Extrait de notre article intitulé « A
propos de l'Album zutique »
paru dans le numéro spécial Rimbaud de la revue Europe
en 2009 :
[…] Mais il est une autre influence de Verlaine
qu’il convient maintenant de traiter. En effet, d’où est venue
cette manie zutique des sonnets monosyllabiques ?
Cas à part de l’intrusion de Nouveau
A un caricaturiste au verso du feuillet 3, Léon Valade semble
l’initiateur zutique de cette mode avec une série de trois sonnets
Eloge de l’Ane [sic], Amour maternel et Combat naval. La
distribution en deux séries étant peut-être accidentelle, Rimbaud
n’a composé que trois Conneries finalement, ce qui le rapproche de
la série des trois poèmes « valadifs ». Toutefois, il a varié
les effets. Il a composé un sonnet d’hexasyllabes Paris et un
sonnet de dissyllabes Jeune goinfre. Enfin, il a composé un sonnet
monosyllabique Cocher ivre. Steve Murphy a bien vu que Jeune goinfre
et L’Angelot maudit faisaient allusion à la série de poèmes de
La Comédie enfantine de Louis Ratisbonne, où il est question de la
gourmandise d’un petit enfant prénommé Paul. Ajoutons que
l’allusion à la diligence de Lyon par Verlaine lui-même dans le
corps de l’Album zutique pourrait figurer un autre écho au recueil
de Ratisbonne, puisque dans le poème Le Relais le petit Paul joue
cette fois à la diligence. Derrière la parodie de Ratisbonne, Paul.
Verlaine est la cible des deux poèmes de Rimbaud, même si sa
présence est moins évidente dans L’Angelot maudit. Notez, tout de
même, outre l’usage un peu verlainien des distiques, l’écho
entre « La Rue est blanche, et c’est la nuit[,] » et la clausule
de L’Heure du berger dans les Poëmes saturniens : « Blanche,
Vénus émerge, et c’est la nuit. » Dans Cocher ivre, titre qui
fait songer à celui de Bateau ivre, la mention verbale : « clame » impose
un rapprochement « sonore » avec le poème Marine des Poëmes
saturniens, poème qui témoigne d’une certaine virtuosité
formelle par le recours aux mètres brefs et le jeu resserré des
assonances et allitérations. Toutefois, Marine n’est pas un sonnet
monosyllabique et cette distinction suffit à rendre fragile le
rapprochement verlainien, car Verlaine n’a peut-être jamais
composé de sonnet monosyllabique, si ce n’est le poème zutique
Sur un poëte moderne. Ce dernier poème vise non pas Leconte de
Lisle, mais François Coppée, auteur d’un recueil de Poëmes
modernes. Ceci dit, il pose un problème d’attribution et n’est
donc peut-être pas de Verlaine. Ainsi, la solution de notre petite
énigme n’est pas à chercher dans les poésies du Pauvre Lélian,
mais ailleurs.
Justement, Verlaine a publié le 2
novembre 1865 dans la revue L’Art un compte rendu de l’ouvrage de
Barbey d’Aurevilly Les Œuvres et les hommes. Le premier temps de
l’article concerne les poètes et Verlaine pourfend les jugements à
l’emporte-pièce du célèbre polémiste :
Par exemple, je ne sais à quoi attribuer l’enthousiasme de M.
Barbey d’Aurevilly pour M. Pommier […] En l’honneur des
colifichets dont je vous donnerai tout à l’heure un échantillon,
M. Barbey d’Aurevilly tire un feu d’artifice qui éclipse tous
ceux de tous les Ruggieri : « Homme étonnant qui n’a besoin que
d’une syllabe pour vous enchanter, si vous avez en vous un écho de
poète, – qui serait Liszt encore sur une épinette, et Tulou dans
un mirliton », etc., etc.
Or, voici l’échantillon promis :
BLAISE. – Grogne !
Cogne
Mord !
Être
Maître
Veux.
ROSE. – Va, je
Rage.
Gueux ;
Bûche ! etc.
Et, six pages après les louanges accordées à ces choses, M. Barbey
d’Aurevilly s’indigne contre les « sornettes enragées et
idiotes » des Odes funambulesques, sur lesquelles je m’empresse de
déclarer ne point partager du tout son avis. […]
La querelle ne s’arrête pas là.
Barbey d’Aurevilly va encore reprocher aux parnassiens de ne pas
avoir accueilli son ami Amédée Pommier dans leur volume, et, en
novembre 1866, il publie ses satiriques « 37 médaillonnets du
Parnasse ». Or, la colère de Barbey d’Aurevilly est relayée par
une publication anonyme qui parodie le titre du Parnasse
contemporain, en reprenant à peu près le suffixe du méprisant «
médaillonnet » : ce sera le Parnassiculet contemporain, recueil
disponible sur Gallica. La préface évoque un chinois circulant dans
les rues de Paris sur le mode d’étrangeté du Croquis parisien de
Verlaine, mais surtout, probablement composé par Alphonse Daudet,
apparaît un remarquable spécimen de sonnet monosyllabique Le
Martyre de Saint Labre.
