En 1975, à une époque où il n'existait pas de revue Parade sauvage, de renouveau des études du vers par Roubaud, Cornulier, etc., d'articles de Claisse, Chambon, Ascione, etc., à peine quelques premiers articles précoces de Reboul, ni encore aucun livre recueillant les études de détail d'Antoine Fongaro, Gérald Schaeffer a publié une édition critique commentée des Lettres du voyant de très haute volée, étude elle-même précédée d'un long essai La Voyance avant Rimbaud par Marc Eigeldinger. De manière étonnante, cet ouvrage et les apports de Schaeffer sont complètement minorés au vu des publications rimbaldiennes courantes. Ce qui est surtout cité, c'est le mot "voyance" et c'est donc sous forme de réprobation allusive que ce livre de 1975 est le plus souvent évoqué par les rimbaldiens. En effet, Guyaux a fait remarquer que Rimbaud employait le mot "voyant", mais pas expressément le mot "voyance", et plusieurs rimbaldiens, comme Reboul, Fongaro, Murphy et d'autres, non pas des moindres, ont souvent repris cet argument pour considérer que la notion de "voyant" n'implique pas les perspectives délirantes du concept de voyance. Personnellement, je suis convaincu que ce rejet de principe ne relève pas d'une bonne méthode d'approche littéraire. En plus, même si cela commence à dater, j'ai lu il y a très longtemps deux livres de Marc Eigeldinger. Que je les ai lus en intégralité ou en grande partie, peu importe, vu que je n'en ai pas vraiment conservé quelque chose en mémoire, mais dans mon souvenir il reste cette conclusion que j'ai mieux aimé lire l'essai "La Voyance avant Rimbaud" que les deux livres en question, l'un devait avoir pour titre Lumières du mythe et l'autre Le Soleil de la poésie avec peut-être une mention de Gautier en sous-titre, mais je devrais aller vérifier.
Mais c'est à se demander si la mauvaise presse du titre de l'essai d'Eigeldinger n'a pas rejailli sur les commentaires ligne à ligne des deux lettres pas Schaeffer, ce qui est vraiment dommage.
Schaeffer analysant les deux lettres, il fait donc un sort à celle plus courte envoyée à Izambard et dont je soutiens personnellement qu'elle est la seule connue et la dernière d'une série de lettres à Izambard qui a forcément dû précéder la lettre du 15 mai à Demeny, ce que les témoignages d'Izambard confortent nettement. Il prétend lui aussi avoir reçu une version autographe de "Mes Petites amoureuses" et un panorama de l'histoire littéraire mentionnant avec mépris quantités d'auteurs classiques.
Mais un autre fait doit retenir l'attention. La lettre du 13 mai à Izambard contient un développement inédit, puisque non repris dans la lettre à Demeny, celui de l'opposition entre poésie objective et poésie subjective. Comme il n'est pas repris, on peut être tenté d'en minimiser l'importance. En réalité, ce n'est pas parce que c'est absent de la lettre à Demeny que c'est nécessairement moins judicieux. Rimbaud ne se souciait pas d'exhaustivité dans une lettre où il prétend ne pas pouvoir tout expliquer à son destinataire.
Du point de vue étymologique, j'ai eu un jour l'idée d'opposer le fait que la poésie subjective est produite par un sujet "Je" qui s'ignore, tandis que la poésie objective est le résultat d'une objectivation du "Je" qui se regarde comme à travers un miroir avant de rendre compte de quoi que ce soit. C'est tout de même sensé puisque la lettre parle de connaître son propre moi. En plus, dans le livre de Schaeffer, page 119, une citation de Littré va précisément dans ce sens :
Objectiver le subjectif, examiner comme un objet d'étude notre propre moi et chacune de ses expressions et de ses opérations.
