mercredi 30 septembre 2020

"rire des enfants", "éternité", "nouveau corps amoureux", "anciens assassins", lions entre eux les poèmes de Rimbaud !

   En mai 1870, Rimbaud compose et envoie au grand maître des parnassiens, Théodore de Banville, un poème intitulé "Credo in unam" où la référence à une déesse païenne de l'Antiquité grecque permet de construire un discours contre la religion chrétienne. En procédant de la sorte, Rimbaud se réclame de grands maîtres du mouvement parnassien. Nous pourrions citer le cinquième poème de l'édition de 1861 des Fleurs du Mal, mais Rimbaud s'inspire d'une technique abondamment illustrée par les poèmes à sujets mythologiques de Leconte de Lisle, pièces qu'on aurait évidemment tort de ramener à une froide érudition formelle passéiste. Il prend aussi pour modèle celui à qui sa lettre s'adresse, puisque Banville a mis en scène la Vénus bannie par le christianisme dans plusieurs poèmes d'un recueil significativement intitulé Les Exilés, et en particulier dans "L'Exil des Dieux" et "Le Festin des Dieux", car c'est bien à ces deux compositions qui ouvrent et ferment le recueil que Rimbaud entend faire allusion.
   Ce poème "Credo in unam", retravaillé et baptisé "Soleil et Chair" quelques mois plus tard, a pu être traité avec condescendance. C'est une pièce de jeunesse considérée comme un centon de références romantiques et parnassiennes par Yves Reboul ou quelques autres rimbaldiens. Il n'en est rien, c'est un poème capital pour comprendre toute l'histoire de la poésie rimbaldienne.
   Dans l'ensemble des poèmes en prose réunis sous le titre Illuminations, Rimbaud célèbre plusieurs allégories de son invention qu'il décrit en tant que divinités (Raison, Being Beauteous, Génie, Aube, Hélène, etc.), et la fonction de ces créations n'est pas de nous offrir des visions inédites, mais de produire comme c'était le cas avec "Credo in unam" un discours d'opposition au christianisme pour réaffirmer les valeurs de vie que l'auteur défend. Rimbaud compose un poème intitulé "Antique" où il décrit une autre figure divine ou divinisée de la mythologie grecque comme l'atteste la périphrase "fils de Pan", ce qui ne manque pas de faire écho à la célèbre phrase : "Pan est mort", qui vaut contestation de la prise de pouvoir spirituel par le christianisme. A défaut de comprendre leur idéologie antichrétienne, beaucoup de lecteurs se contentent paresseusement de considérer que ces poèmes sont des révélations par la magie des mots de réalités qui excèdent notre entendement. Cela ne veut rien dire du tout, mais cela permet de ne pas avoir à témoigner de son incapacité à lire les poèmes de Rimbaud. Face à cela, des lectures plus fines envisagent ces poèmes comme des critiques, mais parfois il s'agit avec trop d'évidence de refuser une quelconque séduction pour les visions produites. Yves Reboul ne veut voir dans "Voyelles" qu'une immense farce ironique ou tend à assimiler "Being Beauteous" au sexe masculin, et à défaut de pouvoir identifier les allégories des Illuminations il affirme que l'entité féminine de "Beams" dans le poème terminal de Romances sans paroles, le recueil de Verlaine, est une figuration cryptée de Rimbaud lui-même, ce qui n'est pas du tout convaincant. Pour Reboul, il faut crever l'abcès quand on commente "Aube" et rendre ce poème en idées, sans accepter de s'en tenir au récit imaginaire comme affirmation imagée de la pensée de Rimbaud. Pour le même commentateur, le poème "Barbare" est volontiers assimilé à une forme de critique de soi du poète. En clair, les poèmes sont mieux compris, mieux analysés, mais moyennant un refus du déplacement dans l'imaginaire.
   Prenons le poème "Being Beauteous", son titre est une citation d'un poème de Longfellow Footsteps of angels. Longfellow était un poète de langue anglaise très célèbre à l'époque, ce qui ne semble pas s'être maintenu. Il a inspiré des vers français à Baudelaire et celui-ci a même adapté en vers français une pièce "Le Calumet de paix". Il n'est pas vain de citer ici cette imitation de Longfellow par Baudelaire, puisque le poème a une tournure épique qui rappelle nettement les compositions de Leconte de Lisle. En revanche, Longfellow ne nourrit pas sa composition d'un souffle antichrétien. Je vous laisse vous reporter aux vers de Baudelaire qui sonnent comme du Leconte de Lisle, sinon du Hugo : "Le Puissant, descendit dans la vaste prairie, / Dans l'immense prairie aux coteaux montueux ;" car l'attaque ramassée du poème "Being Beauteous" correspond bien à cette manière solennelle de poser un cadre : "Devant une neige un Être de Beauté", cependant que l'hémistiche du premier vers du "Calumet de paix", "le Maître de la vie" entre en écho avec l'expression rimbaldienne : "les couleurs propres de la vie se foncent, dansent et se dégagent autour de la Vision". L'expression "Être de Beauté" qui traduit l'expression anglaise reprise en titre à la composition, est intéressante également à rapprocher de cette périphrase "le Maître de la vie". Les mots "Maître" et "Être" sont flanqués d'une majuscule et le mot "Être" s'entend tout entier dans "Maître" au plan phonétique, cependant que les compléments "de Beauté" et "de la vie" achèvent de diviniser les noms à majuscule initiale "Maître" et "Être", l'un fait don de la vie, l'autre est source de beauté. Précisons que, dans le poème de Longfellow, ce "Maître de la vie" n'est pas le Dieu de la religion chrétienne, mais le "Grand Esprit" qui a créé l'univers et donné la vie selon des traditions indiennes du nord de l'Amérique. Baudelaire a plutôt adapté le poème en vers français. La pièce originale s'intitule "The Song of Hiawatha", ce que nous traduisons en "Le Chant de Hiawatha" et elle aurait inspiré, bien plus tard que le poème de Rimbaud, la création de la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak et au vingtième siècle le musicien de rock progressif Mike Oldfield en chanterait de larges extraits sur son album Incantations. Evidemment, comme Leconte de Lisle s'ingéniait à composer des poèmes sur les croyances non chrétiennes des divers peuples du monde, Rimbaud devait lire "Le Calumet de paix" comme une spiritualité libre de tout christianisme et donc comme un défi à celui-ci. Et le vers de l'imitation baudelairienne : "Il se tenait debout, vaste et majestueux[,]" est intéressant à rapprocher de la lutte de la déesse dans "Being Beauteous" qui, face aux agressions du monde, "recule", "se dresse".
Mais ce n'est pas du poème "Song of Hiawatha" que vient la citation de Rimbaud. Elle vient du poème "Footsteps of angels". Or, le poème dont le titre peut se traduire en français "Les pas des anges" est une évocation dans un cadre crépusculaire où les reflets du feu du foyer sur les murs suggèrent l'apparition de défunts qui étaient chers aux poètes et de défunts qui sont partis parce que souffrant trop du martyre de la vie. Parmi ces défunts, l'être de beauté est tout simplement un amour de jeunesse qui vient comme une sainte du ciel apporter apaisement et prière. Qu'est-ce qu'il peut rester de cela dans le poème de Rimbaud ? Il reste l'expérience du martyre vécu par l'être de beauté et on peut goûter aussi l'idée d'un "spectre" exilé et même presque tué par le monde, sorte de quasi défunt de l'au-delà (Pan ou Vénus d'avant le christianisme) qui apparaît tout de même au poète. Et on peut aller plus loin, puisque le monde agresse la beauté. Ce monde est "loin derrière" le poète, ce qui veut dire que le poète rejette ce monde, ce qu'il va formuler à nouveau dans "Barbare" : "Bien après les jours et les saisons," cela veut dire que le poète est allé jusqu'au pôle, là où le découpage en 365 jours ne s'applique pas, ni le découpage en saisons, et bien après "les êtres et les pays", cela veut dire un monde où il n'y a pas cette division de l'espace en "pays", et il n'y a plus cet ensemble des "êtres" que sont les mesquins humains. En revanche, il y a l'unique "Être de beauté", parce que nous oserons considérer qu'il y a un contraste à inscrire entre l'expression de "Barbare" "les êtres" et celle de "Being Beauteous" : "Être de Beauté". Je ne suis évidemment pas d'accord avec la lecture de Reboul qui voit un rêve dans "Barbare", ni avec les diverses autres lectures de Claisse, etc. Le poème "Barbare" décrit l'action d'un juif-errant sur le modèle du personnage éponyme du roman d'Eugène Sue. Le motif du juif-errant est évoqué explicitement dans différents poèmes en vers de Rimbaud, en tout cas dans "Comédie de la soif" et cela en liaison avec le motif de la neige, et ce cadre polaire est essentiel dans le roman Le Juif-errant d'Eugène Sue. Et pour rappel, le juif-errant, c'est l'être maudit qui a refusé d'aider le Christ à porter sa croix lors du calvaire et qui, du coup, hérite de son propre calvaire.
   Rappelons que, au plan de la transcription manuscrite, "Antique", "Being Beauteous" et "Ô la face cendrée..." sont réunis sur le même feuillet, et si l'expression dans "Antique" "Glorieux fils de Pan" permet de songer à l'expression "Pan est mort" de désolation face à la victoire du christianisme, dans "Being Beauteous", nous avons, comme dans "Credo in unam" ou "Génie", l'idée d'un monde présent qui a sombré, d'une chute de l'humanité qui n'a plus su reconnaître la seule divinité. C'est exactement ce que raconte "Being Beauteous". Le monde l'agresse par des "sifflements mortels" et de "rauques musiques", et les blessures font ressortir "les couleurs propres de la vie" mais sous la forme de "viande saignante" pour citer "Barbare". On a bien l'idée que le monde attaque la vie de soleil et de chair dans son dernier refuge, avec tout le paradoxe d'une célébration solaire du côté des pôles ("Métropolitain"). Rimbaud veut rompre avec le monde sans Vénus et il va de soi que "Being Beauteous" est une sorte de drame érotisé. Et personne n'a à douter que Rimbaud fasse allusion à cet amour dans le martyre entre le poète et l'être de beauté dans les "ébats" de la fin du poème "Métropolitain" comme dans les "larmes blanches, bouillantes" de "Barbare", poème dont la transcription suit précisément celle de "Métropolitain" (je ne parle pas de la pagination, mais des transcriptions enchaînées, ce qui n'est bien sûr pas le même sujet). Il devrait depuis longtemps être admis de tous les rimbaldiens que "Being Beauteous", l'être aux yeux "violets" de "Voyelles", l'être au "flanc souverain" du quatrain madrigal "L'Etoile a pleuré rose...", "Aube", "Génie", l'Hélène de "Fairy" dont le titre fait écho au "chevalet féerique" de "Matinée d'ivresse", etc., sont autant de personnifications variées de la Vénus, de l'être de beauté. Il est évident que "Being Beauteous", "A une Raison" et "Génie" dressent des divinités en tant que modèles antichrétiens. Il n'est pas pertinent de s'énerver si nous lisons ces fables de manière trop littérale, du moment que nous comprenions que l'essentiel, c'est la critique de notre monde chrétien qui s'y livre. Or, dans "Being Beauteous", Rimbaud concentre certaines références bibliques. Il y a eu une idée de résurrection d'entre les morts dans ce choix de sujet de phrase très étrange : "nos os sont revêtus d'un nouveau corps amoureux". Dire "nos os sont" au lieu de "nous sommes", c'est bien engager une sorte de prophétie à la manière d'Ezékiel. Et surtout, l'expression "nouveau corps amoureux" rappelle l'idée des épîtres de saint Paul selon lequel "il nous faut revêtir l'Homme Nouveau", dans sa pensée devenir chrétien, puisque "nouveau" et "revêtus" sont deux mots choisis à dessein par Rimbaud, mais pour se les réapprpropier de manière polémique, bien évidemment, et l'amour est un mot polysémique qui est également revendiqué comme une notion centrale du discours religieux de l'Eglise. Il ne saurait faire aucun doute que la "Raison" reprend l'idée de la Révolution française de déesse Raison s'opposant au christianisme et que cette "Raison" chez Rimbaud est un équivalent de "Being Beauteous" puisque l'expression "le nouvel amour" sert à habiller sous forme de deux adjectifs le "corps" de celui ou ceux qui s'allient à l'Être de Beauté contre les agressions du monde : "nouveau corps amoureux", c'est la réalisation de la prière des "enfants" dans "A une Raison", "le nouvel amour" qui devient réalité. Or, je prétends lire de manière enchaînée les poèmes "A une Raison" et "Matinée d'ivresse" qui se succèdent en termes de transcription manuscrite. Le début de "Matinée d'ivresse" figure sur le feuillet de transcription du poème "A une Raison", et les poèmes se font écho, et tout particulièrement à cause du passage de "nouvelle harmonie" à "ancienne inharmonie". Mais si le "nouveau corps amoureux" de "Being Beauteous" est à lier étroitement au "nouvel amour" du poème "A une Raison", dès lors, les deux occurrences du mot "corps" dans "Being Beauteous" : "corps adoré" et "nouveau corps amoureux" selon la progression du texte, sont à rapprocher des deux occurrences du mot "corps" dans "Matinée d'ivresse" : "corps merveilleux" et "cette promesse surhumaine faite à notre corps et à notre âme créés". Il est clair que "Matinée d'ivresse" parle très précisément de cette expérience du poète dont les "os sont revêtus d'un nouveau corps amoureux". Il n'y a pas à contester ce rapprochement évident pour mieux éclairer la signification du "corps merveilleux". Et nous pouvons aller plus loin : l'expression initiale qui met en équation le Bien et le Beau selon une approche platonicienne reprise par le christianisme sert de titre à un ouvrage du philosophe Victor Cousin que le poète Rimbaud ne peut pas ignorer, puisqu'il a logé dans un hôtel dont la rue portait déjà le nom du philosophe de l'éclectisme. Cousin a publié un ouvrage intitulé Du Vrai, du Beau et du Bien. Il n'est nul besoin de s'en référer à Victor Cousin pour soutenir que l'expression "Ô mon Bien ! ô mon Beau !" est une allusion à l'équation morale classique Beau = Bien. Cependant, l'ouvrage de ce philosophe atteste de l'importance de cette équation dans la culture philosophique du dix-neuvième siècle, et nous pourrions même noter qu'il est amusant de voir Rimbaud inverser l'ordre de défilement : Cousin va du Beau au Bien, lui procède à l'inverse du Bien au Beau. En tout cas, avec le renforcement des possessifs du fait du recours aux italiques, il est évident que le propos est polémique et tourné contre le consensus du monde ambiant. Qui plus est, nous constatons un renforcement de la liaison des poèmes entre eux par le vocabulaire choisi, puisque le mot "Beau" impose un écho avec cet "Être de Beauté" avec lequel fusionne le poète qui lui offre ses os. On voit aussi se dessiner un autre lien : le corps torturé de l'être de beauté propage un sang qui devient le nouveau corps du poète dans un poème, et dans "Matinée d'ivresse" il est aussi question d'une torture, mais vécue positivement, comme un affranchissement ("je ne trébuche point") et une régénération.
