dimanche 31 décembre 2023

Edition et prosodie d'Une saison en enfer, j'ai l'archet en main, je commence !

 

A. Rimbaud

 

une

 

SAISON EN ENFER

 

 

*****

« Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient.

Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l’ai injuriée.

Je me suis armé contre la justice.

Je me suis enfui. O sorcières, ô misère, ô haine, c’est à vous que mon trésor a été confié !

Je parvins à faire s’évanouir dans mon esprit toute l’espérance humaine. Sur toute joie pour l’étrangler j’ai fait le bond sourd de la bête féroce.

J’ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils. J’ai appelé les fléaux, pour m’étouffer avec le sable, le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l’air du crime. Et j’ai joué de bons tours à la folie.

Et le printemps m’a apporté l’affreux rire de l’idiot.

Or, tout dernièrement, m’étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j’ai songé à rechercher le clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit.

La charité est cette clef. – Cette inspiration prouve que que j’ai rêvé !

« Tu resteras hyène, etc, » se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. « Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux. »

Ah ! j’en ai trop pris : - Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée ! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans l’écrivain l’absence des facultés descriptives ou instructives, je vous détache ces quelques hideux feuillets de mon carnet de damné.

 

__

 

Notes : je cite le texte tel qu’il a été imprimé dans l’édition originale. Les cinq soulignements en bleu correspondent aux passages qui imposent de méditer sur le correct établissement du texte. Nous avons deux coquilles évidentes très proches l’une de l’autre : « le clef » pour « la clef » et le redoublement inutile de la conjonction « que ». Ces corrections n’entraînent aucun débat. Les usages actuels considèrent « etc… » comme un pléonasme qu’il convient d’éviter. Le point après « etc. » est un point abréviatif et l’expression « etcaetera » véhicule par elle-même la signification des trois petits points. Pour « vous qui aimez dans l’écrivain… », on peut se poser la question de l’éventuel ajout d’une préposition avant le « vous », mais je n’y suis pas favorable. Enfin, on parle souvent des guillemets ouvrants au début du texte. Ils ne se refermeront jamais. De deux choses l’une, ou il y a une coquille à un autre endroit du texte où les guillemets fermants seraient manquants, ou ces guillemets sont eux-mêmes de trop. Christophe Bataillé a plaidé cette deuxième hypothèse moins connue en soulignant que bien des pages de publications juridiques de l’imprimeur Poot commençaient par de tels guillemets ouvrants. L’imprimeur aurait utilisé par erreur une plaque où ce signe n’avait pas été enlevé. Pour débattre, il suffit de chercher où fermer les guillemets. Bizarrement, les rimbaldiens n’ont jamais effectué ce genre de test, même si cela fait longtemps que je l’ai moi-même effectué et signalé à l’attention. Mettre l’entièreté de la prose liminaire entre guillemets voire l’entièreté du livre Une saison en enfer n’a aucun intérêt. Le poème « Démocratie » des Illuminations est dans ce cas, mais pour inscrire le poème dans une mise à distance ironique, pour signaler les propos rapportés d’une voix dont le poète ne partage pas le discours. Rimbaud dans « Démocratie » dit son mépris des faux démocrates, du genre du parti démocrate aux Etats-Unis avec les Clinton, les Biden, les Anthony Blinken qui disent cyniquement que l’aide militaire à l’Ukraine (où il y a une quantité impressionnante de centaines de milliers de morts, au moins à moitié du niveau quotidien de la Première Guerre Mondiale) est du gagnant-gagnant puisque ça donne du travail aux américains dans l’industrie de l’armement. Mais « Démocratie » qui anticipait sur la félonie du pays chanté par Tocqueville n’est pas le sujet d’Une saison en enfer. Mettre des guillemets à tout le livre n’apporte rien de plus au fait que nous soyons conscients de lire un livre et même une fiction. Les guillemets étendus à toute la prose liminaire n’apporteront rien au constat qu’il s’agit d’une espèce de prologue, et le texte précise en son dernier alinéa qu’il a été écrit après le reste en régime de fiction : « je vous détache ces quelques hideux feuillets… » Si les guillemets allaient au-delà du premier alinéa, nous aurions plusieurs alinéas à la suite lancés par la marque des guillemets ouvrants. Dans les poèmes en vers, les guillemets ouverts sont reconduits au début de chaque vers jusqu’à ce que des guillemets fermants mettent un terme aux propos rapportés. Le principe vaut aussi pour les paragraphes de prose, même si l’usage des tirets fait que cela apparaît moins dans les romans. En tout cas, vu que des guillemets ouvrants d’un discours rapporté apparaissent au début du dixième alinéa, l’idéal aurait été que ces guillemets soient refermés avant le dixième alinéa. L’unité qui court du deuxième au neuvième alinéa exclut une telle possibilité, sans oublier que la proximité des guillemets fermants à la fin du neuvième alinéa avec le début de réponse de Satan serait du plus mauvais effet. Nous ne gagnons rien non plus à isoler le seul premier alinéa entre guillemets, la rupture temporelle avec la mention « Un soir » est suffisante, tandis que le « Jadis » est déclaré de mémoire incertaine.

Un petit bonus pour ceux qui m’auront lu : Verlaine sorti de prison a commencé à donner à plusieurs de ses recueils des titres qui étaient des réponses au poète Rimbaud : Sagesse et Amour en particulier. Les spéculations pourraient aller plus loin, mais je ne sais pas si quelqu’un a jamais songé à préciser que le titre Jadis et naguère était une volontaire citation du premier mot d’Une saison en enfer. Je pourrais argumenter, je vous laisse apprécier l’idée qui me semble évidente.

Nous allons procéder aux quatre seules corrections nécessaires, autrement dit au toilettage de la prose liminaire pour une édition acceptable. Mais nous allons reprendre avec une analyse prosodique ce nouvel état du texte :

 

*****

 

Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient.

Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l’ai injuriée.

Je me suis armé contre la justice.

Je me suis enfui. O sorcières, ô misère, ô haine, c’est à vous que mon trésor a été confié !

Je parvins à faire s’évanouir dans mon esprit toute l’espérance humaine. Sur toute joie pour l’étrangler j’ai fait le bond sourd de la bête féroce.

J’ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils. J’ai appelé les fléaux, pour m’étouffer avec le sable, le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l’air du crime. Et j’ai joué de bons tours à la folie.

Et le printemps m’a apporté l’affreux rire de l’idiot.

Or, tout dernièrement, m’étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j’ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit.

La charité est cette clef. – Cette inspiration prouve que j’ai rêvé !

« Tu resteras hyène, etc., » se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. « Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux. »

Ah ! j’en ai trop pris : - Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée ! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans l’écrivain l’absence des facultés descriptives ou instructives, je vous détache ces quelques hideux feuillets de mon carnet de damné.

 

Notes : dans la langue des vers, il est interdit de pratiquer le hiatus, rencontre immédiate de deux voyelles entre deux mots (cas à part du « e » et du traitement du « h », et exception faite de certaines locutions « peu à peu », etc.). Cette proscription se conçoit aisément dans la poésie latine où il n’y a que cinq voyelles et où il y a une distinction des voyelles dites longues et des voyelles dites brèves qui importent à la mesure. Toutefois, dans la prose, si personne ne pense aux hiatus, on se rend compte qu’ils sont peu nombreux dans les textes. Cette étude des hiatus dans les comédies en prose de Molière permettraient de se faire une idée si oui ou non il prévoyait de mettre ensuite ce texte en vers. Mon intuition est que non. Rimbaud a composé des poèmes en vers de 1869 à 1872, et pour l’essentiel il a respecté la proscription du hiatus. Rimbaud avait donc pleinement conscience que des expressions courantes et banales en français ne pouvaient apparaître dans des poèmes en vers. Rimbaud ne peut pas ignorer qu’il défie les habitudes prosodiques du poète quand il pratique le hiatus par l’emploi de verbes commençant par une voyelle qu’il conjugue à un temps composé : « j’ai assis », « je l’ai injuriée », « mon trésor a été confié », « La malheur a été mon dieu », « m’a apporté », et il faut y ajouter la reprise : « J’ai appelé… » en tête de deux phrases. C’est le principe de l’anaphore, figure jouant sur la répétition qui est forcément prisée des poètes. L’anaphore : « J’ai appelé… » contient un hiatus, j’ai du mal à croire que Rimbaud ne soit pas conscient du caractère provocateur de sa prosodie relâchée, quelque peu familière. Les deux hiatus « a été » ne sont pas très éloignés l’un de l’autre. Il faudrait quand même se demander s’il n’y a pas un travail prosodique subversif de la part de Rimbaud. Les autres hiatus continuent de flatter l’idée du fait exprès, nous avons un même effet de négligé de « séché à l’air du crime » à « songé à rechercher ». Puis, cela fait tout de même une quantité élevée de hiatus où le premier phonème vocalique que nous entendons est [e] : « ai assis », « l’ai injuriée », « séché à », « songé à », « charité est », deux fois « J’ai appelé ». Il faut ajouter à cela une série de hiatus sur des formes verbales se terminant sur la banale terminaison « é » ou « ée » des temps composés : « je l’ai injuriée », deux fois « a été » mais avec une extension dans un cas « a été confié », puis nous glanons encore : « m’a apporté », « j’ai songé », et nous constatons que le couple « j’ai appelé » entre à nouveau dans un relevé. Nous pouvons inclure à cette liste la terminaison « -ez » pour « vous qui aimez ». Notez que « m’a apporté » est un hiatus plus grave puisqu’il double la même voyelle « a ». Notez aussi que dans les deux hiatus « a été », un [e] se fait entendre. Si nous laissons de côté le débat s’il y a hiatus ou non par-delà un point de fin de phrase : « enfui. O », pratiquement tous les hiatus comportent un [e], pratiquement tous les hiatus comportent un « a » ou un [e], puisque souvent le hiatus couple le « a » et le [e] dans un sens ou dans l’autre, et comme cela permet d’inclure la forme « m’a apporté », il convient de se pencher sur le seul hiatus échappant à cette loi : « si aimables » qui couple un i et le son d’un « e » grave, sauf que l’adjectif « aimables » entre en résonance avec le mot « aimez » du hiatus final « qui aimez ». Difficile de croire à de la pure coïncidence.

