dimanche 27 novembre 2022

Il professait "subjectivement"...

Je cite une phrase du tout début du roman Voyage au centre de la Terre de Jules Verne.
Dans mon précédent article, j'insistais sur l'idée que Rimbaud a dû manier l'opposition objectif et subjectif à partir d'écrits de Théophile Gautier. Il y a à cela quantité d'arguments convergents.
Au début de l'année 1871, Rimbaud était  encore un adolescent qui n'avait pas un accès fabuleux à tous les livres. Le couple "objectif" / "subjectif", il ne le rencontrait sans doute pas dans des poésies en vers, il s'agit de termes abstraits en principe peu heureux en poésie. Il est logique de considérer que Rimbaud a composé ses  réflexions sur la poésie à partir d'ouvrages qui sont eux-mêmes des essais en prose. Nous avons vu qu'à part Gérald Schaeffer aucun rimbaldien ne s'est intéressé à la question des sources de Rimbaud à ce propos. Pourtant, un fait attire d'emblée l'attention. Schaeffer ne cite pratiquement que des extraits de Théophile Gautier et il s'agit toujours de citations appartenant à la critique ou au commentaire d'art. Il s'agit donc visiblement d'un couple spécifique à l'écriture d'analyse de Gautier. Vu que Schaeffer cite des sources anachroniques (Histoire du romantisme), je pars du principe que l'ouvrage de 1856 L'Art moderne de Gautier est un sérieux candidat comme source à la composition de la lettre à Izambard du 13 mai 1871, il faut que j'étudie ce livre de près. J'ai ajouté une autre source avec un passage de la nouvelle Spirite, écrit de fiction cette fois, mais je sens que L'Art moderne est essentiel au débat. Il est normal que Rimbaud élabore ses thèses sur la poésie, son avenir et son pouvoir révélateur à partir de lectures critiques en prose sur la poésie ou sur les arts comme la peinture, ouvrages en prose cependant délaissés par les universitaires qui font plutôt des recherches à partir des poèmes, romans, etc., en excluant même assez souvent la presse. La préface de Gautier à la troisième édition des Fleurs du Mal ou les préfaces de Leconte de Lisle à ses recueils de poésies n'ont jamais été considérées comme des lectures rimbaldiennes indispensables, ce qu'elles sont pourtant. En plus, le couple "subjectif" et "objectif" tel que l'emploie Rimbaud n'a jamais été associé à un écrit en prose antérieur précis. Toutefois, ce n'est pas logique. Rimbaud a forcément rencontré ce couple dans ses lectures plutôt que dans des conversations orales perdues à jamais avec le tout venant, et si c'était un objet de conversation courante comment expliquer l'absence de citations abondantes dans la littérature du dix-neuvième siècle ? Si c'était un sujet d'échanges à l'oral, c'est qu'il y avait une littérature derrière. Or, personne ne cite un extrait d'un roman de Balzac ou d'Hugo, ou de Sand, etc., pour fixer l'emploi rimbaldien de l'opposition "subjectif" et "objectif". On n'en trouve pas ainsi spontanément même quand on a énormément lu.
Ce n'est pas tout.
Ici, je fais une citation d'un roman de Jules Verne Voyage au centre de la Terre et vous pouvez remarquer que c'est non pas l'adjectif "subjectif" qui est employé, mais l'adverbe "subjectivement", et surtout il est employé seul, sans opposition mécanique à "objectif" ou "objectivement" :
   Il était professeur au Johannaeum, et faisait un cours de minéralogie pendant lequel il se mettait régulièrement en colère une fois ou deux. Non point qu'il se préoccupât d'avoir des élèves assidus à ses leçons, ni du degré d'attention qu'ils lui accordaient, ni du succès qu'ils pouvaient obtenir par la suite ; ces détails ne l'inquiétaient guère. Il professait "subjectivement", suivant une expression de la philosophie allemande, pour lui et non pour les autres. C'était un savant égoïste, un puits de science dont la poulie grinçait quand on en voulait tirer quelque chose : en un mot, un avare.
On voit que l'idée du "subjectif" est liée à une certaine représentation de la pensée allemande. Je l'ai déjà dit, l'approche subjective est valorisée dans la philosophie allemande depuis sa formulation théorique par Kant. Ici, elle est traitée ironiquement par Verne, mais que ce soit l'emploi authentique ou l'emploi ironique par Verne nous sommes face à des conceptions du subjectif qui n'ont rien à voir avec l'emploi rimbaldien.
Gautier et Rimbaud emploie les deux mots "objectif" et "subjectif", et ils valorisent le premier terme sans se plier à l'étymologie pour autant...
Dans son étude des "lettres du voyant", Schaeffer cite l'opposition du subjectif et de l'objectif dans la pensée allemande en référençant ce qu'en dit madame de Staël dans son essai De l'Allemagne et puis en citant des extraits, en principe anachroniques (je n'ai pas vérifié les dates de publication), du Littré. Mais ce qui est remarquable, c'est que le sens des concepts a varié en français, au point que Gautier  et Rimbaud se rejoignent pour donner une acception positive du mot "objectif" en défaveur du "subjectif" que faisait primer Kant et ses successeurs.
En plus, la définition donnée par Gautier dans Spirite fait nettement écho au développement d'ensemble de la réponse faite à Izambard le 13 mai. Gautier donne des gages à une lecture empirique de la lettre. Normalement, le concept de l'objectif est lié aux sensations, et il est contre-intuitif de voir dans la poésie subjective une poésie sacrifiant tout à un idéal mesquin. C'est l'ensemble de la lettre qui nous amène à trouver que la poésie subjective consiste à se raccrocher au "râtelier universitaire", mais le terme "subjectif" ne s'y prête pas par lui-même et notre citation de Jules Verne montre l'inverse : un professeur qui en agissant "subjectivement" ne répond pas aux attentes objectives qu'on lui a confiées en le plaçant à ce poste...
On ne peut pas faire l'impasse sur un repérage des sources de Rimbaud à l'opposition poésie objective / poésie subjective. Pour l'instant, Théophile Gautier est notre meilleure clef, et la lettre suivante du 15 mai à Demeny confirme son importance en le nommant parmi les six précurseurs de la poésie authentique de voyant avec Lamartine, Hugo, Banville, Leconte de Lisle et Baudelaire. Mérat et Verlaine complètent la liste, mais ils sont mis à part comme des artistes encore jeunes en devenir.
En clair, Rimbaud n'avait sûrement pas ce passage de Verne en tête, il est contradictoire avec ses formules, mais il nous est utile d'en parler pour montrer le contraste avec le concept tel qu'il est déployé par Gautier, puis Rimbaud. Et j'ajouterai que la lettre à Izambard contient précisément la première version connue du poème en triolets enchaînés "Le Coeur supplicié" où figure le mot "abracadabrantesques" qui en l'état actuel de nos connaissances s'impose comme une hybridation de deux adjectifs propres à Gautier "abracadabresques" et "abracadabrants", sans que Gautier ait jamais recouru lui-même à cette hybridation. Nous n'avons aucune attestation de "abracadabrantesques" sous la plume de Gautier. En revanche, j'avais relayé sur ce blog et c'est désormais un fait bien connu des rimbaldiens que quelqu'un avait identifié une occurrence antérieure à Rimbaud par un auteur douaisien Mario Proth, un pays de Paul Demeny, dans un ouvrage dressant une histoire de la littérature et des perspectives d'avenir qui s'ouvraient. Au nom de la médiocrité des réflexions de Mario Proth, cette source peine à être prise en considération. C'est comme d'habitude une erreur de mépris arrogant. Il est évident que Rimbaud lisait de la littérature critique à son époque, il prenait tout ce qu'il avait sous la main.
D'ailleurs, je vais faire un peu plus souffrir ceux qui veulent que Rimbaud ne pense que de l'excellence toute parfaite quand elle jaillit sous sa plume. Sur les pouvoirs du poète, les écrivains du dix-neuvième siècle ont largement des représentations fantasmées et peu scientifiques. Nous avons le cas du roman expérimental zolien quelque peu contemporain de Rimbaud, mais les discours de Victor Hugo sont évidemment complaisants en diable, et Rimbaud l'était inévitablement lui-même quand il écrivait à Izambard et Demeny. Si réellement Rimbaud avait tenu le système d'une littérature objective, nous aurions des écrits qui s'interrogeraient autrement qu'ils ne le font sur les pouvoirs d'illusion de la parole, sur les rapports de l'art à une certaine complaisance, sur la manière d'éviter le narcissisme des projections morales dans l'art, et je vous en passe des réflexions de cet ordre, car il y en a d'autres... Rimbaud se serait intéressé différemment aussi sur le problème d'hermétisme de ses écrits, et ainsi de suite. Il est certain que la poésie de Rimbaud est à prendre au sérieux, mais c'est une poésie qui continue d'avoir un enrobage, il faut dire les choses telles qu'elles sont.
En tout cas, pour l'instant, quantité de sources potentielles à la pensée de Rimbaud sont traitées beaucoup trop superficiellement. On ne peut pas se contenter de dire que l'opposition de l'objectif et du subjectif vient de la philosophie allemande et citer au hasard des rencontres quelques attestations écrites, en laissant croire que c'est peut-être tellement diffus dans les écrits de l'époque que Rimbaud ne s'inspire de rien de précis.
Non, cet article et le précédent n'ont rien d'inutile et de gagne-petit.
Quant au fait de citer un roman de Jules Verne, il se trouve que je songe au poème "Barbare", au fait que les "maelstroms" sont anormalement liés au chaud ("ardents entonnoirs") dans "Le Bateau ivre", alors qu'il s'agit de courants froids, au fait que "Barbare" décrit un décor polaire volcanique, au fait que j'ai pensé à citer récemment un roman Les Indes noires de 1877 de Jules Vernes sur l'exploitation du charbon. On sait que Vingt mille lieues sous les mers est un roman souvent cité comme source possible au "Bateau ivre", mais comme Jules Verne était un romancier contemporain de Rimbaud il faut inévitablement faire le départ entre les romans que Rimbaud a pu lire et ceux qui sont postérieurs à la carrière du poète des Illuminations, en étant publiés au-delà de février 1875 comme date limite.
Or, Voyage au centre la Terre est l'un des premiers romans et des premiers succès de Jules Verne. Rimbaud a pu le lire. L'idée d'accéder au centre de la Terre a quelque chose de comparable au mouvement du poète dans "Barbare". L'Islande est une île volcanique qui correspond idéalement à la description d'une mer de glace sur des volcans encore actifs.
A suivre donc des comptes rendus de lectures, Spirite de Théophile Gautier, Voyage au centre de la Terre de Jules Verne...

dimanche 20 novembre 2022

Objectif / subjectif : la théorie du voyant sous influence de Gautier et du roman Spirite ?

