux poèmes en vers de onze syllabes qu'il a datés de mai 1872, les deux autres poèmes en vers de onze syllabes sont postérieurs : "Est-elle almée ?" en juillet et "Michel et Christine" en juillet sinon plus probablement août 1872. Un poème s'intitule "La Rivière de Cassis" et l'autre en quatrains s'intitule carrément "Larme", un titre valmorien s'il en est.
Peut-être qu'il ne faut pas se contenter de comparer "Larme" superficiellement aux deux poèmes en vers de onze syllabes connus de la part de Marceline, peut-être qu'il faut aller plus loin dans les comparaisons, s'intéresser aux thèmes, à la poétiques, aux poèmes voisins des prestations hendécasyllabiques. Voilà ce que je vais étudier dans mon prochain article à venir.



Tadadam !

jeudi 17 août 2023

Propos éclatant de voyant pour le temps présent

Je suis en train d'étudier un scoop qui concerne Rimbaud et Verlaine à propos des poésies de Desbordes-Valmore et cela implique aussi un petit retour sur certaines pratiques de Baudelaire, mais je n'en dis pas plus pour l'instant.
Dans la situation actuelle, la plupart des gens ont choisi lâchement le discours officiel des Etats-Unis et de l'Otan. Jusque disons les années quatre-vingt en gros, il existait une certaine bienveillance des politiques et des médias envers les populations, et les gens ne voient pas qu'il n'en plus du tout question actuellement et que nous vivons sous des politiques exclusivement corrompus.
Ce qui est fascinant, c'est de voir les fins de non-recevoir face à une série de faits graves incontournables. Les gazoducs Nordstream ont été détruits dans une zone parfaitement contrôlée par les pays de l'Otan et pas du tout par la Russie, contrôle des actions et des observations j'entends, et on a vu comment finalement une accusation a été portée contre les Etats-Unis et on a apprécié la pirouette invraisemblable de l'Otan et de Washington qui sont passés d'une accusation contre les russes à une accusation contre des quidam ukrainiens passe-partout. On a déjà précisé que cette guerre n'aurait pas eu lieu si les accords de Minsk avaient été respectés comme le demandaient les russes. Leur respect aurait évité ses plusieurs fois centaines de milliers de morts et cela aurait pour conséquence que les régions de Donetsk et Lougansk seraient en Ukraine, mais avec un statut autonome. Je ne suis pas pour cela, mais en revanche ceux qui défendent le point de vue de l'Otan et des pays occidentaux il va falloir se lever tôt pour expliquer pourquoi on a refusé une telle solution et armé massivement les ukrainiens. Il y a entre dix et vingt fois plus de morts du côté ukrainien que du côté russe à mon humble avis. Outre les persécutions à l'intérieur de l'Ukraine contre les russophiles et outre les vingt mille morts de ces huit dernières années, les ukrainiens lancent offensive sur offensive contre une artillerie de défense qui fait des cartons. Les russes eux-mêmes ne communiquent certainement pas le vrai chiffre alarmant des morts en Ukraine. Personne ne le fait. Donc, après Nordstream et le mépris des accords de Minsk, on a à rappeler le coup d'état de 2014 avec les propos de Nuland, les choix des ministres par les américains naturalisations ukrainiennes expresses à la clef, les reportages sur les révolutions de 2005 à 2014 en Ukraine par Loizeau, Moreira et le cinéaste Oliver Stone. On a bien sûr le problème des insignes nazis. En 2022 et en 2023, des drapeaux avec les insignes nazies de la division SS ayant fait Oradour-sur-Glane se baladent impunément dans des manifestations décomplexées dans les rues de Paris. J'ai des photos et j'ai les dates de prises des photos. On a d'autres symboles. Depuis Marioupol, les symboles semblent s'être fait plus discrets. Ce n'est pas tout à fait ça. Les ukrainiens reçoivent du matériel occidental et notamment des chars allemands léopards, dont les noms de félins sont dans la tradition qui a fait les panthères (panzers) et tigres de la Seconde Guerre Mondiale. Les ukrainiens les reçoivent et les décorent de croix allemandes, mais pas la croix de Malte actuellement officielle dans l'armée allemande, non non que du regard dans le rétro avec la "balkeunkreuz" notamment. J'ai une capture d'écran où c'est les ukrainiens à l'intérieur du char qui se filment eux-mêmes. Pire encore, sur plusieurs vidéos, on a des chars avec des croix blanches. Or, la croix blanche nazie correspond à deux épisodes historiques. D'abord, la croix blanche fut arborée par les panzers lors de la campagne de Pologne en 39, ensuite seules les divisions SS ukrainiennes furent autorisées à l'afficher sur le flanc de leurs chars. En clair, les polonais offrent généreusement des armes à des gens qui affichent un symbole de l'oppression des polonais en 39. Je suppose que les polonais avaient quelques chars Léopard et qu'ils les ont envoyés en Ukraine. On se doute de quels graffitis ils ont été gratifiés. Il y a encore beaucoup à dire et on se dit qu'à force d'énumérer les points, les gens vont mécaniquement les relier entre eux et commencer à se dire que leurs dirigeants les mènent en bateau et que le combat du bien et du mal n'est pas du tout ce que l'on croit. Les élections antérieures à 2014 en Ukraine on peut les consulter. Celle de 2010 a été considérée comme transparente. Pourquoi alors justifier en révolution le coup d'état de 2014 ? Notez qu'en 2023 on nous parle d'un  président démocratiquement élu au Niger alors qu'il y a eu des critiques sur la procédure électorale par les observateurs et notez qu'on va sanctionner l'un des pays les plus pauvres du monde, pays où la majorité de la population soutient le putsch et veut enfin se libérer de la présence des globalistes français, américains, et autres, qui jusqu'à plus ample informé n'ont pas été capables à des prix comparables à l'exemple voisin de la Côte d'Ivoire d'installer l'électricité et des routes accessibles à la quasi totalité de la population.
