vendredi 8 décembre 2023

Des "explanations mystiques" à la Quinet pour Une saison en enfer !

J'ai toujours voulu lire des ouvrages d'Edgar Quinet, du moins en fonction de mon intérêt pour la recherche rimbaldienne, sauf qu'au début du troisième millénaire et d'internet at home, je n'avais qu'une bien vague idée de ce qu'il avait pu publier et je n'avais qu'un faible accès à ses ouvrages. Il me souvient d'une version en mode texte de son Ahasvérus dont la lecture était pour moi pire que le calvaire du juif-errant. Je n'étais pas très emballé et il y avait tellement d'ouvrages à lire, tellement d'auteurs à explorer, poètes, romanciers, historiens... J'ai laissé tomber. Puis, quand la lettre de Jules Andrieu de 1874 a été révélée, une mention de Quinet était faite par Rimbaud, mais je n'ai pas réagi. Personne ne l'a fait beaucoup plus que moi. Sur le site d'Alain Bardel, Yves Reboul a apporté une contribution au sujet de cette lettre, mais il associe lui aussi Quinet principalement à Ahasvérus. Et dans son article en ligne sur la "Découverte d'une lettre de Rimbaud", Frédéric Thomas cite plutôt une publication toute fraîche, La Création, volume de 1870, avec une recension d'Emile Zola. Je prends le temps de vous citer les passages en question.


Reboul écrit ceci :
[...] ce n'est pas un hasard s'il se réfère à Flaubert écrivant Salammbô, ou "mieux" encore, à des historiens, comme Michelet ou Quinet (sans doute pense-t-il à Ahasvérus).
Puis, plus loin, il cite le même ouvrage que Thomas :
"Citons Quinet, que Rimbaud évoque précisément comme un modèle : parlant des prophètes, celui-ci écrit (La Création, t. II, 1870, p. 289) : "Les voyants étaient, pour ainsi dire, les yeux toujours ouverts du peuple".

A propos de Quinet, voici ce qu'écrit Thomas :
[...] la référence à Flaubert, à Quinet et, "mieux", à Michelet semble confirmer tout un pan des études rimbaldiennes, qui ont mis en évidence ces intertextes dans la poésie de Rimbaud[40]. [...]
Il y a une petite bévue dans la citation de Thomas. Rimbaud a écrit et souligné "mieux" pour dire sa supériorité sur Quinet et Michelet et non pas pour considérer que Michelet valait mieux que Quinet. Je pense que la première citation que j'ai faite de la contribution de Reboul épingle ce contresens, puisque nous passons du noù "référence" à la forme verbale "se réfère", tandis que la citation "mieux" est réorganisée pour associer les historiens. Rimbaud dit qu'il va faire du Quinet et du Michelet en mieux.
Il va de soi qu'il me faut aussi citer la note 40 de Thomas :
[40] Principalement peut-être certains textes de Michelet : La Sorcière, La Mer, Bible de l'humanité...
Cette note apporte une restriction. Quinet n'a pas tellement été abordé par la critique rimbaldienne, il est plutôt envisagé de manière allusive.
Au long de son article, Thomas revient assez peu sur Quinet, j'évite de rapporter le passage subjectif sur la diversité des références qui nous vaudrait un bouleversement des genres littéraires et j'en viens à la dernière mention du nom de Quinet. Thomas s'attarde sur des considérations génériques qui à mon sens ne sont pas ici à leur place. Les ouvrages de Quinet et de Michelet s'apparenteraient à des poèmes en prose, et il serait question de ne pas oublier le modèle du Gaspard de la nuit d'Aloysius Bertrand. Dans sa lettre, Rimbaud fait du persiflage à l'égard des historiens Michelet et Quinet, je suis donc peu enclin à m'intéresser à une réflexion sur le caractère vivifiant pour Rimbaud de leur espèce de poésie en prose, d'autant que si Michelet a un véritable intérêt littéraire, dans le cas de Quinet on peut être beaucoup plus réservé. Il est certain que Quinet s'essaie à une écriture poétique, imagée, onirique, métaphysique, "mystique", mais je vois mal Rimbaud bâder d'admiration devant autant de maladresse. En revanche, Thomas cite un ouvrage de 1870 intitulé La Création, et c'est la note 50 qui l'accompagne qu'il convient de citer :
"... histoire de l'univers, [les] sciences des choses et [les] annales des hommes. (...) Sorte de philosophie naturelle, une explication large et superbe de l'homme et de la nature" dans Emile Zola, "Livres d'aujourd'hui et de demain", dans Le Gaulois : littéraire et politique, 16 février 1869, p. 3.
Une contribution de Thomas en réponse à celle de Reboul fut un temps présente sur le site, mais je ne sais pas comment y accéder.
Quant au commentaire par Alain Bardel lui-même, il ne fait pas la moindre mention de Quinet.
Je vais ci-dessous parler d'un tout autre ouvrage de Quinet. Je n'ai jamais lu son livre La Création, lacune que je vais combler si possible dans les jours qui viennent. Mais je ne pouvais pas ne pas commencer cet article par la lettre à Andrieu de 1874 tant elle va donner du poids à ce que je vais développer ensuite.
Et je m'empresse de préciser un scoop !
Quelques années avant la révélation de cette lettre de Rimbaud à Londres, Yves Reboul et Bruno Claisse ont publié chacun de leur côté une étude du poème "Mystique" des Illuminations. Je vais relire ces deux études, mais je pense que Quinet n'y était pas mentionné. Or, ici, la lettre de Rimbaud à Andrieu offre une hypothèse de lecture en or pour ce poème en prose. Rimbaud associe les historiens Michelet et Quinet à des explications mystiques inadéquates, mais séductrices, autrement dit il y a un peu un art de charlatan sous couvert de développements scientifiques dans les ouvrages de Michelet et Quinet. Rimbaud crée un mot à partir du verbe anglais "to explain", création verbale qui apparaît aussi dans la correspondance de Verlaine liée à Rimbaud. Dans sa lettre, Rimbaud fait une publicité à l'envers de son projet. Il se définit comme un imposteur qui veut faire une bonne affaire. Les auteurs cités ne sont que des moyens d'assurer une bonne parade littéraire. Il prend des modèles pour jouer les charlatans, et c'est sous cet angle qu'il faut entendre la citation suivante : "comme liaisons et explanations mystiques, Quinet et Michelet, mieux". Il devient clair comme de l'eau de roche que "Mystique" des Illuminations est un persiflage en règle de tels historiens, et je pense spontanément que par le style et le contenu Quinet convient mieux comme cible critique au poème, mas cela reste à vérifier. Je rappelle que, à la fin du brouillon correspondant à "Alchimie du verbe", Rimbaud lance la phrase suivante avant de conclure : "Je hais maintenant les élans mystiques et les bizarreries de style." Les rimbaldiens font un contresens courant sur la toute fin de "Alchimie du verbe" et sa clausule concise :
Cela s'est passé. Je sais aujourd'hui saluer la beauté.
Ils croient que le poète qui avait injurié la "Beauté " désormais l'apprécie. Et ils croient que le poète a renoncé à trouver "dérisoires" les célébrités de l'art et de la littérature. Or, ce n'est pas du tout ce qui est dit par cette clausule. Cette clausule est ramassée pour afficher une certaine désinvolture dédaigneuse et la construction verbale est quelque peu modalisée : "Je sais..." Le poète est simplement en train de dire qu'il sait l'effort de se contenir. La beauté ne le met plus en colère, il peut faire mine de la saluer socialement et passer à autre chose. Il trouve toujours les célébrités de la peinture et de la poésie modernes dérisoires, mais il n'estime plus qu'il doit prendre en charge de régler cette question. La lettre à Andrieu, qui en principe n'appartient pas à l'œuvre littéraire stricto sensu de Rimbaud, mais à sa vie courante, confirme cette nouvelle orientation. Les "élans mystiques" ne correspondaient pas aux pratiques personnelles de Rimbaud pour se détacher du beau, mais Rimbaud identifiait des "élans mystiques" suborneurs dans les textes célébrés de son époque. Et, ici, pour vivre de sa plume, Rimbaud se propose d'imiter ces procédés, mais avec un détachement nouveau. Il ne s'agit plus pour lui de se "faire voyant", il est question de singer des attitudes de "double-voyant" à des fins mercantiles. Il va de soi que si Rimbaud avait mené à terme ce projet, nous aurions pu identifier un écart ironique dans la prestation littéraire rimbaldienne, ce qui aurait sauvé les apparences. Néanmoins, Rimbaud confirme qu'il fait sien le message d'Une saison en enfer, il ne croit plus à la quête supérieure définie dans les lettres de mai 1871. En conservant à l'esprit qu'il faut lire sa lettre avec un relatif second degré, il passe dans l'excès inverse des positions de Flaubert et Malherbe où la littérature n'est pas plus que le jeu de quilles. Quant à son projet d'une "Histoire splendide", il est là encore en phase avec Une saison en enfer. A l'époque de Rimbaud, l'Histoire continuait d'être subordonnée à une approche religieuse, il y avait pour la jeunesse une histoire sainte qui précédait une histoire profane dans l'enseignement. Cette histoire sainte consistait à faire prédigérer le texte biblique. J'ai acheté des volumes anciens de cet ordre, je parle en connaissance de cause. Puis, au plan des intellectuels, des lectures pour adultes, il n'y avait pas cette succession histoire sainte, puis histoire profane, mais l'Histoire elle-même était envisagée comme pourvoyeuse d'un message transcendant où la religion avait très souvent sa place, même chez des auteurs hostiles aux gens d'Eglise, comme Quinet précisément.
Dans Une saison en enfer, Rimbaud reprend un récit national appliqué à l'individu poète qu'il est. Il se transpose en gaulois, en soldat des croisades, en danseur du sabbat, etc. En clair, cette "Histoire splendide" aurait été dans la continuité des préoccupations littéraires et intellectuelles de l'auteur d'Une saison en enfer.
Et il se trouve que tout récemment je parcourais une anthologie où figurait un extrait d'un livre d'Edgar Quinet : 1789, Recueil de textes et documents du XVIIIe siècle à nos jours, Ministère de l'éducation nationale de la jeunesse et des sports, 1989, Centre national de documentation pédagogique. Le livre est préfacé par Lionel Jospin, le ministre de l'éducation nationale de la jeunesse et des sports à l'époque, et dans cet ouvrage bien officiel, il y avait donc un extrait d'un livre d'Edgar Quinet, mais ni d'Ahasvérus, ni de La Création. Il s'agit d'un extrait de la partie conclusive du livre de 1845 : Le Christianisme et la Révolution française. J'ignorais l'existence de ce titre, mais la lecture de l'extrait m'a fait une forte impression, forte impression en tant que chercheur rimbaldien j'entends ! L'extrait est placé en tête d'une section intitulée "L'Idéal Républicain" et en tête de la première sous-partie intitulée : "A) 1848 : Liberté, Egalité, Fraternité" L'extrait tient tout entier sur la page 197 de ce volume, et des précisions bibliographiques très sommaires sont données dans la table des matières page 284.
Ce 99e extrait de l'anthologie n'étant qu'un extrait d'un développement plus ample, il a reçu un titre "La foi à l'impossible" qui reprend une formule du texte en question :
   Elévations, aspirations vers un monde meilleur que l'on pense saisir dès ici-bas, tel est le génie de notre siècle. La secousse que la Révolution a donnée à la terre a été telle, et tant de choses extraordinaires ont été vues, tant de montagnes abaissées, tant de vallées comblées, qu'il n'est plus de miracle social qui ne semble possible. Autrefois, le genre humain, courbé sur la glèbe, sentait, par intervalles, un souffle passer sur son front, comme la fraîche haleine des siècles à venir, il s'amusait à imaginer un âge d'or, puis, l'instant d'après, il se disait : C'est un rêve ! Aujourd'hui, au contraire, en contemplant l'édifice des nuages et les cités féeriques qui s'amoncellent à l'horizon, dans la pourpre et l'or du soleil, il va jusqu'à penser que ce songe du ciel pourrait descendre dès demain sur la terre, et devenir son domaine. Chose nouvelle, grande en soi, présage d'avenir ! il se trouve des hommes qui croient déjà embrasser leur idéal. Ce que l'on appelait autrefois leurre, utopie, s'appelle maintenant théories. Ne méprisons pa[s] les songes. Pour qui sait les interpréter, ils contiennent sans doute des lambeaux et des prémices de vérité. Ce grand trépied de l'avenir, dont Napoléon parlait à Sainte-Hélène, et qu'il faisait reposer sur trois grands peuples, résonne de paroles étranges, souvent dures à entendre, ces mots sibyllins étonnent l'oreille. Les uns les acceptent, le plus grand nombre les repousse, ce qu'il y a d'évident pour tous, est que la Révolution française a ramené sur la terre la foi à l'impossible.
J'ai retranscrit l'établissement du texte pour l'anthologie elle-même, il y avait une coquille : "Ne méprisons par les songes." La phrase : "il  n'est plus de miracle social qui ne semble possible", peut sembler étrange. Aujourd'hui, nous écririons : "qui semble impossible", il s'agit d'un tour archaïque où la négation est tout entière portée par le mot "ne", il faut comprendre : "qui ne semble pas possible". Cette forme de négation est celle même de l'ouvrage de 1845 dont nous avons un fac-similé sur le site Gallica de la BNF.
Cet extrait a eu un effet saisissant sur moi tant il concentre de sources possibles aux poèmes de Rimbaud. Nous avons le genre humain courbé sur la glèbe, le fait que Rimbaud ait composé un poème intitulé "âge d'or", la mention "domaine" au début dans "Enfance I", les élévations avec l'aspiration à un monde meilleur dès ici-bas, l'idée d'un "Noël sur la terre", la vision prophétique d'avenir des "cités féeriques" parmi les nuages et dans la lumière dorée du soleil, l'importance du motif du songe à interpréter, et cette "foi à l'impossible" qui caractérise l'ambition folle affichée dans les lettres dites "du voyant" et aussi la folie critiquée dans "Alchimie du verbe", "Adieu" du récit Une saison en enfer. Ce condensé est assez extraordinaire, et j'identifie aussi le titre de section "L'Impossible" du livre de Rimbaud. Je rappelle que dans la prose liminaire le poète cite deux vertus théologales : l'espérance et la charité, et quelques vertus cardinales, en tout  cas la justice, et fait mention des "péchés capitaux", lesquels sont énumérés au début de "Mauvais sang", mais Rimbaud ne cite pas le mot "foi". Je rappelle que dans "Mauvais sang" Rimbaud fait allusion à la formule de Napoléon : "Impossible n'est pas français". Rimbaud écrit lui : "la terreur n'est pas française", et je serais enclin à y trouver un jeu de mots : La Terreur n'est pas française quand la Restauration s'est faite, par exemple. Mais, jeu de mots ou pas du côté du nom "terreur", l'allusion au mot de Napoléon est sensible. Et "Mauvais sang" va d'un premier alinéa d'affirmation d'une origine gauloise à une clausule sur la "vie française" comme "sentier de l'honneur". Quelques sections plus loin, nous avons le titre "L'Impossible" qui coiffe un long raisonnement proche de l'allure que prenait le récit dans "Mauvais sang". La section "Mauvais sang" a été suivie par "Nuit de l'enfer", puis nous avons l'intercalation de deux récits plus personnels réunis sous le titre "Délires", et il m'arrive de me demander si la section "L'Impossible" n'a pas été écrite avant les deux "Délires". En tout cas, il y a plusieurs reprises qui laissent clairement penser à une continuité : de "faux nègres" à "faux élus", etc. En clair, le titre "L'Impossible" rejoint la formule de "Mauvais sang" : "La terreur n'est pas française", dans un mode d'allusion particulièrement discret à la formule napoléonienne.
Et il se trouve que dans l'extrait cité ci-dessus de Quinet, nous avons une même allusion au mot de Napoléon, puisque nous avons un rappel d'un développement de propos tenus par l'ancien empereur à Sainte-Hélène et la formule "la foi à l'impossible" au développement plus ample. J'ai vraiment l'impression que Rimbaud fait allusion dans Une saison en enfer à l'extrait que j'ai cité et même à l'ensemble du livre Le Christianisme et la Révolution française. Il va de soi que vous ne pouvez deviner l'allure de l'ouvrage par son titre. Il s'agit d 'un volume de 440 pages environs divisé en chapitres qui sont autant de cours professés en chaire devant un jeune public, continuellement renouvelé selon les images fleuries et loufoques de sa partie introductive.
L'ouvrage est d'une poésie sans nom, je crois que vous comprendrez aisément combien Rimbaud pouvait ricaner sur le compte de pareils éléments mystiques et sur des épanchements verbeux qui ont un charme mais qui sont souvent particulièrement vaporeux. Dans cette suite de cours aux chapitres, Quinet refait une histoire des bouleversements religieux dans un parcours providentiellement orienté vers la Révolution française et les derniers chapitres correspondent à une mise au point sur ce qu'il convient de faire pour ne pas entretenir une flamme spirituelle passéiste. Et surtout, un peu à la manière de Hegel qui met le présent du peuple allemand à la tête de la dialectique historique, Quinet met en avant l'idéal d'être français au dix-neuvième siècle pour influencer le reste du monde. Quinet ne tient pas un discours résolument hostile à Napoléon, et au plan religieux il est assez particulier, il vante la religion des premiers temps tout en dénonçant les hommes d'église qui ont été contre-révolutionnaires et qui enferment la spiritualité dans une mort avec l'œuvre de la Restauration. Quinet fait un sort similaire au courant alors récent de l'éclectisme, puisqu'il lui reproche d'être une philosophie de la capitulation, même si elle a eu un certain intérêt. Quinet dit en toutes lettres ma lecture du passage "les autels ! les armes !" c'est bien évidemment l'alliance du sabre et du goupillon dont il est question dans le texte de Rimbaud, mais il est aussi question de créer l'avenir par des armes et une spiritualité qui sait accepter les bouleversements choquants dans le livre d'Edgar Quinet, lequel définit clairement les axes futures d'une vie française, et en employant à plusieurs reprises l'idée d'honneur. Dans Une saison en enfer, non seulement "Mauvais sang" se termine par cette idée de  " vie française, le sentier de l'honneur", mais nous avons une formule telle que "nous ne sommes pas déshonorés" dans "L'Impossible" signe discret qu'il y a une vraie continuité de pensée entre ces deux parties du récit rimbaldien.
Dans "L'Impossible", le poète s'adresse au "Ciel" et parle de s'occuper des "damnés" "ici-bas", on a bien déjà l'idée de "Matin" de célébrer "Noël sur la terre", avec l'idée que la damnation a commencé dans le monde réel. Rimbaud oppose deux sociétés et Quinet oppose lui les privilégiés de la lumière et les prolétaires des ténèbres vers le début de son livre.
Plus fort encore, des passages considérés comme déroutants d'Une saison en enfer peuvent recevoir une élucidation satisfaisante par les références au livre de Quinet. Au début de "L'Impossible", le poète se plaint que les femmes soient si peu d'accord avec les hommes. C'est précisément à proximité du passage cité plus haut que Quinet fait un développement sur le désaccord entre les femmes et les hommes dans la société actuelle et il apporte des précisions à ce sujet.  Les femmes contrairement aux hommes se réfugient dans la religion, et il ne faut pas leur en vouloir, nous avons besoin d'elles, et il va falloir dépasser ce divorce. Et, du coup, quand Rimbaud dit qu'il a  vu  "l'enfer des femmes là-bas", il s'agit peut-être d'une allusion avec un effet d'exagération à ce clivage développé par Quinet. Si les femmes se tournent vers la religion, telles des vierges folles, elles connaissent donc l'enfer, et le poète a approché de cette dimension-là.
Il y a plein d'autres échos possibles. Dans son livre, Quinet ne parle pas que du catholicisme, et du judaïsme pour les origines. Je n'ai pas encore tout lu, mais il parle de l'origine chrétienne et judaïque du Coran si j'ai bien compris les sous-titres de chapitres. Il parle d'une nature arabe voire coranique de certaines spécificités de la société espagnole. Il s'interroge si la littérature française d'Ancien Régime est catholique ou non. Et il s'intéresse aux hybridations de la spiritualité pour en plus souligner un flux historique continu. Et si l'abandon au Coran est envisagé comme un voeu de paresse grossière, je ne sais pas si Rimbaud cite un passage précis de  Quinet puisque je n'ai pas encore tout lu, mais dans les sous-titres il y a une royauté de l'époque de Clovis je crois envisagée comme paresse. Je vérifierai tout cela et ferai bien évidemment de nouvelles mises au point sur la lecture potentielle de Quinet par Rimbaud.
Dans la mesure où je trouve d'une importance évidente les explications d'Yves Reboul sur l'influence de la Vie de Jésus de Renan sur les proses qui voisinent avec les brouillons connus de la Saison, je précise que dans son livre Quinet s'attarde aussi sur le livre de l'allemand Strauss qui a commencé à raconter une vie de Jésus quelque peu profane.
Enfin, je veux terminer par une dernière grande idée. J'ai dit à plusieurs reprises que les souvenirs que Rimbaud développe dans "Mauvais sang" sont ceux d'une éducation par les livres où l'Histoire de France est aussi une partie de nous-même.  C'est exactement ce que fait Quinet, et je citerai prochainement des passages significatifs du début de son livre Le Christianisme et la Révolution française. Quinet dit explicitement que ce sont des parts de nous-même. Je ne sais pas si vous comprenez bien de quoi il retourne : normalement, nous nous référons aux livres d'Histoire comme à des legs culturels, nous ne considérons pas que nos vies continuent génétiquement l'histoire des peuples. C'est cet enseignement à forte composante spirituelle qu'il faut avoir à l'esprit quand on lit "Mauvais sang".