Pour ce qui est de la prosodie du son [e] dans cette espèce de prologue, elle est renforcée à maints égards. Nous avons une série de noms terminé par le suffixe féminin « -té » : « Beauté », « charité », « lâchetés » et « facultés », un nombre encore assez conséquent d’autres substantifs se terminant par un [e] : « dernier », « clef » à deux reprises dont une fois en fin de phrase, « péchés (capitaux) », « damné » en dernier mot de la prose liminaire. Le recours devient évidemment abusif avec les auxiliaires des temps composés : « ai », « été », avec la surabondance de conjonctions « et » notamment en attaque de certaines phrases : « Et je l’ai trouvée amère », « Et je l’ai injuriée », « Et j’ai joué de bons tours à la folie », « Et le printemps m’a apporté », « et ton égoïsme et tous les péchés capitaux », « et en attendant ». Aucun des sept « et » employés dans la prose liminaire n’est neutre d’emploi. Ils sont tous en renfort rythmique, à une exception près peut-être « et en attendant… » Le son [e] se fait entendre en attaque de formes du verbe « être » ou en attaque de certains verbes : « s’évanouir », « l’étrangler », « m’étouffer », où se notent parfois le second [e] de terminaison de l’infinitif. On pourrait citer son relief dans le mot « fléaux ». Je ne vais pas vous inviter à tous les « rechercher » ces [e] du texte, mais il faut citer la liste accablante des terminaisons verbales en « -é » : trouvée », « injuriée », « armé », « été confié », « appelé », de nouveau « appelé », « a été », « allongé », « séché », « joué », « apporté », « trouvé », « songé », « rêvé », « irritée » (adjectif mais…). Il y a quelques autres [e] que je n’ai pas mentionnés dans cette prose liminaire. A un moment donné, il faut être conscient d’une saturation expressément voulue par Rimbaud. Izambard le normal, il prend le texte et il dit : « Revoyez votre copie ! Il y a beaucoup trop de ronflement du [e] ! » Vu que la prolifération de [e] est facilitée par les conjugaisons des verbes et un mot outil tel que « et », il faut bien comprendre que le public d’époque n’allait pas appeler ça une « prose de diamant ». Cet aspect subversif de la prosodie d’un damné n’a semble-t-il jamais été prise en considération dans les études rimbaldiennes.

Pour la proscription du « e » syllabe à part entière, Rimbaud n’y fait guère attention dirait-on, puisque nous avons les cas de « joie » et surtout « récrie ». Pour « joie », la prononciation actuelle du mot a définitivement laissé disparaître le son « e », mais « récrie » le fait entendre légèrement encore. En tout cas, Rimbaud pratique des suites interdites en vers : « joie pour » et « se récrie le démon » (à moins de jouer sur le passage d’un vers à l’autre). Notons que pour l’effacement du « e » au-delà de la ponctuation Rimbaud est au contraire très soucieux de la bonne prosodie classique, tant il les fait suivre spontanément d’un mot commençant par une voyelle. J’ai opposé en vert et en rouge les cas corrects pour la tradition prosodique et les deux cas non admis.

Tout de même en fait de prose de diamant, on appréciera la grâce des premiers alinéas. Le premier alinéa se termine sur un alexandrin blanc en prose : « où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient. » Le prosateur doit s’interdire de donner l’impression de l’alexandrin. Ici, nous sommes à la fin d’une première phrase brève du texte et nous avons déjà un vers blanc. C’est une exhibition provocatrice du genre du rejet à l’entrevers au début du drame Hernani : « l’escalier / Dérobé ». Hugo demeurait sur le terrain du vers, mais il faisait entendre qu’il n’écrirait pas avec la correction métrique d’un Corneille ou d’un Racine. Rimbaud ose un vers blanc dans un écrit en prose, ce qui participe à un brouillage entre les genres, et je dirais même plutôt entre les mondes de la poésie et de la prose. Ce vers blanc construit sur une anaphore en « où » permet rétroactivement de penser la séquence « si je me souviens bien » comme l’hexasyllabe qui amène la succession « où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient » qui est composée précisément de deux hexasyllabes. L’opposition dramatique de « Jadis » et « Un soir » est pour sa part soulignée par une attaque sèche commune sous la forme de deux dissyllabes.

Signe que la prosodie a été véritablement pensée par Rimbaud, l’enchaînement entre les deux premiers alinéas est d’une précision vertigineuse, puisque l’anaphore du vers blanc équilibré en bon alexandrin avec harmonie du chiasme : « où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient », est relayée par une anaphore en « Et » entre une phrase de sept syllabes où le mot « amère » pourrait symboliser le renoncement à la forme de six syllabes et une autre qui revenant aux six syllabes du modèle contient un hiatus : « Et je l’ai injuriée ». Il y a un véritable délitement harmonique subtil de l’un à l’autre alinéa. Et si le deuxième alinéa a une note harmonique par l’emploi de l’anaphore en « Et » et par les assonances en [e] et par un similaire balancement binaire de fin de phrase d’un alinéa à l’autre, il y a un dérèglement de la mesure syllabique, un relâchement prosodique familier en permettant un hiatus et en jouant sur l’abondance facile de [e]. Le parallèle des deux premiers alinéas va plus loin avec les dissyllabes initiaux : « Jadis » et « Un soir », donc malgré l’incise « si je me souviens bien », il y a un fort apparentement rythmique entre les deux premiers alinéas. Et puis, j’insiste d’autant plus sur l’idée que le mot « amère » est important et réellement placé à un endroit qui refuse le vers blanc en étant sixième et septième syllabe d’une phrase courte, qu’il s’agit d’une mention du goût (on connaît tous le quatuor culturel : sucré, salé, acide, amer) avec un arrière-plan biblique, moral, psychologique. Mais le mot « amère » reprend quelque peu l’assonance en « e » grave des terminaisons d’imparfait des verbes « s’ouvraient » et « coulaient », sachant que « coulaient » est du côté lui aussi de l’abandon au plaisir gustatif (« les vins coulaient ») et « s’ouvraient tous les cœurs » anticipe le contraste morale de « amère », et comme par hasard, dans les alinéas suivants, après une série en « -ui » (je me suis enfui, je me suis) nous avons une suite ostentatoire qui fait écho à « amère », soit par rime, soit par assonance du e grave : « O sorcières, ô misère, ô haine », et le mot « haine » s’oppose à « s’ouvraient tous les cœurs ».

Il s’agit d’un texte très travaillé au plan poétique, même si volontairement Rimbaud met en avant une prosodie relâchée, une prosodie qui vient d’un bagout familier et populaire, et pas du tout d’un public de lettrés qui aime qu’on évite les facilités en langue, qui veut qu’on soit chiadé en montrant qu’on identifie les procédés trop simples.

Il resterait à faire une étude sur les alinéas courts, mais il me faudrait faire des sondages chez d’autres auteurs pour réellement tenir un propos intéressant.

Ce sera tout pour cette fois. Je reviendrai sur le sens de la prose liminaire à partir d’un même procédé de mises en relief de passages du texte par des soulignements et différentes couleurs.

Je n'ai rien dit de la cacophonie théorisée par Malherbe et l'avignonnais Pierre de Deimier ; "avec le sable, le sang", suit syllabique de deux "le". Mais j'y penserai peut-être quand je parlerai de la prosodie du début de "Mauvais sang".

A bientôt !

samedi 30 décembre 2023

Un livre collectif sur Une saison en enfer avec les articles de Zimmermann, Frémy, Laforgue, etc.

En 2010, les poésies en vers de Rimbaud, à l'exception de l'Album zutique, et le livre Une saison en enfer étaient au programme de trois concours d'Agrégation (lettres modernes, lettres classiques et... heu ? grammaire je crois). Il est à noter que l'épreuve linguistique à l'écrit a porté sur un extrait de la lettre à Demeny du 15 mai 1871 qui, en principe, n'est pas une œuvre littéraire de Rimbaud, mais cela est assez révélateur de l'idée que se font les organisateurs du concours du rapport du jeune ardennais à l'écriture. L'annonce du programme officiel eut lieu au cours de l'été 2009 et précipita un certain nombre de publications nouvelles. Les contraintes de rédaction rapide peuvent inquiéter, et le volume de Steve Murphy et Georges Kliebenstein pour la collection Clefs concours Atlande s'est ressenti de cette urgence. On a vu également que bien que les contributions zutiques ne fussent pas au programme certaines publications ne se privèrent pas d'en traiter au passage, puisque je venais de précipiter un fort engouement pour l'Album zutique avec mes révélations sur Belmontet dont la nouvelle édition des Œuvres complètes d'Arthur Rimbaud dans la collection de la Pléiade en 2009 eurent la primeur. J'étais en train de découvrir toutes les sources des parodies zutiques avec Ricard pour le monostiche : "L'Humanité chaussait le vaste enfant Progrès", avec les passages réécrits de Silvestre pour "Lys", et j'étais en train d'établir la chronologie des contributions zutiques en soulignant des interactions de groupe entre les membres du Cercle. Cependant, dans le cas du concours, même si les articles sont le résultat de commandes en urgence, les rimbaldiens qui interviennent ont l'occasion de placer les résultats de réflexions en cours. Il ne faut pas y voir qu'un lot d'études prématurées. C'est aussi l'occasion d'avoir des interventions inhabituelles avec des non habitués des publications rimbaldiennes qui vont étonner par leurs préoccupations rafraîchissantes.
Je vous parle aujourd'hui d'un livre dirigé par Steve Murphy intitulé Lectures des Poésies et d'Une saison en enfer de Rimbaud paru aux Presses universitaires de Rennes en octobre 2009. Les épreuves écrites de l'Agrégation se déroulaient en avril 2010, il y avait donc un profit de seulement cinq mois pour les candidats.
Au passage, je m'accorde une petite digression. Pourquoi quand on parle de lire Rimbaud, on parle uniquement d'universitaires et plus jamais d'écrivains ? C'est tout simple, les écrivains n'existent plus ou ont démissionné. Yves Bonnefoy faisait un peu de résistance de son côté, Jaccottet ne publiait pas spécialement sur Rimbaud. Michel Butor a fait quelques excursions, ce serait le dernier, et Julien Gracq est mort depuis longtemps aussi. Nous avions les opinions jadis des poètes : André Breton et René Char, par exemple. Tout cela est bel et bien fini. Après le mouvement mitigé du Nouveau Roman, et après le décès de Julien Gracq, qui sont les grands romanciers de notre temps ? On peut citer Pierre Michon qui s'est intéressé à Rimbaud, et après ? De plus, les écrivains n'ont pas étudié les poésies de Rimbaud avec rigueur, alors que, dans la diversité et hétérogénéité des études universitaires, certains critiques ont montré qu'ils comprenaient mieux et lisaient mieux Rimbaud que tous les écrivains réunis. Le combat a cessé faute de combattants du côté des artistes, dirait Corneille. Peut-être qu'un écrivain nous arrivera du monde universitaire à l'avenir, c'est à souhaiter, car il n'y aura pas d'héritage Rimbaud de qualité par manifestation spontanée du génie.
J'en reviens à notre volume de 344 pages. Il faut écarter l'introduction par Steve Murphy et douze articles sur les poèmes en vers. On remarquera que, connus pour des travaux sur la Saison, Pierre Brunel et Mario Richter ont préféré publier cette fois-là sur la poésie en vers, ainsi que Christophe Bataillé. Nous avons un article de transition par Alain Bardel où il est question surtout de "Mauvais sang" du côté de la prose : "Face au cauchemar de l'Histoire".
Nous avons ensuite une série de douze articles sur Une saison en enfer. Je rappelle que Murphy adopte dans ce volume le procédé appliqué à la revue Parade sauvage. Les articles sont distribués dans l'ordre chronologique des œuvres de Rimbaud lui-même : poésies de 1870, poésies régulières de 1871 sinon de 1872, poésies en vers irrégulières de 1872 sinon de 1873, "Les Déserts de l'amour" et les proses parodiant les évangiles, Une saison en enfer, Les Illuminations, la vie et la correspondance ultérieures, la postérité de Rimbaud. Si un article traite différentes époques de l'art de Rimbaud, je crois qu'on prend en considération la partie la plus tardive qui est traitée, et enfin pour Une saison en enfer dans la mesure du possible les articles suivent l'ordre des sections titrées du livre.
Bref, le premier article est le mien : "Les ébauches du livre Une saison en enfer", puisque j'y traite des brouillons qui sont antérieurs au plan chronologique, forcément ! et puisque les brouillons correspondent au début du livre pour l'essentiel, et cela explique le voisinage de l'article de Bardel, puisque dans son article et puis dans le mien il est pas mal question de "Mauvais sang".
Je ne vais pas m'attarder sur mon article. J'y défends l'idée que "outils" est une coquille pour "autels" la leçon évidente du brouillon manuscrit. J'ai ensuite renforcé mon argumentation dans un article publié sur le blog Rimbaud ivre de Jacques Bienvenu. Dans son dernier ouvrage, [...]Rimbaud l'Introuvable, Alain Bardel applique la politique suivante : ne pas citer le présent blog rimbaldien, mais citer si nécessaire mes articles parus et le blog Rimbaud ivre. Alain Vaillant fait de même et c'est aussi le cas de Marc Dominicy dans sa contribution au volume d'hommages à Yann Frémy, mais ce n'était pas encore le cas de Benoît de Cornulier dans le Dictionnaire Rimbaud de 2021 dirigé par Vaillant, Frémy et Cavallaro.
Mon article soulignait que le "vice" renvoyait au titre "Mauvais sang", enfin pas explicitement je tenais encore un discours plus abstrait, et c'est dans un article de ce blog que j'ai dû définitivement formuler cette évidence. Je précisais que la beauté était spécifiquement d'obédience chrétienne. Je disais des choses que je croyais et que je crois toujours intéressantes sur la composition d'ensemble de "Mauvais sang". Je faisais des constats simples et solides, sauf que, manque de bol, je me suis trop avancé et j'ai prétendu préciser le sens du mot "poison" au début de "Nuit de l'enfer" en le ramenant à la conversion chrétienne envisagée ironiquement par l'auteur. Je me suis reproché cette lecture dans mon article qui a suivi en 2010 dans le volume collectif aux éditions Classiques Garnier dirigé par Frémy, Résistances.
Vous allez comprendre plus bas pourquoi je soulève ce point.
Et donc, maintenant, passons aux études des autres intervenants. Celle conclusive de Steve Murphy est très générale et ne s'attaque pas à commenter un passage d'Une saison en enfer : "Une saison en purgatoire (petite dose d'anti-mythes rimbaldologiques)". Sa partie sur Une saison en enfer est du même ordre pour le Clef concours Atlande et l'article qu'il a donné au volume collectif de 2014 dirigé par Yann Frémy Enigmes d'Une saison en enfer, sera lui aussi un article de remarques générales à distance de l'analyse du texte.
Voici la liste des articles restants :

