mardi 12 décembre 2023

L'enfer des femmes et la position assurée, du côté de Quinet

La fin de la section "Adieu" est assez étonnante. Celui qui tient le flambeau de la parole dans ce récit, au moment de conclure, prétend avoir "vu l'enfer des femmes là-bas", et comme il prétend lui-même en avoir terminé avec la relation  de son enfer qui donne son titre à l'ouvrage (Une saison en enfer) on se dit inévitablement que cette remarque est déconcertante puisque la plupart des sections, - ou si on veut stations, - du récit ne parlent pas spécifiquement d'un enfer féminin, à une exception  près, le témoignage délirant de la "Vierge folle" sur "l'Epoux infernal". Il va de soi tout de même que sans hésitation nous lions l'affirmation de fin de parcours "j'ai vu l'enfer des femmes là-bas" à la section "Délires I" sur la "Vierge folle" qui représente indéniablement un  pôle féminin de  la damnation.
L'expression : "l'enfer des femmes" n'est pas de Rimbaud. Il existe une expression assez connue de La Rochefoucauld : "l'enfer des femmes, c'est la vieillesse." Toutefois, Rimbaud ne semble pas le moins du monde y faire référence. Deux ouvrages publiés en 1861 et en 1863 portent ce titre. Il existe un essai paru en 1861 de Gabriel Pélin dont le titre est en réalité à rallonge et qui jouit actuellement d'une réédition à des fins de conservation patrimoniale : L'Enfer des femmes. Etudes réalistes sur les grandes dames, dames, bourgeoises, boutiquières, femmes d'employés, ouvrières, servantes, lorettes et femmes tolérées. Leur position et leurs misères dans la bonne ville de Paris. Je ne possède pas cet ouvrage et je ne l'ai encore jamais consulté, je me contente de le signaler à l'attention. Un second ouvrage paru deux ans plus tard, en 1863, porte également ce  titre et il peut être consulté sur le site internet Wikisource en mode numérique. Il s'agit cette fois d'un roman et le titre du roman, cette fois L'Enfer des femmes tout court, est reconduit en titre d'un des chapitres. Les auteurs en sont H. Laroche et G. Fould, l'éditeur n'est autre que Lacroix-Verboeckohven et Cie, éditeur lié également à la publication d'ouvrages de l'exilé Edgar Quinet. Je n'ai pas non plus pris la peine  de consulter cet ouvrage. En tout cas, je me pose la question d 'un  réemploi par Rimbaud d'une formule toute faite, mais peu courante, qu'il a lue quelque part. Il existe également un ouvrage médiéval au titre proche : L'enfer des mauvaises femmes, ouvrage en relation avec un titre symétrique  Le Purgatoire des mauvais maris. J'ignore si Rimbaud pouvait connaître ces écrits du  XVe siècle, que je découvre moi-même au hasard de mes recherches sur internet. Mais faut-il chercher du côté des femmes de mauvaise vie ? Le poète de la Saison semble bien parler des femmes en général et c'est ici qu'il faut envisager différemment la recherche d'indices à la relecture d'Une saison en enfer.
Dans la section "Mauvais sang", le poète explique que "l'orgie et la camaraderie des femmes [lui] étaient  interdites." Et cela est suivi d'une phrase nominale : "Pas même un compagnon." Or, la section "Adieu" est formée de deux sous-parties. Notre étude part d e considérations critiques sur la fin de la deuxième des sous-parties, mais la première se termine précisément par une phrase nominale quelque peu synonyme de celle que nous venons de citer : "Mais pas une main amie !" Remarquons que la rime interne qui réunit "orgie" et "camaraderie" entre en écho avec "main amie", mais aussi que dans "Mauvais sang" le poète avait fait un sort à l'organe humain de la préhension : "Je n'aurai jamais ma main". Et nous pouvons relier cela encore au rejet de la "Beauté" que le poète préfère fuir et injurier. Il faut observer un fait troublant à ce sujet. Dans la phrase : "l'orgie et la camaraderie des femmes m'étaient interdites", spontanément, nous songeons à une interdiction extérieure, par la foule, la société, etc., alors que la prose liminaire enregistre un refoulement qui vient de la volonté, ou du moins  de la personnalité même du poète. Le poète sait prendre sur lui pour  saluer la beauté comme il l'exprime à la fin de "Alchimie du verbe", mais le récit se referme sur la solitude du poète. La solution qui est esquissée consiste à nier l a nécessité de cette amitié : "Que parlais-je de main amie ! Un bel avantage, c'est que je puis rire des vieilles amours mensongères, et frapper de honte ces couples menteurs, - j'ai vu l'enfer des femmes là-bas ; - et il me sera loisible de posséder la vérité dans une âme et un corps." Le récit se finit sur une réfutation de l'union amoureuse parfaite et vraie pour affirmer la solitude de l'être au monde. A cette aune, on peut estimer que la spécification "enfer des femmes" ne vaut que parce qu'il est question de traiter de la figure idéalisée du mariage, comme consécration d'amour de la vie en couple.  Pourtant, d'autres passages vont nous inviter à ne pas nous contenter de cette solution,  pourtant quelque peu portée par le texte.