En 1975, à une époque où il n'existait pas de revue Parade sauvage, de renouveau des études du vers par Roubaud, Cornulier, etc., d'articles de Claisse, Chambon, Ascione, etc., à peine quelques premiers articles précoces de Reboul, ni encore aucun livre recueillant les études de détail d'Antoine Fongaro, Gérald Schaeffer a publié une édition critique commentée des Lettres du voyant de très haute volée, étude elle-même précédée d'un long essai La Voyance avant Rimbaud par Marc Eigeldinger. De manière étonnante, cet ouvrage et les apports de Schaeffer sont complètement minorés au vu des publications rimbaldiennes courantes. Ce qui est surtout cité, c'est le mot "voyance" et c'est donc sous forme de réprobation allusive que ce livre de 1975 est le plus souvent évoqué par les rimbaldiens. En effet, Guyaux a fait remarquer que Rimbaud employait le mot "voyant", mais pas expressément le mot "voyance", et plusieurs rimbaldiens, comme Reboul, Fongaro, Murphy et d'autres, non pas des moindres, ont souvent repris cet argument pour considérer que la notion de "voyant" n'implique pas les perspectives délirantes du concept de voyance. Personnellement, je suis convaincu que ce rejet de principe ne relève pas d'une bonne méthode d'approche littéraire. En plus, même si cela commence à dater, j'ai lu il y a très longtemps deux livres de Marc Eigeldinger. Que je les ai lus en intégralité ou en grande partie, peu importe, vu que je n'en ai pas vraiment conservé quelque chose en mémoire, mais dans mon souvenir il reste cette conclusion que j'ai mieux aimé lire l'essai "La Voyance avant Rimbaud" que les deux livres en question, l'un devait avoir pour titre Lumières du mythe et l'autre Le Soleil de la poésie avec peut-être une mention de Gautier en sous-titre, mais je devrais aller vérifier.
Mais c'est à se demander si la mauvaise presse du titre de l'essai d'Eigeldinger n'a pas rejailli sur les commentaires ligne à ligne des deux lettres pas Schaeffer, ce qui est vraiment dommage.
Schaeffer analysant les deux lettres, il fait donc un sort à celle plus courte envoyée à Izambard et dont je soutiens personnellement qu'elle est la seule connue et la dernière d'une série de lettres à Izambard qui a forcément dû précéder la lettre du 15 mai à Demeny, ce que les témoignages d'Izambard confortent nettement. Il prétend lui aussi avoir reçu une version autographe de "Mes Petites amoureuses" et un panorama de l'histoire littéraire mentionnant avec mépris quantités d'auteurs classiques.
Mais un autre fait doit retenir l'attention. La lettre du 13 mai à Izambard contient un développement inédit, puisque non repris dans la lettre à Demeny, celui de l'opposition entre poésie objective et poésie subjective. Comme il n'est pas repris, on peut être tenté d'en minimiser l'importance. En réalité, ce n'est pas parce que c'est absent de la lettre à Demeny que c'est nécessairement moins judicieux. Rimbaud ne se souciait pas d'exhaustivité dans une lettre où il prétend ne pas pouvoir tout expliquer à son destinataire.
Du point de vue étymologique, j'ai eu un jour l'idée d'opposer le fait que la poésie subjective est produite par un sujet "Je" qui s'ignore, tandis que la poésie objective est le résultat d'une objectivation du "Je" qui se regarde comme à travers un miroir avant de rendre compte de quoi que ce soit. C'est tout de même sensé puisque la lettre parle de connaître son propre moi. En plus, dans le livre de Schaeffer, page 119, une citation de Littré va précisément dans ce sens :
Objectiver le subjectif, examiner comme un objet d'étude notre propre moi et chacune de ses expressions et de ses opérations.
Dans le livre de Schaeffer, il est rappelé qu'après un développement particulier par Descartes c'est Kant et puis Fichte qui ont façonné l'opposition conceptuelle entre objectif et subjectif. Ceci dit, dans le cas de Rimbaud, c'est le pouvoir objectif qui est valorisé et pas le pouvoir subjectif. Il me semble qu'il faudrait passer un peu de temps à mettre les choses au clair sur toute cette genèse du concept. Cependant, j'en viens plus vite à ce qui m'intéresse. Dans son étude, Schaeffer cite plusieurs extraits de Théophile Gautier opposant poésie objective et poésie subjective. Il ne cite pas quelqu'un d'autre, il cite Théophile Gautier ! Plus précisément, Schaeffer s'appuie sur une définition d'époque du Littré et il cite un extrait de l'ouvrage de madame de Staël De l'Allemagne qui a servi à introduire les idées allemandes en France et qui est aussi l'un des ouvrages ayant initié l'émergence d'un mouvement romantique en France comme chacun sait. Littré rappelle que le mot "objectif" avait le sens de "conceptuel" chez Descartes, mais que l'opposition propre au dix-neuvième siècle du subjectif et de l'objectif vient de Kant et de Fichte, et il cite enfin un extrait de madame de Staël qui explique les significations des deux adjectifs :
[objectif] aujourd'hui [...] est opposé à subjectif, et se dit de tout ce qui vient des objets extérieurs à l'esprit ; cette nouvelle acception, qui est seule maintenant en usage, est due à la philosophie de Kant. "On appelle dans la philosophie allemande, idées subjectives celles qui naissent de la nature de notre intelligence et de ses facultés, et idées objectives toutes celles qui sont excitées par les sensations" Staël, All. III, 6.
Personnellement, je lis ça et je me reporte à la lettre à Izambard, je reste loin de comprendre ce qu'a bien pu vouloir dire Rimbaud, mais bref ! On pourrait croire que l'autorité de madame de Staël nous dispense de nous référer à d'autres sources françaises. On peut se dire que Victor Hugo, Balzac et bien d'autres sont passés par là. Nous pouvons songer à des auteurs que plus personne ne lit, mais qu'il est de bon ton de mentionner dans les histoires du romantisme ou de la littérature du dix-neuvième siècle en France, Ballanche, Quinet, etc. Mais, justement, c'est ce que Schaeffer ne fait pas, tandis que nous-même serions bien en peine de citer un emploi opposant l'objectif et le subjectif à la manière philosophique dans un écrit d'Hugo, de Baudelaire, de Nerval, de Leconte de Lisle, etc. On sent bien que quelque chose échappe. Rimbaud a-t-il pris sa référence directement dans le livre de madame de Staël ? C'est dur à croire. Or, Schaeffer va citer pas moins de trois extraits de Théophile Gautier.
Le premier extrait cité est annoncé comme un résumé des théories de Tôpffer (je ne sais pas qui c'est ?) :
   De tout ceci, il ne faut pas conclure que l'artiste soit purement subjectif ; il est aussi objectif : il donne et reçoit. Si le type de la beauté existe dans son esprit à l'état d'idéal, il prend à la nature des signes dont il a besoin pour les exprimer.
En note 9 de bas de page, nous avons la référence de l'extrait : "L'Art moderne, M. Lévy, 1856, p. 135." Et la note précise aussi qu'il convient de corriger une coquille : "Il faut lire 'pour l'exprimer' ".
Remarquons que le vocabulaire de la citation "dans son esprit", "il prend", etc., coïncide avec le style de la lettre rimbaldienne et que la syntaxe de la phrase entamée par une subordonnée en "si" : "Si le type de la beauté..." entre sans peine en résonance avec cette succession très connue de deux phrases de la lettre à Demeny du 15 mai : "[...] si ce qu'il rapporte de là-bas a forme, il donne forme : si c'est informe, il donne de l'informe." Pour le verbe "prendre" : "il prend à la nature", citons ce passage avec calembour à la clef de la même lettre à Demeny : "[La femme] trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons." Pour les emplois du mot "esprit" et de la locution "dans son esprit", il s'agit d'emplois types du dix-neuvième siècle, mais le mot "esprit" revient à plusieurs reprises de toute façon dans la lettre à Demeny, la formule "dans son esprit" est plutôt employée dans la prose liminaire d'Une saison en enfer que dans les lettres de mai 1871. Toujours est-il qu'on sent que, depuis 1975, aucun rimbaldien n'a cherché à partir de la courte citation fournie par Schaeffer pour cerner plus largement l'influence éventuelle d'une étude fouillée de Gautier sur les propos de Rimbaud dans ses deux lettres ! Pour l'instant, je ne suis pas excepté.
Schaeffer poursuit avec une citation brève de Gautier à propos de son ami Nerval : "Il était plus subjectif qu'objectif, s'occupait plus de l'idée que de l'image." Le propos devient plus exploitable pour étudier la poésie de Rimbaud que celui de madame de Staël sur les sensations, me semble-t-il. En note 10 de bas de page, Schaeffer mentionne une édition de 1874 de l'Histoire du romantisme. Je possède cet écrit en un ou plusieurs exemplaires, notamment en volume de la collection Folio. De mémoire, c'est un écrit de la fin de vie de Gautier, vers 1872 carrément. Il ne peut donc avoir influencé l'écriture de la lettre à Izambard du 13 mai 1871, quand bien même il s'agit d'une citation du début de l'ouvrage (page 18). La note 10 de bas de page se poursuit avec une citation d'un article du Globe datant de 1825, citation qui va éclairer le lecteur de Schaeffer, mais citation qui ne fut probablement pas connue de Rimbaud, lequel n'avait pas à sa disposition un index lui permettant de retrouver tous les textes ayant fait état de l'opposition du subjectif et de l'objectif avant Gautier. Je cite tout de même cet extrait refoulé en note de bas de page par Schaeffer :
Kant, dans ses Considérations sur le beau, semble admettre qu'il existe un genre spécial de poésie dont les éléments se trouvent plutôt en nous que hors de nous, plutôt dans le monde subjectif qu'objectif. Ce genre consiste à introduire dans la poésie une foule d'idées et d'impressions empruntées aux profondeurs de l'âme. Pour parler plus clairement, suivant cette vue, la poésie romantique serait plus la poésie de l'âme que la poésie des images.
Je rappelle la source en citant Schaeffer lui-même dans sa note : "Le Globe du 8 octobre 1825 publie une lettre sur 'les Définitions du romantisme données en Allemagne et en Angleterre".
En réalité, cette citation pose problème et on voit bien que Schaeffer a évité de s'attaquer au problème des contradictions entre sources. Kant valorise le subjectif et non l'objectif et on tend à faire du subjectif un apport nouveau du romantisme. La littérature de l'âme sera de la poésie subjective. Certes, Rimbaud critique les limites du romantisme dans sa lettre, mais d'une part il les met au-dessus des classiques en tant que découvreurs d'un début de poésie de voyant, et d'autre part il reproche plutôt à ses devanciers d'avoir repris "l'esprit des choses mortes". On sent bien qu'on ne peut pas harmoniser les renvois au Globe, à Gautier, à madame de Staël, à Kant, pour préciser la pensée de Rimbaud. Il va forcément falloir trancher. Enfin, la note 10 de bas de page se poursuit avec un renvoi allusif qui n'est peut-être pas inintéressant. Schaeffer a trouvé cette citation du Globe dans un ouvrage de Jean Gaudon, Le Temps de la contemplation, page 427, et il précise que dans le même ouvrage page 44 Gaudon fait état d'une discussion entre Nodier et Hugo sur objectif et subjectif. Malheureusement, Schaeffer ne fait que nous y renvoyer et n'en développe rien dans son étude. Pour terminer, Schaeffer cite un développement de Gautier à propos de Baudelaire, mais il s'agit à nouveau d'une citation de cette Histoire du romantisme postérieure à l'écriture des lettres "du voyant" :