Le sous-titre de celui-ci est éloquent
: Sonnet extrêmement rhythmique, puisqu’il cite le poème La Nuit
du walpurgis classique, en présupposant que Verlaine, en tant que
friand amateur des effets de virtuosité formelle, semble bien
inconséquent de refuser le titre de poésies aux tentatives
monosyllabiques du « métromane » Amédée Pommier. On sait que
Verlaine a très mal pris cette moquerie et qu’il s’en est pris
physiquement à Alphonse Daudet, lors d’une cérémonie académique
récompensant le recueil Les Chimères d’Albert Mérat. L’Album
zutique comporte d’autres parodies infantilisantes de la poésie
effectivement frivole d’Alphonse Daudet. On trouve le Pantoum
négligé de Verlaine, mais aussi Intérieur matinal de Charles Cros.
En relisant le poème zutique de Cros, Germain Nouveau a ajouté tant
bien
que mal sur le même feuillet un sonnet
monosyllabique A un Caricaturiste, en-dessous d’une caricature
représentant Le petit Chose. Germain Nouveau a-t-il su le rôle joué
par Daudet dans la mode zutique du sonnet monosyllabique ? Il nous
est impossible de répondre, mais nous espérons que le lecteur
appréciera nos arguments historiques.
**
Extrait d'un article
d'Alain Chevrier intitulé « Les Sonnets en vers
monosyllabiques de l'Album zutique »
paru dans le numéro 22 de la revue Parade sauvage
en 2011 :
[...]
S'il
est un sonnet que les poètes de l'album devaient très bien
connaître, c'est Le Martyre de Saint Labre.
Il est sous-titré « Sonnet extrêmement rythmique » :
Labre,
/ Saint / Glabre, / Teint // Maint / Sabre, / S' cabre, / Geint !
// Pince, / Fer / Clair ! // Grince, / Chair / Mince !
C'est
un poème du Parnassiculet contemporain
(1867), un pastiche féroce des poètes paraissant dans les
livraisons du Parnasse contemporain
depuis 1866, adeptes du sonnet et de la rime riche. Il est attribué
à Alphonse Daudet.
Saint
Benoît-Joseph Labre fut célèbre pour sa maigreur affreuse (d'où
la forme « mince ») et pour sa vermine, mais il ne fut
pas martyrisé.
Le
sous-titre reprend ironiquement le vers de Verlaine dans Nuit
du Walpurgis classique, dans Les
Poèmes saturniens (1866) :
« Un rhytmique sabbat, rhythmique, extrêmement / Rythmique. »
En effet, rien n'est plus « rythmique » dans le genre
qu'un poème en vers monosyllabiques. Le poète n'a pas reculé
devant l'apocope pour se faciliter la tâche et se moquer de sa
cible.
Les
auteurs de l'album ne pouvaient pas ne pas connaître non plus Amédée
Pommier, un romantique « fantaisiste » créateur de
formes curieuses.
Verlaine,
dans son compte[ ]rendu de Les Œuvres et les hommes
de Jules Barbey d'Aurevilly, dans [L']Art
en 1865, s'étonne de son enthousiasme pour Amédée Pommier, qui est
« au plus un versificateur amusant », et cite
l'échantillon de vers monosyllabiques extrait d'un dialogue entre
Blaise et Rose. Barbey d'Aurevilly a défendu ce petit romantique
méconnu et satirique, en même temps qu'il attaquait les Parnassiens
dans le Nain jaune en
1866, dont Verlaine dans Les Trente-Sept Médaillonnets du
Parnasse contemporain. […]
**
J'ai
demandé des explications à la revue Parade sauvage
que je n'ai jamais reçues. Pourquoi Alain Chevrier s'est-il
réapproprié ma thèse sans me citer, d'autant que de mon texte au
sien il y a de la perte ?
Alain
Chevrier n'est pas un universitaire, mais il a publié des ouvrages
où il étudie de préférence des formes poétiques singulières :
le décasyllabe de chanson aux deux hémistiches de cinq syllabes
surnommé « taratantara », l'alternance des rimes
masculines et féminines ou le jeu sur les mots monosyllabiques en
poésie. Il avait donc en 2002 publié un livre intitulé La
Syllabe et l'Echo et sous-titré
Histoire de la contrainte monosyllabique.
Il n'est pas question que des vers d'une seule syllabe dans cet
ouvrage de presque 600 pages. Il est question de l'emploi de
monosyllabes dans la poésie latine, de textes en vers ou en prose
entièrement composés de monosyllabes, de rimes couronnées et de
techniques d'échos entre mots qui se suivent, etc. Il est aussi
question de poèmes en forme de losange sur le principe repris par
Hugo dans Les Djinns.