Jean-Pierre Bertrand, "La fabique du sujet : Une lecture d'Une saison en enfer" page 199
Vincent Vivès, "Usage insurrectionnel des intensités (quelques remarques sur Une saison en enfer) page 213
Henri Scepi, "Logique de la damnation dans Une saison en enfer" page 227
Yves Vadé, "Tenir le pas gagné" : avancées et blocages de l'Histoire dans Une saison en enfer" page 239
Pierre Laforgue, "Mauvais sang, ou l'histoire d'un damné de la terre" page 251
Alain Vaillant, "L'art de l'ellipse. Argumentation et implicite dans Une saison en enfer" page 265
Laurent Zimmermann, "Le 'poison' dans Une saison en enfer : une poétique de l'hétérogène", page 283
Yann Frémy, "Toutes les formes de folie..." : enquête sur Une saison en enfer âge 293
Michel Murat, "L'histoire d'une de mes folies" page 305
Georges Kliebenstein, "Rimbaud, dantesque et cartésien" page 317

Vous remarquerez que, à la différence de ce que j'ai annoncé, les articles ne sont pas en fonction de l'ordre de défilé des sections du livre, il y a ici de sensibles recoupements thématiques.
Dans cette liste, sachant que j'ai écarté trois articles de moi, Bardel et Murphy, vous avez un article de trois auteurs connus pour leurs interventions sur Une saison en enfer, Yann Frémy, Michel Murat et Alain Vaillant. Michel Murat était en train d'écrire une partie supplémentaire à son livre L'Art de Rimbaud et cela était anticipé par quelques articles comme celui-ci. L'article d'Alain Vaillant est paradoxalement meilleur et plus intéressant que son essai qui vient de paraître en septembre ou octobre 2023. Et surtout, cet article contient de nombreux éléments méthodologiques qui réfutent par anticipation l'ouvrage qui vient de paraître. C'est à se demander si c'est le même auteur. Je traiterai une autre fois des articles de Bardel, Vaillant et Murat.
Il y a ensuite l'article de Yann Frémy. Je traiterai également ultérieurement de cet article, mais je voulais intervenir sur un point. L'article de Vivès parle des "intensités" et cet article de Frémy sur le thème de la "folie" est adressé en en-tête à la mémoire d'Alain Buisine et au cours de l'article on retrouve ce qui s'apparente à un tic d'écriture : il est question de l'énergie, le mot "énergie" vient spontanément sous la plume de Frémy comme s'il désignait quelque chose. Je me suis parfois demandé pourquoi il employait ainsi le mot "énergie" à tout bout de champ. A quoi renvoie ce mot dans Une saison en enfer, sachant que Rimbaud n'emploie pas volontiers le mot "énergie" ni l'adjectif "énergique", etc. ? On peut se dire, et je me le suis dit, que Frémy avait appliqué à Rimbaud des concepts que ses enseignants, Buisine et d'autres, avaient eux-mêmes peaufiné et appliqué à d'autres auteurs. Mais quelque chose me chiffonnait. Je ne constatais pas de la part de Frémy, dont j'ai lu la thèse sur microfiches et le livre "Te voilà, c'est la force", ainsi que plusieurs articles, que nous avions une mise au point sur un concept extérieur à Rimbaud et toute une justification méthodologique de son emploi étendu à Une saison en enfer. Tout se passait comme si c'était naturel de procéder de la sorte, comme si le concept d'énergie avait une valeur implicite évidente pour lire Rimbaud, comme si, sans le mot, Rimbaud avait pensé la chose.
Je constate dans cet article que Frémy se met sous le patronage d'un article de Brunel publié dans le volume collectif Dix études sur Une saison en enfer : "Dans un article important, Pierre Brunel indique que "dans Une saison en enfer, le mot central du lexique de la folie [...] est délire." " Et une note de bas de page donne les références et le titre de l'article de Brunel : "La folie dans Une saison en enfer". Je l'ai déjà survolé, mais je ne crois pas le posséder dans ma réserve de photocopies actuelles qui est désormais bien maigre. Je ne possède même plus les photocopies de l'article de Molino... Mais, bref, Frémy va trouver dans les articles de Brunel des indications sur les mots clefs importants d'Une saison en enfer. C'est un peu dérisoire, mais c'est ainsi qu'il introduit son article. Or, cela vient ajouter du crédit à un constat que j'ai fait depuis longtemps et que j'avais gardé pour moi : le concept d'énergie appliqué à Une saison en enfer se nourrit de la lecture d'un passage de l'édition critique d'Une saison en enfer par Pierre Brunel en 1987, sauf que Brunel appliquait l'idée d'énergie à un livre de William Blake qu'il ne faisait que comparer vaguement à Une saison en enfer. Il s'agit d'un passage de la page 12 du livre de Brunel. Je précise que cette page 12 n'est pas la douzième page de texte, c'est seulement la deuxième page de l'Introduction, laquelle introduction n'a été précédée que par deux pages d'un "Avant-propos". Je cite l'extrait en question :
   Le Mariage du Ciel et de l'Enfer de William Blake est, par ses dimensions, par son inspiration, un antécédent de la Saison. Rimbaud n'a probablement pas lu ce texte, mal connu en France avant la traduction d'André Gide. [...] Le séjour "parmi les flammes de l'Enfer", où Blake allait recueillit les Proverbes de la Sagesse Infernale, n'est pas même le prétexte d'une analogie, mais un lieu obligé. Il est plus intéressant de constater, dans les deux livres, une révision des "Bibles, ou codes sacrés" et, à l'occasion de cette révision, une remise en question des dualismes traditionnels : le corps et l'âme, le bien et le mal, la faiblesse et la force. C'est Blake qui a écrit : "L'énergie est la seule vie. [...] Energie est éternel délice". [...]
Ce passage de Brunel participe aussi du mythe d'un Rimbaud s'en attaquant au dualisme, notamment du corps et de l'âme. Or, j'attends qu'on me montre un passage où Rimbaud récuse explicitement le dualisme des notions "corps" et "âme", parce que jusqu'à plus ample informé : "posséder la vérité dans une âme et un corps" ne signifie pas la remise en cause de ce dualisme ! malgré tout ce que peuvent dire Brunel, Richter, Claisse, Vaillant et d'autres. La vérité qui est à la fois dans un corps et dans une âme, c'est toujours poser le dualisme de l'âme et du corps. Linguistiquement, c'est imparable. Et la "vérité" du Christ elle est identique dans le langage pourtant admis dualiste de la religion chrétienne.
Mais notre sujet du jour, c'est la notion d'énergie associée à un débat sur l'alternative force ou faiblesse telle qu'elle est posée à la section 5 de "Mauvais sang". J'ai lu par le passé le livre de Blake, je n'en ai aucun souvenir, mais j'attends qu'on m'explique comment on passe de l'emploi du mot "énergie" par Blake à son emploi comme allant de soi dans des explications données à Une saison en enfer. Je cite quelques passages de l'article de Frémy dans l'espoir qu'enfin quelqu'un d'autre moi va sentir qu'il y a un raccourci problématique, non étayé et sans doute trompeur :
La projection du moi dans l'altérité est intense [à propos du "Je est un autre"]
Le païen se dirige vers l'intensif, là où l'Histoire a su produire une certaine énergie décalée
Entre "je" et ces figures, quelque chose communique, de l'ordre de l'intensité
Le païen abandonne en effet certains caractères formels, pour se mettre du côté de l'informe, d'une énergie proprement itinérante. [Note de ma part : Frémy songe peut-être à "je suis une force qui va" dans Hernani]
Dans le processus du délire, il s'agit donc de comprendre que l'énergie est première [...]
Toujours il s'agit de migrer vers l'intense. Or, dans Délires I, l'Epoux infernal est entraîné dans d'autres devenirs, variables en fonction de la quantité d'énergie mise jeu.
Le délire permet ainsi le partages des intensités.
Toutes ces citations sont concentrées sur deux paragraphes pages 294 et 295, un premier paragraphe de seulement 13 lignes page 294 et un second paragraphe de 14 lignes à cheval sur deux pages. Et je précise que, moi, personnellement, je ne comprends rien du tout à ce que je lis. Le concept d'énergie décalée, ça me passe très loin au-dessus de la tête. Ce n'est pas parce que les mêmes mots "énergie" et "intense" reviennent phrase après phrase que je m'y retrouve, puisque ni le mot "énergie", ni le mot "intense"n'a de sens pour moi au vu de la façon dont ils sont employés. Ils sont clairement allusifs, mais allusifs à quoi ? Et comme je suis perdu dès le départ, quand ça s'imbrique avec d'autres idées comme dans la suite de l'article, je ne comprends toujours pas : "les cultures qui désignent des régions sur ce corps, c'est-à-dire des zones d'intensités, des champs de potentiel (page 295). La citation est en réalité d'un livre de Deleuze et Guattari. Vous voulez une anecdote amusante. Un jour, un étudiant de l'Université de Toulouse le Mirail devait passer un oral sur l'ouvrage L'Anti-Oedipe de Deleuze. J'ai passé plusieurs heures à lui préparer son oral en transformant en langage courant les platitudes de Deleuze servies dans un langage extrêmement alambiqué et métaphorique. L'élève a eu une bonne note et ce discours : "Vous voyez que vous avez compris quelque chose à Deleuze ?" Quand j'ai eu ce retour, j'étais mort de rire comme disent les jeunes. Et donc on a un concept qui permet de convoquer indifféremment Blake, Rimbaud, Deleuze, etc., et on continue avec à la lecture de l'article, je n'ai pas encore dépassé la page 295, et je relève encore : "autant d'intensités historiques singulières". Il reste encore neuf pages d'articles, sachant qu'une sous-partie porte le titre "anomie" suite à un article ancien dont personne n'a jamais fait cas de Marc Eigeldinger : "L'anomie dans Une saison en enfer". J'ai dû lire à mon époque de vie étudiante trois fois l'article d'Eigeldinger, et à chaque fois après ma lecture j'ai oublié ce qu'il disait et le sens même du mot "anomie". Bon, je ne le lisais pas plume en main, mais je comprenais que ça ne m'apportait rien pour lire Une saison en enfer.