Toutefois, avant d'y venir, je souhaite m'accorder une digression sur un aspect prosodique déconcertant du récit d'Une saison en enfer. Le récit est inclassable parmi les genres littéraires connus, et on peut être tenté de lui refuser  l'appellation de poème, ou de recueil poétique. L'inclusion de poèmes en vers dans la prose de "Alchimie du verbe" est un argument en ce sens. Toutefois, il n'est pas si radical qu'on peut le penser et c'est clairement en tant que poète que Rimbaud ou en t out cas l'instance narrative s'adresse à nous. Je ne trouve donc pas absurde de parler d'Une saison en enfer comme d'un poème ou recueil poétique. Je suis même très favorable à ce positionnement critique. Et la prosodie du récit est soignée pour donner  cette impression poétique. L'un des passages les plus significatifs est dans  "L'Eclair" avec une symétrie prosodique qui souligne nettement une suite de deux heptasyllabes, procédé qui  appartient à la versification : "Que la lumière galope et que la prière gronde..." Nous avons une articulation qui équivaut au recours à l'anaphore : "Que... et que...", et un parallèle prosodique appuyé avec d'un côté la rime  interne entre  les  noms "prière" et  "lumière" et de l'autre côté la même consonne à l 'initiale pour les verbes "galope" et "gronde". Le chiasme (sujet-verbe, verbe-sujet) du premier alinéa est souvent cité en exemple du soin poétique apporté à la composition : "où s'ouvraient tous les coeurs, où tous les vins coulaient." Nous avons deux segments de six syllabes soulignés par  le  chiasme grammatical et l'anaphore en "où", suite de deux hexasyllabes qui peut se lire aussi comme un alexandrin blanc dans la prose, et fait d'autant plus étonnant qu'il ponctue la toute première phrase du livre. Mais, on peut aller plus loin, la sorte de magie évocatoire : "où s'ouvraient tous les coeurs, où tous les vins coulaient" de deux hexasyllabes consécutifs est contaminée par le suspens à peine antérieur d'un autre hexasyllabe : "si je me souviens bien". Puis, nous pouvons sortir de l'idée de mesure des nombres de syllabes pour apprécier le parallèle de rythme entre le premier et le deuxième alinéa : "Jadis" contre "Un soir", séquence : "si je me souviens, ma vie était un festin" contre séquence : "j'ai assis la Beauté sur mes genoux" et puis symétrie binaire appuyée par d es anaphores : "où s'ouvraient tous les coeurs, où tous les  vins coulaient", face à "Et je l'ai trouvée a mère. -  Et je l'ai injuriée." La performance est  consolidée par les  échos abondants de phonèmes vocaliques (d e voyelles si vous préférez), abondance graphique de digraphes "ou" et de sons aigus assimilable des graphies "é" / "ai"  : "souviens, où, s'ouvraient, tous, où, tous, coulaient" ; "j'ai, Beauté, Et, l'ai, trouvée, Et, l'ai, injuriée."
Ce que je viens de décrire a de l'intérêt  esthétique dans la mesure où Rimbaud a travaillé sur les quantités de syllabes, sur des parallèles rythmiques. Toutefois, les simples échos entre les voyelles ne seraient pas méritoires en soi si nous nous y limitions. Rimbaud joue sur l'écho banal du "é" ou il joue sur une identité de terminaison grammaticale : "trouvée", "injuriée", comme "s'ouvraient", "coulaient".
Dans la  phrase de "Mauvais sang" qui nous intéresse, les mots choisis n e sont pas banalement courants, ce qui fait que la rime se remarque sans paraître trop facile : "l'orgie et la  camaraderie". Mais ce couplage binaire est un moyen assez rudimentaire pour réintroduire le langage des vers dans la prose, et il est  frappant de voir que Rimbaud se complaît à un recours aussi simple à de nombreuses reprises dans son récit. J'en veux pour exemple significatif l'accord trop simple, trop facile des terminaisons adjectivales dans ce passage de "L'Impossible" : "Or il y a des gens hargneux et joyeux [...]" Je considère que si Rimbaud assume un procédé aussi rudimentaire, c'est qu'il en fait un argument esthétique identifiant des crispations d'humeur importantes à la compréhension poétique de l'ouvrage. Notons aussi que Rimbaud joue quelque peu avec des alliances de mots détonantes : "orgie" et "camaraderie", "hargneux" et "joyeux", et en prime il y a un contraste qui ressort du rapprochement de ces deux couples. Notons que le premier alinéa de "L'impossible" entre en écho avec le premier de la prose liminaire : reprise du mot "vie" et revendication de n'avoir aucune attache de coeur : "ma vie étaient un festin où s'ouvraient tous les coeurs" et "cette vie de mon enfance  [...] fier de n'avoir ni pays, ni amis [...]". Il va de soi que cette "enfance" est postérieur au prétendu souvenir du "festin"  et elle est à relier à la cinquième section de "Mauvais sang", quand "encore enfant" le poète admirait le passage du forçat, l'exclu de toute société.
Il va de soi que des rapprochements sont à effectuer avec  le poème "Vies" d es Illuminations où nous avons la mention " vies" au pluriel, mais  aussi l'idée de l a "camaraderie", etc. Mais les rapprochements sont déjà très intéressants avec les autres sections du livre Une saison en enfer. Si le premier alinéa dénonce comme "sottise" la fierté de voyager sans pays, ni amis, le deuxième alinéa de "L'impossible" introduit cette idée d'une relation compliquée aux femmes. C'est à rapprocher de notre section sur la camaraderie interdite des femmes, mais aussi de la fin de "Adieu" où la dérision pour l'amitié ("Que parlais-je de main amie !") se double de cette idée que le poète a vu "l'enfer des femmes" et qu'il l'associe à une perception mensongère des "couples".
Ce rapprochement permet déjà de préciser la nuance dans la pensée du poète. Il n'a pas à être fier de vivre "sans amis", mais cela ne signifie pas qu'il doive nécessairement s'en trouver. Et nous pouvons par ce rapprochement supposer que "l'enfer des femmes" est peut-être bien un "enfer de la caresse" par des hommes parasites. Le poète s'appliquait à lui-même l'idée d'un "enfer de la caresse" à la fin de la section "Nuit de l'enfer", cela dans une suite de références explicites aux péchés capitaux qui assure la correspondance de "caresse" à "luxure" : "Je devrais avoir mon enfer pour la colère, mon enfer pour l'orgueil,  -  et l'enfer de la caresse ; un concert d'enfers." Nous pouvons noter que le caractère plus exaltant du péché de luxure est pour la deuxième fois appuyée par ce signe de ponctuation déconcertant en français normé qu'est le tiret. Nous avons le tiret de mise en relief et suspens ici : "- et l'enfer de la caresse", quand au début de "Mauvais sang" où les péchés capitaux sont aussi égrenés en mentions nous  avions un tirets employé pour détacher une reprise insistante : "oh ! tous les vices,  colère, luxure, - magnifique, la luxure ; - surtout mensonge et paresse." Et nous retrouvons l'idée du "mensonge" de la fin du récit "Adieu".