Dans le livre de Schaeffer, il est rappelé qu'après un développement particulier par Descartes c'est Kant et puis Fichte qui ont façonné l'opposition conceptuelle entre objectif et subjectif. Ceci dit, dans le cas de Rimbaud, c'est le pouvoir objectif qui est valorisé et pas le pouvoir subjectif. Il me semble qu'il faudrait passer un peu de temps à mettre les choses au clair sur toute cette genèse du concept. Cependant, j'en viens plus vite à ce qui m'intéresse. Dans son étude, Schaeffer cite plusieurs extraits de Théophile Gautier opposant poésie objective et poésie subjective. Il ne cite pas quelqu'un d'autre, il cite Théophile Gautier ! Plus précisément, Schaeffer s'appuie sur une définition d'époque du Littré et il cite un extrait de l'ouvrage de madame de Staël De l'Allemagne qui a servi à introduire les idées allemandes en France et qui est aussi l'un des ouvrages ayant initié l'émergence d'un mouvement romantique en France comme chacun sait. Littré rappelle que le mot "objectif" avait le sens de "conceptuel" chez Descartes, mais que l'opposition propre au dix-neuvième siècle du subjectif et de l'objectif vient de Kant et de Fichte, et il cite enfin un extrait de madame de Staël qui explique les significations des deux adjectifs :
[objectif] aujourd'hui [...] est opposé à subjectif, et se dit de tout ce qui vient des objets extérieurs à l'esprit ; cette nouvelle acception, qui est seule maintenant en usage, est due à la philosophie de Kant. "On appelle dans la philosophie allemande, idées subjectives celles qui naissent de la nature de notre intelligence et de ses facultés, et idées objectives toutes celles qui sont excitées par les sensations" Staël, All. III, 6.
Personnellement, je lis ça et je me reporte à la lettre à Izambard, je reste loin de comprendre ce qu'a bien pu vouloir dire Rimbaud, mais bref ! On pourrait croire que l'autorité de madame de Staël nous dispense de nous référer à d'autres sources françaises. On peut se dire que Victor Hugo, Balzac et bien d'autres sont passés par là. Nous pouvons songer à des auteurs que plus personne ne lit, mais qu'il est de bon ton de mentionner dans les histoires du romantisme ou de la littérature du dix-neuvième siècle en France, Ballanche, Quinet, etc. Mais, justement, c'est ce que Schaeffer ne fait pas, tandis que nous-même serions bien en peine de citer un emploi opposant l'objectif et le subjectif à la manière philosophique dans un écrit d'Hugo, de Baudelaire, de Nerval, de Leconte de Lisle, etc. On sent bien que quelque chose échappe. Rimbaud a-t-il pris sa référence directement dans le livre de madame de Staël ? C'est dur à croire. Or, Schaeffer va citer pas moins de trois extraits de Théophile Gautier.
Le premier extrait cité est annoncé comme un résumé des théories de Tôpffer (je ne sais pas qui c'est ?) :
De tout ceci, il ne faut pas conclure que l'artiste soit purement subjectif ; il est aussi objectif : il donne et reçoit. Si le type de la beauté existe dans son esprit à l'état d'idéal, il prend à la nature des signes dont il a besoin pour les exprimer.
En note 9 de bas de page, nous avons la référence de l'extrait : "L'Art moderne, M. Lévy, 1856, p. 135." Et la note précise aussi qu'il convient de corriger une coquille : "Il faut lire 'pour l'exprimer' ".
Remarquons que le vocabulaire de la citation "dans son esprit", "il prend", etc., coïncide avec le style de la lettre rimbaldienne et que la syntaxe de la phrase entamée par une subordonnée en "si" : "Si le type de la beauté..." entre sans peine en résonance avec cette succession très connue de deux phrases de la lettre à Demeny du 15 mai : "[...] si ce qu'il rapporte de là-bas a forme, il donne forme : si c'est informe, il donne de l'informe." Pour le verbe "prendre" : "il prend à la nature", citons ce passage avec calembour à la clef de la même lettre à Demeny : "[La femme] trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons." Pour les emplois du mot "esprit" et de la locution "dans son esprit", il s'agit d'emplois types du dix-neuvième siècle, mais le mot "esprit" revient à plusieurs reprises de toute façon dans la lettre à Demeny, la formule "dans son esprit" est plutôt employée dans la prose liminaire d'Une saison en enfer que dans les lettres de mai 1871. Toujours est-il qu'on sent que, depuis 1975, aucun rimbaldien n'a cherché à partir de la courte citation fournie par Schaeffer pour cerner plus largement l'influence éventuelle d'une étude fouillée de Gautier sur les propos de Rimbaud dans ses deux lettres ! Pour l'instant, je ne suis pas excepté.
