Finalement, je parcours les articles sur le projet de panthéonisation en diagonale. On avait annoncé que plusieurs universitaires étaient favorables à ce transfert et qu'il y avait plein de célébrités, d'artistes, qui étaient favorables itou, itou. J'ai eu la malice de lire la liste des pétitionnaires en faveur du transfert. Cette liste est farfelue en diable, c'est essentiellement des notabilités, c'est pas du tout des artistes ou même des universitaires, et pire encore, c'est dominé par des noms politiques. C'est complètement hallucinant que ce soit la base des noms mentionnés pour justifier le projet, c'est tellement énorme que, du coup, quand je vois les réactions qui fleurissent contre le projet, je me marre énormément.
Evidemment, on ne recense pas mon article avec ses petites phrases bien senties sur le "tapin", les "marionnettes", l'absence de témoignage de Rimbaud, la mise à "disposition" et le manque de respect pour les morts. Je fais bien trop peur.
Moi je suis contre, je vois qu'André Guyaux, Olivier Bivort, Jacques Bienvenu, Alain Borer, l'Association des Amis de Rimbaud (ce qui implique forcément d'autres universitaires et critiques rimbaldiens) le sont aussi. Mais, en survolant ces articles (j'ai toujours pas le courage de lire tout ça), je remarque parfois des considérations critiques selon lesquelles Verlaine serait un poète inférieur à Rimbaud.
Heu ?
J'ai lu ça sur l'article tout frais d'Alain Borer, alors je cite un petit peu : "Ils ne sont pas de la même envergure. Verlaine occupe la place d'un bon poète de l'époque, comparable à celle d'un Théodore de Banville." Et Borer ajoute au contraste qu'il affirme la note flûtée du poncif de la musique à Verlaine : "On est très loin de la belle poésie musicale de Verlaine qui est toujours restée en vers classiques."
Puis, j'ai la fonction "Google Alerts" qui au passage ne m'a jamais été d'une quelconque utilité et qui m'a référencé un article bizarre d'un site "sur et autour de Philippe Sollers", un gars célèbre mais je n'ai jamais compris pourquoi, on ne trouve pas ses livres, il n'apparaît nulle part, mais il est célèbre, OK d'accord, ça doit être une fonction sacerdotale distribuée par tirage au sort, je sais pas, enfin bref, on a donc un article si j'ai bien compris d'Albert Gauvin, avec des avis qui sont émis, je ne vais pas commenter, puis on a des citations de notabilités. Cela commence avec une citation de Breton à l'intérieur d'une citation de Marcelin Pleynet, je me rappelle même plus ce qu'il écrivait çui-là, mais la citation de Breton, ce génie pour se planter dans les avis tranchés qu'il livrait, l'homme du "A mort les comparaisons !" et vivent les métaphores et les "beau comme..." de Lautréamont, l'homme de la poésie par la gratuite d'un rapprochement, etc., etc., cette citation donc vaut encore une fois son pesant de cacahuètes : certes, il ne faut pas étudier Rimbaud en fonction de Verlaine, mais le pape du surréalisme, c'est le cas de le dire, soutient que la réputation de "Verlaine repose sur une routinière surestimation". Il a fait quoi comme poèmes géniaux, Breton ? Il a fait quoi comme pièces de poésie qu'on aime à réciter ? il a fait quoi comme vers ou comme phrases frappés d'éternité ? Je voudrais bien savoir.
Et à la fin de l'article en ligne, on a une citation cette fois de Philippe Sollers où le coup de feu de Verlaine sur Rimbaud est assimilé aux représailles de la "vieille religion poétique sur l'aventure métaphysique." Outre que c'est plaqué n'importe comment, sans aucune logique, on ne peut en aucun cas être d'accord avec un avis pareil.
Revenons sur ces avis hostiles à Verlaine.