Si nous nous contentons pour l'instant du rapprochement avec le deuxième alinéa de "L'Impossible", nous comprenons que "l'enfer de la caresse" est bien une damnation et non une jouissance : "- J'ai eu raison de mépriser ces bonshommes qui ne perdraient pas l'occasion d'une caresse, parasites de la propreté et de la santé de nos femmes, aujourd'hui qu'elles sont si peu d'accord avec nous."
Nous relevons un nouvel exemple de couplage rimique facile sur une terminaison lexicalement identique entre "propreté" et "santé", ce qui prouve bien qu'il y a une intention  d'effet de lecture que je dirai, faute de mieux, psychologisante derrière de tels recours.
Ce qui est intéressant, c'est que ce sont les "bonshommes" qui font de la vie des femmes ici-bas un enfer. Et finalement, nous avons un très beau rapprochement qui éclaire assez nettement l'idée d'une vision de "l'enfer des femmes" que le poète se targuerait de pouvoir rapporter. Et à cette aune, la vision de "l'enfer des femmes" n'est pas un propos misogyne, au contraire.
Cependant, il y a une contrepartie à cela avec la section "Vierge folle". Nous pouvons constater une autre forme de damnation de la femme qui se dit "veuve" et qui est "soumise" à "l'Epoux infernal". L'adjectif "infernal" signifie clairement que cette femme vit un enfer de femme, et nous avons un "Epoux infernal" qui est paradoxalement symétrique des "bonshommes", il n'y manque même pas la pratique de la caresse en un sens sexuel rendu évident par l'adjectif qualificatif employé : "après une pénétrante caresse", et cette luxure pose la question de l'amitié, mais une amitié vécue comme impression pour ne pas entrer en contradiction flagrante avec l'ensemble de l'ouvrage : "étreintes amies". La "Vierge folle" a échoué à comprendre et véritablement convaincre de son amour l'Epoux infernal. Cet Epoux infernal est clairement une projection du poète de "Mauvais sang" et de "L'Impossible" avec ses revendications d'une origine barbare, gauloise ou viking, avec son désir d'évasion, etc. La "Vierge folle" est bien présentée comme un "compagnon d'enfer", ce qui est en principe contradictoire avec "Mauvais sang", "L'Impossible" et "Adieu". La clausule "Drôle de ménage" permet de conclure qu'il ne s'agissait que d'une parodie dérisoire de relation entre deux amis, amours ou compagnons.
Mais, au début de la confession, la "Vierge folle" attribue des propos sur les "femmes" à l'Epoux infernal qui cette fois ont une résonance misogyne. J'essaie de rester nuancé, je parle d'une résonance misogyne. Je fais une distinction entre le recours à un propos misogyne et un discours de nature misogyne. Le propos était favorable aux femmes au début de "L'Impossible". Il ne s'agit donc pas d'une logique de misogynie à l'oeuvre dans le récit rimbaldien. Il y a l'idée de reprocher un comportement aux hommes qui fait souffrir les femmes, mais aussi de reprocher aux femmes un comportement d'aliénation. La Vierge folle se soumet à l'Epoux infernal, dit même qu'elle est née ainsi, signe d'aliénation mentale absolue. Et les femmes dans "L'Impossible" sont les victimes de bonshommes parasites, mais on peut penser qu'elles se laissent entraîner à cet état de fait et acceptent une telle soumission.
J'ai déjà cité le passage sur "l'enfer des femmes" à la fin de "Adieu", et le passage sur les "femmes", "aujourd'hui", "si peu d'accord avec nous" dans "L'Impossible". Je cite maintenant le discours général sur les femmes comme le rapporte la "Vierge folle" : "Je n'aime pas les femmes. L'amour est à réinventer, on le sait. Elles ne peuvent plus que vouloir une position assurée. La position gagnée, coeur et beauté sont mis de côté :  il ne reste que froid dédain, l'aliment du mariage, aujourd'hui. Ou bien je vois des femmes, avec les signes du bonheur, dont, moi, j'aurais pu faire de bonnes camarades, dévorées tout d'abord par des brutes sensibles comme des bûchers..."
Nous reconnaissons une préoccupation propre au poète des Illuminations : "L'amour est à réinventer", en songeant à nous reporter aux poème "Vies" et "A une Raison", mais aussi au poème "Génie". Nous pouvons sourire sur l'idée de l'homme frustré de constater que les femmes qu'il convoite sont déjà prises. Mais nous n'allons pas prendre cette voie-là. Dans la fin des propos rapportés, nous identifions clairement l'idée des "bonshommes" "parasites" formulée dans "L'Impossible" et l'image des "bûchers" confirme qu'il s'agit d'un "enfer de la caresse" et par conséquent d'un "enfer des femmes". Et l'emploi commun du verbe "voir" vaut preuve : "je vois des femmes...", "j'ai vu l'enfer des femmes là-bas".
Toutefois, ce qui nous intéresse, c'est que cette fois-ci il s'agit d'un enfer comme châtiment. Nous avons le partage entre les femmes victimes des passions des hommes et les femmes qui assurent une position. La phrase : "Je n'aime pas les femmes", peut sembler résolument misogyne, mais à y regarder de plus près le poète évite habilement ce terrain du discrédit. Ce n'est pas qu'il n'aime pas les femmes en tant que telles, c'est qu'elles lui paraissent correspondre à une impasse dont il ne veut à aucun prix. Il n 'aime pas les femmes non pas pour ce qu'elles sont, mais pour le jeu de dupes auquel elles se soumettent. Nous retrouvons l'idée des couples mensongers. Les femmes ne sont pas considérées comme les principales fautives, puisque le poète emploie habilement la tournure restrictive : "Elles ne peuvent plus que vouloir une position assurée." Elles sont surtout prisonnière de leur condition, et dans la lettre à Demeny du 15 mai 1871 Rimbaud soutenait que les hommes étaient responsables de ce renvoi.