Schaeffer poursuit avec une citation brève de Gautier à propos de son ami Nerval : "Il était plus subjectif qu'objectif, s'occupait plus de l'idée que de l'image." Le propos devient plus exploitable pour étudier la poésie de Rimbaud que celui de madame de Staël sur les sensations, me semble-t-il. En note 10 de bas de page, Schaeffer mentionne une édition de 1874 de l'Histoire du romantisme. Je possède cet écrit en un ou plusieurs exemplaires, notamment en volume de la collection Folio. De mémoire, c'est un écrit de la fin de vie de Gautier, vers 1872 carrément. Il ne peut donc avoir influencé l'écriture de la lettre à Izambard du 13 mai 1871, quand bien même il s'agit d'une citation du début de l'ouvrage (page 18). La note 10 de bas de page se poursuit avec une citation d'un article du Globe datant de 1825, citation qui va éclairer le lecteur de Schaeffer, mais citation qui ne fut probablement pas connue de Rimbaud, lequel n'avait pas à sa disposition un index lui permettant de retrouver tous les textes ayant fait état de l'opposition du subjectif et de l'objectif avant Gautier. Je cite tout de même cet extrait refoulé en note de bas de page par Schaeffer :
Kant, dans ses Considérations sur le beau, semble admettre qu'il existe un genre spécial de poésie dont les éléments se trouvent plutôt en nous que hors de nous, plutôt dans le monde subjectif qu'objectif. Ce genre consiste à introduire dans la poésie une foule d'idées et d'impressions empruntées aux profondeurs de l'âme. Pour parler plus clairement, suivant cette vue, la poésie romantique serait plus la poésie de l'âme que la poésie des images.
Je rappelle la source en citant Schaeffer lui-même dans sa note : "Le Globe du 8 octobre 1825 publie une lettre sur 'les Définitions du romantisme données en Allemagne et en Angleterre".
En réalité, cette citation pose problème et on voit bien que Schaeffer a évité de s'attaquer au problème des contradictions entre sources. Kant valorise le subjectif et non l'objectif et on tend à faire du subjectif un apport nouveau du romantisme. La littérature de l'âme sera de la poésie subjective. Certes, Rimbaud critique les limites du romantisme dans sa lettre, mais d'une part il les met au-dessus des classiques en tant que découvreurs d'un début de poésie de voyant, et d'autre part il reproche plutôt à ses devanciers d'avoir repris "l'esprit des choses mortes". On sent bien qu'on ne peut pas harmoniser les renvois au Globe, à Gautier, à madame de Staël, à Kant, pour préciser la pensée de Rimbaud. Il va forcément falloir trancher. Enfin, la note 10 de bas de page se poursuit avec un renvoi allusif qui n'est peut-être pas inintéressant. Schaeffer a trouvé cette citation du Globe dans un ouvrage de Jean Gaudon, Le Temps de la contemplation, page 427, et il précise que dans le même ouvrage page 44 Gaudon fait état d'une discussion entre Nodier et Hugo sur objectif et subjectif. Malheureusement, Schaeffer ne fait que nous y renvoyer et n'en développe rien dans son étude. Pour terminer, Schaeffer cite un développement de Gautier à propos de Baudelaire, mais il s'agit à nouveau d'une citation de cette Histoire du romantisme postérieure à l'écriture des lettres "du voyant" :
[Baudelaire] pensait qu'à l'art naturel des beaux siècles devait succéder un art souple, complexe, à la fois objectif et subjectif, investigateur, curieux, puisant des nomenclatures dans tous les dictionnaires, demandant des couleurs à toutes les palettes, empruntant à la science des secrets, à la critique ses analyses, pour rendre les pensées, les rêves et les postulations du poète.
Et Schaeffer se contente alors d'une dernière citation, de Nerval cette fois, l'ami de Gautier, qui, dans ses Nuits d'octobre, écrivait :
Le moi et le non-moi de Fichte se livrent un terrible combat dans cet esprit plein d'objectivité.
Comme si Rimbaud avait lu les mêmes sources que lui, Schaeffer conclut ainsi avant de passer à d'autres considérations sur la lettre à Izambard :
Le rêve de Rimbaud est bien de faire fusionner dans une oeuvre le moi et le non-moi, de manière à rendre compte de l'existence humaine tout entière.
Pourtant, outre que cette phrase de conclusion facile à lire est un peu rapide et sommaire, on sent bien que quelque chose ne va pas, qu'on n'a pas le tout des lectures de Rimbaud lui-même l'amenant à parler de "poésie subjective" et de "poésie objective". Il est improbable que Rimbaud ait lu les citations du Globe ou de madame de Staël directement, il ne cite pas Nerval et la mention des "Nuits d'octobre" à retenir est plutôt le mot "objectivité" sans opposition d'ailleurs à "subjectivité" ou "subjectif", tandis qu'il est impossible que Rimbaud ait lu les deux mentions à propos de Nerval et Baudelaire dans une Histoire du romantisme, publiée ultérieurement et même écrite après le mois de mai 1871 par Gautier. Seule la citation de L'Art moderne est une source d'influence plausible pour la rédaction de la lettre à Izambard. Schaeffer aurait dû hiérarchiser l'influence potentielle des sources, ce qu'il n'a pas fait. Mais, après lui, personne non plus n'a poursuivi les recensements, et c'est bien dommage.