   Dans sa lecture de "Matinée d'ivresse", Bruno Claisse écarte toutefois un rapprochement sensible avec le poème "A une Raison". Selon lui, les "enfants" se moquent de celui qui vit la "Matinée d'ivresse", tandis que dans "A une Raison", les "enfants" font la même prière que le poète qui intercède pour eux auprès de la divinité. Il ne faut pas oublier l'importance du motif de l'enfant dans la poésie de Rimbaud, le mot revient à plusieurs reprises dans "Le Bateau ivre". Dans "Guerre", le poète insiste sur son état antérieur d'enfant pour justifier sa lutte face au monde. Sous le titre "Enfance", cinq compositions témoignent de la résistance d'une âme qui ne se laisse pas éduquer par le monde. Dans "Matinée d'ivresse", l'idée d'une valeur négative du "rire des enfants" vient de la mise en facteur commun avec les "horreurs des objets et des figures d'ici", avec la "discrétion des esclaves" et avec une "austérité des vierges". L'expression "Cela commença sous les rires des enfants", comme l'expose Fongaro, nous fait comprendre que les enfants se moquent du poète. Mais ce rire est celui de la surprise devant l'inconnu. Ce rire est initialement un rire de défense et donc un rire au service d'une éducation déjà acquise, d'une honnêteté déjà installée. Toutefois, c'est un rire, et pas du mépris ni de la violence qui s'exprime. Le poète écrit ensuite : "cela finira par eux". Ce rire peut très bien changer de signification au fur et à mesure. Dans le même ordre d'idées, les enfants, les esclaves et les vierges ne sont sans doute pas des horreurs en tant que telles pour le poète. Celui-ci les offense parce qu'il dénonce leur soumission, mais il voit en eux quelque chose à consacrer, et ce n'est pas les enfants, les esclaves et les vierges qui sont à honorer, mais le rire, la discrétion et l'austérité même, ainsi que l'horreur que je lirai comme le sentiment d'horreur. Il me semble que le poème opère une subtile pirouette où il fait entendre que le rire, la discrétion, l'austérité et le sentiment d'horreur deviennent non plus les indices désagréables de l'aliénation, mais des manifestations d'un dégoût du monde ambiant. Mon commentaire est à améliorer, mais je ne suis pas satisfait par la lecture de Claisse au sujet du "rire des enfants".
Prenons maintenant le motif de "l'éternité". Cette "éternité", si on admet la liaison entre les poèmes que nous avons jusqu'ici étayée, doit se comprendre comme "nouvelle harmonie". L'éternité est parfois considérée comme l'absence du temps et un peu son contraire, ce qui ne veut rien dire pour peu qu'on interroge la signification d'une telle définition. En effet, l'éternité du paradis est représentée avec le mouvement des anges, une vie où des pensées se formulent, etc. En clair, l'éternité, c'est surtout la stabilité du monde, l'absence de cycles temporels, et c'est bien sûr l'absence d'usure, de vieillissement, etc. Il faut dire qu'à ce sujet il y a une nuance de taille à introduire avec les blessures et tortures de l'expérience telles que décrites dans "Being Beauteous" et "Matinée d'ivresse". Cependant, la "neige" de "Being Beauteous", au-delà des suggestions érotiques d'un à-coté de la carnation foncée noire et rouge de la mère de beauté, est un indice d'une expérience du côté des pôles, scène explicitement évoquée dans "Métropolitain" et bien sûr aussi dans "Barbare" où figure la mention "arctiques" et où l'attaque du poème parle clairement de l'abolition du cycle des jours et des saisons, qui au plan géographique correspond nécessairement aux pôles. Or, n'est-ce pas là un cadre géographique parfait pour imposer l'idée d'une vision de l'éternité au-delà des cycles temporels ? Les poèmes sont par ailleurs fondés sur un paradoxe, l'instant où on prend conscience de l'éternité peut être fugace. Rimbaud a composé en mai 1872 un poème en vers courts intitulé "L'Eternité" où il est question d'un rejet des "suffrages", des "communs élans", comme dans "Barbare" il est question d'aller au-delà des êtres et des pays. Et la vision de l'éternité était associée à la mer et au soleil. Nous ne ferons pas ici une grande revue des mentions de la mer et du soleil dans la poésie de Rimbaud avec toute la charge symbolique d'éveil qui les accompagnent la plupart du temps. Remarquons que, dans les poèmes réunis sous le titre "Enfance", nous retrouvons le regard tourné vers l'éternité, avec le fait d'aller voir la mer, d'aller au bout de la jetée. Dans "Enfance II", le poème célèbre une "mer faite d'une éternité de chaudes larmes". Notons d'ailleurs que dans cette expression il est peu probable que ce soit le fait du hasard si nous croisons deux titres de poèmes de mai 1872 : "Larme" et "L'éternité".
A la lumière de tous ces rapprochements, on comprendra que je suis très méfiant quant aux lectures qui ne voient que le sexe masculin dans "Being Beauteous" (Reboul) ou les lectures qui font de "Matinée d'ivresse" et de "Barbare", des poèmes de l'autodérision et de l'autocritique (Reboul, Fongaro, Claisse). Certes, la "voix égarée et bouffonne" que l'auteur d'Une saison en enfer décèle dans son poème "L'Eternité" a bien l'air de figurer dans l'enthousiasme rhétorique prononcé de "Matinée d'ivresse" : "Hourra...", "... cette promesse, cette démence!" Mais, dans "Alchimie du verbe", le poète dit qu'il prenait "une voix égarée et bouffonne", mais pas que c'était un outil pour critiquer sa pensée. Il y a bien dans "Matinée d'ivresse" une expression énigmatique : "on nous a promis..." mais il est délicat d'affirmer que l'expression de "Matinée d'ivresse" est ironique et tournée finalement contre la joie factice du poème. Je suis bien évidemment très réservé à cet égard. Quant à voir des modalités d'expression ironique dans "Voyelles" et "Barbare", bonne chance à celui qui s'attellera à le prouver et à en exhiber les signes indubitables. En tout cas, dans cette liaison entre les textes, voilà que nous en arrivons à la mention "assassins" elle-même. Dans "Barbare", il est question des "anciens assassins" que le poète rejette parmi un ensemble d'éléments qualifiés aussi d'anciens et de vieux, dont certaines "fanfares d'héroïsme". Pour l'ensemble des critiques rimbaldiens, et cela inclut Fongaro, Claisse, Reboul, etc., le poème "Barbare" désigne les "assassins" du poème "Matinée d'ivresse" alors en italique. Ce lien pose problème à plusieurs égards. Premier point : cela signifierait que le poème "Barbare" est postérieur à la composition "Matinée d'ivresse". Nous aurions ce cas étrange où un poème contredirait l'autre, bien qu'ils aient été réunis dans un même ensemble, dans un même recueil. Certains prétendent que l'ordre de défilement des poèmes a été voulu par Rimbaud, ce qui n'est bien sûr pas notre cas. Mais, dans tous les cas, le poème "Barbare" ne conclut pas l'ensemble des poèmes en prose, et viennent encore après lui dans le recueil tel que nous le connaissons aujourd'hui des poèmes proches de la pensée de "Matinée d'ivresse", "Being Beauteous", "A une Raison". Il est vrai qu'il faudrait aussi parler de "Conte" qui figure plutôt vers le début du recueil dans la forme qui nous est parvenue, car il semble être en contradiction avec "Génie" sur quelques points. Mais cette contradiction n'est sans doute qu'apparente. En revanche, Reboul, Fongaro, Claisse et quelques autres définissent des poèmes, "Matinée d'ivresse" et "Barbare" notamment, comme des autocritiques ou formes d'autodérision qui contrediraient "A une Raison", "Being Beauteous" et "Génie". Les critiques prétendront qu'il n'y a pas de contradiction, mais pour moi dire que "Barbare" et "Matinée d'ivresse" émettent des doutes sur la foi de poèmes voisins, c'est bien introduire de la contradiction dans l'ensemble. Je ne crois donc pas que leurs lectures ironiques, déceptives, de "Matinée d'ivresse" et "Barbare" soient pleinement fondées. Elles sont intéressantes jusqu'à un certain point, mais il y a un moment où ce sont les critiques qui perdent la foi, et non le poète. Or, et ce sera le deuxième point, dans le cas de "Barbare", puisque les rapprochements sont devenus sensibles, à force d'être étayés ici, avec "Being Beauteous", "A une Raison" et "Barbare", il faut dire que si le choix de l'adjectif "nouveau" caractérise si fortement "A une Raison" (quatre occurrences) et si cet adjectif compte dans l'idée du "nouveau corps amoureux", il va de soi que dans "Matinée d'ivresse", nous avons une opposition entre "la première fois" du "corps merveilleux", sous-entendu de la "nouvelle harmonie" et du "nouveau corps amoureux", et "l'ancienne inharmonie" et il va de soi qu'une "Fanfare" où le poète "ne trébuche point" suppose une référence à d'autres fanfares. Pensons qu'à la fin de "Mauvais sang", le poète face à "l'impossible n'est pas français" napoléonien, face à l'alliance du sabre et du goupillon ("les autels, les armes" selon le texte enfin corrigé et débarrassé de sa coquille qui a été enfin pris en compte dans les derniers tirages de l'édition de la Pléiade par André Guyaux) le poète se jette aux pieds des chevaux, il trébuche ! Le terme "fanfare" est militaire et quand s'y joint la notion "d'héroïsme", il faut une certaine imprudence pour exclure le sens politique de "fanfares d'héroïsme" d'une société qui aime les guerres napoléoniennes et préférer imaginer que Rimbaud se prend pour un héros dans son aspiration poétique. Les "vieilles retraites", les "vieilles flammes", les "anciens assassins", Rimbaud ne dit jamais que c'est ses anciennes retraites, ses anciennes flammes, et ses anciens compagnons assassins. Il rejette les flammes, les retraites et les assassins comme signes de l'ancien détestable, c'est ça qu'il dit. Il est imprudent de dire qu'il parle de son propre passé. Or, dans l'opération de liaison entre les poèmes, je trouve énormément suspecte l'idée que les "assassins" de "Matinée d'ivresse" soient rejetés comme "anciens", car cela voudrait dire que, sans crier gare, le poète dit des "assassins" qu'il n'a nommé qu'une seule fois qu'ils sont anciens, alors qu'il les aurait établis comme de l'ordre du nouveau dans "Matinée d'ivresse". Dans "Matinée d'ivresse", le poète dit qu'il a trouvé une "fanfare" mieux que les anciennes fanfares, une fanfare qui fait échapper à "l'ancienne inharmonie", c'est de cela qu'il est question explicitement dans le poème. Et voilà que, dans "Barbare", la prétendue nouvelle fanfare de "Matinée d'ivresse" passerait au pluriel pour une dévaluation en anciennetés. Rimbaud nous dirait avec le plus grand sérieux que ces fanfares de la nouveauté qui devaient nous débarrasser de l'ancien furent une erreur et qu'elles sont anciennes. Il ne dirait pas qu'il s'est trompé en les croyant nouvelles, il les dirait anciennes. Et dans la foulée, il ne retirerait même pas "Matinée d'ivresse" de la somme finale de son oeuvre ? Il y a un problème logique dans cette approche qui fait encore l'unanimité chez les lecteurs de Rimbaud. Rimbaud nous soutiendrait que les "assassins" du renouveau sont devenus anciens, mais toutefois la mère de beauté serait toujours du côté des pôles. Nous n'assisterions qu'à un rapide toilettage, la "Matinée d'ivresse" sans la fanfare et les assassins.
Je ne crois évidemment pas en un message contradictoire aussi laborieux de la part de Rimbaud. De deux choses l'une, ou les "anciens assassins" ne sont pas les mêmes que dans "Matinée d'ivresse" et donc Claisse, Reboul, etc., se trompent quand ils font de "Barbare" une critique de "Matinée d'ivresse", soit les "Assassins" de "Matinée d'ivresse" ne sont pas les alliés du poète, mais au contraire ses ennemis aux "sifflements mortels" dans le retour à "l'ancienne inharmonie", puisque la veille vient de se terminer, comme l'indique l'occurrence à trois reprises "cela finit", et dans ce cas, à nouveau Claisse, Reboul, etc., se trompent quand ils font de "Barbare" une critique de "Matinée d'ivresse", donc dans tous les cas de figure leurs diverses lectures de "Barbare" sont indéfendables, mais en outre dans cette dernière hypothèse, non seulement le consensus sur "Barbare" est un parfait contresens de lecture, mais sur "Matinée d'ivresse", au-delà même de l'opposition des lectures sur le contenu du poème le consensus sur la clausule "Voici le temps des Assassins" est lui aussi un parfait contresens de lecture qui a trop longtemps fait l'unanimité.

