mercredi 25 octobre 2017

Nineteen N°2 : la scène française (rock) 1982-1988 - Pour un avant-goût du projet d'émission radio sur un Rimbaud politique

Activités multiples et masses de lectures, le rythme des publications du blog peut s'en ressentir. Peu importe, cela doit donner l'occasion de se plonger dans la lecture d'articles plus anciens. Je devrais en 2018 publier trois articles rimbaldiens sur papier (actes du colloque de mars, revues Rimbaud vivant et Parade sauvage). L'émission radiophonique est en attente, il s'agit de mûrir ce que j'ai à dire. Nous ne la lancerons qu'une fois que tout sera sûr et ficelé. Je lis beaucoup, et au-delà de la bibliographie que j'avais indiquée en août. Je lis d'ailleurs bien des choses indépendamment de Rimbaud même.
La personne qui m'invite à parler de Rimbaud au plan politique n'est autre que la personne qui publie le second volume de la revue Nineteen.
Je vais un peu présenter de quoi il retourne.
Dans les années 1980, des toulousains ont créé un fanzine sur le "rock underground des années 80" qu'ils baptisèrent du titre "Nineteen" d'une chanson du groupe rock français les Dogs. La revue avait un complément local "Going loco". Son succès a été important, mais les publications s'espaçaient parfois dans le temps et les membres du journal se retrouvaient sur les rotules, car ils étaient en province et non à Paris, mais encore avaient leurs exigences éditoriales, leurs exigences en ce qui concerne le financement par la publicité. Ils n'ont ainsi pas pu se maintenir comme cela fut le cas des Inrockuptibles. La revue n'a duré donc que de 1982 à 1988, et c'est un magasin de disques rock qui a suivi comme expérience.
Après un premier volume sur les groupes du monde entier (Etats-Unis, Royaume-Uni, Australie, Suède, voire France avec les Dogs), le second volume réunit les articles sur la scène française, à l'exception des Dogs déjà traités. Ce second volume est augmenté d'un CD. A l'époque, la revue proposait parfois un 45 tours en complément, sinon un flexi-disque. Ici, le CD ne contient que quelques morceaux publiés jadis par la revue, l'essentiel n'était pas dans les bonus en galettes noires de la revue d'époque, mais le résultat final est surprenant : "Femme fatale" des Thugs en ouverture, une reprise "I live the life I love" par les Coronados ou "Going loco" hommage à la revue des Batmen. Mais il y a plusieurs autres titres ensuite : "Things get better" des Fixed up, "Dawn of love" des City Kids, "Le Vampire" de Gilles Tandy avec à la guitare Laboubée des Dogs, superbe balade pas rock d'Eric Tandy "Attendre", "Shandy street" chanson en français comme son titre ne l'indique pas de Gamine, "Reverberation" des niçois Dum Dum Boys, etc.
Ce volume est une compilation d'articles anciens, avec une préface de Jim Dickson, ancien membre du groupe australien Radio Birdman et du groupe américain Barracudas.
Il contient tout de même de l'inédit avec la surprise finale : plusieurs pages d'un regard rétrospectif de quelques acteurs de l'époque dont les propos ont été recueillis. Ce regard rétrospectif réunit des gens qui écrivaient sur la scène rock française concernée par le livre, mais aussi des gens qui s'intéressaient à la scène punk et pas directement à cette scène rock française.
Evidemment, ce volume réunit des artistes obscurs et le quidam peut se demander en quoi avons-nous là une anthologie sur la scène rock française des années 80. Le rock ne date pas des années 80 et les années 1980 ont eu leur lot de chansons rock à succès. En même temps, en France, il n'était pas question de groupes rock garage comme dans les pays anglo-saxons. Faire un rock à production médiocre assumée qui rend la note des sixties, cela était considéré comme ringard dans le monde entier, et particulièrement en France. Nous parlons ici simplement de groupes rocks français des années 80, mais des groupes qui ne font pas partie d'une grosse cavalerie à succès, de groupes qui ne font pas de concession au format privilégié par les majors françaises. Les majors françaises n'étaient d'ailleurs absolument pas désireuses de promouvoir un courant rock français des années 80, et ils étaient agacés par la difficulté de bien délimiter par des étiquettes des groupes rocks qui n'étaient ni punks, ni faciles à institutionnaliser, des groupes qui pour beaucoup chantaient en anglais et qui étaient d'office perçus comme des singes seconds couteaux de ce qui se faisait dans les pays anglophones.
Le regard rétrospectif de fin d'ouvrage essaie d'apporter des réponses à cet échec de la scène française rock des années 80. Mais ajoutons encore que ce courant rock est sans doute un peu programmé pour un certain échec. Le punk avait crié "no future" et le rock garage reprend le mot tout en étant du revival sixties à son volontairement amateur ou sale. La scène rock dont il est question ici n'est pas dans le revival sixties, mais elle est tout de même assez anarchiste. Les frères Tandy sont à relier aux Olivensteins avec leur titre célèbre "Fier de ne savoir rien faire" par exemple. Les gens qui écoutent du hard rock, du rock progressif, du Dire Straits, du blues très bavard et classieux plutôt que les racines, et qui écoutent bien d'autres genres musicaux, peuvent réussir leur vie, mais là on est dans le rock de ceux qui, en principe, galèrent dans la vie, passent à côté de la réussite. Il y a très certainement un état d'esprit qui joue beaucoup.
Dans le premier volume, l'auteur de l'anthologie écrivait ces lignes qu'il reprend sur le pliant du premier de couverture du second volume : "[...] cette effervescence semble avoir été un feu de paille ou les derniers soubresauts des décades [sic anglicisme pour décennies] précédentes, [mais] elle a été une façon de comprendre le monde, d'agir sur lui et parfois aussi une façon de ne pas perdre sa vie à la gagner." La revue "Nineteen" n'est pas le fait de gens qui écouteraient Dire Straits, Genesis, Phil Collins, Police, Téléphone, Indochine, et elle le revendique.
Pour la sortie de ce volume, le dernier en principe, il y aura à Toulouse, au "Lieu commun", 25 rue d'Armagnac, plusieurs manifestations : vendredi 10 novembre, à 18h30 vernissage de l'expo "Les Barrocks en affiches", avec un set acoustique des Red Jack, puis de 19h à 22h un DJ Set animé par Pascal Comelade, surtout le samedi 11 il y aura une table ronde de 17h30 à 19h avec Gildas Cosperec du fanzine Dig it en temporisateur, table ronde qui réunira Tatane de Nineteen, Jean-Luc Manet des Inrocks, Marsu de Bondage, Christophe Suquet des Barrocks, Eric Tandy du Monde diplomatique, Rude Boy de Nyark ! Nyark ! Cela sera suivi par un concert de 20h à 22h du groupe Gattaca. Dans le livre, les gens sont déjà remerciés pour ces deux jours et il est aussi question des Dum Dum Boys qui joueraient à cette occasion. Ont-ils annulé ?
On comprend que je recommande tout particulièrement l'écoute des Dogs, des Coronados et des Thugs. J'ai parlé des Olivensteins et des frères Tandy. L'anthologie propose encore des articles sur les Batmen, Fixed up, City Kids, La Souris déglinguée, Gamine, et bien d'autres. Signalons aussi que se succèdent un article sur le groupe Parabellum et un sur le parolier "Géant vert" qui apportait ses textes à ce groupe sans en faire partie. Je dois être plus précis, il s'agit en l'occurrence d'un entretien avec le parolier "Géant vert", quelques articles étant des interviews. Je cite le début de cet article pour montrer à voir le nerf politique de ce fanzine qui ne parle pas du rock comme d'un simple divertissement : "Les paroliers rock qui essaient de regarder un peu plus loin que le bout de leur rime ne sont pas légion en France et ce n'est rien de l'écrire." Citons maintenant le début de l'article sur le groupe "Gamine" : "Depuis cinq ans, Gamine a su affronter les problèmes d'un groupe vivant en France. En effet, à part Fixed Up, et quelques autres, qui ose s'aventurer loin de sa ville d'attache pour faire des concerts et se payer l'audace de sortir des disques sans l'appui d'une grosse boîte ?"  Citons la fin du premier des deux articles sur les Thugs : "On comprend mieux alors pourquoi le rock & roll des Thugs est violent et non agressif, pessimiste et résolu, nihiliste mais pas désabusé. Seuls les imbéciles et les fainéants continueront de voir du sectarisme là où il n'y a qu'exigence et volonté de ne pas perdre son temps inutilement."









Le célèbre psychiatre a contribué à couler le groupe en combattant le fait de se nommer d'après lui. Au plan musical, la chanson n'est pas punk comme les paroles, mais rock.


Olivensteins - Euthanasie (passage à FR3 Rouen en 1979)

Eric Tandy était plutôt parolier et ne faisait pas partie des groupes comme son frère Gilles, mais il a eu sa propre oeuvre. Le EP ET, ses initiales en allusion à un film d'époque, une poignée de titres plus rock, puis la balade "Attendre" d'une tonalité bien différente qui figure sur la compilation du Nineteen 2.





Sur ce blog littéraire, assumons au moins ce titre plus "bruitiste" impressionnant.


Le lien vidéo donne l'image du 45 tours correspondant de la revue Nineteen. "Going loco" est le nom du complément local toulousain à la revue Nineteen.


Excellente chanson figurant sur le CD de Nineteen 2, mais le lien vidéo est un passage télé live avec introduction par un speaker.






Un groupe niçois.







