vendredi 25 septembre 2020

Ecrire un poème en prose (prologue)

Qu'est-ce qu'écrire un poème en prose ?

Il n'y a pas une organisation de plusieurs rimes entre elles, ni une organisation en strophes. Il n'y a pas non plus une mesure des quantités de syllabes déployées. On retire à la poésie en prose toutes les règles de la poésie en vers. Quelle différence formelle entre un poème en prose et tout ce qu'on peut écrire qui n'est pas vers ?

La musicalité suffit à faire un argument pour parler de prose poétique, mais la prose poétique affleure dans les romans, dans l'épistolaire, dans diverses formes d'écriture. Qu'est-ce qui différenciera la poésie en prose de la prose poétique ? Une poésie en prose peut jouer sur les répétitions, mais ce n'est même pas un caractère nécessaire à son existence.

Les poèmes en prose des Illuminations ont des profils variés  : du poème sans retour à la ligne ou presque au poème découpé en alinéas brefs, en passant par le mélange des paragraphes longs et courts, par les quelques poèmes qui se permettent un retour à la ligne après virgule, etc.

Entre Une saison en enfer et Illuminations, convient-il de dresser une barrière entre prose poétique et poésie en prose ? Qu'est-ce qui interdit de parler de poème en prose pour la prose liminaire du livre de 1873, pour "Mauvais sang", pour "Adieu", pour "L'impossible", et ainsi de suite ? Il n'est guère que le cas particulier de la section "Alchimie du verbe" pour faire barrage à l'idée de poème en prose, dans la mesure où la prose s'arrête pour introduire la citation de poèmes en vers autonomes. Ce fait de rupture très précis et qui concerne uniquement "Alchimie du verbe" est le seul argument un tant soit peu clair à toutes les consciences pour nous brider dans l'envie de parler du livre Une saison en enfer en tant que recueil de poésies en prose. Pour le reste, nous comprenons fort aisément qu'il y a un monde entre d'un côté Les Essais ou Les Confessions et Rêveries du promeneur solitaire ou les Mémoires d'outre-tombe et de l'autre Une saison en enfer.

Dans cette réflexion, il y a un argument formel à observer de plus près au sujet des Illuminations. Les poèmes font-ils l'objet, oui ou non, d'une mise en forme d'ensemble ?

Antoine Raybaud, puis Michel Arouimi, ont traité un argument formel important, celui des répétitions de mots. Ils s'en servaient pour soutenir des thèses de lecture ou des interprétations formelles qui n'étaient pas convaincantes, mais le fait des répétitions de mots doit être observé de près. J'ai moi-même travaillé sur ces répétitions de mots, j'ai corrigé les relevés d'Arouimi et j'ai dégagé les schémas de répétitions de mots dans un grand nombre de poèmes en prose.

Prenons un poème assez court,  celui qui s'intitule "A une Raison" et qui est composé de cinq alinéas.

L'alinéa central est une reprise de phrase avec une variante minimale de préfixe verbal, abstraction faite des changements dans la ponctuation :

Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne, - le nouvel amour !

Il n'est pas difficile d'identifier, même sans compter sur ses doigts, que, parmi les cinq alinéas, celui-ci est au centre du poème et que, du coup, l'idée de cette tête qui se détourne et se retourne en créant "le nouvel amour" est un peu le pivot de toute cette composition en prose. Un simple regard suffit, sauf à tomber sur de très mauvais éditeurs du poème : ainsi d'Alain Bardel qui, sur son site, transforme la reprise en deux versets indépendants absolument hideux pour l'œil.