Mais, dans le discours de l'Epoux infernal, la remarque incidente "on le sait" permet de considérer que le discours sur le fait de réinventer l'amour a un caractère entendu, et partant le désir de position assurée est lui aussi un discours entendu. En clair, il y a des sources précises au discours de Rimbaud. Le poème "Génie" est l'une des proses des Illuminations sur la création d'un "nouvel amour" en une époque qui a "sombré". Le terme "génie" vient probablement des écrits de Herder traduits précocement par Edgar Quinet. Et Quinet est un historien qui s'interroge constamment sur l'influence sclérosante ou non des religions, et un historien qui s'intéresse à la dialectique entre spiritualité et révolution, et un historien qui dénonce aussi des forces contre-révolutionnaires qui essaient de tuer en France les progrès apportés par la Révolution. Enseignant au Collège de France, Edgar Quinet a publié en 1845 un ouvrage intitulé Le Christianisme et la Révolution qui réunit une suite articulée de quinze leçons retraçant une histoire de l'humanité nettement spiritualisée où la religion a été un ferment précurseur de la Révolution, mais l'Eglise à partir de la  Révolution française devient une force de mort qui trahit l'idéal religieux des premiers temps en cherchant à étouffer les progrès spirituels de la Révolution et son aboutissement  qui consiste à considérer que la religion a désormais son foyer dans tout individu humain. Il va de soi qu'un tel ouvrage peut intéresser en termes de genèse la composition du livre Une saison en enfer et précisément dans la quinzième leçon Quinet fait se côtoyer l'idée rassurante que l'humanité a comme jamais une "foi à l'impossible" qui permet des progrès inespérés avec l'observation inquiétante que cette foi est comme exclusivement masculine, car il semble y avoir un divorce entre hommes et femmes. Les hommes sont plus volontiers tournés vers l'idéal révolutionnaire et les femmes sont plus favorables au retour vers la tradition conservatrice et le catholicisme. L'erreur des hommes est de faire miroiter bourgeoisement les promesses de l'idéal républicain à des femmes qui veulent un monde d'empathie et de spiritualité compassionnelle que seule la religion semble leur offrir. En tout cas, c'est dans les grandes lignes le discours tenu par Quinet dans son livre, et  j'ai plusieurs éléments pour dire qu'il s'agit en effet d'une source majeure à la composition d'Une saison en enfer.
Et puis,  en 1872, Quinet a publié un ouvrage intitulé La République. Conditions de la régénération de la France, livre où les allusions à la Commune sont discrètes, bien que l'événement soit mentionné avec un dépit pour la haine du peuple parisien et pour cette guerre civile. Dans cet ouvrage, j'observe qu'il y a plusieurs mentions de l'expression biblique "grincements des dents". Cette formule couplée aux "pleurs" revient plusieurs fois dans la Bible et notamment les Evangiles, il s'agit d'une expression liée à la damnation infernale, et il n'est pas étonnant que Rimbaud l'emploie dans son récit de combat contre la théologie qu'est pour partie Une saison en enfer. Dans "Adieu", le poète dit  que "les grincements de dents, les sifflements de feu, les soupirs empestés se modèrent." Le recours à cette métaphore est tout de  même peu courant. Hugo ne l'utilise qu'assez peu à notre  connaissance,  au moins une fois certes, mais peu quant à la vaste étendue de ses écrits nimbés de réflexions spiritualistes. Or, dans "Adieu", il est clair que l'expression sert à dénoncer une atmosphère infernale du monde ambiant. Je  remarque qu'à deux reprises au moins Quinet emploie l'expression "grincements des dents" dans son livre de 1872 pour dénoncer les forces obscurantistes opposées à la régénération de la France. Il est vrai qu'il est plus difficile de rapprocher d'Une saison en enfer le livre La République de 1872 que le livre Le christianisme et la révolution. La préface de Quinet est datée d'octobre 1872. La publication est de très peu antérieure à l'écriture d'Une saison en enfer et il faut supposer que Rimbaud a pu avoir accès à cet ouvrage, essentiellement lors de ses retours en France, puisqu'il n'est pas resté en permanence à Londres avec Verlaine fin 1872 e t début 1873. Il y a d'ailleurs un fait étonnant à rapporter. A propos de la lecture du poème "Villes  (Ce  sont des villes)" des Illuminations, rendant compte d'un propos de l'analyse de Claisse sur la mention "Vénus", Alain Bardel cite à deux reprises je crois sur son site  un extrait de ce livre d'Edgar Quinet avec la "Vénus" "les yeux fixés sur l'immense avenir". Pour moi, ce passage est à rapprocher beaucoup plus spontanément de "Paris se repeuple" avec une "putain Paris" "la tête et les deux seins jetés vers l'avenir", à tel  point  qu'il faut se poser la question de la source commune à Rimbaud et Quinet pour cette image et même pour ces deux façons d'expression bien similaires. Les obscurantistes diront que cette coïncidence permet d'établir que le dépistage des sources peut être un vain sport illusoire. Tout de même, cela prouve au minimum des convergences d'époque et que, par conséquent, le discours tenu par Rimbaud ne vient pas de nulle part, et si Quinet ne devait pas être sa source de référence il ne faudrait que reporter la recherche sur une source antérieure non encore repérée. En tout cas, pour le livre La République de 1872, si, d'un côté, on peut se demander quand Rimbaud a eu le temps de le lire, d'un autre côté, on peut trouver qu'une convergence significative entre les deux écrits va de pair avec le peu d'écart chronologique entre les deux ouvrages. Rimbaud réagirait à une actualité littéraire immédiate, et nous savons par la lettre de  Rimbaud à Andrieu de juin 1874 qu'il lisait attentivement Quinet au point de s'en servir comme d'un modèle d'écriture au plan de l'apparence poético-mystique à donner à des écrits. Or, l'ouvrage La République contient une suite conséquente de chapitres sur la "femme", avec mention "La femme..." en attaque de plusieurs de ces titres consécutifs. Si le sujet l'intéressait, Rimbaud pouvait constater qu'il était traité par la seule table des matières. Et si Quinet avait dit que les femmes n'étaient plus d'accord avec les hommes dans des termes proches de ceux choisis par Rimbaud au début de "L'Impossible", les chapitres en question s'appesantissent sur le sujet. Quinet n'est pas le seul à son époque à traiter ainsi ce sujet, mais il va développer l'idée que les femmes sont soumises aux hommes en noir. La formulation de Quinet est même particulièrement malheureuse et j'ai songé au passage sur les "faux nègres" de "Mauvais sang" alors que Quinet parle bien évidemment de soutanes. Je dois encore méditer les influences possibles sur Rimbaud, mais dans son texte Quinet au-delà du traitement de la faute des hommes dans leur façon de reléguer la femme à un objet de divertissement et plaisir soumis développe lui aussi le problème d'une femme qui ne cherche plus que la position, et Quinet emploie le terme "position" dans une expression mise en italique : "Les femmes qui  aujourd'hui épousent une position se figurent qu'elles vont devenir des châtelaines."