***

Bonus : suite au décès de George Young, un complément est à sa place après un article par exception sur le rock. George Young est présenté comme le mentor du groupe AC-DC où officiaient deux de ses frères cadets. En réalité, c'est un discours qui vient comme toujours de deux ordres de réalité. D'une part, la presse rock est dominée apparemment par le public des années 70. Dans les années 80, dans les années 90, dans les années 2000, il y a une certaine préséance du discours du public seventies au détriment des sixties. Cette préséance s'accompagne souvent, et avec AC-DC c'est le cas, à une assimilation du rock à un divertissement. En réalité, le groupe The Easybeats a produit de plus belles compositions que le groupe AC-DC. La scène australienne a été très riche au plan du rock dans les années 70 et 80 en particulier, ce qu'elle partage avec la scène suédoise, puisque le rock a essaimé bien avant au Royaume-Uni et aux Etats-Unis. Même si les premiers groupes australiens ont à voir avec des émigrations d'origine européenne, c'est le cas pour The Easybeats où figure un néerlandais d'origine, le groupe The Easybeats est tout de même le tout grand groupe rock australien. Ils étaient inégaux, mais ils ont un certain nombre de chansons brillamment imaginées et interprétées. Les autres grands groupes australiens sont parfois en partie célèbres The Saints et Radio Birdman, parfois pas du tout : Qui connaît The Sunnyboys, The Stems ou The Celibate rifles ? Les gens citeront des noms à succès : les moyens Midnight Oil ou INXS, les médiocres Men at work ou Go-Betweens, l'assez bon Nick Cave qui a animé aussi le groupe Birthday Party, mais la scène vraiment rock, le fond rock de l'affaire en Australie, c'est Easybeats, Saints, Radio Birdman, Sunnyboys, Stems (en lien : Dom Mariani, Someloves, DM3), Celibate rifles,  et puis Died Pretty, Scientists, Lime Spiders, Church, le premier album des Hoodoo Gurus, plutôt que la cavalerie AC-DC, INXS, Midnight Oil, voire Nick Cave qui est quand même bon. Ces lignes de partage ne sont pas perçues par l'écrasante majorité du public qui se contentent de ce qui a de la notoriété ou pas avec une conception large du rock. C'est un truc qu'il faut sentir et si on le partage pas il peut être bon de savoir que cette curiosité de rapport au rock existe.
Evidemment, on sent que Rimbaud ne saurait être complètement étranger aux spécificités des scènes rock underground. Il y a des points de comparaison faciles à établir, au vu de ce que j'ai pu décrire sommairement ci-dessus.
Patti Smith, Tom Verlaine du groupe Television et Jim Morrison des Doors illustrent l'intérêt du rock américain pour l'icône française qu'est Rimbaud. Il y a d'autres facettes de la révolte rimbaldienne qui peuvent essaimer autre part dans le monde. Rimbaud n'était pas très lu en Amérique avant les sixties et les écrivains d'une beat generation qui en firent des mantras. Le succès de Rimbaud semble avoir été important au Japon dès le début du vingtième siècle, dès 1910, à une époque où la légende Rimbaud couve encore essentiellement en France. Le succès de Rimbaud au Japon mériterait sans doute lui aussi une grande étude que personnellement je suis incapable de mener à bien pour l'instant.

samedi 7 octobre 2017

Un peu d'influence de Philoméla de Mendès sur Rimbaud et Verlaine

Même si Catulle Mendès est à l'évidence un écrivain assez médiocre, il a publié à ses débuts un recueil de poésies qui, malgré une certaine fadeur, n'est pas sans charme dans la facture. Verlaine l'a affectionné, mais il s'en est inspiré également dans ses Poëmes saturniens.
De ce célèbre recueil, une section entière, et pas des moindres, est dédicacée à Catulle Mendès : "Paysages tristes". Il s'agit d'une section aux créations originales, et c'est la deuxième section en quantité de poèmes, après la première série de sonnets réunies sous le titre "Melancholia".
J'insiste sur cette section de sept poèmes "Paysages tristes", parce que le motif qui domine le recueil Philoméla est celui d'un "désespoir" qui vaut damnation, tout en expriment l'abandon à un érotisme lascif. Tout cela se retrouve dans la section de sept poèmes établie par Verlaine.
Le dernier poème des "Paysages tristes" s'intitule "Le Rossignol". Ce poème de Verlaine offre une longue et unique phrase glissant de vers en vers, avec des soubresauts soulignés par un habile jeu de répétitions disséminées dans le texte. Le poème "Le Rossignol" est remarquable par un enjambement de mot sur un adverbe en "-ment":

Qui mélancoliquement coule auprès
La mesure des autres vers est celle du décasyllabe de chanson aux deux hémistiches de cinq syllabes : "Comme un vol criard + d'oiseaux en émoi, / Tous mes souvenirs + s'abattent sur moi, / [...]". Dès le troisième vers, la césure est estompée : "S'abattent parmi + le feuillage jaune", mais selon une configuration déjà bien admise depuis les romantiques de 1830, une telle configuration n'étant même pas complètement inenvisageables chez les classiques. Racine a pratiqué discrètement la césure après une préposition de deux syllabes dans un vers de sa tragédie Iphigénie par exemple. Les vers 4 et 5 sont réguliers : "De mon coeur mirant + son tronc plié d'aune / Au tain violet + de l'eau des Regrets", et c'est au vers 6 qu'intervient l'enjambement de la césure : "Qui mélancoli+quement coule auprès," qui est une reprise du procédé appliqué par Banville en 1861 dans le poème "La Reine Omphale": "où je filais pensi+vement la blanche laine." La différence vient du passage de l'alexandrin au décasyllabe de chanson. Dans le vers de Banville, on peut recréer une symétrie : 4/2+2/4, en s'appuyant sur la référence au trimètre. Le vers a l'air constitué de trois parties de quatre syllabes, ce qui crée une mesure interne, et en même temps si la mesure des deux hémistiches de six syllabes doit absolument prédominer, il n'est pas difficile de scinder en deux parties égales les quatre syllabes centrales. Dans le cas du décasyllabe, aucune compensation rythmique n'est possible.
J'ai plaidé pour une lecture avec une césure à prendre en compte, à cause du rapprochement patent avec le vers de Banville, et donc pour un effet de sens à la césure, alors que le discours était que par exception ce vers n'avait pas de césure à cause d'un enjambement de mot.
La suite du poème de Verlaine est plus régulière à la césure, malgré le rejet de "triste" au vers 15, mais le procédé de chahutage des bornes métriques est reporté à la rime du vers 16, où l'article indéfini "une" se trouve en suspens. Sans la présentation de la page, les lecteurs ne tiendraient pas compte de ce suspens. Aussi, les audaces d'enjambements entre les vers sont un bon indice de la méthode de composition des césures chez un même auteur.
Mais, ce poème contient un autre vers étonnant, le vers 13
De l'oiseau que fut mon Premier Amour,
car nous nous attendrions plutôt à la formule "l'oiseau qui fut mon premier Amour". Certes, à y bien réfléchir, la seconde solution "l'oiseau qui fut mon premier Amour" pourrait être perçue comme plus absurde que la première. Mais, malgré tout, le réflexe premier, c'est de se dire que cet oiseau a été le premier amour du poète, que nous envisagions une métaphore de la femme ou pas.  Il est très peu courant de comparer son amour à un oiseau, surtout que l'expression choisie dépasse le stade de la comparaison. C'est cet amour même qui était un oiseau. Car, en effet, le lecteur peut hésiter sur la lecture, "l'oiseau que fut mon Premier Amour", car nous pouvons comprendre la femme qui était mon Premier Amour, comme le Premier Amour qu'était l'amas des sentiments pour la première femme aimée. Et cela s'accompagne d'un énorme sentiment de deuil. Car ce que dit le poète est assez compliqué. Le passé simple "fut" enferme dans le passé cet amour, mais par les souvenirs il chante encore cet oiseau qui, comme le dit la toute fin du poème, "pleure". ce rossignol est une figure de l'au-delà, du monde des morts. Et ce n'est pas la femme aimée qui, dans ma perception du poème, "l'Absente" est la seule figure morte, c'est le "rossignol" lui-même.
Pour une attestation en ce sens, il faut lire le poème "Le Rossignol" qui ouvre presque le recueil Philoméla. Mendès imagine un instant partagé avec son aimée, et il jalouse le rossignol que celle-ci écoute. Mais ce poème d'une saisissante étrangeté est à l'évidence l'un des plus beaux qu'ait jamais écrit le poète originaire du Sud-Ouest, Bordeaux et Toulouse, puisque, soudainement, la scène se transpose à l'inverse : le poète s'identifie au rossignol et devient jaloux de lui-même au bras de l'aimée. Et l'étrangeté franchissant un nouveau palier, le poète décrit ensuite avec détachement la scène d'enterrement du rossignol par des enfants qui prient pour lui. Verlaine ne s'est pas inspiré du détail des vers, mais il s'est inspiré du cadre surréel de ce morceau.
Or, la section "Paysages tristes" contient un autre poème assez déconcertant intitulé "Crépuscule du soir mystique". Le poème est composé de treize vers sur deux rimes. Il s'agit par ailleurs de décasyllabes, mais littéraires cette fois, c'est-à-dire avec un premier hémistiche de quatre syllabes et un second de six syllabes. Or, deux césures sont fortement chahutées, et nous retrouvons un enjambement de mots, à une époque où ils ne sont vraiment pas devenus usuels en poésie, pas même chez Verlaine, mais aussi un suspense de l'article indéfini "une", mais cette fois à la césure et non plus à la rime. A l'évidence, voilà qui permet de rapprocher "Crépuscule du soir mystique" et "Le Rossignol" au plan de la forme, d'autant que "Crépuscule du soir mystique" brille lui aussi par un jeu habile de répétitions.
Ce poème "Crépuscule du soir mystique" est considéré comme un cas à part dans l'histoire des formes. Dans les Poëmes saturniens, nous identifions des sonnets qui, quelles que soient les excentricités, ont tous des quatrains et des tercets. Nous identifions un certain nombre de poèmes à rimes plates.  Nous identifions des poèmes en quatrains, même en quintils comme "Cauchemar" et "Inititum", avec le décrochage par un blanc du derneir vers dans ce dernier cas. Le poème "Soleils couchants" permet d'identifier des rimes organisées comme pour une suite de quatrains. "Chanson d'automne" est un poème en sizains. Verlaine a composé encore deux poèmes en tierces rimes, modèle donc de la terza rima de La Comédie de Dante : "Sub urbe" et "La Mort de Philippe II". Et nous avons un cas particulier de poème en sizains présentés sous forme de tercets "Un Dahlia" avec une symétrie inverse dans la distribution des rimes entre les six premiers vers et les six derniers. Mais "Crépuscule du soir mystique", treize vers sur deux rimes, les verlainiens ne lui ont pas trouvé de forme à laquelle le reporter. Il ne semble se prêter à aucune forme de régularité.
En réalité, la section dédicacée à Catulle Mendès et la présence de tierces rimes auraient dû les mettre sur la piste. Le recueil Philoméla s'ouvre et se ferme par l'emploi de la tierce rime pour un "Prologue" et un "Epilogue" lourd d'un sentiment de désespoir et damnation qui justifie le renvoi à la forme de la terza rima de L'Enfar du Dante avec une allusion où "vous qui entrez, laissez toute espérance". Et Mendès ne s'est pas arrêté là, puisqu'il a composé une suite de trois poèmes reliés par des chiffres romains I, II et III, suite placée sous un titre "Canidie" qui revient à plusieurs reprises encore pour des sonnets du même recueil.
Et ces trois poèmes sont non seulement des tierces rimes, mais Mendès dit explicitement dans le premier poème de la série "Canidie" qu'il a composé exprès un poème de treize vers sur deux rimes pour exprimer sa douleur.
Verlaine a repris ce projet pour composer "Crépuscule du soir mystique", poème de treize vers sur deux rimes. La différence, c'est que Verlaine n'a pas adopté la présentation typographique de la tierce rime, les treize vers sont fondus en une seule masse, et il a brouillé la distribution des rimes, en s'inspirant pour les douze premiers vers de la symétrie inversée des sizains du poème "Un dahlia", fleur nommée dans "Crépuscule du soir mystique" Je vais présenter le poème ici tour à tour dans la forme brouillée voulu par Verlaine, puis avec les blancs typographiques d'une tierce rime qui vous imposera d'aller relire les quelques poèmes de ce type que j'ai pointés dans Philoméla. Nul doute que vous en saisirez la pertinence au vu de la mention avec majuscule "Espérance" au vers 3.