Chevrier cite un grand nombre de poèmes où les vers d'une syllabe
sont mélangés à d'autres types de vers, et il s'intéresse
forcément aussi aux vers de deux et trois syllabes. Des poèmes
anglais, allemands, italiens ou espagnols sont également cités à
l'occasion.
C'est
aux pages 330-331 qu'il cite, mais sans que cela n'ait rien d'inédit,
le célèbre sonnet en vers monosyllabiques de non pas Jules, mais
Paul de Rességuier, il s'agit incontestablement d'un chef-d'oeuvre :
Fort
Belle,
Elle
Dort !
Sort
Frêle !
Quelle
Mort !
Rose
Close
La
Brise
L'a
Prise.
Dans
la suite de ce livre La Syllabe et l'Echo
comme dans son article de 2011, Chevrier insiste sur le fait que ce
poème était connu et souvent cité, notamment dans les traités de
versification, ce qui en fait le modèle dont tous les auteurs de
sonnets monosyllabiques du dix-neuvième siècle se sont inspirés.
Toutefois, à la page 272, Alain Chevrier a cité un exemple
remarquable de poème en vers d'une syllabe. Il ne s'agit pas d'un
sonnet, mais d'un extrait de 12 vers dont l'irrégulière
organisation des rimes sera plus rapidement cernée par le regard
scrutateur que par un commentaire laborieux :
De
Ce
Lieu
Dieu
Mort
Sort,
Sort
Fort
Dur,
Mais
Très
Sûr.
Le
poème est remarquable par les rimes sur des « e »
instables « De » et « ce », mais un tel type
de rime est favorisé par la contrainte des monosyllabes. Surtout, Chevrier indique que cette citation figure dans le Lycée
ou Cours de littérature ancienne et moderne
de Jean-François La Harpe. Celui-ci ne cite pas le poème en entier
et il parle d'un « échantillon », mot qui, si nous nous
reportons à notre citation plus haut, jaillit sous la plume de
Verlaine quand il commente l'intérêt ridicule de Barbey d'Aurevilly
pour les « colifichets » monosyllabiques d'Amédée
Pommier. La Harpe écrit : « […] on a mis la Passion en
vers d'une seule syllabe. Voici un échantillon de cette pièce
bizarre, qui, je crois, n'a jamais été imprimée, et qui n'est
connue que de quelques curieux [...] » Alain Chevrier ne citera
pas le poème en entier, ni ne donnera une référence. Nous
apprendrons seulement que l'auteur est probablement l'abbé de Gua à
partir d'une série de recoupements. En revanche, il cite un autre
ouvrage Amusements philologiques ou variétés en tous
genres, paru en 1824, d'un
certain Gabriel Peignot qui affirme que ce n'est pas un extrait, mais
bien la pièce complète, les douze monosyllabes formant un
alexandrin, l'auteur en serait un certain abbé de G... Le problème,
c'est que le peigne en question cite les douze vers à la suite en
ajoutant un « Etc. » malheureux. L'idée de la création
d'un alexandrin est pertinente, il n'était pas difficile d'imaginer
un premier jet « De ce lieu Dieu... » puis avec un travail
d'application de poursuivre le couplage des mots à l'aide d'une
rime. L'idée initiale aurait été de créer un vers monosyllabique
à la façon de celui célèbre de Phèdre :
« Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon cœur »,
et un prétexte aurait été saisi au vol de rimer à l'intérieur du
vers. Le « Etc. », signifierait que l'expérience s'est
ensuite prolongée et confirme donc qu'il ne s'agit que d'un extrait
de poème, son début vraisemblablement. Néanmoins, ce qui
m'intéresse, c'est la manière d'introduction de La Harpe qui semble
bel et bien imitée par le railleur Verlaine et aussi la coïncidence
de certains mots à la rime entre cet extrait du dix-huitième siècle
et le poème de Paul de Rességuier. Celui-ci a visiblement considéré
que les rimes du poème cité par La Harpe étaient organisées
n'importe comment et que la rime « De ce » n'était pas
recevable. Il a décidé d'adopter la forme du sonnet et il s'est
ingénié à produire une syntaxe souple et harmonieuse,
mais il a repris apparemment la série centrale Mort / Sort / Sort /
Fort, en éliminant l'équivoque maladroite « Sort, Sort »
pour construire l'une des deux séries rimées de ses quatrains :
Fort / Dort / Mort / Sort. Cette idée que le poète Paul de
Rességuier s'est directement inspiré du « tour de force »
de l'abbé du Gua n'est pas envisagée par Chevrier. Il ne rapproche
pas les deux compositions dont il parle à pratiquement 60 pages
d'intervalle (page 272 contre page 331). En revanche, à la page 335
de sa somme historique, Chevrier cite un extrait d'un roman satirique
de Louis Reybaud paru en 1843 et intitulé Jérôme Paturot
à la recherche d'une position sociale,
il s'agit d'une raillerie à l'égard des romantiques qui offre un
extrait de la plume d'un imaginaire « Paturot poète
chevelu » :
Comme titre
d'admission, je composai une pièce de vers monosyllabiques que l'on
porta aux nues et qui débutait ainsi :
Quoi ! / Toi,
/ Belle / Telle / Que / Je / Rêve / Eve ; / Soeur, / Fleur, /
Charme, / Arme, / Voix, / Choix, / Mousse, / Douce, etc/
Et ainsi de suite,
pendant cent cinquante vers. Lancé de cette façon, je ne m'arrêtai
plus.