Ce centre du poème qui noue un acte de répétition phrastique sépare deux premiers alinéas de deux derniers. Les deux premiers alinéas ont une attaque symétrique : "Un coup de ton doigt ..." et "Un pas de toi, ...". Les deux derniers dessinent une progression de la voix des enfants au travail d'intercesseur du poète. Mais, dans ce poème tissé de si peu de mots, la loupe permet de signaler à l'attention quelques singularités. Une forme conjuguée du premier alinéa revient sous la forme de l'infinitif dans le quatrième alinéa : "commence" et "commencer", symétrie qu'on peut préciser si, non content de signaler qu'il y a un premier et un quatrième alinéa, nous faisons remarquer que le quatrième alinéa est le premier du couple des deux derniers alinéas. Nous semblons avoir dégagé une structure deux alinéas initiaux, un alinéa central, deux alinéas finaux. Et donc la reprise se fait du premier couple au second couple d'alinéas. Le second alinéa du poème contient pour sa part le nom "levée". Or, le quatrième alinéa contient deux séquences au discours direct, deux séquences entre guillemets pour le dire autrement. La première séquence entre guillemets reconduisait à l'infinitif le verbe "commencer", et voilà que la deuxième séquence s'ouvre par le verbe à l'impératif "Elève", mention que même une personne nullement instruite ne peut manquer de rapprocher de la mention "levée".

En clair, le poète n'a pas fait se répondre le premier alinéa avec le quatrième et le second alinéa avec le cinquième, mais il a créé deux reprises dans le seul quatrième alinéa, lequel est significativement le plus long alinéa du poème. Cette subtilité ne ruine pas le constat initial que deux couples d'alinéas sont disposés de part et d'autre d'un alinéa central et nous constatons bien un double écho de l'un à l'autre de ces couples. Quant à l'alinéa final, il est travaillé lui-même en tant qu'espèce de clausule, à partir du relief assez évident des adverbes "toujours" et "partout" qui expriment avec rythme l'idée d'un tout universel unissant espace et temps, et il entre en résonance dialectique avec l'idée de nouveauté, ce qui contribue nettement au charme d'étrangeté voulue de ce poème.

Et précisément, si nous revenons aux deux premiers alinéas qui étaient similaires d'amorce : "Un coup de ton doigt (...)" et "Un pas de toi, (...)" nous avons également entre le premier et le second alinéa une reprise d'un même adjectif, mais accordé différemment, en passant de "nouvelle harmonie" à "nouveaux hommes". Il est peut-être plus gratuit de faire observer que les deux noms "harmonie" et "hommes" commencent par un "h". L'important, c'est que le dispositif n'est pas innocent. La reprise est voulue. Or, c'est un autre accord de ce même adjectif qui est répété deux fois dans l'alinéa central : "nouvel amour". Ce poème parle de quête d'harmonie et d'amour pour les hommes, mais sous l'angle d'une nouveauté qui justifie la parole du poète en tant que révélation et magistère. Un lecteur un peu obtus, qui n'a aucune envie de s'intéresser à la poésie, pourra toujours prétendre que la répétition de l'adjectif "nouveau" concerne quatre phrases consécutives et que ce procédé peut être utilisé dans quantité d'écrits en prose qui ne sont pas dans la poésie. Ce procédé peut également être utilisé dans des tragédies en vers de Racine. Sans parler de l'anaphore, nous avons des tirades raciniennes où une femme excédée traite à plusieurs reprises son amant de "tigre". La répétition n'est pas nécessairement un procédé poétique, ni un procédé musical.

Toutefois, la singularité du procédé dans "A une Raison" vient du caractère d'organisation du texte. Le poème a un centre qui sépare deux alinéas de deux autres. Les deux couples d'alinéas se répondent. Mais on peut encore aller plus loin. Nous avons dit que le poème était à considérer comme composé de trois parties. Le premier couple "nouvelle harmonie" et "nouveaux hommes" appartient au couple des deux premiers alinéas. Les deux occurrences de "nouvel amour" font écho aux mentions des deux premiers alinéas, mais il s'agit d'une reprise à l'identique, au sein d'une quasi répétition de la même phrase, ce qui constitue le pivot du poème, sa partie centrale. Enfin, l'adjectif "nouveau" n'apparaît pas dans la dernière et troisième partie du poème, le dernier couple d'alinéas, mais c'est sans aucun doute un fait significatif et un fait qui ne s'observera que si on admet l'articulation des trois parties du poème. Si on n'admet pas que les trois parties se répondent entre elles, il y a simplement une répétition en début de poème qui a eu son terme. En revanche, si nous admettons que les parties échangent entre elles, il devient remarquable que les deux alinéas de la prière n'affirment plus le surgissement du nouveau. Cela serait contradictoire avec l'appel à un avènement, il était inévitable que l'exaltation d'un nouveau ne devait pas se prononcer en fin de poème, mais il faut observer jusqu'au bout les liens, la mention "nouvelle harmonie" est associée au verbe "commence", ce qui fait que la reprise du verbe "commencer" dans le premier passage entre guillemets invite le lecteur à opposer la "nouvelle harmonie" aux "lots", au "temps" et aux "fléaux", tandis que le glissement de "levée" à "Elève" permet d'associer l'en-marche, le fait de rendre possible les choses physiquement, avec l'espoir, soutenu par la prière et une foi, d'améliorer les fortunes et les voeux. Remarquons également le glissement par quasi synonymie de "nouveaux hommes" à "enfants".