Nous retrouvons l'emploi du même mot "aujourd'hui" que dans "Vierge folle" et "L'Impossible". On peut également remarquer que dans son livre de 1872 Quinet emploie déjà auparavant le mot "position" en italique pour traiter des académiciens : "Ce ne sont pas ses oeuvres qui font sa renommée, c'est sa position qui fait le mérite de ses oeuvres."
Mon article va s'abréger ici, mais il n'est pas complet si vous ne vous sentez pas de lire les chapitres sur la femme du livre de 1872 de Quinet et la quinzième leçon du livre de 1845 Le Christianisme et la Révolution.
D'autres révélations sur l'influence de Quinet dans un prochain épisode...

9 commentaires:

  1. Bon, de jeudi à dimanche, je vais pas mal travailler. Je suis bien obligé de faire une pause. Je profite comme d'habitude des commentaires pour indiquer mes réflexions en cours.
    Dans le livre sur la Saison d'Alain Vaillant, les historiens pourvoyeurs du mythe du gaulois cités étaient les deux Thierry, Michelet et Henri Martin que je ne connaissais pas. Pour les deux Thierry, Augustin est a priori le plus important.
    En fait, Quinet a son importance aussi et dans La Création il théorise l'idée de la cervelle étroite chez les peuples de moins haut niveau. Quinet, on va y revenir de toute façon, et j'ai repéré un volume sur Rimbaud de 2022 par la Revue d'Histoire littéraire de la France où Murphy traite de la formule des possibles de l'avenir et convoque Quinet, Fourier et je ne sais plus qui (Michelet, je crois,pas lu l 'article, seulement un compte rendu sommaire). Bardel a lui publié un article sur le "mysticisme de chic" dans Alchimie du verbe. La lettre à Andrieu avec mention de Quinet comme modèle amène Murphy ou Bardel à envisager une relation aux Illuminations, et ce qui n'est pas vu c'est le lien antérieur à La Saison. Je vais dépenser 20 euros pour faire seulement une vérification du fait dans le livre de Bardel sur la Saison.
    Les italiques m'intéressent ceci dit dans Génie et Une saison en enfer, les italiques sont souvent de l'ordre de la citation. Dans la Saison, Rimbaud ne met pas en italique "position gagnée" comme le fait Quinet pour les femmes châtelaines et les académiciens, alors même que Rimbaud reprend la succession d'abord "Vierge folle" la position de la femme et ensuite "Alchimie du verbe" contre les célébrités et donc académiciens de l'art. Mais la formule finale de la Saison a pour premier mot en italique "posséder" et surtout il y a le mot "vérité" qui concerne le christianisme, l'Histoire et l'idéologie de régénération de Quinet. Par ailleurs, dans "Mauvais sang", on a le mot "idée" en italique pour le forçat, et c'est un poncif de mettre "idée" en italique, Quinet le fait dans sa République de 1872 et la même année une critique catholique de l'histoire de France d'Henri Martin fait pareil, plus des passages sur les liens entre christianisme et vérité et sur le fait que la science va prouver le christianisme. J'ai trouvé le lien sur la page Wikipédia d'Henri Martin. Je vais faire mûrir tout ça, et donc on verra si je finis d'abord ma critique du livre de Vaillant ou si je poursuis passionnément mon dépouillement des "historiens" du XIXe.

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    1. Ah oui, voilà ce que j'oubliais.
      En fait, Henri Martin, intellectuellement c'est un rigolo, il n'est pas du tout du niveau d'un Michelet ou d'un Quinet. Il s'intéresse au druidisme, et à la suite de Jean Reynaud il se met à y croire, et le fameux Allan Kardec il revendique l'influence sur lui de l'Histoire de France de Martin. Cela vous donne une idée du niveau de sérieux à en attendre.
      Et ce n'est pas tout. Martin, il y va à gros sabots dans les préjugés sommaires. Le gaulois est joyeux et aime les femmes, le germain est plus froid et plus chaste. Les femmes gauloises sont belles, il prêche pour sa paroisse...
      Et Jean Reynaud a écrit un texte sur l'image de la Gaule, texte qui peut être lu sur le net, je l'ai commencé tout à l'heure.
