mardi 19 juin 2018

Aux origines du sonnet en vers d'une syllabe, le cas des Odes et ballades de Victor Hugo

En 2009, avant que ne paraisse le livre de Bernard Teyssèdre, j'avais publié un article dans la revue Europe où j'expliquais l'origine du sonnet en vers d'une syllabe. Alain Chevrier avait déjà en partie dégagé l'explication : il avait publié un livre sur les poèmes en vers d'une syllabe et il avait eu beau jeu de recenser les poèmes en vers d'une syllabe d'Amédée Pommier et les sonnets en vers d'une syllabe de Paul de Rességuier et d'Alphonse Daudet. Chevrier et Teyssèrdre (2011) ont pu considérer que le sonnet de Daudet avait mis la pratique à la mode. Chevrier n'associait pas tellement Amédée Pommier aux sonnets en vers d'une syllabe, puisqu'il y avait le lien Rességuier-Daudet qui semblait suffisant au plan formel. En revanche, Chevrier associait Pommier au sonnet "Paris" en citant une suite de slogans publicitaires du poème "Charlatanisme".
Or, en 2009, dans la revue Europe, j'ai développé un discours très précis et cité un document jusque-là inconnu de Chevrier. Les poèmes en vers d'une syllabe étaient une spécialité d'Amédée Pommier, et ça Chevrier pouvait dire mécaniquement que ça préparait le terrain pour les facéties zutiques. Mais, moi, ce que j'ai vu, c'est que Verlaine avait publié un article où il s'était moqué de l'intérêt de Barbey d'Aurevilly pour les acrobaties de Pommier, et notamment pour les poèmes en vers d'une syllabe dont il citait un extrait. Barbey d'Aurevilly avait répliqué contre Verlaine et les Parnassiens par les médaillonnets, et il avait ensuite reçu du soutien avec les auteurs d'un Parnassiculet contemporain où figure donc le sonnet en vers d'une syllabe d'Alphonse Daudet. Et, d'ailleurs, je considère que les rimbaldiens négligent encore trop le cas d'Alphonse Daudet qui doit être épluché de près pour évaluer les parodies zutiques, mais aussi les poèmes de Rimbaud. Il faut travailler les poésies médiocres de Daudet, lire Le Petit Chose, travailler sur les pré-originales dan la presse de ses contes, etc. Je pense que les "caoutchoucs" de "Mes Petites amoureuses" viennent du roman Le Petit Chose et j'ai la conviction que les triolets du "Coeur du pitre" ne s'expliquent pas que par Banville, mais par une connaissance du "Pantoum négligé" de Verlaine, car je pense que Rimbaud et Verlaine se sont rencontrés à Pairs entre le 25 février et le 10 mars 1871.
Ma publication en 2009 était précise. Les sonnets en vers d'une syllabe font référence à Pommier, ce qui n'était pas appuyé de la sorte dans l'étude de Chevrier, et si Chevrier, puis Teyssèdre, ont souligné l'importance du sonnet de Daudet, ils ont évoqué une mode, alors que je parle d'intentions polémiques.
Etrangement, la revue Parade sauvage a accueilli des articles postérieurs au mien où Chevrier a repris tout ce que j'avais dit sans me citer, y compris mon document où Verlaine raillait le goût du Connétable des Lettres pour Amédée Pommier.
J'avais négligé de poursuivre et, depuis, j'ai montré que, seul, je maîtrisais mon sujet. J'ai montré que les sonnets en vers d'une syllabe citaient sans arrêt le sonnet de Daudet ou les poèmes en vers d'une syllabe d'Amédée Pommier, il n'y en a que deux. Je suis allé plus loin, j'ai évoqué également les poèmes en vers de deux, trois, sinon quatre syllabes chez Amédée Pommier. J'ai montré que cela impliquait aussi "Jeune goinfre" qui était déjà connu comme réécriture de poèmes de Ratisbonne. J'ai mobilisé aussi les poèmes où alternaient des vers longs avec des vers d'une syllabe. Et j'ai montré que les sonnets en vers d'une syllabe reprenaient non seulement les poèmes de Pommier et de Daudet, mais tissaient des liens entre contributions zutiques. La série initiale sur trois colonnes de Valade inspire les "Conneries" de Rimbaud, puis les trois colonnes de Cros, Valade et Nouveau (avec une difficulté pour la datation, car Cros et Nouveau pouvaient difficilement contribuer au même moment en 1872, eh oui je pense à tout ça, moi, au moins !). J'ai d'autres trucs à dire, j'y reviendrai, juste que j'ai aussi montté que "Conneries" était un surtitre mêlant les titres "colifichets", "colères", "crâneries" de recueils de Pommier avec le mot "con" exploité dans un sonnet de Valade.
Maintenant, je veux revenir sur la genèse de ces acrobaties. Cela doit forcément recouper ce qu'a pu dire Chevrier dans son livre sur la "contrainte monosyllabique", mais je vais juste mettre en avant un point détaillé précis.
L'intérêt pour le vers court acrobatique vient des années 1820, quand cesse le règne du classicisme. Mais les débuts romantiques ne suffisent pas à provoquer cet événement. Ce qui a compté, c'est la redécouverte de la poésie de la Renaissance, celle de Ronsard, Belleau et du Bellay.
Dans les Odes et ballades de 1828, la dernière mouture, mais celle éditée en Poésie Gallimard, on a toutes les épigraphes des poèmes à considérer. Sous le titre "Vieille chanson", un passage célèbre de du Bellay est cité, un extrait du célèbre jeu rustique du vanneur de blé au vent. Mais, surtout, au Livre cinquième, de la vingt-deuxième à la vingt-quatrième, on a trois épigraphes qui offrent toutes la même strophe : un sizain en vers de base de sept syllabes, mais avec une alternance aux vers 2 et 5 au moyen de vers de trois syllabes. Hugo cite deux strophes de chacun des poèmes des trois auteurs Ronsard, Sainte-Beuve, Belleau. L'auteur d'un tableau sur la poésie de la Renaissance, paru en 1828 même si je ne m'abuse, est encadré par Ronsard et Belleau, poètes du seizième siècle. Notez que la citation de Ronsard permet de faire le lien avec une ariette de Favart citée en épigraphe par Verlaine dans Romances sans paroles, ce qui n'est bien sûr pas innocent.

Quand je voy tant de couleurs
        Et de fleurs
Qui esmaillent un riuage,
Ie pense voir le beau teint
        Qui est peint
Si vermeil en son visage.

Quand je sens, parmi les prez
         Diaprez,
Les fleurs dont la terre est pleine,
Lors ie fais croire à mes sens
         Que ie sens
La douceur de son haleine.
                             *

Sur ma lyre, l'autre fois,
          Dans un bois,
Ma main préludait à peine,
Une colombe descend,
           En passant,
Blanche sur le luth d'ébène.

Mais, au lieu d'accords touchants,
          De doux chants,
La colombe gémissante
Me demande par pitié
          Sa moitié,
Sa moitié loin d'elle absente.

                          *
L'aubépine et l'églantin,
          Et le thym,
L’œillet, le lys et les roses,
En cette belle saison,
          A foison
Montrent leurs robes écloses.
 
Le gentil rossignolet,
         Doucelet,
Découpe, dessous l'ombrage,
Mille fredons babillards,
          Frétillards,
Aux doux sons de son ramage.
 