Alors, poursuivons.
il y a l'article de Georges Kliebenstein, là encore il faut énormément de courage et de volonté pour le lire. Je vous laisse admirer son humour et sa prose, et encore ce n'est pas sa copie la plus échevelée :
Chez Rimbaud, Dante, apparemment, n'est nulle part. C'est au point que Jacqueline Risset intitulant, non sans défi, un article "Rimbaud lecteur de Dante" en vient à relever qu'elle ne trouve,  dans le corpus rimbaldien, "aucune allusion explicite au poète florentin". On pourrait objecter que l'idée même d'une "allusion explicite" frôle l'oxymore - et qu'il ne faut pas s'attendre à un jeu intertextuel appuyé de la part d'un poète hermétique et qui aime à garder la/les clef(s) pour lui. [...]
Normalement, on écrit : "garder la clef ou les clefs", et pas un rendu phonétique incompréhensible "lalèclé". Mais passons.
On a un peu plus loin un premier sous-titre affiché avec un mot opaque : "L'autométadiscours".
Je vous cite d'autres passages que je glane au hasard, tellement je dois me faire violence pour ne pas passer à un autre article, je ne veux pas lire ça ! ma répugnance est physique : "A la question posée naguère par Brunel "Rimbaud, biblique ou non ?", on aurait envie de répondre par : Rimbaud ultra-biblique. Ou plutôt : Rimbaud ultra-théologien."
Ce n'est pas drôle, moi ça ne me fait pas rire.
On a ainsi plein de circonlocutions : "comme le dit un tel, tatati tatata'", "d'un côté et de l'autre", "il est d'usage de penser qu'il faut éviter la dérive, mais quelque part ça se pose autrement". Et c'est alimenté en jeux de mots à la va comme je te pousse. L'érudition part dans tous les sens.
Bon, je reprendrai ça plus tard. Là, je ne peux pas.
Pour Yves Vadé, il s'agit non pas d'un rimbaldien, mais l'auteur a publié des ouvrages dont au moins le titre est connu : L'Enchantement littéraire. Un jour, j'ai fait l'effort de lire ce livre, je l'ai lu, je l'ai rapporté. Le titre ici a le mérite d'être accrocheur et intéressant : "avancées et blocages de l'Histoire", j'y reviendrai.
Donc, il nous reste les articles de Scepi sur la "damnation", de Bertrand qui prétend à une lecture globale du livre, l'article de Laforgue que j'ai déjà signalé à l'attention. D'ailleurs, Laforgue insiste sur un article méconnu de Barrère où il est question de sources du côté de Parny et de Chateaubriand, ce dont Brunel avait tenu compte dans son édition critique de 1987 où une source possible chez Parny est mentionnée.
Et enfin, je termine par un article de Laurent Zimmermann sur "Le poison" dans Une saison en enfer et pour celui-ci j'en rends immédiatement compte. L'auteur ne m'est pas connu et je ne connais même pas son livre Rimbaud et la dispersion de 2009.
Dans le même ouvrage qui contient mon analyse du "poison" que j'ai réfutée ensuite, il y a un article qui porte exclusivement sur le "poison".
C'est d'ailleurs en partie cet article qui a contribué à mon brusque réveil sur le problème du "poison", sauf que l'auteur lui ne tranche pas et il ne développe pas les arguments que j'ai exposés récemment, ni pour identifier le poison, ni pour bien poser les arguments pour et contre certaines interprétations.
Donc, Zimmermann commence par exposer le problème d'une confrontation de deux points de vue sur le "poison" du début de "Nuit de l'enfer". Nous avons une tendance critique qui y voit le poison comme une expérience de la drogue et des "paradis artificiels". Nous avons une autre tendance qui y voit la tradition chrétienne qu'à cause de son baptême le poète ne peut pas surmonter (pages 283-284) :
[...] La tradition critique propose deux interprétations différentes. Dans un premier cas, le "poison" sera de la drogue, du haschich en particulier, et l'opération d'absorption sera alors à entendre au sens littéral : du "poison" a été absorbé au cours d'une expérience de prise de drogue. Dans le second cas on a coutume de dire que le "poison" est la tradition dont le poète ne peut pas se défaire, tout ce qui l'encombre et dont il rend compte dans Une saison en enfer, le christianisme tout particulièrement. L'opération d'absorption est dans ce second cas à entendre au sens métaphorique : dominé par une suite de références et de cadres mentaux dont il ne parvient pas à sortir, le poète constate son empoisonnement, cette absorption d'un poison mental dont il peine à se défaire.
    En réalité, les deux interprétations semblent possibles, à tel point qu'il est difficile voire abusif de déclarer que l'une ou l'autre puisse être considérée comme absolument valable. Tout au contraire, il faut reconnaître qu'existe sur ce point une certaine indécidabilité.
Vous le voyez, Zimmermann applique le théorème de Gödel à la lecture de Rimbaud, ce que je trouve ridicule, et j'ajouterai "anachronique" vu que ma remarque méprisante vous fait hausser les sourcils. Je ne méprise pas l'article de Zimmermann, il est intéressant, et contrairement (sauf erreur de ma part) à Vaillant et Bardel je le cite en 2023. L'article a le mérite d'exposer un problème que Vaillant et Bardel n'exposent pas en 2023, et après avoir lu ce passage je vous invite d'ailleurs à lire les commentaires de "Nuit de l'enfer" et du passage initial sur le "poison" pour vous faire une idée des explications qui ne soulèvent même pas qu'il existe deux approches traditionnelles contradictoires sur cette idée de "poison". Je précise que, pour ma part, et je croyais d'ailleurs que la phrase même apparaissait dans l'article de Zimmermann, je suis passé à un stade où je dis : "Mais pourquoi ne pas considérer que Rimbaud a bien absorbé du poison en tant que tel ?" J'étais persuadé que j'allais trouver cette phrase dans l'article de Zimmermann lui-même, ou alors il y a un autre article d'époque qui le dit, soit dans le volume collectif Rimbaud poéticien que je vais consulter bientôt, soit ailleurs.
Zimmermann ne tranche en faveur d'aucune des deux lectures. Au contraire, il en fait un moyen de plaider l'hétérogénéité comme moyen de remise en cause des idées traditionnelles en Littérature, ni religion, ni refuge dans les drogues et l'ivresse. Zimmermann fait du mot "ivresse" un moyen de désigner la poésie et la littérature, puisque l'ivresse était alors liée à l'inspiration et elle était vénérée dans un poème en prose de Baudelaire : "Enivrez-vous" où il est question de littérature : "Enivrez-vous de poésie" ! Je ne suis évidemment pas d'accord avec cette thèse de l'hétérogénéité qui s'apparente superficiellement à ma lecture et à celle de Claisse sur un double rejet du mensonge du christianisme et des voies illusoires dites "sataniques". Zimmermann souligne un lien intéressant mais ténu entre le "festin où s'ouvraient tous les coeurs" et le pélican de la "Nuit de mai" qui s'offre en festin à ses petits en s'ouvrant le coeur, ce qui est une illustration martyrique d'une morale littéraire des coeurs sensibles.
Sur le "poison", Zimmermann n'a pas du tout une approche méthodique qui fait parler entre eux des passages d'Une saison en enfer comme je l'ai fait récemment. Donc non seulement il ne tranche pas, mais je me mets en-dehors de l'alternative qu'il nous soumet, puisque pour moi le poison n'est pas la drogue comme expérience mondaine rebelle du haschich et de l'opium. Non, le poison est lié aux pavots de Satan dont le poète dit avoir trop pris, et je vois donc oui une absorption d'un poison en tant que tel avec un effet foudroyant proche de la mort, donc un poison en tant que tel, pas une drogue, ni un poison mental insidieux, un poison ! Tout simplement ! Mais en lien avec les pavots je vois aussi le prolongement mental satanique où le poison n'est que la pointe extrême de la révolte contre la justice et la beauté, et je me dis que si la lecture littérale permet d'identifier l'absorption d'un poison pour se suicide, ce qui heureusement n'aboutira pas, mais justifie l'idée d'être "Sur un lit d'hôpital" dans "L'Eclair" loin donc de la prétendue allusion biographique consacrée comme évidente par certains, il y a l'idée que le poison c'est cette dynamique satanique de révolte qui ne mène qu'à un décès un poète qui espérait faire bien autre chose de sa vie que de simplement mourir par une décharge sauvage de son comportement.
Voilà, j'espère que ça vous a intéressé. Je sais que j'ai des lecteurs réguliers, en-dehors même d'une connaissance personnelle. Mon site est un petit peu consulté. Très peu, bien sûr, plus comme avant ! Mais, bon, dois-je me faire l'ami de ceux qui me détestent et vivre pour écrire des articles dont ils jouissent sans me proposer de retour d'ascenseur ? Non !
Il faudrait que je trouve une solution pour toucher un large public. Je suppose que mes idées ne seront pas perdues et qu'il faudra que j'accepte que les rimbaldiens désossent ce blog et se partagent les idées qui y sont formulés, se partagent les pistes de recherche, les effets des avertissements que j'y expose, s'approprient les conseils de méthode, pour qu'un jour tout ce que je dis fasse son plus grand profit aux lecteurs de Rimbaud du vingt-deuxième siècle ou de la décennie 2060. 
J'ai bon espoir que le basculement s'effectue plus vite entre 2030 et 2040. J'ai déjà des effets évidents sur la réorientation des lectures de Rimbaud, ça va aller. Moi, mon profit personnel, il est nul et le soutien je le remarque pas. Je pense que derrière vos écrans vous me méprisez. Ben, tant pis, pour votre passion rimbaldienne. Il est assez évident qu'après l'Album zutique je suis le spécialiste incontestable d'Une saison en enfer. Débrouillez-vous pour le cacher, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ?