lundi 28 septembre 2020

Matinée d'ivresse : compte rendu de lectures (Bardel, Claisse, Fongaro) deuxième partie

Je poursuis mon enquête sur les lectures antérieures de "Matinée d'ivresse".

Je pars du commentaire mis en ligne par Alain Bardel et de la bibliographie qu'il propose.

Consulter ici l'étude "Pour saluer le Voyant"

Cette étude est flanquée d'une mention de date "Avril 2008" qui est erronée. Le commentaire a été profondément remanié ultérieurement comme l'attestent les liens bibliographiques et les citations de critiques. L'article de Bruno Claisse qui est référencé a été publié en octobre 2008 et il a été repris en volume en 2012. Le livre de Zimmermann date de 2009 et j'observe en passant que, comme il conteste la lecture de Claisse de 2008, dans son livre de 2012 Claisse a ajouté une note de bas de page finale en réponse. L'étude de Denis de Saint-Amand que je n'ai pu consulter date de 2009. Le commentaire lui-même est lourdement tributaire d'une lecture de l'article de Claisse. Je note aussi de manière amusée l'idée de l'introduction d'un Rimbaud utilisateur d'un alphabet symbolique quand on songe que Bardel n'a jamais daigné une seule fois référencé mes analyses du sonnet "Voyelles", alors que j'y parle précisément d'un alphabet symbolique à partir des cinq voyelles.

Maintenant, le commentaire de Bardel ménage la chèvre et le chou au sujet de la lecture du mot en italique "Assassins". La position de Claisse dans son article de 2008 est de dire qu'il n'y a aucune allusion aux haschichins. Cela n'est peut-être pas évident à la lecture de l'article, car l'auteur y revient et semble parler des points communs, mais la lecture attentive de l'article montre qu'il considère que l'idée doit être totalement abandonnée. Pour bien le signifier, une citation s'impose, celle des toutes premières lignes de l'article de Claisse (mon support est le livre publié en 2012) : "Parmi les commentateurs du poème, bien peu se sont demandé si l'hypothèse d'une ivresse communiquée par un quelconque stupéfiant (ou alcool) était "absolument nécessaire pour comprendre Matinée d'ivresse". La formule entre guillemets vient de Pierre Brunel qui ne l'employait qu'au seul sujet du haschich, Claisse l'étend à tout type de stupéfiant ou alcool. Cecil Arthur Hackett fut pratiquement seul à rejeter l'idée d'une "inspiration dans les paradis artificiels" et Fongaro a quant à lui "considéré la drogue comme un faux-semblant". Voilà ce que rappelle rapidement en première note de bas de page Claisse. Après, l'article de Claisse pose quelques problèmes, il fait des rapprochements intéressants avec l'ensemble de l'oeuvre de Rimbaud, notamment les "poisons" des lettres de mai 1871, mais Claisse plaque sur sa lecture le concept de "tragisme". Le "poison" sera le "tragique de l'existence" en gros, cela revient une quarantaine de fois et ça ronfle comme un conditionnement anormal pour le lecteur. Dans le même ordre d'idées, à propos de la formule "cette promesse faite à notre âme et à notre corps créés", si Claisse relève avec raison l'allusion au modèle chrétien, il part à deux, sinon à trois, quatre reprises sur l'idée que cette formule critique le dualisme, ce qui n'a aucun sens. La formule de Rimbaud est dualiste tout comme le modèle qu'elle imite, et le poème ne dit pas qu'il faut éviter dissocier l'âme et le corps du tout. On a une formule dualiste sur l'union de l'âme et du corps, il n'y a aucun débat à avoir s'il faut penser la réalité corps et âme de manière dualiste ou s'il convient d'inventer un langage moniste pour rompre en visière avec cette idée de deux plans séparés qu'on conjoint difficilement. Du coup, on a de pénibles digressions qui n'ont rien à avoir avec ce que dit Rimbaud dans l'étude de Claisse. Il y a aussi une analyse rythmique qui ne veut rien dire des premières paroles du poème : "Une oralité maximale réalise l'unité de cette dualité du 'Bien' et du 'Beau' en incluant la symétrie rhétorique (les deux groupes exclamatifs initiaux) dans le continu d'un contre-accent enjambant la pause syntaxique : O mon Bien ! O mon Beau ! 123 456 -u-n-u-" C'est du charabia pour ne rien dire, où ressort l'idée d'une sorte de hiatus accentuel d'une exclamation à l'autre "... Bien ! O..." Je ne vois pas bien l'intérêt. Voici enfin une phrase qui peut donner l'impression, mais fausse, que Claisse accueille encore l'idée d'une référence au haschich, sauf qu'il s'agit d'une citation de Pierre Brunel : "Mais il est vrai que les rapprochements possibles avec [Gautier] et [Baudelaire] sont trop nombreux pour qu'on puisse les négliger". Toutefois, l'expression "les rapprochements possibles" ne veut pas dire que l'idée de sources est avérée. Brunel ne prétend qu'enquêter à ce sujet à cause de nombreux indices. Pour sa part, un peu avant, Claisse a écrit que le projet de lecture qu'il prête au poème "exclut toute référence aux stupéfiants". Et en réponse à la citation qu'il fait de Brunel, Claisse montre ensuite que l'idée de "sacré" est bien distincte entre Baudelaire qui la met dans l'idée d'harmonie de l'expérience, quand Rimbaud la met dans son rapport à l'horreur du monde d'ici. Claisse dit à la fin de son article que les "Assassins" du Poème du Haschich et du Club des Hachischins [Nota bene : Gautier et Baudelaire inversent la position du "s" devant l'un des "ch" l'un par rapport à l'autre] n'ont avec les "Assassins" du poème de Rimbaud "qu'un lointain rapport étymologique". Autrement dit, Rimbaud emploie un mot que Baudelaire et Gautier emploient, mais le texte de Rimbaud n'a rien à voir avec les deux précédents. C'est ce que dit Claisse en toutes lettres, mais son expression "qu'un lointain rapport étymologique" peut induire en erreur le lecteur et laisser entendre qu'il consent à exploiter la lecture supposée étymologique "haschichine" dans le cas de "Matinée d'ivresse", ce qui n'est pas le cas du tout. C'est une fin de non-recevoir.

Le commentaire de Bardel dans la forme remaniée qui nous est parvenue est très largement tributaire de cette étude de Claisse et il n'était donc pas inutile de montrer l'abîme qu'il y a entre la position de Claisse et celle de Bardel. Ce dernier, d'une façon qui lui est classique, a pris en considération les critiques corrosives de Claisse sur l'interprétation par les "paradis artificiels" et c'est pour cela qu'à quinze ou vingt reprises dans les deux pages internet consacrées à parler de "Matinée d'ivresse" Bardel n'a de cesse de réduire l'idée d'une lecture selon l'expérience de hachisch à un quelque chose de dérisoire. J'ignore si Bardel a compris que Claisse rejetait complètement l'idée d'une lecture étymologique pour le mot "Assassins", mais ce qui est marquant, c'est que Bardel joue sur les deux tableaux. Il conteste la portée de la lecture selon laquelle le poème rend compte d'une expérience de hachisch dans la foulée de l'article de Claisse, mais il ne l'exclut pas, il ne fait que la restreindre, et il l'avalise à d'autres moments.