                         *
 
Il suffit de comparer avec toutes les autres nombreuses épigraphes qui ont précédé. Il y a pas mal de mots latins, des citations en prose et pour les vers on voit qu'Hugo a réuni à la suite trois épigraphes avec une même strophe rare, mais aussi avec par exception des vers courts de trois syllabes.
Enfin, nous sommes à la toute fin des odes. Il n'y a qu'une ode qui va suivre, la vingt-cinquième du cinquième livre. Cette dernière ode s'intitule "Rêves". L'épigraphe est en espagnol (Calderon la neurone (je sais on dit un neurone, mais la neurone c'est plus comique)). Cette dernière ode est en vers de six syllabes. Il s'agit d'un vers court. Dans les odes, Hugo emploie toujours l'octosyllabe et l'alexandrin. Il emploi le vers de sept syllabes dans "Le Chant du tournoi", mais c'est une exception. Donc, le poème conclusif "Rêves" est un peu étonnant par rapport à tout ce qui l'a précédé et il sert de transition, puisque nous allons passer au livre des "Ballades". Il faut attendre la quatrième ballade pour avoir un poème en vers de sept syllabes. "A Trilby, le lutin d'Argail", c'est là que Victor Hugo cite un extrait du célèbre poème de du Bellay, avec une petite corruption "ombre" au lieu de "troupe" :
 A vous, ombre légère,
Qui d'aile passagère
Par le monde volez,
Et d'un sifflant murmure
[...]
Il s'agit d'un poème en vers de six syllabes, et je pense que vous commencez à comprendre qu'un vers de six syllabe en 1828 c'est un vers pour la chanson pas pour la grande poésie. Notez le léger écart en l'épigraphe en vers de six syllabes et la ballade hugolienne en vers de sept syllabes.
Pour la plupart des ballades, Hugo maintient le recours aux alexandrins et aux octosyllabes. Vous voyez bien à quel point on est encore loin des Romances sans paroles. Et pourtant, le recueil hugolien témoigne de la mise en mouvement qui fera un jour qu'on aura des Poèmes saturniens et des Romances sans paroles. Il initie toute la démarche, le projet de Banville dans Les Stalactites, etc.
La ballade neuvième est également en vers de sept syllabes.
Il n'y aura que quinze ballades. Le fameux vers de cinq syllabes, Hugo ne va l'exploiter que pour une partie de la quatorzième ballade "La Ronde du Sabbat".
Maintenant, j'en arrive à la suite de trois ballades qui m'intéresse. Je vais parler des dixième, onzième et douzième ballades.
La dixième ballade s'intitule "A un passant", ce qui peut faire songer "A une passante" de Baudelaire, le sonnet de Baudelaire gagnant en soufre satanique au rapprochement.
Mais la ballade est en alexandrins. En revanche, l'épigraphe cite quatre strophes d'une Chanson du fou" qui n'est autre qu'une création hugolienne insérée dans Cromwell. Ces vers sont dits par le fou Elespuru. La strophe adoptée est le sizain avec un vers de base de cinq syllabes, mais une alternance pour les vers conclusifs de module, les vers 3 et 6, de vers de deux syllabes. On voit qu'en ne se citant, comme il n'a pas nommé du Bellay, Hugo s'amuse à faire netrer sa poésie et celle de la Pléiade dans une sorte de légende patrimoniale.
On voit en même temps que notre étude doit impliquer le théatre hugolien et il auraît dû être question des Orientales avec le poème Les Djinns et ses strophes de différentes longueurs, mais sans strophe de vers d'une syllabe, sans strophe de vers de neuf syllabes.
Mais je voulais vraiment montrer ce qui s'était joué avec le recueil Odes et ballades lui-même.
On voit que le vers de cinq syllabes est réservé aux épigraphes ou à une partie de l'avant-dernière ballade. Il y a un recours modéré aux verts courts, mais l'isolement permet aussi de les mettre en vedette, comme le point fort formel du recueil.
Les autres points fort du recueil, ce sont les onzième et douzième ballades.
La onzième ballade a une épigraphe en prose et une dédicace "A Paul", ce qui peut toujours faire sourire la compagnie de Verlaine. Cette ballade a pour titre "La Chasse du burgrave", et elle présente un cas remarquable d'alternance en mode quatrain de vers de huit syllabes et de vers d'une seule syllabe. Les vers pairs étant les échos des rimes des vers impairs en quelque sorte.
Je n'ai pas eu le courage de vérifier jusqu'au bout, mais Hugo respecte pour l'oeil la consonne d'appui, si ce n'est que la prononciation varie parfois ("désire"::"Sire").

Daigne protéger notre chasse,
           Châsse,
De monseigneur saint-Godefroi,
           Roi !

Si tu fais ce que je désire,
            Sire,
Nous t'édifierons un tombeau,
            Beau ;
 
[....]
 
Amédée Pommier a imité ce principe du vers long suivi d'un vers d'une syllabe qu'Hugo n'a pas inventé, mais appliqué dans un grand recueil de poésie lyrique des années 1820, à une époque où de telles acrobaties étaient rejetées depuis des siècles par les doctrinaires du classicisme.
Evidemment, autant on peut être surpris que les classiques aient obligé les poètes à renoncer à de nombreux effets, autant on voit ici ressortir le caractère comique d'un procédé qui ne se prête pas à la poésie sérieuse.
Les vers d'une ou de deux syllabes montrent que le poète joue aux acrobates, même dans les cas d'alternance. Le vers de trois syllabes est un peu le cas-limite. Les vers de quatre et cinq syllabes sont eux fluets et donc s'ils ont indéniablement du charme ils n'étaient pas considérés comme sérieux par les classiques qui hésitaient encore à employer des vers de six ou sept syllabes eux-mêmes. Hugo lui-même y a fait des recours plus que modérés dans ses Odes et ballades: autrement dit, il ne se les permet qu'à condition de s'asseoir dans les rythmes autorisés pour faire ses preuves.
Les vers d'une syllabe en alternance avec des vers longs ont à voir avec la genèse du sonnet de Paul de Rességuier et avec donc la genèse des poèmes en vers d'une syllabe d'Amédée Pommier comme les sonnets en vers d'une syllabe des zutistes. On comprend aussi que les vers de deux syllabes ou les vers de trois syllabes, même s'ils posent moins de problèmes syntaxiques, font tout de même partie de la même histoire de libération des moyens accordés aux poètes.
Or, la ballade suivante, la douzième, s'intitule "Les pas d'armes du roi Jean" avec une épigraphe extraite d'une "ancienne chronique".
Il s'agit cette fois d'un poème tout en vers de trois syllabes. Et, cerise sur le gâteau, un extrait de ce poème est cité en épigraphe dans le recueil Romances sans paroles, ce qui prouve là encore que le recueil de Verlaine était clairement dans l'esprit de son auteur une conséquence de ce qu'avait commencé à oser Hugo dans ses Odes et ballades. Hugo cite le début de la deuxième strophe en tête du poème "Bruxelles, Chevaux de bois" :

Par saint-Gille,
Viens-nous-en,
Mon agile
Alezan;
[...]

Notez bien qu'Hugo ne s'est pas autorisé la strophe en vers d'une syllabe, ni dans Les Djinns, ni dans ses Odes et ballades. Notez aussi qu'il ne s'est autorisé des vers de deux syllabes de sa création que dans le drame Cromwell, mais pas dans ses Odes et ballades elles-mêmes. C'est une épigraphe qui permet d'étaler quelques vers hugoliens de deux syllabes. Le vers de deux syllabes est le cas-limite hugolien qui se voit autorisé une apparition dans la poésie lyrique avec "Les Djinns", poème des Orientales. Et, même, dans "Les Djinns", le vers de deux syllabes est en concurrence avec plusieurs autres mesures. En revanche, même s'il est acrobatique, le vers de trois syllabes peut être la mesure exclusive d'un poème des Odes et ballades.
Cela est normal. Amédée Pommier restera dans les mémoires non pas pour ses poèmes laborieux et ridicules en vers d'une ou deux syllabes, mais pour son poème en vers de trois syllabes qui a le son : "C'est un gnome / Si mignon /.Qu'on le nomme /...", poème parfois enseigné dans les écoles jusque dans les années soixante ou soixante-dix.
Dans l'Album zutique, on voit que Rimbaud a mis du temps à produire un sonnet en vers d'une syllabe. Il a commencé par un sonnet en vers de deux syllabes, puis son sonnet en vers de six syllabes avait une bien autre raison de nous intéresser au plan formel que l'emploi d'un vers à peu près court. Enfin, il s'y est essayé, mais une fois seulement avec "Cocher ivre". Valade, lui, avait sorti le modèle de trois colonnes pour trois sonnets en vers d'une syllabe, et il en a ajouté un quatrième "Néant d'après-soupée", quelques pages plus loin dans l'Album. Germain Nouveau a dû apprendre également et ça nous a valu un sonnet sur Ponchon en vers de trois syllabes.
Enfin, dans l'Album zutique, il faut donc étudier au-delà des sonnets en vers d'une syllabe, le cas d'autres sonnets en vers de deux ou trois syllabes, mais aussi les cas d'alternance entre vers longs et vers d'une syllabe (caricatures avec la tête décapitée, "Conseils à une jeune moumouche"), voire la "Fête galante" de Rimbaud en vers de quatre syllabes.