Post scriptum :

Je rouvre dix minutes après mon article, il sera refermé définitivement ensuite.
Sur le fait de faire l'impasse sur ce blog, on soutiendra que c'est moi qui me suis mis tout seul en-dehors de la communauté rimbaldienne, c'est moi le fautif qui les ai froissés.
Non, mille fois non !
De 2000 à 2010, je pouvais publier et participer à pas mal de conférences, je pourrais être reconnaissant à Steve Murphy, Bruno Claisse, Benoît de Cornulier pour leurs échanges et les invitations à publier. Yves Reboul m'a inclus dans un volume collectif de la revue Littératures en 2006. Mais, fondamentalement, on ne me citait pas volontiers, il n'y a aucune mise en avant de mes lectures de "Voyelles" et du "Bateau ivre". Je n'ai été cité à partir de 2009 que pour quelques découvertes concrètes indéniables, et encore on prétend encore en 2023 débattre du déchiffrement du manuscrit de "L'Homme juste". On a préparé dans mon dos un livre sur l'Album zutique dont l'auteur est Bernard Teyssèdre, on y retrouvait des idées qu'heureusement j'avais formulées dans des articles publiés de justesse et que Teyssèdre citait en bibliographie, mais en s'attribuant certaines idées pourtant dans le corps du texte.
Il y a eu un combat dantesque autour de la photographie du "Coin de table à Aden". Aucun rimbaldien n'intervenait. Il y a uniquement eu un courriel de Philippe Rocher envoyé à plusieurs rimbaldiens avec le lien d'un article qui contestait l'identification à Rimbaud. Sur la place publique, on laissait le discours se faire, on n'intervenait pas.
Sur la "charité" vertu théologale et sur la lecture de la prose liminaire, j'ai eu une influence décisive pour arrêter avec la thèse de Molino sur la charité personnelle recherchée par Rimbaud. C'est grâce à moi qu'on parle autant de la prose liminaire, sauf que de manière invraisemblable même en 2023 il faut que je continue de combattre des nuances de contresens.
On est en 2023, les seules choses que vous daignez m'attribuer, vous me les contestez encore : "autels" et "ou daines" par exemple.
Ce n'est pas difficile de voir que mes colères elles sont justifiées, de 2000 à 2023 ça se voit que soit on évite de parler, fût-ce pour me traiter avec égalité dans un débat de plusieurs rimbaldiens dont certains obscurs, soit on conteste ma lecture pied à pied avec jusqu'auboutisme sauf que quand on craque on ne m'attribue pas d'avoir influé en quoi que ce soit.
Vos théories ne tiennent pas la route face à l'avenir des rimbaldiens. On voit bien qu'on m'a agacé volontairement et que j'ai réagi parce que dès le départ il y a eu un comportement intentionnel qui consistait à me faire tenir à ma place de quidam. Et si c'est de bonne foi que vous n'avez pas voulu me donner raison, et si c'est de bonne foi que vous n'aimez pas les disputes, vous voyez bien en 2023 que le problème il n'est pas venu de moi... Je confirme que j'ai raison, je reprends les argumentations qui chez vous sont en plan, je maintiens le cap, je montre qu'effectivement je trouve des choses et je vais plus loin que vous. J'aurais publié sur "L'Eclair", "Matin", "Vierge folle", "Adieu" et "Nuit de l'enfer", vous vous seriez empressés de soutenir que tout cela vous le disiez déjà. Là, je vous ai laissé publier, j'arrive après, je montre que réellement j'avais une ligne de lecture qui n'était pas si banale que ça, si consensuelle que ça, puisque je montre précisément l'écart entre nos approches.
Et pourtant, vous avez infléchi votre discours en tenant compte de ce que j'avais publié en 2009 et 2010. Comment expliquez-vous qu'après vos publications je précise des tas d'idées qui "sont déjà celles des rimbaldiens", d'après la petite musique, mais dont vous n'avez rien fait dans vos publications ?

mercredi 27 décembre 2023

Les difficultés de lecture que se créent les rimbaldiens et mes lectures de "Nuit de l'enfer", "L'Eclair" et "Adieu"

Si pour partie la lecture d'Une saison en enfer est difficile à opérer à cause de la nature elliptique et allusive du texte lui-même, et par le fait que Rimbaud a toujours été peu évident à comprendre sans digestion analytique, une part pourtant significative des atermoiements de la critique rimbaldienne vient de son propre mode d'approche du texte. La critique rimbaldienne s'est inventée quelques difficultés qu'elle a entretenues et elle a créé une chaîne solidaire où les critiques se répondent entre eux par-delà le texte de Rimbaud.  Et il faut ajouter à cela l'influence d'un discours universitaire ou "expert", pas synthétisé, mais dont les hypothèses et convictions sont diffusées par bribes dans les notes, notices et introductions des éditions courantes des œuvres de Rimbaud, ainsi que dans toute une littérature de commentaires de Rimbaud à l'adresse du tout public. Le critique rimbaldien quand il s'exprime ne porte pas l'état d'un débat d'experts tout à fait  et résolument distinct de celui du grand public. Oui, il porte pour partie les fruits d'un débat distinct, mais il véhicule naturellement les fruits de l'influence première des annotations courantes  fournies à tous. Tous nous subissons ces lectures d'un Rimbaud hermétique prédigéré, sauf que ce qui a été prédigéré a pu être contaminé par des idées inappropriées. Ce n'est pas que du Rimbaud qui a été  prédigéré, et ce prédigéré doit être remis en cause. C'est pour cela que, pour un universitaire, il n'est pas pertinent de croire fournir une lecture de Rimbaud, isolée de l'influence  des pairs prédécesseurs qu'on n'aura pas lu ou relu, puisque, subrepticement, les idées des prédécesseurs ont fait leur lit dans nos raisonnements spontanés sur le sens des écrits de Rimbaud. Je peux parler en mon nom. L'idée que le "poison" de "Nuit de l'enfer" était la conversion chrétienne, je trouvais ça subtil, j'appliquais cela à ma lecture d'ensemble de la Saison. Je savais que cette idée je n'étais pas le  premier à  l'avoir, ni Bruno Claisse, mais je ne l'avais pas étudiée de près, je n'avais pas fait une étude de la genèse de cette thèse de lecture, et j'allais simplement à la rencontre dans le texte d 'Une saison en enfer des  éléments qui donnaient de la force, qui la rendaient crédible. Cette idée était en   réalité  présentée avec force par de n ombreux rimbaldiens depuis au moins la fin des années  80.
On peut se flatter que cette lecture est la bonne en considérant divers éléments : le titre "Fausse conversion" du brouillon conservé par Verlaine qui  correspond  au  texte final "Nuit de l'enfer" est  un élément fort en ce sens, puis il y a le reproche fait aux parents de l 'avoir baptisé  dans la mesure où l'enfer ne menace pas ainsi les païens (pensée  inexacte au plan théologique, mais qui suppose que Rimbaud parle plutôt d'aliénation par l 'éducation) et puis il y a l'en c haîn ement de "Mauvais  sang" à "Nuit de l'enfer", on passe d'un enrégimentement de force  à  la vie française, sentier de l'honneur,  au fait de prendre un poison avec une ligne qui semble continue des souffrances et même tortures physiques de la section finale de "Mauvais sang" aux tourments infernaux de "Nuit de l'enfer". Le "baiser",  métaphore pour le poison, devient une  référence au  "baiser" de Jésus des "Premières communions", une métaphore de la conversion : embrasser la religion.
Vu l'aspect très proche du texte définitif des brouillons, pas question de minimiser le titre "Fausse conversion"  en considérant que le texte a  été profondément remanié.
Pour moi, la véritable "fausse conversion", c'est plutôt celle forcée des sections 6 et 7 qui  tourne court. "Nuit de l'enfer" serait une deuxième fausse conversion. Mais c'est une première difficulté qui me vient  et qui me fait  douter  que le poison soit le baptême. La leçon du titre "Fausse conversion" ne me paraît plus si évidente et est contrebalancée par la portée du nouveau titre, celui qui fut finalement adopté : "Nuit  de l'enfer", il est la réécriture en "nuit" du titre du livre "Une saison en enfer". En réalité, le poète  se félicite d'avoir bu du poison pour échapper à la "vie française" précisément. Et si le poète dit : "Trois fois béni  soit le conseil qui m'est arrivé ! " on voit qu'il a accueilli ce conseil, ce qui ne coïncide pas avec le  refus immédiat de l 'inspiration de la charité comme clef dans la prose liminaire. Il s'agit plutôt d'un faux conseil satanique qui conduit le poète en enfer, et on comprend que les douleurs de "Nuit de l'enfer" sont des menaces de mort dans un "dernier couac !" Le poison correspond à une tentative de suicide, au fait de vouloir "gagner la mort". Et on pense au "j'en ai  trop pris" de la prose liminaire. Tout se tient désormais. Mais pourquoi Rimbaud sur le brouillon a-t-il choisi un titre aussi trompeur que "Fausse conversion" ? Car nous n e sommes p as seulement en train de surmonter la lecture critique subtile qui avait suivi son cours en s'amplifiant, nous nous dressons contre l'évidence première  d'un  titre fourni  par Rimbaud lui-même.
Le texte "Nuit de l'enfer" est tout aussi explicite. Le premier alinéa fixe clairement l'interprétation d'une volonté de se suicider : le poison est un "venin" et ses effets sont assimilés à "l'enfer, l'éternelle peine". Le conseil est béni, mais  identifié au mal : "Va, démon !" Puis, le poète dit : "J'avais entrevu la conversion au bien et au bonheur, l'air de l'enfer ne  souffre pas les hymnes !" Donc il y a bien une distinction opérée entre le basculement infernal du poison et une  étape  antérieure de tentative de conversion, qui dans le récit correspondrait aux sections 6 et 7 de "Mauvais sang",  avec des amorces rappelons-le au moins dans la section  4. Et ici, nous apprenons que le poète a été baptisé, ce que donc il dissimulait quand il disait qu'il n'avait jamais été chrétien dans "Mauvais sang". L'épreuve de l'enfer amène le poète à se retourner d u côté de la tranquillité de vie de la conversion, et on retrouve l'idée du  prologue : "j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien où je reprendrais peut-être appétit."
Il est très clair que "Nuit d e l'enfer" dont le titre final fait écho au titre entier de l'oeuvre correspond à l'alinéa suivant de la prose liminaire :

   Or, tout dernièrement, m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac !  j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien où je reprendrais peut-être appétit.