[Baudelaire] pensait qu'à l'art naturel des beaux siècles devait succéder un art souple, complexe, à la fois objectif et subjectif, investigateur, curieux, puisant des nomenclatures dans tous les dictionnaires, demandant des couleurs à toutes les palettes, empruntant à la science des secrets, à la critique ses analyses, pour rendre les pensées, les rêves et les postulations du poète.
Et Schaeffer se contente alors d'une dernière citation, de Nerval cette fois, l'ami de Gautier, qui, dans ses Nuits d'octobre, écrivait :
Le moi et le non-moi de Fichte se livrent un terrible combat dans cet esprit plein d'objectivité.
Comme si Rimbaud avait lu les mêmes sources que lui, Schaeffer conclut ainsi avant de passer à d'autres considérations sur la lettre à Izambard :
Le rêve de Rimbaud est bien de faire fusionner dans une oeuvre le moi et le non-moi, de manière à rendre compte de l'existence humaine tout entière.
Pourtant, outre que cette phrase de conclusion facile à lire est un peu rapide et sommaire, on sent bien que quelque chose ne va pas, qu'on n'a pas le tout des lectures de Rimbaud lui-même l'amenant à parler de "poésie subjective" et de "poésie objective". Il est improbable que Rimbaud ait lu les citations du Globe ou de madame de Staël directement, il ne cite pas Nerval et la mention des "Nuits d'octobre" à retenir est plutôt le mot "objectivité" sans opposition d'ailleurs à "subjectivité" ou "subjectif", tandis qu'il est impossible que Rimbaud ait lu les deux mentions à propos de Nerval et Baudelaire dans une Histoire du romantisme, publiée ultérieurement et même écrite après le mois de mai 1871 par Gautier. Seule la citation de L'Art moderne est une source d'influence plausible pour la rédaction de la lettre à Izambard. Schaeffer aurait dû hiérarchiser l'influence potentielle des sources, ce qu'il n'a pas fait. Mais, après lui, personne non plus n'a poursuivi les recensements, et c'est bien dommage.
Or, prenons maintenant, la nouvelle Spirite qui fait moins de 200 pages. Cette nouvelle n'a pas si couramment éditée de nos jours. Elle est absente des recueils d'histoires fantastiques de Gautier vu sa longueur et je n'ai vraiment pas l'impression que l'ouvrage soit souvent publié seul ou accompagné d'un autre écrit de Gautier dans les collections des éditeurs courants. Il s'agit pourtant d'une nouvelle encore quelque peu récente à l'époque de Rimbaud. La nouvelle a été rédigée en 1865 et publiée en 1866. Gautier est celui à qui Baudelaire a dédié Les Fleurs du Mal recueil que Rimbaud a dû connaître avant tout dans l'édition posthume de 1868 précédé d'une très longue préface de Gautier, quand au vingtième siècle on publie la version de 1861 avec deux ou trois exceptions en faveur de la version originale censurée de 1857. Gautier fait partie du rare lot d'écrivains voyants cités par Rimbaud dans sa lettre à Demeny du 15 mai 1871. Musset étant exclu, Rimbaud cite comme poètes un peu voyants au dix-neuvième siècle, avant l'émergence de l'école nouvelle du Parnasse six poètes en tout et pour tout : Lamartine, Hugo, Gautier, Banville, Leconte de Lisle et Baudelaire. On sent que Gautier et Leconte de Lisle ont aussi peu retenu l'attention que Lamartine, et il faut ajouter qu'il y a tout un paradoxe dans ce rejet, puisque loin d'acter que Rimbaud distingue l'école nouvelle, donc le Parnasse, des poésies de Gautier et Leconte de Lisle, les historiens de la littérature (ce qui va au-delà des rimbaldiens bien sûr) considèrent que Rimbaud rejette la poésie descriptive parnassienne pour la poésie des visions. On commence à bien cerner le malentendu qui nous vaut une absence de réflexion sur les antécédents de Gautier et Leconte de Lisle en tant que poètes voyants. Rimbaud vante la poésie objective et visiblement dans la continuité des écrits de Gautier. A l'heure actuelle, il existe un décalage universitaire entre les rimbaldiens qui n'opposent pas le romantisme et le Parnasse, alors que cette opposition demeure pour les universitaires non spécialistes de Rimbaud, et partant pour la population en général. Ici, on sent qu'on pointe directement une dimension importante de cette confusion. Mais, avec le récit Spirite, on découvre que Gautier a mentionné à d'autres reprises les notions opposables d'objectif et de subjectif dans des écrits facilement accessibles à l'époque de Rimbaud. Cette nouvelle place ces concepts sous un jour platonicien, sachant que Rimbaud adopte, fût-ce un peu involontairement, une logique dualiste platonicienne quand il parle de rapporter de "là-bas" de l'informe ou de la forme, sous un jour swedenbrogien également et enfin sous le patronage de l'idée qu'il existe des voyants en ce monde, , puisqu'avec la mention du suédois Swedenborg nous avons encore l'idée d'un "ciel pénétrable aux seuls yeux des voyants." Ma citation vient de la dernière page 215 de mon édition de Spirite, cette phrase n'étant suivie que de trois brefs paragraphes de fin du récit.
Je vais faire prochainement d'autres développements au sujet de cette nouvelle, notamment dans l'article de conclusion sur le poème "Fleurs" des Illuminations, mais dans cette nouvelle qui n'est pas sans faire songer au roman Mademoiselle de Maupin nous avons l'histoire qui tourne autour d'un héros insatisfait par les amours de ce monde et qui va être approché par une jalouse amante venue de l'au-delà. Au milieu du récit, l'intrigue étant un peu avancée, la femme de l'au-delà, baptisée Spirite par son soupirant, finit par la médiation de Guy de Malivert, le héros masculin, par transcrire en dictées le récit de son ancienne vie humaine. Il y a un peu de malice et d'ironie de la part de Gautier envers l'aspiration métaphysique du héros. Cette femme était huit ans plus jeune environ que Guy de Malivert et elle est morte avant d'avoir pu déclarer sa flamme. Elle n'avait que treize ans quand elle a vu pour la première fois Malivert qui allait voir sa soeur dans un couvent. Puis, elle a joué de malchance. Malivert est parti un certain temps en Espagne et quand des occasions de se rencontrer se sont présentées, si elle n'a pas manqué de voir et d'observer Malivert, celui-ci ne s'est à chaque fois rendu compte de rien. Il s'agit donc d'une histoire d'amour réparatrice par-delà la mort en quelque sorte, mais avec une conclusion fantastique et angélique qui va se mettre en place...
Or, sous prétexte qu'une fois mort les gens connaissent toutes les langues, ont un savoir supérieur et voient les idées directement et non les mots, conception platonicienne donc, cette femme Spirite va tenir des propos qui peuvent faire penser à une femme de lettres, et Spirite en a bien conscience et s'empresse de dire que ce n'était pas du tout le cas dans sa vie, il s'agit bien d'une qualité de vue gagnée après la mort dans son cas. Et ce qui est intéressant, c'est que c'est dans la dictée de Spirite et donc dans le discours de cet être possédant une connaissance de l'au-delà qu'il va être question de l'objectif et du subjectif dans l'art. Bien qu'elle ne fût pas femme de lettres, Spirite quand elle était encore une humaine adolescente avait appris le nom d'emprunt de Malivert en tant qu'écrivain et suivait de près tout ce qu'il publiait. Je vous laisse apprécier la réflexion suivante qu'elle nous livre :
Lire un écrivain, c'est se mettre en communication d'âme [...]
Cela se comprend à plusieurs niveaux dans l'économie de la nouvelle, puisque s'y superposent l'idée classique du dialogue entre amis, à la recherche amoureuse d'une fille adolescente et bien sûr le plan final de la relation entre l'écrivain et un être immatériel venu de l'au-delà.
Que les livres de Swedenborg soient un probable ramassis d'inepties, je suis le premier à le penser, d'autant que la mise en scène de la nouvelle Spirite en fait précisément un prétexte artificiel pour produire une littérature fantastique de fantaisie, mais il n'en reste pas moins que nous avons au moins deux témoignages de son importance pour Rimbaud, un d'Henri Mercier relayé par Darzens, l'autre d'Isabelle Rimbaud, témoignages qui vaut l'un pour la fin de l'année 1871 et 1872, l'autre pour l'année 1875. Cette importance était toute relative, toute littéraire en somme, mais il faudra bien un jour ou l'autre faire une mise au point là-dessus. Il convient de citer la suite du discours de Spirite, car cela fait écho à tout ce que peut dire Rimbaud lui-même :
[...] Lire un écrivain, c'est se mettre en communication d'âme ; un livre n'est-il pas une confidence adressée à un ami idéal, une conversation dont l'interlocuteur est absent ? Il ne faut pas toujours prendre au pied de la lettre ce que dit un auteur : on doit faire la part des systèmes philosophiques ou littéraires, des affectations à la mode en ce moment-là, des réticences exigées, du style voulu ou commandé, des imitations admiratives et de tout ce qui peut modifier les formes extérieures d'un écrivain. Mais, sous tous ces déguisements, la vraie attitude de l'âme finit par se révéler pour qui sait lire ; la sincère pensée est souvent entre les lignes, et le secret du poète, qu'il ne veut pas toujours livrer à la foule, se devine à la longue ; l'un après l'autre les voiles tombent et les mots des énigmes se découvrent. Pour me former une idée de vous, j'étudiai avec une attention extrême ces récits de voyage, ces morceaux de philosophie et de critique, ces nouvelles et ces pièces de vers semées çà et là à d'assez longs intervalles et qui marquaient des phases diverses de votre esprit. Il est moins difficile de connaître un auteur subjectif qu'un auteur objectif : le premier exprime ses sentiments, expose ses idées et juge la société et la création en vertu d'un idéal ; le second présente les objets tels que les offre la nature ; il procède par images, par descriptions ; il amène les choses sous les yeux du lecteur ; il dessine, habille et colore exactement ses personnages, leur met dans la bouche les mots qu'ils ont dû dire et réserve son opinion. [...]
On pourrait dire que l'écrivain réserve son opinion comme Rimbaud prétend réserver la traduction... Appréciez la transposition de cet extrait à la lecture de la lettre du 13 mai; Izambard est dans la poésie subjective fadasse, non pas simplement qu'il se laisse aller à un sentimentalisme personnel irréfléchi, mais grâce à la dictée de Spirite, nous pouvons dire que la poésie subjective d'Izambard "exprime ses sentiments, expose ses idées et juge la société et la création en vertu d'un idéal", et c'est ce que Rimbaud appelle "roule[r] dans la bonne ornière" !
D'autres articles sur la nouvelle Spirite vont suivre, notamment sur l'expression "azur noir" bien que dans le contexte immédiat de la nouvelle, chapitre XV, elle semble n'avoir aucun pouvoir éclairant sur la poésie rimbaldienne.
Laissez-moi bien profiter de ma lecture et de mes relectures aussi, et puis vous aurez ces articles et ma mise au point finale sur le poème "Fleurs".