Je voudrais ajouter un petit complément sur le recueil Odes et ballades. Une ode est accompagnée d'une épigraphe d'un poème de Vigny "Madame de Soubise" avec des vers de cinq syllabes ! Or, j'ai dit que Vigny avait joué un rôle décisif dans l'apparition des rejets à la césure pour les adjectifs épithètes. Vigny avait repéré cela dans l'oeuvre de Chénier, sinon dans celle de Rouher ou dans celle de Malfilâtre, et il l'a appliquée. Le procédé était connu avec la poésie de la Renaissance, mais le retour sous les plumes de Chénier, Malfilâtre et Rouher, ça c'était important. Vigny a exploité cela dans "Héléna" puis dans "Dolorida". Le problème, c'est que nous éditons la dernière forme connue du recueil Poèmes antiques et modernes. Du coup, nous ignorons l'importance de "Héléna", surtout au plan de la versification. Or, dans les Odes et ballades, Hugo prend des épigraphes à deux autres poèmes de Vigny, précisément "Héléna" et "Dolorida". Attention ! L'épigraphe tirée de "Dolorida" est appliquée à un poème daté de 1821. Les épigraphes sont postérieures aux compositions hugoliennes/ L'important, c'est qu'Hugo témoigne clairement qu'il connaissait très bien les deux poèmes décisifs de Vigny au plan métrique. De 1823 à 1828, il s'est passé quelque chose de décisif dans la versification hugolienne, avec successivement la fréquentation de Vigny et celle de Sainte-Beuve, et ceci a précipité bien des choses pour l'histoire de la poésie française. Et la prise en considération de cette onde qui s'est propagée permet d'éclairer bien des singularités formelles des poètes Rimbaud et Verlaine...

vendredi 15 juin 2018

Les revues dans lesquelles publiait François Coppée

Pour le confort de la recherche rimbaldienne, il convient de recenser les noms des revues dans lesquels tous publiaient.
Voici donc le cas de François Coppée.
Son cas m'intéresse beaucoup car Rimbaud a repris une rime "redingote"::"gargotte" à un dizain qui n'a été publié qu'en 1876. Je recherche des pré-originales dans la presse de poèmes de Coppée, mais aussi de poèmes d'Eugène Manuel, ainsi que toutes les revues où publiait Guido Gonin. J'essaie de cerner les ouvrages ciblés par les zutistes. Evidemment, à Paris, personne n'a effectué la recherche dont j'ai déclaré l'importance primordiale dans des articles parus en 2009 et 2010.
A Toulouse, j'ai eu accès à une thèse de 1930 environ sur la vie et l'oeuvre de François Coppée par un certain Le Meur.
A la fin, il y a plusieurs rubriques en bibliographie dont une sur les journaux et revues dans lesquels Coppée a publié.
Voici cette liste. Elle peut être réduite dans un second temps si on arrive à cerner les époques de publication dans un périodique, puisque ce qui nous intéresse c'est ce que Coppée a publié avant novembre 1871, sinon avant 1874. A noter que, parfois, il y a des surprises, je pense avoir un jour repéré une prose très précoce de Coppée dans le journal Le Monde illustré en 1863 même. Je ne sais pas pourquoi j'étais tombé sur un tel texte signé "Francis Coppée".

Le Parnasse contemporain (vu)
Le Nain jaune (à peu près vu)
L'Artiste (à peu près vu)
La Revue nationale (? Revue nationale et étrangère publication dans les années 1860 ?)
La Revue des Lettres et des Arts (publication années 1867 sq, époque Verlaine, à suivre)
La Revue littéraire et artistique
La Revue des Deux-Mondes (à peu près vu)
La Nouvelle Revue
La Femme contemporaine
Le Moniteur universel (à peu près vu)
Le Journal officiel
Le Figaro
Le Gaulois
La Revue de France
La Revue encyclopédique
Le Hanneton (à peu près vu)
Le Conteur populaire
La Revue hebdomadaire
L'Illustration
Les Annales politiques et littéraires
La Lecture
La Revue Mame
Le Soleil du dimanche
La Jeune France
La Revue Bleue
La Contemporaine
La Revue de la Famille
Le Monde illustré (à peu près vu)
Le Correspondant (à peu près vu)
Le Gil Blas
Le Courrier littéraire
Le Courrier français
La Renaissance
Le Mois littéraire et pittoresque
La Patrie française
La Revue Mondiale
La Vie heureuse
Il y a des manques, puisque, rien que pour Les Humbles, Coppée a publié "La Soeur novice" et "La Famille du menuisier" dans Les Coulisses parisiennes en mai et juillet 1867, et "Joujoux d'Allemagne" en 69 dans l'Album théâtral illustré.

Coppée a collaboré régulièrement à la Patrie de mai 1880 à mars 1884 (Revue dramatique du lundi) et au Journal de sa fondation en octobre 92 jusqu'à avril 98.

En survolant l'ouvrage, j'ai relevé deux citations de Villiers de L'Isle-Adam faites par F. Calmettes dans le livre Leconte de Lisle et ses amis, première citation qui serait à la page 178 :

"Les humbles ?... autant d'âmes qu'il rabaisse pour nous les montrer soumises à l'hypocrite compassion du monde, résignées à l'aumône des fausses générosités... Simples trucs de cabotin avisé... C'est du batelage, non de la littérature... Citez-moi seulement un beau vers de Coppée... un seul..."

Au sujet de la pièce Le Rendez-vous représentée à l'Odéon à partir du 11 septembre 1872 et évoquée dans l'Album zutique par Ponchon : "Donnez-moi de l'argent puisque j'aime ma mère."

Le 16 avril 1873, Coppée a connu une pièce sifflée Le Petit marquis.

jeudi 7 juin 2018

Un cas "Y" dans les voyelles de l'Album zutique

Je vais parler ici des vers qui accompagnent quelques caricatures du recto d'un feuillet non numéroté.

**
Digression ou note préliminaire.
Il y a une suite de six feuillets non numérotés entre celui qui porte le numéro 11 et celui qui porte le numéro 19. Le deuxième de cette suite de six est déchiré en deux. On constate aussi une anomalie. Il y a sept nombres coincés entre 11 et 19, mais nous n'avons que six feuillets en incluant celui qui est déchiré entre les feuillets 11 et 19 de l'Album zutique. Autre anomalie, après le feuillet 19, nous passons au feuillet 21. La numérotation redevient normale : 21, 22, non paginé, 24, 25, 26, 27, 28, 29. Nous n'avons pas de fac-similé au-delà du feuillet paginé 29. Pourtant, il y avait au moins un feuillet avec un dessin représentant Rimbaud dans une embarcation et nous avons des fac-similés du dessin lui-même. Il y avait aussi un feuillet contenant un poème en onze quatrains de vers de sept syllabes par Raoul Ponchon qui commence par "Vla l'hiver [...]".
Les feuillets manquants ont été arrachés ou bien il y a eu un mauvais dénombrement des feuillets sans numérotation. Mais la succession des feuillets 19 et 21, le reliquat d'un feuillet déchiré et l'existence d'un feuillet détaché avec un dessin représentant Rimbaud dans une barque, cela favorise plutôt l'idée a priori que deux feuillets ont disparu sans laisser de traces.
Dans l'édition en Garnier-Flammarion par Daniel Grojnowski et Denis Saint-Amand, une numérotation factice a été imposée : 12, 13, 15, 16, 17, 18, 19. On saute par-dessus le numéro 14, mais pourquoi par-dessus le numéro 14, plutôt que par-dessus un autre numéro ? Pourquoi exiger que le feuillet manquant, si jamais il a réellement disparu, suive le feuillet déchiré ? C'est peut-être le feuillet précédant le feuillet déchiré qui a disparu, et alors le feuillet déchiré passerait du numéro 13 au numéro 14. En revanche, entre le feuillet 19 et le feuillet 21, le feuillet 20 est déclaré "inexistant". Ce n'est pas très clair.
Fin de la digression.
**
J'en reviens à nos dessins.
Ils figurent sur le quatrième feuillet de la suite non numérotée. Nous avons une faible marge d'erreur. Il s'agissait donc soit du quinzième feuillet, soit du seizième. Dans l'édition en Garnier-Flammarion, mais ils ne sont pas les seuls, nous avons une affirmation : ce serait le recto du seizième feuillet.
En tout cas, dans cette l'édition de l'Album zutique, qui date de 2016, nous avons droit à un fac-similé miniature du recto de ce feuillet. La procédure est inévitable, puisqu'il y a trois dessins sur ce feuillet. Le fac-similé se trouve à la page 95 et les notes qui s'y rapportent à la page 206, avec un titre flanqué d'une parenthèse de précision : "Fac-similé f16r° (caricatures, p. 95)".
Le gros problème pour moi, c'est qu'il y a aussi trois créations en vers sur le recto de ce feuillet. Or, ces trois extraits n'ont pas été retranscrits en caractères d'imprimerie dans cette édition. En effet, nous avons à la page 94 de cette édition en Garnier-Flammarion une transcription du "Sonnet" qui est attribué à Alfred de Musset, mais contresigné "G. N" (cette parodie terminait le verso du feuillet précédent), puis à la page 95 un fac-similé très petit (format de livre de poche oblige !) de l'ensemble du feuillet qui m'intéresse, et puis à partir de la page 96 la transcription normale reprend avec un dizain à la Coppée contresigné "C. C." suivi d'un poème "Conseils à une petite moumouche".  Or, comme le verso du feuillet avec des dessins est demeuré vierge, ces deux poèmes figurent sur le recto du feuillet suivant.
Pour moi, ça ne va pas du tout. Il fallait un fac-similé pour les dessins, mais aussi une transcription des trois extraits poétiques. Les trois extraits en vers sont cités dans le paragraphe ramassé d'une demi-page du dossier de "Notes sur l'Album zutique". Il faut se reporter à la page 206 pour lire ces trois extraits en caractères d'imprimerie. Tous ceux qui voudront lire de manière suivie l'Album zutique dans cette édition seront condamnés, soit à se forcer les yeux pour déchiffrer un manuscrit miniaturisé, soit à faire le voyage aller-retour entre les pages 95 et 206.
Ce n'est pas tout. Pris dans un paragraphe en prose, les trois extraits ne sont pas cités avec une présentation en vers adéquate. Ils sont cités dans un texte en prose, avec un simple emploi de barres obliques pour repérer les passages d'un vers à un autre.
Je vais citer ces trois extraits et, dans la foulée, le poème "Conseils à une petite moumouche" et vous allez voir pourquoi il est important de bien reporter les trois extraits poétiques.