Et les pavots sont bien le conseil de gagner la mort en prenant du poison et en s'adonnant à l'égoïsme et aux péchés capitaux.
Cela n'empêche pas le récit d'être sur un autre plan une réflexion sur une fausse conversion. Le poète fait une espèce de constat sur un moule cartésien : "Je me crois en enfer, donc j'y suis."
Profitons-en pour rappeler qu'au dix-neuvième siècle les français n'ont déjà qu'une connaissance partielle des textes des philosophes allemands, c'est une masse considérable à traduire et à éditer, mais il existe une idée vaguement diffusée dans le public d'un haut niveau de la philosophie allemande. On  pourrait dire que Kant est connu et ne l'est pas non plus pour parodier Rimbaud. Un penseur allemand qui pour nous n'est pas le plus connu, c'est Herder qui a fasciné Edgar Quinet au point que celui-ci l'a traduit précocement. Mais ce qu'il faut comprendre d'important pour lire Rimbaud, c'est que la philosophie française au dix-neuvième  siècle va réagir avec à la fois ses propres spécificités et ses formes de préservation fières. Une spécificité méritoire de la philosophie française face à la philosophie al lemande, c'est bien sûr d'échapper à la pensée de système. Il y aussi une grande tradition de réflexion  politique pragmatique qui se poursuit. Personne n'étudie sérieusement la philosophie politique de nos jours à partir des écrits de Kant, Hegel et compagnie, du moins ce sont des études très rapidement mises à la marge. Mais, face à une philosophie allemande  qui  était  perçue  dès l'époque comme de haute volée, il y a eu aussi un  resserrement de l'intérêt pour les philosophes grecs, et en  tout cas Aristote, et bien sûr pour le cogito cartésien, à tel point que, malgré ses insuffisances, la philosophie française du dix-neuvième a de quoi faire penser à la phénoménologie de Husserl. Aristote a été discrédité au XVIIIe à cause de son annexion par les discours scholastiques, mais Aristote reste le fondateur de la logique. Il existe chez les vulgarisateurs un réflexe qui consiste à se moquer d'Aristote, souvent sur la base d'idées erronées qu'on lui attribue, alors que c'est d'évidence un des grands génies intellectuels et scientifiques de l'histoire de l'humanité. Pour Rimbaud, les références philosophiques, il y a les grecs, essentiellement Platon et Aristote, il y a une somme en latin avec le De Natura rerum de Lucrèce, il y a bien sûr la scholastique, et puis il y a Descartes, Montaigne, Pascal, les Lumières. Les allemands comme Kant lui sont connus de nom, mais ça reste des domaines inexplorés en tant que tels. Et au dix-neuvième siècle, la philosophie, Rimbaud la trouve essentiellement dans les écrits politiques avec Quinet, Proudhon, Renan, etc. Quinet est plutôt un historien et sa  pensée est nimbée d'un mysticisme qui fait sourire Rimbaud comme on le voit  dans la lettre à Andrieu de juin 1874. Proudhon n'est pas le seul à fournir des écrits politiques,  mais il a son importance particulière. Et puis il y a le courant de l'éclectisme dont la pièce maîtresse est la thèse très courte de Ravaisson sur l'habitude, mais dont le maître est Victor Cousin, celui qui donnait  déjà son nom à une rue où Rimbaud trouva un hôtel pour se loger en mai 1872. Vis-à-vis de  Rimbaud, le problème de l'éclectisme, c'est que c'est un courant philosophique plutôt  réactionnaire qui a eu partie lié avec la Restauration et avec un certain respect de la tradition de l'église et de la religion, mais c'était un courant philosophique fort au dix-neuvième qui imprégnait la société. C'est pour cela que je ne saurais trop vous conseiller de lire le livre de Quinet Le christianisme et la Révolution, parce que Quinet va critiquer l'éclectisme comme philosophie de la capitulation propre à l'esprit de la Restauration,  alors même que quand on lit les développements de Quinet on serait tenté de se dire qu'il est lui-même un éclectique... Il faut vous rendre compte que  Rimbaud est de son époque, et de son époque française, quand il revient ainsi sur Descartes : "définitions fausses du moi" ou parodie du cogito : "Je me crois en enfer, donc j'y suis !" Il est de son époque quand sa pensée se déploie en prenant en considérant toute l'histoire humaine pour en dégager un sens quelque peu spirituel. Et Quinet est intéressant parce que son idée clef c'est que l'histoire de la spiritualité consiste en un passage de l'idée d'un Dieu aidant à corriger le monde à une révélation du divin au coeur de l'individu humain lui-même, d'où le caractère caduque et réactionnaire des gens d'Eglise en opposition aux temps méritoires de la primitive Eglise.
Si vous lisez Kant, Hegel, Schopenhauer, Fichte, Schelling, Heidegger, Sartre, Merleau-Ponty, etc., voire Foucault et compagnie,  puis que vous vous croyez armés pour lire la pensée de Rimbaud, vous vous trompez. Ce n'est pas comme ça que ça marche, il vous manquera le contexte qui permet de comprendre Rimbaud. Il vous manquera même une certaine idée ancienne de ce qu'était le raisonnement philosophique à l'époque de Rimbaud.
J'en reviens à "Nuit de l'enfer". Le poète n'a pas pris du poison baptême et découvert que cela le précipitait en enfer parce que de base il avait un mauvais sang qui n'en ferait jamais un élu. Il a pris un poison pour échapper  à la vie française, et a donc bien choisi l'enfer, mais ce faisant  il a constaté la fausseté de sa conversion initiale. Et, après le poison,  il est question de commettre un "crime" pour tomber au néant, comme si le crime mettrait un terme à la conversion, puisque le poison mène à l 'enfer,  mais dans l'idée ici du poète le crime mène au néant puisqu'on ne croit pas au baptême.
Satan réagit et nous retrouvons un équivalent de sa réaction dans la prose liminaire, mais le propos n'est pas exactement le même.  Dans la prose liminaire, le poète n'a qu'avoué avoir voulu éviter la mort. La tentation de la  conversion a été immédiatement rejeté bien qu'il y ait songé, et c'est bien ce qui est mis en scène et développé dans "Nuit de l'enfer" :  " J'avais entre vu la conversion au bien et au bonheur", ce qui prouve que le festin et la beauté sont des "nobles ambitions". Et tout au long de "Nuit de l'enfer", le poète essaie de s'imaginer prêt pour le festin : "je vois la justice", sollicitation "venez" adressée aux "âmes honnêtes", "la foi soulage, guide, guérit", etc. Mais, à chaque fois, le poète réalise que le festin ancien n'existe pas en tant que tel, les nobles ambitions, c'est en c ore  la vie. Le masque des âmes honnêtes tombe et ainsi de suite. Pour ces développements, on comprend mieux le titre  envisagé sur le brouillon de "Fausse conversion". La damnation par le poison sert de révélateur sur la n on authenticité de  la conversion entrevue. Rimbaud a renoncé à un titre trompeur vu la construction complexe du récit. En gros, le  titre "Nuit de l'enfer" désigne mieux l'enveloppe du texte, tandis que "Fausse conversion" est l'envers qu'on trouve dans le creux du texte, dans le lit du texte si vous préférez.
A cette aune, on peut minimiser l e  sentiment de propos contradictoire des derniers alinéas où  le poète s'adresse à Dieu et parle en même  temps du feu infernal qui se relève.
Le poète a pris le poison pour fuir la conversion. Ayant médité la  ruine qui en découle, il veut malgré tout et désormais remonter à  la vie et donc cette fois fuir l'enfer. La conversion au festin n 'est pas acceptée,  parce que  c 'es t  à l a v ie  q ue  l e poète  v eut se confronter. Donc si on veut qu'il y ait un festin, il faudra "jeter les yeux sur nos difformités", et non pas se les cacher. Il y a donc un refus d'une "fausse conversion", mais d'une fausse conversion qui vaut pour tout le monde, et on entend les échos avec les passages sur les faux nègres et l es f aux  élus. Le poète se maintiendra jusqu'au bout dans cette idée que la  conversion est impossible, le poète ne peut que rire des "couples menteurs", un des mots de la fin. En revanche, le poète ne s'attaque pas à Dieu, ici il le supplie et il finira par dire que "La justice est le plaisir de Dieu seul." Rimbaud décide de ne pas s'affronter avec colère à l'au-delà métaphysique, c'est ainsi qu'il faut le comprendre, mais cette tolérance peut être insupportable à des lecteurs anticléricaux et athées habitués à apprécier les provocations de Rimbaud. C'est pour ça qu'il ne faut pas perdre de vue qu'on a  affaire à un texte de penseur, pas à un texte où Rimbaud exprimerait son ardeur d'athée.
Si Rimbaud disait d'emblée q ue croire en Dieu, ça ne sert à rien, il n'écrirait pas un tel livre. Sans doute qu'il ne croit pas en Dieu, mais ici il pense à ce qu'il est possible ou non de faire à un humain en terme de méditation métaphysique autour d'une éducation religieuse, c'est différent.
Lors de cette lecture de "Nuit de l'enfer" nous avons parlé du sens métaphorique des "pavots". En général, les critiques vont identifier ce sens métaphorique de la même façon que nous en allant chercher une signification ailleurs dans les pages du livre Une saison en enfer, parfois certains se trompent, parfois d'autres visent juste et visent un propos similaire au nôtre en citant pourtant un tout autre extrait.
Mais j'en viens à un autre problème de la critique rimbaldienne.
On sait aujourd'hui avec les tests psychologiques qu'une personne, conditionnée à croire qu'elle va échouer, va plus probablement échouer là où une solution s'offre à elle, alors que statistiquement les personnes conditionnées à croire en la solution vont plus souvent résoudre  le problème. Finalement, les lecteurs de Rimbaud subissent cet aléa. Ils pensent que le  texte est difficile à lire, et que les conclusions présentées vont toujours être discutées comme incertaines. Il y a une sorte de prophétie autoréalisatrice qui confine à l'échec des études rimbaldiennes. Et cela devient plus sensible  encore quand une difficulté est affirmé à propos d'un texte. Le pronom "en" de la phrase : "J'en ai  trop pris" de la p rose liminaire illustre ce point. Personne ne lit "J'en ai trop pris" comme une difficulté textuelle, mais dès qu'il s'agit de rédiger un commentaire sur ce passage les rimbaldiens  n 'ont de cesse d'y voir un prob lème, puisque les prédécesseurs conditionnent ainsi cette approche et ils entretiennent cet  automatisme en répétant tous les uns après les autres qu'il y a une difficulté. Non, le "en" renvoie au mot "pavots" dont o n comprend que sur la tête du poète ils ont diff usé un lourd parfum endormeur et empoisonneur. Les pavots sont ceux de Satan,  e t partant de là le décryptage métaphorique n'a rien de sorcier si je puis dire. Satan dit  a u poète de "gagne[r] la mort", ce qui est bien une illusion trompeuse du pavot.