Les français ont très souvent complexé sur le caractère peu musical de leur langue. Il n'en reste pas moins qu'il y a eu régulièrement de grands poètes. Les vers des tragédies de Racine sont un délice connu. On a à la fin du Moyen Âge un début d'âge d'or avec Charles d'Orléans et François Villon qui va se confirmer au seizième siècle avec Clément Marot, Pierre de Ronsard, Joachim du Bellay, Agrippa d'Aubigné (je triche un peu vu que son oeuvre phare a été publiée en 1616), et ensuite, si on a eu de beaux vers au théâtre et si Malherbe ne s'est pas raté sur sa "Consolation à M. du Périer", il y a eu une petite panne. Boileau est un bon versificateur tout de même. Il y a par-ci, par-là des pièces intéressantes. Le dix-huitième siècle, c'est la crise complète. On en surprendrait beaucoup si on leur disait que le second nom de la poésie française du dix-huitième siècle après André Chénier, ce serait peut-être Voltaire lui-même. Bref, le dix-neuvième siècle a donné soudain une très forte abondance de poètes de première importance. Parmi ceux-ci, il y a Verlaine dont Breton, Borer, Pleynet et quelques autres lumières solaires pensent qu'il est surestimé, ce qui veut dire, en gros, qu'un Verlaine ne vaut pas un Villon, un Ronsard, un du Bellay, un Racine (si on parle du versificateur en faisant abstraction des autres mérites évidents du dramaturge). Moi, ça me fait rire. Verlaine n'a rien à envier à aucun poète français des siècles antérieurs au dix-neuvième siècle. Je dis ça, je ne dis rien.
Pour le vingtième siècle, il y a eu une grande effervescence poétique, mais à partir des années soixante, c'est fini. Et ni René Char, ni le natif comme moi de Namur, Henri Michaux, n'ont le niveau d'un Verlaine, ni la grâce magique et mélodique de son écriture. Paul Eluard, il y a quelques belles expressions, mais ce n'est pas Verlaine. Paul Valéry a de temps en temps une réelle grâce d'écriture, notamment le poème sur les pas, mais ses poèmes sont un peu surchargés par le désir de trop en faire et il n'est pas du niveau de Verlaine. Louis Aragon a une certaine magie du vers, un charme évident, mais il n'est pas au niveau de Verlaine. Apollinaire ? Déjà, il est pas mal verlainien, et on ne cite à peu près que son seul recueil Alcools et la production un peu nunuche des Calligrammes. Reverdy, René Char que j'ai déjà cité, je cherche des rivaux à Verlaine, mais Reverdy, Char, ils ont de la conception, mais il leur manque quand même du style, du phrasé, de la qualité d'expansion dans le lyrisme. On va citer qui face à Verlaine : la prose de Cendrars, histoire de lui opposer de la poésie nouvelle ? Paul Claudel ? Il paraît que c'est un grand écrivain, moi je ne trouve pas. Saint-John Perse ? Il paraît que c'est un souffle lyrique et un grand poète aussi, je dis ça parce qu'on me l'a dit.
Reprenons le dix-neuvième siècle. Qui sont les plus grands poètes du dix-neuvième siècle, autrement dit les plus grands poètes français ? Il y a Rimbaud, je suis obligé sinon mon blog n'a plus de sens. Il y a Hugo évidemment. Ces cons d'universitaires, ils daubent La Légende des siècles de 1859. Si si ! Moi, au milieu de couloirs d'université, j'ai pris la défense de ce recueil : "Mais, moi, j'adore !" Un argument sans réplique ! Il y a évidemment Baudelaire qui fait à peu près l'unanimité. La plupart du temps, les gens citent Baudelaire et Rimbaud, ils n'ont pas encore inventé le mot "Rimbaudelaire", ah putain ça sonne bien en plus ! Ils écartent un peu Hugo. Ils ont voulu vendre Mallarmé, mais bon Mallarmé c'est surtout quelques bons vers, parfois un bon poème en entier. Mallarmé a plus les faveurs des universitaires et des intellectuels que du public. Lamartine, là Verlaine, le salopiot le conspuait, daubait ses jérémiades, il a émis sur le tard qu'il se ravisait quelque peu. Personnellement, je trouve qu'en effet il y a une cadence féerique, magique, sur quelques poèmes de Lamartine qui en font incontestablement un grand nom de la poésie. Ceci dit, Verlaine, je le mets au-dessus du lyrisme lamartinien. Il y a sans doute encore Nerval à citer comme magicien, mais il l'a été plus souvent en prose (prose poétique et non poésie en prose) qu'en vers. Gautier, il a un charme indéniable pour moi dans ses poèmes faits de petits riens, mais il n'est pas du niveau de Verlaine non plus. Bref, Verlaine serait surestimé, alors qu'on ne peut lui opposer que trois noms : Hugo, Baudelaire et Rimbaud. Les têtus ajouteront soit Musset, soit Lamartine, soit Mallarmé, mais j'ai du mal à prendre au sérieux aucune des trois propositions.