De peur qu'on ne s'égare,
Cecy est ung cigarre

On diroit don Quixote
       Qui rote.

J'ai l'air ici,
      Si
Je ne m'abuse,
      Buse.
Conseils à une petite moumouche
    O Fuis la bouche,
             Mouche !
     Villemessant
             Sent.
     Fuis son haleine
             Pleine
      De l'odeur du
              Cu.
                                 (Albert Meilhan)
La première citation est un couple de vers de six syllabes. Il faudrait identifier l'écriture. Qui est l'auteur de ces deux vers ? Cette création minimale ne manque pas d'intérêt. Il y a un hiatus, ce qui est exceptionnel, même dans l'Album zutique, même si Rimbaud en a commis un également dans "Exil" : "Et qui a fait..." Nous avons deux "r" à "cigarre" et un "g" à la fin de l'article "ung", deux indices utiles à la prononciation affectée de ces vers. Ensuite, nous avons un "y" à "cecy". Ce "y" (ou cet "y" si vous préférez) implique-t-il une prononciation particulière ? Remarquez bien, si vous avez accès au fac-similé, qu'un "i" initial a été remplacé par un "y". ON a repassé à l'encre pour que le "i" devienne un "y". Il s'agit donc bien d'un fait exprès. Il peut s'agir d'une orthographe archaïque ou bien d'une façon, quoique peu évidente, d'inviter le lecteur à prononcer ce vers avec affectation, puisque suivent "ung" et "cigarre". Mais un autre détail retient mon attention. Les voyelles sont le A, le E, le I, le U et le O. Plus récemment, nous avons pris l'habitude d'y ajouter le Y, mais cela n'était pas systématique à l'époque de Rimbaud, comme chacun sait... De toute façon, le Y est une semi-voyelle et donc une semi-consonne. Il a une prononciation de consonne : "rayon de Ses Yeux" et une réalisation de voyelle : "Pythagore et physique". Dans le vers en question, je pense que la correction permet d'éviter l'hiatus. Il faut lire le "y" comme un "i" suivi de la prononciation de consonne du "y", comme à la fin du mot "famille" "Cecy[ll] est ung cigarre".
Pour la deuxième citation,la transcription me laisse perplexe. Denis Saint-Amand reprend la transcription proposée par Pascal Pia, avec une orthographe archaïsante "diroit" pour "dirait". Le problème, c'est qu'il n'est pas évident d'après le fac-similé de dire que nous avons indiscutablement affaire à un "o". Je vois bien que la forme est arrêtée, il n'y a pas la reprise vers le bas de l'écriture cursive pour repartir sur le "i", mais j'avoue hésiter quand j'essaie de déchiffrer le manuscrit. Même le "x" dans "Quixote" n'est pas clair, il ressemble à un "r". Bref, je ne sais pas s'il faut transcrire : "On diroit don Quixote" ou "On dirait don Quirote", les combinaisons offrant d'autres possibilités : "On dirait don Quixote" et "On diroit don Quirote". J'aimerais le confort d'une consultation directe du manuscrit lui-même. Je verrais nettement comment l'encre s'est imprimée dans le papier, jusqu'aux moindres détails. Il me faudrait faire des comparaisons graphiques pour les "a", "o", "x" et "r" de l'auteur de cette transcription, mais on ne sait même pas qui il est.
Ces deux premières citations sont visiblement de la même personne. En revanche, la dernière citation est de Valade lui-même. Il a donné un titre "Nuage" en-dessous de la caricature qui le représente, mais ce titre est sans doute bien plutôt le titre des quatre vers de la dernière transcription. Il s'agit d'autodérision : "J'ai l'air ici, / Si / Je ne m'abuse, Buse."
Les deux autres interventions sont d'une même personne, mais pour les commenter il faut s'intéresser aux dessins.
Le dessin tout à gauche représente Valade. Nous avons une borne rectangulaire, deux bras qui sont des brindilles minuscules avec deux mains grisées bien ouvertes, chacune ayant bien cinq doigts. Une des mains ouvertes tient, par la grâce du dessin, un énorme cigare qui fume abondamment. Si nous reconnaissons Valade, c'est que sa tête barbue est représentée plus soigneusement et fidèlement, avec deux yeux que je dirais en amande, un nez marqué aux narines assez dilatées. C'est aussi parce que le caricaturiste a ajouté son nom à la verticale en traçant à main levée des majuscules d'imprimerie.A côté de ce dessin, nous avons un corps sans tête monté sur des échasses. Le corps est monté sur des échasses, ce qui pour filer la métaphore animale fait que nous avons à côté de cette buse de Valade un grand échassier. Ce corps sans tête est habillé d'une jupe bien trop courte pour l'énorme sexe qui dépasse et pendouille. Au niveau du cou, nous avons une giclée de sang (c'est ainsi que j'interprète le haut du dessin) et enfin un bras musclé désigne le cigare que le Valade caricaturé tient dans une main. Et c'est juste au-dessus de cette main qu'est placé le couple de vers de six syllabes : "De peur qu'on ne s'égare, / Cecy est ung cigarre". Les propos sont donc attribués à ce corps sans tête et l'altération de la prononciation pourrait s'expliquer par le fait que ce corps parle par le cou.
Enfin, nous avons un troisième personnage représenté. Nous avons un corps bien habillé, les mains dans les poches, de profil, avec la tête d'Albert Mérat coiffée d'un chapeau haut de forme.
La tête de Mérat est dessinée avec le même soin et le même style que celle de Valade. Une flèche relie le corps sans tête au nez ou à la tête d'Albert Mérat, comme si celui-ci reniflait d'odorantes aisselles. Cette flèche favorise une déduction facile, la tête d'Albert Mérat est passée du corps sans tête représenté de profil à celui du bourgeois respectable. Mérat échappe ainsi à la représentation obscène. Et si nous revenons au dessin de Valade, nous comprenons que la représentation de son corps n'est pas fixée ou ne lui importe pas. Nous avons en quelque sorte, au centre un corps décapité, et de chaque côté l'imaginaire de Valade qui se préoccupe peu de son corps et l'autre celui d'apparat social de Mérat. Finalement, deux visions différentes de la décapitation.
A côté du Mérat bien habillé, nous avons donc la citation comique qui fait allusion au héros de Cervantès. Nous avons un jeu de mots et une espèce de rime riche "Quixote / Qui rote", je dis "espèce de" car la variation "x"/"r" fait que la rime n'est qu'en "ote". Il s'agit tout de même d'une rime calembour et le second vers se prononce comme toute la fin du précédent. Pardon aux hispanisants pour qui nous prononçons trois consonnes distinctes en les ramenant toutes à notre [R] français. Le rot peut avoir été inspiré par la giclée de sang au cou du corps décapité ou par la forme d'imbrication en goitre du cou de l'énorme tête de Mérat dans le corps de plus petites proportions d'un bourgeois bien habillé. Cette dernière hypothèse est la plus probable vu l'emplacement de la citation.
Etrangement, dans l'édition en Garnier-Flammarion de l'Album zutique, Saint-Amand identifie Valade, une cantinière et propose Blémont. En réalité, Pakenham a depuis longtemps identifié la tête de Mérat dans ce dessin et l'allusion à un tableau de H.-L. Lévy intitulé Hérodiade où c'est Mérat lui-même qui a posé pour représenter la tête décapitée de Jean-Baptiste portée sur un plateau par Hérodiade. Saint-Amand a simplement repris le texte inattentif de Bernard Teyssèdre dans le livre Rimbaud et le foutoir zutique. Informé correctement par Pakenham, Teyssèdre a corrigé son erreur depuis sur une page internet. Je la donne en lien, mais je ne suis pas forcément d'accord avec le détail de ce texte, d'autant qu'il y a des maladresses dans la rédaction de cette mise au point.