Les rimbaldiens se posent d 'autres difficultés du même ordre. Nous avons montré que nous-même avons suivi une piste rimbaldienne  consensuelle sur plusieurs décennies selon laquelle le poison n'était pas du poison, mais une métaphore sarcastique pour désigner le baptême.
Le terme "vice" est employé par Rimbaud pour désigner les sept péchés capitaux et des tares telles que le mensonge,  etc. Et, puis, dans la quatrième section, il est question d'un "vice" en particulier. Les  rimbaldiens cherchent à mettre un nom sur ce vice, mais un nom qui soit une  idée très préc ise à tel point  que des définitions résolument étrangères au texte d e l a  Saison sont proposées, comme l'homosexualité et la masturbation. Certaines hypothèses tiennent un peu plus compte de ce qui est dit dans le texte, le vice serait d'être un prolétaire, autrement dit une personne d u peuple, de la "race inférieure", puisque Rimbaud est plus dans le discours ancien où prolétaire désigne le peuple et non l'ouvrier. En réalité, le "vice" renvoie tout simplement au titre "Mauvais sang". Rimbaud énumère des vices, mais quand il parle d'un vice particulier qui lui fait sa vie, il est assez évident que cela renvoie au titre "Mauvais sang". Pourquoi ne pas relier le "vice" au titre "Mauvais sang" ? C'est un principe de b ase à la lecture, mais comme Rimbaud est compliqué à lire on oublie de le pratiquer, on n'est même pas sûr de  pouvoir s'y remettre en toute quiétude. Ce n'est pas normal, il faut retrouver u ne sérénité de lecteur.
Et derrière cela, on retrouve ce grand problème qui consiste à lire le texte en le déchiffrant à l'aide d'hypothèses biographiques pourtant non assumées par le texte. Pour "Vierge folle", il serait question de régler son compte à Verlaine pour Rimbaud et e n   même temps il s'agira d'un grand texte explicite sur l'homosexualité. Non ! Il n'y a aucun développement sur l'homosexualité dans "Vierge folle", strictement aucun. Certes, la "pénétrante caresse", quand on sait que Verlaine a dû servir de modèle à la "Vierge folle", on a une lecture homosexuelle qui s'impose à un second degré de lecture. Mais "Vierge folle", c'est une prostituée compagne du poète dans le régime du récit de fiction. Et alors qu'on prétend identifier le langage de Verlaine dans son discours, nous avons montré dans un article précédent sur ce blog que la Vierge folle parle exactement comme le poète de "Mauvais sang", "Nuit de l'enfer". Nous avons même montré que Rimbaud rendait hommage à Verlaine en s'inspirant d es poèmes "Amoureuse du diable" et "La grâce". Cela change tout à l'interprétation de "Vierge folle". Certes, Verlaine sert partiellement de modèle, m ais l e p ro pos de Rimbaud c'est de montrer un couple de parias, de montrer un mensonge du couple  d an s  son   en vers infernal  qui rejoint  la fausseté  des couples admis,  comme on l e voit dans "L'Impossible"  et comme en  parle l'Epoux infernal dans l es propos que l ui attribue la Vierge folle. Le texte met en scène une repentance de  Vierge folle damnée qui est symétrique des tentatives de  remonter  à l a  vie du poète de "Mauvais sang". Nous av ons un couple infernal qui n'arrive pas à l'amitié, parce que tous deux de l eur côté sont tiraillés par l 'envie  d'échapper à  cet enfer, parce que tous deux n 'acceptent pas finalement leur choix, ce qui e st plus net  pour l 'Epoux infernal, et  c'est en tant que personnage infernal que la  Vierge folle fait aussi   une critique efficace des mensonges et illusions de l'Epoux infernal. Il y a une différence entre les deux personnages, comme une différence entre pôle masculin et pôle féminin, il y a plus de  sentiment de soumission chez la Vierge folle, mais à la  fin  des fins on voit bien qu'il n'est pas du tout question d'homosexualité dans un couple. Le propos n'est pas là. Rimbaud,  il parle  de l  'incompatibilité au sein du  c ouple. Et c'est un propos général applicable à  toute la société. S'il était question de traiter seulement de Verlaine, déjà il   y   aurait d'autres thèmes qui seraient   abordés. S'il était question de Verlaine en tant  qu'individu, mais il aurait été question d'un triangle amoureux avec un personnage qui aurait figuré Mathilde, par exemple. Verlaine écrivait des récits diaboliques quand il était avec Rimbaud, et il blasphémait depuis les Poèmes saturniens. Il faudrait déjà déterminer quand il a pu commencer à se tourner vers la religion. Certes, il a sans doute dû manifester de la repentance, surtout quand il avait la pulsion de reformer son couple avec Mathilde. Mais Verlaine se plaint d'être injustement identifié à un "satanique docteur" dans "Vagabonds", accusation pourtant qui a quelque chose d'ironique dans le poème en prose, et les récits "La Grâce" et "Amoureuse du diable" illustrent de fait le versant un peu complaisamment fantasmé d'un Verlaine satanique docteur. Pourquoi ce plan-là n'est-il pas développé dans "Vierge folle" si le but de ce récit est comme on le soutient de faire un bilan d'une expérience décevante de la relation de Rimbaud avec Verlaine ? On voit bien qu'il y a une lecture forcée qui est en train de faire consensus chez les rimbaldiens.
Je voulais proposer une lecture de "L'Eclair", mais l'article devient long. Je vais me contenter de quelques remarques.
La mention "L'Eclair" a un arrière-plan biblique, cette métaphore obligée est appelée  par le dispositif qui métaphorise à  plus d'un égard la "Saison en enfer", et en même temps il y a une symbolique de lumière que justifie l 'enchaînement des titres "L'Eclair" et "Matin", et songeons que le rapport à la lumière est paradoxale dans "Adieu", récit qui annonce l'automne et, avec ironie, la recherche d'un éternel soleil.
Les critiques rimbaldiens peuvent souligner une apparente contradiction. Le  poète dit  que le travail est important  pour jeter une lumière d'espoir dans son abîme, alors que tout  au long du récit le poète s'est défini comme un paresseux,  un  oisif.
En  réalité, dans ses lectures, le poète apprécie les réflexions sur le travail comme espoir pour l'humanité. Brunel dans son édition critique  cite  de  nombreux extraits de l'un  des ouvrages les plus célèbres  de Proudhon. Proudhon est connu pour sa phrase : "La propriété,  c'est le vol", phrase évoquée par  Rimbaud au début de "Chant de  guerre Parisien" avec mention de Thiers, en sachant que Proudhon s'est précisément affronté à Thiers dans la décennie 1840 et au moment des émois autour de l a  formule "La propriété, c'est le vol." Thiers  n'était pas un nouveau venu en politique en 1871, et il avait eu des confrontations intellectuelles immédiates avec Proudhon. Il me semble... Verlaine a parodié l a formule de Proudhon dans l 'Album zutique dans une réponse au sonnet "Jeune goinfre" de Rimbaud : "La propreté, c'est le viol[,]" sachant qu'on songe à la saleté de  Rimbaud  à  cette époque  selon les témoignes de Mathilde, etc.
 Or,  la phrase vient du livre célèbre Qu'est-ce que  la propriété ? Mais il  y a  eu d'autres livres i mportants de Proudhon. Mais ça c'est ce à quoi nous le résumons à notre époque. A celle  d e   Rimbaud, il a  une  diffusion plus large. Il est connu pour le livre Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère, dont  n ous  n e nous rappelons l'existence que pour  rapporter la réplique de Marx "Misère  de la philosophie" qui nous dispenserait de le lire. Et puis, parmi beaucoup d'autres publications, il y a le livre de 1858 De la justice dans la Révolution et dans l'Eglise. Cet ouvrage est cité plusieurs fois pour commenter des passages d'Une saison en enfer par Pierre Brunel en 1987.
Son titre est déjà intéressant, il parle de la justice au plan de la religion et on se rappelle la formule dans "Adieu" :  "La justice est le  plaisir de Dieu seul." Je prétends que Rimbaud a lu certains ouvrages de Quinet  dont Le Christianisme et la Révolution, ouvrage antérieur à  celui que je viens de citer de Proudhon, et on retrouve  cette idée d'étudier l'idée de providence historique en  confrontant les deux modèles qui se la disputant, la révolution et l'église. Et dans les livres de Proudhon, il y a une énorme réflexion sur le travail et l'avenir qu'on peut espérer de ces changements sur le travail. Il va de soi que dans "L'Eclair" le "travail" va de pair avec un discours de tout le monde sur la foi dans le progrès scientifique, etc., et le mot "explosion" est sans doute une référence humoristique à l'en avant ferroviaire avec des accidents de train.
Dans "L'Eclair", Rimbaud dit : "ma vie est usée", ce qui renvoie clairement à un propos ruminé  dès longtemps, comme la charité soeur de la mort renvoie à un poème de juin 1871, ce que les rimbaldiens ne citent jamais quand ils commentent Une saison en enfer, l'expression "ma vie est usée" et l'expression "les gens qui meurent sur les saisons" doivent être reliées à  "Bannières de mai", poème d u printemps 1872. Mais dans son livre Le Christianisme et la Révolution Quinet dit que la ficelle de l'échafaud est usée, et puis "la mort est usée", ce qui n'exclut pas une superposition de références (le l ivre de Quinet et "Bannières de mai"). En tout cas, il va falloir lire ces livres d'historiens ou intellectuels partiellement philosophes avec un intérêt renouvelé si on veut bien comprendre de quoi nous parle Rimbaud. Même si on voudrait soutenir que Rimbaud n'a pas l u précisément ces ouvrages-là, il en restera de toute façon l'évidence d'un brassage culturel dont ces livres témoignent qui arrivent à  Rimbaud, et les implications pour l'élucidation du  sens  des  textes de Rimbaud restent automatiquement valables.
En tout cas,  la contradiction n'est  qu'apparente entre le Rimbaud qui songe au travail et le Rimbaud oisif, puisque l e texte "L'Eclair" orchestre  explicitement ce paradoxe. Oui, le poète songe au travail, mais quelques lignes plus loin il   e st question de le mettre de côté et de rester oisif.
Ce que  je voudrais souligner dans ce  texte dont le fil directeur est de considérer les difficultés que les lecteurs se créent eux -mêmes par  leur approche, c'est  que nous ne  sommes p as dans une configuration narrative où une idée chasse l'autre.  Je vois dans les commentaires que c'est la succession d'une idée et puis  de son inverse qui choque, selon le principe  que  le poète vient d'énoncer une idée, puis on constaterait  qu'il passe sans crier gare à l'inverse, et ces constats étendus à l'ensemble de l'ouvrage font croire à de multiples revirements.
En réalité, le poète dans "L'Eclair"  dit  qu'il  tient compte de l'idée du travail, mais que même  au plus f ort de cette attention il reste oisif parce qu'il ironise sur  le discours  d e   manière i mmédiate  e t  parce qu'il trouve que cela est bien lent. Les critiques se font un faux schéma d'étapes successives dans l'intérêt du poète, alors que non tout le paradoxe est immédiat : le poète s'intéresse au travail, mais dans le même temps il n'a pas la motivation pour passer à l'acte. Et, du coup, je ne ressens pas les contradictions dont les rimbaldiens font état.