Bref, ceci sera mon article pour les 150 ans d'Une saison en enfer. De toute évidence, lui aussi va faire date !

mercredi 6 décembre 2023

Compte rendu du livre d'Alain Vaillant sur 'Une saison en enfer' partie 2 - la foi à l'impossible

Je poursuis mon compte rendu en plusieurs épisodes, et aujourd'hui je vais faire dans l'original et l'inattendu. Je vais citer un document tout à l'heure.
Je reviens sur le premier épisode de compte rendu. J'ai laissé de côté l'introduction pour m'intéresser d'emblée à l'analyse même du texte de Rimbaud fournie par Alain Vaillant. J'y fait allusion par moments, mais je pourrai y revenir ultérieurement.
Au sujet de la prose liminaire, appelée "[Prologue]", j'ai pu montrer un problème de méthode. Vaillant déclare qu'il médite le texte de Rimbaud depuis un demi siècle et que l'ouvrage qu'il nous livre est le condensé de sa propre relation au texte. Je vais être franc. Après une seule lecture de la moitié du livre, je considère que ce que j'ai entre les mains est particulièrement léger. Ce n'est pas du tout le résultat d'une confrontation à la poésie rimbaldienne s'étalant sur cinq décennies. Et, en même temps, l'ouvrage se ressent de tous les conditionnements et de tous les commentaires antérieurs. Ainsi, quand Vaillant dit que, pour écrire son "essai", il a évité de relire les ouvrages de ses prédécesseurs pour échapper à toute influence subreptice, il a obtenu le résultat inverse. Il a tout simplement recraché le discours de la doxa ambiante sur Une saison en enfer, son livre a une forte allure de synthèse scolaire des travaux de ses prédécesseurs, avec de bien relatives marges de quant-à-soi. Pour éviter d'offrir une lecture sous influence, il aurait été au contraire avisé de relire tout ce qui a été produit d'important sur Une saison en enfer, il aurait repéré les polémiques, les débats sensibles, et il aurait cherché, avant de  prendre position, à savoir pourquoi il y avait ces débats.
Dans la démarche, Vaillant a certainement fait ce qu'il y a de pire, et le résultat est un ouvrage assez maigre, avec beaucoup de contresens faciles à démentir. Il dénonce plus volontiers les lectures qui ne sont pas de l'ordre de la doxa convenue et s'il évite certaines erreurs connues cela ne l'empêche pas de les reconstruire parallèlement. Le cas flagrant est celui de Satan qui chercherait à abuser le poète avec des illusions religieuses. Vaillant évite de répéter le propos de Pierre Brunel dénoncé par Jean Molino : Satan qui se fâcherait contre un Rimbaud ou poète refusant l'exercice de la charité. Mais, on recrée l'aberration de ce point de vue en considérant que Satan fait prendre au poète des "pavots" qui provoquent des rêves de festin chrétien après la mort. Je suis impressionné par l'incapacité des rimbaldiens qui se prononcent sur Une saison en enfer à lire le texte correctement et simplement. Molino dénonçait une erreur de lecture de Brunel, mais sa solution introduisait de nouvelles erreurs. Molino soutenait que la "charité" mentionnée par Rimbaud n'était pas la vertu théologale et il cherchait à commenter de manière alambiqué les "aimables pavots".
Il fallait enquêter pour trouver dans le texte à quoi correspondaient les pavots. Mais les pavots sont un sommeil trompeur et dans l'expression "aimables pavots", outre le sens fort latinisant de l'adjectif "aimables" il faut identifier l'allusion à l'image de séducteur de Satan. Les paroles de Satan elles-mêmes sont des "pavots". Dire "Gagne la mort", c'est endormir la vigilance du poète, c'est présenter le "dernier couac" sous un jour aimable. On se retrouve avec une cohorte de rimbaldiens : Vaillant, Bardel, Murat, Molino, etc., qui vont soutenir des liens que le texte ne porte pas. Les "aimables  pavots" : pour l 'un, c'est le festin avec l'entente de tous ; pour un autre, c'est que le fait de se coucher dans la boue, de s'armer contre la justice, ce n'était qu'un rêve, etc., etc. Toutes ces lectures sortent de nulle part et ne sont pas contraintes par la composition du texte de Rimbaud. Les "aimables pavots", c'est les propos mêmes de Satan qui invite à "gagne[r] la mort" en s'accordant l'égoïsme, en s'accordant l'abandon à tous les appétits, en se permettant tous les péchés capitaux, avec une consommation sans modération puisque le  dernier couac" est visé.
Pour les "lâchetés en retard", la lecture bateau consensuelle consiste à dire qu'il s'agit de textes poétiques non encore publiés, ce qui n'a pas vraiment de sens, puisque le poète détache une partie seulement de ses "feuillets" d'un "carnet de damné". De plus, il est visible que Rimbaud veut être perçu comme quelqu'un qui tient un propos, c'est l'auteur des "lettres du voyant", et Une saison en enfer on le sent bien "ça ne veut pas rien dire" non plus ! Bardel, Murat ou Vaillant assimilent Rimbaud à un adolescent plein de fatuité qui a composé une centaine de textes, qui en publie une partie cette fois-ci et qui espère publier le reste pour qu'on dise bien dans la vie qu'il sait faire de jolies choses. Vaillant fait plusieurs fois référence à Alain Bardel dans son ouvrage. Bardel a été un relecteur de l'ouvrage de Vaillant, donc je suppose que Vaillant a lu, car ça ne prend pas un temps infini, les pages consacrées à Une saison en enfer sur le site de Bardel. De toute façon, voici ce qu'écrit Vaillant, page 49 de son ouvrage, sur les "lâchetés en retard" :
Ces "lâchetés" ne peuvent que désigner la lâche tentation de revenir à la joie du "festin ancien" qui inclut, au-delà de la question religieuse, cette "Beauté" dont il recherchait l'intimité avant de la rejeter brutalement et de se précipiter en enfer. Il s'agit donc sans aucun doute de poèmes, composés avec un souci esthétique révélant qu'il voulait encore croire à toutes ses illusions et, en particulier, à l'illusion de la beauté poétique [...]
Une note de bas de page signale que c'est l'hypothèse de Michel Murat dans un article récent du Dictionnaire Rimbaud dirigé par Vaillant, Cavallaro et Frémy. Et nous avons droit à une justification problématique pour l'appellation "lâchetés". Rimbaud est lucide, ces textes sont autant de "lâchetés", donc il les appellent ainsi. Le problème, c'est que Rimbaud n'appelle pas des "lâchetés" des productions anciennes regardées avec le recul de la lucidité, il est au contraire en train de se réjouir  d'offrir de telles  "lâchetés" à Satan lui-même.
Cette hypothèse est en réalité très ancienne et c'est une sorte de consensus que nous sommes nombreux à ne pas accepter. Sur son site, Bardel cite mon opposition à cette interprétation des "lâchetés" comme texte, en citant un extrait d'un article publié en 2005, dix-sept à dix-huit ans avant l'article de Murat. Moi, Jean-François Laurent et Bruno Claisse, nous ne nous opposions pas à une idée lancée en 2022 en l'anticipant de dix-sept ans. Cette idée, c'est une vieille lune qui traîne. Evidemment, on peut s'opposer à l'identification à des écrits parce qu'on veut combattre l'idée que les Illuminations aient pu être écrites avant Une saison en enfer. Seulement, ce n'est même pas ça le problème du débat. Le mot "lâchetés" a une signification courante qui fonctionne parfaitement bien à la lecture du texte. Le poète est soumis à un maître Satan, sauf qu'il manque du "courage d'aimer la mort", il va en revanche lui concéder des "lâchetés en retard", il y a même un esprit comique dans la repartie du poète qui envoie du "une prunelle moins irritée". Rimbaud est en train d'échapper au contrôle de Satan et il lui renvoie malignement à la figure qu'il ne lui obéit plus que par des "lâchetés",  mais le projet de mourir courageusement pour complaire à Satan, le projet donc essentiel, il est remis aux calendes grecques. Je rappelle aussi que la prose liminaire cite tous les textes de "Mauvais sang" à "Adieu" comme des "feuillets" déjà écrits du "carnet de damné", donc le poète invite Satan à lire cet ensemble et on devine, quand on a un peu de jugeote que les textes vont faire un sort à la requête de Satan d'oser mourir.
Et, de fait, dans les dernières parties du récit, on a bien un poète qui dit se révolter contre la mort. On a cela dans les sections "Matin", "L'Eclair" et "Adieu",  et ça s'accompagne d'une revendication explicite de sortie de l'enfer.
Même si Jean-Luc Steinmetz est loin de ma lecture, il se trouve que dans son édition en Garnier-Flammarion, qui date de la période 1989-1990, il mettait dans la notice introductive un schéma du livre où il montrait que les premières parties montraient comment le poète était précipité en enfer et comment les dernières parties décrivaient la sortie de l'enfer. On voit bien que si le poète ne répond pas à Satan dans la prose liminaire et fait mine d'être toujours soumis c'est que Satan va avoir le déplaisir de lire la   réponse dans les feuillets eux-mêmes et donc plutôt vers la fin de l'ouvrage que nous tenons nous lecteurs entre les mains.
Vaillant, dans l'extrait que je viens de citer, cumule les contresens. Le "festin ancien" est une illusion religieuse, mais l'illusion fournie par la religion, pas par Satan. Le raisonnement de Vaillant est d'ailleurs foncièrement illogique : Satan veut duper le poète par l'illusion du festin ancien, le poète refuse et choisit la chute infernale, mais pour Satan ses proies ne doivent pas chuter en enfer mais courir la religion, donc il n'est pas content.
Le poète voudrait remettre le  couvert avec la beauté qu'il a trouvée "amère". Il est vrai que ça existe les couples qui après une séparation remettent le couvert... Mais, là, le poète a trouvé "amère" cette beauté, et son rejet de la charité est brusque : "Cette inspiration prouve que j'ai rêvé !" On ne peut pas dire que le poète soit dans des dispositions de laisser une seconde chance.
Evidemment, Vaillant essaie de sauver l'intérêt du poète pour la "beauté" au sens esthétique. Rimbaud est un poète qui veut continuer d'écrire, donc il ne serait pas normal qu'il rejette définitivement la "beauté". Vaillant avait admis que la "beauté" était liée au bien et au beau de la vérité chrétienne dans son analyse du deuxième alinéa, idée qui n'est vraiment pas de lui, et le voilà qui veut faire volte-face. Non ! La "beauté" rejetée est celle de la bonne société, donc le problème pour le poète de continuer ou non à  écrire ne se pose pas.
Evidemment, la notion de "beauté" revient à la fin de la section "Alchimie du verbe", et on sent bien qu'il y a une boucle effectuée avec une conclusion du l'injure au "salut" final. Vaillant prétend qu'il est évident que la beauté n'est pas rejetée, que le salut ne consiste pas à lui donner son renvoi, à la congédier dans un geste d'apaisement, mais qu'au contraire après l'avoir injuriée notre poète entend, sans passer par l'étape des excuses à lui faire, l'honorer avec bienveillance.