Chevrier
fait remarquer « qu'à la fin du fragment présenté de
son poème il cède à la facilité en se contentant de mettre des
mots qui riment à la queue leu leu. » J'ignore si la
présentation des vers sur une seule ligne à l'aide des barres vient
du texte original ou plus probablement de Chevrier lui-même, mais
j'observe le « etc. » qui fait songer à la citation du
poème de l'abbé de G... par Gabriel Peigné en 1824 et je relève
aussi des rimes sur « e » instable « Que Je ».
Enfin, l'adjectif « Belle » est une allusion évidente au
poème de Rességuier qu'accompagne l'écho de « Fleur »
à « Rose ».
Et
nous en arrivons à la mise au point sur les vers monosyllabiques
d'Amédée Pommier aux pages 336-347 du livre d'Alain Chevrier. Tout
au long de ces pages, s'il est question de la reconnaissance de
Barbey d'Aurevilly, il n'est jamais question de l'article de Verlaine
de 1865 que j'ai cité dans la revue Europe
en 2009 ! Alain Chevrier était donc bien passé à côté d'un
document de première importance qui permet d'expliquer la genèse
des sonnets monosyllabiques dans l'Album zutique
et j'ai toute légitimité à me plaindre de ne pas avoir été cité
dans l'article qu'il a ensuite publié en 2011 en reprenant cette
fois la dispute entre Verlaine et Barbey d'Aurevilly, dispute que j'avais
songé à mettre en avant, tout en liant étroitement le titre
satirique de Barbey d'Aurevilly « médaillonnets » à
celui du volume conçu par Daudet, Arène et consorts
« Parnassiculet ». Le pire, c'est qu'en reprenant à son
compte ma remarque, Alain Chevrier transforme l'essentiel en une
considération seconde. Il gomme la part polémique importante qui a
présidé à l'élaboration des sonnets monosyllabiques zutiques, il
minimise la compréhension des faits du point de vue de l'histoire littéraire.
En
2002, dans le livre La Syllabe et l'Echo,
Chevrier présente l'œuvre d'Amédée Pommier en insistant sur son
goût pour les « rimes en écho », les « vers
trisyllabiques » et les « vers d'une syllabe »,
comme il présente le cas d'un poème en vers de deux syllabes, mais
à aucun moment il n'en fait directement le modèle des poètes
zutiques. Le lien est sous-entendu, puisque l'ouvrage de Chevrier se
veut une somme historique qui fixe forcément des antériorités.
Mais Chevrier n'effectue aucune liaison, il traite successivement les
cas qui se présentent à lui. Dans le cas d'Amédée Pommier, il
cite à la page 343 le poème Sparte
sous-titré « En style laconique »
Etant le nombre conséquent de vers pour cette pièce, je reprends
ici volontiers la présentation économe de Chevrier :
SPARTE
En style laconique.
A Victor Bétoland,
le savant traducteur d'Apulée.
Dure – Loi ;
- Sûre – Foi ; – Chastes – Moeurs ; – Vastes –
Coeurs ; – Mâles – Gars ; – Pâles – Arts ; –
Braves – Chauds ; – Graves – Mots ; – Âmes –
Blocs ; – Femmes – Rocs ; – Maîtres – Fiers ;
– Piètres – Serfs ; – Princes – Gueux ; – Minces
– Queux ; – Riches – Faits ; – Chiches – Mets.
Comme
le précise Chevrier, le sous-titre fait allusion à la forme grêle
du poème et même à sa pauvreté syntaxique (« énumération
de substantifs + adjectifs (ou substantifs adjectivés), sans
article, dans une phrase sans verbe. »).
Ce
poème sera à nouveau cité par Chevrier dans son article de 2011,
mais sans faire l'objet d'un rapprochement plus précis avec un
quelconque sonnet en vers monosyllabiques de l'Album
zutique. Pourtant, le sous-titre
« En style laconique » a déjà un mérite considérable
celui d'avoir servi de modèle au sous-titre du sonnet en vers
monosyllabiques de Daudet Le Martyre de Saint Labre
qui est sous-titré « Sonnet extrêmement rythmique » en
référence à un des Poèmes saturniens
de Verlaine. Ni en 2002, ni en 2011, Chevrier n'observe l'important
rapprochement entre le sous-titre de Sparte
d'Amédée Pommier et le sous-titre du Martyre de Saint
Labre de Daudet, alors qu'il
s'agit d'un élément capital de la satire du Parnassiculet
contemporain, puisque comme la
dénomination « Parnassiculet » appuie le jugement de
Barbey d'Aurevilly dans ses « médaillonnets » tournés
contre les membres du Parnasse contemporain le sous-titre de Daudet
assimile l'art de Verlaine à l'art de ce même Amédée Pommier dont
il reprochait l'admiration à précisément Barbey d'Aurevilly,
circularité parfaite.