Pour moi, "L'Eclair" est conçu comme un  miroir symétrique d'un état de pensée unique. Le début est la concession d'un intérêt pour le rôle  du travail à corriger le sort humain, la thèse, et la suite, c'est l'antithèse. Et puis, il y a une troisième partie  avec  la r évolte c ontre  l a m ort, sans que je n'ose clairement parler d'un plan dialectique, puisqu'on a une révolte contre les deux tableaux, une révolte contre  le  tableau  du  travail,  et une révolte contre une  acceptation par les rêves de l'usure de  l a  vie.
Il y a enfin une difficulté du texte. Nous avons tous été conditionnés à penser que "aller ses vingt  ans, si les autres vont vingt ans", cela veut dire atteindre les vingt ans, sauf que l'expression consacrée, c'est aller sur ses vingt ans".
D'un côté, l'idée des "vingt ans"  qui figure aussi dans le poème "Jeunesse" des Illuminations a de l'intérêt. Si le poète a pu vivre oisif sans travailler, c'est qu'il n'a pas encore vingt ans, mais d'un autre côté, le poète n'a jamais fixé son âge dans le récit de la Saison, et l'expression "aller vingt ans" n'existe pas à ma connaissance pour dire qu'on va atteindre les vingt ans. De plus, il n'y a pas de coquille, puisque la répétition montre que Rimbaud a bien écrit grammaticalement aller vingt ans : "aller s es  vingt ans, si les autres vont vingt ans".
Je trouve ça un peu bizarre. Spontanément, j'ai toujours eu une  lecture concurrente qui est que Rimbaud se dit "pourquoi faire vingt ans, si les autres font vingt ans". Pour moi, l'expression "aller vingt  ans" elle  est  la  réduction d'une phrase type du  genre  :  "Nous allons aller vingt ans en Espagne". "Il va aller vingt ans dans l'armée", etc. "Nous devons aller  vingt ans au charbon." Et dans ces exemples, où j'ai fait exprès de glisser l'enchaînement de deux verbes "aller", on peut remplacer "aller" par "faire" :  "Il va faire  vingt ans de travail." "Nous allons faire  vingt ans  en  Espagne",    etc.
Je vais arrêter là pour l'instant mon commentaire sur "L'Eclair".
Passons à   "Adieu".
Comme pour "L'Eclair", je ne fais pas une  lecture en supposant des revirements. Le poète quand il écrit "Quelquefois je vois au  ciel  [...]"  n'est pas pour moi, comme l'écrivent  de récents  essais ou d'autres plus anciens, un  revirement, un énième rebondissement.
Il s'agit plutôt d'une construction en miroir.
Le poète a refusé la mort et prétend par sa mise au point  mentale échapper  à l'enfer, et donc au jugement qui mène à l'enfer. Toutefois, dans la vie, il y a des cycles et  notamment des cycles saisonniers. Les climats d'Europe, pour citer "Mauvais sang" ou "L'Impossible", supposent un contraste du  printemps  et  de l 'été par r apport à l'automne et à l'hiver. Et Rimbaud dit échapper de l'enfer au moment même où le monde bascule dans des conditions de vie difficiles,  ça peut  être une métaphore  de nos temps actuels,  comme chez  Quinet, et comme dans "Génie" :  "C 'est cette époque-ci qui a sombré !"  Mais Rimbaud choisit la réalité matérielle, toute concrète, des saisons automne et hiver.
Le soleil est de toute façon éternel, on va le  regretter  parce  qu'il  fait moin s  c haud ,  mais  si  l'enjeu c'est la vie éternelle  il  est quelque peu secondaire et trivial de  s'inquiéter  de ce temps d'épreuve cyclique. Rappelons que dans "L'Eclair", le poète s'inquiète de l a perte de l'éternité, et il ne s'agit pas de prendre au premier degré pur  et simple sa quête d e  clarté  divine.
En tout  cas, ce qui est  important, c'est que l'expression "loin des gens qui meurent sur les saisons", c'est un rappel que le poète a failli mourir  en  une saison infernale et que si lui survit d'autres vont mourir.
Et on passe alors au deuxième alinéa de la première section de "Adieu" qui décrit ce moment de l'automne où la barque, sorte d'arche des vivants, se tourne vers le port de la misère, refuge,   mais lieu  d e   vie  infernale. Le poète  dit qu'il en a réchappé, qu'il a   vécu parmi ces gens et qu'il aurait pu y mourir  et il reste dans sa crainte de l'hiver, parce qu'à ce moment-là il vaut  mieux avoir son petit confort chez soi.
Or, le "pain tremplé de pluie" est un rappel en mode inversé du "festin" de la prose liminaire.
Rimbaud décrit les gueux exclus du festin.
Et eux seront jugés.
Alors, j'ai encore une grande recherche à faire sur les passages en italique d'Une saison en enfer et leurs liens avec des sources :  Quinet, Proudhon, etc. Tous les italiques n'ont pas la même signification, vous avez "une fois" dans "Matin", "changer la vie" dans "Vierge folle", mais "posséder la vie dans une âme et un corps" et "qui seront jugés" ou "avec son idée", il y a des sources à faire remonter. Pour l'instant, laissez-moi le temps de traiter tout ça. Je pense savoir où je vais.
Notez que le passage en italique "et qui seront jugés" est précédé par les mentions  "d'âmes et de corps morts", alors que en clausule "âme"  et  "corps" sont intégrés au passage en italique avec le mot clef "vér ité" : "posséder la vérité dans une âme et un corps." Et après une mise à l 'éc art de la n otion de justice sans révolte :  " La justice e st le p laisir de dieu seul." On comprend que le jugement  n'est  pas l e plaisir de Dieu seul dans les italiques de la première section, parce  q ue ces miséreux n'ont pas fait la mise au point du poète puisqu'ils ne s'évadent et puisque cela  les met en butte à une société mensongère qui prétend pratiquer l'amour e t l a  j ustice.
Donc, là, je dégage une symétrie entre  le début de "Adieu" et sa toute fin, entre l es deux sections.  Et j'ai montré le lien par contraste entre ce début de "Adieu" et  la prose l iminaire, et la notion de justice est dans la prose liminaire. Tout se  tient, le travail est indéniablement concerté de l a p art de cet oisif de Rimbaud.
Passons à l'image "- Quelquefois, je vois..."
Les rimbaldiens lisent cela comme un revirement  de pensée qui va  ensuite retomber, alors que  je considère plutôt l'ensemble de la première section comme un tableau. A cause du cycle des s aisons, la barque permet un regard un peu comparable au coup d'oeil sur le rétroviseur. Le poète se revoit là  où  il n'est plus, et en imagination il continue de se représenter cet idéal illusoire, d'ailleurs inspiré  par ses lectures. Et il  en  fait le procès. On n'est pas dans un alinéa qui chasse l'autre, Rimbaud  fait le bilan des deux plans. Et il est bien obligé de traiter une idée puis l'autre. Il ne peut pas tout mélanger. De plus, la symétrie réactive un passage sur la charité des sections 6  et   7 de "Mauvais sang" quand  le poète dit que s'il est choisi parmi les damnés  i l y en a d'autres. Dans "Adieu", le poète fait  un sort à  cette réaction. Il n'a pas les pouvoirs de changer le monde.
Je ne vais pas donner une lecture d'ensemble de la  deuxième section de "Adieu". Vous en comprenez déjà les grandes lignes, j'ai déjà donné récemment une lecture en ce sens en détaillant "l'enfer des femmes", et il me reste simplement à préciser ceci : "posséder la vérité dans une âme et un corps" ponctue un mouvement de parodie de l'attitude christique, ce n'est pas dépourvu de sarcasme. Je rappelle que le christianisme est la religion de l'amour, et  au  plan  universel qui plus est, et Rimbaud vient de dire qu'il allait pouvoir rire des "vieilles amours mensongères" et des "couples menteurs", et entendons de "vieilles énormités crevées" comme le christianisme. Rimbaud se rapproche alors d'une idée spiritualiste de Quinet qui est que l'avenir de l 'homme est de découvrir le Dieu en soi.
Dans Credo in unam, Rimbaud parlait déjà d'un individu homme devenant son propre roi, idée issue bien sûr de l'effet de la Révolution française, et l'idée que tout homme découvre le divin en lui est le versant spirituel de cette idée. Et Credo in unam montrait que Rimbaud pensait déjà la vérité de l'amour en ce monde.
Rimbaud parodie laïquement et subtilement le discours christique et c'est ce qui peut donner l'impression qu'il fait semblant de sortir de l'enfer, ou bien qu'il fait mine d'être  converti pour qu'on lui foute la paix, morale d'oeuvre bien mesquine,  alors  que la  subtilité est dans un décalage de conscience.
Voilà, ceux qui pourront penser que j'ai toujours surtout p arler  de  la p rose  liminaire et   de  "Mauvais s ang"  verront que j'ai une lecture assez poussée de toute la partie finale "L'Eclair", "Matin" même si je n'en ai pas parlé et "Adieu". J'ai aussi enfin pris mon parti  de mieux   ex pliquer mon revirement de 2009 à 2010  sur la section "Nuit de l 'enfer". J'ai aussi donné une  certaine idée de ma l ecture de "Vierge folle", ça commence à bien brasser large.
Il faudra que j e fasse une  réelle m ise au point  sur "L'Impossible" et bien sûr sur "Alchimie du verbe".
Après, vu qu'il était question des difficultés que se créent les lecteurs et vu qu'il est question de montrer que Rimbaud est à  lire comme un penseur qui a ruminé ses pensées, et non pas comme qui s'emporte avec ses passions pleines d'une conviction immédiate, je voulais revenir  sur une i dée que j'ai développée à propos de "Mauvais sang" e t qui s'applique aussi au "festin" au début de la prose liminaire.
Rimbaud a identifié que quand on nous éduque on fait passer l'histoire pour  nôtre, comme faisant partie de nous, alors qu'en réalité c'est un héritage qui certes nous façonne, mais au moment où on nous la transmet, c'est là qu'on nous façonne, et nous pouvons ne pas accepter d'être façonné, nous pouvons remettre en cause l'opération. Les rimbaldiens ne semblent pas comprendre  que le  "festin" est un faux souvenir parce qu'inculqué par une éducation pernicieuse. Et comme  dans  "Matin" il est  question d'une e nfance merveilleuse, les rimbaldiens vont croire légitime de considérer le festin comme une métaphore de l'enfance. Non, le festin vient de notre éducation, pas d'une enfance préservée. Et,  dans "Mauvais sang", j'estime que ce  rapport à  l'Histoire  comme faux souvenir de n otre vie élucide pleinement le charme humoristique de phrases telles que  celles-ci : "Je ne me souviens pas plus loin que  cette  terre-ci et le christianisme."
Je trouve assez étonnant que depuis la  Seconde Guerre Mondiale avec  tout  ce qui s'est mis en place en ce sens dans l es domaines des sciences humaines et sociales on ne se rende pas compte que  Rimbaud, dès 1873, avait identifié le p roblème de  confusion de l'Histoire avec une réalité ontologique personnelle. Rimbaud était en avance sur son époque, quand on compare avec les discours d'un Quinet, d'un Michelet, d'un Hugo  et d'autres.
Je n'arrive pas à comprendre le blocage des rimbaldiens à ce sujet, ils sont trop obnubilés par des  lectures biographiques  on dirait. Ce blocage est désespérément bizarre.