Or, il y a une autre divergence intéressante entre l'étude de Claisse et le commentaire de Bardel. Bardel rend compte des rapprochements nombreux entre "Matinée d'ivresse" et Les Paradis artificiels, parallèles connus depuis très longtemps, je ne sais plus qui le premier a fixé tout cela, mais c'est très ancien. Et évidemment à la différence de Claisse, Bardel ne considère pas seulement que ce sont des "rapprochements possibles", mais que ce sont des sources incontestables au poème "Matinée d'ivresse". A aucun moment, Bardel ne précise sa divergence d'opinion avec Claisse sur cette question des sources avérées ou non avenues. Quelqu'un qui n'aura pas lu l'article de Claisse pourra croire que Claisse et Bardel modèrent l'importance de l'allusion au haschich, alors que l'historique est le suivant : Claisse prend position contre l'exploitation de la lecture étymologique du mot "Assassins" et contre la mobilisation des textes de Baudelaire et Gautier. Bardel, lui, prend son bien dans les thèses opposées en présence, en ignorant superbement qu'une position nouvelle dans le débat critique veut contredire explicitement la précédente position. Et dans les nombreux rapprochements, il y a bien sûr l'idée que le "rire des enfants" serait un peu à l'image de la "gaieté enfantine" qui commence par envahir celui qui consomme le haschich. Bardel s'appuie sur ce rapprochement, le légitime, alors qu'ailleurs il signale la particularité grammaticale. L'expérience finira par les rires des enfants, mais elle a commencé "sous les rires des enfants", non "par les rires des enfants". Fongaro a attiré l'attention sur cette préposition qu'il a rapprochée du poème "Le Coeur volé" et de l'expression "Sous les quolibets de la troupe". Dans son article, Claisse s'appuie sur le commentaire de Fongaro pour dire que cela exclut l'allusion à la "gaieté enfantine" de Baudelaire. Dans "Matinée d'ivresse", Les enfants se moquent du poète. Et d'ailleurs, le "rire des enfants" avec passage du pluriel "rires" au singulier va être mis en facteur commun avec "austérité des vierges", "discrétion des esclaves" et "horreur des figures et des objets d'ici". Claisse en profite même pour dire que du coup ce rire des enfants n'est pas à rapprocher du chant des enfants dans "A une Raison". Le rapprochement avec "A une Raison" n'est pas à l'ordre du jour dans le débat. Ici, il faut comprendre que la suite : "Rire des enfants, discrétion des esclaves, austérité des vierges, horreur des figures et des objets d'ici" est une caractérisation de la soumission des êtres aux "honnêtetés tyranniques". Le poète veut "déporter" celles-ci, elles sont donc des "horreurs" d'ici. Et il va de soi que la "discrétion des esclaves" c'est l'acceptation honnête de leur condition, cette "austérité des vierges", c'est la même acceptation des "honnêtetés tyranniques", et, du coup, ce "rire des enfants" est forcément un signe d'aliénation qui vaut ralliement aux "honnêtetés tyranniques". Les "enfants" se moquent de celui qui échappe au carcan des "honnêtetés tyranniques". Je répète sans arrêt les mêmes mots, mais c'est dans un but pédagogique.

Commentons aussi un autre point. Le poème s'intitule "Matinée d'ivresse". Ce matin n'est pas un lendemain d'ivresse, il est le moment de l'ivresse, moment qui profite alors des connotations d'éveil du jour du nom "Matinée". Bardel affirme à plusieurs reprises qu'il est question d'un lendemain. Cela vient bien évidemment de la mention "Petite veille d'ivresse, sainte !" Il y a deux remarques à faire. Premièrement, le nom "veille" ne signifie pas nécessairement "le jour qui a précédé". On connaît tous l'expression "l'état de veille". La "veille d'ivresse", c'est le fait de ne pas dormir en étant en état d'ivresse, et cette "veille" devient souvenir. Le poème dit explicitement que la matinée se déroule sous nos yeux, mais que l'ivresse se termine. Le mot "veille" peut introduire une valeur de rupture, mais il est contradictoire de prétendre que l'ivresse était du jour antérieur et il est contradictoire de prétendre que le matin est l'heure du bilan sur l'ivresse de la veille.

Enfin, en ce qui concerne la répétition "commencer"::"finir". Bardel identifie les temps verbaux, mais pour la première occurrence "finit" il considère que le poète emploie le passé simple.

Non ! Les trois mentions "finit" sont à l'indicatif présent. Si la mention finale "voici que cela finit..." est nécessairement à l'indicatif présent, la précédente mention "cela finit" ne peut pas être au passé simple. C'est d'une logique imparable. Qui plus est, Bardel avoue être très embêté par cette étrange scansion du verbe "finir".

Je vais m'arrêter là pour ce deuxième temps de mon compte rendu. Je vais laisser mûrir un peu mes réflexions avant de passer à une troisième partie.

dimanche 27 septembre 2020

Matinée d'ivresse, compte rendu de lecture (Bardel, Claisse, Fongaro) : première partie

Sur son site "Arthur Rimbaud, le poète", Alain Bardel livre dans sa section "Anthologie commentée" une étude du poème "Matinée d'ivresse". Il s'appuie sur une mince bibliographie dans laquelle nous avons une mention du livre de Pierre Brunel Eclats de la violence qui commente tous les poèmes en prose les uns après les autres avec un nombre conséquent de pages à chaque fois. Il y a mention d'un article de Fongaro repris dans son ouvrage décisif sur les Illuminations paru chez Champion. Un unique article de Bruno Claisse est cité, celui qui a été publié dans la revue Parade sauvage et qui a été ensuite repris dans le second livre de Claisse réunissant ses articles sur Rimbaud. Il faut savoir qu'il existe quelques articles de Bruno Claisse qui n'ont jamais été réunis dans ses livres ultérieurs. Il y a un article sur "Après le Déluge" dans la revue Parade sauvage qui ne figurait déjà pas dans le volume Rimbaud ou le "dégagement rêvé". Il existe aussi deux articles de Claisse sur des poèmes en vers, un sur le "I rouge" de "Voyelles", un sur "Le Bateau ivre" aussi je crois, mais il faut encore dénombrer d'autres articles. Il y a un article sur les Illuminations et Renan qui figure dans une revue sur Renan et auquel je n'ai jamais eu accès, je me demande s'il n'y en a pas deux. Ensuite, il y a eu un article sur le poème "Les Ponts" qui n'a jamais été repris, mais que je possédais sous forme de photocopies reliées, et il y a eu également un premier article sur "Matinée d'ivresse" que celui référencé par Bardel réfute quelque peu. Je le possédais également en photocopies agrafées ensemble.
En tout cas, je vais pouvoir également rendre compte des articles de Fongaro et Claisse cités dans cette bibliographie. En revanche, je ne possède plus le volume Eclats de la violence de Pierre Brunel qui a été détruit par une catastrophe naturelle, et il ne m'est pas si simple de m'organiser pour aller le consulter dans une bibliothèque universitaire.
L'article de Guyaux, je l'ai lu, mais il y a fort longtemps. Le volume Duplicités de Rimbaud était consultable à Toulouse où je n'habite plus depuis dix ans déjà. Le lien pour lire l'article de Denis Saint-Amand ne fonctionne pas. Les études de Lawler et Zimmermann, je ne les connais pas du tout.
Sur le site labyrinthique d'Alain Bardel, il faut d'abord se reporter à la transcription du poème flanqué d'un premier commentaire introductif.


Bardel souligne un paradoxe dans le traitement. Un lendemain d'ivresse, en général, cela se décrit plutôt comme une mauvaise expérience de gueule de bois. Rimbaud choisit l'exaltation. J'y vois un premier contresens de lecture, sans nul doute lié au rapprochement du titre "Matinée d'ivresse" avec sa variation dans le texte "Petite veille d'ivresse". Mais, matinée n'est pas synonyme de veille au sens de jour d'avant bien évidemment. La matinée d'ivresse, cela veut dire que l'ivresse a lieu le matin même, voire que l'ivresse est en soi un matin si on considère les choses au plan symbolique et poétique. Rimbaud ne décrit précisément pas un lendemain d'ivresse. Il décrit un "maintenant" d'ivresse. Il n'y a donc aucune raison de s'attendre plutôt à un "réveil triste et dégrisé". Bardel affirme ensuite que le poète prétend avoir trouvé le secret d'une extase qui jamais ne retombe. J'y vois un deuxième contresens de lecture, puisque l'ivresse n'a duré qu'une matinée et qu'il est question de la fin de cette "fanfare" dans le poème. Ce qui reste, ce n'est pas l'extase, mais le "poison" : "Ce poison va rester dans toutes nos veines même quand, la fanfare tournant, nous serons rendu à l'ancienne inharmonie." Peut-être en confondant l'idée de poison avec l'idée d'une drogue stimulante, Bardel pense pouvoir dire que le poison fait perdurer l'extase au-delà de la fanfare. Mais cette fanfare, si elle ne naît pas de la drogue, alors qu'elle est le Beau et le Bien qui exalte le poète et lui fait une révélation, quelle est-elle ? Je n'ai pas l'impression en lisant le poème que la fanfare n'ait rien à voir avec le poison, je suis plus dans l'idée que le poison permet un certain temps une fanfare, mais il demeure en tant que poison, tandis que le premier effet de fanfare s'estompe.
Bardel répond ensuite à l'énigme du poison en nous révélant qu'il s'agit de la poésie. C'est sûr, Rimbaud est un poète et il est bien commode de dire que ce qu'il a découvert et ce qu'il a à nous montrer c'est la poésie. Mais, une fois qu'on a dit ça, on n'est pas très avancé !
Le point pour lequel je tenais à passer en revue ce premier tour d'analyse du poème, c'est évidemment tout le problème de la relation du mot "Assassins" au terme "haschischins". L'idée d'une exploitation de l'étymologie "haschichins" a reculé dans le monde rimbaldien. Fongaro la conteste, et Claisse a évolué sur ce sujet-là qui l'admettait dans un premier article non référencé ici par Bardel et qui la récuse jusqu'à dire que Rimbaud n'a peut-être pas envisagé du tout cette étymologie en écrivant son poème, et cela il le dit dans l'étude cette fois bien présente dans la bibliographie proposée par Bardel.
Or, il n'est pas rare dans le cas des poèmes de Rimbaud d'avoir des lectures qui essaient de conserver tout ce qui a été proposé, et Bardel a tendance à suivre les évolutions en conservant bon an mal les anciennes conceptions qu'il pouvait avoir du poème, et ça devient une sorte de mélange. C'est encore le cas présentement comme nous allons pouvoir l'observer de plus près.
Bardel a un discours très restrictif quand il évoque la possibilité d'une allusion au haschich, mais il énumère ce sujet un nombre considérable de fois, et loin de récuser la filiation au haschisch il l'admet mais en lui fixant des limites.
Vérifions cela.
1) Le poison est assimilé à la poésie et Bardel fait mine de rejeter l'ancienne identification au haschich, mais la rejette-t-il vraiment ? Voici ce qu'il écrit : "Quel est ce 'poison' ? La poésie, bien plus sûrement que le haschich, qui n'est ici qu'un comparant symbolique." En clair, quand Rimbaud écrit : "Ce poison va rester dans toutes nos veines..." et puis "Nous avons foi au poison", il faut comprendre que le poison est le haschich "Ce haschich va rester dans toutes nos veines..." et puis "Nous avons foi au haschich", mais pour dire symboliquement "Cette poésie va rester dans toutes nos veines..." et "Nous avons foi en la poésie". On a vraiment besoin de cette triangulation du "haschich" entre "poison" et "poésie" ? Bardel ne renonce pas à l'ancienne interprétation, il l'accommode à la situation nouvelle née de ses lectures des articles de Fongaro et Claisse, puisque Fongaro qui rejette l'interprétation par le haschich a relevé les indices d'ironie et dérision dans "Matinée d'ivresse", cependant que Claisse a enchaîné sur une lecture qui n'engage aucune référence à la drogue.
2) Dans un second paragraphe, Bardel développe la comparaison de la poésie avec des "excitants chimiques", motif qui n'apparaît pas dans le texte de "Matinée d'ivresse" où on a du chevalet, l'idée de trébucher, d'atrocité, etc. On a bien le poison à deux reprises, mais l'idée précise des "excitants chimiques" non !
3) Toujours dans ce second paragraphe, Bardel développe une comparaison avec la secte du Vieux de la Montagne. Il fait dire au texte de Rimbaud que le poète est prêt à se sacrifier pour déporter les honnêtetés tyranniques, ce qui est peut-être prendre certains raccourcis avec ce qu'écrit précisément Rimbaud, mais surtout très discrètement Bardel rappelle que l'étymologie "Haschichins" pour "assassins" est probablement erronée. Je cite : "Comme les fanatiques drogués au haschich de la secte persane des Haschichins (XIe siècle), nom qui a passé longtemps pour avoir donné en français le mot "Assassins", le poète est prêt à se sacrifier..."
Au passage, à notre époque, et déjà dans les années soixante, le haschich se consomme en le fumant à la manière d'une cigarette. Moi, ça ne me fait rien de sensible, personne ne parle d'hallucinations causées par le haschich, et c'est plutôt perçu comme une détente ou un développeur des perceptions méditatives, alors que dans le poème de Rimbaud où le mot "violence" apparaît, il est question d'une "Fanfare atroce". Il est vrai qu'à l'époque de Gautier et Baudelaire il se consommait autrement, on le mangeait froid avec du café, que sais-je encore ? Mais Baudelaire décrit des effets qui ne correspondent pas non plus à ce que développe Rimbaud et c'est une raison pour lesquelles les fans de littérature subversive ont perdu l'envie d'insister à la Godard ou que sais-je encore ? d'insister sur les ouvertures de la perception poétique par le haschich. Il y a d'autres drogues auxquels on peut penser, mais le haschich ça ne fait pas très sérieux pour justifier les visions du poète.
Mais l'important, c'est le démenti apporté à l'étymologie "haschichins" pour "assassins".