Ils disaient quoi plus haut les autres, Verlaine du niveau de Banville ? Je n'ai pas cité tous les bons poètes du dix-neuvièmes siècle : Leconte de Lisle, Banville, Glatigny, Vigny, Corbière, Dierx, et quelques autres, mais Verlaine au niveau de Banville, c'est déjà oublier que Rimbaud, autant que Verlaine, réagirait pour réhabiliter Banville, mais de toute façon Verlaine est incomparable à Banville.
Verlaine, c'est d'abord un poète précoce, pas autant que Rimbaud, mais quand même. J'ai lu je ne sais combien de fois les Poëmes saturniens. "Mon rêve familier" et "Chanson d'automne" ne sont pas célèbres et populaires sans bonnes raisons, et ce n'est pas les seuls beaux poèmes du recueil. Fêtes galantes m'a moins marqué, mais c'est de la performance exquise, et quand on commence le recueil on le finit.
Le recueil La Bonne chanson n'est pas du tout détestable à lire, malgré le côté rangé du mariage qui s'annonce. C'est dans ce recueil qu'on a le gracieux "J'ai presque peur, en vérité,..."
Les Romances sans paroles, là ça se passe carrément de commentaires, car Verlaine innove en poésie et a une influence même sur les derniers vers de Rimbaud qui vont plus loin, mais il est facile aussi de voir qu'il y a réellement une influence de l'aîné sur le cadet.
Beaucoup de poèmes de Jadis et naguère sont prodigieux, et même si plusieurs poèmes furent écrits après le séjour en prison, mais pas tous, Sagesse est blindé de poèmes miraculeux. Je n'ai pas parlé de la plaquette Les Amies, ni du recueil avorté Cellulairement dont les poèmes ont été publiés pour l'essentiel dans les autres recueils.
Maintenant, j'avoue qu'après Jadis et naguère j'ai moins de goût pour la lecture des poésies de Verlaine. il existe une tendance critique récente pour revaloriser les derniers recueils de Verlaine, mais ça marche moins bien sur moi. Il y a ceci dit de temps en temps un poème qui en jette. Il y a aussi surtout des poèmes dont la versification n'a rien d'académique du tout.
Mais, dans mes goûts pour les poèmes de Verlaine, il n'y a pas que la petite musique qui ressort. Ce que j'aime, c'est aussi les images, les métaphores, un certain hermétisme qui charme et qui a sa densité poétique, la finesse du sens. L'ambiance, l'atmosphère de Verlaine, c'est bien au-delà d'une prosodie arrangeant correctement consonnes, voyelles et virgules, avec d'obsédantes répétitions. Et ces répétitions envoûtantes, elles créent une atmosphère par leur adéquation aux messages délivrés. Et même si Verlaine ne renverse pas l'édifice de la versification française, sa poésie est moderne par son lyrisme intime, par les tours de force de son économie d'expressions, de moyens. Le lyrisme de Lamartine est splendidement ciselé, mais moulé dans la grande rhétorique. Hugo a poussé dans ses ultimes retranchements la magie de la grande rhétorique, et je pense qu'on ferait mieux d'enseigner la rhétorique que toutes les théories littéraires et stylistiques dont on farcit aujourd'hui la jeunesse. Mais Verlaine était moderne par son mode mineur bien mis en avant par divers critiques récents comme Scepi ou Bernadet...
Et enfin il y a beaucoup de gens qui préfèrent Verlaine à Rimbaud, et leur argument étant souvent que Rimbaud ils ne comprennent rien, c'est trop hermétique, on ne va pas leur faire un procès et leur demander de préférer deux bons chocolats dans un ordre hiérarchique préétabli. Il arrive toujours un moment où le bon chocolat ne peut plus être classé à cause de la diversité des goûts de chacun !
Verlaine, c'est le quatrième pied de la table en poésie, il y a Hugo, il y a Baudelaire, il y a Rimbaud et il y a ... Verlaine !
Bon, je ne l'ai pas démontré cette fois-ci, mais j'ai ça dans mes tiroirs. Je suis prêt à vous tirer dessus avec mes dossiers si jamais vous contestez...
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