lundi 30 octobre 2023

Complément sur la rime "daines"/"soudaines", nouvelle fournée, des éléments de l'article de Banville sur le recueil Les Baisers !

Commençons par des rappels contextuels. En 2009, j'ai déchiffré deux vers jusque-là réputés illisibles du manuscrit du poème "L'Homme juste" et avant même toute publication d'article cela a fait partie d'un ensemble d'informations communiquées à André Guyaux, car j'espérais pour conséquence que le public pourrait sans délai profiter d'une lecture enfin confortable des deux derniers quintils. Guyaux m'a cité pour ce déchiffrage, mais comme le travail du texte semble avoir été confié à Aurélia Cervoni, celle-ci a cru lire "de daines" et non "ou daines", ce qui nous vaut l'anomalie d'une attribution qui m'est faite de la leçon "de daines" dans l'édition de La Pléiade, sans oublier que pose problème l'usage des crochets marquant que l'éditeur n'entérinait pas la solution. Parallèlement, Rimbaud étant au programme du concours de l'Agrégation dans les filières de Lettres pour l'année 2009-2010, j'ai publié un article bref dans une revue obscure dont le titre est une citation de "Matinée d'ivresse" : "Nous t'affirmons, méthode !" Et enfin, j'ai publié une version sur le blog "Rimbaud ivre" de Jacques Bienvenu. Malgré sa somme philologique sur l'établissement des textes en vers de Rimbaud, le volume Poésies, tome I des Oeuvres complètes de Rimbaud, Steve Murphy n'a jamais daigné répondre à cette intervention, ni en privé, ni publiquement. Il s'est contenté de dire à deux reprises que je proposais une solution, solution qu'à deux reprises il a mal transcrites, l'une des mauvaises transcriptions est "d'aines" dans le Clef Concours Atlande sur Rimbaud pour le concours de l'Agrégation 2010, l'autre je ne l'ai pas en tête en ce moment. Je rappelle qu'il n'existe aucune réponse non plus de Steve Murphy sur le démenti de la pagination des manuscrits des Illuminations  par des articles de Jacques Bienvenu où je suis impliqué pour un argument. Je rappelle que le tome III des Oeuvres complètes où il aurait été question des Illuminations n'a jamais vu le jour, et je rappelle que le tome IV des Oeuvres complètes de Rimbaud avec sa collection de fac-similés ne recense pas le manuscrit allographe de quatrains reportés à l'encre pour constituer la version de "L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple", ni la mention au crayon "Copie Vne" en marge de la version imprimée remaniée en deux triolets du "Coeur volé". J'ai en principe toujours les photographies prises à la Bibliothèque nationale belge dite familièrement l'Albertine à Bruxelles sur un appareil photographique numérique. Je prévois de les publier sur ce blog quand j'aurai remis la main dessus, j'ai publié un article sur ce sujet : "Mais que sont devenus les manuscrits de 'Paris se repeuple' ?" dans un numéro collectif rimbaldien. Steve Murphy n'a répondu à aucune de ces avancées ou remises en cause, ni sur les vers de "L'Homme juste", ni sur la pagination des Illuminations, ni sur l'exemplaire du Reliquaire remanié par Vanier conservé à Bruxelles. Il n'a pas dit que j'avais tort dans mon déchiffrement des vers de "L'Homme juste", il s'est gardé de répondre, ce qui n'est pas la même chose.
J'ai contre moi les maladresses de Guyaux et de Cervoni pour l'édition de La Pléiade, le silence de Murphy, et aussi finalement de la part de pas mal de rimbaldiens. Bardel, il ne compte pas, il pèse par sa présence sur internet, mais on aurait pu avoir des réactions d'autres rimbaldiens, simplement désireux de lire enfin ces vers en entier. Et, surtout, il n'est question que de déchiffrer des lettres, des mots, un vers sur un manuscrit, et c'est une syllabe qui est dure à lire, c'est tout ! La syllabe "ou" collée à "daines". Il n'y a rien d'autre à déchiffrer, absolument rien ! Cela veut dire que n'importe qui là dans la section des commentaires du blog "Rimbaud ivre" ou ici dans la section des commentaires du blog présent "Enluminures (painted plates)" peut dire qu'à l'évidence il est écrit : "ou daines". A un moment donné, on va finir par interroger les experts professionnels auprès des vendeurs de manuscrits anciens pour authentifier qu'il est écrit "ou daines". Au fait, pourquoi on ne leur demande pas leur avis ? Moi, je ne peux pas, je suis considéré comme persona non grata. Et ce n'est pas tout, je n'ai pas identifié la signature "PV" sous le manuscrit de "L'Enfant qui ramassa les balles..." Cette information, elle est venue de Steve Murphy qui bien évidemment a eu la primeur de la photographie nouvelle du manuscrit avec cet élargissement. Steve Mur(phy le signalait dans une note de bas de page en soutenant que le poème était de Rimbaud. En 2009, quelques années après déjà, j'ai agi pour que cela cesse. J'ai pris à mon nom de combattre cette imposture d'attribution à Rimbaud. La première photographie ne prenait que les vers et on a identifié l'écriture de Rimbaud, Bouillane de Lacoste habitué à  considérer le poème comme étant de Verlaine avait protesté malgré la réattribution à l'époque. Il est vrai qu'il était influencé par son habitude. Or, la nouvelle photographie révélait la signature "PV", ce qui voulait dire que Rimbaud avait recopié un poème de Verlaine. La signature "PV", elle n'a pas été mise comme ça au milieu du vingtième siècle par un détenteur du manuscrit, elle est selon toute vraisemblance d'époque. Ce n'est pas Régamey qui s'est amusé à la mettre, et Régamey disait bien que les deux poèmes étaient de Verlaine. On peut toujours imaginer des scénarios tordus, mais du point de vue de la recherche scientifique la plus scrupuleuse, la plus rigoureuse, la plus logique et la plus simple, Rimbaud a recopié la deuxième moitié d'un distique inventé par Verlaine seul, et la signature "PV", c'est soit Rimbaud, soit Verlaine reprenant la plume qui l'a mise. C'est tout. La signature "PV" prévaut sur l'écriture de copiste de Rimbaud. On n'attribue pas la copie manuscrite du "Bateau ivre" à Verlaine, ni plusieurs autres copies manuscrites par Verlaine de poèmes de Rimbaud. Là encore, levée massive de boucliers : Murphy, Lefrère et Guyaux pensaient contre Ducoffre que le dizain était bien de Rimbaud et non de Verlaine, comme si les arguments n'avaient pas de valeur hiérarchique, comme s'ils pouvaient expliquer pourquoi Rimbaud aurait laissé Verlaine signer "PV" sa création, comme s'ils pouvaient expliquer pourquoi Rimbaud lui-même aurait signé "PV" sa création. Or, lors de la publication du Dictionnaire Rimbaud, celui dirigé par Vaillant, Cavallaro et Frémy, paru en 2021 je crois, Steve Murphy a publié quelques articles et dans l'un d'eux il rappelle le problème de "L'Enfant qui ramassa les balles..." en disant que plusieurs pensent le poème de Rimbaud, mais n'ont opposé aucun argument à Ducoffre exhibant la signature "PV". Vous voulez que je recherche la référence, que je vous cite la phrase de Murphy ? Je pourrais le faire prochainement en mettant cela à la suite des autres citations de réaction (Clefs concours Atlande, etc.). Vous voyez bien qu'il y a un problème.
Je suis refusé sur le déchiffrement de "L'Homme juste", refusé sur la réattribution à Verlaine d'un poème signé "PV", refusé sur une analyse de la pagination allographe des Illuminations, ignoré sur la valeur de l'exemplaire du Reliquaire annoté par Vanier, et je vous passe plusieurs autres sujets, "Voyelles" et la chronologie de l'Album zutique notamment. Je rappelle que Bernard Teyssèdre s'attribue une chronologie des compositions zutiques, alors que cette chronologie je l'ai établie dans trois articles que Teyssèdre cite précisément dans sa bibliographie de fin d'ouvrage ! Si mes articles sont cités à la fin de son ouvrage, c'est que mes antériorités sont incontestables, non ?
Bref, vous comprenez qu'on puisse en avoir bien marre. Enfin, j'espère !
Maintenant, revenons à cette solution. Quand on écrit un article, on l'organise, mais factuellement cela s'est passé ainsi. J'ai consulté le manuscrit de "L'Homme juste" et à ma grande surprise j'ai découvert qu'il n'était pas du tout illisible. J'ai lu "ou daines". Je l'ai fait lire à d'autres personnes, notamment à ma mère qui ne risque pas de me faire un procès si je rends compte de cet entretien privé. Elle n'est pas arrivée à déchiffrer le "ou" elle-même, ce qui m'a déçu. Je lui ai dit la solution :  "ou daines", elle a répondu :  "oui, une fois qu'on le sait, oui c'est ça, mais c'est difficile, je ne trouvais pas!"
Jacques Bienvenu a trouvé évidente ma solution à 200% comme il le disait à l'époque. Je crois que Reboul fait partie aussi des gens qui l'admettent, puisque je le rencontrais parfois à l'université du Mirail à Toulouse. Mais, après, personne pour m'écrire ou me dire que j'ai raison. Nada de chez nada.
Alors, je reviens sur la rime "daines"/"soudaines" exploitée par Ernest d'Hervilly. En 2009 ou 2010, le recueil Les Baisers n'était pas consultable sur internet, n'était pas téléchargeable sur le site Gallica de la BNF. En revanche, des facs-similés des reliures des livraisons mensuelles de la revue L'Artiste étaient disponibles sur le site Gallica de la BNF, et Jacques Bienvenu avait exploité l'un d'eux pour son article sur "Chanson de la plus haute Tour" rapproché de poèmes de Glatigny et notamment de la plaquette "La Presse nouvelle". Il se trouve que j'ai lu la rubrique "Les Livres" de Banville dans le numéro de la revue L'Artiste de mars 1872 et je suis tombé à ma grande surprise sur la rime "daines"/"soudaines", et ça m'a fait d'autant plus d'effet que je venais assez récemment de déchiffrer les vers du manuscrit de "L'Homme juste".
Alors, je ne sais plus les dates des différents articles. Le volume de l'édition de La Pléiade date de 2009 et l'article sur le site "Rimbaud ivre" date d'octobre 2010. En tout cas, à un moment donné, comme je collaborais au blog "Rimbaud ivre" à l'époque, il a été décidé que ma découverte de déchiffrement serait publiée en ligne. Et je tiens à préciser que Bienvenu étant celui qui a publié mon article nous étions tous les deux d'accord sur le fait que cette rime "daines"/"soudaines" Rimbaud l'avait lue dans l'article de Banville. Et je peux même préciser que l'expression de mon article : "la garantie de la viabilité suprême de cette rime" je l'ai reprise je crois mot pour mot des pressions orales de Bienvenu qui voulait que j'insiste sur l'importance de cet article de Banville, et ce que j'ai écrit sur le blog en 2010 a un sens précis : je ne dis pas que l'emploi d'Hervilly de cette rime et la reconnaissance de Banville prouve qu'il est viable d'employer cette rime, ça n'aurait aucun sens, c'est une rime, point ! L'expression que j'ai reprise à Bienvenu (il échangeait avec moi avant la publication sur son blog) signifie, et en tout cas c'est ainsi que je comprenais les choses quand j'écrivais) que la rime en tant que déchiffrement est viable parce que, pré-ci-sé-ment, cette rime rarissime est citée dans la presse deux mois auparavant par rien moins que Banville, et citée au sein d'un poème d'Ernest d'Hervilly, poète que Rimbaud aurait insulté lors du dîner des Vilains Bonshommes du 2 mars 1872 qui lui a valu un bannissement et à tout le moins qui l'a amené à un exil de presque deux mois, entre la mi-mars et le 7 mai 1872 environ. Cette révélation prouvait que j'avais vu juste et je  n'ai jamais soutenu que Rimbaud avait lu plutôt le recueil Les Baisers que l'article de Banville. Je suis assez fûté pour comprendre immédiatement la logique de Rimbaud qui va citer un extrait saillant. A l'époque, beaucoup de gens lisaient la revue L'Artiste parmi les poètes, et pas toujours les recueils proposés. Je garantis formellement que moi comme Bienvenu considérions que d'évidence Rimbaud réagissait cet article. Cela ne faisait aucun doute. Bienvenu n'a pas attendu 2023 pour y penser. C'était ce qui nous paraissait évident en 2010. En revanche, lui comme moi, nous avons laissé passer le temps et nous avons négligé d'essorer la rubrique de Banville pour lui faire dire tout ce qu'elle avait à révéler.
Récemment, et avec raison, Jacques Bienvenu a cité une phrase qui aurait fait un bon effet dans mon article de 2010. Effectivement, Banville a des mots très forts pour souligner le mérite qu'il prête à cet encore inconnu Ernest d'Hervilly. Bienvenu fait la citation suivante : "[...] parmi les jeunes poètes dont la réputation depuis quelques années, je n'en connais pas un qui soit plus original et plus nouveau qu'Ernest d'Hervilly, qui vient de publier son petit livre des Baisers." La citation a une lacune, je vais la reprendre et l'allonger, et je précise que "Parmi" est bien un mot en attaque de phrase et même de début de paragraphe juste après la citation des vers de "La Presse nouvelle" de Glatigny :