Le Souvenir avec le Crépuscule
Rougeoie et tremble à l'ardent horizon
De l'Espérance en flamme qui recule
Et s'agrandit ainsi qu'une cloison
Mystérieuse où mainte floraison
- Dahlia, lys, tulipe et renoncule -
S'élance autour d'un treillis, et circule
Parmi la maladive exhalaison
De parfums lourds et chauds, dont le poison
- Dahlias, lys, tulipe et renoncule -
Noyant mes sens, mon âme et ma raison,
Mêle dans une immense pâmoison
Le Souvenir avec le Crépuscule.

Le Souvenir avec le Crépuscule
Rougeoie et tremble à l'ardent horizon
De l'Espérance en flamme qui recule
Et s'agrandit ainsi qu'une cloison
Mystérieuse où mainte floraison
- Dahlia, lys, tulipe et renoncule -
S'élance autour d'un treillis, et circule
Parmi la maladive exhalaison
De parfums lourds et chauds, dont le poison
- Dahlias, lys, tulipe et renoncule -
Noyant mes sens, mon âme et ma raison,
Mêle dans une immense pâmoison
Le Souvenir avec le Crépuscule.
Dans ce nouveau de présentation du poème, nous pouvons constater des jeux intéressants. Notez le chevauchement de tercet à tercet "qui recule / Et s'agrandit". Notez que le premier vers repris en entier au dernier vers se renforce maintenant de l'isolement par un blanc du vers ponctuant une tierce rime. Notez encore que l'autre vers répété intégralement, une énumération de fleurs, est tantôt le dernier d'un tercet, tantôt le premier, avec chacun un vers seulement pour les séparer du fameux vers à enjambement de mot. Appréciez que le premier vers du troisième tercet est le vers 7 d'un poème de treize vers, le milieu du poème et qu'il offre l'image de la boucle par la mention "autour" devant la césure et la mention "circule" à la rime, le mot "treillis" convient dès lors quelque peu à l'image de ce poème que les répétitions font quelque peu tourner sur lui-même. L'enjambement de mot est au vers 8, dans la succession donc de ce milieu de poème.
Il va de soi qu'il faut rapprocher "maladive" de "mélancoliquement" entre "Crépuscule du soir mystique" et "Le Rossignol", comme le jeu sur l'article indéfini "une" impose de rapprocher "immense pâmoison" et "Nuit mélancolique et lourde d'été". La "maladive exhalaison" et cette "immense pâmoison" sont de l'ordre de la mélancolie malsaine. L'enjambement de mot permet de souligner l'équivoque sur "mal", pente infernale : l a césure"Parmi la ma+ladive exhalaison" permet une relecture à effet de sens : "Parmi la maladive exhalaison".
Catulle Mendès s'est autorisé un seul enjambement de mots dans son recueil, mais ilat en 1863 un caractère précoce.

Et quand l'aurore a terrassé la messe noire.

La césure se fait sur la forme verbale "terrassé" et elle dégage significativement le mot "terre" dans un poème intitulé "Le Bénitier" qui engage le salut de l'âme : "Et quand l'aurore a ter+rassé la messe noire" autorise une relecture à effet de sens : "Et quand l'aurore a terrassé la messe noire". L'idée de "messe noire" n'est bien sûr pas absente des deux enjambements de mot de Verlaine dans "'Crépuscule du soir mystique" et "Le Rossignol", d'autant que chez Verlaine il s'agit non de l'aurore mais de l'abandon à la nuit.