Mais
ce n'est pas fini. J'ignore si quelqu'un a jamais relevé le
rapprochement évident entre le début du poème Sparte
et l'unique sonnet en vers d'une syllabe qui nous soit parvenu de
Rimbaud : Cocher ivre.
Le début du second quatrain « Âcre / Loi » est une
démarcation de « Dure / Loi », cependant que « Chastes
/ Moeurs » est quelque peu inversé par « Pouacre /
Boit » et, tandis que « Vastes / Cœurs » et
« Mâles / Gars » sont détournés par « Nacre /
Voit », le mot « Femmes » au pluriel passe au
singulier dans le sonnet de Rimbaud. La rime en « -oit »
est bien évidemment une reprise, mais la prédominance du son [a]
passe aussi de l'un à l'autre poème, « Âcre » étant
une sorte de compromis complexe, résonnance du [r] de « sûre »,
possible équivoque avec l'homophone « sure » pour
arriver à « âcre » et reprise du [a] fort présent dans
les 20 premiers des 32 vers de Sparte.
Or, le modèle d'Amédée Pommier provient d'un recueil intitulé
Colifichets, jeux de rimes
(1860) que Verlaine moque en glissant au sens courant du mot
« colifichets » dans son attaque contre Barbey
d'Aurevilly : « En l'honneur des colifichets dont je vous
donnerai tout à l'heure un échantillon. » Dans cette citation
de Verlaine, il est aisé de remplacer le mot « colifichets »
par cet autre : « conneries ». Car le titre
« Conneries » de Rimbaud est une démarcation du titre
« Colifichets » d'Amédée Pommier.
Malgré
les publications de Chevrier, je n'ai pas remarqué dans la masse des
études sur l'Album zutique
de rapprochement immédiat entre « Âcre / Loi » de
Rimbaud et le début de Sparte, ni entre le titre « Conneries » et celui de
« Colifichets ». Il s'agit ici de considérations
inédites et nous allons voir qu'il est au moins une autre source à
la composition de Cocher ivre
dans l'œuvre d'Amédée Pommier.
L'autre
poème que Chevrier ne peut manquer de citer n'est autre que la pièce
Blaise et Rose. Il
s'agit selon les sous-titres d'une « églogue réaliste, en
langage marotique », « dédiée à Rabelais ». Une
didascalie nous avertit que « (la scène est dans un bois). »
L'échange amoureux entre Blaise et Rose prend la forme d'un dialogue
tout entier constitué de monosyllabes, avec, et ceci a son
importance, une organisation en rimes évidemment, mais une organisation
irrégulière. Si Blaise croise les rimes des quatre mots suivants
qu'il énonce d'une traite : « Jure Moi Pure Foi »,
Rose sature par une seule rime les trois premiers de sa réponse et
fait rimer le dernier avec la voix de son compagnon : « Zeste !
- Peste ! - Reste Coi. » On peut reconnaître l'efficacité
comique du procédé « Reste Coi » répondant par rime à
« Jure Moi Pure Foi ». L'effet aurait été moins réussi si
« Peste » avait été sacrifié à une rime en « -oi ».
Ceci dit, l'organisation des rimes est capricieuse tout au long du
poème. La lecture n'est d'ailleurs pas évidente, tant les mots
semblent juxtaposés à la va comme je te pousse. Verlaine a
parfaitement raison de mépriser un tel auteur. Il n'y a aucun souci
de la difficulté vaincue dans le poème Sparte,
tandis que Blaise et Rose
donne l'irrépressible impression d'un fatras insupportable à lire.
Je renonce à la transcription d'un poème aussi long, j'observe
toutefois la présence étonnante d'un passage qui semble s'inspirer
du poème de « Paturot poète chevelu » : « Prendre
/ Dois / Tendre / Voix. / Mainte / Plainte / Feinte / J'oys. / -
Douce / Mousse / Pousse / - Là ». Le Pommier, il ne grimpe pas
haut, c'est un vrai fou furieux. Dans son article pour la revue
Parade sauvage en
2011, Chevrier précise que les vers cités par Verlaine en 1865 pour
se moquer du mauvais goût de Barbey d'Aurevilly étaient précisément
un extrait de cette pièce indigeste intitulée Blaise et
Rose. Chevrier ne va pas manquer
d'effectuer un rapprochement plus qu'imparable avec le sonnet
monosyllabique Causerie
de Charles Cros dans l'Album zutique.
Mais en réalité plusieurs poèmes zutiques s'inspirent directement
de Blaise et Rose, et
je ne citerai ici que le seul qui m'intéresse, l'unique sonnet
monosyllabique connu de Rimbaud : Cocher ivre,
dont on a déjà vu qu'il s'inspirait de Sparte.