    Parmi les jeunes poètes dont la réputation s'est faite depuis quelques années, je n'en connais pas un qui soit plus original et plus nouveau qu'Ernest d'Hervilly, qui vient de publier son petit livre des Baisers. Oui, il est nouveau, vraiment moderne, vraiment contemporain, comme Edgar Poe, comme Baudelaire, comme Gavarni. Il habite non pas dans la lune, mais dans le Paris d'Etienne Lousteau et de Lucien de Rubempré ; les lèvres que ses baisers ont caressées appartiennent non pas à des dames chinoises ou à des princesses grecques, mais à des Parisiennes de Paris ; croyez qu'il ne manque pourtant ni de caprice, ni d'humour, ni de fantaisie, et qu'il n'est pas moins poète pour cela ; et pour en être certains, lisez avec moi quelques-uns de ses vers."
La citation des vers ne suit pas immédiatement, nous enchaînons avec un autre paragraphe en prose dans lequel Banville prend la défense d'un poète qu'il prétend fustiger par les censeurs actuels de la Sorbonne ou de l'Académie, mais qui passera à la postérité, et je cite enfin à dessin la formule qui lance la citation des vers du poète : "[Les Baisers] auront leur place dans toutes les anthologies, et les écoliers apprendront alors par cœur cette délicate et naïve Epitaphe : [...]" Et l'article se termine par la citation du poème. Je vais y revenir. Mais, vous constatez que dans le premier paragraphe cité, énormément de mots font sens pour Rimbaud. Hervilly est selon Banville "original", "nouveau", "moderne", "vraiment contemporain" Il est comparé à "Poe" ! C'est marrant, mais un peu après Rimbaud compose "Famille maudite", poème réintitulé "Mémoire", mais qui dans sa version initiale "Famille maudite" était coiffé du surtitre "Edgar Poe". Verlaine dira en Angleterre que lui  et Rimbaud apprennent la langue du pays en lisant Edgar Poe, et on ne rappelle plus l'introduction en France de Poe par les traductions de Baudelaire. Baudelaire, le deuxième nom auquel Banville compare Ernest d'Hervilly : tout un programme ! D'ailleurs, le quintil ABABA de "L'Homme juste" est un héritage, une adaptation d'un modèle baudelairien !!! Et puis, il y a ce nom Gavarni qui détonne un petit peu, qui est cher à Banville, et qui a déjà été brocardé par Rimbaud ! On appréciera la mention des "dames chinoises", Ernest d'Hervilly on l'a compris préfère les daines parisiennes. On est loin de l'appréciation désagréable proposée par Marc Dominicy. Rimbaud exècre les yeux de non pas de naines et de trisomiques, mais de daines dont le regard inoffensif est explicité par les vers et la rime "daines"/"soudaines" d'Ernest d'Hervilly : "les fuites soudaines" des daines et des merles, cela veut dire que leurs yeux sont doux, craintifs. Les dames chinoises citées par Banville sont séductrices, puisqu'à bien lire le texte de Banville l'exotisme en poésie a l'avantage et c'est contre la fantaisie et le caprice des sujets exotiques que la poésie parisienne d'Ernest d'Hervilly surprendrait par sa capacité à être fantaisiste et capricieuse autrement. On est loin de la thèse dépréciative de Dominicy, et je voudrais que celui-ci ou d'autres m'expliquent les rencontres élevées entre les deux quintils de "L'Homme juste" et la partie de la rubrique de Banville consacrée au seul recueil d'Hervilly. Je n'ai pas fini, j'ai cité à dessein la phrase qui introduit à la lecture des vers, elle parle d'écoliers récitant une épitaphe délicate et naïve. Des écoliers récitant une épitaphe, cela ressemble à des "enfants / Près de mourir", l'épitaphe n'est pas la leur, mais il meurt de pâmoison en la lisant en quelque sort, et ce sont des "idiots doux  aux chansons soudaines", il récite par cœur une poésie lyrique délicate et... naïve.
Et enfin, au-delà de la rime "daines"/"soudaines", j'ai insisté dans mon précédent article sur des éléments qui n'auraient jamais dû m'échapper en 2010, l'équivalence de serrement du cou entre la "gorge cravatée / De honte" et le poète amant qui est invitée par sa belle qui a froid a mieux serrer le châle autour du cou. Oui, dans un cas, la cravate de honte est sentie comme mortelle, tandis que dans l'autre le cou est protégé, mais le parallèle de serrement du cou est encore un point commun entre les deux poètes et la mort est présente, la dame avait froid et elle est morte peu après.  Le poème s'intitule "Epitaphe" et raconte ce dernier souvenir deux ans après. Au sein de son article, Bienvenu offre un fac-similé de la dernière page de la rubrique de Banville. Mais la citation du poème commence à l'avant-dernière page. Or, si on prend la citation faite par Banville dans son ensemble, nous avons deux mentions de l'adjectif "doux". Le mot est à la rime du premier vers de la citation et il est placé après le nom auquel il se rapporte "sanglot" à la fin de la longue séquence de récit, à l'antépénultième vers du poème, puisque nous avons encore droit à un distique conclusif. Je cite donc les deux vers en question et, en évitant de croire que Rimbaud parle de lui-même dans "Roman", notez que le premier vers correspond à l'âge de Rimbaud en mars 1872, il n'avait même pas dix-sept ans et demi, il lui manquait encore un bon mois pour ça :
Elle avait dix-sept ans. C'était un très doux être,
[...]
Un sanglot doux m'étouffe et me rend anxieux.
Le sanglot qui étouffe le poète et le rend anxieux est quelque part plus proche de l'expression "la gorge cravatée / De honte". Le fait de placer l'adjectif "doux" après le nom est commun à "sanglot doux" et "idiots doux" et donc aux deux poèmes rapprochés à partir de la commune rime "daines"/"soudaines". Et la douceur revient elle aussi à deux reprises dans les dix vers que Rimbaud a ajoutés à "L'Homme juste". Rimbaud n'emploie pas l'adjectif "doux" dans les quintils initiaux connus de "L'Homme juste" du moins dans les 45 vers qui nous en sont parvenus. Il l'emploie deux fois dans les dix vers ajoutés, ce qui établit bien une nouvelle "convergence" trouble entre la citation faite par Banville et ces deux quintils : "doux / Comme le sucre sur la denture gâtée..." et plus loin "idiots doux", sachant que "doux" est placé après la césure cette fois, une fois à la rime, une fois en rejet au second hémistiche, ce qui vaut soulignement renforcé de son emploi. Mais ce n'est pas tout ! Nous avions le couplage "yeux de chinois ou daines". Il va de soi que Rimbaud n'en est pas resté à la mention des "dames chinoises", Rimbaud n'est pas un poète simpliste, mais les "yeux" étaient ainsi mis en vedette. Dans un article antérieur de la revue L'Artiste, j'ai relevé une expression du genre "il ne faudrait pas avoir les yeux de... mais les yeux de l'esprit", mais peu importe. Ici, dans le poème cité par Banville, le mot "yeux" est à la rime, et les yeux sont un livre ouvert de mots cités en italique. Avant de citer ces mots en italique, je me permets de faire remarquer que Banville parle de lire une poésie parisienne qui se substitue à des mots renvoyant à des "dames chinoises". Quelque part, les "yeux de chinois ou daines", c'est l'équivalence de la fantaisie selon Banville que Rimbaud a cerné et frappé d'inanité. Banville, disciple du Victor Hugo des Orientales, vante l'évasion par le libre choix de sujets dépaysants avec les "dames chinoises" comme avec les femmes grecques, mais pour faire un mérite à d'Hervilly de ne  pas recourir à ces artifices. Hervilly a le même talent de caprice et de fantaisie en traitant de sujets parisiens. Et Banville d'illustrer cela par la citation d'un poème annoncé comme parisien. Je ne sais pas à quel point les daines sont parisiennes, mais les "yeux de chinois ou daines", si les yeux sont un livre ouvert devant le poète ça veut dire pour Rimbaud qu'il exècre le faux et facile exotisme de traiter un thème chinois en poésie tout comme l'espèce de facilité si pas cliché de comparer un femme amoureuse à une daine ou un merle. Et pour signe tangible que Rimbaud cible la mention "yeux" à la rime dans l'extrait d'Ernest d'Hervilly, j'en veux pour preuve que "denture" a la terminaison du mot "friture" et que les mots "latin sauté", "friture" évoquent les plaisirs de la table, la friture étant susceptible non seulement de rimer avec "denture" mais de provoquer des caries, et Rimbaud rappelle un autre cliché de la poésie amoureuse avec la femme qui aime les bonbons quand il parle de la douceur du sucre. On lisait dans les yeux de cette femme des mots qu'elle-même trouvait "délicieux", mot qui rime avec "yeux" dans cette "Epitaphe". Le poète (Hervilly pour dire vite) parle de sa douleur passée comme d'un "sanglot doux", sanglot qui donne l'impression d'un rengorgement, d'une salive qu'on ravale. Et dans les mots en italique que lisait le poète dans les yeux de sa défunte aimée il y a "friture", "lapin sauté", mais aussi "balançoires" et "bosquets" qui ne sont pas dénués d'intérêt quand on songe que quelques vers plus loin la femme est comparée aux merles et aux daines. Oui, l'écriture de Rimbaud est tellement télescopée que vous n'y comprenez rien. Vous devez sentir au moins que ces rapprochements dépassent nettement la simple coïncidence. Une autre métaphore alimentaire ou d'engorgement est employée par Rimbaud : "ruminant mon ennui". Rimbaud raille "l'Homme juste", à savoir Hugo, lequel doit s'en aller en "ruminant" le spleen que Rimbaud lui a envoyé à la face. Dans "Epitaphe", l'amant rumine un amour mort deux ans après. Et autre candidat à un rapprochement avec les "enfants près de mourir" nous avons cette femme morte à dix-sept ans qui était frileuse, et dont le dernier souvenir dont nous fait part le poète est cette atteinte du froid qui fait qu'il est invité à nouer un châle autour du cou, sauf que la froideur mortelle ira jusqu'à son terme et que le poète ne sauvera pas du tout cette femme fragile. C'est bien un récit convoquant le souvenir d'une enfant près de mourir.
Bien sûr que Rimbaud ne redit pas le poème d'Hervilly ou les propos de Banville, il construit sa réplique par des procédés de résonance, ce qui est nettement distinct.
Evidemment, je ne peux pas surexploiter les rapprochements, rime en "-té" contre rime en "-tée", mention non à la rime d'un "lapin sauté" et puis d'une chienne victime de l'assaut des toutous avec une "entraille emportée" qui ferait presque songer à une équivalence entre le pélican de Musset se sacrifiant pour ses enfants et la chienne victime des ardeurs abusives des chiens mâles. Il y a d'autres sources à dépister, c'est une évidence.
Maintenant, en attendant de nouvelles découvertes plus précises, je vais parler de l'insertion des deux quintils dans le poème "L'Homme juste" et de la revue L'Artiste au-delà du texte de Banville, encore que j'ai encore quelque chose à dire sur sa rubrique.
Le poème "L'Homme juste" cible Victor Hugo, comme l'a démontré Yves Reboul dans un article du numéro 2 de la revue Parade sauvage et même s'il nous manque les vingt premiers nous savons que la "nuit" y est importante, il est question de "farces de nuit", ce qui veut dire que l'expression "Nuit qui chante" indiscutable à la lecture tête posée du manuscrit n'est pas un ajout insensé au poème. Nous constatons aussi que le poème est de nature politique et parle des émeutiers qui ont essayé d'attaquer la porte de la maison de Victor Hugo à Bruxelles. Victor Hugo rejetait dos à dos les communeux et les versaillais, mais ils prenaient la défense des réfugiés de la Commune. Rimbaud ne se satisfaisait pas de cela. Or, dans les dix vers ajoutés, Rimbaud formule son désir du départ du poète. L'expression "ruminant mon ennui" exclut l'idée d'une mort de Victor Hugo, mais il lui souhaite un nouvel exil. Rappelons qu'en mars 1872, quantité de grands noms de la poésie française ne sont déjà plus : Vigny, Lamartine, Sainte-Beuve, Baudelaire,... Peu importe l'importance réelle de Sainte-Beuve en tant que poète, je parle de notoriétés publiques qui disparaissent, et il y en avait d'autres : Nerval, etc. Gautier était en mauvaise santé avant de décéder, et il est précisément mort à la fin de l'année 1872. Rimbaud venait d'écrire en février 1872 un poème communard satirique "Les Mains de Jeanne-Marie" qui prenait pour modèle le poème "Etude(s) de mains" du recueil Emaux et camées de Gautier. Or, dans la revue L'Artiste, avant le mois de mars 1872 et la rubrique "Les Livres" signée par Banville, il y avait eu une recension du dernier ouvrage de Gautier, Tableaux du siège, et je prétends que son début anticommunard est une source éclairante pour expliquer en partie les intentions satiriques du poème "Les Mains de Jeanne-Marie". Suite à la mort de Gautier, Arsène Houssaye et d'autres dans la revue L'Artiste exprimeront leur deuil et diront que seul le maître reste et qu'il faut souhaiter qu'il ne s'en aille pas. Evidemment, ce serait anachronique d'en faire des sources aux deux quintils de Rimbaud, mais cette coïncidence n'est pas dépourvue de sens. Rimbaud a fréquenté Banville, quelques dîners des Vilains Bonshommes. Peut-être que Rimbaud entendait ce souhait de longue vie à Hugo et qu'il réagissait, un peu méchamment, à ces propos mondains. La rubrique "Les Livres" n'était pas tenue par Banville, c'est l'une de ses rares contributions. En revanche, Gautier était un pilier de cette revue et Charles Cros, qui a hébergé Rimbaud en 1871, a publié des poèmes dans cette revue. Et puis, la recension de Banville, elle commence par les Chants du soldat de Paul Déroulède, on célèbre un patriote dans la guerre franco-prussienne, mais un patriote anticommunard si je ne m'abuse. La recension se poursuit avec Les Humbles de Coppée. Banville cite comme célèbres désormais des poèmes parodiés déjà dans l'Album zutique. Puis la plaquette "La Presse nouvelle" de Glatigny est citée, le sujet étant l'hypocrisie de ce petit monde, tout comme les deux quintils de Rimbaud sont une attaque contre l'hypocrisie des poètes parisiens. Rimbaud dans les deux quintils qu'il ajoute parle du seul Hugo en attaque de chaque quintil : "Qu'il s'en aille...", "Qu'il dise charités crasseuses et progrès", mais nous avons un effet de rupture manifeste avec trois petits points de fin de vers après "progrès", puis un tiret et cette soudaine attaque contre les "yeux de chinois ou daines" qui pourraient être finalement les yeux des autres justes qui admirent Hugo et qui ne veulent pas qu'il s'en aille contrairement à Rimbaud ! Le poème finit par une mention au pluriel des "justes", ce qu'on comprend aisément comme l'ensemble des admirateurs de "L'Homme juste" qu'était Victor Hugo.
On peut parier que le discours politisé de Rimbaud ne passait pas auprès de Banville, d'Ernest d'Hervilly et d'autres. Parmi les collaborateurs réguliers de la revue L'Artiste, les anticommunards ne manquent pas. Il y a Gautier, il y a Paul de Saint-Victor auteur du livre Barbares et bandits qui réunit des articles publiés dans la presse, et quand Gautier est mort, Arsène Houssaye a vanté le mépris de Gautier pour les révolutions, a traité les meneurs de la dernière révolution de barbares, ceux de la Commune si j'ai bien compris. Banville et les autres se compromettaient aux yeux de Rimbaud avec des anticommunards. Oui, la poésie de Gautier est géniale, mais "Les Mains de Jeanne-Marie" ne prennent pas un poème de Gautier en modèle pour lui rendre hommage. Non, c'est pour mieux faire passer un message satirique bien sûr à l'auteur des Tableaux de siège. Banville cite tout de même Rimbaud dans un journal en mai 1872 pour se moquer de son souhait d'une disparition prochaine de l'alexandrin, mais c'est politiquement que Rimbaud est un sujet brûlant. Adhérer à l'esprit revanchard de la Commune est tabou à l'époque ! Forcément !  Et au-delà de la Commune, Rimbaud pensait de Banville et des autres qu'ils étaient non pas des voyants, mais des compromis assurant le confort d'une vie bourgeoise. Le sucre sur la denture, c'est ce que pense Rimbaud de la poésie compromise de Banville, d'Hervilly, à partir du moment où il s'agit de faire croire au public qu'on a de la fantaisie à simplement parler de pays du bout du monde, ou de parler d'un amour imaginaire rendu impossible par la mort de l'aimée. Rimbaud se moque de ces poètes qui donnent la comédie, tout simplement, car ils ne sont justes qu'à la mesure de la compromission sociale qu'ils ont acceptée. C'est ça que disent les deux derniers quintils ! Comment en douter une fois qu'on le dit ? Banville a visiblement pris la défense de Victor Hugo et même de Déroulède, Gautier et compagnie face à Rimbaud. J'oubliais que dans sa recension Banville cite aussi Léon Dierx, et je rappelle qu'Armand Silvestre était lui aussi un anticommunard à cause des livres publiés sous le pseudonyme de Ludovic Hans, un anticommunard qui a rencontré Rimbaud au dîner des Vilains Bonshommes de la fin du mois de septembre 1871. Derrière Gautier, il y avait ses gendres anticommunards, Bergerat et Catulle Mendès, lequel Catulle Mendès se moquait en public du couple formé par Rimbaud et Verlaine en compagnie de Mérat et visiblement de Léon Dierx, vu une certaine recension d'une soirée à l'Odéon...
Banville n'a pas pris le parti de Rimbaud et de Verlaine, du moins de guerre lasse il n'a même plus pris le parti de tolérer les frasques des deux poètes.
On ne peut pas donner raison sur toute la ligne à Rimbaud, les comportements de Rimbaud en public et de Verlaine vis-à-vis de son ménage étaient clairement problématiques. Toutefois, au plan de la reconnaissance poétique, Banville faisait une sacrée erreur, et l'injustice était criante. Cela n'est allé qu'en empirant.