Il va de soi que Pakenham a fait une découverte importante. C'est dans le même numéro du 18 mai 1872 de la revue La Renaissance littéraire et artistique que nous avons la suite de quatre sonnets de Valade réunis sous le titre "Don Quichotte" (page 28) et une description par Jean Aicard du tableau Hérodiade exposé au "Salon de 1872" (page 27). Les deux pages sont le recto et le verso d'une même feuille de la revue. Toutefois, Jean Aicard ne dit rien du rôle de modèle joué par Mérat. Remarquons enfin que la série "Don Quichotte" fait suite à la première publication de Verlaine dans cette revue avec le titre "Romance sans paroles" pour ce qui deviendra la première des "Ariettes oubliées" dans le recueil de 1874. Le tableau de Lévy a été exposé à partir du 10 mai. Ainsi, ces dessins ont été reportés dans l'Album zutique, quand Rimbaud venait fraîchement de revenir loger à Paris. Mais Rimbaud ne contribue plus à l'Album zutique et nous ne nous empresserons surtout pas de prétendre que ces caricatures ont été faites en sa présence, ni même en la présence de Verlaine. En revanche, on peut penser que les visites au salon et la publication d'un poème de Verlaine ont favorisé une relative détente dans certaines relations. Valade et Mérat peuvent rire ensemble de caricatures à leur égard en prenant dans leurs mains un volume où figurent nombre de facéties rimbaldiennes obscènes.
Personne ne croira que ces dessins furent nettement postérieurs à la publication du numéro du 18 mai 1872 de la revue La Renaissance littéraire et artistique.
Dans l'article de mise au point que nous avons donné en lien, Bernard Teyssèdre explore plusieurs pistes pour trouver des sources à ces caricatures, mais elles sont loin d'être satisfaisantes (Burty, Silvestre, etc.). Il reprend aussi une hypothèse de Pakenham selon laquelle le corps en jupe représenterait Cabaner en cantinière, ce qui nous sceptique autant que Teyssèdre. Pourquoi Cabaner serait-il décapité ?
En fait, nous avons essayé de trouver des intertextes pour ces caricatures dans les quatre sonnets intitulés "Don Quichotte", ce qui est la démarche la plus logique.
Le premier sonnet est suggestif, les deux suivants n'ont pas l'air de fournir de matière, mais la fin du quatrième est éloquente. J'y vois la raison des échasses et la raison de cette jupe qui a fait songer à une cantinière :

Et veuille le destin, plus clément que Cervantes,
Epargner à l'horreur de nos derniers instants
L'édification des sots et des servantes.
De part et d'autre du mot au pluriel "sots", nous avons les mentions "édification" et "servantes". Le dessin représente un homme avec une jupe de servante et d'édifiantes échasses.
Le premier quatrain du sonnet reste suggestif également :

Où sont les hauts projets et les rêves de gloire
Qui te gonflaient le coeur, sublime aventurier ?
Ton front, qui paraissait attendre le laurier,
Penche, hélas ! alourdi d'une tristesse noire.

[...]

Si, dans le sonnet, le front penche, sur les caricatures, une tête a été décapitée. Les "rêves" sont représentés aussi dans la fumée du "cigarre" sur lequel une mise en garde nous invite à ne pas s'égarer. Il est question de "corps débile et vieux" également, ce qui correspond aux jambes de l'échassier, d'un "bras" qui "eut beau combattre", ce qui fait songer au bras musclé de ce personnage central. L'assimilation de Mérat à Don Quichotte est rendue possible par la lecture malicieuse du premier tercet du sonnet final de la série créée par Valade, à cause du mot "chimères" à la rime qui rappelle le titre du recueil le plus connu d'Albert Mérat :

Puissions-nous, traversant mille épreuves amères,
Mourir du moins sans vous renier, ô chimères,
Obstinés pour le beau, justes impénitents !
Les échasses remplacent le fait de monter "sur un cheval superbe et piaffant" , se substituent à l'idée que le "cheval" du héros de Cervantes ne soit "plus qu'une rosse honnie". Il est question aussi d'une Dulcinée transformée par la malchance en une "vachère indigne de tes voeux". Et on peut comprendre que la tête de Mérat a rejeté un corps indigne de ses voeux dans les caricatures du feuillet zutique. Je n'insiste pas sur le coeur gonflé qui met en tension le jet de sang par le cou avec l'intumescence visible sous la jupe du décapité.
Teyssèdre n'a pas exploité ces passages, mais il transcrit en intégralité les quatre sonnets sur le lien que nous donnons ici. J'ai utilisé directement une reproduction Slatkine de la revue.
Je ne vais pas essayer de renforcer mes rapprochements, on peut très vite exagérer et s'imaginer que Valade est dessiné en forme de moulin.
Il me manque encore des éléments pour affiner le commentaire, mais cela suffira pour cette fois en ce qui concerne les dessins. Pour les deux premiers extraits en vers, Teyssèdre les attribue à Charles Cros. Personnellement, je ne me suis pas penché sur le sujet. La graphie des "g" est déconcertante. Je ne trancherai pas pour l'instant. Pour le personnage qui se prend pour une "Buse", Teyssèdre se trompe. Le poème accompagne le titre "Nuage" et désigne le premier dessin, celui qui représente Valade, et c'est Valade lui-même qui l'a écrit. Il s'agit d'autodérision sur la caricature le représentant comme je l'ai déjà dit plus haut.
Ce qui m'intéresse maintenant, c'est la forme poétique des deux derniers extraits en vers accompagnant ces caricatures.
Quelqu'un, éventuellement Charles Cros, a composé deux vers de six syllabes, puis il a composé un couple d'un vers de six syllabes et d'un vers de deux. Il ne s'agit dès lors que d'un fragment, puisque la réunion d'une ligne de quatre syllabes et d'une de deux syllabes ne fait pas un vers. Il faut supposer que c'est un fragment d'un texte plus long.
En fait, cette pratique du vers acrobatique a pris son essor à partir des exemples de Victor Hugo dans les années 1820, dans les Odes et ballades. Nous avons un premier vers long et un second très court d'une, deux ou trois syllabes. Cette pratique permet les calembours, permet de créer une sorte d'écho, de caisse de résonance. Amédée Pommier a composé de tels types de poèmes, avant de composer des poèmes qui n'étaient qu'en vers d'une syllabe. L'allusion à Hugo, Banville, peut-être à Pommier, est évidente dans les deux vers "On dirait don Quixote / Qui rote", l'allusion à Pommier un peu moins. En revanche, le poème de Valade est une allusion évidente et à Hugo et à Pommier, et une allusion tout aussi évidente aux nombreux sonnets monosyllabiques déjà parsemés dans le corps de l'Album zutique. Pommier a composé, tout comme Hugo, des poèmes où un vers long est suivi d'un vers d'une syllabe.
Sur le recto du feuillet suivant, Camille Pelletan a transcrit, sans le signer de son nom, un court poème sur le même principe. Comme pour le quatrain de Valade, un vers sur deux est un vers d'une syllabe. L'orthographe "cu" de "cul" s'explique par les règles de la rime et l'allusion à Pommier est confirmée par le recours à la forme contractée "du" à la rime à l'avant-dernier vers. Je remarque qu'un autre monosyllabe employé par Pelletan est "Sent", l'odorat étant impliqué dans les caricatures du feuillet précédent, et je relève aussi le monosyllabe "Mouche" qui rime avec "Bouche".
La création de Pelletan est faussement attribuée à Albert Millaud, contributeur en rimes au journal Le Figaro dont le directeur était Villemessant. Un sondage dans les numéros d'époque de ce journal permettrait peut-être de dater la contribution de Pelletan et d'en expliquer la motivation. On peut penser à un ajout postérieur aux caricatures, après le 10 mai, sinon après le 18 mai 1872.
Quelques pages plus loin, un sonnet monosyllabique a été ajouté qui s'intitule "Sur Bouchor" et qui évite pourtant la mention "Mouche", mais pas la mention "Bouche". En revanche, si le sonnet "A un Caricaturiste" a bien été ajouté longtemps après les autres contributions au verso du feuillet 3, nous avons la reprise pour une même rime de "Bouche" et "Mouche". Y a-t-il un lien qui permettrait de relier "Conseils à une jeune moumouche" au sonnet "A un Caricaturiste" ? Telle est la question.

mardi 5 juin 2018

Sur le prétendu tiret à la fin du manuscrit autographe de "Voyelles", nouveau plantage super comique de Cosme Olvera !