L'idylle tourne mal dans le dialogue poétique inventé par Pommier,
les deux amants se disputent violemment, et rappelons que Verlaine a
cité précisément un passage où l'échange se fait quelque peu
injurieux et vulgaire : « Grogne ! - Cogne ! -
Mord ! - Être – Maître – Veux. », à quoi Rose
répond : « Va-je – Rage. - Gueux ! - Bûche ! »
Cette fenêtre n'est pas suffisante pour apprécier la réécriture
de Rimbaud, élargissons donc la citation :
BLAISE :
Fâche- / Toi. / Prie ; / Crains ; / Crie ; / Geins. /
Grince ! / Pince / Fort ! / Grogne ! […]
Nous
venons de faire apparaître le mot « Geins » devenu le
subjonctif « Geigne » absurdement employé en tant
qu'impératif à la fin de Cocher ivre,
à moins d'un tour optatif dans une syntaxe laconique :
« Geigne » pour « Qu'elle geigne ! » En
fait, le sonnet Cocher ivre
parodie la forme de Rose et Blaise
en épinglant le manque d'organisation des rimes par la séparation
anormale des rimes « Femme » et « Clame »
entre « Tombe », « Lombe » et « Saigne ».
Pommier n'a pas commis une telle outrance, mais il y fait songer. Par
exemple, ce début de réplique de Blaise : « Fâche- /
Toi. / Prie ; / Crains ; » aligne quatre mots qui ne
riment pas ensemble. Il faut un certain effort de concentration pour
ne pas perdre de vue « que « Fâche- / Toi » rime
avec la fin de la réplique antérieure de Rose : « Lâche-
/ Moi ! » Cela est aggravé par le fait que les rimes ne
sont pas toujours croisées : « (Rose :) Lâche- / Moi /
(Blaise:) Fâche- / Toi. / Prie ; / Crains ; / Crie ;
/ Geins ; / Grince ! / Pince / Fort ! / Grogne !
/ Cogne ! / Mord / Être / Maître / Veux. [...] »
« Grince » et « Pince » rompent avec le
modèle des rimes croisées, et on peut se demander comment analyser
la suite de « Grince » à « Mord », soit
comme une rime plate suivie d'une rime embrassée, soit comme un
sizain AABCCB. Le mot « Veux » fait attendre une rime.
Ces irrégularités montrent que le poète Amédée Pommier ne
surmonte aucune difficulté formelle et ce défaut est d'autant plus
gênant que la condensation des rimes rend la lecture
particulièrement pénible. Le lecteur qui veut apprécier doit sans
arrêt se demander si tous les mots ont bien rimé ensemble, et c'est
cet état de confusion que moque Rimbaud dans la chute de son sonnet
avec sa très forte irrégularité dans l'ordre des rimes et aussi
sans aucun doute avec cet invraisemblable subjonctif « Geigne »
qui transforme le laconisme de l'expression en incorrection pure et
simple, comme pour dire que non seulement nous n'avons pas affaire à
un poète mais à quelqu'un qui ne sait même pas parler
correctement. Malgré l'alibi de la langue du seizième siècle
(Marot et Rabelais), c'est bien l'impression laissée par les
maladroites inversions dans Rose et Blaise :
« L'âge sage fait », « Même vieux, j'aime
mieux », « Puis, l'ange saint fange craint. »,
« Prendre dois tendre voix », « Haute faute cuit.
Prompte honte suit. », « Reine mienne, très près toute
boute-toi. », « Chaque claque m'est lait. », etc.
Il 'agit d'un véritable charabia. Or, Rimbaud a encore repris
d'autres éléments à ce poème. Plus haut, j'envisageais « Pouacre
/ Boit » comme une inversion du motif « Chastes /
Mœurs », ce qui reste un lien assez lâche, mais « Pouacre
/ Boit » reprend directement « Maîtres / Saouls »
d'une réplique de Rose qui précède directement celle où il
déclare vouloir être maître et la faire geindre ! Quant au
mot « Nacre », ne s'agit-il pas d'une substitution
transparente au nom « Rose » lui-même ? Avec l'idée
de couleur, « Nacre / Voit » est aussi une réplique
à « Une / Brune / Plaît » dans la bouche de Blaise.
Blaise
est tout simplement en train de chercher à forcer Rose qui n'entend
pas se laisser violer et injurie copieusement son agresseur (Buffle !
Muffle! Ou « Groin ! ») en le menaçant : « Ne
/ Bouge / Pas / Ou je / Te / Tape. / Tiens, / Chien, / Jappe ! »
Passons sur le cas du « e » qui une fois ne compte pas
pour la mesure une fois compte (Ou je / Te, le cas « Va, je /
Rage » étant pire encore), même si cela a dû attirer
l'attention de Rimbaud, et venons-en à la réaction de Blaise. Il
s'empare d'elle, puisqu'elle crie « Lâche-moi », il se
dit lui excité par la difficulté de la joute. C'est le passage
sadomasochiste qui survient alors et qu'a choisi de citer Verlaine en
1865. Rose continue d'insulter, à tel point qu'il faut deviner toute
la laideur de la scène à partir des seuls jurons : « Gueux !