Or, prenons maintenant, la nouvelle Spirite qui fait moins de 200 pages. Cette nouvelle n'a pas si couramment éditée de nos jours. Elle est absente des recueils d'histoires fantastiques de Gautier vu sa longueur et je n'ai vraiment pas l'impression que l'ouvrage soit souvent publié seul ou accompagné d'un autre écrit de Gautier dans les collections des éditeurs courants. Il s'agit pourtant d'une nouvelle encore quelque peu récente à l'époque de Rimbaud. La nouvelle a été rédigée en 1865 et publiée en 1866. Gautier est celui à qui Baudelaire a dédié Les Fleurs du Mal recueil que Rimbaud a dû connaître avant tout dans l'édition posthume de 1868 précédé d'une très longue préface de Gautier, quand au vingtième siècle on publie la version de 1861 avec deux ou trois exceptions en faveur de la version originale censurée de 1857. Gautier fait partie du rare lot d'écrivains voyants cités par Rimbaud dans sa lettre à Demeny du 15 mai 1871. Musset étant exclu, Rimbaud cite comme poètes un peu voyants au dix-neuvième siècle, avant l'émergence de l'école nouvelle du Parnasse six poètes en tout et pour tout : Lamartine, Hugo, Gautier, Banville, Leconte de Lisle et Baudelaire. On sent que Gautier et Leconte de Lisle ont aussi peu retenu l'attention que Lamartine, et il faut ajouter qu'il y a tout un paradoxe dans ce rejet, puisque loin d'acter que Rimbaud distingue l'école nouvelle, donc le Parnasse, des poésies de Gautier et Leconte de Lisle, les historiens de la littérature (ce qui va au-delà des rimbaldiens bien sûr) considèrent que Rimbaud rejette la poésie descriptive parnassienne pour la poésie des visions. On commence à bien cerner le malentendu qui nous vaut une absence de réflexion sur les antécédents de Gautier et Leconte de Lisle en tant que poètes voyants. Rimbaud vante la poésie objective et visiblement dans la continuité des écrits de Gautier. A l'heure actuelle, il existe un décalage universitaire entre les rimbaldiens qui n'opposent pas le romantisme et le Parnasse, alors que cette opposition demeure pour les universitaires non spécialistes de Rimbaud, et partant pour la population en général. Ici, on sent qu'on pointe directement une dimension importante de cette confusion. Mais, avec le récit Spirite, on découvre que Gautier a mentionné à d'autres reprises les notions opposables d'objectif et de subjectif dans des écrits facilement accessibles à l'époque de Rimbaud. Cette nouvelle place ces concepts sous un jour platonicien, sachant que Rimbaud adopte, fût-ce un peu involontairement, une logique dualiste platonicienne quand il parle de rapporter de "là-bas" de l'informe ou de la forme, sous un jour swedenbrogien également et enfin sous le patronage de l'idée qu'il existe des voyants en ce monde, , puisqu'avec la mention du suédois Swedenborg nous avons encore l'idée d'un "ciel pénétrable aux seuls yeux des voyants." Ma citation vient de la dernière page 215 de mon édition de Spirite, cette phrase n'étant suivie que de trois brefs paragraphes de fin du récit.
Je vais faire prochainement d'autres développements au sujet de cette nouvelle, notamment dans l'article de conclusion sur le poème "Fleurs" des Illuminations, mais dans cette nouvelle qui n'est pas sans faire songer au roman Mademoiselle de Maupin nous avons l'histoire qui tourne autour d'un héros insatisfait par les amours de ce monde et qui va être approché par une jalouse amante venue de l'au-delà. Au milieu du récit, l'intrigue étant un peu avancée, la femme de l'au-delà, baptisée Spirite par son soupirant, finit par la médiation de Guy de Malivert, le héros masculin, par transcrire en dictées le récit de son ancienne vie humaine. Il y a un peu de malice et d'ironie de la part de Gautier envers l'aspiration métaphysique du héros. Cette femme était huit ans plus jeune environ que Guy de Malivert et elle est morte avant d'avoir pu déclarer sa flamme. Elle n'avait que treize ans quand elle a vu pour la première fois Malivert qui allait voir sa soeur dans un couvent. Puis, elle a joué de malchance. Malivert est parti un certain temps en Espagne et quand des occasions de se rencontrer se sont présentées, si elle n'a pas manqué de voir et d'observer Malivert, celui-ci ne s'est à chaque fois rendu compte de rien. Il s'agit donc d'une histoire d'amour réparatrice par-delà la mort en quelque sorte, mais avec une conclusion fantastique et angélique qui va se mettre en place...