lundi 14 novembre 2022

Rendre à l'état primitif de fils du soleil, l'explication du brahmane

Dans le poème "Vies", il est question du "brahmane" qui expliqua les "Proverbes". Le poème "Vies" est en réalité une réécriture parodique et satirique de toute la partie conclusive des Mémoires d'outre-tombe, comme je l'ai annoncé depuis des années, et pour s'en persuader on a certains éléments du livre de 2004 de Pierre Brunel Eclats de la violence et un prolongement moyennement récent sur le site d'Alain Bardel, et enfin un article de moi qui en a découlé où j'ai largement mis les pieds dans le plat (sachant qu'en privé, ce que j'ai établi a été salué par des rimbaldiens qui en ont compris tout le prix). Evidemment, dans cette liaison de "Vies" avec l'ouvrage autobiographique de Chateaubriand, l'idée d'une référence à l'hindouisme s'étiole quelque peu. Pourtant, ce n'est pas si simple. La référence a le mérite tout de même d'être explicite. Rimbaud peut mettre jouer sur plusieurs perspectives, quand bien même l'ensemble de "Vies" est lié à un seul et unique texte générateur la partie conclusive des Mémoires d'outre-tombe. Chateaubriand a d'ailleurs vécu quelque temps en Angleterre et Rimbaud est censé composer la plupart des Illuminations à des époques de sa vie où les séjours anglais sont décisifs. Il y a le séjour de la fin de l'année 1872 et du début de l'année 1873, le séjour du printemps 1873, celui du mois de juin 1873 et celui à partir de 1874 commencé avec Germain Nouveau. Or qui dit Inde dit Angleterre à l'époque ! Je vais vite en besogne, peut-être, mais il ne faut pas perdre de vue ce contexte d'écriture des poèmes, puisque l'allusion à l'Inde est explicite dans "Vies". Ce n'est pas tout !
Dans les lettres dites "du voyant", en tout cas dans celle du 15 mai envoyée à Demeny, Rimbaud passe en revue les premières fournées de poètes voyants français et on a une première fournée avec surtout Hugo et Lamartine, et une seconde fournée avec Baudelaire et puis le groupe Gautier, Banville et Leconte de Lisle. Rimbaud oppose Baudelaire à tous les autres qui n'auraient repris que l'esprit des choses mortes. Rappelons qu'avec la dénonciation des "anciennes énormités crevées" Hugo est explicitement visé dans cette lettre, et cela rejaillit sur Lamartine et autres premiers romantiques, puis forcément sur Banville ou Gautier. Et, puis, il y a le cas Leconte de Lisle, lequel se réfugiait dans la célébration des religions perdues autres que la religion chrétienne. Leconte de Lisle et Banville partageaient une célébration des dieux de l'Antiquité grecque, car il va de soi que la dénonciation de "l'esprit des choses mortes" va s'appliquer au recueil Les Exilés de Banville. Tout le Parnasse est ciblé par cette dénonciation bien sûr, mais Rimbaud pense inévitablement aux préfaces des recueils de Leconte de Lisle. Or, une grande spécificité de Leconte de Lisle, c'est d'avoir produit un certain nombre de poèmes hindous. Alphonse Daudet, qui a participé à une campagne d'hostilité à Verlaine et au Parnasse avec le Parnassiculet contemporain, se moquait allègrement de cette manie pédante et futile (du moins de prime abord) du poète Leconte de Lisle, cela se retrouve dans les parodies poétiques du roman Le Petit Chose. Mais il ne faut pas oublier le cas de Verlaine lui-même avec ses Poèmes saturniens où il y a plusieurs renvois solennels aux mythes hindous avec le haut dessein de çavitri ou le règne de Raghu. Alors, évidemment, on peut se contenter de dire rapidement que Verlaine se moque lui-même de Leconte de Lisle, ce qui est en effet le cas dans une certaine mesure, sauf qu'en disant cela comme en passant on s'interdit de réfléchir sur toutes les données.
Prenons le poème "Vagabonds", on tend à identifier des allusions biographiques opposant le discours de Verlaine aux aspirations d'un Rimbaud. Verlaine lui-même s'est reconnu injustement épinglé en "satanique docteur". Or, vers la fin du poème, apparaît cette expression de "fils du soleil" qui est explicitement une allusion à l'hindouisme.
Certes, pour les gens nés au vingtième siècle, la littérature de fantaisie a tout exploré, tout tenté, et l'expression de "fils du soleil" ne renvoie pas nécessairement à l'hindouisme, mais dans le contexte de la poésie du dix-neuvième siècle il n'en va certainement pas ainsi. La notion de "fils du soleil" est strictement hindoue. On ne peut pas avec désinvolture refuser d'envisager l'hypothèse. Dans son livre Eclats de la violence, paru donc en 2004, Brunel consacre bien sûr une étude à "Vagabonds" et une sous-partie est consacrée à cette notion de "fils du soleil". Brunel parle de manière générale de cette notion, c'est un renvoi mythologique que fait Rimbaud, mais il est traité évasivement dans le commentaire. Brunel parle d'histoire des religions en général. En clair, il y a plein de religions où on imagine un "fils du soleil" ou des fils du soleil, et Rimbaud s'approprie personnellement l'idée sans renvoyer à une religion précise. Cette façon de généraliser le propos de Rimbaud permet au critique d'éviter de montrer qu'il ne sait pas à quoi précisément Rimbaud fait allusion. Moins Rimbaud semblera se référer à une source précise, moins le critique montrera qu'il y a des lacunes dans son analyse, puisqu'il suffira de donner un sens général un peu vague à ce que dit le poème en toutes lettres. On remarque tout de même que s'il y a bien une religion citée précisément dans le commentaire de Brunel c'est pourtant l'hindouisme avec mention explicite du "Mandaka Upanishad". Il y a ensuite des écrits de Swedenborg, donc ça se dilue, mais tout de même on voit bien que la référence hindoue est première en toute logique quand on parle de "fils du soleil". C'est la référence culturelle de base. Bien qu'ayant posé le concept d'analyse mythocritique de la littérature, Brunel persifle ceux qui jouent de cette référence et brocarde en particulier les écrits de Marc Eigeldinger. Puis, Brunel finit par envisager les autres hypothèses traditionnelles de lecture, mais en les prenant toutes avec des pincettes. Brunel précise que Murphy semble sage quand il voit dans l'expression une allusion à la pensée parnassienne, tout en s'empressant de modérer notre enthousiasme en précisant que cela a aussi quelque chose de fortement réducteur. Je dirais que d'abord "fils du soleil" et "parnassien" ne sont pas des termes interchangeables et qu'ensuite la dénonciation de l'esprit des choses mortes ne cadre pas bien avec l'ambition affichée dans "Vagabonds". Brunel mentionne ensuite l'idée de Guyaux qu'être un fils du soleil c'est vivre selon la Nature. Il va de soi que cette définition va dans le bon sens, mais en ayant le défaut d'être trop général, trop évasive, et il va aussi de soi que cette idée est connectée à une partie de ce que nous savons de la pensée spiritualiste des poètes parnassiens. Or, on le sait, Rimbaud a écrit à ses débuts ce qu'il voulait un "credo des poètes" à mettre en conclusion d'un recueil de vers parnassiens, et ce "credo" a été rebaptisé du titre "Soleil et Chair". Il va de soi que le concept de "fils du soleil" permet de faire une référence à une certaine idéologie solaire hindoue tout en s'ouvrant à une idéologie solaire plus syncrétique, plus diffuse, qui était véhiculée par les poètes parnassiens, et cette notion syncrétique est développée à partir de références grecques dans le poème rimbaldien "Soleil et Chair".
Du coup, loin de renoncer à la référence hindoue, il me semble plus intelligent d'inspecter les écrits poétiques inspirés des mythes indiens pour apprécier cette idéologie solaire et voir ce qu'il en reste quand on met cela en commun avec d'autres poèmes mythiques à forte symbolique solaire. C'est bien évidemment de la sorte qu'il convient de procéder.
Leconte de Lisle est une portée d'entrée essentielle, mais je parlais de Verlaine également. Je rappelle que le "Prologue" des Poëmes saturniens avec son développement quelque peu chronologique parle dans un premier temps de l'hindouisme avant de glisser à l'Antiquité grecque, puis au Moyen Âge, et ainsi de suite. Et Verlaine parle de Raghu précisément, et il parle tout aussi précisément d'une religion qui se veut solaire. Et Raghu, c'est clairement le début de la lignée des "fils du soleil" dans la mythologie hindoue. L'histoire de Raghu, ça nous parle des fils du soleil, de l'importance de la lumière de la Lune la nuit qui dépasse l'influence des étoiles, etc. Or, dans "Vies", il est question, à proximité de la mention explicite du "brahmane" des "heures d'argent et de soleil vers les fleuves". Les "heures d'argent" sont les heures de la Lune, et nous sommes bien dans l'idéologie brahmanique d'une importance conférée à l'éclairage de deux - comment dire ? - luminaires ou astres principaux, la Lune et le Soleil. La mention des fleuves a aussi quelque chose de cette mythologie hindoue. Dans "Vies" toujours, quelques lignes plus loin, il est question de "pigeons écarlates" et de "plaines poivrées". Or, précisément dans les écrits hindous, il est question de pigeons volant au-dessus des poivriers. Je possède une traduction du début du vingtième siècle d'un ouvrage mythologique hindou clef La Lignée des fils du soleil, Le Ragbuvamsha de Kalidasa, et dans l'histoire de Raghu lui-même où il est question d'un brahmane qui explique les choses en plus nous avons au chant IV le passage suivant : "Avides de conquêtes, ses forces au bout d'un long temps campèrent dans les régions où, sur les poivriers, voltigent les pigeons verts, au pied du mont Malaya."
Je n'affirme pas que c'est une source évidente du poème "Vies", il est encore trop tôt pour se prononcer, mais ces convergences sont tout de même saisissantes. Je constate par ailleurs bien des échos à des passages des poèmes hindous de Leconte de Lisle à la lecture de cet ouvrage en dix-huit chants.
Je pense qu'il y a toute une étude à reprendre de la notion culturelle de "fils du soleil" dans le poème "Vagabonds". Ce n'est pas une création personnelle de Rimbaud dont on n'aurait presque rien à dire, et vu que Verlaine s'est identifié au "satanique docteur" le renvoi au "Prologue" des Poëmes saturniens a du sens.
Malheureusement, il me faudra pas mal de temps pour lire et relire mes différents livres de récits hindous, pour lire et relire les poèmes hindous de Leconte de Lisle, pour établir les liaisons entre les écrits antiques indiens et les poèmes qui s'en inspirent du poète réunionnais (île avec une communauté tamoul au passage). Il me faudra du temps également pour avoir accès aux traductions du XIXe qu'ont pu lire Rimbaud ou Leconte de Lisle, pour avoir accès encore à des articles de savants d'époque commentant les récits hindous.
Un rimbaldien ne peut pas faire l'impasse sur les possibilités d'une telle référence culturelle. Non !