La nature elliptique du texte imprimé peut autoriser le débat après tout. Je fais tout de même remarquer les points suivants. Les sections qui expriment le refus de la mort et la sortie de l'enfer viennent après "Alchimie du verbe", avec pour texte d'intervalle la section "L'Impossible". J'ai bien l'impression que Rimbaud s'apaise en fait de colère contre la beauté, mais je ne constate pas une volonté de revenir à elle, volonté qui consisterait à  accepter le "festin ancien". Or, dans la prose liminaire, le poète refuse le "dernier  couac", rejette l'instant fugace de la solution chrétienne et annonce à Satan qu'il doit faire une mise au point, et il détache des feuillets qui sont clairement un travail de mise au point. Rimbaud dit donc explicitement dans la prose liminaire qu'il n'est pas question de revenir au festin ancien et donc à la beauté. De plus, dans "Alchimie du verbe", nous n'assistons pas à un raisonnement où le poète nous ferait savoir qu'il fait un virage à 180 degrés sur son appréciation des célébrités de l'art et de la littérature. Et ça n'apparaît pas non plus dans les sections ultimes où il est même question de continuer de rêver amours monstres, etc ("L'Eclair"). Dans "Alchimie du verbe", ce que nous lisons, c'est que, par exemple, la versification dérégulée des poèmes est un moyen de lutter contre la "beauté", sauf que le poète se reproche son échec : "La vieillerie poétique avait une bonne part dans mon alchimie du verbe", ce qui veut bien dire que même dans ce qu'il produisait il y avait encore de cette beauté et que donc son effort avait quelque chose de la peine perdue. La dispute était vaine et la section qui suit s'intitule "L'Impossible", ce qui laisse entendre que le poète en combattant ainsi la beauté s'enferrait dans une quête sans issue, et  dans "Adieu", les pouvoirs de nouveauté du poète sont décrits comme une vanité illusoire. A aucun moment, Rimbaud ne tient pas le propos clair et précis d'un retour qu'il va faire à la beauté. Il va l'accepter comme une réalité de ce monde, il ne dit pas qu'il va lui rendre hommage.
A la page 116, Vaillant déclare assez abruptement que le poète se réconcilie pleinement avec la beauté et qu'il ne lui donne pas son congé, il évoque des gens, laissés dans l'anonymat, qui s'opposent à cette lecture, et il renvoie à un article de 2019 d'Adrien Cavallaro qui a dirigé avec lui le Dictionnaire Rimbaud des Editions classiques Garnier. On aimerait avoir un résumé du propos de cet article de Cavallaro. Nous, on a acheté un ouvrage à dix euros pour qu'il nous explique au moins les passages clefs d'Une saison en enfer, on n'a pas acheté des renvois sans substance à d'autres ouvrages. On veut une réponse ici et maintenant. Je cite le texte de Vaillant qui dénonce une mécompréhension par certains de passages confus du brouillon correspondant à la fin de "Alchimie du verbe" :
[...] cette "Beauté" initiale, qui avait encore une majuscule et qui était celle du "festin ancien", "où s'ouvraient tous les cœurs", était une beauté encore contaminée par le bonheur, dont il fallait s'éloigner. Il n'y a donc aucune nécessité de prêter au verbe "saluer", comme on l'a fait parfois en invoquant les formulations confuses et ambiguës du brouillon, un sens antiphrastique (saluer la beauté, signifierait alors la rejeter, en prendre congé). Car ce sens serait absolument contraire, non seulement à l'interprétation la plus simple, qui vient spontanément à l'esprit du lecteur, mais à la logique même du texte, telle qu'elle s'impose dès la première ligne.
Vaillant fait une concession intéressante : il constate que la "Beauté" a perdu sa majuscule. Est-ce l'injure qui appelait la majuscule ? Ensuite, nous avons une assertion gratuite : la Beauté redeviendrait fréquentable, une fois guérie du bonheur. Pour rappel, dans la prose liminaire, la phrase : "Le malheur a été mon dieu", est écrite au passé. Rimbaud rejette-t-il le "bonheur" quand il s'écrie : "ô bonheur, ô raison", quelques lignes avant la clausule qui nous occupe ici  ?
Que le poète fasse des salutations à la beauté, c'est ce qui est dit en toutes lettres, mais ce qui est écrit par Rimbaud est modalisé : "je sais aujourd'hui saluer la beauté." Il ne parle pas d'une poussée d'affection débordante. Il sait la saluer de manière neutre, c'est ça qu'il nous dit. Il sait se contenir, il ne va plus s'énerver. C'est en cela qu'il est désormais à même de lui donner son congé. Le poète a déjà rejeté la beauté en la fuyant. Ici, il fait entendre que la colère à l'encontre de la beauté serait vaine. Voilà pour clarifier ma lecture du texte, mais comme Vaillant cible ceux qui ont mobilisé le brouillon, je me sens encore plus précisément concerné, puisque c'est vraiment moi qui ai mis cet argument sur la table. D'ailleurs, à la fin de "Mauvais sang", Vaillant me cite pour "autels" avec la référence de mon article sur les brouillons du livre Une saison en enfer, donc je ne peux que me sentir concerné par le reproche d'avoir mal lu un brouillon d'un Rimbaud à qui il est d'ailleurs aussi reproché d'être confus. Dans la citation que je viens de faire, le mot "brouillon" est flanqué d'une mention "1" de note de bas de page où on célèbre un article nuancé d'Adrien Cavallaro.
N'y ayant pas accès, je vais citer le  brouillon :
 Si faible, je ne  me crus plus supportable dans la société, qu'à force de bienveill.  Quel malheur, pitié. Quel cloître possible pour ce beau dégoût ? Tout cela s'est passé peu à peu.
    Je hais maintenant les élans mystiques et les bizarreries de style.
    Maintenant je puis dire que l'art est une sottise. Nos grands poètes art aussi facile : l'art est une sottise.
    Salut à la bon[t?].
Pour l'essentiel, les brouillons qui nous sont parvenus offrent rarement des bribes de phrases, nous avons à peu près des paragraphes complets. Sur cette citation, le mot "bienveillance" est abrégé. Faut-il penser que Rimbaud souhaitait développer plus amplement sa pensée ? En tout cas, la fin du texte a un caractère d'inachevé, et vous remarquerez que les deux mots abrégés "bienveillance" et "bonté" (proposition vraisemblable) se font écho.
Je ne trouve pas le texte ambigu ou confus. Même s'il est lacunaire, on comprend très bien le propos. La faiblesse est telle en fonction d'une harmonie avec la société, il s'agit visiblement d'une faiblesse comportementale que la société n'entend pas tolérer. Les échos sont évidents avec le début de la prose liminaire. Le poète trouvait le monde insupportable, il appréhende ici de paraître lui-même insupportable. Il doit se montrer plus bienveillant et ne plus injurier la beauté. Le poète est en train de clairement définir un rapport contraint à la beauté. Il peut finir dans un "cloître" à cause de son "beau dégoût", autrement dit pour le faire d'avoir dressé sa révolte épique contre la justice en appelant les fléaux, etc. Le cloître ménage ironiquement une double lecture entre incarcération par la société qui trouve le poète insupportable et exercice monastique dérisoire de retrait du monde dont on ne supporte pas la beauté. On pense évidemment  à la "folie qu'on enferme". Le poète admet rejeter "les élans mystiques et les bizarreries de style". Il dit les haïr.
En 2009 et 2010, j'ai commenté ce brouillon en faisant remarquer qu'on se trompait en les lisant en continu, il s'agit de tests au brouillon de diverses clausules. La phrase "Salut à la bon..." n'est pas achevée, il y a un remords de plume, un suspens accordé à une réflexion ultérieure. Puis il y a la répétition très rapprochée : "l'art est une sottise". Les phrases sont ébauchées, et alors que les autres rimbaldiens prennent ces ébauches pour des bribes censées correspondre à un développement plus conséquent, la conclusion qui s'est imposée à moi c'est que Rimbaud ne cherchait pas du tout à rallonger son texte, méditant encore ce qu'il pourrait bien écrire, il cherchait non pas un propos, mais une formule finale bien sentie. Il hésite entre "l'art est une sottise" et "art trop facile", il revient à "l'art est une sottise", il a aussi hésité à lancer une phrase sur nos gloires littéraires : "Nos grands poètes".
En tout cas, n'en déplaise à Alain Vaillant et d'autres, il est clair que Rimbaud ne revient pas à l'admiration des beautés de l'art. Il revient aux propos tenus au début de "Alchimie du verbe", il trouvait dérisoires les célébrités, ça n'a pas changé, il méprise l'art trop facile des grands poètes et il dit à deux rerprises que "l'art est une sottise". C'est ce qui est écrit et assumé en toutes lettres sur le brouillon, et ces propos servaient indéniablement à orienter la lecture de la clausule finale : "Salut à la bon..." On devine qu'il était question de parler du mot "bonté", mot employé significativement dans "Mauvais sang" et mot qui fait sens par rapport au festin ancien "où s'ouvraient tous les coeurs", mot qui fait sens si la "beauté" est mobilisée en tant que notion chrétienne du vrai, du bien et du beau. Rimbaud parle d'être supportable à la société. Je suis désolé, mais le brouillon écrit par Rimbaud dit en toutes lettres qu'il salue la beauté pour éviter le cloître, pour que la société ne lui tombe pas dessus. C'est ça qui est écrit en toutes lettres, à l'exclusion de toute autre interprétation.
Que fait le texte imprimé en  définitive, il réduit le développement en deux phrases courtes fondues en un seul alinéa désinvolte : "Cela s'est passé. Je sais aujourd'hui saluer la beauté." Certes, la beauté remplace finalement le mot "bonté", mais on retrouve deux éléments clefs du brouillon : "Cela s'est passé" et "saluer la beauté". Qui voudra nous faire croire qu'au nom du caractère elliptique de la leçon imprimée Rimbaud tient finalement à assumer le discours inverse de celui développé dans le brouillon qui, je le répète, tout lacunaire qu'il est, n'a rien de confus ni d'ambigu ?
Comme d'habitude, les paradoxes sont sans borne. C'est celui qui voit que Rimbaud ne prévoyait pas de répéter deux fois "l'art est une sottise", parce qu'il hésitait sur une clausule, qui identifie que la beauté n'est saluée que pour avoir la paix en société, alors que ceux qui consentent à lire deux fois "l'art est une sottise" à côté de "Nos grands poètes art trop facile" vont prétendre que Rimbaud ne rejette pas la beauté, pas même trois fois comme un  saint Pierre !
Revenons sur "Mauvais sang". Je pourrai revenir ultérieurement sur l'ensemble "Mauvais sang" et "Nuit de l'enfer", mais pour cette seconde partie de mon compte rendu je vais me contenter de revenir sur la mention "autels" pour "outils" et sur la négligence du plan historique dans l'analyse de Vaillant.
Donc, pour son commentaire de la dernière section de "Mauvais sang", Vaillant consent à une unique allusion à ma personne, à cause de la leçon "autels" pour "outils" avalisée finalement dans une révision de l'édition des œuvres complètes de Rimbaud dans la collection de La Pléiade par André Guyaux.
Le commentaire de la huitième section est particulièrement succinct et je cite la note 1 en  bas de la page 69, triste mot de la fin sur la partie d'analyse consacrée à "Mauvais sang", mais je fais précéder cette citation de la phrase de commentaire qui la prépare :
Il doit porter, indifféremment, des "outils" et des "armes", car cette armée allégorique est aussi bien celle des travailleurs que des soldats.
Le mot "outils" est suivi de la mention 1 de report à la note de bas de page que je cite maintenant :
David Ducoffre lit sur le brouillon de "Mauvais sang" "autels" au lieu de "outils" (Voir David Ducoffre, "Les ébauches du livre Une saison en enfer", dans Lectures des Poésies et d'Une saison en enfer de Rimbaud, dir. S. Murphy, PUR, 2009, p. 197). Mais le tracé manuscrit n'est pas si évident qu'il doive invalider la version imprimée, d'autant que, dans l'idée de marche en avant qui est évoquée par le texte, la présence d' "autels" reste problématique.
Dans l'introduction, page 10, Vaillant prétend pouvoir "attester que ce livre est le résultat d'un compagnonnage ininterrompu d'un demi-siècle avec Rimbaud". Comment peut-il ignorer que personne n'a jamais déchiffré le mot "outils" sur les brouillons d'Une saison en enfer ? Il existe de nombreuses éditions qui offrent une transcription des brouillons, toutes ont reporté le déchiffrement "autels". Je trouve très tendancieux de m'attribuer ce déchiffrement. Je ne sais même pas si j'étais né quand il  a été effectué et publié pour la première fois. Malgré la leçon imprimée "outils", les déchiffreurs ont toujours reconnu le seul mot "autels". Et je vous mets un lien pour que vous vous fassiez vous-même une idée du "tracé" manuscrit... Si vous lisez "outils", n'oubliez pas d'adresser vos reproches à tous ceux qui ont édité des déchiffrements des brouillons en question...