En septembre 1871, Rimbaud arrive à Paris. Un mois après, commence si pas les compositions, du moins des transcriptions de poèmes dans un Album zutique. Rimbaud en a recopié quelques-uns jusqu'à la seconde moitié du mois de novembre. Au moment où il cesse d'écrire dans l'Album zutique, un entrefilet, que nous saurons être de Lepelletier, moque la compagnie de Verlaine avec une "Mlle Rimbaut", ce même entrefilet établit une comparaison par le style formulaire entre deux couples : "On remarquait çà et là le blond Catulle Mendès donnant le bras au flave Mérat" et plus loin : "Le poète saturnien, Paul Verlaine, donnait le bras un charmante jeune personne, Mlle Rimbaut". Les commentaires de cette lettre se contentent de relever le persiflage "Mlle Rimbaut" qui signifie que la nature de la relation entre Verlaine et Rimbaud n'est un secret pour personne, tant ils ne font rien pour s'en cacher. Mais, l'entrefilet ayant eu à coeur de signaler ce fait et de le moquer, il ne peut passer inaperçu que la reprise "donnant le bras" et "donnait le bras" permet de considérer que Mérat et Mendès ont joué à se moquer de Rimbaud et Verlaine en se tenant le bras eux aussi, geste peu anodin, devant Léon Valade, Léon Dierx et Henri Houssaye, ce qui au passage nous indique un court moment de rencontre entre Rimbaud et Léon Dierx et Henri Houssaye. Nous ne pouvons que supposer que Dierx et Houssaye se sont rangés du côté des rieurs réprobateurs Mérat et Mendès, Valade lui-même prenant sans doute ses distances, ce qui devrait expliquer l'arrêt soudain des transcriptions sur l'Album zutique dans les jours qui ont suivi.
Cet entrefilet date du 16 novembre.
Dans l'Album zutique, nous n'avons pas de parodie de poèmes de Catulle Mendès à première vue. Il est tout de même évoqué dans le sonnet "Propos du Cercle". C'est Michel Eudes dit Penoutet à qui est attribué ce propos : "Mon vieux ! je viens du café Riche ; / J'ai vu Catulle..." La réplique de Keck, sans doute à l'origine de toute la composition, puisqu'il est l'un des deux auteurs du poème : "Moi, je voudrais être riche", établit bien un distinguo sociologique, mais cela ne veut pas dire non plus que l'hostilité est déclarée à l'égard de Mendès. Il faut rester ici dans la nuance, d'autant que le propos de Penoutet plaide pour des relations cordiales. En revanche, Mendès est l'auteur d'un livre peu favorable à la Commune : Les 73 jours de la Commune. Rimbaud a épinglé avec le quatrain "Lys", l'autre parnassien auteur de livres déjà publiés hostiles à la Commune, Armand Silvestre. Dans "Vu à Rome", notons que Rimbaud cible Léon Dierx et reprend au recueil Philoméla le mot "écarlatine" à la rime d'un octosyllabe. Je n'irai pas faire de cette rencontre entre la mention Dierx et un emprunt à Mendès le signe que "Vu à Rome" a pu être écrit après la soirée à l'Odéon raillée dans l'entrefilet du 16 novembre de Lepelletier. Dierx et Mendès étaient sans doute assez proches à ce moment-là et des éléments biographiques nous échappent certainement. Nous n'avons pas connu le quotidien d'Arthur, la soirée des Vilains Bonshommes du 30 septembre, les diverses rencontres possibles de Verlaine, Rimbaud, Dierx et Mendès.
En revanche, un peu après, Rimbaud a composé un poème "Les Chercheuses de poux" dont le titre fait songer aux "chercheuses d'infini" du recueil Amours et priapées d'Henri Cantel. Ce poème érotique emprunte à un poème lui-même érotique du recueil Philoméla : "Le Jugement de Chérubin". Un jeune homme profite de l'intérêt charnel que deux soeurs lui portent dans chacune des compositions. Le poème de Rimbaud contient des évocations plus nettement sexualisées que dans la pièce de Mendès.
Le poème "Les Chercheuses de poux" correspond ainsi encore quelque peu à l'esprit des parodies zutiques. Les "chercheuses de poux" pourraient être Mérat et Mendès au bras l'un de l'autre moquant Rimbaud. Le jeu allait s'aggraver, puisque Verlaine a écrit une lettre à Mérat pour le sommer d'arrêter ces blagues en février 1872. Le poème de Verlaine "Vers pour être calomniés"' serait en référence aux propos malveillants de Mérat également, tandis qu'un quatrain de "Vers pour les lieux" de Rimbaud est tourné contre Mérat et affiché publiquement et ostentatoirement dans les toilettes du café de Cluny, avec une signification homosexuelle latente.
Mais, cela ne s'arrête pas là. Le sonnet "Oraison du soir" est lui aussi dans la continuité de l'esprit du cercle du Zutisme. Il y est question de scatologie "excréments chauds d'un vieux colombier" ou "Je pisse", "l'âcre besoin", à quoi ajouter "coulures" et "l'air gonflé d'impalpables voilures". Le sonnet "Oraison du soir" semble d'ailleurs s'inspirer du "Sonnet du Trou du Cul", en reprendre l'esprit : "Mille Rêves en moi font de douces brûlures ;" et "Puis, quand j'ai ravalé mes rêves avec soin[.]"
A cause de leur statut dans Les Poètes maudits, "Oraison du soir", "Tête de faune" et "Les Chercheuses de poux" sont nettement distingués des poèmes de l'Album zutique, alors qu'il serait tout à fait concevable d'imaginer Rimbaud ajouter de telles pièces sur le manuscrit de l'Album zutique.
Et justement, arrêtons-nous à la forme du sonnet "Oraison du soir". Dans l'Album zutique, pour un certain nombre de poèmes, la forme adoptée a une signification parodique. Le dizain renvoie automatiquement à la figure de Coppée, quand bien même certains dizains ne se contentent pas d'épignler Coppée, ainsi d'un d'André Gill qui ciblerait plutôt Carjat. Les sonnets en vers d'une syllabes ciblent Amédée Pommier et Alphonse Daudet, lequel auteur des "Prunes" est visé encore par un "Pantoum négligé". La forme sonnet, même si elle ne lui est pas propre, vise le recueil L'Idole de Mérat dans tous les cas. Dans le cas du sonnet "Oraison du soir", la distribution des rimes dans les tercets est remarquable.
En français, les tercets des sonnets forment un sizain, soit la forme marotique bien régulière AAB CCB, soit la forme avec un léger décalage AAB CBC qui est devenue plus courante et qui n'est pas toujours nettement perçue comme forme de sizain, à preuve l'analyse manquée de Banville dans son traité.
Les italiens suivaient d'autres modèles encore, le recueil L'Olive de du Bellay serait un bon témoin de la transition française, à cause d'une organisation des rimes plus aléatoire et plus influencée par les italiens au plan des tercets.
Le modèle pétrarquiste était de tercets sur deux rimes ABA BAB. Ce modèle ne s'est pas imposé en France. Or, quand tout à la fin de la décennie 1820, Sainte-Beuve remet à l'honneur la forme du sonnet, il se laisse troubler par le modèle anglais qui est encore différent. Les sonnets anglais ont plutôt une organisation des rimes en trois quatrains et un distique. La présentation en deux quatrains et deux tercets étant adoptée, cela donne assez souvent l'impression que les tercets de Sainte-Beuve sont construit à l'envers. A partir de là, Musset et Gautier ont produit à leur tour des sonnets avec une organisation irrégulière des rimes. Cela n'a pas duré longtemps dans le cas de Gautier et Musset va s'assagir, tandis que ces sonnets joueront assez peu un rôle de premier plan dans l'histoire de la poésie. Dans les années 1850, Baudelaire et Banville ont repris le flambeau des excentricités romantiques au plan des césure et de la forme des sonnets. C'est à tort que nous leur attribuons l'invention de certains procédés. Baudelaire s'inspirait de Sainte-Beuve, Gautier dédicataire des Fleurs du Mal et de Musset, bien qu'il le haïssait et méprisait. Baudelaire n'a pu s'inspirer de sonnets de Victor Hugo qui n'en avait jamais publié alors, mais il s'inspirait de la facture de son vers de théâtre.
Dans les années 1860, les recueils d'Henri Cantel, Catulle Mendès, Léon Valade et Albert Mérat, malgré les deux premières versions des Fleurs du Mal de 1857 et 1861, sont exceptionnels du point de vue de l'excentricité dans l'organisation des sonnets, essentiellement au plan des rimes, parfois au plan de la forme (Cantel).
Or, je dois vérifier s'il en figure dans Avril, mai, juin, mais Catulle Mendès a déployé dans Philoméla un grand nombre de sonnets avec des tercets alternant deux rimes à la manière italienne, pétrarquiste, alors que ce procédé n'était pas exploité par Sainte-Beuve, Gautier, Musset, Banville, Baudelaire, Cantel.
Ainsi, en 1871 sinon en 1872, quand Rimbaud compose "Oraison du soir" il sait que Mérat, Valade, Verlaine et d'autres vont identifier l'allusion à Mendès.
D'ailleurs, c'est en s'inspirant de Mendès que Verlaine produit un vers final sans rime dans une parodie des sonnets Les Princesses de Banville, puisque Mendès a joué sur la forme pétrarquiste pour créer un orphelin dans un des sonnets de Philoméla, le modèle ABA BAB étant corrompu en ABA BAX où X note l'absence de rime. L'habileté du piège vient de ce qu'il y a trois rimes en A et déjà deux rimes en B, l'isolement du dernier vers est ainsi d'autant plus surprenant que tout le reste rime. On n'a pas deux vers mal rimés, seul un vers pose problème.

Voici le sonnet envoyé par Verlaine à Blémont le 22 juillet 1871 que je cite en l'accompagnant de la note (x) de commentaire par Verlaine lui-même.

Les Princesses CXXV "Bérénice"
Son front mignard parmi sa main toute petite,
Elle rêve, au bruit clair des cascades lointaines,
Et dans la plainte langoureuse des fontaines
Perçoit comme un écho charmant du nom de Tite.
Elle revoit, fermant ses yeux de clématite
Qui font songer à ceux des biches thibétaines,
Son doux héros, le mieux aimant des capitaines,
Et, Juive, elle se sent au pouvoir d'Aphrodite.
Alors un grand souci la prend d'être amoureuse
Car dans Rome une loi bannit, barbare, affreuse,
Du rang impérial toute reine étrangère.
Ah ! ne pas être une humble esclave qu'Il épouse !
Et dans l'épanchement de sa douleur jalouse
La Reine hélas soupire et doucement défaille(x).
(x) Il va sans dire que l'absence de rime n'est que pour exprimer toute la langueur locale.
 Le poème mériterait un commentaire avec l'humour du quatrième vers notamment "tit tit tite".
Remarquons que l'absence de rime est associée à un effet de sens qui implique encore une fois la langueur, comme dans "Crépuscule du soir mystique" et "Le Rossignol" cités plus haut. Or, dans ce sonnet parodiant Banville, nous rencontrons encore un enjambement de mot à la césure, procédé qui pourtant était encore rare sous la plume de Verlaine à l'époque, et sur l'adjectif "langoureuse" bien digne de figurer à côté de "maladive" et "mélancoliquement" traités plus haut. Une première version de ce sonnet nous est parvenue dans la lettre à Léon Valade du 14 juillet 1871, mais avec un dernier tercet entièrement différent qui respectait le sonnet traditionnel français dans l'organisation des rimes. Il n'y avait pas alors de défaut de rime, mais le couple "âme" :: "pâme" dont remarquer qu'il n'est pas absent du "Sonnet du Trou du Cul" : "mon âme" et "l'olive pâmee".
Verlaine s'est donc inspiré d'un sonnet de Philoméla pour sa parodie des Princesses, ce qui passerait sans doute inaperçu si nous ne considérions que les thèmes et les mots, et pas l'organisation des rimes, du moins le défaut de rime, puisque le modèle de Verlaine est marotique AAB CCB perverti en AAB CCX.
Si je tiens compte de l'édition des "Sonnets" de Philoméla telle que j'y ai accès, après un premier sonnet "Le Vaincu" où les tercets ont une organisation inversée des rimes par rapport à la tradition : la forme AAB CBC est retournée en CBC BAA, ce qui fait écho à la pratique beuvienne, nous avons ensuite d'emblée un second sonnet avec une alternance à la manière de Pétrarque, sauf que le dernier vers n'a pas de rime. La provocation est d'autant plus grande que cette forme pétrarquiste n'existe pas en France et ne peut être identifiée d'emblée que par un italianisant. Plus exactement, ce n'est qu'après ce sonnet avec défaut de rime que Mendès va livrer ses premiers exemples de sonnets aux tercets sur deux rimes. Le lecteur comprendra a posteriori le modèle suivi. Mais tant qu'il ne passera pas à la lecture de la suite, le sonnet "Calonice" produire un certain inconfort.


                     "Calonice"

Sur la grande galère à quatre rangs de rames,
Calonice ramène une fille d'Asie
Qui, nue et frissonnante et belle, s'extasie
De fouler des tapis de pourpre aux rouges trames.


" O Vierge, dit la grecque, entre toutes choisies
Pour apaiser mon coeur percé de mille lames,
Tu connaîtras le sens des longs épithalames
Et de mon amitié la chaste hypocrisie !"


Dans l'air, à ce moment, on vit deux hirondelles
Caresser les cheveux épars des fiancées ;
Et la brise chantait : Hyménée ! autour d'elles


Mais la lune baisa les vagues balancées,
Et tu parus, le front couronné d'asphodèles,
O nuit, o blanche nuit, ô nuit mystérieuse !...

A moins d'être inattentif, vous notez que "mystérieuse" finit le poème sans rime en "-ées". Le poème est également tout en rimes féminines pour un sujet saphique. Nous avons bien une structure sur deux rimes dans les tercets ABA BA pour cinq vers, mais comme le modèle ABA BAB est inconnu dans les sonnets de langue française, que Mendès réserve pour la suite de la lecture les premiers exemples, et puisque le lecteur aura éprouvé une saturation subreptice, tous les vers des treize premiers vers ont rimé !, l'isolement du dernier vers ne peut que surprendre, sans que forcément le lecteur ait en tête la rime attendue. Les plus attentifs attendront la rime en "-ées", mais ce qui reste c'est le trouble de l'adjectif "mystérieuse" dans tous les cas. La subtilité vient de la présence du mot "Hyménée" qui en suggère ensuite beaucoup sur le prolongement voluptueux de la "nuit mystérieuse".
Le troisième sonnet introduit enfin le modèle pétrarquiste complet ABA BAB, et ce sonnet porte ce fameux nom "Canidie" déjà associé à la tierce rime de treize vers sur deux rimes.
Les tercets de "Canidie" riment en "-ent" et en "-elles", en "-ment" et en "-nelles" si nous considérons la rime enrichie. Donc nous retrouvons la rime en "-elles" du sonnet défaillant.
Mendès enchaîne avec un autre sonnet "Invitation à la promenade" aux rimes de tercets ABA BAB, et comme il est question du sonnet "Oraison du soir" de Rimbaud qui suit ce modèle, remarquons que nous avons cette fois le (masculin) singulier d'une rime en "-el" et une rime en "-ure". Rimbaud a employé une rime en "-ures" dans ses quatrains. Vu qu'il est question d'une bottine mouillée par la rosée et d'une ceinture flottant au vent, il est bon de citer ce sonnet pour le rapprocher du poème "Oraison du soir". Ce poème contient aussi le mot "croisées" à la rime, mais il est en décasyllabes de chanson, hémistiches de cinq syllabes.