Il serait intéressant de citer les ouvrages précis de l'époque de Rimbaud qui soutenaient cette étymologie. Il y a bien sûr le livre des Paradis artificiels de Baudelaire, peut-être quelques récits de Gautier dont "Le Club des haschichins", mais il faudra désormais étayer les liens possibles du texte de Rimbaud avec ces textes de Gautier et Baudelaire. En tout cas, le terme "assassins", s'il a bien une origine arabe au Moyen Âge n'était pas associé au "haschich". Dans le lien que je soumets à l'attention ci-dessus, on constate que cette piste étymologique n'existe pas dans le témoignage du chroniqueur Joinville et que Marco Polo associe la secte du Vieux de la Montagne à une drogue qui serait un breuvage, mais sans mentionner le "hachisch" précisément. Pourtant, et c'est facile à éprouver sur internet, plusieurs dictionnaires affirment cette étymologie "haschichins"::"assassins" comme authentique. Et Bardel montre qu'il est au courant, mais comme c'est ce qu'a pu croire Rimbaud en son contexte d'époque qui importe la réfutation ne s'impose pas. Bref, l'étymologie est fausse, mais cela ne change rien pour la critique rimbaldienne qui a toujours Baudelaire et Gautier à l'appui. Néanmoins, il serait intéressant de passer en revue les écrivains classiques pour citer les passages où le mot "assassin" apparaît, car Rimbaud n'est pas un montreur d'étymologies, il peut employer le mot "assassins" comme tout un chacun, dans le sens premier que le mot a pour tous. Le mot est en italique, mais il y a plusieurs mots en italique dans les poèmes de Rimbaud, on n'a pas systématiquement considéré que les italiques demandaient d'étudier le mot en fonction d'un sens étymologique. Les déterminants possessifs "mon" qui sont en italique au début du poème n'appelle pas un commentaire étymologique. Les italiques sont plutôt une figure d'insistance. Et dans le cas du mot "Assassins", il s'agit de toute façon dans un premier temps d'une forme d'insistance pour que le lecteur soupèse l'emploi du mot. La signification est sans doute métaphorique, mais une métaphore pour "haschichins" ne nous renverrait qu'à une autre métaphore finalement, la poésie selon Bardel, des forces de destruction plus politiques et sociales selon d'autres. Bref, il y a un serpent qui se mord la queue à affirmer que le mot "Assassins" renvoie à la secte du vieux de la montagne. Si ce renvoi est à prendre au sérieux, alors il conviendra de passer tout "Matinée d'ivresse" à la moulinette d'une comparaison serrée avec les textes emblématiques sur le sujet de Gautier et Baudelaire. Pourquoi s'y dérobe-t-on si ce n'est parce que la recherche a été décevante ?

Passons maintenant à l'étude complète du poème par Alain Bardel.


Dans l'introduction, Bardel met d'emblée le lecteur face à la question traditionnelle qui concerne ce poème : s'agit-il d'une relation sur l'influence favorable ou non des drogues dans l'activité poétique ? Bardel rappelle que Rimbaud a indiqué lui-même cette possibilité dans ses lettres de mai 1871 sur le projet de se faire voyant, mais il bascule soudainement dans une fin de non-recevoir avec une explication qui ferait sans aucun doute bondir Yves Reboul, l'un des plus grands pourfendeurs des lectures mystiques de Rimbaud du côté de la voyance, car c'est du charabia de la voyance dont il est bien sûr question dans la dérivation métaphorique que Bardel croit pertinent de formuler en contrepoint : "Mais, en vérité [Note que j'ajoute : "en vérité", c'est une formule courante dans les traductions en français des paroles de Jésus, ce ne serait pas à éviter ici ?], l'ivresse pour l'auteur qu'une métaphore commode pour représenter, sous l'espèce d'une illumination sacrée, l'intuition ou les intuitions fondatrices qui président à son aventure poétique." Je ne sais pas comment Bardel pouvait tenir une conversation avec feu Fongaro, sinon peut en tenir une aujourd'hui avec Reboul, qui, tous deux, se sont battus contre ce genre de lectures qui ne veulent rien dire et qui sont mystico-mystifiantes pour rien. C'est quoi qu'il faut comprendre dans ce passage : "l'intuition ou les intuitions fondatrices". Si on ne sait pas, autant ne pas écrire ça, et si on sait autant préciser ce qu'on a à dire. Là, ça, c'est du charabia. Les livres sur Rimbaud de Jouffroy et quelques autres, personne ne les lit plus depuis plus de trente ans, on ne sait pas si quelqu'un les a lus à l'époque où ils sont sortis. Il faut quand même en être conscient que le langage illuminé pour parler de Rimbaud, c'est une farce qui a tenu longtemps, mais les gens en ont eu marre, sauf Circeto.
Oui, le poète a une intuition, il en rend compte dans un langage métaphorique, et nous on est là, on aimerait comprendre le mystère et on est en adoration devant cette poésie qui nous échappe. Tout ça ne fait pas sérieux.
Le texte parle de "déporter les honnêtetés tyranniques", il ne parle pas de la poésie au sens large et vague derrière lequel se réfugie Bardel. C'est un texte politique bien évidemment, et la figure du poète est politique, et son ivresse est politique, et c'est pour cela que, en revanche, il va de soi que "Le Bateau ivre" est convoqué à juste titre pour justifier une lecture métaphorique de "Matinée d'ivresse". Ce que je reprocherais à Reboul, c'est de conspuer aussi des lectures un peu édifiantes des poèmes de Rimbaud, mais ce avec quoi il faut dans tous les cas en finir c'est cette idée que la poésie est une entité mystérieuse. Le poète, c'est quelqu'un qui écrit des textes où la forme doit soit séduire, soit être maximalement productrice d'effets, de préférence du côté du sens je précise à tout hasard. Même si le poème est hermétique, la poésie est un jeu avec les mots, elle est donc du côté du sens, et si le lecteur ne comprend pas la reconnaissance du poète vaut dans la mesure où on sent qu'effectivement des enjeux de sens puissants sont à l'oeuvre et la mise à l'épreuve critique permet de sentir que l'écrit est dense, intelligent et qu'il a des promesses à tenir. Cependant, de faux amateurs de poésies qui conspuent l'analyse ont développé une parade compensatoire selon laquelle il y a un mystère absolu de la poésie et qu'on peut l'apprécier en tant que tel, que la poésie c'est un autre monde. Tout ça, c'est des foutaises. Le poème est composé de mots et dit quelque chose. Et si on a découvert l'Amérique, c'est qu'il y avait une réalité physique de l'Amérique. On n'a pas apporté à Colomb un poème où il a découvert l'Amérique, il faut arrêter les âneries. N'importe quel poème, son sens se joue dans les mots qu'il emploie. Quand Rimbaud parle de "déporter les honnêtetés tyranniques", on peut consentir à dire qu'il y voit un devoir de poète, mais on ne peut pas dire que le texte parle du mystère de la poésie. Certes, Rimbaud dans les lettres dites du voyant parle d'expériences nouvelles de poète, mais il sous-entend clairement pour peu qu'on y prête attention qu'en jouant avec les mots il va chercher à mieux cerner nos psychologies, les sédimentations de nos poncifs littéraires, etc., etc. Il n'y a pas une magie hors-sol de sa poésie. Il travaille sur la langue, les mots, mais dans ses poèmes il fait rentrer des éléments de culture auxquels il a été confrontés, et son travail de poète est de les malaxer pour en souligner les limites langagières, les défauts de conception, les contradictions internes ou que sais-je encore ? Mais c'est pas de l'intuition et de l'aventure pure sur les mots, sa poésie ! Et même si dans plusieurs lectures Bardel s'intéresse à la compréhension socio-politique de l'oeuvre créée, cette tendance à dire que dans le poème il y a une métaphore de la poésie, c'est du solipsisme. "Le Bateau ivre", c'est une métaphore des intuitions du poète racontées dans un parcours, "Matinée d'ivresse" c'est sous des apparences de discours d'illuminé une façon de tourner en dérision d'anciennes croyances sur les pouvoirs du poète, il faut arrêter avec ces concepts à deux balles. Cela ne dit rien de précis et n'est qu'une dérobade. Le poème parle de l'importance de la poésie, ok, d'accord, j'ai passé un bon moment, maintenant je vais me coucher. Quand est-ce que ces absurdités vont cesser ? Circeto veut aller serrer la pince à Rimbaud et lui dire qu'il est comme lui et qu'il sait mettre en mots des fulgurances ? Non, mais il faut arrêter le sketch ! Circeto, c'est de la frivolité, ça n'a rien à voir avec Rimbaud... On peut aussi faire comme Guillaume Meurice : "ouais, je suis finalement plus légitime pour parler de Rimbaud, je ne suis pas un critique, un spécialiste, je suis comme tout le monde, donc plus légitime, et puis je me moque de tout, je ne prends rien au sérieux, et mon livre est-ce que je le prends au sérieux ? Donc achetez-le et écoutez-moi mépriser les autres, je suis comme vous !" On peut aller loin dans le délire de revendication pour soi de la poésie de Rimbaud.
Mais, la critique rimbaldienne est fondée, malgré une débauche d'énergie, à chercher à mieux préciser le sens d'une oeuvre. Dans "Matinée d'ivresse", on a aussi la "promesse faite à notre corps et à notre âme créés", là c'est clair on a une spiritualité en réponse au christianisme, alors ce sera un horizon poétique, mais dire que Rimbaud parle de poésie au détriment de tout ce que ces expressions permettent de dégager comme thèmes précis, c'est affolant. Pourquoi se love-t-on dans des impasses pareilles ?
Bon, reprenons !

Il est tard, je vais faire une pause, je reprendrai demain...