Je reviens sur le livre Cosme de Guillaume Meurice, mais je vais effacer le précédent article prochainement.
Ce livre est malsain. Une personne qui se décrit proche de l'état de clochard se plaint qu'on ne reconnaisse pas son génie poétique. Cet écrivain, fin amateur de grande poésie, veut prendre une revanche sur la vie. Il s'agit de se moquer finalement de la réussite à l'école et des universitaires. Apprenez à vos enfants à cracher sur ceux qui les éduquent ou les élèvent vers un savoir, vous apprécierez le résultat... De toute façon, nous en sommes déjà là. Pour Guillaume Meurice, c'est l'occasion d'élever quelqu'un, patati patata, avec reconnaissance à la clef puisqu'il fait du coup la promotion de son acte généreux qu'est son livre... Son livre et les interviews qu'il accorde à ce sujet sont aussi l'occasion pour lui de se moquer de ceux qui apparaissent comme les détenteurs du savoir, de l'autorité, d'une sagesse, etc. Sous des dehors sympathiques, Meurice pratique un humour de vachard à corrosif. C'est une façon d'essayer sa force, sa capacité à être dominant dans un groupe, même s'il n'en a pas exactement le profil.
Voilà pour le cadre que j'associe à ce bouquin.
Je passe à la suite.
Cosme Olvera traite avec condescendance les universitaires et parle beaucoup de sa très intéressante vie dans le chapitre "Y" du livre qui lui est accordé. Il a pris la plume pour une lettre à "Je" et à "Tu" avec Rimbaud qui se termine par une exclusion méprisante des lecteurs :
Allée à ton célèbre :
"Je est un autre."
Je suis l'autre.
          [...]
Au plaisir de te relire,
Bien à Toi,

Cosme
Je passe sur la majuscule à "Toi" et évite de rendre la lecture plus subtile qu'elle ne doit l'être. En tout cas, on voit bien que le tutoiement s'adresse à Rimbaud et qu'il s'agit d'un échange circulaire de "Je" Cosme à "Toi" Rimbaud. Je ne développe pas sur les deux citations de Rimbaud et Nerval, je m'en cague.

En gros, sur 28 pages, Cosme fait beaucoup de digressions sur sa vie privée et sur ses pensées personnelles, plusieurs aussi sur ce qu'il pense des rimbaldiens, etc. Il reste déjà moins de pages pour une lecture. Un fait important, c'est que tout au long de cet ouvrage de Meurice et Olvera il nous est répété qu'il y a une lecture à venir ou en cours de "Voyelles", bref c'est ce qu'on suggère aux lecteurs. Ils quittent le livre et comme on leur a répété sans arrêt qu'ils étaient face à une lecture du sonnet ils se disent qu'ils ont lu une lecture du sonnet.

Non ! Il n'y a pas dans cet ouvrage de lecture du sonnet.
Une lecture, ça veut dire : préciser le sens des deux premiers vers et la logique qui organise les cinq associations du premier vers. Olvera ne l'a pas fait ! Cela veut dire aussi : montrer comment "noir corset" et "Golfes d'ombre" s'articulent, puis les séries du E, puis celles du I, et ainsi de suite. Cela veut dire aussi : comment l'ensemble du "A noir" s'articule au "E blanc", comment on passe du "A noir" au "E blanc", pourquoi selon un tel ordre, quelles sont les analogies qui font qu'on peut comparer le "A noir" et le "U vert", etc. Lire, c'est commenter le sens des expressions acceptées comme telles, pas le sens des mots, le sens des expressions. C'est commenter les rimes, les assonances, les figures de style, etc. C'est commenter la forme du sonnet, les rimes, les césures, etc ?
Tout ça, Olvera n'en fait rien.
Il y a bien des éléments d'une lecture, mais Olvera les a repris aux universitaires qu'il conspue, sauf qu'Olvera joue à ne pas dire clairement si les idées qu'il formule sont de lui ou d'autrui. Olvera n'a aucun droit der revendiquer la primauté pour l'idée qu'il n'exploite même pas en plus d'une allusion à la trichromie en optique pour la suite rouge vert bleu, aucune antériorité pour les allusions à l'Apocalypse avec l'ordre de "A" à "O" qui dessine l'idée du tout, "l'alpha et l'oméga", avec la trompette du jugement dernier dans le dernier tercet.
Olvera n'apporte qu'un élément de lecture. Il prétend que la suite noir blanc rouge vert vient de la succession dans le même ordre de ces quatre couleurs pour les quatre cavaliers de l'Apocalyspe, et, pour le bleu, il propose une béquille, ce serait la corruption du nom "Dieu" comme dans les injures "Parbleu", etc. Le raisonnement n'est pas sérieux. Du coup, il ne reste rien. Olvera propose ensuite une liste de considérations sur des mots du poème, mais je passe plus vite sur ce type de billevesées, en précisant qu'il faudrait expliquer en quoi il a fait moins hypothétique que les nombreux travaux antérieurs du même acabit.

Bref, Cosme Olvera ne peut plus désormais défendre comme apports personnels que des contributions qui n'ont strictement rien à voir avec la lecture, ni même avec la poésie.
Cosme Olvera fantasme sur "vibrements divins des mers virides" Il est convaincu que c'est le chiffre de la Bête derrière les trois "vi" alignés. Mouais ! Ils sont séparés par d'autres lettres, mais ce n'est pas grave. Sur le manuscrit autographe lui-même, l'écriture cursive en lettres minuscules ne permet pas d'identifier une allusion aux chiffres romains V et I. Bref, l'idée est assez foireuse. Cosme Olvera est également convaincu que Rimbaud graphie volontairement ses "d" comme des 6 à l'envers, et comme les prépositions et déterminants commençant par "d" sont inévitablement nombreux, Olvera ne peut que signaler à notre attention un 666 vertical si on tient à l'envers le manuscrit au centre des vers 3, 4 et 5. Sans commentaires ! Il revoit le 666 à l'horizontale comme à la verticale dans le dernier tercet, en alignant certains "d", mais pas les autres, car il il y a deux "d" dans le seul second hémistiche du vers 12, trois "d" dans le seul second hémistiche du vers 13, un "d" dans le seul second hémistiche du vers 14. Les "d" sont essentiellement dans les seconds hémistiches parce que quatre compléments du nom sont introduits par une préposition banale, deux "d" sont compris dans les mots "strideurs" et "Mondes" (je transcrits avec le point-virgule au vers 13 au lieu du double point, puisqu"Olvera croit légitime de transcrire ainsi ce signe de ponctuation :

plein des strideurs étranges,
des Mondes et des Anges ;
violet de Ses Yeux !
Je suppose que vous avez admiré la disposition en croix, très étudiée, puisque je vous ai dit à l'avance de repérer les "d" et les 666 à lire le texte à l'envers. Non ? C'est bizarre, moi non plus !
En plus, les "d" les mieux centrés sur la copie autographe ont une système de boucle très enveloppée qui s'éloigne précisément du dessin d'un "6". Pour qu'un "d" ressemble à un "6" à l'envers il faut le dessiner ou graphier sommairement, non ? Pourquoi des arabesques si Rimbaud veut qu'on lise un "6". Ces "d" ne sont même pas tous graphiés de la la même façon.
Tout ce que j'ai rappelé jusqu'à présent, il faut bien voir que c'était soit la préparation minutieuse du terrain pour donner un air saisissant à la grande révélation de la clef, soit un petit renforcement bidon, l'histoire de "d" à lire comme des 6 à l'envers.
On le voit, il ne reste rien, rien que les mises au point des conspués rimbaldiens. De fait, il y a deux allusions à l'Apocalyspe avec l'intertexte de "La Trompette du Jugement dernier" pour "Suprême Clairon" et avec l'ordre anormal de "A" à "O" et la mention "Oméga" pour citer l'expression de la totalité qu'est "l'Alpha et l'Oméga". J'ajouterais que l'idée de Lumière Verbe divin de saint Jean, l'auteur supposé de l'Apocalyspe, est derrière les associations "A noir, E blanc", etc.