Le poème "A une Raison" a une composition d'ensemble stricte. Et ce qui est intéressant, c'est qu'il n'est pas possible d'ajouter un alinéa à ce poème sans ruiner cette organisation formelle. On peut très bien imaginer un texte en prose en cinq alinéas sur les cinq doigts de la main. Il ne serait pas possible d'allonger d'un alinéa une composition sur les doigts de la main, sans perdre la correspondance d'un alinéa par type de doigt. Mais ici, la forme ne s'éprouve pas par une telle astuce, elle naît de l'organisation même des répétitions de mots dans le poème.

Prenez un poème en prose de Baudelaire ou un poème en prose d'un artiste du vingtième siècle, de Reverdy ou de qui vous voulez, prenez même une pièce du Gaspard de la nuit d'Aloysius Bertrand, rares seront les occasions de déterminer si oui ou non le poème peut admettre l'ajout d'un alinéa, au milieu, à la fin, au début... Nous allons étudier ce problème pour les Illuminations de Rimbaud, mais "A une Raison" c'est l'exemple parfait d'une structure formelle qui justifie l'appellation de poème en prose.

Cette pièce résolument exceptionnelle, en dépit de son apparente simplicité et de son caractère de prose mélodique suggestive un peu facile, un peu trop évidente, retient encore l'attention à deux autres égards.

Premièrement, l'adjectif qualificatif "nouveau" est l'unique adjectif du poème. J'ai volontairement parlé d'adjectif qualificatif, parce qu'à l'époque de Rimbaud les déterminants étaient eux aussi appelés des adjectifs : "Ta" était un adjectif possessif et non comme aujourd'hui un déterminant possessif. Malgré l'évolution de la terminologie et l'existence de profils d'adjectifs qui ne sont pas qualificatifs "la demeure royale", l'appellation "adjectif qualificatif" permet de cerner une  évidence du poème "A une Raison" et un probable fait exprès rimbaldien. Ce "nouveau" ne se décrit pas en termes fleuris et concrets, il reste auréolé dans son mystère métaphysique.

Enfin, l'idée de mesure des segments de syllabes est très difficile à écarter dans le cas de ces cinq alinéas. Le sentiment d'évidence porte essentiellement sur le troisième et le dernier alinéa.

Prenons le dernier alinéa : "Arrivée de toujours, qui t'en iras partout." Depuis longtemps, et Fongaro ne fut pas le premier à le faire, cette phrase est assimilée à un alexandrin potentiel avec une impeccable césure. Pour une personne bien instruite sur les règles de versification, il y a tout de même le "e" languissant à la fin de "Arrivée" qui n'était pas admis dans les vers, et qui, quand il l'était, comptait pour une syllabe à part entière au seizième siècle.

Oui, mais Rimbaud qui n'est pas un contemporain de Ronsard a composé en août 1872 le poème "Fêtes de la faim" où il s'est autorisé un "e" languissant qui ne compte pas pour la mesure. Cela, tous les experts en versification l'admettent : ils considèrent avec raison que le poème est pour l'essentiel en vers de sept syllabes et que dans "Pains couchés aux vallées grises !" Rimbaud a nécessairement exclu de compter le "e" de "vallées" pour une syllabe. Pourtant, Rimbaud sait aussi pertinemment qu'il joue avec les limites du faux dans ce profil de vers qu'il a essayé à très peu de reprises.