samedi 12 novembre 2022

Suite et fin sur Fleurs dans quelques jours

C'est un peu le dilemme entre laisser aux gens le temps de lire le dernier article mis en ligne et le fait de suivre mon rythme si particulier. Ici, je me dis qu'il y a une cinquantaine de poèmes en prose des Illuminations pour dire vite et qu'en gros passer une semaine par poème cela ferait un an de mises en ligne. En plus, le compteur des consultations est désormais faussé. Depuis que j'ai dénoncé l'imposture de l'occident quant à la guerre en Ukraine, j'ai visiblement des tas de consultations périphériques qui n'ont sans doute rien à voir avec Rimbaud.
De toute façon, pour les espions, vous êtes des crétins. Je n'ai aucune influence sur les événements internationaux et il est clair comme de l'eau de roche que j'ai raison et je ne vais pas m'en taire. La partie sud et est de l'actuelle Ukraine n'a jamais fait partie du peuple qui parle une langue ukrainienne, c'est une partie qui a été russifiée au dix-huitième siècle et intégrée sur le tard à l'Ukraine. L'Ukraine est la fusion de peuples slaves distincts dont l'une est carrément russe, et persécutée par les ukrainophones (pour utiliser un terme bâtard qui permette d'un peu cerner les entités en présence).
Quant au nazisme, il n'est pas minoritaire en Ukraine. Il y a des débiles mentaux pour dire qu'il y a du nazisme dans le monde entier et qu'il y a même la division Wagner du côté des russes. Alors, certes, la division Wagner est un élément déplaisant du paysage russe, mais le nazisme ukrainien actuel n'a aucun équivalent au monde. Les nazillons dans les autres pays ils se cachent. Ils ne décorent pas des murs avec le consentement de la population, ils n'amènent pas à baptiser des rues et à décorer des centres commerciaux à leurs tendances. Ils n'influencent pas les décisions politiques par des pressions, voire des assassinats. Il n'y a qu'en Ukraine qu'il y a une partie de l'armée officialisée malgré des insignes non équivoques, et ce n'est pas que le régiment Azov, il y en a plusieurs. Et c'est un peu court également de dire que puisque les histoires politiques des allemands et des ukrainiens ce n'est pas du nazisme en Ukraine, mais à la limite de l'ukronazisme, voire du folklore un peu maladroit, comme s'il y avait un changement de nature du problème à donner une étiquette bien distincte. Enfin, le nazisme ne tient pas qu'aux discours revendiqués comme tels, il y a bien une habitude dans l'ouest de l'Ukraine de traiter les russes de sous-hommes, de les traiter de "moskal", etc. Il y a bien eu aussi une indifférence cynique à l'ouest de l'Ukraine au sort vécu par les habitants du Donbass, et je parle de deux positions du Donbass. Il y a les bombardements des civils sur les territoires ayant eu leur autonomie, et il y a eu les horreurs, viols, massacres, vexations, vols, etc., sur les territoires du Donbass n'ayant pas eu leur autonomie, ce qui continue d'ailleurs en plus épouvantable en 2022. Et ça ne s'arrête pas là. Jamais nos journalistes ne parlent des quantités de morts sur le front. Les ukrainiens sont alimentés en matériel occidental pour faire une guerre qui complaît les élites américaines et du coup européennes qui suivent. Or, si on retire la Crimée et les parties autonomes des deux régions de Donetsk et Lougansk, il restait apparemment 37 millions d'habitants en Ukraine, pays de natalité basse depuis longtemps, déjà passé en-dessous du un enfant par couple, pays déjà endeuillé par les faits de guerre en 2014, pays qui connaît aussi une émigration massive de jeunes. Or, là, en 2022, depuis février, il y a mille ukrainiens qui meurent par jour, et il y a le double de blessés. En clair, c'est l'équivalent de ce que connaissait la France durant la Seconde Guerre Mondiale. Et si les russes ont cinq fois moins de pertes, ça reste élevé. Et ces saignées amusent les occidentaux ? Ils s'en moquent ! Les Bush y voient un gain : beaucoup de russes et par extension de slaves meurent, cela affaiblit un contre-pouvoir possible à la puissance américaine.
Bien sûr que cette guerre est très difficile pour les russes. Les ukrainiens ont des missiles antichars et antiaériens en pagaille, des lance-roquettes multiples. Ils subissent une surveillance radar de l'Otan et des Etats-Unis, sans en avoir prévu l'équivalent. Ils ont quand même pas mal de technologie occidentale en face d'eux, et il y a même des troupes internationales. On est dans une semi troisième guerre mondiale.
Alors il y a deux autres sujets qui débordent le militaire conventionnel, le nucléaire et l'économique.
Pour le nucléaire, s'il va de soi que c'est de la folie d'affronter les russes, leur doctrine est d'employer les bombes en réplique. Je crains beaucoup plus l'occident en matière nucléaire, et de loin ! D'ailleurs, la centrale nucléaire de Zaporije tenue par les russes a été bombardée, mais pas toutes les autres encore sous le régime kiévien. Puis, les gazoducs ont été bombardés et personne n'a dit qui était le coupable, sauf à accuser absurdement les russes, et on se rappelle l'affaire de l'avion transportant des civils néerlandais en 2014.
Si vous n'avez pas la puce à l'oreille, je ne sais pas comment vous faites ! Les gazoducs ont été détruits, la centrale nucléaire de Zaporije subit des tirs. Il vous faut quoi de plus pour comprendre qu'on vous mène en un drôle de bateau ivre dans les médias ?
Cette guerre va être longue, car certes les russes ont des difficultés, ils combattent en plus en sous-effectifs pour éviter une mobilisation massive au coût humain affolant. Mais comme je l'avais dit, l'Europe est en train de payer le prix fort de toutes ses conneries.
L'inflation et la crise énergétique ne viennent pas que de la guerre déclenchée en février, il y a eu la gestion de la covid, et il y a tout un rapport corrompu à l'économie de nos élites depuis quarante ans derrière. On remarquera que les écologistes politiques préfèrent les Etats-Unis à l'écologie au passage. Moralement, ils ont avoué qu'ils n'en avaient rien à faire de l'écologie. Là, ils sont grillés de chez grillés. Sans doute que dans leurs bases électorales il y a quelques rigolos qui croient que puisque les pays européens se tapent une crise la production va diminuer, et ce serait une bonne chose pour la planète au détriment des européens. Non, pas du tout ! La production ne va pas du tout diminuer, il y a le reste du monde, les indiens, les chinois, c'est uniquement les européens qui vont s'appauvrir et les enfants des électeurs européens qui sont trahis par leurs parents, c'est aussi simple que ça. La pollution va augmenter qui plus est.
La montée des prix de l'énergie va définitivement achever la compétitivité européenne. Ce n'est pas cet hiver le problème, c'est toute l'année 2023 et puis encore les années après. On croyait qu'il fallait se lever tôt pour ruiner l'Europe, ben ça y est c'est fait. Aussi incroyable que cela paraisse. Vous les avez vues les interventions de Bruno Le Maire à quelques mois de distance. Dans un premier temps, en février et mars, on parle de sanctions redoutables, guerre économique mettant à genoux la Russie sans conséquences pour nous et puis on arrive à "Il n'est pas question que l'Europe s'affaiblisse à cause de cette guerre pendant que les Etats-Unis s'enrichissent." A quel moment vous avez la puce à l'oreille ? Comment vous expliquer ces deux discours contradictoires à quelques mois de distance ?
Pour les Etats-Unis, il faudrait passer du temps à distinguer les parties des élites qui s'enrichissent, car il va de soi que même les Etats-Unis vont morfler. Un exemple, le complexe militaro-industriel s'enrichit en vendant des armes pour l'Ukraine, mais l'Ukraine ne paiera pas ses armes, en fait c'est la population américaine qui achète des armes à Lockheed Martin et autres par ses impôts, ses finances publiques, et qui en fait don sans le savoir aux ukrainiens. Il y aurait énormément de choses à analyser, parce que c'est complètement hallucinant ce qu'il se passe.
Quant aux replis des russes par rapport à Kiev, Kherson et Kharkov, ne vous faites pas d'illusions, ça ne veut pas dire que les russes sont en passe de perdre la guerre. On ne peut pas connaître l'avenir, mais il ne faut pas mesurer l'évolution à qui prend ou perd tel terrain... Il faut évaluer les morts, la qualité des lignes de front dans une reconfiguration, les effets de la durée sur les munitions, les  effectifs, etc., la politique internationale, l'économie, et puis les ukrainiens ils ne vont pas aller jusqu'à Vladivostok que je sache, rien que pour ça on se demande comment les ukrainiens pourraient gagner !
Enfin, bref !
Ici, revenons à "Fleurs". J'ai dans l'idée de traiter de quelques articles, dont ceux référençant l'étude de Bruno Claisse, pour montrer que l'identification d'un boudoir n'est pas actée, sachant que mon extrait de Gautier permet de superposer petit salon et serre, puisque le salon est arrangé en serre. Il va de soi que la concentration lexicale précise commune à ces textes et le jeu d'énumérations prouvent que Rimbaud fait une description de boudoir en tant que tel. Peu importe ce qu'il a lu comme extraits.
Après, je vais comparer la manière de décrire de Gautier et celle de Rimbaud, je vais commenter les jeux sur "gazes grises", je vais travailler bien sûr sur le contraste du dernier paragraphe. Or, le motif du regard tourné vers la divinité nous renvoie à cette constante rimbaldienne du discours de "Voyelles", et je précise que Claisse débute son article par un renvoi à "Credo in unam".
Voilà, tout ça va arriver dans les prochains jours.

dimanche 6 novembre 2022

Des fleurs pour Bruno Claisse (florilège d'extraits)

Je suis très content de mon article en hommage à Bruno Claisse et vu que j'enchaîne rapidement j'ai décidé pour ne pas le noyer d'en conserver le titre jeu de mots à plusieurs niveaux. Je pense que ceux qui auront lu les deux livres de Claisse apprécieront aussi la pertinence du choix que j'ai pu faire de cibler les sept pages sur le poème "Fleurs", avec en prime cette mise en abîme du lecteur dans le poème, puisque la leçon est que celui qui s'extasie à l'ensemble de la description n'a justement pas compris l'intention maligne de cette pièce. L'allusion à un héros de Balzac doit être précisée, je faisais allusion à un roman La Recherche de l'absolu dont le titre est parlant pour la démarche rimbaldienne de Bruno Claisse. Le héros de Balzac s'appelle Balthazar Claes, je me demande même si l'histoire ne se déroule pas à Douai, mais le roman est quelque part dans mes cartons... Je suis aussi content de la perfidie d'une des dernières phrases de mon article : "il s'agit là de "perfections vulgaires", puisque le lecteur peut hésiter si je parle de l'écriture maniérée des deux écrivains ou bien sûr plus logiquement de la mignardise du boudoir décrit. Ces ambiguïtés sont liés à un problème de reprises insuffisantes par rapport aux phrases précédentes. C'est une catégorie que j'appelle le défaut de reprise pronominale, même si ici je n'ai pas employé de pronom ("il s'agit là"). Je n'ai aucune raison de faire le fier pour ce petit effet, mais si j'en parle c'est que dans un coin de ma tête il y a une idée qu'aucun rimbaldien ne semble avoir travaillée : la poésie de Rimbaud étant hermétique, il y aurait tout un travail à faire sur le flottement dans la succession des phrases rimbaldiennes : il y a d'un côté le manque de contextualisation explicite et de l'autre un défaut de reprises entre les phrases, défaut au sens neutre puisque voulu par Rimbaud, et défaut qui peut être lié aux pronoms, mais qui sera plus lié à un manque de précisions dans les connexions lexicales et thématiques entre les phrases et les mots dans les poèmes de Rimbaud. Je ne sais pas ce qu'un tel travail pourrait donner, mais il est évident que les poèmes de Rimbaud obligent le lecteur à établir lui-même des connexions clarifiant la lecture, le travail n'est pas mâché par Rimbaud lui-même. Voilà j'ai lancé l'idée d'une telle étude, elle est dans la nature, ça pourra être suivi d'effet un de ses jours par quelqu'un qui me suit, sinon par moi-même si je peux y dégager du temps.
Je compte aussi revenir sur les "gazes grises" et les "velours verts", je parlerai alors des "miasmes morbides" de Baudelaire, du problème de l'enseignement "scolaire" des assonances et allitérations, etc. Bref, encore un article que j'annonce.
Mais, mon article "Des fleurs pour Bruno Claisse" se terminait abruptement en laissant un peu les choses en plan. Je vais donc aujourd'hui donner aux lecteurs les extraits qu'il doit lire pour apprécier mon hommage mis en ligne hier, et puis dans un troisième article je ferai les commentaires. Par ailleurs, je vais publier d'autres articles sur le roman Spirite lui-même et non plus pour parler du seul poème "Fleurs", j'ai d'autres idées qu'il me tient à coeur d'enfin développer. Je suis en train de relire ce roman et je sais ce que je veux faire...
Mais cédons la parole aux auteurs cette fois !

D'abord, le poème "Fleurs" de Rimbaud. Etant donné que ce poème peut être lu commodément dans une édition de poche ou même sur un site internet ou sur un fichier PDF du site Gallica de la BNF, je n'hésite pas à annoter le poème discrètement, je souligne les répétitions de mots en tout cas.

                                                                 Fleurs

   D'un gradin d'or, - parmi les cordons de soie, les gazes grises, les velours verts et les disques de cristal qui noircissent comme du bronze au soleil, - je vois la digitale s'ouvrir sur un tapis de filigranes d'argent, d'yeux et de chevelures.
   Des pièces d'or jaune semées sur l'agate, des piliers d'acajou supportant un dôme d'émeraudes, des bouquets de satin blanc et de fines verges de rubis entourent la rose d'eau.
   Tels qu'un dieux aux énormes yeux bleus et aux formes de neige, la mer et le ciel attirent aux terrasses de marbre la foule des jeunes et fortes roses.

Personnellement, je considère que la symétrie d'attaque des deux premiers paragraphes "D'un gradin d'or" et "Des pièces d'or" peut difficilement passer pour autre chose que sarcastique de la part d'un poète aussi critique que Rimbaud. L'expression "pièces d'or" est d'ailleurs équivoque en suggérant que ce décor a un prix en bonne monnaie trébuchante. J'ai accessoirement souligné la reprise de la séquence phonétique "-or-" dans "cordons". J'ai souligné en bleu la reprise du nom pluriel "yeux" et en rouge la reprise avec variante du singulier au pluriel du nom "rose(s)". Ces deux dernières répétitions ne retiennent pas l'attention des rimbaldiens à la différence de l'évidente symétrie du complément du nom "d'or", et partant de là la conception ordonnée des répétitions de mots n'est jamais signalée à l'attention, alors qu'il est sensible que les trois paires de répétition sont volontairement distribuées à l'ensemble des trois paragraphes. Le premier réunit "d'or" et "yeux", le second "d'or" et "rose", le troisième "yeux" et "roses". Certes, cela n'a pas l'air facile de prime abord, mais à l'évidence un commentaire de ce poème peut difficilement se dispenser de parler de l'importance du motif des yeux et du motif des roses. Le poème s'enroule si on peut dire autour de ces répétitions. Nous observons également que les premières mentions "yeux" et "rose" impliquent plutôt que les "yeux" se posent sur la "rose d'eau", quand le mouvement du dernier paragraphe inverse le rapport avec de "fortes roses" attirées par un être aux "yeux bleus".
Il n'est pas difficile non plus de percevoir que les deux premiers paragraphes ont une écriture assez précieuse et énumérative, tandis que le dernier joue plutôt sur l'amplitude, ce qui conforte l'impression à la lecture d'un fort contraste des idées entre le dernier paragraphe et les deux premiers.