"Invitation à la promenade"

Poète frivole, épris des musées
Et des rouges fleurs en papier gommé,
Tu n'as jamais vu que de tes croisées
La verte splendeur du mois embaumé.

En vérité, ceux qui font des risées
Sur le doux printemps n'ont jamais aimé.
Mouillez ma bottine, ô fraîches rosées
Du bois où bourgeonne et gazouille Mai !
Belle fleur, dis-moi la bonne aventure !
Ah ! mon amoureux, il n'est rien de tel
Que de voir au vent flotter ma ceinture.
De mon doigt rosé comme en un pastel,
Je veux te montrer l'éclat immortel
D'un site charmant comme une peinture.
Rimbaud offre un autre portrait de poète frivole "Je vis assis" et sa bonne aventure passe par des rêves "d'impalpables voilures", "de douces brûlures", de "coulures" où la ceinture sans doute flotte et le cède à une "chope à fortes cannelures" au point que de son doigt ne jaillit pas tout à fait le même genre de peinture : "Je pisse vers les cieux..."
Mendès ne poursuit pas dans son recueil tout uniment sur les rimes de tercets ABA BAB, le sonnet "Le Japacani" adopte la forme marotique AAB CCB. Toutefois, pour le sens, on se plaît à observer des rencontres possibles avec "Oraison du soir" : "Je veux dormir, au nid de mon désir couché !" ou "Je veux que l'on tresse un hamac de liane," ou "Que mon narghilé d'or s'allume [...]" ou "Le tourbillonnement des rêves inouïs" ou "Butinant des senteurs de femme à chaque bouche".
Mais, dès le sonnet suivant "Sur les collines", la forme ABA BAB revient et, si l'attaque du dernier tercet de 'Oraison du soir" est "Doux comme le Seigneur du cèdre et des hysopes," celle du second quatrain du nouveau sonnet mendésien vaut la peine d'être mentionnée : "Plus douce que la voix douce des mandolines," avec sa rime qui fait songer à Verlaine et surtout avec sa répétition de l'adjectif "douce", la seconde fois en rejet à la césure.
Nous pouvons même relever ces vers du premier quatrain :

[...]
Nous verrons de plus près sous les cieux moins pesants
Les nuages pareils aux blanches mousselines
Qui flottent sur le cou des filles de seize ans.

Rimbaud parle d'un "air gonflé d'impalpables voilures", se prête l'aspect d'un "ange aux mains d'un barbier" et se tourne et "pisse vers les cieux bruns".
Et citons alors le dernier tercet du sonnet "Sur les collines" :
Et l'on dira, voyant ton lumineux contour,
Que les Anges vêtus d'air paradisiaque
Descendent sur les monts pour y faire l'amour !
Il semble bien que nous ayons affaire à une source du poème "Oraison du soir" avec "Invitation à la promenade" cité plus haut.
La pratique ABA BAB est une vraie signature du recueil Philoméla, puisqu'elle se prolonge dans le sonnet suivant "La Ruine". En revanche, énième poème à porter le titre "Canidie", le sonnet qui enchaîne a une forme traditionnelle pour les tercets AAB CBC. En revanche, il est question d'un "souffle" qui "est plus pur que le vent aromal", d'un pleur qui lave comme un "flot baptismal", et le poète parle de "[s]on rêve divin pendant la nuit songeuse". Les rapprochements continuent d'avoir de l'intérêt. Le poème satanique suivant "Une voix" revient au mode ABA BAB. J'en relèverais la présence du mot "gourde" à la rime, car ce qu'il convient maintenant de préciser, c'est que Rimbaud a repris à trois reprises la forme spécifique des tercets ABA BAB. Avec "Oraison du soir", il faut citer les deux sonnets dits "Immondes" par Verlaine, deux sonnets baptisés "Stupra" par les surréalistes. Dans l'un de ces deux autres sonnets de Rimbaud, nous avons une rime en "-ource", ce qui me fait noter la ressemblance sonore avec une rime en "-ourde". Mais, donc, les trois sonnets de Rimbaud nous imposent de lire avec un extrême attention les sonnets de Philoméla. Je devrais les citer intégralement ici, et mentionner toutes les idées qui me passent par la tête en fait de rapprochements.
Mais, en gros, j'arrive essentiellement à effectuer des rapprochements avec "Oraison du soir".
Poursuivons.
Le sonnet "La Traversée galante" est en octosyllabes avec une forme marotique AAB CCB. Dois-je relever deux fois "voile" à la rime avec une fois le nom "Ton souffle suffit à ma voile," et une fois le verbe "qu'un brouillard voile". Cela justifie-t-il le rapprochement avec "air gonflé" et "impalpables voilures" ?
Suit un autre poème en octosyllabes "Sonnet dans le goût ancien", et c'est celui auquel Rimbaud a repris le mot "écarlatine" à la rime pour "Vu à Rome".
Nous arrivons ensuite au sonnet "Les Ingénues" dont le titre qui fait songer à Verlaine et aux Poëmes saturniens a le mérite cette fois d'un lien potentiel avec l'emploi du mot "ingéniosité" dans l'un des sonnets dits "'Immondes", d'autant que "Les Ingénues" permet enfin un rapprochement avec l'espèce de description détachée et généralisante qui caractérise les "Immondes", cependant que l'exclamation "Oh ! de même être nus, chercher joie et repos" du dernier tercet du sonnet "Immonde" comportant le mot "ingéniosité" peut faire écho à l'exclamation du premier tercet du sonnet "Les Ingénues" : "O charme ! avoir quinze ans pendant le mois de mai !"
Il convient donc de citer ce poème.

"Les Ingénues"

Elles aiment le bal aux folâtres cadences,
Le valseur dont les yeux s'enivrent de leurs yeux,
Et, le cerveau troublé d'espoirs délicieux,
Elles gardent, la nuit, le souvenir des danses.

Elles se font tout bas de longues confidences
A propos d'un passant à l'air victorieux,
Et leur discours empli de riens mystérieux,
 Chante avec les oiseaux parmi les rameaux denses.

O charme ! avoir quinze ans pendant le mois de mai !
Sentir éclore en soi par un doux sortilège
Les fleurs que l'on envie au jardin parfumé !
N'avoir point de soucis dont le coeur ne s'allège,
Et recevoir, furtive, avec un oeil pâmé,
Le baiser d'un cousin qui revient du collège !
 Les rimes ont bien la configuration pétrarquiste dans les tercets. Ce sera la même chose pour le poème suivant qui a pour point commun avec "Oraison du soir" de moquer les choses de la religion. Le sonnet "La Nonne" décrit le regret d'une vocation contrariant le désir érotique du poète, avec sans doute un vers qui attire l'attention : "Le scapulaire au col et le cilice aux reins".
Le suivant sonnet "Frédérique" poursuit dans cette veine blasphématoire, moins nettement peut-être, mais tout de même il est question d'érotisme non réfréné dans une église avec une parodie du "oui" du mariage. Les rimes des tercets adoptent cette fois une forme italienne inacceptable dans la tradition française. Riment entre eux : les premiers vers des tercets, puis les seconds, puis les derniers, ce qui fait apparaître une série acceptable en Italie, mais pas en France, de trois rimes ouvertes ensemble et non encore refermées. En français, le lecteur est habitué à n'attendre que la conclusion d'une ou deux rimes, pas de trois à la fois. Nous pouvons relever un vers sur le parfum des lieux : "J'aspirai parmi l'air qu'embaume l'encensoir [...]", ce que nous songeons toujours à rapprocher de cet "air gonflé d'impalpables voilures". Le sonnet suivant "L'amour fatal" parle d'une victime "Pauvre fille ingénue" en reprenant notre modèle ABA BAB. Les "désirs" sont présentés comme des "tisons d'enfer" ce que nous rapprochons du vers "Mille Rêves en moi font de douces brûlures".
Le sonnet de décasyllabes "Viduité" est un cas particulier, ses tercets sont sur deux rimes, mais selon une organisation irrégulière ABA BBA qui est plutôt la marque de fabrique de Mérat et Valade dans l'anonyme Avril, mai, juin, sans oublier Cantel ou Musset. Ceci dit, Mendès joue avec son lecteur, car, malgré le jeu de deux rimes on devine l'allusion à la forme traditionnelle inversée pratiquée par l'anglophile Sainte-Beuve.
Le sonnet qui enchaîne porte le titre "Chimères", le nom du alors futur recueil d'Albert Mérat. Il est question du col bruni d'Isis et d'éteindre les lanternes des bouges, mais les rimes des tercets sont dans l'ordre traditionnel cette fois, et je citerais surtout le premier quatrain pour d'éventuels rapprochements :

Il planait dans l'éther, cet océan sans grève,
Traînant l'humanité comme un boulet honni,
Dans l'infinité du ciel immensité du rêve,
Immensité du ciel sur le rêve infini !