- Bûche ! - Sot ! Cruche ! Pot ! Pire Sire
Qu'un Hun ! Rogue Dogue ! » Ce n'est-i pas beau ?
Voici
en retour les insultes de Blaise : « Rude prude » et
« Nulle mule n'a cette tête-là ! » L'injonction au
viol ponctue sa réplique « Cède ». Tout cela est de
fort bon goût. Rose crie à l'aide puis se dit "lasse" (le désir de viol n'est pas exclu dans cette pièce savoureusement ludique). Le cri « Aïe »
de Rose consacre alors le triomphe de Blaise qui s'écrie « Fleur
n'aye peur ! » Rose se demande ensuite « Qu'ai-je
fait ? » et parle d'une « perte » face à un
« Homme / Dur / Comme / Mur », enfin elle se
regarde vaincue et perdue : « Nue vue tue-moi ! »,
ce que Blaise évacue de sa pensée tout à son plaisir égoïste :
« Brame, / Femme ! Pâme-toi ! » Fouette,
cocher,.... Rimbaud a transposé le viol d'Amédée Pommier dans son
sonnet monosyllabique en en conservant la sauvagerie sadomasochiste.
Le début du sonnet, les quatrains en tout cas, adopte le style
laconique du poème intitulé Sparte,
les deux derniers vers au style direct sont un condensé extrêmement
violent de la dispute verbale entre Rose et Blaise. L'articulation
des quatrains aux tercets se fonde sur une symétrie verbale « Fiacre
/ Choit » et « Femme / Tombe » où les verbes sont
à double sens. Il s'agit dans les deux cas d'une chute physique
doublée d'une chute morale. Le mot « lombe » en relation
avec lombaire annonce la douleur dans les reins qui justifie que la
femme « saigne » et « geigne ».
N'oublions
pas de préciser que le mot « Geins » de Pommier a été
repris par Daudet dans son sonnet Le Martyre de saint Labre
sous la forme « Geint » à la fin du second quatrain :
Labre, / Saint /
Glabre, / Teint // Maint / Sabre, / S'cabre, / Geint ! // Pince,
/ Fer / Clair ! // Grince, / Chair / Mince !
Avec
« Geigne », Rimbaud pratique la double allusion. Il
parodie à la fois Pommier et Daudet et c'est le poème de Daudet qui
explique la transposition partielle de Rose et Blaise
(histoire sexuelle scabreuse, style verbal des impératifs et
discours direct) dans la forme d'un sonnet. Daudet reprend lui le
verbe « Pince » du poème de Pommier. Il est d'ailleurs
intéressant d'observer que le cœur du poème dissyllabique de
Rimbaud Jeune goinfre
n'a pas que pour intertexte des vers de Louis Ratisbonne,
puisque les vers « Casquette / De moire, / Quéquette /
D'ivoire, // Toilette très noire, / Paul guette […] » sont
une reprise et amplification du modèle d'apposition initiale
« Labre, / Saint / Glabre », tandis que la fin du sonnet
« Paul guette / L'armoire, / Projette / Languette / Sur poire,
/ S'apprête, / Baguette, / Et foire »[,] sont une reprise de
l'autre partie du sonnet de Daudet : « Teint // Maint /
Sabre, / S'cabre, / Geint ! // Pince, / Fer / Clair ! //
Grince, // Chair / Mince ! »
Pour
ce qui est de la forme « Clame », Rimbaud a pu la repérer
dans le poème à vers courts Marine
des Poèmes saturniens.
Il s'agit d'une forme à l'impératif, ce qui coïncide avec la
prédominance de ce mode verbal dans le poème Blaise et
Rose. Les autres sonnets
monosyllabiques de l'Album zutique
ont également parodié les abondants impératifs du poème d'Amédée
Pommier, signe que l'allusion du poème de Rimbaud a bien été
comprise par tous (Causerie
de Charles Cros, Autre Causerie
et Sur Bouchor du
contributeur Germain Nouveau (bien qu'il ne fût pas du cercle du
zutisme), Ereintement de Gill
de Valade (lequel Gill a parodié Coppée en un dizain en évoquant
le plaisir d'un viol fort proche de l'esprit du poème d'Amédée
Pommier), Invocation synthétique
d'Henry Cros (mais sans obscénité cette fois), Sur un
poëte moderne de Verlaine,
Néant d'après-Soupée
de Valade qui reprend en même temps la fin de Sparte :
« Change / Mes / Mets ! »
Le
mot « Clame » peut entrer en résonance avec bien des
mots des deux poèmes monosyllabiques de référence d'Amédée
Pommier, j'ai déjà parlé de la prédominance du [a] dans Sparte
et le poème Blaise et Rose
offre à la rime des mots tels que « Blâme »,
« Claque », et surtout à la toute fin du poème
« Brame » ou « Pâme » : « Brame,
/ Femme ! / Pâme- / toi ! » « Clame »
rime avec l'avant-dernière rime, d'ailleurs allongée, du poème de
Pommier, et il comporte l'attaque « cl » de « claque ».