Citons maintenant les extraits choisis par Claisse pour défendre sa thèse dans son étude du poème parue dans son livre Rimbaud ou "le dégagement rêvé" en 1990 (p.51-58). Claisse veut d'abord montrer que la description de "Fleurs" est sur le modèle de plusieurs autres qui se rencontrent dans les romans, et notamment dans L'Education sentimentale de Flaubert avec l'hôtel de Rosanette et dans La Curée de Zola avec l'hôtel Saccard. Claisse va privilégier les extraits du roman de Zola tout au long de son article, et il commence par citer un passage dépréciatif à propos de l'or : "suaient l'or, égouttaient l'or", si ce n'est que la technique de Rimbaud est assez différente, puisqu'il joue plutôt sur l'ostentatoire : "D'un gradin d'or" et "Des pièces d'or jaune semées". Au passage, notons le choix de "semées" qui permet de faire un rapprochement étonnant entre "Fleurs" et "Voyelles", j'y reviendrai en principe dans une étude ultérieure, vous vous en doutez bien ! Mais, voici maintenant un extrait plus copieux :
Les murs, dans l'une et l'autre pièce, se trouvaient également tendus d'une étoffe de soie mate gris de lin, brochée d'énormes bouquets de roses, de lilas blancs et de boutons d'or. Les rideaux et les portières étaient en guipure de Venise, posée sur une doublure de soie, faites de bandes alternativement grises et roses. Dans la chambre à coucher, la cheminée en marbre blanc, un véritable joyau, étalait, comme une corbeille de fleurs, ses incrustations de lapis et de mosaïques précieuses, reproduisant les roses, les lilas et les boutons d'or de la tenture.
Claisse ne relève pas lui-même les mots précis qui peuvent entrer en résonance avec la pièce rimbaldienne. Faisons-le nous-même ! L'adjectif énorme qualifie les "bouquets de roses" chez Zola, mais les "yeux bleus" du dieu chez Rimbaud, sachant que "yeux" et "rose(s)" sont deux des trois répétitions clefs du poème...
Pour les couleurs, le gris et le rose sont dans les deux poèmes : indirectement pour le rose, en tant que nom de fleurs dans le poème de Rimbaud, mais directement pour le gris "gazes grises". Le gris est plusieurs fois présent dans le texte zolien : "étoffe de soie mate gris de lin", "bandes alternativement grises et roses". Notons que le complément "d'or" est répété aussi dans notre extrait zolien, précisément à cause de la répétition de la locution "boutons d'or" qui entre elle-même dans une série de répétitions, puisque Zola qui veut souligner que des motifs sont repris d'un élément à un autre du décor reprend à ses bouquets de la tenture roses, lilas et boutons d'or pour les mettre dans les incrustations de la cheminée, il emploie même le verbe significatif "reproduisant". Et on apprécie dans la répétition zolienne que deux des répétitions clefs de Rimbaud soient reprises, et cette fois les "roses" ne sont pas là pour la couleur mais désignent bien des motifs floraux. Le marbre permet de préciser le cadre dans les deux poème, la cheminée d'une chambre à coucher dans La Curée et la terrasse d'une résidence marine dans "Fleurs". Claisse évoque le livre La Mer de Nice de Banville et le poème "Promontoire" des Illuminations pour confirmer que Rimbaud parle d'une mode luxueuse se développant à son époque.
Pour rappel, le roman La Curée a été publié à la fin de l'année 1871 ou au début de l'année 1872.
Plus loin, Claisse en vient à l'idée d'une description de boudoir, il cite un extrait d'un ouvrage de Jean Starobinski sur le boudoir au dix-huitième siècle, puis un extrait datant de 1780 de l'architecte Le Camus de Mézières (je ne sais pas s'il faut saluer Delahaye en passant), lequel précisait sa conception de l'aménagement esthétique du boudoir (les coupures sont celles de Claisse lui-même) :
Le boudoir est regardé comme le séjour de la volupté [...]. Il faut un jour mystérieux, et on l'aura par moyens de glaces placées avec art sur partie des croisées [...]. Elles doivent être distribuées de manière qu'entre chacune, il y ait au moins deux fois autant d'espace sans glace qu'avec glace ; ces intervalles qui laissent du repos peuvent être ornés de riches et belles étoffes en plaçant dans chaque encadrement un tableau artistiquement suspendu, avec de gros glands et des cordons de soie tressés d'or [...]. Le boudoir ne serait pas moins délicieux si la partie enfoncée où se place le lit était garnie de glaces dont les joints seraient recouverts par des troncs d'arbres sculptés, feuillés avec art et tels que la nature les donne. Les bougies produisant une lumière graduée, au moyen de gazes plus ou moins tendues, ajouteraient à l'effet d'optique. On pourrait se croire dans un bosquet.
La référence bibliographique n'est pas très précise, puisque Claisse a repris la citation au livre de Jean Starobinski L'Invention de la liberté. Il va de soi que si on lit passivement les extraits de Zola et de Le Camus de Mézières en regard du poème de Rimbaud on peut se dire que malgré les ressemblances les trois textes parlent de choses différentes. Il faut tout de même admettre que l'assemblage des tissus, choses précieuses et éléments architecturaux relèvent d'une même logique esthétique dans les trois textes. Il est clair que Rimbaud n'invente pas sa propre science dans un assemblage descriptif propre à son imaginaire. Dans le texte de Le Camus, nous retrouvons l'idée de théâtralité ("gradin d'or" chez Rimbaud, "Le boudoir est regardé..." chez l'autre), les gazes, l'imitation de motifs végétaux et les "cordons de soie". Il est d'ailleurs piquant de constater qu'ils sont tressés d'or dans le texte cité du dix-huitième siècle, puisque nous avons souligné que dans "Fleurs", "cordons" reprenait la séquence "or" bien peu de mots après la mention "gradin d'or". Certes, un esprit vétilleux pourrait objecter que cela est involontaire en langue et qu'après tout on peut aussi bien souligner cette présence "or" dans l'adjectif "énormes" commun aux extraits de Rimbaud et Zola, ou bien dans "portières" du seul texte zolien. Insistons tout de même sur le fait que je soulignais la présence "or" dans "cordons" bien avant d'en avoir remarqué la présence dans le texte de Le Camus. Il n'est pas dit que les "cordons de soie" sont aussi "tressés d'or" dans le poème des Illuminations, mais j'en reste à l'idée que Rimbaud, en tant que poète, a porté une attention suffisante à la prosodie de sa composition et qu'il n'a pas pu ne pas remarquer le rapprochement "d'or" et "cordons" dans l'ouverture qui suit : "D'un gradin d'or, - parmi les cordons de soie [...]". Peu importe de toute façon ! Il est clair que la manière descriptive du poème "Fleurs" renvoie à des codes d'époque et non à la volonté de créer une vision inédite et personnelle. Cela est bien démontré par Claisse et les citations qu'il nous propose.
Celui-ci, qui passe de l'idée de boudoir à celles de parc, puis de serre, poursuit en signalant que les expressions "dômes d'émeraudes", "pelouses de velours" et "tapis de soie" abondent dans le livre d'Hippolyte Taine Notes sur l'Angleterre, paru en 1872, tout comme La Curée en volume. Rappelons qu'on peut soupçonner à bon droit que maints poèmes des Illuminations s'inspirent de la vie anglaise de Rimbaud en Angleterre, qui y a séjourné à peu près tout le temps de septembre 1872 à juin 1873, puis de nouveau à partir d'avril 1874. Quant à Taine, c'est un auteur ardennais cité avec mépris par Rimbaud dans sa célèbre lettre du "voyant" du 15 mai 1871. Dans "Fleurs", nous relevons la mention "dôme d'émeraudes", où "dôme" est au singulier, il convient donc de repérer les ouvrages lus par Rimbaud qui s'est emparé de l'expression. Ils sont peut-être abondants. Rimbaud parle de "velours verts" au sein du même texte et pour "tapis de soie" Rimbaud qui a retenu l'expression "cordons de soie" opte pour une variante élaborée "tapis de filigranes d'argent, d'yeux et de chevelures". Claisse cite également le passage suivant du roman La Curée pour le comparer à la digitale s'ouvrant sous l'effet de la lumière :
Les grandes fleurs de pourpre s'ouvraient, sous l'égouttement de lumière tombant du cristal des lustres.
Et les citations s'enchaînent rapidement avec la comparaison des fleurs à des chevelures et des yeux de femmes, puis avec la comparaison de la femme elle-même à un nymphéa :
Les anémones jaunes semblaient des yeux, de grands yeux qui nous regardaient.
Les Tornélias laissaient pendre leurs broussailles, pareilles à des chevelures de Néréides pâmées.
[...] une grande fleur rose et verte, un des nymphéas du bassin [...]
Il est temps maintenant de citer mon extrait du roman Spirite de Théophile Gautier. J'en profite pour rappeler aussi que si tout à l'heure je signalais à l'attention le participe passé commun à "Voyelles" et "Fleurs" : "Paix des pâtis semés d'animaux" et "Des pièces d'or jaune semées sur l'agate", il se trouve que "Voyelles" contient un néologisme rare propre à Gautier "vibrements", tandis que le poème "Les Mains de Jeanne-Marie" qui est à relier à "Voyelles" par plusieurs éléments communs, en tout cas le néologisme "bombinent" et l'avant-dernière rime "étranges"/'anges", parodie quelque peu le poème "Etudes de mains" du recueil Emaux et camées tout en épinglant la publication en prose anticommunarde récente du même Théophile Gautier Tableaux de siège, puisque les prières aux pieds des Madones raille la prière de Gautier au pied de la Madone de Strasbourg. Le roman Spirite semble contenir la première publication clairement attestée de l'expression "azur noir" employée par Rimbaud au début de "Ce qu'on dit au Poète à propos de fleurs", expression qui sera affectionnée également par Victor Hugo, mais dans des publications ultérieures, et il faut bien comprendre que tout cela invite à revenir sur l'idée du vers final de "Voyelles" où Rimbaud joue clairement et encore une fois sur la révélation d'un être spirituel qu'il s'agit de voir au-delà de la gaze des rideaux. Lors de la première apparition spectrale de "Spirite", il est question de "violettes" au fond des yeux et même si c'est en des termes différents on peut comparer l'ambiance de cette première fois avec celle du poème "Matinée d'ivresse", bien qu'objectivement il n'y ait pas de jeu de réécriture de l'un à l'autre texte, puisque je ne veux que souligner que dans ses poèmes en prose Rimbaud déploie des manières d'époque qui le conditionnent et qui avait des significations d'époque que nous avons visiblement du mal à reconnaître. Mais tout cela appartient à des réflexions de ma part encore à venir.
Le roman ou plus précisément comme c'est publié la "nouvelle fantastique" Spirite n'est pas facile à se procurer dans une édition moderne. Je possède le volume aux Editions Ombres, dans la collection "Petite bibliothèque Ombres". Le récit est précédé d'une "Esquisse biographique de l'auteur par lui-même". La nouvelle ou le roman (peu importe, l'opposition des termes "roman" et "nouvelle" n'a aucun sens commun, sauf à torturer les élèves au collège, au lycée ou à l'université avec des éléments de définition que de nombreux contre-exemples font s'écrouler comme un château de cartes) se compose de seize chapitres numérotés en chiffres romains. Mon édition a laissé passer pas mal de coquilles ("pendait" pour "pensait" "assis" pour "assise" et bien d'autres), mais elle serait conforme au texte de l'édition originale chez l'éditeur Charpentier en 1866, avec une modernisation de l'orthographe et des erreurs corrigées toutefois.
L'esquisse biographique a été publiée en 1867 dans un ouvrage distinct.