***

Petite note, on sait que les deux quintils ont été ajoutés, non seulement par la différence de qualité d'écriture sur le manuscrit, mais aussi parce que nous avons conservé la transcription initiale du dernier quintil de "L'Homme juste" qui est l'antépénultième de la version connue. Et sur une liste de poèmes de Rimbaud où les nombres de vers sont précisés, Verlaine a modifié le nombre de vers. Le remaniement de cette liste est obligatoirement postérieur à la transcription du manuscrit qu'il contient des "Mains de Jeanne-Marie" où figure la mention du mois de février 1872. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que ce remaniement lié au retour de Rimbaud à Paris en mai 1872 peut difficilement ne pas être relié et à l'article de Banville dans la revue L'Artiste et à l'incident du dîner des Vilains Bonshommes le 2  mars 1872. Il n'y a aucun raisonnement compliqué qui pousse à une telle conclusion.

dimanche 29 octobre 2023

Petit complément autour de la rime "daines"/"soudaines" du poème "L'Homme juste"

Edité le 30 octobre au matin (il est 10H15), vu l'importance des nouveaux éléments apportés !

Tout à fait indépendamment de moi, puisqu'il n'y a eu aucun contact, Jacques Bienvenu a réagi à son tour à l'article tout frais paru sur les deux derniers quintils de "L'Homme juste" et il en a profité pour renvoyer à ma précédente mise en ligne "Rigolomania avec Marc Dominicy".


Attention, ce qui suit va se découper en plusieurs petits sujets, et on va revenir sur le contenu des quintils également.

Pour rappel, dans une de ses publications, Bienvenu avait exploité la rubrique de Banville de mars 1872 dans la revue L'Artiste, et en la lisant je m'étais rendu compte de la présence de cette rime "daines" / "soudaines", sachant que, tout récemment, j'avais déjà déchiffré le vers du manuscrit de "L'Homme juste", et j'ai ensuite publié une analyse complète parue sur le blog "Rimbaud ivre" qui incluait cette forme d'indice ou de preuve, il existe aussi un article dans une revue universitaire classique, la revue non rimbaldienne, mais au titre rimbaldien "Nous t'affirmons, méthode".
Evidemment, cette réaction de soutien est pour l'instant quasi unique et elle vient de l'un des deux médias qui ont publié ma découverte à l'époque. Il faudrait bien évidemment que d'autres rimbaldiens se manifestent et surtout que les prochaines éditions soient enfin au point, parce que c'est là l'essentiel, et je vais expliquer pourquoi ce qu'il se passe est choquant, mais d'abord, revenons sur le problème du déchiffrage.
André Guyaux a accueilli lui aussi ce résultat puisqu'il en a  tenu compte dans l'établissement du texte, mais à ce que j'ai compris il a confié une relecture du manuscrit à Aurélia Cervoni qui aurait lu "de daines" et non "ou daines", et on se retrouve avec cette anomalie qu'on m'attribue dans l'édition de La Pléiade des œuvres complètes d'Arthur Rimbaud d'abord une prudence hypothétique, ensuite une lecture "de daines".
Non, je ne propose pas la leçon "ou daines", j'affirme que c'est ce qui est écrit sur le manuscrit. Nous avons un défaut d'espacement qui crée une suite collée "oudaines", le "o" est mal bouclé, mais on peut parfaitement reconnaître le mouvement pour boucler le "o" comme dans "soudaines" deux vers plus loin, C'est un "o" mal bouclé, je ne peux pas le dire autrement, et je ne vois pas ce que cela a d'incompréhensible pour le public. Sur son site internet, désormais de référence pour la revue Parade sauvage, Alain Bardel offre un extrait de fac-similé et met tout le monde à égalité  quand il présente les solutions. Il parle de "manuscrit confus" et soutient que je n'ai fait que proposer une solution. Non ! La partie confuse du manuscrit, c'est d'ailleurs intéressant de l'observer, c'est tout ce qui précède dans le même vers. On a un tiret et une interjection "Ô" dont on doit évaluer si elle est biffée ou non, on a une transcription maladroite avec deux "x" : "exèxre", on a deux déterminants consécutifs "ces ces". Dans la section "oudaines", seul le bouclage imparfait du "o" est confus.
Peu importe que des gens ont proposé par le passé "à bedaines", "à fredaines", un mot indéchiffrable se finissant par "[...]daines", et que de nos jours Marc Dominicy invente "ou de naines", peu importe que Guyaux et Cervoni lisent "de daines", peu importe que Murphy s'imagine que j'ai proposé la leçon "d'aines". Sur le manuscrit, il est écrit "oudaines" un micro espacement est perceptible pour rendre "ou daines", et quand on sait que Rimbaud s'adonne aux césures acrobatiques, quand on sait que forcément il faudra supprimer un déterminant "ces", quand on constate que l'interjection "Ô" n'a pas été biffée, il n'y a aucun ajout à faire par l'imagination pour lire simplement l'alexandrin que voici : "- Ô j'exècre tous ces yeux de chinois ou daines[.]" La césure passe après le déterminant "ces" tout simplement,  et c'est ce qui explique sans doute que Rimbaud se soit repris et l'ait transcrite, cette forme  "ces", à deux reprises.
Il y a un moment où il faut arrêter le débat. L'oeuvre de Rimbaud, elle a été imprimée à partir de manuscrits. Et des coquilles, des erreurs, on a pu en corriger quand on a eu accès aux manuscrits. Là, parce que le manuscrit a été déchiffré non pas par Murphy, non pas par Guyaux, non pas par Forestier, Guyaux, etc., non pas par un professeur d'université agrégé, mais par le quidam, on se retrouve avec un crime de lèse-majesté où il est interdit à jamais de trancher le débat. En 2023, Dominicy se promène et il développe tout ce qu'il a envie de développer, les gens seront d'accord ou pas avec lui, mais au bout du compte, il n'aura pas le consensus, mais plus rien n'aura de consensus, à  jamais. Comment se fait-il que cet extrait manuscrit qui n'est pas raturé soit la chasse gardée de rimbaldiens officiels au point qu'on n'admettra plus jamais l'avoir déchiffré ? Ce sujet, il va ressortir en 2098, en 2027 ? Qu'est-ce que c'est que ce cirque ? Evidemment qu'indifférents à la gloire de Murphy, Brunel, Steinmetz, les nouvelles générations me donneront raison, mais en l'état on assiste à un phénomène de cécité étonnant. Le passage n'est pas raturé et il fait débat à l'infini... Personne n'est sûr de  rien, et seul un rimbaldien pourra déchiffrer le manuscrit, puisque visiblement personne même n'en vient à rire de ces rimbaldiens qui publient massivement pour contester la lecture évidente "ou daines".
Un mot sur le fait de dire qu'un critique littéraire propose. C'est un peu facile ! Evidemment que pour des raisons de bienséance, le critique qui se met en scène n'affirme pas avoir raison, ça doit venir de la reconnaissance du public. Mais là, ce qui se passe, c'est  que les critiques rimbaldiens sont  contrôlés par les chapelles universitaires. Il y a des allégeances, tout le tsouin-tsouin. Si les pontes ne sont pas contents de ne pas avoir découvert la vérité par eux-mêmes, il suffit de noyer le poisson. Il y a plusieurs façons de faire : ne pas en parler, faire celui qui n'a pas réévalué le sujet depuis, laisser le brouhaha comique des collègues s'installer. Vu que Murphy ne dit rien, vu que Guyaux a mal transcrit la solution dans la Pléiade, Bardel il panique, il ne se sert pas de ses yeux, il se dit que le déchiffrement n'est pas évident. Ben, tiens !  Et c'est pour cela que je ne peux accepter le chantage de la politesse, je ne propose pas une solution, j'affirme que c'est la solution, c'est une évidence, et ne pas le voir ça suppose un problème qui est soit de bêtise, soit de mauvaise foi. C'est tout ! On peut avoir des passages difficiles à déchiffrer et des débats  interminables, mais là ce n'est pas le cas. C'est un système de castes qui est en train d'empêcher l'acceptation de l'évidence !

Evidemment, je l'avais anticipé puisque j'en parle dans mes articles d'époque : la mise en facteur commun "yeux de chinois ou daines"  n'est pas courante dans la poésie en vers littéraires. Malgré tout c'est du français compréhensible et une forme grammaticale admise dans la vie de tous les jours. Je n'ai pas cherché, mais même au plan littéraire elle doit bien avoir pas mal de manifestations. Alors, je n'ai pas lu l'article entier de Dominicy, je ne paierai pas deux euros pour ça. Je me contente de son résumé. Il prétend que "yeux de chinois" c'est une allusion à la trisomie. Ben, non ! C'est une allusion au rire du chinois riche content de son sort matériel, cliché du magot chinois qu'on peut avoir en sculpture. Nous avons cette expression du "magot chinois" à l'époque de Rimbaud, je crois que madame de Blanchecotte s'en sert dans ses écrits de témoignage sur la Commune. Et j'ai cité le poème de Victor Hugo "Un bon bourgeois dans sa maison", tiré des Châtiments. Or, c'est la source  qu'a mentionnée  Marc Ascione lui-même pour le même poème et le même passage je crois dans l'édition du centenaire d'Alain Borer parue en 1991. A vérifier. De  toute façon, ayant déjà lu le texte d'Ascione à l'époque, je devais être sous son influence.
Mais, justement, cette mise en facteur en commun "yeux de chinois ou daines", plutôt que "yeux de chinois ou de daines" confirme l'idée que c'est cette joie insouciante que cible le poète. Les yeux sont équivalents qu'ils soient chinois ou qu'ils soient ceux d'une daine. La daine n'est pas trisomique, que je sache ! Plutôt que la joie insouciante, on a un groupe de regards sociaux inoffensifs avec le chinois bienveillant qui reçoit chez lui et la daine qui sera plus apeurée qu'agressive. C'est cette parodie d'innocuité des poètes que veut moquer Rimbaud évidemment.
Le mot "douceur", il est essentiel aux deux quintils ajoutés : "doux / Comme le sucre", "idiots doux". C'est cette douceur dans le regard que cible le poète, et si Dominicy veut prétendre que "idiots doux", ça fait penser aux trisomiques et à leur regard, je me permets de préciser que le poème d'Ernest d'Hervilly que cite Banville contient non seulement la rime "daines"/"soudaines", mais encore l'expression "sanglots doux", avec cette affectation de l'adjectif placé après le nom auquel il se rapporte : non pas "doux sanglots" mais "sanglots doux" comme on a "les sanglots / Des violons / De l'automne".