Vaillant pose ensuite un faux problème, un problème qui n'existe que pour lui. L'en marche est symbolique, et on pense au progrès de la vie française. Rimbaud cible l'alliance du sabre et du goupillon, avec l'enrôlement forcé dont il est victime, c'est bien un "en avant" coercitif auquel nous avons affaire.
Et je ne vois pas pourquoi les outils sont plus favorables à la marche que des autels. Oui, pour fabriquer un carrosse, une selle... Mais pour marcher ? Un outil pour marcher, ça porte un nom, c'est une canne, Rimbaud connaît le mot, il peut l'utiliser : béquille, canne, bâton d'appui, etc. "Oui, j'ai pris un outil pour marcher, parce qu'un autel ce n'est pas pratique !"
C'est évidemment méprisant pour ce qu'a écrit  Rimbaud sur son manuscrit de soutenir que les "autels" n'ont pas leur place dans cet en marche, puisque c'est clairement et indubitablement ce qu'il a écrit sur son manuscrit, et il ne faut pas être une intelligence extraordinaire pour comprendre que "outils" est une coquille du typographe pour "autels".
Mais ce n'est pas tout. Vaillant cite mon article, mais il aurait bien fait de le lire attentivement. Dans cet article, je prends le temps de préciser que le brouillon correspond à une fusion des textes des quatrième et huitième sections, ce qui veut dire que Rimbaud avait écrit ces deux sections comme un seul ensemble, qu'il les a séparées pour intercaler entre les deux les sections cinq à sept. Vaillant aurait gagné à souligner l'unité des trois premières sections, l'unité des sections cinq à sept, et le rapport entre elles des quatrième et huitième sections, au lieu de se contenter de commenter section par section "Mauvais sang".  Un travail de critique littéraire, c'est l'occasion de donner des précisions qui ne se fondent pas dans la lecture linéaire, c'est l'occasion de parler de la composition des parties du texte...
Et si j'en parle ici, c'est que j'ai souligné que dans la quatrième section, Rimbaud écrivait "la terreur n'est pas française" avec allusion à la phrase de Napoléon : "Impossible n'est pas français", quand la huitième section se termine sur cette proclamation : "Ce serait la vie française, le sentier de l'honneur !" Je ne sais pas s'il faut s'amuser à identifier un calembour : "La Terreur n'est pas française", je n'ai pas assez médité le texte en ce sens, mais le rapprochement de "la terreur n'est pas française" et de "Ce serait la vie française, le sentier de l'honneur" justifie clairement la lecture "autels" couplé à "armes" comme seule voie de l'honneur d'une vie dans une société française du vrai du bien et  du beau.
Le mot "outils" n'entre pas dans un discours idéologique du dix-neuvième siècle sur le "sentier de l'honneur" de la "vie française". Vaillant ne soutient même pas une telle lecture, il ne l'envisage pas du tout. Les "outils" servent à avancer, c'est un peu maigre comme lecture.
Or, quand il entame son commentaire de la première section de "Mauvais sang", page 51-52, Vaillant fait une autre remarque qui mérite toute notre attention. Rimbaud s'est identifié à un "gaulois", et Vaillant veut souligner que l'idée a quelque chose de banal et j'inclus cette fois à ma citation la mention chiffrée de renvoi à la note de bas de page que je fais suivre :
[...] Rien d'original dans cette évocation, qui se poursuit sur deux paragraphes. Le XIXe siècle est l'âge d'or du mythe "gaulois", amplement développé chez les historiens romantiques (notamment Augustin et Amédée Thierry, Jules Martin, Jules Michelet)1 ; il est donc inutile de rechercher à quelle source précise Rimbaud a puisé - à laquelle il ne faut d'ailleurs pas oublié d'ajouter La Guerre des Gaules de César. [...]