La nouvelle fantastique Spirite n'est pas sans rappeler le classique de l'auteur qu'est Mademoiselle de Maupin. Le héros qui porte un nom tiré du roman Armance de Stendhal, Guy de Malivert, est un symbole d'élégance non snobinard typique des récits de Théophile Gautier. C'est un excellent parti pour les femmes, mais il les fuit toutes, y compris celle à laquelle on le prédestine, la très belle madame d'Ymbercourt. Dans une approche fantastique qui n'est pas sans rappeler la manière de quelques autres récits de l'auteur, "La Cafetière", etc., Guy de Malivert est approché par un être au-delà qu'il soupçonne vivement d'être féminin par la qualité sonore d'un soupir et par une suite d'événements qui correspondent à autant de réactions de jalousie. Le personnage doute dans un premier temps de la réalité surnaturelle qui rôde autour de lui, mais un baron suédois, adepte de Swedenborg, va expliciter une théorie platonicienne de contact de notre monde avec un monde invisible étranger à nos chairs. Le héros décide de renoncer à l'ennuyeuse madame d'Ymbercourt et prend très rapidement le risque de sortir du cercle protecteur de son humanité pour entrer en relation avec l'être surnaturel que faute de nom il a baptisé "Spirite". La première apparition fera plus tard sur ce blog l'objet d'une simple comparaison avec "Matinée d'ivresse", je dis bien "simple comparaison" pour ne pas qu'on songe à une source, une réécriture, etc. Le début du récit est également très riche en informations, puisque le premier contact est placé sous le signe de la lecture par Malivert du récit en vers Evangeline de Longfellow, que je possède quelque part ici chez moi, que j'ai déjà lu, et Longfellow est qualifié de premier grand poète qu'ait connu l'Amérique, ce qui est certes discutable, mais ce qui s'impose aussi pour l'histoire littéraire française comme une sorte de vérité d'époque que ne pouvait ignorer Rimbaud, qui a emprunté à un autre écrit de Longfellow l'expression "Being Beauteous" et qui a remarqué les adaptations en vers français de cet auteur américain par Baudelaire. On parle souvent du roman, à mon sens surestimé, de Huysmans A rebours avec son dandy dont chapitre après chapitre on décrit les passions et les passades, et bien sûr les lectures et opinions sur les artistes, poètes et écrivains. On oublie que c'est un motif qui existait avant et précisément dans le début du récit "Spirite", le héros Malivert est annoncé comme un étonnant lecteur cultivé qui sur sa bibliothèque mélange les classiques de la Littérature et les ouvrages scientifiques (Claude Bernard) et aussi quelque peu ésotériques. Le baron de Féroé est lui-même un disciple de Swedenborg. C'est un personnage de "voyant" qui nous est décrit, non pas en tant qu'auteur, mais en tant que lecteur de poésies et d'ouvrages cherchant à découvrir l'inconnu. Ce n'est pas dire que Rimbaud adhère à l'ésotérisme que de considérer qu'il joue lui-même dans sa poésie avec ce cliché littéraire.
Mais venons-en au fait. Guy de Malivert n'a toujours pas rencontré directement l'être spirituel qui va chambouler son existence et le baron de Féroé ne lui a pas encore expliqué grand-chose. Nous en sommes à de premières manifestations singulières et au constat, comparable à ce qui se fait pour le héros masculin de Mademoiselle de Maupin, que notre homme n'est pas satisfait par le monde ambiant et la multitude des femmes qu'il lui est loisible de rencontrer à Paris. Il accepte, à son corps défendant, de rendre certaines visites à madame d'Ymbercourt. Il y a plusieurs passages très bien écrits que je n'ai pas à commenter ici sur la relation entre les deux personnages, mais donc à un moment donné Malivert a accepté une invitation hivernale en soirée, sauf que croyant être seul avec cette dame, même si son objectif est de l'éconduire, il doit supporter en réalité une grande réception mondaine avec plein de beau linge, lui ayant commis un impair à propos de la couleur de ses gants.
Nous sommes dans un luxueux appartement de la Chaussée-d'Antin, et à cause de ses gants à tout le moins Malivert essaie d'échapper à la lumière et à la foule du grand salon, sauf que madame d'Ymbercourt le ramène sans arrêt au centre du cercle. Enfin, il passe à "autre salon plus petit, arrangé en serre, tout treillagé et tout palissé de camélias." Nous sommes au haut de la page 41 de mon édition et je lance maintenant la transcription d'une citation conséquente se poursuivant jusqu'au milieu de la page 43 :

   Le salon de Mme d'Ymbercourt était blanc et or, tapissé de damas des Indes cramoisi ; des meubles larges, moelleux, bien capitonnés, le garnissaient. Le lustre à branches dorées faisait luire les bougies dans un feuillage de cristal de roche. Des lampes, des coupes et une grande pendule qui attestaient le goût de Barbedienne ornaient la cheminée de marbre blanc. Un beau tapis s'étalait sous le pied, épais comme un gazon. Les rideaux tombaient sur les fenêtres amples et riches, et, dans un panneau magnifiquement encadré souriait encore plus que le modèle, un portrait de la comtesse peint par Winterhalter.
   Il n'y avait rien à dire de ce salon meublé de choses belles et chères, mais que peuvent se procurer tous ceux à qui leur bourse permet de ne pas redouter un long mémoire d'architecte et de tapissier. Sa richesse banale était parfaitement convenable, mais elle manquait de cachet. Aucune particularité n'y indiquait le choix, et, la maîtresse du logis absente, on eût pu croire qu'on était dans le salon d'un banquier, d'un avocat ou d'un Américain de passage. L'âme et la personnalité lui faisaient défaut. Aussi Guy, artiste de nature, trouvait-il ce luxe affreusement bourgeois et déplaisant au possible. C'était pourtant bien le fond duquel devait se détacher Mme d'Ymbercourt, elle dont la beauté ne se composait que de perfections vulgaires.
   Au milieu de la pièce, sur un pouf circulaire surmonté d'un grand vase de Chine où s'épanouissait une rare plante exotique dont Mme d'Ymbercourt ne savait même pas le nom et que son jardinier avait placée là, s'étalaient, assises dans des gazes, des tulles, des dentelles, des satins, des velours, dont les flots bouillonnants leur remontaient jusqu'aux épaules, des femmes, la plupart jeunes et belles, dont les toilettes d'un caprice extravagant accusaient l'inépuisable et coûteuse fantaisie de Worth. Dans leurs chevelures brunes, blondes, rousses et même poudrées, d'une opulence à faire supposer aux moins malveillants que l'art devait y embellir la beauté, contrairement à la romance de M. Planard, scintillaient les diamants, se hérissaient les plumes, verdoyaient les feuillages semés de gouttes d'eau, s'entrouvraient les fleurs vraies ou chimériques, bruissaient les brochettes de sequins, s'entrecroisaient les fils de perles, reluisaient les flèches, les poignards, les épingles à deux boules, miroitaient les garnitures d'ailes de scarabée, se contournaient les bandelettes d'or, se croisaient les rubans de velours rouge, tremblotaient au bout de leur spirale les étoiles de pierreries et généralement tout ce qui peut s'entasser sur la tête d'une femme à la mode, sans compter les raisins, les groseilles et les baies à couleurs vives que Pomone peut prêter à Flore pour rendre complète une coiffure de soirée, s'il est permis à un lettré qui écrit en l'an de grâce 1865 de se servir de ces appellations mythologiques.
   Adossé au chambranle de la porte, Guy contemplait ces épaules satinées sous leur fleur de poudre de riz, ces nuques où se tordaient des cheveux follets, et ces poitrines blanches que trahissait parfois l'épaulette trop basse d'un corsage ; mais ce sont là de petits malheurs auxquels se résigne aisément une femme sûre de ses charmes. D'ailleurs le mouvement pour remonter la manche est des plus gracieux, et le doigt qui corrige l'échancrure d'une robe et lui donne un contour favorable fournit une occasion de jolies poses. Notre héros se livrait à cette intéressante étude qu'il préférait à de banales conversations, et selon lui c'était le bénéfice le plus clair qu'on rapportait d'une soirée ou d'un bal. Il feuilletait d'un oeil nonchalant ces livres de beauté vivants, ces keepsakes animés que le monde sème dans ses salons comme il place sur les tables des stéréoscopes, des albums et des journaux à l'usage des gens timides embarrassés de leur contenance. [...]

La suite immédiate du récit correspond à la rencontre entre Malivert et le baron de Feroé, ce qui pour maintenir le parallélisme introduit l'idée que Malivert après la description des deux premiers paragraphes du poème "Fleurs" est plutôt une de ces "fortes roses" préférant chercher un "dieu" d'ouverture du côté du ciel et de la mer avec passage du "gradin d'or" aux "terrasses de marbre". J'aurais quelques petites expressions encore à citer, mais je vous laisse à cette lecture et je reporte le commentaire à un article tout prochain...

samedi 5 novembre 2022

Des fleurs pour Bruno Claisse

J'ai appris hier sur le site d'Alain Bardel le décès de Bruno Claisse. Il s'agit de l'un des rimbaldiens que je cite le plus souvent. L'hommage fait par Bardel figure sur sa page de présentation du site que je mets en lien ci-dessous, mais il ne s'agit d'un haut de page internet renouvelé constamment, le lien ne vaut qu'actuellement, je ne sais pas si le texte sera ensuite référencé ailleurs.