Dans le sonnet "Le Thé", Mendès adopte cette fois les tercets chacun sur une rime, procédé qui concerne Cantel, Mérat et Valade également. Désespérant de ramener un grand nombre de rapprochements avec les "Immondes", j'ai envie lâchement de relever la mention du nom "plis". Il est tout de même question de "l'abus du thé" et d'une "langueur que la veillée enfante", ce qui pour les thèmes fait écho quelque peu à "Oraison du soir".
Le sonnet "Ten-si-o-daï-tsin" revient à la forme ABA BAB. Il est suivi par iun sonnet d'octosyllabes "Spleen" aux tercets monorimes (chaque tercet n'a qu'une rime), puis le sonnet "Le Glacier" en alexandrins mais avec à nouveau les tercets monorimes.
On voit que tout cela s'enchaîne sans ordre lisse et net avec des surpises. Le suivant sonnet justement fait revenir le titre "Canidie" mais pour une configuration spéciale quatrain, tercet, quatrain, tercet, où en réalité on a des strophes de sept vers chacune sur deux rimes.
Et enfin nous arrivons au dernier sonnet qui porte un titre qui figure déjà dans le recueil Amours et priapées d'Henri Cantel. La comparaison "comme un oeillet" notamment du "Sonnet du Trou du Cul" vient du sonnet "Ephèbe" de Cantel. Le dernier sonnet de Philoméla s'intitule justement "Ephèbe", et c'est vraiment celui qui peut le plus se rapprocher des deux "Immondes".

"Ephèbe"

Jeune homme sur ton front neigeux comme l'hermine,
Ta chevelure allume un céleste halo ;
Ta joue immaculée où l'incarnat domine
Eût ravi cet amant des roses, Murillo !

A l'époque païenne où Narcisse chemine,
Amoureux de ses pieds d'ivoire, au bord de l'eau,
La Grèce eût reconnu, voyant ta belle mine,
Le frère de Diane ou la soeur d'Apollo !

Mais ces fronts éclatants de lueurs souveraines,
Les Dieux sont en mépris, les Dieux sont au tombea :
Le nocher n'ouït plus la chanson des Sirènes ;
Le ceste de Vénus est un vague lambeau ;
Toi seul, posthume enfant des époques sereines,
Tu portes fièrement la honte d'être beau !
Les rimes ont le modèle ABA BAB et même le rapprochement phonétique est permis avec le sonnet "Nos fesses ne sont pas les leurs..." qui a dans ses tercets une rime "tableaux"::"repos"::"sanglots".
Je ne développe pas encore les rapprochements. Je ne voudrais pas surdéterminer l'avis du lecter par mes propres suggestions. Il faut laisser du temps à la recherche et s'accorder cette espèce de regard provisoire.
Nous reviendrons sur ces trois poèmes "Oraison du soir", "Les anciens animaux...", "Nos fesses ne sont pas les leurs...", nous avons d'autres choses à dire, comme sur "Les Chercheuses de poux".

jeudi 5 octobre 2017

Compte rendu sur le recueil Colères d'Amédée Pommier

Le recueil Colères date de 1844. Il ne contient pas de poèmes particuliers au plan de la forme, de la mesure du vers, mais sur la publicité des ouvrages de l'auteur apparaît quand même le nom grotesque de métromane. Je cite, sans souci du respect de la mise en page :

Œuvres du métromane

Premières armes in-16.
La République ou le livre de sang in-8.
Les Assassins in-8.
Océanides et fantaisies in-8.
Craneries et dettes de coeur in-8.

   Sous presse, pour faire suite aux Colères
Boutades in-8.

Ce recueil, où domine le discours d'alexandrins à rimes plates, contient les poèmes suivants : "Juvénal", "Athéisme", "Egoïsme", "Aurolâtrie", "Luxe", "Immoralité", "Symptômes de mort - dégénération physique de l'espèce", "Le Progrès", "Le 8 mai 1842", "Charlatanisme" et "Politicomanie"
Il s'agit d'un ouvrage satirique qu'on peut résumer en grande partie par les titres retenus aux poèmes. Le premier poème "Juvénal" indique le modèle antique qui est suivi. L'auteur s'attaque bien sûr à son siècle, en dénonçant l'idéologie du progrès et l'athéisme conjugués à un progrès de l'égoïsme. La société vit dans la soif de l'or, du luxe, elle n'est plus qu'immoralité. Tout le monde veut être roi, c'est cela la politique d'aujourd'hui, et c'est un monde à deux catégories : filous marchands contre naïfs. Ce monde est fini, il va à une mort inévitable. L'auteur ne lui donne pas son adhésion et, dans sa conclusion, il prétend ne pas se plaindre du roi Louis-Philippe et donc ne pas sentir le besoin de verser dans la discussion politique sur ce que doit devenir l'état. Ceci entre en étrange résonance avec le discours du poème "Charlatanisme" quand on songe à la figure de roi bourgeois dont il prétend ne pas avoir à se plaindre. Un titre est plus opaque, la date "Le 8 mai 1842" invite au souvenir d'un échec cuisant du progrès, un drame ferroviaire entre Versailles et Paris. Non seulement les passages furent broyés par les wagons lors du déraillement du train, mais le feu calcina tous ces corps qui furent encore exposés à la curiosité populaire avant d'être enterrés.
Le recueil est précédé d'un texte en prose "Un mot d'avertissement" qui doit nous intéresser également, d'abord par ses fanfaronnades stupides, ensuite par ce qu'il dit qu'était la version originelle du poème "Juvénal".
Citons quelques passages, je pars de mon cahier de notes :

J'aurais pu facilement doubler ce recueil [...] [et corriger certaines "pièces  trop anciennes" qui deviennent fausses avec le temps] [.... L]e présent recueil avait d'abord été conçu dans un système de faroucherie et de violence à peu près illimitées, et sans exemple, je crois, dans aucune langue. [Je me suis moi-même censuré, tenant compte des amis] sarclant et fauchant à droite et à gauche [...] Des pièces entières ont disparu à cause de leur trop grande excentricité [... J'ai dû commettre des "amputations considérables", mes pièces je les ai "toutes adoucies"] C'est ainsi que, dans la satire première seulement, j'ai retranché un tableau des infirmité corporelles, curieux échantillon de poésie pathologique, et une comparaison du dix-neuvième siècle avec un charnier, morceau d'une couleur étrange, ne manquant pas de caractère, enrichi de toutes les fioritures que la matière pouvait fournir, mon chef-d'oeuvre en un mot [...] [Je suis déçu, mes "satires" deviennent presque une "idylle", mon texte j'ai dû "l'affaiblir", mes pièces sont "toutes édulcorées" et je dois renoncer à séduire par le "scandale".]

 Songeons que, dans "Voyelles", tout commence par le charnier communard du "A noir".
Pommier revendique une audace dans le mauvais goût qui n'a point d'exemple antérieur. Une comparaison est à conduire avec le recueil de 1853 de Victor Hugo Châtiments, d'autant qu'on va retrouver la référence à "Juvénal", l'image du "pilori".
Remarquez aussi dans ce "mot d'avertissement", la forme du mot "faroucherie". Dans l'Album zutique, Rimbaud a donné à sa série inspirée de Pommier le titre "Conneries", j'ai pu dire que ce titre dispensait de signer Amédée Pommier les trois sonnet "Jeune goinfre", "Paris" et "Cocher ivre". Rimbaud a repris les mots suivants des titres de recueils de Pommier : "Colères", "crâneries", "colifichets". Il y fait briller le mot vulgaire à signification sexuelle en même temps "con" bien présent dans le Parnasse satyrique du dix-neuvième siècle.
Mais, une réponse peut s'accompagner d'un complément d'information. Dans le recueil Colères, Pommier s'autorise un grand nombre de mots se terminant par "-ries" au pluriel, parfois par "-rie" au singulier. Certains sont des néologismes ou peu s'en faut. Ils apapraissent surtout vers la fin du recueil, à moins que mon cerveau n'ait réagi tardivement. Nous trouvons "faroucherie" dans l'avant-propos en prose, mais plusieurs sont à la rime. Voici une liste de ce que j'ai relevé : "faroucherie", "Aurolâtrie" (titre et jeu bien sûr sur "Idolâtrie"), rime mais rien à voir pour le sens "seigneurie"::"savaterie" qui m'a marqué dans "Luxe", "hâblerie", "supercheries", "charlatanneries" dans "Charlatanisme", "avocasserie", rabâcheries", "bravacheries", "parlerie" dans "Politicomanie".
Selon moi, le premier poème "Juvénal" a inspiré "L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple", et je remarque que si Colères est le titre du recueil et que le mot "colère" surgit bien dans ce vers : "Quand de son coeur trop plein la colère déborde," depuis longtemps déjà je lie "Voyelles" à la Commune de Paris de "Paris se repeuple", non seulement à cause de la reprise "strideur", "clairons", "suprême", mais aussi à cause de la reprise de "colères" au pluriel dans "colère" au singulier, avec à chaque fois le mot présenté comme un absolu de révolte, c'est-à-dire sans un adjectif ou un complément du nom. Pommier emploi aussi le latin "il tonne ab irato" en associant la colère à l'orage. Rimbaud écrira : "L'orage t'a sacré suprême poésie" avec licence pour l'accord du participe passé apparemment. De "Juvénal", je peux citer encore "Comment pouvoir calmer sa colère qui bout ?"
Il est question de "cataplasmes" et d' "ulcères", puis de "livides ulcères", ce dernier mot revenant dans le recueil. Il y a une description qui fait songer à un modèle pour la transformation de Paris dans "Paris se repeuple". Mes notes sont lacunaires, mais Pommier parle lui de la France, je crois. J'ai relevé ces deux et quatre vers en passant, mai sil faudrait aller plus loin  :

Fomentant de son sein l'effroyable cancer,
Aveuglément livrée au démon de la chair,
Jamais fosse en un mot, jamais mare croupie,
N'égala cette Rome en sa vase accroupie :
C'était un corps putride et rongé par les vers,
Dont les exhalaisons empestaient l'univers !
Je ne vais pas tout développer ici sur les liens à Hugo et à "Paris se repeuple".
Le poème "Juvénal" a un rôle introducteur comme je l'ai dit et à la fin l'ambition d'une nouvelle audace satirique est réaffirmée :

Et prouver qu'avant moi notre langue française
En fait d'emportement n'a su que bégayer ;
[...]
Le poème décrit les débauches d'une Rome décadente, jusqu'à la venue d'un auteur capable d'imposer à la postérité un "pilori vengeur". "Alors parut / Juvénal", sa "parole" est "fouet", "glaive". Pommier admire la langue de Juvénal et pardonne à ces temps de paganisme les propos inenvisageables du point de vue chrétien qu'il peut tenir parfois. Il se propose de l'imiter pour notre siècle. Boileau ne convient pas à notre époque, il ne critiquait que le style, il faut s'attaquer aux moeurs et à l'amour de l'or, à l'égoïsme ambiant d'une "infâme époque". Pommier veut revendiquer l'emploi du "mot populaire", une satire rude et brutale, quand nous sommes habitués à gronder dans une langue policée (ça, c'est de moi). En revanche, Pommier veut être un homme d'honneur. Sa satire doit être générale, il va s'interdire les attaques personnelles, il considère le recours au "nom propre [comme] banni". Cela le distingue du projet hugolien des Châtiments et aussi du sonnet "Paris" de Rimbaud.
Pommier est un poète de second ordre, et ces vers d'une syllabe sont particulièrement mauvais, mais je voudrais quand même indiquer à l'attention des vers qui surnagent dans l'ensemble, qui sont réussis ou qui amènent heureusement une rime.