J'en arrive à la révélation. Le poème comporte 666 caractères selon un principe de dénombrement sur le plan des caractères typographiques propres à l'impression, et si on inclut les espaces, mais au sens typographique du mot.
Il existe deux versions manuscrites du poème. Cosme Olvera prétend que la version de Verlaine n'offre par le bon nombre de 666 caractères, mais il ne précise pas le nombre qu'il a compté de caractères. Ensuite, l'autographe compte 666 caractères. Mais, là encore, Olvera nous explique que le poème est mal édité et qu'il n'y a pas 666 caractères..
Tenez-vous les côtes ! La copie de Verlaine comporte 667, la copie autographe telle qu'elle est imprimée 666.
Olvera ne sait pas compter. Selon son système de dénombrement, le poème tel qu'il est imprimé offre bien un ensemble de 666 caractères. Il existe 21 différences concernant le décompte entre la copie de Rimbaud et celle de Verlaine. Mais comme il  y a dix signes en moins et onze en plus, la copie de Verlaine permet d'arriver à 667 caractères.
Au lieu de considérer qu'il doit y avoir une coquille, Olvera préfère penser que Verlaine ne connaissait pas l'astuce des 666 caractères, ni même le sens profond du poème. Sacré Olvera ! Quel tacticien avisé ! Il n'a pas peur de faire rire de lui. A un signe près, on a le chiffre de la Bête dans la copie Verlaine, malgré les nombreux remaniements.
De surcroît, Olvera laisse planer l'idée que Verlaine modifie tranquillou tranquillette l'état du texte qu'il recopie. Allez, je change 21 signes du poème, c'est open bar ! D'accord !
Enfin, ne nous plaignons pas. Olvera a raté une occasion de présenter avec plus de force son code hypothétique, et c'est tant mieux !
Mais, ce n'est pas fini.
Olvera n'a pas précisé le nombre de caractères qu'il attribuait à la leçon autographe, mais il a proposé sa version imprimée. Elle nous est transcrite au milieu de la prose de Guillaume Meurice, page 17.
Même si vous ne comptez pas patiemment les 666 caractères, ce que j'ai pourtant fait par acquis de conscience, il suffit de prendre la version officielle et la version proposée par Olvera, et d'évaluer les différences. Il faut relever les différences, et à chaque considérer si on a des signes en moins, des signes en plus, ou un changement avec le même nombre de signes.
Pour les treize premiers vers, il n'y a qu'une différence, carrément le signe de ponctuation à la fin du vers 13. Au lieu du double point évident du manuscrit, Olvera opte pour un point-virgule. Sans doute parce que le point du bas est plus gros que l'autre. Mais, cela ne change pas le nombre de caractères, ça c'est un signe pour un autre.
En revanche, il y a deux différences pour le dernier vers qui cette fois implique suppression ou accroissement du nombre de caractères.

Voici la version correcte, suivie de la version prônée par Olvera :

- Ô l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !

-Ô l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !-
Pour ceux qui ont déjà compris ce que pesait le génie de la révélation d'Olvera, notez bien que la différence ne porte pas sur les lettres, mais sur un espace et un signe de ponctuation ! Déjà, ça vaut son pesant de cacahuètes !
Mais ce n'est pas tout. Olvera transforme le tiret initial en une ouverture de parenthèse, et c'est tout le dernier vers qui devient une parenthèse. La pointe du sonnet est une parenthèse. Chapeau, l'artiste !
Je donne évidemment la leçon de la copie faite par Verlaine qui coïncide avec la leçon correcte, juste que Verlaine ne flanque pas d'accent circonflexe sur le "O" et ne met pas de majuscules du divin à "ses yeux".
- O l'Oméga, rayon violet de ses yeux !
Mais, pour le calcul, qu'est-ce que ça change, Olvera enlève un espace et ajoute un tiret sans ajouter d'espace, puisqu'il le pense comme une parenthèse : 1-1=0. Même si on ne sait pas combien le poème compte de caractères, les deux seules différences qui modifient le décompte s'annulent entre elles. Olvera a pourtant apporté ces corrections dans le but de changer le nombre de caractères. Il le dit que la version officielle n'est pas satisfaisante. Quoi ? La version autographe n'était pas publiée comme ça avant 1997. Qu'est-ce que c'est que ce délire ? En tout cas, moi j'ai pris les éditions de référence. J'ai pris le texte dans l'édition de la Pléiade de 2009.  Je crois juste me rappeler qu'il y a de grosses erreurs dans le volume de La Pochothèque par Pierre Brunel en 1998. De mémoire, je sais qu'il y a une partie d'une version qui se retrouve dans l'autre. Mais, pour le reste, les éditions de l'autographe donnent un texte avec 666 caractères. Où était le problème pour la thèse d'Olvera ? Où était l'impossibilité pour le lecteur d'un jour découvrir que le texte comportait précisément 666 caractères ?
Voilà, on en remet une couche. Olvera qui lance des défis aux mathématiciens fait décidément bien rire.
Mais ce n'est pas tout.
Je passe sur son idée de parenthèse qui justifierait de faire sauter l'espace après le tiret initial, ce que contredisent les deux manuscrits, le "Ô" autographe lui-même n'est pas collé au tiret.
Voici maintenant la dernière clownerie dans cette histoire de cosmétique des lettres.
Je suis allé consulter les fac-similés du manuscrit autographe pour vérifier cette histoire de tiret final à ajouter. Il y a deux fac-similés dans le livre de Meurice : il y a une reproduction du manuscrit sur le bordereau bleu qui entoure le livre pour sa promotion et il y a un autre fac-similé à la page 8.
Je me disais : "Mais aucun éditeur n'a vu ce tiret, c'est quoi cette idée ?"
En fait, il y a après le point d'exclamation final une tache qui prend la forme d'une virgule à l'envers. Il s'agit d'une tache à hauteur d'un point final comme si le poète avait voulu ajouter des points de suspension, c'est plutôt une tache due à la fébrilité de la fin de transcription.
En tout cas, ce signe est bref, fort ramassé sur lui-même, et on ne peut en aucun cas le confondre avec un tiret. D'ailleurs, le tiret qui lance le vers 14 est assez long et il est épaissi par l'encre, Rimbaud ayant appuyé avec la plume à ce moment-là. Du coup, l'idée de rabattre un tout petit machin sur un long tiret me paraît débile et n'appelle plus aucun commentaire.
Sauf que... Olvera y croit et d'autres avec lui. Cela me surprend, parce que si quelqu'un croit que cette tache est un tiret c'est qu'il n'est pas très malin. Pourquoi donc des gens s'attachent-ils à cette idée de tiret ? Comment est-ce possible ? Je n'avais pas de réponse et je tranchais par un constat que la bêtise était assez répandue chez les gens.
Mais, du coup, je me suis dit que j'allais vérifier dans l'édition philologique de 1999 fournie par Steve Murphy (Arthur Rimbaud, Oeuvres complètes I Poésies, Honoré Champion), surtout qu'avec sa minutie je sais qu'il commente parfois des trucs insignifiants. Eh bien, ça n'a pas raté ! Je vais maintenant vous donner la transcription du vers 14 de la copie autographe de "Voyelles" par Murphy et la note qui l'accompagne (excusez-moi si sur ce blog les tirets sont assez courts).
14      - Ô l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !           - A. Rimbaud
14      On pourrait proposer un second  <-> en fin de v., mais ce trait semble plutôt être une sorte de paraphe, compte tenu de sa position très basse sur la ligne.

Quand j'ai vu ça, ma première réaction a été d'effroi. Après, je me suis un peu calmé et j'ai essayé de comprendre. Je me suis dit : "Mais il est fou ? (Note : il me faut du temps pour me calmer après un tel choc !) Ce signe ne peut pas être confondu avec un tiret ?" J'ai lu plus attentivement la note. Cette virgule à l'envers ne peut pas passer non plus pour un paraphe. Que veut dire Murphy par une "position très basse sur la ligne", puisque cette tache comme une virgule à l'envers est à hauteur du point d'exclamation final. Pire, la transcription du dernier vers gondole vers le haut. L'écriture montre jusqu'à "violet" puis relle redescend un peu. Bref, le soi-disant "signe" n'est pas plus bas. En revanche, bien en-dessous du "A", il y a un long trait oblique qui monte de gauche à droite, et ce trait à peine plus long que le tiret initial aurait pu passer pour un tiret, quoique ? (pas pour moi, en tout cas), s'il avait été à peu près à hauteur du vers 14. Le signe est même en-dessous du "A" de la signature, donc aucun risque qu'on le prenne pour un signe ponctuant le vers 14. C'est pourtant ce qu'a fait Murphy qui, à mon avis, a étudié ce manuscrit, un jour où il était très fatigué. C'est évidemment à ce signe oblique que songe Murphy, puisque d'une part c'est un trait droit long qui occupe une "position très basse" et puisque c'est effectivement un paraphe. Murphy avait-il le manuscrit sous les yeux quand il a rédigé cette note, la mention "très basse sur la ligne" a l'air de confondre les deux traces du manuscrit, d'un côté une ridicule tache miniature en forme de virgule à l'envers qui est en "position très basse sur la ligne" et de l'autre un trait droit long très en-dessous de la ligne.
Murphy a mis un trait long devant le nom "A. Rimbaud", ce qui confirme qu'il confond les deux traces d'encre.
En réalité, il aurait dû transcrire ainsi le vers 14 (désolé si la barre est trop verticale) :

14        - Ô l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux !                 A. Rimbaud
                                                                                             /

Olvera prétend que sa découverte date de 1997. Il n'aurait rien fait depuis. Je trouve bizarre que cette idée saugrenue de tiret de fin de vers ait été formulé avec maladresse par Murphy. J'ai plutôt l'impression qu'Olvera, qui de toute façon ne le cite pas en 2018 !!!, a lu le texte de Murphy, a mis les pieds dans la confusion et a mordu à l'hameçon.
Ri-di-cule !