Un sanglot doux m'étouffe et me rend anxieux.

Et ce "sanglot doux", c'est un peu comme un bonbon du poète, ce qu'on peut rapprocher de "ruminant toujours mon ennui", métaphore alimentaire des deux quintils ajoutés à "L'Homme juste".
Vous avez le fac-similé dans l'article de Bienvenu cité en lien plus haut.
Et quand, au début des deux quintils ajoutés par Rimbaud, vous avez une "gorge cravatée / De honte", vous ne remarquez pas que ça ressemble beaucoup en tant qu'image à ce qu'écrit Ernest d'Hervilly :

Sur les bords de la Marne, elle prit froid, et, pâle,
Me pria de nouer derrière elle son châle.
La cravate de honte se noue autour du cou comme le châle unit le couple dans une même passion ou compassion douloureuse.
Elle va durer encore combien de temps la querelle des impressions ? Les rimbaldiens auraient accepté mon déchiffrement à l'époque, ils auraient pu rebondir sur des comparaisons plus subtiles entre le poème d'Hervilly et les deux quintils, et me griller la politesse... En dix vers d'ajout, la rime "daines"/"soudaines, l'adjectif "doux" derrière le nom auquel il se rapporte, des symétries frappantes dans les images.
Je me demande même si "l'assaut des fiers toutous" et la rime en "-tée" ne viennent pas de l'impression comique produite par l'expression "lapin sauté" en italique dans le poème d'Hervilly toujours. En tout cas, les "enfants / Près de mourir", ça cerne de près le cliché du poème d'Hervilly, il pleure une jeune femme morte, non ? Il évoque le passé d'une femme déjà morte et qui prenant froid était "près de mourir".
Certes, les rapprochements que je fais n 'arrivent pas comme une explication lumineuse de tout ce que Rimbaud a voulu écrire dans ces deux quintils, mais ce qu'il faut voir c'est que Rimbaud en a assez fait pour attraper Hervilly dans son orbe, pour l'inclure dans sa raillerie.
Enfin, finissons sur l'aspect comique de l'intervention de Bienvenu, c'est-à-dire que Bienvenu parle d'un Rimbaud qui en veut à Banville d'avoir cité comme modèle de sa génération un autre poète que lui qui demeurait ignoré, sur le carreau, en plein dans une réaction de ma part où je fais ce reproche aux rimbaldiens d'exclure mes résultats pour les mêmes raisons de préséances sociales intéressées.
Bienvenu rappelle donc que la rime "daines"/"soudaines" fait partie d'un extrait de poème d'Ernest d'Hervilly cité par Banville dans une recension datée  de mars 1872, Rimbaud a été blessé par les propos de Banville. Bienvenu cite un passage clef de l'hommage fait à l'auteur des Baisers dans la revue L'Artiste qui a en effet toute son importance :  parmi les jeunes poètes qui, il est vrai, se signale à l'attention depuis déjà quelques années, Ernest d'Hervilly serait le plus original et le plus nouveau. Il ne s'agit pas de résumer la réaction de Rimbaud à un ressenti face à cette phrase, mais ça a effectivement son poids, et il faut noter que le propos de Banville est même problématique pour Verlaine et d'autres. Verlaine a vraiment commencé à publier régulièrement de la poésie à partir de 1865 ou 1866, il y a à peine six ans, et plusieurs jeunes poètes du Parnasse sont bien meilleurs qu'Ernest d'Hervilly. Nul doute que Rimbaud a pris un peu cela en dépit pour lui-même, de toute façon et l 'aspect amusant dans le relevé de Bienvenu c'est qu'on a du coup une comparaison renouvelée entre le fait que les poètes et plumes que fréquentaient Rimbaud lui ont fait barrage, ne voulaient pas trop vite le reconnaître et qu'il a pu réagir en jaloux, ce qui fait un parallèle à mon avantage quant à la situation présente, et rappelle mon article "N'oublie pas de chier sur le Dictionnaire Rimbaud, si tu le rencontres !"
En effet, Rimbaud ne supporte pas de ne pas être identifié comme le nouveau grand poète, mais il faut aussi préciser qu'il ne le dit pas tout nu dans son poème, on voit bien dans "L'Homme juste" qu'il critique le milieu d'ensemble des poètes parisiens dont Banville et Hervilly sont deux éléments saillants. Banville devait aussi faire partie des gens qui disaient à Rimbaud de se modérer, sur le sujet de la Commune ou sur d'autres. Et il va de soi qu'il était plus facile pour Rimbaud d'épingler les rimbaldiens sur leur tiédeur politique plutôt que sur leurs réprobations face à ses mauvais blagues.
Rappelons que Rimbaud est devenu persona non grata du dîner des Vilains Bonshommes à partir d'une réunion houleuse du 2 mars 1872, mois du premier anniversaire de la Commune soit dit en passant, dispute qui a impliqué le pourtant communard Carjat, mais les rumeurs prétendent que Rimbaud a aussi insulté Ernest d'Hervilly ce jour-là. Il est clair que les deux quintils ajoutés à "L'Homme juste" représentent un élargissement de rancune. Le poème "L'Homme juste" réglait son sort à Victor Hugo, qui était pourtant l'un des seuls écrivains en vue à prendre tout de même la défense des communards après la Semaine sanglante, et on peut penser que Rimbaud est déçu de la tiédeur des sympathies du milieu dans lequel il se trouve, et est mortifié quand il y a absence d'intérêt pour ce passé récent.
Rimbaud n'a aucune raison d'allonger de deux quintils un poème sur le sujet de la Commune au profit d'une digression vaguement allusive à une querelle récente qui n'est pas spécialement connue du public. Nous passons du singulier du titre "L'Homme juste" au pluriel "Ô Justes".
D'évidence, Rimbaud n'aime pas la publicité faite par Banville à Hervilly, mais les deux quintils sont rattachés au poème "L'Homme juste", dénoncent la mise en scène de la douceur bienveillante du poète dont les "yeux de chinois" et les "yeux de daines" sont deux facettes, deux moyens de paraître inoffensifs, gentils, et ces deux quintils aboutissent à une dénonciation de gens qui se prétendent les justes. Rimbaud dénonce des "yeux de chinois ou daines" qui se font passer pour des justes... C'est dit en toutes lettres. Et du coup, je ne vois pas très bien comment on aurait sur un trisomique se prenant pour un  juste.
Alors, je ne suis pas Rimbaud, Frémy n'est pas Ernest d'Hervilly, mais il faut arrêter le cirque des relations sympathiques entre critiques rimbaldiens. Il n'y a pas eu le moindre livre d'hommages à Antoine Fongaro ou à Bruno Claisse, je me permets de le faire remarquer, lesquels ont indiscutablement plus compté dans la vie de la critique rimbaldienne que Yann Frémy. Je n'ai pas été invité à participer au livre hommage à Michael Pakenham, alors que malgré l'affaire Teyssèdre j'étais toujours à échanger des courriels amitieux avec lui. Il ne l'aurait pas souhaité que je publie un article dans cet hommage ?
Qui décide des hommages ? Ils sont écrits pour qui ? Ils sont une production de chapelle universitaire qui retournent à la chapelle universitaire. Vous le saviez que je réagirais à l'article sur les quintils "L'Homme juste", c'est une drôle de façon de faire des hommages apaisés que vous avez là ? Je ne comprends pas. On a une inféodation de la critique littéraire à quelque chose qui n'a rien à voir avec Rimbaud, on a un système de castes universitaires en représentation qui décident de la vérité, qui décident de ce qu'on peut révéler ou non aux lecteurs, qui décident aussi ce que sont les bonnes manières, la bienséance, etc. Tel est le cirque ! "Ah oui, je suis le meilleur ami de Rimbaud, je n'en ai jamais dit du mal, qu'est-ce qu'on s'entendrait bien lui et moi le critique rimbaldien, ou moi l'amateur éclairé de ses poésies !" Ah oui on te refuse la vérité, il faut rester poli, mordre sa langue et passer à autre chose.
Un article de critique rimbaldienne, c'est "hop je me balade, hop hop hop je suis dans la rue, je me tourne, je vois une vitrine, et je raconte quelque chose de plaisant dessus pour que vous veniez à votre tour vous y recueillir entre gens de bon goût !" Désormais, il y a une vitrine manuscrit indéchiffrable de Rimbaud qui va tourner encore pendant cent cinquante ans. Ce manuscrit indéchiffrable, ne riez pas, aura son cercle zutique, on en fera des réunions. Des réunions mondaines, ça va de soi.

jeudi 26 octobre 2023

Rigolomania avec Marc Dominicy

Le volume réunissant des articles en hommage à Yann Frémy vient de paraître, et forcément j'y jette un œil pour voir si j'ai des articles à récupérer dans l'immédiat ou d'ici pas trop longtemps.
Hier, j'ai consulté la page de souscription qu'Alain Bardel avait mise il y a quelques semaines sur la page d'accueil de son site, mais je ne retrouvais que la page de sommaire. Aujourd'hui, je suis passé directement par la page d'accueil des Classiques Garnier, j'ai cliqué sur les nouveautés et puis sur l'ouvrage en question, et j'ai donc eu accès à la page qui permet d'acheter les articles en version numérique et de consulter les résumés au fichier PDF.

Le livre s'intitule Rimbaud, Verlaine et Cie, "un devoir à chercher", à la mémoire de Yann Frémy.
Malheureusement, il y a très peu d'articles intéressants.  L'article de Philippe Rocher m'intéresse vu que je viens de mettre en ligne un article révélant une source insoupçonnée au poème "Ophélie". J'ai un intérêt pour un article sur Tristan Corbière, mais je n'ai pas envie de l'acheter, il y a des articles sur des sujets métriques, en particulier l'étude sur les vers longs de Verlaine d'Alain Chevrier et l'étude de "Vers pour être calomniés" par Benoît de Cornulier. Après, il y a l'article sur un poème de Baudelaire par Steve Murphy. je pourrais m'en sortir à 6 ou 8 euros.
Et puis, il y a l'article de Marc Dominicy sur les deux derniers quintils de "L'Homme juste". J'étais interloqué par cette présence dans un hommage à Yann Frémy. Je trouvais ça énorme, puisque j'ai déchiffré les deux vers prétendus illisibles, même si Steve Murphy, André Guyaux, Aurélia Cervoni n'arrivent pas à transcrire avec exactitude ce que j'ai déchiffré.
Et surprise, il y a un résumé accessible gratuitement au format PDF où Dominicy donne sa solution en quelques lignes.
Au lieu des deux leçons indiscutables du manuscrit : "ou daines" et "Nuit" (cette dernière leçon était envisagée mais avec un manque d'assurance par Murphy en 1999), Dominicy qui nie le rétablissement de l'intyerjection "Oh" en attaque du premier des deux vers nous pond cette bonne farce : "J'exècre tous ces yeux de chinois ou de naines" et "Niais qui chante..."
Oh ! c'est trop drôle. Ahahah ! ahahaha ! ahahahah ! Mais comment on peut être nul à ce point ? C'est honteux. Oh ! la vache ! Je n'en reviens pas ! Ohohoh ! Ce n'est pas possible ? Boudiou, du con !

Je vous mets le lien de l'article mis en ligne en 2010 sur le blog Rimbaud ivre. On y trouve une image fac-similaire du premier des deux vers que j'ai déchiffrés. Comme ça, vous pourrez apprécier à quel point il n'y a aucune fierté à être un rimbaldien officiel. Les critiques rimbaldiens ne font vraiment pas honneur à leur idole. Quelle honte ! Ohohoh !