      En fait, au début de "Mauvais sang", Rimbaud écrit des pensées aussi grossières que Martin avec la même syntaxe dépouillée, sauf que au lieu de valoriser le gaulois il le décrit à la façon choquante du catholique romain qui y répugne.
      Puis, on est en veine de remonter derrière Martin et Reynaud à la religion saint-simonienne, à Leroux, etc. Et Rimbaud est bizarrement situé dans le débat. Les catholiques tombent déjà sur Martin, on rit quand en 1872 ils prétendent qu'on n'arrive pas à établir que l'humanité ait quelques centaines de milliers d'années et que la science va résorber ces billevesées. Mais Rimbaud, quand il dit que la science est la preuve du christianisme, bon il est ironique, mais il s'attaque autant à Martin, Quinet, les républicains qu'aux historiens catholiques quelque part.
      Voilà les sujets de réflexion à venir, on est loin d'une lecture de la Saison centrée sur l'individu Rimbaud où la Vierge folle n'est qu'une métaphore pour désigner Verlaine. Loin !

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  2. A propos des couples qui riment facilement, en voici un autre dans "L'Eclair" : "Et pourtant les cadavres des méchants et des fainéants tombent sur le coeur des autres..."
    Et plus bas, nous avons une autre forme de couple tout droit venu des figures de style de l'oralité populaire : "Allons ! feignons, fainéantons [...]"
    La section "L'Eclair" contient l'expression : "Ma vie est usée" qui réplique à la 15e leçon de Quinet d ans Le Christianisme et la Révolution "[de l'échafaud] le ressort est usé. Puisque la mort est usée...", et Quinet parle d'une vie qui ne se brisera jamais tout de suite après.
    Attendez-vous à de prochains commentaires de "L'Eclair" sur le blog.
    Déjà, je fais remarquer un truc comique jamais signalé à l' attention, le choix du mot "explosion" ! La lumière qui éclaire d'espoir l'abîme est une explosion, et on pense à l'explosion d'une machine ! Bref, ça sent déjà l'ironie et l'explosion c'est donc un équivalent pour Tout le monde du "dernier couac", et le mot "explosion" introduit l'idée des cadavres qui retombent.
    A noter que phonétiquement le mot "L'Eclair" est présent dans la formule "l'Ecclésiaste moderne" qui par sa prière invite au galop et qui formule une lumière qui est en réalité une menace : l'éclair gronde. Avant même l'éclairage par les sources, il faut interroger les jeux du texte, non ?

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  3. Avant d'aller dormir, je reviens sur l'importance des relevés transversaux quant à l'étude du livre Une saison en enfer.
    Je viens de lire une moitié de l'étude de Bardel sur son site au sujet de la "fatalité de bonheur" et je signale à l'attention le "je flairais sa fatalité" à propos du forçat.
    Mais surtout, je voulais revenir sur "Cela s'est passé. Je sais aujourd'hui saluer la beauté." Je viens de lire vite faite les notes actuelles de Bardel sur cette clausule, il se range à ce que je dis dans mon article de 2009 : le poète congédie la beauté (sous une apparence polie) et le brouillon est très clair pour Bardel.
    Je reviendrai sur la fatalité de bonheur, je note l'analyse des verbes conjugués et l'opposition entre le poète présent et l'ancien poète fou. Mais, ce que je médite depuis deux jours, c'est une revue des clausules d'Une saison en enfer. Il s'agit de clausules jetant un regard ironique en manière de bilan sur ce qui a été développé dans plusieurs cas : "Ce serait la vie française, le sentier de l'honneur" dans "Mauvais sang", "C'est le feu qui se relève avec son damné" dans Nuit de l'enfer n'est pas tout à fait du même ordre, mais a quelque chose de comique et cinglant.
    Les clausules de "L'impossible" et "L'Eclair" sont marquées du sceau de la déception "Déchirante infortune!" et "éternité perdue pour nous" sous forme de question. Notons qu'en élargissant la fin de "L'Impossible" est également ironique : "Par l'esprit on va à Dieu !" La clausule d'Alchimie du verbe est désinvolte et clôt le sujet en disant que finalement ça n'avait pas grand intérêt de partir en croisade pour l'art contre la beauté. La prose liminaire se termine par une tautologie qui laisse en suspens la réponse à Satan : par tautologie (le mot n'est pas approprié), j'entends que "feuillets d'un carnet de damné" explicite concrètement le cas d'un journal intime lors d'une saison en enfer, mais ne dit pas clairement que le poète a cessé d'être un damné. Seule la clausule "Adieu" est triomphante et amenée comme une victoire en tant que telle. Celle de "Matin" est positive, mais plombée en même temps.
    Et puis, il y a la clausule de Vierge folle que je range avec celles de "Mauvais sang" ou "Alchimie du verbe" : "Drôle de ménage ! " Les commentateurs en font une exploitation essentiellement thématique et ne la voient que comme une conclusion résumé. C'est un drôle de ménage formé par au plan de lecture biographique Rimbaud et Verlaine, et voili voilou. Or, c'est plutôt la dernière péripétie du récit. Dans le rétroviseur, le poète discrédite toute la relation des deux poètes, la renvoie à une folie passée mensongère, et si mensonge il y a la Vierge folle n'était pas l'amie, le compagnon du poète.
    Et personnellement, je pense que s'il y a bien du Verlaine dans la Vierge folle, ce n'est pas un récit biographique tant que ça. La Vierge folle vise à une représentation de la femme dans la couple qui brasse plus large que le plan biographique avec Verlaine. En revanche, il s'agit effectivement d'un travestissement de Verlaine, non pas pour tenir des propos déguisés sur l'homosexualité, mais parce que telle était l'expérience de couple qu'avait alors vécue Rimbaud et dont il pouvait alimenter sa réflexion sur l'amour à deux. Et Rimbaud voulait parler de la condition féminine. C'est une erreur de brutalement déchiffrer la Vierge folle comme étant Verlaine. On sent bien dans le récit que ça ne colle pas tout à fait, parce qu'il y a une orientation, une sélection des faits, et du coup des omissions qui ne cadrent pas avec l'exhibition du biographique.