Il faut dire que nous étions prévenus. Les sonnets d'Olvera qui nous sont offerts en pâture dans le livre de Meurice sont d'une nullité accablante. Je ne parle même pas de la présentation typographique qui est glauque, pire encore que celle de l'édition dans la Pochothèque en 1998.
Olvera pratique des vers qui ne respectent pas les règles traditionnelles. Il se croit peut-être dans la continuité de Rimbaud pour le traitement des césures, des "e". Au vers 5 de "Genèse", il écrit "Célestement gemmées de pensées et de sèves", avec un "e" de "gemmées" à la césure et avec du coup deux "e" languissants, puisque "gemmées" et "pensées" se suivent. Il doit penser prolonger Rimbaud qui écrivait dans "Fêtes de la faim" : "Pains couchés aux vallées grises!"
Trois remarques : 1) Imiter cela en 2018, c'est juste mécanique : qu'Olvera fasse cela ou un autre, ça n'engage pas le futur de la poésie, il suffit de singer le truc désormais ! 2) on me répliquera que dans ce cas les poètes qui innovaient se sont souvent singer eux-mêmes, mais sans avoir besoin de rappeler que les contextes n'étaient pas les mêmes et maintenaient la valeur sulfureuse d'une innovation pour un temps, au moins les vers de Rimbaud, comme celui que je viens de citer, on les lit avec délectation. 3) J'ignore si Olvera a pu songer à ce vers de "Fêtes de la faim", je parie que non, mais notez que le vers de Rimbaud relève sa licence par un trait de perfidie "couchés", "vallées", "grises" avec un effet prosodique dans l'enchaînement "vallées grises" pour avoir le compte exact. Qu'on rehausse ou non les "e" languissants du vers d'Olvera, on a quelque chose de plat sans effet sensible.
Olvera abuse aussi des assonances naturellement abondantes en français, les "é" et les "an". Aucun poète ne s'interdit de jouer avec de telles assonances, mais aucun vrai poète ne prend le risque de les associer aussi platement : ils n'ont pas envie de braire comme des chèvres, ils veulent faire de la poésie, séduire par la difficulté vaincue et par des effets prosodiques inattendus. Le jeu sur les assonances en "é" demande aussi d'éviter que ça ne coïncide sans arrêt avec une forme participiale ou d'origine participiale : "entremêlés", "cernés", "scellé", "gemmées", "pensées", "cendrés", "gréées", etc. Je ne dis rien que de très connu !

Qu'est-ce que vous pensez de ceci ?

L'Eternelle Mer s'engendre, en l'effervescence
Des enchevêtrements entremêlés... Elle est,
-Extrême envers des Temps cernés- le Sens scellé :
[...]
Célestement gemmées de pensées et de sèves
-Tels les reflets, cendrés d'ébènes, de Nefs gréées
Enflées de vents cléments !...- secrètement créées...
Et le Vent, en de tendres bercements de rêves,

[...]

Je vous prie encore de lire avec sensibilité : "En le Centre des Sept Sphères" ou "Le Ventre est l'Emblème des Présents de l'Eden..." ou "L'Eternelle / Ensemence Les Terres désertées de ses Âmes..."
Les vers d'AmédéE Pommier, Verlaine appelait cela des "choses".
Ah ! pour la poésie de Cosme Olvera, ce sont les cuisiniers qui en parlent le mieux.
Jean-Pierre Coffe, qu'en pensez-vous ? "Mais, c'est de la Meer-de !"

lundi 4 juin 2018

Le monostiche "L'Humanité chaussait le vaste enfant Progrès", la parodie ironique et sa limite.

Je n'ai pas envie d'écrire en ce moment, c'est comme ça.
Il n'en reste pas moins que, depuis longtemps, je laisse de côté le cas du monostiche attribué à Ricard et transcrit par Rimbaud dans L'Album zutique.
Il ne s'agit pas d'une citation prise dans l'oeuvre de Ricard, mais j'ai lu les recueils de ce poète et j'ai relevé un certain nombre de vers qui entraient en résonance avec celui de Rimbaud, surtout à cause des mots clefs "Humanité" et "Progrès" et à cause de la métaphore de la marche appliquée au progrès.
Le meilleur de mes rapprochements a été cité dans l'édition de la Pléiade en 2009.
Quelques articles ont suivi.
Bruno Claisse a publié un article où il rappelle bien scrupuleusement que la découverte intertextuelle vient de moi, scrupule qu'il n'a pas eu au sujet de l'intertexte de Leconte de Lisle dans "Soir historique" qui vient aussi de moi et qui n'est qu'une partie des intertextes qui relient Leconte de Lisle à "Soir historique", soit dit en passant pour ceux qui veulent me prendre de la réserve inédite.
En attendant, la lecture de Claisse consiste à penser que Rimbaud se moque de la candide idéologie du Progrès de Louis-Xavier de Ricard, ce qui n'a pas satisfait Bernard Teyssèdre qui consacre dans son livre Rimbaud et le foutoir zutique quelques pages à ce monostiche en revenant sur l'article tout récent de Claisse, ce qui prouve encore une fois que ce livre a été rédigé dans l'urgence pour me faire barrage publiquement.
Mais, voici le monostiche :
"L'Humanité chaussait le vaste enfant Progrès."
On a une construction : sujet verbe COD, le verbe est à l'imparfait. Les seuls indices d'ironie seraient dans l'emphase de l'adjectif "vaste" et de l'apposition "enfant Progrès".
Il y a longtemps déjà, Jean-Pierre Chambon a fait remarquer le cafouillage. Le verbe "chaussait" peut signifier "mettre des chaussures à quelqu'un" ou bien "se servir de quelque chose comme d'une chaussure". Il y aurait là une équivoque sexuelle. L'allure ampoulée du vers favorise d'ailleurs cette lecture d'une Humanité qui met son pied dans un enfant, plutôt que celle plus posée et cadrée d'une Humanité qui mettrait des chaussures aux pieds d'un géant. Un troisième sens moins défendable serait de lire que l'humanité est la chaussure de l'enfant Progrès, l'Humanité se faisant marcher dessus.
Le deuxième sens a l'air le plus logique, mais le premier sens obscène est favorisé par le contexte d'une transcription dans un Album zutique.

Si on laisse de côté la recherche parodique, le monostiche est à l'imparfait. L'Humanité chaussait le vaste enfant Progrès, donc maintenant elle ne le chausse plus. Et la question à se poser ensuite, c'est à quel moment "L'Humanité chaussait le vaste enfant Progrès", est-ce qu'elle le chaussait du temps de la Commune, pendant l'une ou l'autre Révolution, pendant un court laps de temps dans la vie politique ?
Il me semble que le couperet de la Semaine sanglante explique l'imparfait. Et si on continue de laisser de côté l'idée comique, nous aurions la formulation d'un regret, d'une souffrance causée par la ruine des espoirs du côté de l'insurrection communaliste.
Le monostiche ne va pas sans moquerie à l'égard de la pensée de Ricard, mais une moquerie non sans sympathie pour ce réfugié communard ami de Verlaine. Il a un aspect d'autodérision. Et, en effet, l'association "Humanité", "Progrès" et métaphore d'une marche du progrès, vrai en avant providentiel, est courante, excède l'oeuvre de Ricard, et surtout si nous oublions la question des vers et des alexandrins nous pourrions trouver bien d'autres sources aux vers de Rimbaud.
Par exemple, le principal modèle pour l'insurrection communaliste, ce n'est même pas Proudhon, ce serait non pas Proudhon, mais Blanqui.
Blanqui a passé une grande partie de sa vie en prison. Il s'est fait connaître dès la Révolution de Juillet 1830, il a fait parler de lui à plusieurs reprises ensuite, et pas seulement lors de la révolution de 1848. Pour la Commune, s'il était incarcéré au moment de l'événement, il a eu une participation clef en amont avec son action à la fin de l'année 1870 et la publication de son journal La Patrie en danger.
Dans les textes des années 1830 que nous avons pu consulter de Blanqui, l'association "Humanité", "marche", "progrès" revient dans un certain nombre de phrases. Il s'agit clairement d'un article de foi révolutionnaire repris par Ricard.
Je prépare une étude sur les textes de Blanqui. Je voulais citer à l'instant les phrases à rapprocher du monostiche de Ricard, mais voilà j'ai égaré ce livre, je dois remettre la main dessus. Les citations viendront plus tard.
Selon moi, le monostiche attribué à Ricard est un peu ambivalent. Il exprime un regret et, en même temps, met à distance la flamme qui portait cette aspiration par de l'autodérision. De mémoire, la lecture de Claisse considère la parodie de Rimbaud comme opposant un Rimbaud lucide à la niaiserie de la foi communaliste de Ricard. Cela me paraît outré comme vision. C'est pour cela que je patiente et que j'essaie de trouver les éléments qui justifieront mon approche plus nuancée.