Ohoihoh ! Ahahahaha ! Hihihi ! Ahahahah!
Et pourquoi pas un blog "Rimbaud idiot" pour étaler de pareilles inepties ?
Je commente tout de même la graphologie pour démentir les "déchiffrements" de Dominicy.
Dominicy lit "ou de naines" en fin de premier vers à déchiffrer. Vous vous reportez à l'extrait fac-similaire vous avez après "chinois" la séquence "oudaines", il n'y a pas le moindre jambage pour insérer un "n" initiale de "naines", il n'y a pas d'espace bouclé ou même imperceptiblement bouclé pour glisser un "e", on ne pourrait même pas voir un "i" qu'on prétendrait ensuite délier en "e". Ma lecture "ou daines" prend en compte toute la partie graphique, toutes les lettres identifiées et suppose un espace minimal entre le "u" et le "d". Et vous avez Dominicy qui roule des mécaniques en insérant après le "d" un "e", un deuxième espace et un "n", rien que ça. Ou alors, il nous explique que le "ou" mal bouclé devant "daines" peut se diviser, le "o" mal bouclé serait la préposition "ou" entière, et le "u" en l'air serait la préposition "de" et il n'y aurait pas d'espace, Rimbaud aurait écrit en très miniature la suite "oude" et puis le "d" de "daines" serait un "n" finalement, un "n" tarabiscoté. A noter que ma solution était déjà appuyée par les propositions antérieures, car dans "[...]daines", "fredaines" et "bedaines" ils identifiaient un "d" et dans "soudaines" qui rime avec "ou daines" on identifie le "o" et le "u" d'une rime décidément riche. Mais bon ! Dominicy fait partie de ces gens qui pensent que les installés Murphy, Brunel, Guyaux, Cornulier, etc., sont les intelligences à reconnaître. Oui, David Ducoffre, il n'est pas reconnu et il se paie des doses de contestations élevées par Lefrère, Reboul. Il dit que "L'Enfant qui ramassa les balles..." est de Verlaine à cause de la signature "PV", mais regardez la levée des boucliers des autorités compétentes que sont Murphy, Guyaux, Steinmetz, Brunel et compagnie. Il dit qu'il faut lire "ou daines", mais Murphy, Guyaux, Steinmetz, Brunel, Forestier, Bardel ne l'ont pas admis, n'en font aucun cas et proposent d'autres idées encore, jamais la lettre de ce qu'avance Ducoffre. Pas un Reboul, pas un Cornulier, pas un rimbaldien pour dire en public que Ducoffre a raison, donc Dominicy a un boulevard pour proposer sa solution au mépris du travail graphologique. Fongaro coincerait aujourd'hui à nouveau Dominicy comem il l'a fait par le passé sur "Les Ponts" en lui expliquant que "Niais qui chante" au lieu de "Nuit qui chante", parce qu'on a "idiots doux aux chansons soudaines", c'est r éduire la lecture difficile évidente du texte à une lecture facilitante, pour ne pas dire débilitante. La graphologie est sans appel dans la discussion. Dominicy écrit son article au mépris de la rigueur scientifique. C'est pire encore, le mec s'investit sur plusieurs pages à démentir une démonstration limpide et imparable dans tous ses détails !!!! Il faut vous représenter le niveau du mec : "Bonjour, je m'appelle Marc Dominicy. I am a blague belge !" Qu'est-ce que vous voulez que j 'achète son article pour le lire et travailler à le réfuter ? Je n'en ai pas besoin. 
Ah oui, il y a de quoi être fier ! Et on ne l'a pas arrêté, on a accueilli son article. Vous avez Vaillant, Murphy, Cornulier, etc., qui disent tous "oui" pour publier avec sérieux à côté de (comme dirait Verlaine à propos des vers  de Pommier)... "cette chose" ?
Bra-voh ! Bra-voh ! Et on fait la hola! Bra-voh! Bra-voh !
"Nuit" apparaît bien aussi sur cet extrait fac-similaire. Dominicy veut lire "Niais", ah oui le niais qui chante... OK ! d'accord ! Il aligne ça sur "idiots doux" au vers suivant. Mais bon, si l'idiotie est une douceur, pourquoi pas ?
Dans "niais", il y a la boucle d'un "a", c'est marrant il n'apparaît pas dans le mot "Nuit" du manuscrit.
Pour le "s", Dominicy doit croire que puisqu'on avait proposé "Puis" et "Mais" ça doit être un "s". Mais vous avez déjà étudié les mouvements d'une main qui écrit à la plume, au fait ? Vous ne voyez pas que la lettre finale monte verticalement et que la ligne horizontale c'est tout simplement la barre du "t", sauf que comme le poète est ivre justement, ou en tout cas excité sa main a fait la ligne un centimètre trop loin. On dirait que vous n'avez jamais vécu ces accidents de la vie réelle ? Mais dans quel monde vous vivez ?
Evidemment, comme Murphy, Guyaux et les autres n'ont pas daigné reporter ce que j'avais déchiffré et surtout n'ont pas voulu l'admettre, on se retrouve avec un Dominicy qui croit que le déchiffrement continue de faire débat et que très sérieusement le déchiffrement n'est pas acquis.
Pauvre Dominicy qui n'a jamais servi à rien dans les études rimbaldiennes.

Au fait, pour le conflit actuel, enfin le second conflit d'actualité du moment, la solution, c'était d'avoir deux états. On ne me demande pas mon avis, mais je le donne quand même.

Allez, bye !

mercredi 25 octobre 2023

Derrière Ophélie, lisez Ophélia, la véritable source au poème de Rimbaud !

A partir d'un contexte scolaire selon le témoignage d'Izambard, Rimbaud a finalement livré une composition personnelle intitulée "Ophélie" qui nous est parvenue sous trois formes manuscrites distinctes : la création poétique a été remise au professeur Izambard lui-même, au poète Paul Demeny lors de l'une ou l'autre des deux escapades douaisiennes de l'année 1870 et au poète Banville dans une lettre datée de mai 1870. L'envoi à Banville a permis d'identifier des sources probables à la composition rimbaldienne, puisque Banville a mentionnée l'héroïne à quelques reprises dans les vers des recueils qu'il a déjà publiés à l'époque, et cette mention reviendra dans des publications ultérieures. La référence à Banville permet également de fixer la rime "Ophélie" / "folie" en tant que cliché ou bien d'enregistrer la formule "pâle Ophélie" comme un emprunt de la part de Rimbaud. Par extension, on a découvert que l'héroïne shakespearienne était mentionnée également dans un des poèmes les plus réputés de Leconte de Lisle "La Fontaine aux lianes", et il est certain que Rimbaud reprend de nombreux éléments à cette pièce du poète d'origine réunionnaise. Toutefois, les noms prestigieux de Leconte de Lisle et de Banville, quand ils sont convoqués, donnent finalement un prétexte aux rimbaldiens à ne pas trop chercher l'origine du traitement de ce motif shakespearien dans la poésie française. Et c'est d'autant plus dommage que c'est le poème entier de Rimbaud qui traite le motif alors que les mentions d'Ophélie ne sont faites pour dire vite qu'en passant dans les différents poèmes de Banville et Leconte de Lisle. Pour le dire plus précisément, Banville et Leconte de Lisle traitent des sujets différents, mais incluent des allusions à l'héroïne de la tragédie Hamlet, alors que Rimbaud traite le sujet même de la noyade d'Ophélie. On peut prétexter que Rimbaud a identifié les motifs qui justifiaient les évocations d'Ophélie dans les poèmes de Banville et de Leconte de Lisle, ce qui lui a permis par exemple de créer une variante à "La Fontaine aux lianes" sur un sujet distinct qui excluait d'office tout soupçon de plagiat. Il est clair que certaines idées de "La Voie lactée" de Banville passent dans le poème "Ophélie" de Rimbaud. On peut aussi penser que la variation entre "Ophélie" et "Ophélia" dans la production en vers de Rimbaud est un clin d'œil aux habitudes onomastiques de Leconte de Lisle.
Pourtant, face à ce poème, Izambard a prétendu qu'il était le fruit d'un sujet donné par lui en classe. Et Izambard n'avait certainement pas créé un cadre compliqué pour ses élèves où à partir d'un passage de "La Voie lactée" et de l'ensemble du poème "La Fontaine aux lianes" il convenait d'écrire une version nouvelle de la noyade d'Ophélie. Il a donné pour sujet le thème d'Ophélie, et Rimbaud qui lisait attentivement les poésies parnassiennes et assimilées a retrouvé les mentions d'Ophélie dans les poèmes de Banville et de Leconte de Lisle. Mais, dans un cadre scolaire, un enseignant pouvait livrer à ses élèves des poésies plus anciennes de poètes de second ordre, qu'il suffise de citer la pièce de Jean Reboul, le poète boulanger, à l'origine des "Etrennes des orphelins" par exemple. Finalement, avant Banville et avant Leconte de Lisle, un poète n'a-t-il pas le premier en France traité du thème d'Ophélie en vers français ? Rien du côté des quatre grands romantiques : Lamartine, Vigny, Hugo et Musset ? Rien du côté des autres romantiques : Sainte-Beuve, Gautier, etc. ?
Reprenons alors les passages des poésies de Banville que Rimbaud a pu exploiter. Le poème "La Voie lactée" date de 1842. Soit Rimbaud s'est inspiré d'une production antérieure, soit le poème "La Voie lactée" a joué un rôle crucial dans le recours à ce motif parmi les poètes romantiques ou parnassiens.
Le poème "La Voie lactée" fait partie du recueil Les Cariatides dont les vers ont été remaniés par Banville. Il faut clairement distinguer la version de 1842 et la version des années 1860 connue par Rimbaud. Ce point est capital pour l'histoire des audaces de versification, puisqu'un lecteur naïf d'une édition tardive des Cariatides attribuera au Banville de 1842 une précocité d'audace pour ce qui est des césures et enjambements. Toutefois, faute de prendre le temps de bien vérifier, il est probable que les deux mentions de l'héroïne "Ophélie" étaient déjà présentes dans la version de 1842 et, de toute façon, Rimbaud possédait une édition des Cariatides assez récente, vu qu'il parle de revendre ce titre, mais pas ceux des autres recueils anciens de Banville : Stalactites, Sang de la coupe ou Odelettes, signe qu'il possédait l'édition finale regroupant tous ces recueils sous le titre principal Les Cariatides.
Banville s'accorde une longue célébration du génie de Shakespeare et c'est la première mention qui a plus particulièrement retenu l'attention de Rimbaud, mention qui lie à la rime "Ophélie" au nom "folie". Dans la mesure où nous lançons un débat sur la variante "Ophélia" fournie par Rimbaud, nous ne pouvons manquer d'élargir la citation en incluant le nom "Cordélia", même si nous verrons plus bas que ce n'est pas l'argument décisif pour expliquer le choix du jeune ardennais :

[...]
Oh ! comme en se penchant sur cet univers sombre,
Où fourmillent ses fils et ses peuples sans nombre,
L'œil se baisse aussitôt et se ferme, ébloui
D'avoir vu rayonner dans cet antre inouï
Tant d'âmes de héros et tant de cœurs de femmes,
Déchirés et tordus par l'orage du drame !
    Qui pourrait s'empêcher de craindre et de pâlir
Avec Cordélia la fille du roi Lear,
Adorant, fille tendre, ainsi qu'une Antigone,
Son père en cheveux blancs, sans trône et sans couronne,
Parfum des derniers jours, pauvre Cordélia,
Seul et dernier trésor du roi qui l'oublia !
Qui, répétant tout bas les chansons d'Ophélie,
Ne retrouve des pleurs pour sa douce folie ?
[...]

L'idée d'élargir la citation confirme l'idée d'un Rimbaud qui ne se contentant pas de repérer les mentions d'Ophélie s'inspire des idées voisines. Rimbaud s'est intéressé à l'oeil ébloui de visions, et je m'empresse de préciser que je pourrais ailleurs dans le poème "La Voie lactée" signaler à l'attention des sources au poème "Ophélie" de Rimbaud. Quelques vers avant ma citation, il est question d'un "pays d'or" d'où viennent les créations du génie shakespearien. La pâleur est associée à Cordélia, personnage féminin d'une autre pièce shakespearienne, mais n'empêche pas la création d'une "pâle Ophélia" chez Rimbaud où on apprécie la jonction du "a" féminisant de Cordélia et de l'adjectif "pâle". L'expression "tout bas" est visiblement passée dans le poème de Rimbaud, tandis que le terme passe-partout "chansons" au pluriel est devenu le singulier "romance". Rimbaud louvoiera entre les deux leçons opposées "tout haut" et "tout bas" dans les trois différentes versions manuscrites connues de son poème. Enfin, Rimbaud n'a pas repris uniquement la rime "Ophélie" / "folie", il a repris précisément l'ensemble "Ophélie" / "douce folie" au second quatrain de son poème. Et ça ne s'arrête pas là, si Rimbaud a évité d'écrire, quelles qu'en soient les raisons et motivations, "pauvre Ophélie", à la fin de son poème, il fait se succéder entre les deux derniers quatrains, mais dans deux vers consécutifs, les mentions "pauvre fou" et "pauvre Folle". Les termes "fou" et "folle" glissent du masculin au féminin, mais reprennent "folie", tandis que "pauvre" s'impose ainsi en écho à la mention "pauvre Cordélia" du poème de Banville, qui survient deux vers avant la rime "Ophélie" / "douce folie" clairement reprise par Arthur.
Je ne vais pas développer ici les autres liens possibles qui peuvent s'établir entre "La Voie lactée" de Banville et "Ophélie" de Rimbaud, je ne voudrais pas m'éparpiller. Je rappelle que cette source est connue, et elle avait fait l'objet d'une note de Claude Zissmann dans le premier numéro de la revue Parade sauvage. La deuxième mention d'Ophélie dans le même poème de Banville est moins intéressante à relever, mais tout de même je me dois de la reporter car on y ressent encore des éléments qui ont influencé la composition rimbaldienne :

[...]
    Oh ! lorsque tes cheveux aux magiques reflets
Inondent ton beau cou, fille des Capulets !
Quand on a vu pendant cette nuit enchantée
Rayonner ton front blanc sous la lune argentée !
Et toi qu'à ton destin le ciel abandonna,
Toi qui nous fais pleurer, belle Desdémona,
Toi qui ne croyais pas, pauvre ange aux blanches ailes,
Qu'on pût voir parmi nous des amours infidèles,
Desdemona candide, ange qui va mourir,
Quand on a dans son cœur entendu ton soupir,
Et ce que tu chantais en attendant le More :
La pauvre âme qui pleure au pied du sycomore !
Quand on connaît vos sœurs, ces anges gracieux,
Evoqués une nuit de l'enfer ou des cieux,
Miranda, Cléopâtre, Imogène, Ophélie,
Ces rêves éthérés que le même amour lie !
Quelle femme ici-bas ferait vibrer encor
Le cœur extasié par vos cithares d'or ?
[...]