Si la dernière ligne du poème "A une Raison" ne peut être un alexandrin sous prétexte qu'il y a un "e" languissant, alors peu de temps auparavant autant dire que Rimbaud a faussé un poème en vers de sept syllabes avec le même procédé. Mais il y a une autre manière de raisonner. Si Rimbaud a su pertinemment qu'il jouait avec les limites de la mesure du vers dans le cas de "Fêtes de la faim", Rimbaud savait tout aussi pertinemment que la ligne finale du poème "A une Raison" allait interpeller le lecteur habitué aux alexandrins. Il est un peu court de répondre que ce "e" prouve que Rimbaud n'a pas pensé à produire un alexandrin. L'idée, c'est plutôt que nous sommes dans la volupté du fait exprès, j'allais dire du "faux exprès" pour citer Verlaine, mais ce qui ressort c'est que Rimbaud a effleuré l'accusation de vers blanc dans la prose, et il n'est pas difficile d'envisager que, comme il jouait à fausser la poésie en vers, il joue à suggérer le vers dans la prose sans s'y soumettre complètement, puisque précisément en 1872 Rimbaud a passé son temps à étudier les moyens de produire de l'approximatif.

C'est pour cela que je ne suis pas du tout d'accord avec la démarche de fin de non-recevoir de Benoît de Cornulier. Dans l'approche du métricien, il y a un partage binaire trop tranché entre ce qui est vers et ce qui ne l'est pas. Une place est nécessairement accordée à l'approximatif dans le cas des poèmes en vers de 1872, parce que les flottements s'opèrent dans un cadre versifié bien balisé, mais dans le cas de la prose comme rien n'est balisé il n'y aurait pas d'approximation voulue du côté du langage de la poésie en vers, du côté de la poésie quantifiée en segments syllabiques égaux ou pas complètement.

C'est ce refus qui empêche encore plus nettement de considérer que, dans la répétition centrale, il y a une allusion à l'alexandrin. Dans un poème en alexandrins, du moins dans la tradition française (le cas italien en particulier est différent), il n'y a pas de césure sur le "e" final d'un mot. "Ta tête se retour/ne, - le nouvel amour !" La récupération de "ne" dans le second hémistiche est envisageable dans la langue italienne, on parlera de césure à l'italienne, mais c'est exclu en français, depuis au moins le seizième siècle, mais même dans le cadre médiéval une telle césure n'était pas florissante. Mais, rappelons que le poème "Mémoire" pose le problème d'acceptation d'un découpage en alexandrins à cause de différents procédés, parmi lesquels la césure à l'italienne, sur "ombel/les" notamment. Puis, les césures à l'italienne sont apparues occasionnellement depuis quelques années dans des productions parnassiennes, en particulier dans le "Qaïn" de Leconte de Lisle qui figure dans l'une des premières livraisons du second Parnasse contemporain de 1869, ce qui du coup introduit l'idée de légitimité du recours aussi bien dans le cas de "Mémoire" que dans celui de l'alinéa central du poème en prose "A une Raison". Répéter deux fois la même chose ne fait pas un vers, mais la subtilité de l'alinéa de Rimbaud c'est qu'il y a deux variations : une d'une syllabe pour les préfixes verbaux, l'autre dans la ponctuation. Il est difficile encore une fois de ne pas envisager un fait exprès de Rimbaud qui joue avec l'approximation dans le rapprochement avec la langue des vers. Notons que l'alinéa central se consolide d'un ultime pied-de-nez, puisque malgré la dérobade à l'italienne, nous aurions une rime d'hémistiche à hémistiche en "-our", ce que les partisans d'une identification de l'alexandrin dans la prose appelleront une rime léonine comme on peut en avoir un certain nombre dans les pièces de Corneille, tandis que ceux qui s'opposent à l'idée d'une allusion au vers pourront considérer que les hémistiches des alexandrins ne rimant pas entre eux en principe il ne s'agit pas d'un argument recevable pour prétendre en identifier deux dans la prose de Rimbaud. Je me situe nettement plus près de l'avis de ceux qui identifient des alexandrins, parce que je ne pars pas d'une alternative vers ou non, mais je pars de l'idée du jeu avec l'approximatif.