1. Sur ce mythe des origines, voir Sylvain Venayre, Les Origines de la France, Paris, Seuil, 2013.
Je pense exactement l'inverse de ce que soutient Vaillant. Au contraire, il est essentiel d'identifier les sources de Rimbaud. Sylvain Venayre, son livre est un complément pour nous y aider. Tout se passe comme s'il suffisait d'identifier un poncif d'époque sur lequel se faire une idée vague et admettre une broderie personnelle de la part de Rimbaud. Non, mille fois non ! Rimbaud est en train de polémiquer face à une littérature précise. Moi, je veux les sources, je veux les citations d'époque. J'ai acheté un livre ancien d'un des deux Thierry, même si je n'ai pas encore eu le temps de le lire. Vaillant escamote tout l'intérêt du débat historique fourni par Rimbaud. Refuser d'identifier les sources, c'est ne pas prendre au sérieux le texte de Rimbaud. Et sur la "France, fille aînée de l'église", c'est un argument fortement avancé sous la Troisième République, après 1873, mais avant 1873 c'était une image en début de développement, c'est donc d'autant plus intéressant de savoir ce que Rimbaud précisément a lu. Moi, ça m'intéresse, et je compte m'y atteler un jour. Et si Rimbaud attaque par une provocation sur le mythe gaulois, bien évidemment que l'ironie de la clausule finale sur la "vie française", "sentier de l'honneur", a du sens politique. Au lieu de galérer à essayer de comprendre ce que Rimbaud dit de personnel de "Mauvais sang", n'est-il pas évident qu'on va gagner à envisager qu'il répond à des écrits. On va comprendre toute la dimension des biais des raisonnements au lieu de se dire que Rimbaud est alambiqué. C'est ça l'enjeu de critique littéraire !?
Vaillant parle sans arrêt de l'homosexualité de Rimbaud pour des passages où on serait en peine d'y trouver une mention explicite ou même une simple allusion. Mais Une saison en enfer, c'est l'écrit d'une personne qui se veut poète dans un dix-neuvième siècle qui fantasme l'avènement de la France républicaine et qui cherche à jouer un rôle dans la suite finale à donner à l'impulsion révolutionnaire de 1789.
Les lettres du "voyant" ont des résonances du discours des révolutionnaires et des philosophes du dix-huitième siècle. Même une phrase aussi anodine que "En tout cerveau s'accomplit un développement naturel" fait songer à la science du dix-huitième, à sa philosophie, à ses concepts juridiques de liberté naturelle, d'égalité naturelle, etc. Je parle pas de l'idée, je parle du vocabulaire, des formules, des clichés d'expression. Hugo, sa grandiloquence  rhétorique, elle est mille fois inspirée des discours enflammées de la Révolution, il a lu Sièyès et compagnie pour fournir autant de phrases balancées avec des notions contraires qu'on fait tourner dans des phrases toutes simples grammaticalement. Et, dans Une saison en enfer, Rimbaud s'attaque à la religion, mais il s'attaque aussi à l'idée d'un dévoiement de l'idéal républicain. Il a vécu la répression de la Commune quand même ! Il y a plein de renvois à des débats politiques de son époque dans Une saison en enfer, il y a plein d'échos avec des textes politiques des dix-huitième et dix-neuvième siècle.
Prenez le titre de section "L'Impossible" et songez aux images mobilisées dans "Adieu", et puis lisez ce texte de 1845 d'Edgar Quinet : vous ne pouvez pas nier une révélation que je vous fais sur la visée politique profonde du récit Une saison en enfer. Rimbaud parle la rhétorique politique de son époque sur les sujets de la religion et de l'idéal républicain pour apporter la contribution de son plein mécontentement et pour apporter le grain de sel de sa solution individuelle désenchantée :
Elévations, aspirations  vers un monde meilleur que l'on pense saisir dès ici-bas, tel est le génie de notre siècle. La secousse que la Révolution a donnée à la terre a été telle, et tant de choses extraordinaires ont été vues, tant de montagnes abaissées, tant de vallées comblées, qu'il n'est plus de miracle social qui ne semble possible. Autrefois, le genre humain, courbé sur la glèbe, sentait, par intervalles, un souffle passer sur son front, comme la fraîche haleine des siècles à venir, il s'amusait à imaginer un âge d'or, puis, l'instant d'après, il se disait : C'est un rêve ! Aujourd'hui, au contraire, en contemplant l'édifice des nuages et les cités féeriques qui s'amoncellent à l'horizon, dans la pourpre et l'or du soleil, il va jusqu'à penser que ce songe du ciel pourrait descendre dès demain sur la terre, et devenir son domaine. Chose nouvelle, grande en soi, présage d'avenir ! il se trouve des hommes qui croient déjà embrasser leur idéal. Ce que l'on appelait autrefois leurre, utopie, s'appelle maintenant théories. Ne méprisons pas les songes. Pour qui sait les interpréter, ils contiennent sans doute des lambeaux et des prémices de vérité. Ce grand trépied de l'avenir, dont Napoléon parlait à Sainte-Hélène, et qu'il faisait reposer sur trois grands peuples, résonne de paroles étranges, souvent dures à entendre, ces mots sibyllins étonnent l'oreille. Les uns les acceptent, le plus grand nombre les repousse, ce qu'il y a d'évident pour tous, est que la Révolution française a ramené sur la terre la foi à l'impossible.


Il faut tous vous les citer les échos avec le poème "Génie", le poème "Âge d'or", avec Une saison en enfer : "Ciel, sommes-nous assez de damnés ici-bas", "Noël sur la terre", "blanches nations en joie", etc., etc.
Moi, je n'ai pas de poste à l'université, je ne vis pas à  Paris, j'ai une vie  de merde avec de lourdes obligations de merde, de lourds contretemps, mais si j'avais les moyens d'un peu plus de tranquillité, je sais comment je pourrais le passer mon demi-siècle de compagnonnage avec les écrits de Rimbaud. Je sais où il faut chercher sur beaucoup de sujets rimbaldiens... Croyez-moi !

A suivre, car bien sûr il y aura d'autres épisodes de compte rendu... A Vaillant, vaillant et demi !

mercredi 29 novembre 2023

Compte rendu de lecture du livre d'Alain Vaillant sur 'Une saison en enfer' (partie 1)

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Analyse du [Prologue]