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    1. Au plan des analyses transversales, il y a inévitablement la revue des péchés capitaux, ou "vices" (Rimbaud emploie volontiers de mot) et des vertus théologales. La justice est une vertu cardinale, mais j'observe qu'elle est singulièrement isolée dans les propos de Rimbaud. Il n'y joint pas la prudence, la tempérance. On a en revanche la quatrième, courage ou force d'âme, mais elle ne correspond pas à une vertu chrétienne dans le traitement qu'en fait Rimbaud. Du côté des péchés capitaux, il y a un fait auquel faire très attention. Rimbaud les mélange à d'autres vices, alors il y a l'idolâtrie et l'amour du sacrilège, mais sur les sept péchés capitaux certains sont à peine mentionnés. La jalousie est plutôt appliqué aux autres, l'avarice et la gourmandise sont peu appuyées. La colère, la luxure et la paresse reviennent plusieurs fois, et j'ai l'impression même d'être le premier ci-dessus à avoir remonter l'allusion à l'enfer de la luxure dans l'enfer des femmes, l'enfer de la caresse, les caresses parasites des bonshommes et la caresse pénétrante. Je n'ai pas constaté un commentaire qui remontait toute la chaîne. En revanche, l'orgueil est peu cité, alors qu'il est tant mis en avant dans "Génie", il est tout de même particulièrement sous-jacent quand on songe à sa définition, c'est l'assurance de tout pouvoir par soi-même. Le péché est peu mentionné, mais il est central dans le récit. En plus, l'orgueil est aussi une prétention à atteindre le bonheur par soi-même.
      Et tout d'un coup, on s'aperçoit d'un fait original, le mensonge est régulièrement mélangé à l'égrènement des péchés capitaux, alors qu'il n'est pas dans la liste. Idolâtrie, sacrilège et mensonge ne sont pas des péchés capitaux, mais quand on lit "- surtout mensonge et paresse" après colère et luxure, on peut faire l'amalgame.
      **
      Sur la prose liminaire, j'observe que la rupture vient d'une sensation amère. C'est vraiment le sentiment d'amertume seul qui déclenche tout. Et c'est en phase avec un discours sur les appétits qui suit plus bas.
      Après, il y a une subtilité, dans la fausse conversion (pas celle dressée en titre sur le brouillon, celle des "blancs qui débarquent"), le poète rappelle qu'il n'a pas fait le mal, et effectivement prose liminaire et cinq premières sections de Mauvais sang, le poète n'a pas fait le mal, il a fait le bond de la bête féroce sur de la joie, pas sur les gens. C'est assez subtil à repérer.
      Dans la prose liminaire, le projet initial du poète est bien la mort avec des images absurdes d'anéantissement : "pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils", "pour m'étouffer" Et le crime est pratiqué sur soi : "Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l'air du crime." En clair, le refus du "dernier couac" est bien un changement d'attitude et non pas une découverte tardive du risque encouru.

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  4. Un petit complément prosodique. Le début de "Mauvais sang" lu avec une diction soignée qui marque la présence des "e" est remarquable d'originalité. Rimbaud pratique des suites prosodiques inimaginables dans la poésie en vers, bien que ce soit assonancé.
    Alors, il existe en français plusieurs "e", le "eu" de bleu ou feu, le "eu" de "leur", le "e" en tant que tel. Le début a l'air littéraire avec la transposition "de mes ancêtres", déplacement grammatical poétique, mais on a déjà deux "e" rapprochés "l'oeil bleu blanc" dans une formule peu euphonique. Notez ensuite le "e" à la fin de "trouve" et celui intérieur au mot "habillement", car après ça les "e" vous ne pouvez pas manquer de les sentir sauter dans le moule expressif choisi : "barbare que le leur." Après le redoublement "bar", on a quatre "e" consécutifs. Et la phrase suivante, on a : "beurre" qui reprend "bar" en remplaçant le "a" par un "eu". et "beurre" va consonner avec "chevelure". La prosodie du mauvais goût accompagne bien le sens des propos où le poète se revendique moins soucieux de son apparence qu'un gaulois. Et pourtant comme c'est rythmé, c'est poétique. Et l'intention est confirmée par les mots de la suite : "écorcheurs" (sous-entendu de mots si on pense à Rimbaud) et "brûleurs d'herbes", "les plus ineptes de leur temps". "D'eux j'ai..." On sent que la prosodie rudoie le lecteur.
    Et la phrase : "J'ai horreur de tous les métiers" prolonge l'effet et aura une réponse symétrique plus loin avec "J'ai horreur de la patrie" fin de section 2.
    J'ai d'autres idées : "forçat" prépare la question "force ou faiblesse", on a un jeu de mots sur Satan, mais paradoxal quand le poète dit : "Le plus malin est de quitter ce continent..." Il y a aussi une équivalence ennui/malheur "Le malheur a été mon dieu", "L'ennui n'est plus mon amour."
    J'ai d'autres idées, et aussi une intention de resituer les actions de "Mauvais sang" à "Adieu" dans la courte chronologie des premiers alinéas de la prose liminaire, et ce n'est pas un jeu inutile. On clarifie bien ainsi notre compréhension de ce récit réputé elliptique, confus avec un sens de certaines phrases souvent quasi jugé indécidable.

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    1. Changement impromptu dans mes horaires de travail du jour.
      Les calembours sur "forçat" et "le plus malin" sont tous deux dans la même 5e section de "Mauvais sang". Le jeu de mots est évident dans le passage rapide de forçat à force. Pour l'expression : "Le plus malin", il ne s'agit pas d'un jeu de mots gratuit, ah tiens Rimbaud fait des allusions comiques à Satan. Il faut juger le jeu de mots en contexte et le sens littéral est de toute façon sérieux : le plus intelligent qu'il me reste à faire, c'est de...