J'en viens enfin au dernier cas singulier. Tout le poème ne peut pas se découper facilement en de bien définies quantités syllabes ayant force de loi, mais dans le cas du deuxième alinéa, il est facile d'appuyer l'impression rythmique d'une suite de quatre fois quatre syllabes : "Un pas de toi, / C'est la levée / des nouveaux hommes / et leur en-marche." Cette fois, il est beaucoup plus facile de contester ce découpage, car nous avons évacué le "e" languissant de "levée" et le "e" bouclé par un "s" de pluriel de "nouveaux hommes". La prose distribue cette phrase comme une seule coulée, sans retour à la ligne. Seuls les retours à la ligne comparables à ce qui se fait pour les vers justifieraient de ne pas compter ces deux "e". Pourtant, à la lecture, il n'est pas difficile de ressentir la pertinence de pauses et d'articulations favorisant la lecture en quatre groupes rythmiques. Plutôt que de lire d'une traite "c'est la levée des nouveaux hommes et leur en-marche", on peut profiter de la mesure du premier groupe bien détaché par la virgule : "Un pas de toi," pour ensuite rythmer l'ensemble de la proposition suivante : "c'est la levéE des nouveaux hommEs et leur en-marche." Je ne prétends pas clore le débat, mais force est de constater que l'idée d'un relief de quatre fois quatre syllabes est une possibilité de performance orale à la lecture particulièrement séduisante et expressive.

Voici donc trois sujets de réflexion que nous avons pu dégager avec le seul cas du poème "A une Raison" : organisation stricte en fonction de reprises lexicales, jeu sur le recours homogène à une catégorie grammaticale (emploi exclusif de l'adjectif qualificatif "nouveau") et approximations dans le rapprochement avec la langue des vers.

Dans les prochains articles, je vais me pencher sur le cas des répétitions de mots. Je vais dresser les tableaux qui concernent les poèmes en prose, mais je vais aussi dresser les tableaux qui concernent les poèmes en vers. il y aura inévitablement un départ entre les vers et les proses qui témoignent d'une distribution ordonnée des répétitions et ceux qui n'en témoignent pas. Dans le cas de la prose, Une saison en enfer n'adopte pas cette stratégie de distribution ordonnée, symétrique, des reprises lexicales. Plusieurs poèmes en vers ont cette organisation, mais d'autres non. Il faudra déterminer quand le procédé a commencé à être véritablement exploité par Rimbaud.

Pour bien mesurer la singularité du procédé de Rimbaud, j'exhiberai des poèmes en vers de différents poètes, de Ronsard à Banville ou Mallarmé. Il faut d'ailleurs observer que le sonnet "Poison perdu" atteste du recours d'ordonnancement des répétitions de mots si fréquents dans les pièces rimbaldiennes.

Si on fait abstraction des anaphores et des vers qui reviennent à peu près tels quels, "Poison perdu", sonnet en vers de huit syllabes, nécessairement composé de peu de mots, offre le retour de deux formes conjuguées du verbe "prendre" vers 6 ("Se prend") et vers 13 ("Je te prends") et du nom au pluriel "heures" vers 6 ("heures de la lune") et vers final 14 ("Aux heures des désirs de mort"). C'est cette amplification appuyée par des reprises de mots du vers 6 aux deux derniers du poème qui est un cas formel résolument troublant et assez spécifiquement rimbaldien...

A suivre !