Alain Vaillant consacre neuf pages et quatre lignes d'analyse à la prose liminaire d'Une saison en enfer (pages 41-50). Il n'y cite pas une seule fois l'article de Jean Molino, alors même qu'il insiste sur l'importance d'affronter avec la plus haute prudence les difficultés de ce texte phrase après phrase, alors même qu'il s'attarde sur les interprétations du "dernier couac", des "pavots" et de l'intervention de Satan. Pourtant, dans la menue section pudiquement intitulée "Indications bibliographiques" en fin d'ouvrage, Vaillant cite onze études portant exclusivement sur Une saison en enfer. Parmi ces onze références, il faut écarter le livre d'Alain Bardel qui n'a pas encore été publié et un article d'Aurélia Cervoni. Il n'est fait état que de neuf livres consacrés à Une saison en enfer. Vaillant cite  notamment le volume collectif Dix études sur "Une saison en enfer", paru en 1994, qui contient l'article de Jean Molino, lequel article est d'ailleurs mis en avant dans l'introduction de l'ouvrage collectif en question. Je rappelle que parmi les personnes qui sont intervenues sur Une saison en enfer Vaillant a mis en avant dans son introduction un groupe fermé constitué de Margaret Davies, Pierre Brunel et Yoshikazu Nakaji. Il cite également par complaisance Yann Frémy, mais en prenant soin de l'isoler comme un  exemple d'intervenant récent, salué surtout pour avoir "essayé". Et dans les éditions d'Une saison en enfer, Vaillant n'a pas manqué de citer celle flanquée d'un commentaire critique de Pierre Brunel, parue chez José Corti en 1987.
Vaillant ne peut donc pas ignorer que l'article de Jean Molino a reproché à Brunel dans son édition critique de soutenir que Satan déversait sur le poète les mirages de la charité chrétienne. Brunel soutenait que Satan se mettait en colère parce que le poète rejetait la charité, et partant de ce constat d'incohérence dans la lecture de Brunel, Molino a créé une solution selon laquelle la charité comme clef n'était pas la vertu théologale dans l'économie narrative du livre rimbaldien. Je rappelle que, suite à l'intervention de Jean Molino, Yoshikazu Nakaji a publié un article sur la notion de "charité" dans Une saison en enfer où il montre avoir changé d'avis. En 1987, dans son étude de référence, Nakaji considérait que les mentions de la "charité" renvoyaient bien à la vertu théologale, mais il rejetait finalement cette idée dans son article postérieur à l'intervention de Molino.
Et dans sa bibliographie, Vaillant cite deux volumes collectifs auxquels j'ai participé, et il  se trouve que dans l'un d' eux j'ai fait un sort à l'article de Molino pour remettre si pas l'église au milieu du village, du moins la vertu théologale au milieu du récit infernal. Nakaji n'est pas le seul à avoir été intimidé par l'étude de Molino. Bardel lui-même avait écrit sur son site que la charité de la prose liminaire n'était pas la vertu théologale. Et Bardel fait partie des gens remerciés pour leur relecture et leurs avis sur les épreuves initiales du présent ouvrage d'Alain Vaillant avec Adrien Cavallaro, Solenn Dupas et Agathe Novak-Lechevalier.
Il ne s'agit pas de dire un peu facilement qu'on ne va pas citer tous les prédécesseurs, qu'on va les mettre à distance pour ne pas se laisser influencer. Quelqu'un qui fait sérieusement son travail, il lit tous les ouvrages de référence, il lit attentivement au moins la bibliographie sommaire qu'il propose à l'attention du public !!! On ne peut pas publier une étude d'ensemble du [prologue] d'Une saison en enfer en 2023 sans citer l'article qui a eu du retentissement de Jean Molino, et sans citer mon intervention qui a permis de tout remettre à plat.
Pour ne pas avoir à me citer, on ne citera même pas l'article de Molino. Malheureusement, ne rien citer va de pair avec un traitement négligent des difficultés textuelles soulevées. C'était le moment où jamais pour Vaillant de montrer ce qu'était une approche prenant son temps pour ne pas manquer la signification exacte d'une seule phrase de ce précieux [prologue] qui oriente de manière décisive la lecture d'ensemble du livre rimbaldien, selon l'appréciation même de Vaillant qui le clame en son introduction.
Donc, pour montrer qu'il s'agit bien de la charité en tant que vertu théologale, plusieurs méthodes s'offrent à nous. On peut souligner les thèmes en présence et l'énumération à dessein par Rimbaud d'une partie des vertus théologales et cardinales dans la prose liminaire ce qui est couplé à une énumération ostensible au début de "Mauvais sang" d'une bonne part des péchés capitaux.
Et surtout, il convient de reprendre avec exactitude l'enchaînement narratif des paragraphes autour de la mention "dernier couac". L'expression signifie métaphoriquement la mort par excès de fausses notes. Le poète refuse de mourir et souhaite retrouver l'ambiance du festin initial. L'inspiration immédiate (et du coup non divine) de la charité est réfutée comme absurdité par le poète, ce festin n'était lui-même qu'un rêve. Satan, dans un second temps, intervient, mais il n'est pas choqué du refus de la charité. Rimbaud a bien soigné son texte. Il fait dire au Satan en question : "Gagne la mort", ce qui est l'inversion de l'idée courante "perdre la vie". Si Satan dit "Gagne la mort", il est clair comme de l'eau de roche qu'il ne se récrie par comme le croyaient Pierre Brunel et Jean Molino contre le refus de la charité ou contre le rêve du festin. Rimbaud a articulé son texte avec une précision limpide d'orfèvre, oui ou non ? Il est clair comme de l'eau de roche que l'inspiration de la charité est conçue comme une aide contre la mort et que l'intervention de Satan est pour s'abandonner à la mort qu'il maquille en victoire. N ous avons deux réponses opposées à l'évitement du "dernier couac", et ces deux réponses sont en phase avec ce que nous savons de l'opposition entre Dieu et Satan. Et il est clair comme de l'eau de roche que le "festin" de la "charité" est un rêve du côté des illusions du christianisme, quand les "pavots" de Satan, sommeil empoisonneur, sont ceux d'un triomphe à mourir en se révoltant contre la justice et en appelant les fléaux.
Vaillant passe largement à côté de cette lecture littérale et de bon sens.
Je cite l'avis de démarche précautionneuse dont il se félicitait pourtant (page 41) :
Il est prudent d'avancer à pas comptés, en ne manquant aucune étape et en s'efforçant de démêler l'argumentation : le temps perdu en ouverture se regagnera largement ensuite, par les sains réflexes de vigilance (syntaxique et lexicale) qui auront été ainsi exercés.
Constater le lien lexical entre "dernier couac" et "Gagne la mort" aurait illustré à merveille ce propos. Comment se fait-il qu'à part David Ducoffre aucun commentateur de la prose liminaire d'Une saison en enfer ne lise "Gagne la mort" comme l'inversion en idée de la formule "il a perdu la vie" ? Vaillant arrive très bien à réemployer le verbe dans son étude, de "Gagne la mort" à "le temps perdu [...] se regagnera [...]", mais il faudrait au moins une pertinence dans le propos.
Vaillant insiste bien sur la prudence à avoir quand on aborde les huitième et neuvième alinéas, signe qu'il sait qu'il y a eu un événement avec l'article de Molino, je le cite (pages 44-45) :
Soyons désormais encore plus précautionneux, en commençant par les huitième et neuvième paragraphes : [...]
Et loin de toute prudence, au lieu de privilégier la compréhension du texte pour lui-même, Vaillant s'empresse d'y substituer l'extrapolation autobiographique. Après la citation que je viens de faire, nous avons les deux alinéas de Rimbaud sur le refus du "dernier couac" et le rejet de la "charité" comme "clef", et je cite l'enchaînement immédiat censé illustré la prudence du lecteur :
   Face à ce "dernier couac", le lecteur non averti pensera que la folie l'aura mené, par une sorte d'overdose d'excès en tout genre, à la porte de la mort. Mais, comme nous l'avons déjà indiqué, nous avons des raisons de penser qu'il fait une allusion précise au drame de Bruxelles : là encore, la précision biographique n'ajoute rien à l'essentiel. [...]
Je rappelle que Vaillant est un enseignant et qu'il écrit pour l'essentiel à l'intention d'enseignants des universités. Or, je me demande quel effet peut avoir sur ceux-ci l'expression : "nous avons des raisons de penser..." dans une copie d'élève. Nous apprécierons aussi les échos rapprochés des expressions entre elles : "nous avons des raisons de penser..." et "allusion précise" ou "nous avons des raisons de penser..." et "Soyons désormais encore plus précautionneux..." Et on peut aller plus loin ! Qu'est-ce qu'une "allusion précise" : comment définit-on cela ? Rimbaud a écrit : "Or, tout dernièrement, m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac !" Où est la précision de l'allusion là-dedans ? Je me doute bien qu'on va exploiter la modalisation "tout dernièrement", mais ça n'en reste pas moins une précision de pacotille dans une affirmation sujette à caution.
Ce qui est extraordinaire aussi, c'est les soubresauts de l'argumentation de Vaillant en ce passage. Un lecteur "non averti" doit apprendre un fait biographique pour ne pas se tromper dans sa lecture, mais cette précision n'apporte rien à la compréhension du récit. C'est ce que dit Vaillant en toutes lettres. Le "lecteur non averti pensera" que le sens est le suivant, mais Rimbaud, même pas le poète, parle de son vécu biographique authentique, sauf que ça n'a aucune espèce d'importance, l'essentiel est ailleurs. Je vais revenir sur la suite du développement de Vaillant, mais au-delà de l'incohérence flagrante de ce court extrait cité, je m'arrête sur les anomalies de son approche.
Vaillant formule une lecture qui sera celle de la personne ne connaissant pas la vie de Rimbaud. Dans son introduction, Vaillant formule des remarques que j'ai d'ailleurs faites moi-même auparavant : si Rimbaud avait pu mettre en vente son livre et en lancer la promotion et diffusion en 1873, l'essentiel des lecteurs n'aurait pas été au courant du coup de feu de Verlaine sur Rimbaud à Bruxelles. Cette lecture de "non averti" que Vaillant formule en la persiflant, c'est la lecture littérale du texte, celle que moi je défends dans au moins un article référencé dans les "Indications bibliographiques" de fin d'ouvrage. Le "dernier couac", c'est la fausse note mortelle à celui qui s'est révolté et qui attirait sur lui le feu des armes, le malheur, les répressions pénales au nom de la justice, etc. Il est évident que la révolte mène à la mort, et cette volonté de Satan est explicite dans la suite du récit : "Gagne la mort avec [...] tous les péchés capitaux." On ne peut pas être plus clair. Vaillant daube cette lecture pour dire que Rimbaud évoque en passant une anecdote personnelle. Non ! La révolte du poète le mettait en danger  de mort, et c'est pour  cela que non seulement le poète se tient heureux d'avoir échappé au "dernier couac" et refuse un complet servage à Satan, mais en plus c'est bien sûr pour cela qu'il commence à regretter l'ancien festin pour lequel il n'a toujours plus d'appétit. S'il s'agit de reprendre appétit, c'est que la motivation pour retourner au festin est ailleurs. Il veut retourner au festin pour éviter la mort et les souffrances de sa révolte. C'est clair comme de l'eau de roche, non ?
Dans son introduction, Vaillant a annoncé qu'il ne prenait pas Une saison en enfer pour une autobiographie, mais pour un récit qui incluait des éléments autobiographiques. Cette nuance est pertinente, sans être d'un gain intellectuel extraordinaire. Il va de soi que les poèmes cités dans "Alchimie du verbe" ont un caractère autobiographique par exemple. Mais, Vaillant crée un écran de fumée pour que ne soient jamais prises en défaut les explications à partir de nos connaissances biographiques sur l'auteur. Vaillant joue sur le velours d'une opposition notionnelle enseignée dans les classes, on enseigne même cela au Collège en classe de sixième désormais, l'opposition entre dénotation et connotation. La dénotation, c'est ce que dit explicitement un texte, et la connotation c'est toutes les suggestions que nous pouvons avoir. Malheureusement, sous des apparences simples, c'est une opposition notionnelle problématique, incompréhensible pour des élèves de sixième d'ailleurs. En effet, les connotations pour que ce soit accessible à un enfant de onze ans, on va en demeurer à l'aura culturel des mots eux-mêmes. Le rouge dénote une couleur et connote des émotions qu'un récit va prendre en charge ou non, par exemple. Or, ici, nous en sommes à baptiser du nom de "connotations" des informations biographiques sur un auteur. Dans un roman, la distinction est stricte entre auteur, narrateur et personnage. La poésie n'étant pas toujours de l'ordre de la narration, le terme "locuteur" en lieu et place de narrateur ne s'est pas imposé, Bandelier a essayé cela dans son livre Se dire et se taire sur Une saison en enfer. On autorise de confondre le "je" du poème avec la figure du poète. Même si nous avons visiblement affaire à de l'imaginaire, nous dirons que le poète fait telle action, a telle émotion, et parfois nous nommerons le poète : Reverdy, Lamartine, Hugo, au lieu d'employer la mise à distance minimale "le poète".
Vaillant a prétendu que le primat revenait à la dénotation et que les connotations au sens des informations biographiques susceptibles d'éclairer ou d'enrichir la lecture était au plan second. Ici, il daube la lecture littérale, la dénotation, au profit d'une lecture non naturelle qui fait prédominer les informations extérieures au texte lui-même. Il existe certes des écrits autobiographiques où une formule implicite justifie de la part du commentateur de préciser une connaissance. L'autobiograhique va servir à prouver l'orientation implicite du texte. Or, ici, Vaillant reconnaît lui-même que le texte n'invite en rien à cerner un surplus de sens implicite que l'autobiographique prouverait. Dans cette prose liminaire, le poète, un Rimbaud fictionnel si on veut, ne dit rien d'autre qu'à force de débordements il a failli mourir. Et il en fait le point de départ d'une révolte contre la mort qui va être le sujet du livre Une saison en enfer.