En fait, l'objectif important du compte rendu, ça va être de se confronter aux lectures des autres sur la clausule. L'article de Claisse ne rendait pas vraiment compte des variations de temps verbaux dans la reprise "commencer" et "finir". A la fin du poème, tout le monde veut lire d'évidence que l'expression : "Voici le temps des Assassins[,]" c'est l'affirmation de la révolte du poète qui continue la fanfare à sa manière. J'ai insisté sur la répétition insistante d'une fin dans ma lecture. Maintenant, il faut évaluer les derniers alinéas. La fanfare est terminée, mais le poison reste dans les corps et le dévouement demeure également. Pour le dernier alinéa, l'alternative est la suivante : soit le poète au troisième alinéa s'est réarmé moralement et est maintenant prêt au combat contre les assassins de l'ancienne inharmonie, soit bien qu'ils aient sous-évalué la composition et l'idée insistante que la fanfare se termine les lecteurs auraient eu finalement l'intuition juste que "Voici le temps des Assassins" est une affirmation. Mais, il faudrait seulement corriger de la sorte, c'est que "le temps des Assassins" n'est pas la fanfare, mais le dévouement au combat contre l'ancienne inharmonie. Et comme l'étymologie haschichins a pollué la lecture, le mot "assassins" est lu abusivement comme kamikaze semble-t-il, puisque la secte du vieux de la Montagne ce sont des gens qui se suicident pour en tuer d'autres, ce qui permettrait in extremis de relier le fait de donner sa vie tout entière tous les jours à l'idée d'être un assassin. Toutefois, je concilier mal l'idée métaphorique d'une mort qui se revit tous les jours au fait d'assassiner les éléments de l'ancienne inharmonie. Je vais donc bien jauger les lectures qui ont été faites de "Matinée d'ivresse" pour voir ce qui semble le plus porteur des deux termes de l'alternative, ce qui est appelé à se confirmer ou non. Evidemment, cela va de pair avec une lecture de "Barbare" où la mention "anciens assassins" signifie pour moi la désignation des ennemis rejetés par le fait de fuir le monde pour un pôle désert, et non les anciennes passions du poète. Dans le même ordre d'idées, les "vieilles fanfares d'héroïsme" sont celles du monde que le poète rejette dans "Barbare"? Dans "Being Beauteous", le monde est un agresseur, et dans "Barbare" le poète trouve un refuge. Il m'est évident que les "anciens assassins" et les "vieilles fanfares d'héroïsme" sont ce que le poète rejette sous nos latitudes, puisque "Bien après les saisons et les pays," le poète évoque clairement un refuge de juif-errant du côté du pôle.
Et dans "Matinée d'ivresse", la fanfare atroce s'oppose déjà à l'idée de "vieilles fanfares" puisqu'elle est définie comme celle où le poète ne trébuche point. Dans ma lecture, l'opposition est entre la "fanfare atroce" et les "vieilles fanfares d'héroïsme" qui sont des marches napoléoniennes, etc., tandis que dans la lecture généralement admise des deux poèmes on a un laborieux enchâssement : les "vieilles fanfares d'héroïsme" seraient le rejet de l'expérience donnée en exemple d'une "Fanfare atroce" qui s'oppose à celles où le poète trébuche, et on a aussi cet autre enchâssement laborieux, puisque les "anciens assassins" seraient la figure dévaluée des "nouveaux hommes" et du "nous" protégé par la mère de beauté les recouvrant d'un nouveau corps amoureux, sauf que les "nouveaux hommes" s'opposent par définition à d'anciens hommes et à l'homme nouveau du christianisme selon les épîtres de saint Paul, tandis que dans "Being Beauteous" c'est le "nous" qui est attaqué par le monde à coups de "sifflements mortels".
Il va de soi que j'erre tout seul dans mes convictions et que la communauté des rimbaldiens qui refuse de ne fût-ce que nommer le problème que je soulève aura raison à la fin des fins. C'est évident de chez évident. Pourquoi réfléchir encore sur Rimbaud ? Le bon sens informulé l'emportera en devenant formule grâce au fait que j'aurai clamé mes grossières erreurs. Tout cela est très subtil, je n'en doute pas un instant.


Parentés entre Illuminations et répétitions de mots, le dégagement rêvé de significations fortes !

   Ne parvenant pas à consulter en ce moment le document de référence du site "Gallica" de la BNF au sujet des manuscrits des Illuminations, je propose pour lien la reprise des photos fac-similaires du site "Wikisource, la bibliothèque libre". Dans un précédent article tout récent, j'ai étudié le cas du poème "A une Raison". Celui-ci est un excellent exemple d'organisation du texte qui justifie l'appellation de poème en prose. Je vais étendre l'analyse à "Matinée d'ivresse". La transcription de la pièce "A une Raison" et le début de transcription de "Matinée d'ivresse" figurent sur le même feuillet manuscrit et cette suite a nécessairement été le fait du copiste, en l'occurrence Arthur Rimbaud. Le poème "A une Raison" n'est pas un texte qu'affectionnent particulièrement les rimbaldiens. C'est un écrit très dépouillé au plan du vocabulaire. Il a une mélodie, du rythme, mais il n'a pas le déploiement lexical du poème "Génie" qui permet plus d'opérations intellectuelles spontanées à la lecture. En revanche, "Matinée d'ivresse" est l'un des morceaux les plus célèbres et, même si ce n'est pas celui qui jouit du plus grand nombre de commentaires, c'est une pièce maîtresse dans la représentation que tout un chacun se fait du poète avec un horizon de controverses et de polémiques sur sa signification profonde. Etrangement, bien que les deux poèmes se succèdent sur le même feuillet manuscrit, les rimbaldiens ne se sont jamais intéressés réellement à la comparaison des deux pièces. On m'excusera d'oublier les noms, mais il y a bien eu une comparaison établie entre "A une Raison" et "Matinée d'ivresse", puisqu'il a été relevé que la mention "nouvelle harmonie" de l'un faisait écho à la mention "ancienne inharmonie" de l'autre, au moins par Antoine Raybaud il me semble, mais aucune investigation plus poussée n'a été envisagée jusqu'à présent. Ce rapprochement permet juste de supposer que la "matinée d'ivresse" est une expression de "la nouvelle harmonie", mais cet acquis critique n'est pas spécialement claironné par les annotations des œuvres. Je trouve ça étonnant de ne pas insister sur une donnée aussi essentielle. La poésie hermétique de Rimbaud ne nous invite-t-elle pas à ne surtout pas se priver de rappeler des repères aussi éloquents ?

Les deux poèmes ont une allure formelle nettement distincte. Le poème "A une Raison" est composé de cinq alinéas brefs qui feraient presque parler de versets et qui tendent à exclure en tout cas le recours au terme très prosaïque de paragraphe. Les alinéas du poème "A une Raison" tendent à avoir une même longueur. C'est très net pour les trois premiers. Le dernier alinéa est plus ramassé, avec une allure de clausule, et il tient en une ligne que ce soit sur le texte imprimé ou sur le manuscrit.

L'exception vient du quatrième alinéa qui prend une certaine ampleur. Les trois premiers alinéas ne font que deux lignes sur le manuscrit comme sur le texte imprimé (ma référence est l'édition 2009 d'André Guyaux dans la collection de La Pléiade), le dernier alinéa, nous l'avons dit, tient en une ligne. En revanche, le quatrième alinéa tient en quatre lignes manuscrites qui deviennent trois lignes imprimées dans notre édition de référence.

Dans l'idée du découpage ternaire, on peut toutefois considérer que le couple des quatrième et cinquième alinéas équivaut aux deux premiers alinéas, puisque le cinquième n'excède pas une ligne, phénomène que nous pouvons dire compensatoire. Dans l'absolu, on ne peut pas exclure non plus une conception du poème en quatre parties. Les deux premiers alinéas seraient liés au seul quatrième alinéa qui contient les reprises lexicales "commencer" et "Elève" pour "commence" du premier alinéa et "levée" du second alinéa. Le troisième alinéa perdrait son statut de pivot central, en dépite de la reprise du radical verbal "tourne" qui le caractérise. Ceci dit, la clausule "qui t'en iras partout" du cinquième alinéa est aussi une reprise de l'expression "leur en-marche" du second alinéa, tout comme l'expression "ces enfants" du quatrième alinéa est une reprise de la mention "nouveaux hommes" du second alinéa. Je reste donc nettement attaché à l'idée plus élégante d'une partition ternaire du poème.

En revanche, j'ai pu constater une divergence dans les transcriptions qui ont été faites de ce poème. Dans les éditions courantes et dans toutes les publications universitaires, critiques, etc., la reprise phrastique : "Ta tête se détourne... Ta tête se retourne..." est clairement entendue comme prise dans un seul alinéa, alors que sur deux sites internet au moins je constate une présentation erronée en deux alinéas. C'est le cas du site mag4.net et du site Arthur Rimbaud le poète.

Lien pour consulter la transcription en version française originale sur le site Mag4.net

Lien pour consulter la transcription d'une traduction anglaise sur le site Mag4.net

Lien pour consulter la transcription offerte par Alain Bardel sur son site

Ma consultation a lieu le dimanche 27/09/2020 à 16h09.

Je transcris le modèle français qui est livré pour le passage qui m'intéresse :

Ta tête se détourne : le nouvel amour !
Ta tête se retourne, - le nouvel amour !

Cette présentation est erronée et elle est surtout très gênante dans le cas du site Alain bardel qui prétend étudier par le menu le détail des manuscrits des Illuminations.

Voici maintenant un lien pour consulter une photo de l'unique manuscrit connu du poème, c'est-à-dire la source ultime de toutes les éditions du texte, le modèle de référence pour son établissement définitif. Consultez ce document. Vous allez constater deux faits intéressants en ce qui concerne les retours à la ligne. Premièrement, en ce qui concerne l'alinéa mal transcrit sur le site d'Alain Bardel, nous constatons que les deux phrases quasi identiques, si elles sont bien sur deux lignes distinctes, sont enchaînées dans un même alinéa, puisque la seconde phrase ne profite pas de l'émargement. La conclusion est sans appel ! Deuxièmement, nous constatons un phénomène curieux que j'oserai qualifier de révélateur psychologiquement. Dans le cas du poème "A une Raison", abstraction faite du titre qui peut avoir été ajouté après coup, Rimbaud a lancé la transcription du poème par un très faible émargement en début de premier alinéa. Il suffit de comparer avec le début de la transcription suivante du poème "Matinée d'ivresse". En revanche, en cours de mise au propre, le poète a opté à partir du second alinéa pour un émargement plus prononcé qui accentue nettement le caractère "poétique" de la mise en page, et cela vaut également pour le quatrième alinéa. Dans le cas de "Matinée d'ivresse", à première vue, sur la partie manuscrite transcrite sur le même feuillet que "A une Raison", le texte ne jouit d'aucun travail d'aération dans la mise en page. Le texte apparaît comme un ensemble massif où l'attaque initiale d'alinéa est à peine mise en relief. Toutefois, cette impression est démentie par la consultation de la suite de la transcription où les trois attaques d'alinéa jouissent d'un retrait plus prononcé. Rimbaud aurait simplement une tendance quelque peu involontaire à n'accentuer l'émargement qu'entre deux alinéas, mais il attaquerait ses transcriptions sans y attacher la même importance. Or, il y a un phénomène étonnant à constater dans le cas de la transcription de "Phrases" à la suite de "Matinée d'ivresse", puisque nous retrouvons exactement le même cas de figure. Le poète attaque sa transcription sans marge, mais ensuite il y prête attention. Rappelons que dans le cas de "Phrases" des traits ondulants séparent en trois la composition d'ensemble, mais la première partie contient trois alinéas, la second deux seulement et la troisième un seul. Toute la difficulté est de déterminer s'il s'agit de trois poèmes autonomes sous un seul titre ou s'il s'agit d'un seul poème avec, en plus de la présentation en alinéas, des séparations. On peut en particulier se demander si les traits ondulants doivent être adoptés sur le texte imprimé ou si ces traits ondulants ne sont pas plutôt un moyen sur le manuscrit d'indiquer qu'il y a un blanc à installer pour bien séparer le poème en trois parties. Mais nous ne nous interrogerons pas sur "Phrases" dans cette étude du jour, ce sera pour une autre fois. Ces traits ondulés ne semblent avoir aucune signification typographique admise, puisqu'Alain Bardel les reproduit, André Guyaux les transforme de courts traits droits centrés et continus et le site Mag4.net leur préfère des traits droits en pointillé. D'autres problèmes sont liés à la transcription de "Phrases", puisqu'il est question de considérer qu'un autre feuillet manuscrit en est la suite immédiate. Dans ses annotations en ce qui concerne "Phrases", André Guyaux utilise le terme de "fragments" qu'il assimile aux huit pièces du puzzle en débat. Toutefois, l'appellation "fragments" est indue, imprudente et masque une partie des possibilités qui s'offrent à la réflexion. Quand Rimbaud a parlé de "fraguemants" en prose, il l'a fait par référence à ce qu'a pu écrire Baudelaire pour introduire ses propres petits poèmes en prose et il l'a fait pour désigner des textes qui pouvaient être aussi bien de lui que de Verlaine, ce qui, au passage, interdit d'associer la notion à l'esthétique particulière des Illuminations de Rimbaud. Enfin, la notion "fragment", même si elle a un degré de pertinence, ce que nous n'étudierons pas ici, s'applique en principe à un poème. Or, ici, en appliquant le mot "fragment" à huit extraits en prose, Guyaux évacue le problème de délimitation poème par poème et réduit le questionnement à l'étendue de regroupement des transcriptions sous un même titre. Aucun rimbaldien, ni Murat, ni un autre, ne semble correctement poser le problème. Le titre "Phrases" est-il celui d'un unique poème ? Est-il un titre réunissant huit poèmes distincts ? Réunit-il un long poème et cinq poèmes brefs ? Personnellement, j'ai toujours considéré que cinq poèmes autonomes avaient été indûment assimilé à une suite de transcription du texte "Phrases", et ma question est la suivante : "Phrases" est-il composé d'un seul poème ou de trois ? J'ai tendance à penser que c'est un seul poème et qu'il serait plus pertinent de considérer que les traits ondulés ne témoignent que de la nécessité de placer des blancs entre ses trois parties constitutives. Je ne prétends pas avoir la réponse, il conviendrait d'étudier plus attentivement les habitudes en ce qui concerne les passages de textes manuscrits aux documents imprimés au dix-neuvième siècle, phénomène qui ne se réduirait pas aux seuls œuvres littéraires, car cela peut concerner tout type d'écrits. Le point commun entre les alinéas de "A une Raison", "Matinée d'ivresse" et "Phrases" ne vaut pas preuve, mais c'est plutôt un indice qui tend à me donner raison. Fin de la parenthèse.