4 commentaires:

  1. Nous sympathisons avec votre idée qu’en ce qui concerne la frontière du métrique et du non-métrique, de même que Rimbaud a « produit de l’approximatif » dans certains vers de 72 ou 73, il en a produit dans certains poèmes en prose ; et, dans le même esprit, avec l’idée d’« allusion à l’alexandrin ». Notre collègue métricien aurait sans doute mieux nuancé certaines de ses estimations s’il avait tenu compte de ces idées dans sa critique des estimations métriques peu nuancées de Fongaro. Ses jugements sont tout de même parfois moins tranchés que vous ne le suggérez ; c’est parfois seulement l’« évidence » et univocité de certaines estimations métriciennes qu’il conteste ; et quant à : « Arrivée de toujours, qui t’en iras partout », il reconnaît comme plausible son caractère alexandrin (De la métrique à l’interprétation, 2009, p. 431) (sans « oser le dire évident » ce qui est un peu timoré). Nous ne manquerons pas de lui signaler votre post au cas peu probable où il lui aurait échappé.
    Autre point. Supposons avec vous un traitement alexandrin de « Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne, – le nouvel amour ! ». Nous ne sommes pas convaincus par votre analyse selon laquelle y aurait là « une rime d’hémistiche à hémistiche en “our” ». Sur ce détail, qui n’en est pas un, nous préférons suivre le même métricien selon qui, dans un traitement réellement à l’italienne, les hémistiches proprement dits sont les suites de mots (et non de mots ou de syllabes) de : « h1 : Ta tête se détourne – h2 : le nouvel amour / h1 : Ta tête se retourne – h2 : le nouvel amour » ; la récupération rythmique (mais non syllabique) consiste en ce que la voyelle posttonique des hémistiches 1 en « … détourne » et « …retourne », étant extra-métrique à l’égard de ces hémistiches (sans cesser de leur appartenir), peut contribuer au rythme métrique des suivants, qui sans cela n’auraient qu’un rythme de 5. Suivant cette analyse, à l’intérieur de chaque vers, les hémistiches 1 et 2 ne riment pas en « our », mais se terminent en « ourne » et « our ». Il reste que, d’un vers à l’autre, les hémistiches 1 se terminent pareil en « ourne » et les hémistiches 2 en « our » ; mais ces consonances ne sont pas à proprement parler des rimes (métriques), parce qu’elles sont simplement impliquées par des répétitions (verbales) : les morphèmes ou mots « tourne » et « amour » se répètent d’un vers à l’autre. Il reste aussi qu’à l’intérieur de chaque vers, les terminaisons « ourn(e) » et « our » se ressemblent sans être impliquées par répétition ; mais ces rimes très « imparfaites » sont moins contraires à la tendance à éviter la rime des deux hémistiches dans un même vers que ne le seraient des rimes « parfaites » en « our ».