Le titre de bref article choisi par le webmestre est "Pour honorer Bruno Claisse" et on peut apprécier les premières de couverture des deux livres de recueil d'articles publiés du vivant de Bruno Claisse.
En 1990, Bruno Claisse a publié un premier livre Rimbaud ou "le dégagement rêvé" en se faisant éditer par le Musée bibliothèque Rimbaud, ce qui nous vaut un ouvrage comparable aux numéros de la revue Parade sauvage à cette époque. Puis, à la fin de sa carrière de contributeur à une meilleure connaissance de Rimbaud, la publication d'un second ouvrage a été précipitée qui porte le titre Les Illuminations et l'accession au réel. La santé de Claisse a commencé à décliner avant la publication de cet ouvrage dont la finition n'est pas totalement de son fait. Même s'il serait pertinent de pointer les constances du critique d'un ouvrage à l'autre, ces deux livres reflètent deux époques différentes en manière d'approche critique.
Très présent par ses contributions à la principale revue d'études rimbaldiennes Parade sauvage, Bruno Claisse n'était pourtant pas un rimbaldien unanimement reconnu et il n'était pas enseignant à l'Université, mais dans une école normale supérieure ou quelque chose de la sorte. Avec son nom d'origine flamande à la Balthazar de chez Balzac, il vivait à Douai, c'était donc un pays de Paul Demeny, Mario Proth et autres sœurs Gindre.
Les réticences et même préventions à l'égard de son travail étaient extrêmement fortes dans les années quatre-vingt. A cette époque, il est encore difficile d'envisager que Rimbaud écrit de la poésie en parlant de ce monde lui-même : sous prétexte que personne ne pouvait se prévaloir de la compréhension du sens de la plupart des poèmes de Rimbaud à partir de 1871, le dogme était que par la simple disposition de mots Rimbaud permet à l'homme d'entrevoir des vérités insoupçonnées et quasi insondables, ce qui ne veut rien dire, mais cela était pris très au sérieux et l'est encore pas mal de nos jours.
L'âge d'or de Claisse correspond toutefois plutôt à un ensemble d'articles contenus dans le second livre paru vers 2010. Les temps forts sont ses lectures de trois poèmes des Illuminations : "Mouvement", "Nocturne vulgaire" et le poème intitulé "Villes" qui commence ainsi : "Ce sont des villes !"). Certaines des dernières publications de Claisse sont quelque peu déroutantes à la lecture, on peut penser notamment à son article sur "Parade", mais il commençait à développer un discours sur le livre Une saison en enfer, parfois assez proche du mien, et il avait réévalué à nouveaux frais plusieurs de ses anciennes lectures, puisque lorsqu'il étudie "Mouvement" il revient sur le poème qu'il a déjà traité "Marine", il a publié jadis un article sur "Matinée d'ivresse" qui est contredit par celui qu'il publie finalement dans son second livre d'articles, il a publié plusieurs analyses des poèmes "Villes" également qui sont réparties du coup entre ces deux ouvrages rimbaldiens, et il me semble qu'il a publié deux études distinctes du poème "Solde" également, à moins que je ne confonde cette fois avec un autre critique rimbaldien. Peu de ses articles n'ont pas été repris dans ses deux livres : un article général "mythiques Illuminations" paru dans la revue Sud ou Actes-Sud, un article sur "Les Ponts" qu'il est vraiment dommage de ne pas recueillir en volume, un article sur "Matinée d'ivresse" finalement renié, un article sur "Après le Déluge" dans la revue Parade sauvage, et je pense, à moins que je ne confonde avec Yves Reboul qui est concerné aussi, s'il n'y a pas un article ou deux sur Renan et Rimbaud. Il faut ajouter des articles sur les poèmes en vers "Voyelles" et "Le Bateau ivre".
Je vais revenir ici sur le premier ouvrage. Je pense que dans les semaines à venir ce serait bien que je fasse un bilan des publications de Claisse sur ce blog. Les premiers articles de Claisse, réunis dans le livre paru en 1990, sont assez peu mis en avant par les rimbaldiens. Dans son édition en Garnier-Flammarion, parue à la même époque (1989-1990 en gros), Jean-Luc Steinmetz ne référence guère que les analyses des deux poèmes "Marine" et "Fête d'hiver". Je peux me tromper, vu que je me fie à ma mémoire, mais ça doit être les deux seules études que Steinmetz signalait alors à l'attention dans les notes fournies poème par poème. Les considérations sur les poèmes "Scènes", "Ornières", "Fleurs", "Promontoire", "Métropolitain", "Barbare", "Dévotion", "Ville", "Villes" et re- "Villes", ne retinrent pas du tout l'attention. Seuls Antoine Fongaro et Steve Murphy mettaient en valeur le travail de Claisse, en gros.
Je choisis de parler du poème "Fleurs". Le livre de Claisse offre deux études inédites, une sur "Métropolitain" en regard de Taine et l'autre sur le poème "Fleurs" qui est rangée dans la rubrique "Décadence". Il s'agit d'une étude assez brève, elle ne fait que huit pages, et encore ! Nous avons à peu près sept pages de texte et une page de notes succinctes s'en tenant à indiquer des références à consulter.
L'article ne fait que sept pages ! L'étude du poème est intégrée au déploiement d'une problématique qui parcourt tout l'ouvrage et on peut admettre que le lecteur ne soit pas d'emblée en confiance face au discours qui lui est tenu, mais même en tenant à distance le discours de mise en place qui peut brouiller nos perceptions il y a une thèse de lecture du poème qui est formulée clairement et qui peut faire l'objet d'une évaluation assez simple. Dans "Fleurs", Rimbaud dénonce selon Claisse "le luxe délirant des hautes classes de la société du temps" (p. 52).Pour appuyer son raisonnement, Claisse a le mérite de citer des antécédents parmi des auteurs devenus des classiques de la littérature et dans des ouvrages quasi contemporains des Illuminations. Claisse va citer, bien que cela restera assez allusif, le roman L'Education sentimentale de Flaubert. Songeons que désormais avec la révélation de la lettre de Rimbaud à Jules Andrieu en 1874 nous savons que Flaubert est un auteur connu et visiblement estimé par Rimbaud qui cite notamment Salammbô. Cela remet sur le tapis l'idée d'une influence possible de La Tentation de saint Antoine dans son état textuel de 1874 sur deux passages des Illuminations : "Tu en es encore à la tentation d'Antoine" et "rafales de givre", quand bien même cette dernière expression, pourtant rare, fut déjà employée plusieurs décennies auparavant par Lamartine. La principale source citée tout le long de l'article de Claisse n'est autre que le roman La Curée de Zola, roman qui au passage ne réécrit pas seulement Phèdre de Racine mais aussi le roman Renée Mauperin des frères Goncourt. Pour l'essentiel, Rimbaud n'a pu s'inspirer des vingt romans de la fresque des Rougon-Macquart, mais les tout premiers volumes font figure d'exception, sachant qu'il existe deux versions écrites de La Fortune des Rougon. C'est très intéressant de citer La Curée, puisque nous sommes amenés à ne pas exclure l'influence possible de Zola sur Rimbaud, et puisqu'on voit se renforcer l'idée d'un Rimbaud qui lorgne énormément du côté de la veine du roman réaliste, tout en faisant quelque chose d'autre au plan poétique. Et l'idée d'une influence des techniques romanesques d'un Flaubert ou d'un Zola est un pavé dans la mare de ceux qui voient dans les écrits de Rimbaud une révélation en-dehors de toute littérature.
Evidemment avec des sources tirées de romans de Flaubert et Zola, Claisse plaide pour une lecture satirique loin de l'émerveillement béat que la doxa entend prôner devant tout poème de Rimbaud. Le spectacle décrit dans "Fleurs" n'est pas donné pour magnifique en tant que tel. Il s'agit de mignardises pour des âmes vulgaires, au moins en l'espace des deux premiers des trois paragraphes du poème.
Claisse a eu également le mérite de nourrir son commentaire par des références plus que pertinentes à la littérature non littéraire. Claisse cite un ouvrage de la fin du dix-huitième siècle sur la mise en scène architecturale des boudoirs, ce qui nous permet d'identifier des codes sociaux et de constater que le texte ne surenchérit pas dans cette voie, mais les met en tension pour les dénoncer et imposer une nouvelle dynamique et une nouvelle attente du public exigeant. Quand Rimbaud parle d'un "gradin d'or", il ne faut pas opérer une lecture au premier degré en considérant que l'or c'est prestigieux, mais il faut bien évidemment identifier le caractère insolemment ostentatoire de cet élément du décor, et le côté financier qui corrompt le merveilleux spectacle est clairement démonté par Rimbaud quand il reprend une deuxième fois le mot "or", des "pièces d'or jaune". La confusion entre les fleurs et les femmes ne doit pas être célébrée comme un coup de génie que Rimbaud partagerait avec d'autres grands écrivains tantôt antérieurs, tantôt postérieurs, tel Proust et ses "jeunes filles en fleurs". La confusion des femmes et des fleurs ne demande aucun génie, et même si cela peut se faire avec un brio qui révèle l'artiste, Claisse nous montre bien ici que Rimbaud cite un art consommé de la création très codifiée des boudoirs dans la société vivant dans le luxe. Rimbaud cite des procédés d'apparat social, il n'est pas en train d'exhiber sa propre virtuosité. Je ne sais pas si vous vous rendez compte à quel point l'étude du poème "Fleurs" par Claisse est un pied-de-nez à ceux qui ne veulent pas commenter Rimbaud et qui n'entendent que communier dans l'extase. Claisse, ne le dis pas ainsi, mais c'est impliqué par la logique de son analyse : les gens qui s'émerveillent au premier degré des phrases descriptives du poème "Fleurs" : "D'un gradin d'or, - parmi les cordons de soie, les gazes grises, les velours verts et les disques de cristal qui noircissent comme du bronze au soleil..." Ces gens jouissent passivement de la belle élocution, des redoublements de consonnes à l'initiale de mots : "gazes grises", "velours verts", d'associations de choses précieuses, mais la lecture rimbaldienne reprend ces éléments dans une logique de persiflage. L'élégance de surenchère n'est pas élégance et le redoublement des consonnes, voulu par Rimbaud bien sûr, est un moyen de produire un effet, effet qui ici est du côté de la mignardise vulgaire : "gazes grises", "velours verts". Tout ce luxe est vulgaire et la surenchère est de mauvais goût.
Je commence à aller plus loin que ce qu'a pu développer Claisse dans son article. Il est vrai que cet article aurait mérité d'être repris pour apporter de nouveaux approfondissements. Notons que dans le Dictionnaire Rimbaud dirigé par Alain Vaillant, Yann Frémy et Adrien Cavallaro, la notice au poème "Fleurs" a été confiée à une certaine Corinne Bayle qui mentionne l'article de Claisse (page 303) dans la notice bibliographique, mais à aucun moment dans son commentaire du poème. Je cite sa conclusion (page 302) :

   Sorte de réponse différée à Théodore de Banville, cette Illumination redouble la leçon de Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs ; il ne s'agit plus d'un pastiche ou d'une parodie, comme dans le poème en vers de 1871, mais d'une réinvention de la poésie, ni subjective à la façon romantique, ni objective à la façon parnassienne, en une impassibilité revenant vers l'Antiquité. Poésie de l'exploration du réel, du visible comme du psychisme, de la nature comme de l'impalpable, à l'instar de ces "Fleurs" ouvertes, qui nous regardent d'un regard inconnu, réalisant le rêve baudelairien de fleurs radicalement nouvelles.
On peut se demander en quoi cette conclusion a tenu compte de l'article de Claisse pourtant référencé. Passons sur l'association de l'objectif à la poétique parnassienne. J'ignore également comment il faut comprendre le passage suivant "en une impassibilité revenant vers l'Antiquité". Peut-on lire ainsi : "réinvention de la poésie en une impassibilité revenant vers l'Antiquité, ni subjective..., ni objective... ? Ou bien doit-on la lire ainsi : "réinvention de la poésie ni subjective, ni objective (l'impassibilité étant alors une illustration de l'esthétique parnassienne dépassée) ? De toute façon, même en choisissant l'une ou l'autre lecture, le propos n'est pas compréhensible. Bayle joue sur des appels de mots un peu faciles, sur des références qui font miroiter les féeries rimbaldiennes par des allusions transversales : les "fleurs" sont un peu celles de la lettre à Banville, mais traitées sur un mode différent, elles sont les soeurs de celle qui dit son nom dans "Aube" et on saupoudre cela d'une citation des Fleurs du Mal avec la prétention artiste de faire du neuf, pardon ! du nouveau. Est-ce vraiment cela que raconte le poème "Fleurs" ? Le refuge pour Bayle sera de s'appuyer sur le caractère d'ouverture du troisième et dernier paragraphe du poème. Dans son commentaire, elle parle d'un dispositif théâtral au second paragraphe, mais c'est précisément contre les abus de ce théâtre social que le poème de Rimbaud nous met en garde, et l'article de Claisse permettait d'avoir des clefs pour bien mesurer que Rimbaud citait une littérature mondaine d'époque.
Une suite à cette étude va paraître, mais je peux déjà en faire l'annonce. En lisant certains poèmes aux descriptions un peu maniérés de Rimbaud, je pense quelque peu à l'écriture artiste de Théophile Gautier. Or, dans le cas de "Fleurs", il me semble qu'au début du roman Spirite nous avons un extrait qui entre parfaitement en résonance avec le discours du poème "Fleurs". Nous avons l'idée d'entourer un être principal, la confusion des femmes et des fleurs. La description de lieu est explicite. Le héros Guy de Malivert est invité à un très grande soirée mondaine chez sa prétendante qui l'ennuie, Madame d'Ymbercourt. Nous rencontrons des phrases similaires à celles de Rimbaud, avec des énumérations comparables, mais si vous goûtez comme moi la manière d'écrire d'un Rimbaud ou d'un Gautier vous aurez ici la leçon explicite du maître qui vous dit en toutes lettres qu'il s'agit là de "perfections vulgaires".
Je citerai cet extrait dans mon prochain article et je ferai les commentaires qui s'imposent.
Voilà, je pense avoir réussi un hommage très inattendu aux travaux de Claisse en mettant ainsi en avant sept pages méconnues de son premier livre...