Desdemona confirme l'influence de Banville sur le recours au "a" féminisant final pour le nom "Ophélia", sauf que Banville lui-même s'est contenté de la note féminine déjà évidente en français : "Ophélie". Desdémone, quel nom superbe pour une femme des enfers, mais je m'égare, ce n'est pas un être infernal chez Shaekespeare et ce n'est pas mon sujet. Notez tout de même que Banville en joue, quand il écrit "ange qui va mourir", il met en tension je n'en doute pas la lecture fantasque "démone" dans "Desdemona" et dans la rime "More"/"sycomore" il joue de la même façon à faire entendre le mot "mort", mais contentons-nous de ce que Rimbaud a pu reprendre. Nous avons la mention des "rêves éthérés", la mention d'une "pauvre âme", la présence des arbres, la mention du verbe "vibrer" et du complément de nom "d'or" après "cithares". Nous avons les notations érotiques avec le cas flagrant de la "chevelure aux magiques reflets" que Rimbaud fait passer d'un personnage shakespearien à un autre en réadaptant tout cela : il parle à son Ophélie du vent "tordant [s]a grande chevelure" dont on sait qu'elle s'épand au gré des flots. Banville parle de "cheveux" qui "Inondent un beau cou". Rimbaud reprend les pleurs, le fait de mourir (même si c'est attendu et si le choix de terminaison verbale a quelque chose de cornélien) "tu mourus", il reprend le mot "soupir" au pluriel dans une construction qui a à voir avec Hugo et Nerval : "Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits[.]" Nous avons aussi la liaison du "coeur" au sens de l'ouïe avec passage du verbe "entendre" (Banville : "entendu") au verbe "écouter" (Rimbaud : "Que ton cœur écoutait...").
Nos deux extraits semblent la source principale au poème de Rimbaud et il convient alors d'évaluer l'influence potentielle d'ensemble du poème "La Voie lactée".
Nous le savons, d'autres poèmes ont compté, notamment "La Fontaine aux lianes" de Leconte de Lisle. Le poème "La Fontaine aux lianes" a l'intérêt d'être composé en quatrains d'alexandrins à rimes croisées, tout comme le poème de Rimbaud, et le premier quatrain de "La Fontaine aux lianes" a peut-être été démarqué par Rimbaud. Cela nous semble plausible au plan des rimes, puisque la rime de Rimbaud "lys"/"hallalis" a une base vocalique en "i" commune à la rime "nids"/"rajeunis" de "La Fontaine aux lianes, avec toutefois un contraste saisissant entre les deux mentions finales de premier quatrain : "hallalis" s'opposant quelque peu à "rajeunis". Et la comparaison peut s'étendre à la confrontation de la rime "plages" et "feuillages" à celle choisie par Rimbaud "étoiles" et "longs voiles", puisqu'il n'est pas absurde de mettre en écho d'un côté l'ouverture de la fantaisie des mots "plages" et "étoiles" et de l'autre l'effet de couverture des mots "feuillages" et "voiles". Nous notons aussi que la mention participiale "ondulant" est de la famille du nom "onde" choisi par Rimbaud et qu'elle crée une emphase rythmique légèrement similaire à celle du poème de Rimbaud, alors même que dans la suite des quatrains de Leconte de Lisle cette ressemblance rythmique ne s'impose plus vraiment.

Comme le flot des mers ondulant vers les plages,
O bois, vous déroulez, plein d'arôme et de nids,
Dans l'air splendide et bleu, vos houles de feuillages ;
Vous êtes toujours vieux et toujours rajeunis.
Rimbaud reprend encore la mention "bois" dans le premier quatrain du poème "Ophélie", et il reprend un peu plus loin la mention "nids" au singulier : "Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile[.]"
Les quatrains qui suivent dans "La Fontaine aux lianes" nous éloignent du poème "Ophélie" en traitant de l'espèce d'éternité des arbres face au monde humain changeant, et pourtant Rimbaud trouve encore le moyen d'y reprendre des éléments, en tout cas le verbe "incliner" qui passe des arbres aux roseaux :

Vous inclinez d'en haut, au penchant des ravines,
Vos rameaux lents et lourds qu'ont brûlés les éclairs ; (Leconte de Lisle)

Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux. (Rimbaud)
Pour un peu, le poème "La Fontaine aux lianes" fait plutôt écho au poème "Soleil et Chair" : "Le soleil de midi fait palpiter vos sèves[.]" Et parfois on pense à une influence à venir pour composer "Le Bateau ivre" à cause de ne fût-ce qu'un seul mot frappant : "Par-delà les verdeurs des zones maternelles", et j'ai même envie de dire que "bois natals" a quelque chose d'annonciateur de "bois sidérals" dans "Les Poètes de sept ans". En fait de rapprochement, on exigera de moi de raison garder.
Cependant, le contexte chantant de la nuit s'installe, sans que le poème de Leconte de Lisle ne se fixe résolument à ce contexte nocturne :
[...]
Mais la nuit, épanchant la rosée et les rêves,
Apaise et fait chanter les âmes et les bois.
L'image des nids s'éveillant vient bien décidément de ce poème de Leconte de Lisle :

Au bord des nids, ouvrant ses ailes longtemps closes,
L'oiseau disait le jour avec un chant plus frais.
Cherchant à exhiber ses propres rimes, Rimbaud s'inspire pourtant clairement toujours de passages de "La Fontaine aux lianes" quand il écrit le vers : Le vent baise ses seins et déploie en corolle", puisqu'il reprend à son modèle l'idée du "rite amoureux du vent dans les forêts" et la mention au pluriel "corolles" quelques vers à peine plus loin : "[...] livrant le trésor de leurs corolles frêles". Et suivant l'ordre de défilement du poème de Leconte de Lisle, Rimbaud reprend très clairement la mention des nénuphars en amorce du quatrain suivant : "Les nénuphars froissés" viennent de la mention "Les larges nénuphars..." Il est également aisé de lier le vers suivant : "Vers la sainte Nature à qui mon cœur parlait" au vers : "Que ton cœur écoutait le chant de la Nature". Rimbaud reprend bien évidemment le verbe "flottaient" dont les "larges nénuphars" sont le sujet avec les "lianes errantes", et nous avons droit par le rapprochement à une explicitation de la comparaison de couleur entre les nénuphars et les voiles d'Ophélie :
Les larges nénuphars, les lianes errantes,
Blancs archipels, flottaient enlacés sur les eaux,
[...]
Et c'est alors que nous avons la description en quelques quatrains d'un mort dont la comparaison à Ophélie est en réalité quelque peu niée, quatrains qui ont été également rapprochés de la description du "Dormeur du Val" :

Et sous le dôme épais de la forêt profonde,
Aux réduits du lac bleu dans les bois épanché,
Dormait, enveloppé du suaire de l'onde,
Un mort, les yeux au ciel, sur le sable couché.

Il ne sommeillait pas, calme comme Ophélie,
Et, souriant comme elle, et les bras sur le sein ;
Il était de ces morts que bientôt on oublie ;
Pâle et triste, il songeait au fond du clair bassin.
Autant que du "Dormeur du Val", nous pourrions parler ici des "noyés" du "Bateau ivre" et ce serait raison. Nous pouvons apprécier l'emploi verbal "dormait" qui concerne le poème "Ophélie", nous devons aussi remarquer que des éléments non repris dans le poème de Rimbaud laissent entendre une influence du poème de Banville "La Voie lactée" sur la composition de "La Fontaines au lianes", ainsi du verbe "oublie" rimant avec "Ophélie", puisque plus haut nous avons cité une suite de quatre vers avec les quatre mots consécutifs à la rime : "Cordélia", "oublia", "Ophélie" et "folie" !
Et comme j'ai bien envie de vous surprendre, je vous livre ici une de mes idées normalement en réserve. Le poème "Larme" évoque une eau qui se noie sur le sable bordant le ruisseau, et outre que la mention du sable va être présente dans une source au poème "Ophélie" de Rimbaud que nous convoquerons plus bas, il y a vraiment de quoi s'interroger sur un rapprochement entre "Ophélie" et "Larme" où nous passerions de la figure poétique valorisante d'Ophélie à la "mauvaise enseigne d'auberge". Ophélie se confond avec les nénuphars, tandis que le poète de "Larme" se défausse quelque peu au sujet de la "gourde de colocase" où colocase renvoie à une espèce de nénuphar et ces nénuphars, "fleurs pour verres" comme dit "La Comédie de la Soif", n'apportait qu'une "liqueur d'or fade et qui fait suer". Observons que le poème de Leconte de Lisle emploie précisément ce mot "liqueur" pour parler de la soif de ce mort plongé dans une fontaine :
Jeune homme, qui choisis pour ta couche azurée
La fontaine des bois aux flots silencieux,
Nul ne sait la liqueur qui te fut mesurée
Au calice éternel des esprits soucieux.
La suite du poème de Leconte de Lisle que nous ne citons pas ci-dessous mais qu'il convient de lire développe une interrogation métaphysique ample proche de celle du poème "Ophélie", et le questionnement permet d'entrer en résonance avec la concision mystérieuse du poème "Larme".
Le poème de Leconte de Lisle se termine sur l'idée d'une indifférence de la Nature à la souffrance humaine, développement comparable au silence de Dieu qu'interroge Vigny dans Les Destinées, ce qui est différent de l'approche de Rimbaud et Banville, mais d'autres éléments sont pourtant repris par Rimbaud, "pâle étranger" motive le glissement de "pauvre fou" à "pauvre Folle" et l'avant-dernier quatrain de "La Fontaine aux lianes" reprend la mention des nénuphars, crée un effet léger de bouclage par reprise d'idées du premier quatrain, par reprise du quatrain : "Les larges nénuphars", puisque Rimbaud va lui reprendre beaucoup d'éléments de son premier quatrain dans le dernier, et surtout l'avant-dernier quatrain est lancé par la préposition "Sur..." qui lançait le poème de Rimbaud :
Sur le blanc nénuphar l'oiseau ployant ses ailes
[...]
Nous pourrions nous arrêter là et estimer que "La Voie lactée" et "La Fontaine aux lianes" sont les deux principales sources d'inspiration du poème "Ophélie" de Rimbaud. J'ajoute que par le passé j'ai déjà signalé que la forme "Voici plus de mille ans..." s'inspirait d'un poème de Leconte de Lisle que je ne saurais retrouver pour l'instant, sinon d'un poème de Gautier, mais dans mon intuition il s'agissait d'un poème de Leconte de Lisle. J'ajoute qu'il y a une mention similaire dans un poème intitulé "Spleen" de Baudelaire, mais ne nous éparpillons pas.
Revenons aux mentions d'Ophélie dans les vers de Banville. J'ai effectué une recherche dans les poèmes de Banville à partir du site canadien qui lui est consacré. Il me faut écarter les pièces en vers plus tardives des recueils Rimes dorées et Nous tous, ainsi que le poème de 1874 intitulé "Baudelaire". Dans l'absolu, il ne serait pas oiseaux de citer ces exemples, mais je veux aller à l'essentiel.
Banville a surtout cité "Ophélie" dans ses Odes funambulesques ("Académie royale de musique" et "Mascarades") et dans la plaquette des Odelettes. Le poème "Rouvière" des Exilés a aussi l'intérêt d'associer le mythe d'Ophélie à un alter ego du poète, l'acteur Rouvière. Le poème "Mascarades" est intéressant à citer, il est en vers très courts, mais il a plus d'une fois retenu l'attention de Rimbaud, il fait partie de ceux qui véhiculent la mention du nom "Keller" à la rime par exemple, et il a l'intérêt d'offrir une rime "roseaux" / "fleur des eaux" qui a été reprise quelque peu par Rimbaud au troisième quatrain. Malgré l'emploi du vers court, l'intonation des deux poèmes est similaire :
Que la pâle Ophélie
En sa mélancolie,
Cueille dans les roseaux,
    Les fleurs des eaux.

Que, sensitive humaine,
Desdémone promène
Sous le saule pleureur
    Sa triste erreur.
Dans les modèles à la "Comédie de la Soif", je citerais plus que volontiers ce passage du poème "Mascarades".
Mais ce qui retient vivement mon attention, c'est le poème "A Henry Murger" des Odelettes, il s'ouvre par la reprise telle quelle de la rime "Ophélie" / "douce folie" qui est passée de "La Voie lactée" à "Ophélie" de Rimbaud :
Comme l'autre Ophélie
Dont la douce folie,
S'endort en murmurant
   Dans le torrent.
Rimbaud a repris les deux formes verbales du troisième vers : "s'endort" devient "qui dort" à la rime et "dorment" au premier vers, tandis que "murmurant" est repris simplement dans "Murmure sa romance à la brise du soir."
Je viens de relire ce poème, je savait déjà que plusieurs poèmes de Banville étaient concernés par la mention du nom "Ophélie" à la rime, mais je n'avais jamais réalisé l'importance de l'adresse "A Henry Murger". J'éviterai au passage de m'attarder sur les relations sémantiques entre "odelettes" et "romance", mais depuis quelques jours j'ai parcouru le recueil Les Nuits d'hiver d'Henry Murger, ou d'Henry de Murger, peu importe. Je connaissais cet auteur pour son roman en prose Scènes de la vie de Bohême que j'ai eu entre les mains naguère, et je savais que Murger avait compté pour Banville et j'évaluais bien sûr l'importance de Murger pour le développement du thème poétique de la bohême, mais j'avais complètement négligé de lire les productions en vers d'un écrivain qui n'était pas admis comme un poète intéressant. Mal m'en a pris. Le titre Les Nuits d'hiver a l'intérêt de rebondir sur une tradition romantique, d'origine plus spécifiquement anglaise en réalité, tradition illustrée par Musset dans le domaine de la poésie française, mais le syntagme "nuit d'hiver" si banal qu'il puisse sembler n'est pas volontiers employé tel quel en poésie et il l'est pourtant par Rimbaud dans son oeuvre en prose, la "nuit d'hiver" est mentionnée dans "Génie", et il me semble dans Une saison en enfer. identifier le motif littéraire est déjà intéressant en soi. Ensuite, dès les premiers poèmes du recueil de Murger je suis frappé par quantité d'éléments troublants, la formule "comme un bohémien" de "Sensation" a tout l'air de venir directement d'une lecture du second poème du recueil d'Henry Murger "Dédicace de la vie de Bohème" dont je cite un extrait maintenant, les deux premiers quatrains :
Comme un enfant de Bohème,
Marchant toujours au hasard,
Ami, je marche de même
Sur le grand chemin de l'art.