Elle laissait passer aux mains d'un histrion
Les dépouilles du Sud et du Septentrion.
(Noter que nous sommes encore dans les premiers vers, et que la première rime était "légion"::"région", ce qui confirme que cette rime a été plus méditée que les autres)

[...]
Dans les récits naïfs du calme Suétone.
(Pour vraiment apprécier ce vers, il faut lire ceux qui précèdent, tant pis pour vous)

Un vin qui de la soif l'avait bientôt guéri
(il est question de Locuste...)

                                  [....] l'aruspice qui fend
Le ventre d'un poulet, quelquefois d'un enfant;
(tour très hugolien)

 Et qui sur un turbot à la fin délibère !
(lire les vers qui précèdent)

Et chacun, de l'argent faisant son seul amour,
Veut avoir l'opulence et l'avoir en un jour.
(Dans son traité, Banville parle de savoir renouveler une rime aussi banale que "amour"::"jour", je pense que c'est un bon exemple)

Car, les écus sauvés, qu'importe l'infamie ? 
Nous avons la mention du "fer rouge" dans "Juvénal" ce qui est à rapprocher d'Hugo en 1853, puis de Glatigny, celle du "cloaque". Enfin, bref.

Un autre rapprochement important, c'est celui avec l'alexandrin orphelin de Ricard. Il me faudra rendre compte des poésies de Ricard, et j'aurai à y revenir, mais le monostiche de Rimbaud comporte des mots "humanité", "progrès", l'idée métaphorique d'une marche. Le vers que démarque Rimbaud est contenu dans un poème intitulé "L'égoïste ou la leçon de la mort". Je cite ces deux vers de Ricard valant modèle pour le vers zutique de Rimbaud :

Prends en pitié ce fou qui, se pensant un sage,
Croit que l'humanité marche dans le progrès.

L'Humanité chaussait le vaste enfant Progrès.
(Rimbaud)
Or, dans Colères, sans article comme Châtiments en 1853, Pommier avait composé un poème intitulé "Egoïsme" et un poème intitulé "Progrès". Dans "Egoïsme", nous tombons sur ce vers qui a bien l'air d'un modèle pour Ricard, quand bien même et chez Pommier et chez Ricard tout cela ne va pas sans renvoi à un cliché hors poésie:

On savait où trouver le centre et l'unité,
Et vers un but commun marchait l'humanité.

Dans le poème intitulé "Le Progrès", nous avons les vers suivants :
Pour peu qu'on s'en rapporte à certains optimistes,
De l'âge où nous vivons ardents apologistes,
L'homme touche à des jours de bénédiction ;
Nous marchons à grands pas vers la perfection ;
[...]
Nous aurions atteint un "âge de raison" et l'ironie du poète s'abat sur cette idée en appréciant la recrudescence des suicides, motif romantique qui plus est. Ces gens se tuent pour évacuer leur "trop plein de bonheur", raille Pommier.
Les poèmes "Egoïsme" et "Le Progrès" sont à comparer au discours tenu par Ricard, mais d'autres encore du recueil Colères, par exemple "Athéisme", le troisième poème du recueil, le mot "athéisme" figurant dans le poème "Le Progrès", car cet athéisme que Pommier reproche au monde égoïste où il vit établit une différence avec le discours de Ricard.
Puisque j'en suis au poème "Le Progrès", j'en profite pour indiquer un passage qui a à voir avec l'expression "clysopompes d'argent", j'en aurai un autre à citer plus loin, mais encore un passage qui parlant de la terre fait écho à l'image de la ville de Paris fouillée dans "Paris se repeuple", et enfin deux passages qui sont à l'origine du titre zutique "Cocher ivre" de l'unique sonnet en vers d'une syllabe de Rimbaud qui nous soit parvenu.

                        [...] et le clysoir annule
La seringue d'étain et l'antique cannule.
 ("nonchaloir" mais non "balançoirs" pas loin après)

A notre terre on fait mainte excavation
On entr'ouvre ses flancs [...]
(Cela pourrait faire des vers écologiques d'actualité, en fait ! Quel visionnaire ce Pommier, faut dire aussi qu'avait un nom pareil, il a dû sentir les choses avant tout le monde, par les racines... La mention "chancre hideux" figure aussi plus haut dans le poème.)
De nos jours, le progrès a pris le mors aux dents.
Holà ! ho ! retenez vos chevaux trop ardents,
Perfectibilité, bonne femme un peu soûle,
Qui conduisez le coche où l'humanité roule !
[...]
Choir, cu par-dessus tête [...]
(J'ai eu la flemme de tout recopier.)
Ne la surmenez pas, comme un postillon ivre
Que fouaille à tour de bras la bête qu'on lui livre ;
(il parle de la "terre", ces vers faisant suite à ceux cités sur les "flancs" entrouverts)
 J'ai relevé comme ça "rail-way" et "léviathan" et "paupérisme" en lien à "chancre hideux". C'est de la prise de notes encore sommaire. L'idée du progrès qui va trop vite comme excité par un cocher ou comme un train, cela me fait songer à la science qui va trop vite dans Une saison en enfer. Dans le même ordre d'idées, "jeter les yeux sur nos difformités", cela fait écho pour moi à deux passages de Colères : "Quand je jette les yeux sur notre infâme époque" et "Notre difformité me confond" dans "Symptômes de la mort - Dégénération physique de l'espèce".
Enfin, l'image du cocher fou revient dans le poème final "Politicomanie", mais sans la métaphore de l'ivresse cette fois, la "Chambre" est un "intraitable cocher" qu'on ne saurait comparer à Richelieu qui tenait bien les "rênes", selon Pommier.
J'ai cité plusieurs passages du poème "Le Progrès", mais je reviens au poème "Egoïsme", l'autre poème qui force un rapprochement avec Ricard. Le poème commence ainsi "Le genre humain est vieux", un "grand corps" qui "se dissout", etc. L'ordre et l'unité des anciens, le contraire de l'emballement fustigé par la métaphore du cocher, venait de deux principes successifs, "l'amour de la patrie" chez les païens ou "anciens", et la "foi chrétienne" au Moyen Âge. Il était ainsi question de "soudures morales".
Après, j'ai deux vers mal recopiés, mais je sais que c'est à la page 30. J'arrive à relire le suivant : "Le moi remplit le monde et l'égoïsme est roi." J'ai relevé la rime "coque"::"moque", sans doute parce qu'elle m'a plu ou rendu intéressé. J'ai relevé "fabricateur de mètres", ça c'est dans le mauvais goût de la formule "métromane". Et enfin deux vers bien tournés, du moins du Belmontet à son maximum de possibilité :

C'est dans notre estomac, viscère tant fêté,
Que réside à présent la sensibilité.

J'ai dit que "Athéisme" était à rapprocher de "Egoïsme" et "Le Progrès", c'est le second poème du recueil, il fait donc suite à l'introduction qu'est "Juvénal", ce qui met bien en relier la dénonciation capitale de l'irréligiosité d'une époque.
J'ai relevé les mentions rapprochées "ordre social" et "bases sociales" en songeant au dizain "Epilogue" de Valade ou au dizain de Verlaine en même temps : "pieuvres sociales", etc.
Ce poème comporte aussi le segment "poissarde ivre" à rapprocher de "Pouacre boit" dans "Jeune goinfre" et quelque peu de "Cocher ivre" à nouveau.
Je me suis entouré deux mots à la rime, car je trouve que, même si les vers n'envoyaient pas, leur seul accouplement me séduisait : "Credo":: "fardeau".
Je cite trois vers qui font bien écho à cette question d'un progrès qui s'emballe et remplace la religion, avec une mention capitale de Lucrère, je viens de citer le mot qui doit rappeler un poème des débuts de Rimbaud !

Aux dépens de la foi la science progresse.
La nature est pour nous le monde de Lucrèce,
Navire sans pilote, oeuvre sans ouvriers ;
[...]
L'univers du chimiste et du physicien
L'emporte désormais [...]

Attention, je ne prétends pas que Pommier a été lu par Rimbaud pour la composition de "Soleil et Chair", j'observe autre chose, le fond d'une époque et la possibilité pour Rimbaud de réagir quand il lit une dénonciation de ce qu'il a déjà écrit. En revanche, la seconde partie de la dernière citation me fait penser à "Soir historique", c'est à creuser encore pour moi. Sinon, la mention "Navire sans pilote", sachant que je viens de mentionner "poissarde ivre" dans le même poème et que le titre "Cocher ivre" est né de la lecture de Pommier, j'ai tendance à y voir une source au titre "Bateau ivre".
J'ai encore relevé les quatre vers suivants, à cause du thème de l'enfance :

Et que l'homme ici-bas s'éteigne pour revivre,
C'est ce que ne croit plus le dernier écolier.
L'athéisme aux marmots est déjà familier ;
Son venin a flétri la candeur de l'enfance !