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    1. Pour l'alinéa central, je ne suis pas d'accord. Rimbaud n'a pas fait d'études des phénomènes métriques à la manière d'un universitaire qui a une approche rigoureuse à la fin du vingtième siècle. On sait, par exemple, que Leconte de Lisle, tout en respectant l'alternance des cadences féminines et masculines dans les rimes, lisait ses poèmes à haute voix en considérant que le "e" des cadences féminines était muet. Il ne considérait pas le "e" comme surnuméraire, mais muet en fin de vers, ce qui rend la loi d'alternance absurde, puisque la performance orale masculinise toutes les rimes du coup!
      Dans le même ordre d'idées, dans son traité, Banville n'a pas une conception modulaire des rimes pour définir les strophes et quand il donne la règle de composition des rimes dans un sonnet, et des tercets en particulier, il donne une revue empirique laborieuse. Il n'y a pas l'idée que claire qu'il y a une rime forte des tercets, que le modèle devrait être de sizain AAB CCB (ou **A **A) et que la remontée de la rime de tercet au vers 13 est comparable au cas du quatrain ABBA, tolérance donc pour le placement de la rime modulaire à l'avant-dernière position, sans respect de la symétrie et de la valeur conclusive. Lui il se contente de dire que les vers 9 et 10 riment ensemble, les vers 11 et 13 ensemble et les vers 12 et 14 ensemble. Il ne cherche pas une logique, pas même approximative. Il applique une recette.
      Dans le cas de Rimbaud, je ne sais pas clairement comment on appelait la césure à l'italienne, faudrait déjà citer les ouvrages d'époque sur le sujet, mais dans le cas de A une Raison la suite "-our" est manifestement là aux positions syllabiques 6 et 12 dans le cas d'une hypothèse d'alexandrin. Un avis d'expert peut dire que la fin est en "-ourne" à la fin de l'hémistiche, mais pourquoi ne pas considérer que le "n" est reporté à l'initiale du suivant hémistiche dans la logique de Rimbaud ou dans la logique des enjambements de mots à effet de sens, car ce problème concerne déjà pas mal d'alexandrins ? Puis, le rejet de l'idée de rime purement et simplement jette le bébé avec l'eau du bain, puisqu'on élimine l'intérêt évident de la présence de cette suite "-our", on parlera plus modérément d'assonance, de cluster assonance et allitération ? A défaut de mot, on renoncera à penser que Rimbaud joue bien avec l'approximation dans la référence à la langue des vers ?
      Je ne suis pas convaincu.
      Enfin, au niveau du débat métrique, certes, Cornulier a démonté le travail de Fongaro avec raison, et dans sa conclusion Cornulier reste ouvert à la recherche, mais dans les faits il se passe quoi ?
      Mon premier article sur Rimbaud en 2000 sur A une Raison a fait l'objet d'un démenti formel appuyé sur l'article de Cornulier des illuminations métriques de Fongaro, démenti condescendant de je ne sais plus qui qui évidemment ferme les vannes à tout ce qu'il y a d'intéressant à dire. Puis, après, il n'y a plus rien eu sur le sujet. Fongaro n'a pas osé publier son petit livre à nouveau, il a publié un livre d'analyse des Illuminations rassemblant ces autres livres, mais pas celui-là vers 2010. Cornulier n'a jamais travaillé sur le sujet, personne ne le fait (sauf moi). Il y a eu une amorce de Michel Murat en 2003, c'est tout. L'idée de chercher des mises au point sur le sujet NE VIT PAS. En plus, le débat serait intéressant pour peaufiner le sujet et permettre de nuancer, améliorer ses contours.
      Moi, tout ce que je constate, c'est que le sujet n'est qu'une lubie accessoire et inintéressante au possible, sauf pour un foutraque dans mon genre qui paraît hautement suspect à la communauté du Lol.

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  2. Les trois premiers alinéas forment tout de même un triplet sémantique. Un geste d'une Raison - coup de ton doigt, pas de toi, dé- et re-tournement de ta tête (geste double) - et sa conséquence, amenée par "et" dans les deux premiers, succession en parataxe dans le dernier; "(et) c'est" présente la conséquence dans le second, elle se présente toute seule dans le troisième par emploi existentiel ou présentatif du nominal "le nouvel amour".

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    1. Oui, je suis tout à fait d'accord. Dans l'amorce, il y a le doigt, le pas et la tête à chaque fois. Et en effet il y a à chaque fois un acte de la déesse et sa conséquence. Le doigt provoque la nouvelle harmonie, le pas leur en-marche et la tête le nouvel amour. La différence, c'est que le doigt et le pas ont un alinéa chacun pour une seule idée, une seule phrase, tandis que la tête a un seul alinéa pour deux phrases et deux idées. Les verbes choisis sont par ailleurs "se détourne" et "se retourne". Pour Yves Reboul, le verbe "se détourne" n'a qu'une signification de mouvement, pareil pour "se retourne", alors que, pour moi, l'attention apportée à ces deux verbes suppose une lecture enrichie : se détourne, c'est se détacher, rejeter, comme dans "détourner le regard", "se détourner de quelqu'un", se retourne, c'est après le rejet le camp qu'elle choisit de ses nouveaux hommes qu'elle met en marche. L'idée que "se détourne" et "se retourne" dénotent seulement le mouvement me semble réduire le poème à une pauvreté d'idée à laquelle Rimbaud ne nous a pas habitués. Le triplet sémantique ne me semble pas incompatible avec la lecture en trois parties, et dans tous les cas, la reprise "commence"/"commencer" et "levée"/Elève" ne ferait que passer à un découpage en deux parties du poème. Cette reprise est bien sûr plus importante que l'idée de découper le poème en deux, trois ou quatre parties.

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