Lien pour consulter la copie autographe de "A une Raison" et du début de "Matinée d'ivresse"

Lien pour consulter la fin de transcription de "Matinée d'ivresse" et celle de "Phrases"

Dans le cas du poème "A une Raison", les répétitions de mots ne permettent pas seulement de constater une mise en forme d'ensemble. Nous avons aussi remarqué que les reprises obligent le lecteur à opérer certaines inférences. Le poète parle d'une "nouvelle harmonie" qui commence sous l'action de la divinité, et cette divinité en agissant va abolir "nos lots", le "temps" et les "fléaux". La reprise verbale de la proposition inversée "et commence la nouvelle harmonie" à "commencer par le temps" permet clairement d'opposer une certaine idée du "temps", qui certes reste à définir, à la "nouvelle harmonie". Le "temps" sera automatiquement compris par le lecteur comme lié à tout ce qui n'est pas l'harmonie : l'usure, l'ennui, les heurts, etc. De fil en aiguille, le lecteur pourra remonter à une perception plus précise du "temps" tel qu'il est décrié par le poète. Il va de soi que "Génie" et "Matinée d'ivresse", d'autres poèmes encore, vont permettre de préciser les significations profondes du poème "A une Raison". Nous constatons également dans "A une Raison", par la mise en forme, une opération de liaison entre la communauté qui aspire à l'avènement de cette Raison et la divinité elle-même. Pour ces "nouveaux hommes" qui sont aussi des "enfants", "leur en-marche" est déjà en soi une manifestation de la divinité dont le poète dit en la tutoyant "[tu] t'en iras partout." Cette combinaison se retrouve très clairement dans le poème "Being Beauteous" où la divinité, comme une "mère" protectrice, recouvre ses fidèles de "nouveaux corps amoureux", avec un couple d'adjectifs "nouveaux" et "amoureux" qui est clairement une désignation du "nouvel amour". Les deux poèmes sont sur des feuillets manuscrits distincts, mais il ne fait aucun doute qu'ils traitent du même sujet et qu'il est hautement pertinent de les étudier conjointement. Or, nous voici maintenant face au cas du poème "Matinée d'ivresse" qui, lui, est directement transcrit à la suite du poème "A une Raison" et qui véhicule l'expression, pour le moins peu courante : "ancienne inharmonie", qui est clairement une réécriture de l'expression "nouvelle harmonie" contenue dans "A une Raison".

Le poème "Matinée d'ivresse" contient son propre mode d'organisation par répétition de mots. Pour insister sur ce fait, il convient de citer le poème. Dans la mesure où la transcription originale suppose certaines mentions en italique, nous allons procéder à un soulignement des reprises qui nous intéressent par des choix de couleur. La logique de la citation veut aussi que nous inversions les passages en italique qui seront du coup en caractères romains.

                                                  Matinée d'ivresse

   Ô mon Bien! ô mon Beau! Fanfare atroce où je ne trébuche point ! chevalet féerique ! Hourra pour l'oeuvre inouïe et pour le corps merveilleux, pour la première fois ! Cela commença sous les rires des enfants, cela finira par eux. Ce poison va rester dans toutes nos veines même quand, la fanfare tournant, nous serons rendu à l'ancienne inharmonie. Ô maintenant nous si digne de ces tortures ! rassemblons fervemment cette promesse surhumaine faite à notre corps et à notre âme créés : cette promesse, cette démence ! L'élégance, la science, la violence ! On nous a promis d'enterrer dans l'ombre l'arbre du bien et du mal, de déporter les honnêtetés tyranniques, afin que nous amenions notre très pur amour. Cela commença par quelques dégoûts et cela finit, - ne pouvant nous saisir sur-le-champ de cette éternité, - cela finit par une débandade de parfums.
   Rire des enfants, discrétion des esclaves, austérité des vierges, horreur des figures et des objets d'ici, sacrés soyez-vous par le souvenir de cette veille. Cela commençait par toute la rustrerie, voici que cela finit par des anges de flamme et de glace.
   Petite veille d'ivresse, sainte ! quand ce ne serait que pour le masque dont tu nous as gratifié. Nous t'affirmons, méthode ! Nous n'oublions pas que tu as glorifié hier chacun de nos âges. Nous avons foi au poison. Nous savons donner notre vie tout entière tous les jours.
   Voici le temps des Assassins.

Ce poème est riche en périphrases obscures, mais largement exploitables à la réflexion, contrairement aux formules moins précise de "A une Raison" : "nouvelle harmonie", "nouvel amour", "le temps", "nos lots". L'écriture demeure quelque peu énigmatique, mais certaines expressions sont malgré tout chargées de significations plus précises, plus faciles à interroger : "déporter les honnêtetés tyranniques", "cette promesse surhumaine faite à notre corps et à notre âme créés". J'ai souligné en rouge les répétitions qui sont de l'ordre de la scansion du poème et qui, à ce titre, sont plus nettement perceptibles par l'ensemble des lecteurs. Il y a bien sûr un cas particulier dans l'avant-dernier alinéa où j'ai souligné à quatre reprises le pronom personnel "Nous" en fonction sujet. Je n'ai pas relevé les autres mentions "nous" dans le poème, qu'elles soient en fonction sujet ou pas, car pour l'aspect scansion du poème je ne retiens que le fait que ces quatre occurrences du "Nous" sont en tête de quatre propositions successives. Il est même remarquable que le poète ait préféré placé un point, plutôt que, par exemple, une virgule, devant la proposition "Nous t'affirmons, méthode !" Cela accentue plus nettement encore le procédé. Et cela donne une identité globale au troisième alinéa. On a bien un découpage en alinéas parfaitement significatif.

Or, ça ne s'arrête pas là pour ce qui est de la relation entre les scansions et le découpage en alinéas. Le premier alinéa est le seul à comporter des interjections "Ô", signes d'exaltation pour le temps présent comme l'explicite le poète lui-même : "Ô maintenant..." Dans le premier alinéa, la fanfare correspond au présent de l'énonciation. Pour le dire plus familièrement, le poète s'exalte d'un événement qui a lieu au moment où il parle. Dans le second alinéa, il est question d'un souvenir. Dans le troisième, nous avons droit à une réécriture du titre "Matinée d'ivresse" en "Petite veille d'ivresse", mais le mot "veille" introduit l'idée d'une distance prise avec l'événement. Pourtant, le dernier alinéa fait état d'un nouveau surgissement : "Voici le temps des Assassins!" Les lecteurs sont en principe acquis à l'idée que ce "temps des Assassins" coïncide avec l'avènement revendiqué d'un "très pur amour", avec le "Bien" et le "Beau" considérés comme personnels, propres au poète, du fait des déterminants possessifs "mon" en italique. Ce "temps des Assassins" serait celui de la "Fanfare atroce", des "tortures" dont le poète se veut digne, etc. Le débat porte alors sur la signification du mot "Assassins". Une lecture étymologique a été défendue. Le terme "Assassins" dérive de "hachischins" et désigne du coup à la fois une secte meurtrière rebelle et une société de gens consommateurs de cette drogue nommée hachisch. L'idée de lire le poème comme une expérience de consommation de drogue partait d'un principe de liaison de l'entreprise poétique de Rimbaud à un patronage baudelairien sous l'angle de ce qu'il a pu développer dans son livre des Paradis artificiels. Cela s'aggravait d'une filiation anachronique entre la définition du Beau et du Bien dans ce poème de Rimbaud et la définition voulue toute aussi personnelle du Beau dans des écrits intimes de Baudelaire qui pourtant ne furent publiés que bien plus tard. Il faut toutefois préciser que le reste du poème "Matinée d'ivresse" ne favorise pas d'autres rapprochements et que les liens évidents de "Matinée d'ivresse" que nous mettons ici à jour avec "A une Raison", "Being Beauteous", "Barbare", "Génie" et Une saison en enfer vont continuer de rendre douteuse cette liaison à la drogue et aux écrits de Baudelaire, qui, de prime abord, peut sembler séduisante. Il faut ajouter que le mot en italique "Assassins" n'impose pas mécaniquement une lecture étymologique. L'idée d'allusion au hachisch dans ce poème n'est plus tellement défendue aujourd'hui, cette lecture est devenue franchement minoritaire, d'autant que la réalité de la consommation du hachisch serait plus que mal reflétée par la composition de Rimbaud. Dès lors, le terme "assassins" serait un peu l'étiquette sociale anticommunarde que le poète revendiquerait par bravade.