Evidemment, il faut citer ce qu'on osé publier les américains, notamment ce qu'a écrit sur l'Ukraine Brzezinski (prononcer Bjezinski) dans son livre paru en français au format de poche Le Grand échiquier. Il va de soi que cette guerre oppose les Etats-Unis et la Russie, avec d'un côté une volonté de dominer le monde en faisant du démantèlement de la Russie une étape préalable à l'étouffement de la Chine et de l'autre côté une Russie qui veut à la fois préserver sa sécurité la plus vitale et voler au secours des russes et russophiles d'Ukraine, pays dont la composition historique tant territorial qu'ethnique semble décidément résolument inconnue de nos béatitudes occidentales.
Depuis longtemps, et sur ce blog même, je le dis, malgré la dimension d'affrontement de deux grandes super puissances, les occidentaux ignorent superbement la réalité première de la guerre civile en Ukraine. Dans cette guerre, il faudrait peut-être demander leur avis à tous les supposés "ukrainiens", aux criméens, aux habitants du Donbass et de Lougansk, trois régions qui n'ont été ukrainiennes que par rattachements tardifs au sein de l'URSS. Les régions de Kherson, Zaporije, mais aussi d'Odessa, de Mikolaiev de Kharkov posent problème et même la région de Dnipopetrovsk.
J'ai entendu enfin quelques intellectuels plus proches de ce que je pense souligner que ce point est étonnamment mis peu en avant. Au passage, il y a des intelelctuels qui nbe s'expriment pas, parce qu'ils ont peur de la censure, peur pour leur carrière, peur pour leur image publique de passer pour des pacifistes façon 1915.
Mais bon, vous voulez assister à la fin de la puissance économique européenne ? Alors oui depuis qu'on n'a plus accès au gaz russe, au pétrole russe, etc., on ne s'est pas encore effondrés, on  a d'étonnantes capacités de résiliences, mais bon vous croyez que ça va durer encore longtemps, vous croyez que l'industrialisation de l'Allemagne et des Pays-Bas est au beau fixe, que la réindustrialisation de la France c'est pour demain 18 heures ? Moi pas, je considère que c'est fini de chez fini. Voyez le rejet de l'occident dans les pays francophones d'Afrique de l'ouest. L'Histoire est en marche.
Alors, évidemment, vous avez cet argument de vous dire que si tous les pays autour de la Russie ont l'air de s'en méfier, de vouloir la combattre, c'est qu'il y a une raison. Méfiez-vous quand même des raccourcis. Ce n'est pas parce que beaucoup de pays voisins ont des contentieux avec la Russie que la Russie a tort dans le cas ukrainien, c'est un premier point. Ne confondez pas l'impérialisme russe conquérant ancien et l'impérialisme de défense des acquis actuel. Dites-vous que les polonais et lithuaniens ont eu des empires peu reluisants, très agressifs quand ils en avaient les moyens. Je vous rappelle que juste avant de se faire envahir par les allemands en 39 les polonais se sont alliés aux allemands pour attaquer la Tchécoslovaquie et récupérer quelques villages. Les roumains, bulgares n'aiment pas eux non plus les russes, mais il n'y a pas de l'ingratitude non plus quelque part ? Les russes ils n'ont pas contenu et repoussé plusieurs empires menaçants pour les européens. Ils se sont pris l'empire mongole, mais ils ont résisté de manière originale à l'empire napoléonien, ils ont eu un rôle dans le recul de l'empire ottoman, ils ont enfin été les principaux contributeurs à la victoire contre le nazisme et on rappelle que sur la trentaine de millions de morts, il n'y a qu'un pourcentage je ne sais plus lequel de pertes militaires. Les nazis ils tuaient des civils, ils arrivaient dans un village, tout le monde y passait, il y a un pourcentage très élevé de morts civils dans ces trente millions de russes. Ils n'ont vraiment pas froid aux yeux les allemands d'envoyer des chars léopards en 2023 !
Et j'en arrive à ce super point de voyant pour notre temps présent. Plusieurs intellectuels le disent : nos gouvernants corrompus et carriéristes sont vendus aux américains, et les gens qui soutiennent la guerre de l'Otan en Ukraine sont de facto les partisans d'une domination du monde par les Etats-Unis. Ils sont français, belges, allemands, anglais, polonais, etc., ils sont donc pour que les Etats-Unis dominent le monde, plutôt que soucieux des intérêts des pays où ils vivent ou plutôt que d'être soucieux du sorts des africains, des asiatiques, des latinos, etc. C'est un truc de dingue, mais le point du voyant va plus loin encore. Les polonais, les lithuaniens, les ukrainiens de l'ouest et autres gens qui s'enflamment à la façon nazie pour combattre les russes, ils se posent bizarrement la question de leur identité nationale. Ils sont particulièrement longs et lents à la détente pour comprendre quelles sont les intentions des commanditaires américains à leur égard : tous ces ukrainiens qui meurent en masse, tous ces polonais et baltes excités, tous ces français, allemands et anglais va-t'en-guerre. Mais en plus les ukrainiens de Galicie et de Volhynie, les polonais et les lithuaniens, s'ils veulent que leur nation montre la tête, comment se fait-il qu'ils participent ainsi à aider les américains à essayer de résorber le seul modèle viable de tête qui dépasse que peut encore offrir l'occident ?
Voilà, tout est dit.