      Or, Rimbaud vient de définir les "faux nègres" avec un empereur ayant bu une liqueur "de la fabrique de Satan". Nous sommes dans un renversement où dans la société qui prétend adhérer au projet du festin les élus sont démasqués pour leurs visées démoniaques et la fuite vers l'enfer du poète devient donc une fuite d'un monde qui veut vous piéger : "Le plus malin est de quitter ce continent, où la folie rôde pour pourvoir d'otages ces misérables." Notons que la mention "continent" et plutôt "chemins d'ici" fixent l'idée d'une société française dont le poète n'arrive pas à s'extirper. Il y a un cadre précis.
      Ensuite, pour la correspondance chronologique entre le récit liminaire et celui des feuillets. On sait que le texte passe pour avoir de nombreuses ruptures de pensée avec des revirements contradictoires. Cela p eut signifier l'état de confusion avec un discours explicite sur deux esprits en soi qui s'affrontent, et ça peut être aussi le contraste entre moi ancien et moi présent dans "Alchimie du verbe". Mais, il y a le problème des conversions et des revirements (Mauvais sang sections 6 et 7, puis Nuit de l'enfer).
      Pour moi, la conversion au royaume des enfants de Cham avec les blancs qui débarquent n'est pas sincère. Le discours se délite fin de section 7 et on a la reprise "Assez ! Voici la punition." Et en fin de section 7, le poète se reproche de "manquer du courage d'aimer la mort". On a aussi la phrase "L'ennui n'est plus mon amour" qui retourne "Le malheur a été mon dieu". On pourrait se dire que là on atteint la prise de conscience du "dernier couac".
      Pour moi, on en approche, mais ce n'est pas ça. Le récit est ironique. D'ailleurs, nous enchaînons avec "Nuit de l'enfer" et l'absorption d'un poison pour en finir avec la vie.
      J'ai par le passé subi l'influence subtile qui y voyait une ironie sur la conversion comme poison, mais de 2009 à 2010 j'avais très vite mis le hola à cette lecture, j'étais revenu dessus (lecture de Brunel et Nakaji de 87, lecture favorisée par le titre du brouillon "Fausse conversion"). Mais ça ne marche pas. Nuit de l'enfer est bien le "dernier couac" frôlé par excès et le titre écho à celui du livre. La révolte contre la mort, le "Ah ! j'en ai trop pris", apparaît à la fin de "L'Eclair". Matin et Adieu seront du coup les réponses différées à Satan, et ce sera le refus.
      Vierge folle, Alchimie du verbe et L'Impossible sont du coup les bilans et les coeurs de la réflexion, les trois parties cruciales de mise au point.

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    2. Je vais acheter le livre de Bardel aujourd'hui pour arrêter d'être tourmenté par la réflexion. Après, il sera plus sérieux que le livre de Vaillant, on voit qu'il y a plus ce qui correspond à un investissement sur 20 ans, alors que l'histoire du demi-siècle de réflexions pour le livre à 10 euros c'est du pipeau complet.
      Du côté de Quinnet, j'atten dais beaucoup de la 14e leçon intitulée Napoléon avec un petit passage sur Chateaubriand. Je pensais au lien de la Saison avec Vies qui réécrit la conclusion des Mémoires d'outre-tombe, le mot "scepticisme" est clef dans un autre ouvrage de Quinet. Je croyais que la 15e leçon sous-entendait des considérations amorcées dans la 14e leçon. Ben, il n'y a r ien, je vais relire la 14e leçon, mais il n'y a rien. Déception totale. S'il y avait un truc à repérer, je suis passé à côté.

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  5. Je viens de consulter le livre Rimbaud dan son temps d'Yves Reboul. Il y a un index et aucune mention de Quinet, alors qu'il y en a plusieurs de Michelet, et pour le poème "Mystique" aucune mention non plus (il va de soi qu'en l'état Quinet comme source à "Mystique" reste à prouver). Aucune entrée Quinet dans les Dictionnaire Rimbaud, ni celui de Baronian, ni celui de Vaillant et cie.
    J'ai aussi sous la main deux volumes collectifs. D'abord, lié à l'Agrégation 2010, le volume rennois dirigé par Murphy Lectures des Poésies et d'Une saison en enfer de Rimbaud. Il y a toute une ribambelle d'articles sur Une saison en enfer, le premier est de moi "Les ébauches...", mon article est sublime pour la prose liminaire et "Mauvais sang", là je suis le spécialiste incontestable des deux premières parties du récit, en revanche, je me suis planté sur "Nuit de l'enfer", mais je l'ai très vite dit ensuite. Il y a aussi un article de Vaillan d'ailleurs, mais encore plusieurs articles de gens pas connus pour publier sur la Saison, et en fait il vaut mieux lire de tels articles que les livres de Bandelier, Nakaji, Frémy ou Brunel, qui ne tiennent pas un discours abouti sur le sens de la "Saison".
    Il y a surtout l'article de Laforgue, une référence sur Victor Hugo et il l'est aussi en partie sur Baudelaire, il fait un article sur l'idée de damnation au plan historique et sociale, genre "damnés de la terre", pour contrebattre la lecture antireligieuse trop exclusive. Il ne cite pas Quinet ! En revanche, il mentionne comme méconnu et important un article de Barrère sur "Mauvais sang" dont le titre mentionnant Chateaubriand, Parny, m'intéresse au plus haut point. Quinet et Chateaubriand, Une saison en enfer, Génie et Vies, ça va ensemble. Et le mot "mystique" à associer à Quinet et Michelet, c'est la lettre du poète à Andrieu qui l'établit !
    J'ai aussi le volume Enigmes d'Une saison en enfer.
    Je vais voir si je fais des comptes rendus sur mon blog inactif consacré à Une saison en enfer, j'en ferai ici aussi.

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