Je l'avais annoncé, m'y voilà, je m'en occupe. Je travaille donc enfin sur le monostiche de Ricard que j'appellerai désormais alexandrin isolé, solitaire ou orphelin.
Cet alexandrin pose deux problèmes à l'analyse. D'abord, il y a plusieurs vers solitaires dans l'Album zutique, mais en général ils s'apparentent à une sentence, et ils ont un modèle (notamment un pour lequel il est carrément question de démarcation) dans la mention du vers de Corneille qui côtoie la série de Promenades et intérieurs dans le numéro du Monde illustré. Je n'irai sans doute pas très loin sur ce sujet.
Ensuite, il y a la signification zutique et critique qu'implique une telle parodie. J'ai montré que Rimbaud réécrivait un vers du poème "L'Egoïste" de Ricard. On cite désormais ce passage. En réalité, j'avais tout un dossier de vers où revenaient les mots clefs "Progrès", "Humanité" et la métaphore de la marche, de l'avancée, etc. Je dois refaire ce dossier suite à tout ce que j'ai perdu. En tout cas, Claisse et Teyssèdre ont tous deux pondu des études de ce vers en tenant compte de ma découverte. Toutefois, ils ont assez peu cité d'autres passages de l'oeuvre de Ricard. On en revient à une amorce considérée superficiellement. Claisse a proposé une analyse où Rimbaud se moque de l'idée du progrès de Ricard et il en a fait un signe précurseur de la pensée critique sur le progrès des poèmes en prose des Illuminations. Je crois, mais je vérifierai d'ici l'article, que c'est Claisse qui dit que Rimbaud résume en un vers l'oeuvre de Ricard. Teyssèdre a proposé une lecture différente où Rimbaud ne décrierait pas ainsi Ricard, puisque celui-ci était tout de même un communard ami de Verlaine.
A cela s'ajoute l'idée de lecture obscène du vers. Le contexte zutique est l'argument fort pour considérer cette lecture obscène comme imposable d'office. Il suffit de lire "chausser" dans un sens sexuel. Je crois qu'il est difficile d'évacuer la nécessité de la lecture obscène, mais, en même temps, elle n'a l'air que d'être là pour justifier la transcription zutique. Ce n'est pas une obscénité efficacement railleuse, et c'est ce qui m'embête assez franchement quand je songe à commenter ce vers.
En tout cas, j'ai trouvé une nouvelle perle au sujet de cet alexandrin solitaire parodiant Ricard. Le poème de Ricard date des années 1860 et il est nourri de ce qui a été publié auparavant. C'est là que nous retombons dans l'éternel problème des sources qui ne se lisent plus aujourd'hui.
En 1844, Amédée Pommier a publié un recueil intitulé Colères. J'ai démontré récemment que les sonnets en vers d'une syllabe étaient liés à un texte de Verlaine qui moquait l'intérêt de Barbey d'Aurevilly pour les vers d'une syllabe d'Amédée Pommier, et, comme Alphonse Daudet, prenant le parti de Barbey d'Aurevilly, avait publié un sonnet en vers d'une syllabe tourné contre Verlaine qu'il parodiait dans le Parnassiculet contemporain, cela a justifié la naissance de sonnets parodiques en vers d'une syllabe en série.
Je vais bientôt publier sur papier toute une synthèse des emprunts des sonnets zutiques à Amédée Pommier et d'autres interconnexions dans la foulée.
Mais, ce que je remarque, c'est que Rimbaud est arrivé à Paris à la mi-septembre de l'année 1871. Valade dans ses lettres parle déjà de "corruptions inouïes", et donc quand nos poètes écrivent dans l'Album zutique l'erreur c'est de croire que tout est frais du matin dans l'inspiration.
Or, l'alexandrin sur Ricard vient peu avant la première grande série de sonnets en vers d'une syllabe par Léon Valade.
Et ce que j'ai découvert, c'est que le poème de Ricard "L'Egoïste" s'inspire de Pommier et notamment d'un poème intitulé "Egoïsme", le troisième du recueil Colères de 1844. Et, cerise sur le gâteau, le vers parodié par Rimbaud, Ricard l'a lui-même démarqué d'un vers du poème "Egoïsme" : "Et vers un but commun marchait l'humanité."
Je dois donc prendre un certain temps pour inspecter tout l'aspect réplique à Pommier du poème de Ricard.
Je dois donc étudier tout Pommier et tout Ricard, avant de revenir à cet alexandrin orphelin de Rimbaud.
Et cela ne s'arrêtera pas là, car le premier poème des Colères s'intitule "Juvénal", et il est une source, sans doute des Châtiments, mais aussi de "L'Orgie parisienne ou Paris se repeuple", dont je pense que là je vais définitivement faire exploser sa légende de poème écrit le lendemain de la semaine sanglante comme l'atteste la datation livrée par les publications initiales et par Verlaine.
Le poème est antidaté pour des raisons mémorielles, peut-être de la part de Verlaine avec l'intention de ne pas montrer qu'en 1872 Rimbaud pouvait encore écrire un poème d'adhésion à la Commune. Mais, là, ce que j'ai, je considère avoir un nouvel indice probant que le poème a été composé à Paris.
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