J'ai noté le vers suivant, très réussi, surtout le premier hémistiche :
Enfin, Dieu nous persait : on n'en a plus voulu.
(à rapprocher évidemment de la rime "credo"::"fardeau" relevée plus haut)
Le siècle où nous vivons n'a point de catéchisme.
L'indifférence est là, pire encore que le schisme.
(ces vers n'ont rien de spécial, j'ai observé l'emploi du mot "schisme" et le sens)
Au passage, j'ai noté "torpeurs", sans doute à cause de "Paris se repeuple", recherche à faire.

Encore une rime qui m'a beaucoup plu : "Je crois" et "crânes étroits", mais il faut lire les deux vers pour l'apprécier.
Après, j'ai songé au Père Goriot de Balzac en lisant ceci : "le Christ [...] / Un Dieu, type éternel de la paternité'". J'ai relevé rapidement "nous console", "charité", une rime à retrouver pages 26-27, un "décret sur les processions", "bannières de moire", la rime "filles de joie" :: "publique voie" et la mention "le clairon du jugement dernier".

Passons maintenant au troisième grand rapprochement. Il s'agit du poème "Charlatanisme". Alain Chevrier l'a envisagé comme une source possible du sonnet "Paris" de Rimbaud à cause d'une longue énumération de produits sur plusieurs vers, et cela est repris par Teyssèdre. Je n'avais pas trop réagi à cette hypothèse. Alain Chevrier avait également publié un livre sur les vers d'une syllabe. Mais Chevrier n'envisageait les poèmes de Pommier que comme des sources parmi d'autres aux parodies zutiques, et il ne les envisageait pas comme des cibles des parodies zutiques, mais comme un modèle formel à peu près initial dans un tableau chronologique.
En 2009, j'ai fait une découverte. Verlaine avait moqué l'intérêt de Barbey d'Aurevilly pour les vers d'une syllabe de Pommier, et Daudet qui soutenait Barbey d'Aurevilly dans sa prise en grippe des parnassiens avait écrit contre Verlaine un sonnet en vers d'une syllabe.
C'est là qu'il devint clair pour moi que le sonnet de Rességuier n'était pas le modèle originel depuis lequel tout se distribuait pêle-mêle, et que les cibles zutiques étaient Pommier et Daudet.
Malgré ses intuitions, Chevrier n'a pas posé comme moi l'origine satirique des sonnets en vers d'une syllabe et il n'a pas identifié que Pommier était parodié par ailleurs, ce qu'en revanche j'ai montré abondamment récemment.
En fait, tous les sonnets en vers d'une syllabe de l'Album zutique empruntent à l'oeuvre de Pommier, au sonnet de Daudet, puis parfois empruntent à un sonnet zutique. Les poètes n'empruntent pas exclusivement aux deux poèmes de Pommier en vers d'une syllabe. Par exemple, "lombe" de "Cocher ivre" vient du poème "Aurolâtrie". J'ai eu la flemme de tout recopier, mais j'ai repris la rime et le vers contenant "lombe". Pourquoi la rime ? Parce que "lombe" rime alors avec "colombe", ce qui impose à l'esprit l'idée de "blanche colombe" puisque dans "Cocher ivre", il est question de "Nacre".

                                                        [...] colombe
Achètent l'opulance aux dépens de leurs lombes ;

Le titre "Cocher ivre" est issu justement d'un rapprochement entre plusieurs passages du recueil Colères. Tout se tient.

J'en reviens à "Charlatanisme". Plusieurs passages peuvent justifier un rapprochement avec d'autres de l'Album zutique, un rapprochement par des mentions communes : "et les cors", "graisser les souliers", "Remèdes pour les cors et pour les engelures", "clysoir". J'ai relevé deux vers pour la rime "buse", "abuse" exploitée dans un poème sur deux mesures, dont l'une est de une syllabe, dans l'Album zutique.

Ces escrocs si hardis et ce public si buse,
Qui cent fois abusé, souffre encor qu'on l'abuse,

Je relève la rime "nasse" :: "bonasse" à cause du "Bateau ivre", la rime "sincère"::"s'insère" qui m'a plu, l'orthographe "ognons", l'humanité en deux parts filous et abusés qui me fait songer encore une fois à Une saison en enfer : "les marchands, les naïfs".
Maintenant, je vais traiter rapidement des autres poèmes du recueil.
Du poème final "Politocomanie", j'ai déjà cité quelques éléments : les rimes en "-ries", la métaphore du cocher opposant la Chambre à Richelieu. et l'acceptation du roi bourgeois Louis-Philippe. Un vers de la fin du poème justifie à nouveau un rapprochement avec le sonnet zutique "Paris", à cause de la mention "sergent-de-ville", celle de "gendarme" pouvant faire écho à celle dans "Etat de siège", poème qui contient le mot "engelure" déjà.

Jamais sergent-de-ville, ou patrouille, ou gendarme,
Ne m'a jusqu'à ce jour causé la moindre alarme;
[...]

J'ai noté en vitesse "des changements à vue", "drame verbeux, parade monotone" ou plus obscur pour vous "fils de / progrès / autant de publicistes", ainsi que "cassonade" à cause de vers inédits cités par Delahaye, l'orthographe d'époque "tartufes", une mention du journal "Moniteur" à cause des pré-originales de Coppée, et puis ces deux vers :
Tout perruquier-coiffeur entend bien que son fieu
Laisse la savonnette et monte en plus haut lieu,
[...]

Pour l'instant, je dégrossis un peu les choses. Je reviendrai sur tout cela avec un article fouillé.

Les poèmes dont il me reste à parler sont "Aurolâtrie", "Luxe", "Immoralité" et "Symptômes de la mort - Dégénération physique de l'espèce", car du poème "Le 8 mai 1842", je n'ai rien retenu d'autre que les "e" qui s'enchaînent maladroitement pour des vers dans "entre-heurtés".
Baudelaire serait content de voir la dénonciation de "l'utile" dans "Aurolâtrie". Il a dû l'être, puisqu'il a dû lire ce recueil en 1844 même.
J'ai relevé de bonnes paires de rimes : "pistoles"::"idoles" et "respectable"::"table". Pour cette dernière rime, les deux vers étaient très bien tournés, mais je ne les ai pas recopiés.
J'ai déjà cité le cas de "lombes". La "passion de l'or" est bien sûr opposée au "désintéressement" et à la fin du poème les vers sont décrits comme un "crachat" envoyé à la face de ce "siècle" "De marchands". "Je te jette ces vers [....]".
J'ai relevé quelques vers bien écrits :

Aujourd'hui le seul crime est une bourse vide ;
(bon trait d'esprit à la Hugo)

Et que celui-là seul est vraiment dans l'opprobre
Qu'une maigre chevance oblige d'être sobre.

Du poème "Luxe", j'ai déjà cité la rime "seigneurie"::"savaterie", il faudrait lire les vers qui la contiennent en fait. Je cite aussi le vers suivant bien tourné au sujet de la particule :
Le de devient vulgaire et qui veut s'emmarquise[.]

J'aime bien aussi la construction rythmique du couple de vers suivant :
On n'a ni draps de lit, ni serviettes, ni vin,
Mais ce qu'on montre est cher et superbe et divin.
Pour "Immoralité", j'ai noté les vers du début :

C'est un immense égout dont je fais le curage,
Travail nauséabond, labeur herculéen,
Qui voudrait un balai bien plus fort que le mien.
(j'ai pensé à "L'Egout de Rome" traité dans Les Châtiments, Juvénal oblige, mais aussi au dizain "Le Balai" qui parle plutôt de chiottes toutefois)
J'ai relevé "verrat" à cause de Mérat, mais je ne sais pas trop quoi en faire.
Puis, j'ai pris au passage "boulevards aplanis", "gaz", "bitume", tout un travail à faire sur le changement de la ville de Paris, en songeant au "Cycgne" de Baudelaire, au Paris hausmanien, à ceci près que Pommier écrit en 1844, mais il y a tout ce discours sur l'insalubrité des vieux immeubles qui disparaît pour de nouveaux boulevards. On prêterai au régime de Napoléon III quelque chose d'entamé un peu avant, on dirait.
Surtout, j'ai noté le mot "tabagie" tout seul, mais l'idée c'est que Pommier en fait un symbole d'incivisme vis-à-vis des femmes, car on fume au nez des gens. J'ai pensé à l'anecdote rapportée par Mercier du geste cruel et inexplicable de Rimbaud fumant dans les naseaux d'un cheval. Les parodies de Pommier étant contemporaines de cette étrange action, je me demande si l'explication ne viendrait pas des vers de "Immoralité".

J'ai noté deux vers à rapprocher de "Vénus anadyomène". Pour le coup, je me demande franchement si Rimbaud n'avait pas lu le recueil de Pommier, surtout que le mot "ulcère" est déjà là avant "Paris se repeuple".

Etalant les rondeurs de la hanche et du sein,
[...]
Et montrant au public leurs cuisses tout entières.

A cause de "L'Angelot maudit" dont je montrerait qu'il emprunte aussi à l'oeuvre de Pommier, j'ai relevé "carrefour" et "quartiers en cloaques", puis j'ai noté "Concert Musard".

Nous voilà au dernier poème : "Symptômes de mort - Dégénération physique de l'espèce."
J'ai noté l'expression "égoïsme profond", mais dossier Ricard encore devant nous.
J'ai noté la rime amusante "cierges" : : "asperges"., une suite de diérèses désagréables sur plusieurs vers consécutifs : "détériore", "babouins", "grouins". La caractérisation de notre monde comme "énervé", mais au sens de "sans nerf" :

Moi, produit énervé de notre ère moderne,
[...]
Nous n'avons plus de nerf [...]

Et pour terminer, je cite quatre vers :

Plus de lois, plus de moeurs ; tous les vices fétides
Supplantent les vertus, nobles cariatides,
Qui, du grand édifice appui primordial,
Debout, prêtaient l'épaule au temple social.

Je ne sais pas trop comment exploiter la mention "cariatides" soit côté Banville, soit côté "Paris se repeuple", mais je préfère la relever.
Voilà, ce sera tout pour ce recueil. Les autres comptes rendus ne seront pas aussi décousus, le recueil Colères a une importance à part.