Pourtant, si on étudie de plus près les scansions du poème, nous observons que la fanfare a cessé avant cette clausule : "Voici le temps des Assassins", ce qui ouvre la piste d'une autre interprétation, inédite dans la mesure où je suis apparemment le seul à l'avoir envisagée, selon laquelle "le temps des Assassins" s'opposerait à la "Fanfare atroce" du "très pur amour". Les lecteurs font une liaison entre les passages en italique où le poète qui dit deux fois "mon" se réclamerait d'une communauté des "Assassins". Pourtant, malgré l'utilisation du "nous", le poème établit une expérience d'un poète solitaire, puisque les accords sont au singulier : "nous serons rendu..." et non pas "nous serons rendus", "faite à notre corps et à notre âme créés" et non pas "faite à nos corps et à nos âmes créés", "le masque dont tu nous as gratifié" et non "les masques dont tu nous as gratifés", ni "le masque (collectif) dont tu nous as gratifiés". Et le manuscrit est particulièrement éloquent à cet égard. Le texte imprimé révèle un autre cas de singulier manifeste : "Ô maintenant nous si digne de ces tortures !" où l'adjectif "digne" confirme que ce "nous" ne désigne que le seul poète. Or, sur le manuscrit, le poète a eu un remords de plume, puisqu'il avait mis un "s" à "digne", avant de le biffer. Si Rimbaud a hésité, c'est que l'idée d'une communauté n'est pas exclue, celle des "nouveaux hommes" du poème "A une Raison", mais dans "Matinée d'ivresse", il n'entend parler que de sa fanfare personnelle, et surtout au tout début du poème il spécifie que cette expérience du "Bien" et du "Beau" est la sienne. Par conséquent, on ne voit pas très bien pourquoi, à la fin, le poète préciserait que ce "Bien" et ce "Beau" est finalement celui de tout un groupe de personnes. Rimbaud peut bien dire "mon Bien" ou "mon Beau" si l'expérience est collective, mais s'il ajoute les italiques il devient plus délicat d'affirmer qu'il n'est pas seul dans cette fanfare. Il insisterait sur quelque chose de personnel avant d'avouer qu'il est tributaire du groupe auquel il s'est mêlé...

Or, les scansions permettent d'établir avec certitude que la "fanfare atroce" et "le temps des Assassins" ne se recoupent point.

Une reprise traverse tout le poème en articulant le couple verbal "commencer" et "finir". Les variations des temps verbaux confirme qu'il y a une progression du récit. Le poète n'est pas qu'une longue expression exclamative, il y a un véritable petit récit en arrière-plan. Au début du poème, l'artiste est clairement pris dans l'exaltation d'un événement présent qui est la fanfare atroce, mais petit à petit celle-ci se termine et cède la place à un retour à l'ancienne inharmonie, retour annoncé dans le poème et que nous vivons, puisque la matinée d'ivresse devient un souvenir.

Cela commença sous les rires des enfants, cela finira par eux.

La matinée d'ivresse a débuté avant le poème (indicatif passé simple "commença"), mais sa fin est à venir "cela finira". Le poème étant assez bref, à ce moment-là de notre lecture, nous pouvons penser que cette fin sera postérieur au poème, et c'est pour cela précisément que les lecteurs contaminés par l'impression que "cela finira" plus loin que le poème ne voient pas les indices explicites que cela cesse pendant le poème lui-même et s'attache à penser que la clausule "Voici le temps des Assassins" parle du présent de la "fanfare atroce" qui continuerait de s'affirmer.

Pourtant, la scansion que nous mettons à jour ne laisse pas la place au doute.

Cela commença par quelques dégoûts, et cela finit, - ne pouvant nous saisir sur-le-champ de cette éternité, - cela finit par une débandade de parfums.

L'indicatif passé simple est maintenu pour le verbe "commencer", mais pour le verbe "finir" nous avons cette fois un martèlement au présent de l'indicatif, occurrence "finit" à deux reprises. Une lecture au passé simple est exclue par la construction de la phrase, sans oublier dans l'incise la mention "sur-le-champ". L'expérience de la "Fanfare atroce" ne concerne que le premier alinéa de "Matinée d'ivresse".

Dans le second alinéa, l'expérience est évoquée dans une sorte de transition : "souvenir de cette veille", mais l'instant présent est encore là. Toutefois, il est bien spécifié que l'expérience est arrivée à son terme :

Cela commençait par toute la rustrerie, voici que cela finit par des anges de flamme et de glace.

Le verbe "commencer" est cette fois conjugué à l'imparfait, ce qui met déjà de la distance, mais nous retrouvons l'indicatif présent pour le verbe "finir" avec l'appui du tour présentatif "voici que cela finit..."

Cette reprise verbale du couple "commencer" et "finir" n'apparaît plus dans les deux derniers alinéas.

Attardons-nous sur le troisième alinéa en prenant en considération cette absence du couple "commencer" et "finir". Ce troisième alinéa est précisément celui qui nous offre, dans son attaque, une réécriture du titre du poème, mais dans la variation "Petite veille d'ivresse", nous avons confirmation que l'expérience fait partie du passé, du souvenir. En fait, ce qui lie le passé proche et exaltant de l'expérience du Beau et du Bien au présent, c'est à l'évidence la "débandade de parfums". A la fin du premier alinéa, l'incise n'était pas innocente. A défaut d'une éternité que le poète ne parvient pas à saisir, il profite d'une "débandade de parfums" qui prolonge l'expérience un certain temps lors du retour à l'ancienne inharmonie. Et c'est dans cet entre-deux particulier que le poète passe de la vague description enthousiaste à la réaffirmation de sa foi et de sa détermination à tout donner pour ce vertige qu'il a connu. C'est l'alinéa des quatre "Nous" consécutifs en tête de phrases. Les alinéas se désenflent également, parce que le poète retourne à l'ancienne inharmonie et est de plus en plus poussé en-dehors du champ poétique. Le premier alinéa est ample, car inscrit dans l'expérience exaltante. Les deuxième et troisième alinéas sont brefs, car le poète ne peut plus articuler que des bribes du message poétique. Dans tous les cas, le texte est explicite, sa fin coïncide avec le pivotement de la "fanfare atroce" à "l'ancienne inharmonie" : "cela finit" à trois reprises, "veille" à deux reprises, "souvenir". Il est clair que le poète comme il l'a annoncé est "rendu à l'ancienne inharmonie". Or, "ancienne inharmonie", ce n'est pas une expression française admise, c'est une création de poète et cela retourne l'expression "nouvelle harmonie" qui figurait dans le poème précédent. On comprend dès lors que "A une Raison" faisait la prière de l'avènement d'une "Matinée d'ivresse", et si nous lisons les deux poèmes l'un à la suite de l'autre, la prière de l'un est couronnée de succès par l'autre. Mais ce succès est éphémère, il ne dure même pas le temps d'un poème. Et c'est là qu'un rapprochement entre les deux poèmes est important, puisque le verbe "commencer" est une répétition essentielle du poème "A une Raison" et le coeur de la répétition centrale du poème "Matinée d'ivresse". Et dans "A une Raison", le verbe "commencer" permet d'opposer "la nouvelle harmonie" au "temps". Dans "Matinée d'ivresse", il est clair que ce qui a commencé est "la nouvelle harmonie", ou en tout cas sa figuration son forme d'une "fanfare", mais cette fanfare peut être chassée, se déliter "fanfare tournant", puisque l'opposition est dite en toutes lettres à une "ancienne inharmonie". Et à la toute fin de "Matinée d'ivresse", le présentatif "voici" qui contient étymologiquement le mot "ici", reprise subreptice donc de sa mention dans "objets d'ici", permet de relier l'idée de fin de la fanfare atroce à l'avènement des "Assassins" : "cela finit", "cela finit", "voici que cela finit" et "Voici le temps des Assassins." Le poème ne dit-il pas en toutes lettres que "le temps des Assassins" est celui de "l'ancienne inharmonie". Loin de se finir par un appel enthousiaste, le poème en prose, dans sa clausule, concentre les forces dans le sentiment amer d'une lutte nécessaire. Le troisième alinéa avec les prises de décisions martelées sous l'action du "Nous" en tête de quatre phrases a permis de rassembler les forces pour la lutte lors du retour au réel.

Certes, tout au long de "Matinée d'ivresse", nous avons droit à des expressions de révolte qui peuvent supposer le saccage ("déporter les honnêtetés tyranniques") et il est question de mourir ("foi au poison", "donner notre vie tout entière tous les jours"). Mais le poète revendique aussi ne pas trébucher et le poison et le sacrifice ne sont pas compatibles avec l'idée d'assassinat. L'assassin, il ne s'empoisonne, il n'offre pas sa vie, il tue les autres. On le voit : un étude formelle du poème "Matinée d'ivresse" permet de dénoncer un contresens de lecture généralisé. Bruno Claisse a publié deux articles sur "Matinée d'ivresse", l'un favorable à l'idée d'une évocation du hachisch, l'autre la réfutant pour supposer au terme "Assassins" une portée sociale subversive. En réalité, nous réfutons ici les deux lectures successivement envisagées par le critique au nom d'une correction de lecture que nous estimons avoir solidement dégagée comme objectivable. Des lectures de "Matinée d'ivresse", vous en avez dans différents ouvrages. Hiroo Yuasa avait envisagé la lecture hachischine de "Matinée d'ivresse" et "Being Beauteous", Antoine Fongaro récusait la lecture hachischine mais supposait que les "Assassins" subvertissaient l'ordre social. Pierre Brunel a proposé sa lecture du poème dans son livre Eclats de la violence à tout le moins. On peut se reporter aux annotations des éditions courantes (Pléiade, Poésie Gallimard, Folio classiques, Flammarion, Livre de poche, Garnier-Flammarion, etc., etc.) ou bien aux commentaires du poème sur des sites internet comme celui d'Alain Bardel. Il faut ajouter que la mention "assassins" revient dans le poème "Barbare" et qu'on prétend que dans les deux poèmes Rimbaud parle du groupe qui illuminait sa raison, y adhérant dans "Matinée d'ivresse", s'en détachant dans "Barbare". Il est question toute fois des "anciens assassins" dans "Barbare", ce qui coïncide avec "ancienne inharmonie" et s'oppose à "nouveaux hommes", "nouvelle harmonie". Enfin, dans l'expression "le temps des Assassins", nous rencontrons le mot "temps", ce mot qui précisément fait l'objet d'un rejet du poète dans "A une Raison"  : "Change nos lots... à commencer par le temps." Rimbaud ne peut pas ignorer les implications de la lecture successive des poèmes "A une Raison" et "Matinée d'ivresse" sur un plan manuscrit. Nous avons même un autre indice que la signification de la clausule de "Matinée d'ivresse" est négative sans aucune équivoque, puisqu'à la fin du premier alinéa il est question d'une éternité impossible à saisir, terme qui est le titre d'un poème en vers de mai 1872 et qui s'oppose à l'idée de temps destructeur. La "fanfare atroce" n'est qu'un succédané d'éternité si on peut dire. La pirouette du poème est de raconter le retour à un réel qui pousse à lutter pour ne point trébucher.

D'autres répétitions apparaissent dans "Matinée d'ivresse", je les ai soulignées en bleu. J'en parlerai une autre fois. Dans le prochain article, je traiterai des liens de "Matinée d'ivresse" et "A une Raison" avec "Barbare" et "Being Beauteous" et je prévois également d'indiquer les liens avec Une saison en enfer. Un autre article suivra sur les liens avec les poèmes "Génie", voire "Conte". On va travailler sur des éléments simples et difficilement contestables, puis on fera une synthèse. En même temps, nous allons bien sûr continuer de dégager les traits formels variés des poèmes des Illuminations. En privilégiant les répétitions de l'ordre de la scansion, nous avons montré comment différemment du poème "A une Raison" "Matinée d'ivresse" a les caractéristique d'un tout organisé, d'un texte qui ne peut pas s'allonger, qui n'est finalement pas un fragment que nous serions libre de prolonger par des ajouts de toute sorte. Si Rimbaud ou Verlaine pouvait dire de "A une Raison" ou "Matinée d'ivresse" qu'il s'agissait de "fraguemants en prose" c'était avec une certaine ironie. Ce qui apparaît clairement ici, c'est que si en principe la prose n'impose pas comme un sonnet une organisation intangible il n'en est pas moins possible de travailler un texte en prose de telle sorte qu'il ait une forme fixe, et évidemment cette forme va, du moins si elle est prise en considération, favoriser la compréhension du sens des énoncés.

Il n'existe pas un seul lecteur de Rimbaud, à part nous-même, pour avoir lu correctement la fin de "Matinée d'ivresse" : "Voici le temps des Assassins." C'était un slogan rimbaldien, cette clausule. Je vous laisse imaginer la révolution de cette étude en fonction de l'organisation des reprises de mots dans un texte, on voit bien que c'est loin d'être méprisable et mesquin comme approche.