Au plan biographique, oui, approximativement, le coup de feu de Verlaine vient mettre un terme à une vie de débordements entre deux poètes. Mais, l'ouvrage d'Une saison en enfer a commencé dès avril 1873 sous le titre Livre nègre ou païen selon le témoignage d'une lettre à Delahaye. Rimbaud dit que le refus du "dernier couac" a entraîné la composition des "feuillets de damné". Au plan biographique, il devrait être antérieur au mois de mai 1873. Je veux bien que la balle qui a blessé Rimbaud se soit saisissant, je veux bien qu'il puisse y penser quand il parle de "dernier couac", mais il n'en reste pas moins qu'au plan littéraire le rapprochement ne s'impose pas. C'est un rapprochement contradictoire, que ça plaise ou non aux gens charmés de la vie du sieur Rimbaud ! Rimbaud n'assume pas cette allusion dans la prose d'Une saison en enfer. Il dit autre chose, et c'est finalement le lecteur non averti dont se gausse Vaillant qui comprend mieux le poème qu'il a sous les yeux que l'érudit qui a lu toutes les biographies de Rimbaud et Verlaine.
Que ça plaise ou non, c'est ainsi !
Le poète écrit clairement, et cela dans une stratégie de composition d'ensemble d'un livre au récit bien articulé, qu'il a frôlé la mort suite à toutes ses frasques de révolté et qu'il a donc cherché une solution. La première solution qui s'est présentée est celle de l'exercice de la charité, le poète en rejette l'absurdité et refuse donc de rentrer dans le rang. La seconde solution est de se laisser leurrer par le maître Satan et de surmonter cette peur de la mort. Le poète ruse avec Satan, le défie quelque peu, il conviendra de trouver une troisième voie, et Une saison en enfer sera le récit de la troisième voie. Et la différence nette avec le plan biographique, c'est que le coup de feu de Verlaine est un événement accidentel qui vient d'une action extérieure. C'est Verlaine qui veut tirer sur Rimbaud, et il veut tirer sur Rimbaud parce que celui-ci loin de faire une fausse note cherche à partir. Quand Rimbaud se fait tirer dessus, il ne commet pas de fausse note. Or, le texte d'Une saison en enfer assimile clairement le risque de mourir à un excès de débordement. Satan invite le poète à ne pas craindre la mort. Dans le cas biographique, Verlaine se retrouve en prison, et quel que soit son niveau de repentance, il ne propose à Rimbaud de mourir ou de mourir à deux. Dire que effectivement Rimbaud a frôlé la mort peu de temps avant la mise sous presse d'Une saison en enfer n'a aucune pertinence en termes de commentaire critique du récit rimbaldien, strictement aucune. Oui, d'évidence, Rimbaud a frôlé la mort, encore que ça se discute, mais une balle a atteint son bras. Le rapprochement, on peut le faire, mais ça s'arrête là. Il n'arrive pas à gagner le statut d'élément pertinent pour la lecture. On est dans la tautologie pure : Rimbaud dit de manière littéraire avoir frôlé la mort récemment et il a, pour dire vite, frôlé la mort récemment, donc c'est de cela qu'il parle quand il écrit. Non ! Tout simplement, non ! 
Et, partant de ce qu'il considère comme une évidence, Vaillant veut nous imposer d'identifier ce Satan à Verlaine. Vaillant dit que Verlaine s'était reconnu en "satanique docteur" dans sa correspondance avec Delahaye. En note de bas de page, Vaillant avoue que le "satanique docteur" est un personnage des Illuminations, mais comme Une saison en enfer est citée entre parenthèses, il faudrait croire que "ce satanique docteur" dans "Vagabonds" et "Satan" dans Une saison en enfer, c'est tout un. La modalisation et le tour périphrastique dans "ce satanique docteur", cela ne correspond déjà pas à une identification directe à Satan, mais on croyait que Verlaine dans Une saison en enfer c'était plutôt la "Vierge folle", thèse que va alimenter Vaillant dans son ouvrage un peu plus loin, mais thèse contradictoire puisque la "Vierge folle" n'est clairement pas "Satan" dans l'économie du récit.
Non, le Satan de la prose liminaire, c'est le personnage de folklore qu'on oppose à Dieu dans le monde de culture chrétienne. Il ne faut pas aller chercher midi à quatorze heures, que le diable soit au clocher ou pas.
Vaillant nous soutient que les "pavots" sont les illusions religieuses. Pour justifier le paradoxe, il sollicite une idée populaire que celui qui croit faire l'ange fait la bête. Je cite (page 46) :
"Les aimables pavots" (la plante d'où l'on tire l'opium) désignent les séductions de l'illusion religieuse et c'est le diable lui-même qui les a inspirées. Car tout exorciste sait bien que ce dernier est passé maître dans l'art de capter les âmes par les manœuvres les plus fourbes, et c'est souvent lorsque l'on se croit le plus près de Dieu que l'on tombe dans les pièges qu'il nous tend.
Je ne peux que m'inscrire en faux face à cette lecture. On connaît l'expression : "l'enfer est pavé de bonnes intentions", et la lecture de Vaillant vaudrait dans ce cadre, mais il se trouve que le récit rimbaldien ne parle pas de bonnes intentions... Ce n'est pas le sujet ! Rimbaud dit que les "pavots" sont "aimables", et si Vaillant était avisé il identifierait le tour désirable "Gagne la mort" pour "perds la vie" ! Le poète n'a pas trouvé aimable le milieu religieux, il a trouvé que la beauté était amère, il a fui le festin "où s'ouvraient tous les cœurs", il s'est "armé contre la justice", il a trouvé aimable un "malheur" dont il a fait son "dieu" : "Le malheur a été mon dieu", est-il écrit ! L'inspiration de la charité a été rejetée séance tenante.
Quand est-ce que les rimbaldiens comprendront qu'il y a deux mirages qui s'affrontent dans la prose liminaire ? Il y a le mirage chrétien : "festin" de "Jadis", "inspiration" de la "charité", tout ce que le poète a "rêvé" de ce côté-là, et il y a le mirage satanique : "Le malheur a été mon dieu", "Gagne la mort avec tous tes appétits", "aimables pavots".
Les rimbaldiens veulent absolument souder en un seul ensemble : le rêve du festin et les pavots de la mort à gagner, lecture définitivement contradictoire. Rimbaud n'a pas écrit que les "aimables pavots" c'était ce qu'il mangeait au "festin" de "Jadis". Donc, à un moment donné, faites l'effort, au moins sous forme de test, de vous dire qu'il y a deux rêves distincts dans le poème, celui de Dieu et celui de Satan.
C'est le b.a.-ba de la lecture.
Molino dénonçait, et sur ce point précis avec raison, la lecture absurde de Brunel qui voyait en Satan un défenseur de la charité. Vaillant est dans le même non-sens quand il écrit ceci (page 46) :
La phrase signifierait alors : "j'ai eu trop de plaisir à rêver de nouveau au festin ancien pour retourner en enfer." Si cette interprétation, lexicalement plus satisfaisante, a ma préférence, la nuance est d'ailleurs négligeable ; l'essentiel est que l'on comprenne qu'il n'y aura pas plus de retour vers l'enfer que vers le faux paradis de la religion.
Le poète n'a pas eu du plaisir à rêver du festin ancien puisqu'il dit explicitement qu'il manque d'appétit pour. Les appétits sont du côté des "aimables pavots". Donc la lecture de Vaillant est explicitement contredite par le récit rimbaldien : ex-pli-ci-te-ment ! Et surtout, le "festin" est à la fois une image du faux paradis de Dieu et une porte de l'enfer dans l'explication soutenue par Vaillant, et sans doute beaucoup de rimbaldiens autorisés. Mais non mille fois non ! Le "faux paradis de la religion" n'est pas une illusion créée par Satan. Et culturellement, nous ne vivons pas dans un monde où la religion c'est de croire que Satan a inventé Dieu pour nous piéger. La thèse de lecture de Vaillant est un non-sens absolu !
Tout ça parce que dans les éditions annotées anciennes du livre Une saison en enfer un critique a commencé de manière confuse à identifier le champ lexical du rêve commun à "songer", "rêvé" et "pavots" ! Il n'y a qu'au collège qu'on croit à l'homogénéité de signification des champs lexicaux. Jamais dans l'histoire de l'humanité on a étudié la Littérature à partir du repérage de champs lexicaux, en-dehors des universités sur ces cinquante dernières années et des collèges et lycées sur ces trente dernières années. Jamais ! Ce n'est pas ainsi qu'il faut faire ! Un champ lexical, c'est un relevé transversal qui permet minimalement d'identifier des thèmes en présence. C'est que ça, un champ lexical, ce n'est même un outil d'analyse littéraire ! Ce n'est pas non plus une figure de style ! C'est du jargon pour identifier un thème en collectant des mots. Et qu'il y ait un ou deux rêves dans un récit, le champ lexical il sera unique dans le relevé.
Et donc, cette idée a été répétée, et maintenant les rimbaldiens s'y accrochent comme des huîtres à un rocher.
Ils n'arrivent même plus à ressentir la contradiction logique entre des "aimables pavots" qu'on sent trompeurs  tout de même et une inspiration rejetée instantanément comme "rêve" dont on n'a même plus l'appétit.
C'est pourtant du b.a-ba.
Mais Murphy, Reboul, Cornulier, tous les rimbaldiens qui publient sur les vers et les poèmes en prose, et jamais sur Une saison en enfer, qu'est-ce qu'ils en pensent de la lecture de la prose liminaire ?
Comment se fait-il que le problème de compréhension littérale du texte ne soit pas enfin surmonté ?
Le biographique est encore convoqué au sujet des "lâchetés en retard", il faut pour Murat, Bardel et maintenant Vaillant que ce soit des poèmes à faire paraître ultérieurement, des poèmes en prose des futures Illuminations. Et pourquoi ne pas lire les "lâchetés" au sens littéral ? Le poète n'a pas le courage d'assumer de mourir pour Satan, mais il lui promet des "lâchetés" typiques de l'être mauvais qui se détourne du bien. Le poète se situe dans un entre-deux : Satan est toujours quelque peu son maître, il lui accorde des "lâchetés", alors même que notre poète refuse de se soumettre, par peur, à la principale injonction : mourir de ses débordements en vrai soldat du Mal. L'absence des "facultés descriptives ou instructives", Vaillant en fait une énigme à résoudre, et c'est vrai qu'il faut préciser l'intention, mais l'intention c'est que le poète perde le contrôle. Le poète est couronné d'aimables pavots, il est invité à assimiler la mort à une victoire, ce sont bien des exemples de descriptions inadéquates, ce sont bien des exemples de défaut d'instruction. Satan veut que le poète soit confus, confusion qui se ressentira à la lecture des "feuillets du carnet de damné".
Je remarque qu'avec plus de pertinence Vaillant ne soutient pas la lecture habituelle de Richter, Bardel, Murat et tant d'autres considérant que la "beauté" rejetée est baudelairienne, il rejoint clairement la lecture que j'ai déjà formulée, la "beauté" fait partie de l'équation chrétienne du vrai, du beau et du bien. Il met d'ailleurs en garde contre l'identification à l'image de la poésie dans "La Maison du berger" où le poète vieillard Homère asseyait la beauté sur ses genoux. Cette référence, dont je ne conteste pas à un certain degré l'intérêt, servait à justifier par-delà la cohérence du texte de Rimbaud que la beauté était une prostituée et un idéal esthétique d'artiste. Non, c'est bien sûr la beauté chrétienne liée à la justice, à la charité qui est rejetée comme "amère" dans Une saison en enfer.
Il y a un dernier point de la lecture de Vaillant que je trouve important à traiter quant au [Prologue], c'est celui du festin de "Jadis". Vaillant soutient que c'est un renvoi au temps heureux de l'enfance et cette idée d'enfance revient plus bas dans l'analyse.
Non, l'enfant ne pratique pas la charité chrétienne de  naissance. Et l'enfance d'un être humain n'est pas un rêve, puisque je rappelle que le poète rejette la charité en dénonçant le "festin" de "Jadis" dont le souvenir n 'est pas certain comme rêve.
Non, j'ai émis une idée que je considère comme capitale à la compréhension d'Une saison en enfer, c'est que la culture farcit le poète de faux souvenirs. Les faux souvenirs ils sont dans les mythes qu'on propage et dans les livres. La croyance dans le festin vient de l'éducation et n'est pas un état naturel à l'enfance. Ce serait contradictoire que le poète, se retournant sur l'absence de connaissances inculquées dans son enfance salue sa venue au monde comme mensonge. C'est évident que le souvenir du festin est un acquis culturel, un travail pervers de l'éducation. Mon idée importante, c'est que dans la prose liminaire et dans "Mauvais sang" Rimbaud parle de souvenirs littéraires, soit du côté biblique ou religieux avec le "festin", soit du côté des livres d'histoire, quand notre poète qui préfère s'identifier aux gaulois et vikings se souvient de sa présence lors des croisades. Une fois qu'on a compris que le récit dénonce les fictions culturelles essentiellement diffusées par des lectures, une fois qu'on a compris que l'Histoire sainte ou profane sont imposés aux élèves comme un bagage de souvenirs définissant un être humain, on ne lit pas comme une fantasmagorie gratuite le récit de "Mauvais sang" avec toutes ses transpositions invraisemblables.
En voilà assez pour cette fois. Je ferai le compte rendu des autres parties de l'ouvrage. Il fallait s'appesantir sur le "Prologue", c'était la recommandation même d'Alain Vaillant.
La conclusion est sans appel : on a affaire à  un tissu de contre sens facile à démentir et qui pourtant aura un prolongement avec le livre à  paraître d'Alain Bardel, puisque celui-ci a eu un droit de regard sur la confection de l'ouvrage d'Alain Vaillant, et puisque le site de Bardel fournit déjà les grandes lignes de sa propre lecture, un peu mise à jour (la charité réadmise théologale...).
Il y a de quoi être inquiet...