Or, sous prétexte qu'une fois mort les gens connaissent toutes les langues, ont un savoir supérieur et voient les idées directement et non les mots, conception platonicienne donc, cette femme Spirite va tenir des propos qui peuvent faire penser à une femme de lettres, et Spirite en a bien conscience et s'empresse de dire que ce n'était pas du tout le cas dans sa vie, il s'agit bien d'une qualité de vue gagnée après la mort dans son cas. Et ce qui est intéressant, c'est que c'est dans la dictée de Spirite et donc dans le discours de cet être possédant une connaissance de l'au-delà qu'il va être question de l'objectif et du subjectif dans l'art. Bien qu'elle ne fût pas femme de lettres, Spirite quand elle était encore une humaine adolescente avait appris le nom d'emprunt de Malivert en tant qu'écrivain et suivait de près tout ce qu'il publiait. Je vous laisse apprécier la réflexion suivante qu'elle nous livre :
Lire un écrivain, c'est se mettre en communication d'âme [...]
Cela se comprend à plusieurs niveaux dans l'économie de la nouvelle, puisque s'y superposent l'idée classique du dialogue entre amis, à la recherche amoureuse d'une fille adolescente et bien sûr le plan final de la relation entre l'écrivain et un être immatériel venu de l'au-delà.
Que les livres de Swedenborg soient un probable ramassis d'inepties, je suis le premier à le penser, d'autant que la mise en scène de la nouvelle Spirite en fait précisément un prétexte artificiel pour produire une littérature fantastique de fantaisie, mais il n'en reste pas moins que nous avons au moins deux témoignages de son importance pour Rimbaud, un d'Henri Mercier relayé par Darzens, l'autre d'Isabelle Rimbaud, témoignages qui vaut l'un pour la fin de l'année 1871 et 1872, l'autre pour l'année 1875. Cette importance était toute relative, toute littéraire en somme, mais il faudra bien un jour ou l'autre faire une mise au point là-dessus. Il convient de citer la suite du discours de Spirite, car cela fait écho à tout ce que peut dire Rimbaud lui-même :
[...] Lire un écrivain, c'est se mettre en communication d'âme ; un livre n'est-il pas une confidence adressée à un ami idéal, une conversation dont l'interlocuteur est absent ? Il ne faut pas toujours prendre au pied de la lettre ce que dit un auteur : on doit faire la part des systèmes philosophiques ou littéraires, des affectations à la mode en ce moment-là, des réticences exigées, du style voulu ou commandé, des imitations admiratives et de tout ce qui peut modifier les formes extérieures d'un écrivain. Mais, sous tous ces déguisements, la vraie attitude de l'âme finit par se révéler pour qui sait lire ; la sincère pensée est souvent entre les lignes, et le secret du poète, qu'il ne veut pas toujours livrer à la foule, se devine à la longue ; l'un après l'autre les voiles tombent et les mots des énigmes se découvrent. Pour me former une idée de vous, j'étudiai avec une attention extrême ces récits de voyage, ces morceaux de philosophie et de critique, ces nouvelles et ces pièces de vers semées çà et là à d'assez longs intervalles et qui marquaient des phases diverses de votre esprit. Il est moins difficile de connaître un auteur subjectif qu'un auteur objectif : le premier exprime ses sentiments, expose ses idées et juge la société et la création en vertu d'un idéal ; le second présente les objets tels que les offre la nature ; il procède par images, par descriptions ; il amène les choses sous les yeux du lecteur ; il dessine, habille et colore exactement ses personnages, leur met dans la bouche les mots qu'ils ont dû dire et réserve son opinion. [...]
On pourrait dire que l'écrivain réserve son opinion comme Rimbaud prétend réserver la traduction... Appréciez la transposition de cet extrait à la lecture de la lettre du 13 mai; Izambard est dans la poésie subjective fadasse, non pas simplement qu'il se laisse aller à un sentimentalisme personnel irréfléchi, mais grâce à la dictée de Spirite, nous pouvons dire que la poésie subjective d'Izambard "exprime ses sentiments, expose ses idées et juge la société et la création en vertu d'un idéal", et c'est ce que Rimbaud appelle "roule[r] dans la bonne ornière" !
D'autres articles sur la nouvelle Spirite vont suivre, notamment sur l'expression "azur noir" bien que dans le contexte immédiat de la nouvelle, chapitre XV, elle semble n'avoir aucun pouvoir éclairant sur la poésie rimbaldienne.
Laissez-moi bien profiter de ma lecture et de mes relectures aussi, et puis vous aurez ces articles et ma mise au point finale sur le poème "Fleurs".