Et pour bâton de voyage,
Comme le bohémien,
J'ai l'espoir et le courage :
Sans cela je n'aurais rien.
Difficile de ne pas songer au poème en deux quatrains "Sensation" de Rimbaud ! Et nous pouvons songer au poème "Ma Bohême" également, bien que Rimbaud emploie l'accent circonflexe qui convient plutôt au seul lieu géographique, tandis que le recueil de Murger porte bien la transcription "enfant de Bohème" avec un accent grave. Rimbaud a très probablement lu cet auteur qui comptait pour Banville. Le poème liminaire "Au lecteur" a un humour typique des vers de Banville. On sent nettement la continuité entre les deux auteurs et l'odelette "A henry Murger" est tournée en hommage complice par Banville.
Je rappelle que comme je l'ai publié dans la revue Rimbaud vivant, Rimbaud a créé un effet de miroir entre "Rêvé pour l'hiver" et "Ma Bohême", puisque les tercets de "Rêvé pour l'hiver" sont une réécriture du poème en sizains "A une Muse folle" qui clôt le recueil Les Cariatides de 1842 avec des reprises sensibles de rimes, et les tercets de "Ma Bohême" démarquent un sizain très précis avec reprise évidente de rimes du célèbre poème conclusif des Odes funambulesques d e 1857, "Le Saut du tremplin". Rimbaud a lié "Rêvé pour l'hiver" à "Ma Bohême" en citant les conclusions de deux des plus célèbres recueils de Banville, et on peut apprécier du coup que les mentions "hiver" et "Bohême" n'excluent pas finalement une double référence à Murger par-delà Banville...
En tout cas, après cette "Dédicace à la vie de Bohème", Murger offre une section intitulée "Les Amoureux" qui s'ouvre par un poème intitulé "A Ninon", poème que nous n'hésitons pas à réunir aux autres sources que nous avons déjà établies pour le poème "Les Reparties de Nina", avec valeur prédominante de la référence à Musset. Le poème de Murger est en décasyllabes de chanson, deux hémistiches de cinq syllabes, et nous serions vite en peine de rapprocher des détails du poème de Murger de passages du poème de Rimbaud. Cependant, le poème de Murger a l'immense intérêt de dresser le portrait d'une Ninon vénale. L'amoureux lui explique que pour elle il a perdu son bien, mais aussi celui de son oncle. Il sollicite une réponse de Ninon qui ne vient pas, qu'on n'entend pas tout comme le poème de Rimbaud joue sur les silences et non-dits avant la pirouette du vers final ramassé. Citons l'avant-dernier quatrain très significatif où il ne manque même pas un pressant "n'est-ce pas ?" :

Je n'ai plus le sou, ma chère, et ton code,
Dans un cas pareil condamne à l'oubli ;
Et sans pleurs, ainsi qu'une ancienne mode,
Tu vas m'oublier, n'est-ce pas, Nini ?
Fort de tels liens sensibles, nous pouvons affirmer sans crainte de nous abuser que Rimbaud connaissait depuis longtemps le recueil Les Nuits d'hiver et que pour écrire "Ophélie" il s'est inspiré du poème qui suit immédiatement "Au lecteur", "Dédicace à la vie de Bohème" et "A Ninon", à savoir la pièce en sept quatrains de rimes embrassées "Ophélia". Le poème est à nouveau en vers de chanson aux deux hémistiches de cinq syllabes, mais il offre la transcription dans son titre "Ophélia" reprise par Rimbaud parmi les vers, il s'agit enfin d'un poème tout entier consacré comme celui de Rimbaud au seul motif de la noyée shakespearienne et de toute évidence le moule grammatical du premier vers du poème de Murger a été repris par Rimbaud qui l'a déployé plus superbement en majesté grave d'alexandrin mélancolique :

Sur un lit de sable, entre les roseaux,
Le flot nonchalant murmure une gamme
Et dans sa folie, étant toujours femme,
L'enfant se pencha sur les claires eaux.

Sur les claires eaux tandis qu'elle penche
Son pâle visage et le trouve beau,
Elle voit flotter au courant de l'eau,
Une herbe marine, à fleur jaune et blanche.

Dans ses longs cheveux elle met la fleur,
Et dans sa folie, étant toujours femme,
A ce ruisseau clair, qui chante une gamme,
L'enfant mire encor sa fraîche pâleur.

Une fleur du ciel, une étoile blonde
Au front de la nuit tout à coup brilla,
Et, coquette aussi comme Ophélia,
Mirait sa pâleur au cristal de l'onde.

La folle aperçoit au milieu de l'eau
L'étoile reluire ainsi qu'une flamme,
Et dans sa folie, étant toujours femme,
Elle veut avoir ce bijou nouveau.

Elle étend la main pour cueillir l'étoile
Qui l'attire au loin par son reflet d'or,
Mais l'étoile fuit ; elle avance encor :
Un soir, sur la rive on trouve son voile.

Sa tombe est au bord de ces claires eaux,
Où la nuit, Stella, vint mirer sa flamme,
Et le ruisseau clair, qui chante une gamme
Roule vers le fleuve entre les roseaux.

Nous avons une mention en épigraphe "1843". La composition du poème est d'un an postérieure à la publication des Cariatides de Banville et donc du poème "La Voie lactée". La différence de traitement est sensible, et il est évident que les poèmes de Banville et Leconte de Lisle ont été décisifs pour permettre de passer de cette pièce railleuse un peu dérisoire au si beau poème de "débutant" de Rimbaud. Toutefois, c'est bien une source essentielle qui apparaît ici. Il faut mesurer l'importance des vers répétés qui annoncent tout les jeux de reprises particuliers à la pièce "Ophélie" de Rimbaud. Nous constatons la reprise de certains mots et aussi de rimes : "eaux" / "roseaux" et bien sûr "étoile" / "voile". Il faut s'intéresser aussi à l'idée de puiser le reflet de l'or d'une étoile dans l'eau.
Je n'ai pas encore lu le reste du recueil de Murger, tant j'étais pressé de communiquer cette découverte inattendue. Cela fait plus d'une semaine que je l'ai découverte, je n'avais pas envie d'attendre plus longtemps.
Cette année 2023 me permet décidément de revenir en force en tant que sourcier des études rimbaldiennes...

vendredi 20 octobre 2023

Le concept d'un recueil des "Cahiers de Douai" au programme du bac de français

Les poèmes rimbaldiens remis à Paul Demeny en 1870 sont portés au programme de l'épreuve du baccalauréat de français pour l'année scolaire en cours 2023-2024. Ils le sont sous la dénomination apocryphe, erronée et trompeuse de "Cahiers de Douai". Je n'ai pas consulté pour l'instant le bulletin officiel, mais les publications parascolaires publient l'ensemble sous ce titre et nous avons droit également à une édition en Garnier-Flammarion par Jean-Luc Steinmetz et Henri Scepi. Je ferai prochainement un compte rendu de cette édition plus savante qui ne s'adresse pas exclusivement aux lycéens des deux années à venir.
Ne pouvant tout acheter, j'ai parcouru les éditions parascolaires il y a quelques semaines en écartant rapidement tout ce qui était assez peu annoté. Je n'en ai acheté qu'une seule, celle de David Galand et Sandra Galand-Lecardonnel. Le nom Le Cardonnel rappelle incidemment un autre sujet rimbaldien... Il s'agit d'un volume publié chez Nathan dans une collection Carrés classiques Bac avec un "dossier du lycéen" et une section "Parcours associé : émancipations créatrices".
Nous avons un ensemble introductif en quatre parties : Biographie, Contexte historique et culturel, Contexte littéraire, Repères chronologiques. Pour savoir si nous avons affaire ou non à un recueil, il faut se reporter au milieu de la biographie avec la sous-partie intitulée : "Un projet de recueil ?" La réserve du point d'interrogation est heureuse, mais je vais citer des phrases de l'ensemble de la biographie pour montrer l'influence subrepticement exercée sur les jeunes enseignés. Le dossier revient sur la notion de recueil dans une brève partie obligée qui s'intitule "Comprendre l'oeuvre". Je traiterai de cette partie dans un second temps. Ensuite, je reprendrai la main en renvoyant les lecteurs à une documentation critique plus sérieuse sur la question du prétendu recueil.
La biographie a droit à un petit paragraphe d'introduction sinon d'accroche où on appréciera le choix verbal : "mettre au point". je cite :