mardi 28 novembre 2023

Se faire une idée de la valeur du livre de Bardel sur Une saison en enfer avant de l'avoir lu...

Le livre d'Alain Bardel sur Une saison en enfer va bientôt paraître. Jean-Paul Vaillant le salue déjà comme l'autre livre important du moment sur Une saison en enfer qui paraît à peu près en même temps que le sien, sauf qu'il ne l'a pas lu non plus. Bardel s'est toujours revendiqué un rimbaldien de second plan qui passait les idées, lui n'étant pas tellement important en soi. Il a bien gravi les échelons.
Alors, pour s'en faire une idée, on peut suivre l'invitation à lire le "flyer" qui figure sur la page d'accueil du site Rimbaud d'Alain Bardel.
Nous avons droit à deux images, l'une réunissant les première et quatrième de couverture du livre qui va paraître, et puis un extrait de deux pages du livre en question, et c'est celles-ci qui vont nous intéresser. Mais, faisons quelques remarques sur la quatrième de couverture.
On met en avant les titres de Bardel pour parler de Rimbaud, le fait d'avoir été enseignant, le fait d'avoir publié pas mal d'articles, il est vrai qu'on a droit à une énumération d'apparence solide : Parade sauvage, Europe, Magazine littéraire, des ouvrages collectifs. Mais toutes ces publications ont un point commun, c'est qu'à chaque fois il était question d'une équipe Parade sauvage autour de Steve Murphy. Il n'y a aucune publication de Bardel en-dehors de ce schéma, strictement aucune. C'est joli d'étoffer. Et puis, il y a la question du site internet où là effectivement c'est l'affaire personnelle de Bardel, sauf que je voudrais qu'on m'explique la formule retenue : "Il s'occupe depuis 2001 du site internet d'informations et d'études rimbaldiennes 'Arthur Rimbaud, le poète' ." Il s'occupe ? On dirait une délégation officielle. Non, il n'occupe aucun poste prestigieux fondé sur une reconnaissance des pairs, c'est son site à lui, point !
Et puis, je passe à l'extrait du livre. Par un coup d'inattention géniale dont il a le secret, Bardel nous livre la page la plus intéressante qui soit de tout le fac-similé, celle précisément qui contient la phrase problématique : "Après, la domesticité même trop loin." Et en vis-à-vis, sur la page de gauche, nous avons les annotations la concernant.
Il y a une série de remarques et en guise de note de bas de page ce qui semble un "erratum" où le lucide Bardel se substitue à Rimbaud : "Lire : 'Après, la domesticité mène trop loin" au lieu de  "Après, la domesticité même trop loin".
Mais, le texte imprimé porte bien la leçon "même". Selon quelle logique, peut-on arriver de "mène" à la coquille "même", puisque tel est le raisonnement soutenu par Bardel ? C'est vrai que, depuis longtemps, on édite le texte avec cette phrase plus aisément compréhensible, avec cette phrase qui respire la correction grammaticale : "Après, la domesticité mène trop loin." Mais, c'est une leçon qui a été imposée par un critique rimbaldien du passé, il faudrait en faire l'historique.
Nous n'avons pas le brouillon correspondant à ce passage pour effectuer une quelconque correction intempestive. Je veux bien que la solution puisse être "mène", mais il faut au moins admettre le débat. Et puis, on retrouve encore une fois le sacre de l'habitude installée, Vaillant a toujours lu "outils" (il n'a même jamais lu les brouillons de sa vie, on dirait) et Bardel a toujours lu "mène", donc ils publient sur Une saison en enfer pour justifier leurs habitudes. Comme dirait Ravaisson, l'habitude est une seconde nature.
Alors, au plan manuscrit, nous savons que Rimbaud a écrit "autels", ce qui plaide pour l'identification d'une coquille "outils". Vaillant soutient que l'idée de Rimbaud est sotte, parce que le mot "autels" ne serait pas compatible avec l'en avant dont il est question à la fin de "Mauvais sang", et par un procédé de voyage temporel Vaillant a persuadé Rimbaud de corriger "autels" en "outils" à temps avant la mise sous presse par l'éditeur Poot. Peut-être que Vaillant n'a pas eu le temps de passer par Rimbaud, il a directement discuté avec le prote belge, qu'il se soit appelé Marc Dominicy ou non. Mais, bref, Bardel a communiqué trop tard à Vaillant qu'il fallait éditer correctement la phrase : "Après, la domesticité mène trop loin." Un second voyage temporel était dans l'absolu toujours possible, mais Vaillant et Bardel n'avaient plus les sous pour le faire. Il fallait lever des fonds, peut-être que c'est à ça que serviront leurs publications actuelles ? Et donc, du coup, on a eu droit à l'impression grossière : "Après, la domesticité même trop loin." Alors, il y a quand même eu un second voyage temporel pour corriger le texte d'Une saison en enfer au cours du vingtième siècle. Pour ça, il restait encore un peu de thunes et on a depuis longtemps l'édition correcte de la phrase de Rimbaud : "Après, la domesticité mène trop loin."
Tout va bien, l'honneur est sauf.

Donc, en gros, ça s'est passé ainsi : Rimbaud avait bien écrit "Après, la domesticité mène trop loin", mais le prote a mal déchiffré, la phrase était compliquée : "la domesticité mène trop loin", alors il a cru lire cette phrase plus simple, éminemment courante : "la domesticité même trop loin". Il a ajouté un jambage à la consonne nasale "n", et dans la foulée il a allongé l'accent grave en accent circonflexe. C'était trop compliqué et il a fait plus simple. Heureusement, Bardel a retrouvé la seule phrase que l'intelligence comprenne : "Après, la domesticité mène trop loin."
Je n'ai pas encore lu ce que Vaillant dit finalement dans son étude (essai, ce serait un bien grand mot, il est réservé à Bardel) sur cette phrase : "Après, la domesticité même trop loin."
Il y a un demeuré qui a osé dire que si coquille il y avait ça pourrait plutôt venir de ce que le prote aurait oublié de reporter le verbe du manuscrit : "même" serait bien présent sur le manuscrit, c'est peut-être simplement qu'il manque un verbe.
Les rimbaldiens sont vent debout contre cette idée, il n'est de correction du texte que minimale si on ne veut pas extrapoler au détriment de l'auteur... Magnifique principe !

lundi 27 novembre 2023

Des "sèves ornamentales" : ne faut-il pas connaître sa botanique ?

Le poème "Fairy" est l'un des plus énigmatiques et compliqués des Illuminations. La plupart des commentateurs s'interrogent sur l'identité de la femme Hélène évoquée et ils envisagent que Rimbaud se soit trompé dans l'orthographe ou la signification du titre. Rimbaud aurait écrit "Fairy" pour "faery" ou il aurait traduit le mot anglais "féerie" et non "fée".
Pourtant, Hélène, personnage féminin mystérieux, peut être identifiée à une fée dans le poème et sans se confondre avec la femme de la mythologie il est aisé d'identifier une allusion à la guerre de Troie dans l'attaque du poème :  "Pour Hélène se conjurèrent [...]" et d'en déduire que l'Hélène du poème rimbaldien est une personnification de la beauté en liaison étroite avec la mention "ornamentales".
D'autres éléments interpellent, le féminin "bûcheronnes" et l'évocation des "steppes".
Mais revenons à l'oxymore "sèves ornamentales". Il s'agit d'une des énigmes les plus importantes du poème, mais elle tend à passer au second plan au profit de l'onomastique.
Cela n'apparaît pas dans tous les commentaires du poème, mais au moins dans quelques-uns, "sèves ornamentales" est un décalque de l'expression "plantes ornementales" avec une corruption anglicisante. On a compris que Rimbaud avait transcrit "sèves ornamentales" et qu'au moment de la première publication du poème un prote a effectué sur le manuscrit une correction au crayon en remplaçant le "a",  par un "e". Après, nous ne sommes pas à l'abri d'une remarque de  Michel... ? Alain... ou Jean-Paul Vaillant (je ne suis pas arrivé à déchiffrer son prénom) qui nous soutiendra que l'orthographe du manuscrit n'est pas certaine et que Rimbaud a bien écrit "ornementales" et que la correction au crayon sert seulement à préciser qu'il est bien écrit "ornementales" et pas "outils", ni "autels". Mais trêve de plaisanteries. Le problème, c'est que les commentateurs se contentent de remarquer que Rimbaud a fait choix d'une sorte d'anglicisme "ornamentales" et passent à d'autres considérations sans s'y appesantir.
C'en est à un tel point qu'en faisant des recherches sur le net, je suis tombé sur un site amateur où la personne prétend avec le plus grand sérieux que Rimbaud s'inspire du mot  "ornamenta" pour suggérer la guerre, et les "sèves ornamentales" seraient une façon alambiquée de désigner des "flèches".
Certes, Rimbaud est alambiqué, mais peut-être pas à ce point-là.
Revenons à cette expression déconcertante pour mieux en circonscrire la portée. Du XVIe au XIXe siècle, l'essentiel de l'introduction des plantes américaines, asiatiques et dans une moindre mesure africaines en Europe vient quasi exclusivement des anglais, des américains, des néerlandais et des français. Les anglophones dominent nettement le sujet par leur vaste empire,  par leur prolongation de peuplement en Amérique du nord et par une littérature abondante. Les créations de jardins furent une  préoccupation au départ plutôt italienne, avec les modèles de la Renaissance, même si les italiens ne rapportaient pas des plantes du monde entier chez eux. Les jardins à la française ont pris le relais avec l'art de Le Nôtre à Versailles et le fait de jouer sur la profondeur en décorant plus minutieusement ce qui est immédiatement sous les yeux et en allégeant ce qui est au loin pour le regard. Les jardins à la française sont passés également de distributions des parterres fleuris en carrés (ou "carreaux") à des broderies florales. Les plates-bandes se développent et les buis en tant que plantes persistantes sont couramment utilisés pour les bordures.
Toutefois, dès le XVIIIe siècle, l'influence anglaise reprend la main et en France on parlera de deux types de jardins à partir de modèles britanniques, des jardins anglais d'un côté et de l'autre des jardins paysagers.
Les kiosques présents dans les parcs relèvent de l'influence anglaise.
Pourquoi parler de tout ça ? Parce que je pense à la description du parc royal de Bruxelles dans le poème "Juillet". Rimbaud y fait mention du "buis" en songeant en même temps aux escargots qui consomment cette plante et deviennent dès lors un poison pour l'être humain. Rimpbaud parle de plates-bandes et de buis, donc le parc roy a l de Bruxelles est quelque peu à la française, mais avec une touche de jardin anglais, puisqu'on y trouve un kiosque à musique et un kiosque du Vauxhall pour des représentations théâtrales de plein air. On y trouve aussi des volières et on a un mélange pour les sculptures entre le côté jardin à la française et jardin anglais ( les jardins anglais privilégiant des sculptures à l'apparence de ruines, de pièces, etc.).
Mais pourquoi je parle de ce poème "Juillet" ? Est-ce que je fais un lien shakespearien entre "Juliette" et  le côté Songe d'une nuit d 'été de "Fairy" ?
En fait, c'est la mention du "silence" qui fait qu'assez spontanément j'ai envie de rapprocher les deux poèmes. Notons que quelques mois après la composition de "Juillet" par Rimbaud (juillet ou août 1872) Verlaine compose un poème où il se dit "las" du "luisant buis", poème adressé à Rimbaud.
Pour moi, "Juillet" décrit pince-sans-rire un décor froid de nature artificielle. Et  c'est la même ironie que j'entends dans l'oxymore "sèves ornamentales" à proximité des "ombres vierges". Je n'ai pas pu effectuer une recherche lexicographique, mais je pense que l'expression en français "plantes ornementales" vient du modèle anglais "ornamental plants". Je note également qu'en espagnol et en italien l'adjectif "ornemental" pr e nd la même forme qu'en anglais "ornamental", sans doute l'ancienne forme française récupérée au Moyen Âge par les anglais, et en  espagnole le pluriel est du coup identique à la forme rimbaldienne "ornamentales". Je rappelle que les adjectifs sont invariables en anglais. Mais, bref ! L'expression "plantes ornementales" est lexicalisée de nos jours et j'ignore l'ancienneté de l'expression, j'imagine qu'elle s'est développée au dix-neuvième siècle. Les rimbaldiens n'ont pas cru bon d'amener des précisions à ce sujet, ils partent donc du principe que l'expression était déjà courante à l'époque, déjà lexicalisée ou non. Toutefois, il y a une deuxième expression lexicalisée voisine, celle de "graminées ornementales". Et dans "graminées", j'entends "graines" et je me rapproche de "sèves". Rimbaud a choisi le mot "sèves" pour une bonne raison. Oui, pour faire un oxymore ! Mais le choix du mot a dû être influencé par des éléments déclencheurs. On peut penser à "semences", on peut imaginer l'idée de "semences" pour produire des "plantes ornementales", et on aurait le raccourci "semences ornementales". On peut envisager puisqu'anglicisme il y a que Rimbaud a lu un texte en anglais et qu'il a traduit "ornamental plants", ce qui montre au passage l'intérêt de préciser à quelle époque l'expression "plantes ornementales" s'est développée en France, et Rimbaud aurait pu choisir le mot "sèves" en fonction des mentions "seed" d'un texte anglais qui parlait de "gazon" ou que sais-je encore ? Après, on peut imaginer que Rimbaud a été frappé par la présence du mot corrompu "ornamentales" dans un texte en français qu'il nous resterait à débusquer.
En clair, l'expression "sèves ornamentales" est au cœur du poème et jamais la moindre élucidation lexicale n'en a été véritablement tentée, élucidation du côté des "plantes ou graminées ornementales" pour nous éviter de perdre du temps avec "flèches" et "ornamenta" bien sûr.
L'idée de jardin a son importance dans un poème où des bûcheronnes abattent une forêt et laissent place à des "steppes" où le cri s'oppose au "silence astral". L'onomastique "Henriette", " Juliette", "Hélène" permet d'envisager que les jardins sont les départs de la rêverie évocatoire des "Juillet" et "Fairy". Le poème "Fairy" a également avec ses quatre alinéas le profil d'une équivalence de sonnet dans le domaine de la prose, ta nd is que le poème "Fleurs" avec ses trois alinéas serait l'équivalent d'un poème en trois quatrains, et ce poème "Fleurs" décrit précisément des fleurs ornementales artificielles.
Je n'ai pas les réponses, mais c'est un  peu ma bouteille à la mer pour réorienter les futures approches du poème rimbaldien "Fairy".