   Quand Rimbaud met au point les poèmes des Cahiers de Douai, il est un jeune homme de seize ans, qui n'a encore publié qu'un seul poème en français.
Certaines informations sont erronées. Rimbaud a déjà publié au moins deux poèmes en français à cette époque : "Les Etrennes des orphelins" au tout début de l'année 1870 et "Trois baisers" dans la revue La Charge en août 1870, information livrée plus loin dans l'ouvrage parascolaire ce qui nous vaut une contradiction interne. Il faut ajouter à cela la publication de la traduction en vers français du début du De Natura rerum de Lucrèce avec un plagiat culotté passé inaperçu de la traduction de Sully Prudhomme. La restriction laisse sous-entendre que publier un poème, c'est bien, mais publier tout un recueil c'est mieux. Or, j'ai envie de dire que quelque part si Rimbaud pouvait éventuellement souhaiter que Demeny fasse publier des vers de Rimbaud cela pouvait relever du choix d'une ou deux pièces prélevées sur l'ensemble qui lui avait été remis. En clair, Maints détails sont tendancieux dans la rédaction de cette biographie. Rimbaud "n'a encore publié qu'un seul poème en français", cette phrase a une volonté si pas de duper du moins de conditionner le lecteur pour lui faire admettre que Rimbaud a remis un recueil à Paul Demeny. C'est une exigence de l'épreuve de ne pas mettre en doute l'autorité sacrée du jury, de l'institution qui organise le baccalauréat. L'élève sera face à ceux qui savent, il ne peut pas les prendre en défaut. Notez aussi l'immédiate appellation "Cahiers de Douai" sans aucun avertissement sur le caractère problématique du titre. Quant à la forme verbale "mettre au point", elle pose deux difficultés. Ce verbe signifie qu'il y a une élaboration, alors que nous pouvons considérer que les poèmes sont recopiés au propre, mis au propre pour rester au plus près de l'expression choisie. Il y a des variantes dans les poèmes, mais ça ne correspond pas à une mise au point en tant que telle, et surtout Rimbaud n'est pas déclaré en train de mettre au point chaque texte, mais il met au point un ensemble gonflé d'un titre "Les Cahiers de Douai".
La première sous-partie met en avant que dans un contexte scolaire plusieurs poèmes de Rimbaud ont été publiés. Soit ! Nous ne pouvons affirmer qu'il s'agit ici d'une manœuvre subversive pour nous amener à croire que Rimbaud était avide de ces publications officielles et que cela doit annoncer le projet de publication d'un recueil à la fin de l'année 1870. Cependant, difficile de ne pas s'apercevoir de la manipulation douce de l'enchaînement savant entre le titre de la deuxième sous-partie de la biographique et sa première phrase : "Entrer en littérature, fuir Charleville" et "Manifestement Rimbaud cherche très tôt à faire publier ses poèmes." L'expression "fuir Charleville" pointe déjà le séjour à Douai, ce qui crée une mise en perspective implicite quand nous enchaînons par la lecture de la séquence suivante : "cherche très tôt à faire publier ses poèmes." La phrase suivante est clairement écrite dans ce but, vu l'erreur imprudente qu'elle véhicule : "Il adresse ses premiers vers en français à La Revue pour tous [...]" Je précise que les auteurs de cet ouvrage parascolaire sont tous deux des agrégés. Ils ont en principe un très haut degré de finesse dans l'expression. Or, au nom de quoi peuvent-ils dire que "Les Etrennes des orphelins" est l'expression des premiers vers français de Rimbaud. Il s'agit des premiers vers français connus de Rimbaud, ce qui n'a rien à voir avec l'idée de "premiers vers" écrits par une personne. Cette phrase nous offre un exemple d'immédiateté : le poète aurait écrit son premier poème et l'aurait immédiatement envoyé à une revue à des fins de publication, sûr que son coup d'essai a été un coup de maître. C'est cela qui est écrit en substance dans la phrase que j'ai cité plus haut. En réalité, Rimbaud a envoyé de premiers vers pour la publication, ce qui n'a pas le même sens. Et quoi d'étonnant qu'un amateur de poésies, qui a une certaine réussite scolaire, fait quelques essais chez lui qui nous demeureront inconnus, puis envoie une pièce quand il s'estime prêt ? Rimbaud est précoce, puisqu'il n'a que quinze ans et deux mois, mais pourquoi surenchérir ? Rimbaud s'adonne à la poésie, le fait de vouloir publier est une lapalissade. Ici, ça devient un argument présenté sans raison comme étonnant pour déterminer de manière spécieuse qu'il y a bien un projet de recueil derrière l'ensemble manuscrit remis en 1 870 à Demeny. Pour moi, cette argumentation n'a aucun sens. Et elle déjà celle des rimbaldiens : Murphy, Brunel, Steinmetz, etc.
Poursuivons la lecture de cette "biographie". Nous avons donc une sous-partie concçue autour d'étapes d'un personnage qui cherche à se faire publier. Autrement dit, au lieu d'avoir un récit biographique supportant les aléas d'une existence, nous avons une biographie à thèse. Tout au long de l'année 1870, Rimbaud déjà publié dans des manuels scolaires académiques cherche à être publié dans des revues. Il est publié dans la Revue pour tous en janvier, il passerait à l'étape suivante en mai 1870 en envoyant trois poèmes à Banville pour qu'il lui ouvre les portes du Parnasse et le jeune ardennais fait la demande qu'il avoue comme "folle" de faire publier son poème "Credo in unam" à la fin du volume collectif en cours du second Parnasse contemporain qui, à quelques exceptions (Victor Hugo en tout cas), publiée une élite nationale conséquente des meilleurs poètes en vie à cette époque. Avec le plus grand sérieux, des rimbaldiens comme Murphy, Brunel et Steinmetz, soutiennent qu'il faut lire au premier degré cette sollicitation, et c'est cela que les professeurs de lycée vont enseigner sans aucun droit de réplique aux élèves de première dans les lycées. Chapeau bas, mes bourgeois ! Notre ouvrage parascolaire illustre bien cette étrange réalité, puisqu'on nous dit passivement que Rimbaud présente cette ambition de faire publier "Credo in unam" "comme une 'Ambition ! ô folle ! ' " Et nous avons droit à un encadré à côté qui reprend la citation exclamative de Rimbaud : "Publier des poèmes : 'Ambition ! ô Folle !" sauf que dans l'opération nous glissons de l'humour de placer le "credo" des poètes dans la bouche de cet adolescent nouveau-venu en lui offrant le prestige de clore un recueil de vers de l'élite des poètes français à la simple volonté de publier des poèmes. Rimbaud ne dit bien sûr pas que ce serait une folle ambition que d'espérer publier trois de ses poèmes dans une des livraisons du Parnasse contemporain. Ce serait déjà un peu exceptionnel, mais ça n'a rien à voir. Evidemment que pour "Credo in unam", c'était de l'humour. A la limite, c'était demander quelque chose de trop gros pour que Banville se rabatte sur une publication des poèmes, et si pas dans le Parnasse contemporain, au moins dans une revue littéraire mensuelle d'époque. Vous pensez bien que Rimbaud ne va se vendre en jouant les modestes : "Bonjour, j'ai fait quelques essais, dites-moi ce que vous en pensez, je les retravaillerai selon vos conseils, et d'ici quelques années je serai prêt, je postulerai pour être un des vôtres." Vous confondez les démarches pour devenir poète et pour devenir enseignant ! ? Peut-être que Sully Prudhomme, François Coppée et d'autres ils faisaient comme vous le dites, ils n'ont pas été Hugo, Rimbaud, Verlaine ou Baudelaire, peut-être aussi pour avoir confondu le métier de poète avec celui de fonctionnaire métro-boulot-dodo.
Et puisque la section biographique soutient une thèse "entrer en littérature", toute la relation au professeur Izambard passe à la trappe, ainsi que les textes qui lui furent remis. Izambard est pourtant dans la continuité d'un récit articulé qui va des prix scolaires qui ont été publiés au séjour douaisien chez les tantes du même professeur...
Il faut bien comprendre que c'est parce qu'Izambard, pour des raisons qu'il n'a pas données, n'a pas recueilli les productions rimbaldiennes de la fin de l'année 1870 que l'ensemble remis à Demeny est si magnifiquement mis en relief de nos jours. Mais cela passe inaperçu tant l'exigence de prouver qu'un recueil a été remis à Demeny passe avant tout. Les poèmes remis à Izambard sont bien énumérés, mais dans une construction narrative orientée. Le projet en mai d'être soutenu par Banville à des fins de publication dans une revue parnassienne aurait été interrompu par les débuts de la guerre franco-prussienne, et c'est simplement par pis-aller qu'Izambard hérite de manuscrits des nouvelles compositions de Rimbaud. La grande histoire a bon dos. On apprend tout de même que Rimbaud a pu publier un poème dans une revue le treize août, "Trois baisers", ce qui contredit les prétendues impossibilités causées par la guerre.
Enfin, nous en arrivons à la section intitulée "Un projet de recueil ?"
On ne nous cache pas que Rimbaud a déjà confié par lettre à Izambard son dédain pour le recueil Les Glaneuses de Demeny. Il va de soi que lorsqu'Izambard présente Paul Demeny à Rimbaud, ce dernier va faire une contenance plus diplomatique et qu'il y a une certaine hypocrisie à remettre tous ses poèmes à Demeny sur un faux air d'égalité entre poètes. Mais, derrière cette trivialité des rapports humains, au nom de quoi les rimbaldiens peuvent, sans aucun témoignage étayé, entrer dans la tête et les pensées de Rimbaud pour affirmer que cette rencontre "avive sans doute le désir de publier un recueil" comme je le lis ici. Et cela se poursuit par le commentaire suivant : "Rimbaud passe ses journées à amender et mettre au propre ses poèmes antérieurs, et à en écrire de nouveaux".
Depuis quand l'élaboration d'un recueil est dominée par la composition de nouveaux poèmes ? Six sonnets sont datés d'octobre 1870, deux poèmes assez longs sont datés de la fin du mois de septembre : "Les Effarés" et "Roman". Parmi les poèmes non datés, combien ont été eux aussi composés en septembre ou octobre : "Ma Bohême", "Rages de Césars", "Le Châtiment de Tartufe", etc. La moitié des vingt-deux poèmes à tout le moins. Où est l'idée claire de recueil là-dedans ? Nous ignorons par ailleurs de quand datent certaines variantes. Quand Rimbaud a-t-il modifié les poèmes envoyés à Banville en mai, quatre mois avant le séjour douaisien ? La question se pose aussi pour "Vénus anadyomène" daté du 27 juillet 1870. De toute façon, au vu des manuscrits, à toutes les époques, on constate que Rimbaud modifie ses poèmes. Cela n'a rien à voir avec le fait de préparer un recueil. Puis, apprécions l'aveu maintenu dans les demi-teintes de cette introduction d'ouvrage parascolaire : "Il s'agit probablement d'un ensemble de quinze textes, souvent désigné comme le 'Premier cahier'." On nous avoue qu'un ensemble de quinze textes est appelé "Premier cahier", mais on ne nous dit pas que les quinze textes sont copiés sur des feuillets volets séparés et non paginés. Et on ne nous dit même pas que les feuillets sont parfois de nature différente, Rimbaud n'a pas tout le temps utilisé le même papier, on ne nous dit même pas qu'une partie est simplement recopiée au crayon, notamment la version remaniée de "Credo in unam", devenue "Soleil et Chair", ce poème dont on soutenait avec le plus grand sérieux que Rimbaud avait sincèrement voulu qu'il parût à la fin du second Parnasse contemporain, succès d'apothéose s'il en est.
Il n'y a pas de cahier, c'est une appellation erronée.
Evidemment, on nous relate la seconde fugue en l'associant à la confection d'un second ensemble "chez les soeurs Gindre" : "Il semble qu'il y recopie et complète un ensemble plus homogène de sept sonnets, la plupart écrits pendant la fugue même, et appelé 'Second Cahier' ". Et nous avons droit à un argument qui vient d'Izambard et qui devrait être remis en contexte : "Rimbaud n'écrit plus qu'au verso des feuilles, ayant appris qu'on préparait ainsi le manuscrit pour l'imprimeur."
Et nous avons ensuite le dépôt chez Demeny : "Rimbaud dépose ses 'Cahiers' chez Demeny. Celui-ci paraît oublier le manuscrit, mais ne le détruit pas."
Rimbaud n'a jamais parlé d'un recueil, Demeny non plus, et Izambard lui-même s'est contenté de dire que notre poète songeait à être imprimé, ce qui peut impliquer autant le projet de recueil que la publication isolée d'un poème dans une revue.
Il n'existe ni un premier cahier, ni un second cahier. Il n'existe que des copies sur des feuillets volants, avec un premier ensemble aux papiers hétérogènes et un second dossier plus homogène.
Il n'est pas prouvé que Rimbaud ait remis un premier dossier en septembre et un second en octobre. L'éditeur de la Pléiade, André Guyaux, pense que tous les poèmes ont été remis lors du seul second séjour d'octobre. Et il y a des arguments qui peuvent aller en ce sens. Le premier ensemble est hétérogène et les pliures invitent à penser que Rimbaud a remis les poèmes en plusieurs fois au fur et à mesure du recopiage, ce qui n'est pas compatible au demeurant avec l'idée d'un recueil puisque du coup Demeny pouvait mélanger les parties successives qui lui étaient transmises ! Surtout, le poème "Rages de Césars" qui, avec "Le Châtiment de Tartufe", est déjà à rapprocher, au plan des thèmes abordés et au plan de la forme du sonnet, de l'ensemble des sonnets généralement datés d'octobre, sans oublier que de mémoire ils ne sont transcrits eux aussi qu'au recto, a pour singularité d'évoquer un incendie au palais impérial de Saint-Cloud, ce qui voudrait dire que le poème a été composé quelques jours après l'information dans la presse de l'incendie le 14 octobre du palais de Saint-Cloud le 14 octobre. Et après tout, Rimbaud a pu n'apporter ses poèmes à recopier que lors du second séjour...
De toute façon, l'état de recueil n'est pas avéré, il est contredit par les pliures des manuscrits et l'hétérogénéité des papiers utilisés. L'argument de n'écrire qu'au recto n'a pas à être pris comme une information imposant d'évidence la constitution d'un recueil prêt à l'imprimerie. Il a déjà été fait remarquer que plusieurs manuscrits étaient signés ce qui est contradictoire avec l'élaboration d'un recueil. L'ensemble n'est pas paginé, et enfin nous retrouvons un propos imprudent dans l'emploi du verbe "compléter". Les six sonnets datés d'octobre et le sonnet "Ma Bohême" complètent l'ensemble de ce que nous connaissons des poèmes remis à Demeny en septembre et octobre 1870. Au plan strict, ces sept poèmes ne font que s'ajouter à un ensemble de quinze poèmes. Le verbe "compléter", il a un sens en français dont on ne peut pas abuser.
Faute de temps, je ne peux pas terminer cet article maintenant, je ferai une deuxième partie sur la partie "Comprendre l'oeuvre" de cet ouvrage parascolaire dans les jours qui viennent.
Je voulais publier quelque chose pour la date anniversaire du 20 octobre.

Pour précision, j'ai une grande légitimité à parler de ce problème de recueil.
J'ai publié sur le blog "Rimbaud ivre" plusieurs articles sur les dossiers de poèmes de Rimbaud en m'attaquant à plusieurs reprises aux prétendus projets de recueils qu'on prétend identifier.
Sur le sujet qui nous occupe, mon article "La Légende du Recueil Demeny" avait été signalé à l'attention, en tout cas par Alain Bardel, au moment du lancement du blog "Rimbaud ivre" de Jacques Bienvenu. Cet article a aussi l'intérêt de citer les sources, et notamment un article capital de Steve Murphy qui plaidait pour l'identification d'un "Recueil Demeny", j'ai contesté à pied l'argumentation.
J'ai contesté également l'idée d'assimiler la suite paginée remise à Verlaine, puis Forain et Millanvoye, à un recueil.
J'ai contribué à démentir l'idée d'un recueil élaboré des poèmes en prose des Illuminations en participant au travail de Jacques Bienvenu sur le sujet, lequel m'a cité pour un argument décisif qui a démontré que la pagination des manuscrits des poèmes en prose n'était pas de Rimbaud. Dans le Dictionnaire Rimbaud des Classiques Garnier, Michel Murat n'a pas reconduit l'affirmation selon laquelle la pagination était de Rimbaud.
Je suis également reconnu comme le spécialiste de l'Album zutique, ce qui veut dire que j'occupe une place unique parmi les rimbaldiens, je suis à la fois un philologue important, mais je suis le seul à avoir imposé une parole d'expert sur chacun des dossiers de poèmes de Rimbaud : ensemble remis à Demeny, ensemble Forain-Millanvoye, Album zutique et Illuminations. Ni Murphy, ni aucun autre rimbaldien n'a cet honneur. J'ai également permis de corriger une coquille du texte imprimé du livre Une saison en enfer :  "autels" et non "outils", grâce au brouillon correspondant. J'ai déchiffré deux vers prétendus illisibles de "L'Homme juste" avec une démonstration sans appel, j'ai identifié deux textes rimbaldiens comme des montages de citations de Belmontet et j'ai réattribué un poème de Verlaine qui était devenu rimbaldien à son auteur d'origine, grâce à la mise en avant d'un argument hiérarchique supérieur et inattaquable, la signature d'origine à l'encre "PV" qui prouve que Rimbaud a recopié un poème de son ami. J'ai aussi publié un article majeur sur "Paris se repeuple" où j'ai souligné des lacunes de l'édition philologique de Steve Murphy des Poésies en 1999 chez Champion. Et enfin, j'ai aussi signalé à quel point les citations inédites de vers par Delahaye avaient toutes chances d'être authentiques.
Sur le seul terrain philologique, à part Steve Murphy, il n'y a aucun rimbaldien actuel qui en a fait autant que moi.