Il n'est guère besoin de justifier outre mesure l'emploi sonore du
mot « Clame », mais pourtant il retient notre attention
pour une dernière raison singulière.
Il
existe un long poème tout en vers d'une syllabe qui est parfois cité
dans les anthologies, il a été publié en 1878 dans Le
Figaro et il a été attribué à
Baudelaire, lequel était mort des années auparavant pourtant. Ce
poème s'intitule Le Pauvre diable.
Chevrier ne manque pas de citer un tel poème dans son livre de 2002,
mais au lieu de le citer dans sa perspective chronologique, en 1878,
après les performances de l'Album zutique
et des Dixains réalistes,
il le cite dans la foulée des poèmes des années 1840 qu'il a
étudiés, prenant en quelque sorte acte de l'attribution à
Baudelaire.
Or,
cette attribution à Baudelaire est hautement suspecte et avant de
déplacer cette pièce dans le temps il conviendrait d'étudier de
plus près ce long poème en le considérant premièrement dans son
contexte, celui de 1878. Car, ce poème Le Pauvre diable
n'est rien d'autre qu'un équivalent des sonnets monosyllabiques
désinvoltes du cercle du zutisme. En 1878, il vient après des
publications de poèmes monosyllabiques dans La Renaissance
littéraire et artistique, dans
la Revue du Monde nouveau,
après la plaquette des Dixains réalistes
et la reprise des réunions autour de Nina de Villard. En 1878,
plusieurs membres du Cercle du Zutisme sont présents, publient et
participent à la vie littéraire parisienne : Léon Valade et
Charles Cros notamment. Car, ce à côté de quoi il ne faut pas
passer, c'est que ce long poème a été composé par quelqu'un qui
connaissait très bien l'Album zutique,
à tel point qu'il s'est directement inspiré de Cocher
ivre : « Clame, /
Geint, / Brame... / Fin ! » « Geigne » est le
dernier mot du sonnet rimbaldien, l'auteur du Pauvre diable
n'est pas loin de conserver cette position, mais il rétablit la
forme « geint » du milieu du poème de Pommier (avec le "t" du sonnet de Daudet toutefois), il
reprend également la forme « Clame » de Rimbaud et la
conjoint à la forme « Brame » de Pommier, en étant
visiblement conscient que la forme de l'un répondait à la forme de
l'autre, en quasi fin de poème. Plusieurs autres formes du poème Le
Pauvre diable sont inspirées de
vers zutiques : « Mouche », etc., ou bien du modèle
original qu'est Blaise et Rose :
« Va / Pâle / Fou », etc., etc.
Profitons-en
pour rappeler que nous ignorons tout de la transmission de l'Album
zutique entre 1872 et les années
1930. Personne ne soupçonnait son existence lorsqu'il est apparu
dans la librairie Blaizot. Dire que Charles Cros l'a remis à
Coquelin Cadet, cela n'est qu'une hypothèse que rien n'appuie. Mieux
encore, deux poèmes de l'Album zutique
sont dédicacés à Léon Valade, dont un par collage, ce qui indique
qu'il était perçu en 1872 comme le détenteur ou propriétaire du
précieux manuscrit. Le précédent Album des Vilains
Bonshommes a péri dans
l'incendie de l'Hôtel de Ville pendant la Commune, selon un
calembour de Verlaine dans sa correspondance. Valade travaillait à
l'Hôtel de Ville et par ailleurs Verlaine et Valade ont contribué
et à l'Album des Vilains Bonshommes
et à l'Album zutique,
ce qu'atteste le sonnet à deux mains La Mort des cochons
qui figurait dans le premier et qui a été recopié dans le second.
Charles Cros lui n'a pas participé au premier album d'après ce que
nous savons sur lui ! Les contributions de Nouveau, Richepin ou
Bourget révèlent aussi que le manuscrit a pu passer de main en
main, et nous pouvons envisager qu'il n'ait pas été rendu à son
propriétaire. Les facéties zutiques faisaient énormément rire les
anciens compagnons de Rimbaud et Verlaine, certains poèmes zutiques
sont publiés dans des revues, sinon des recueils (Charles Cros).
Charles Cros, son idée, c'était le groupisme, ce que Rimbaud a
transformé en zutisme. Mais le projet d'album était l'affaire de
Valade et Verlaine, la correspondance de Verlaine en 1871 établit
clairement ce fait. Charles Cros a proposé un groupe parallèle à
celui des Vilains Bonshommes, tandis que Valade et Verlaine ont
apporté le projet d'album. Cros a recréé un cercle du zutisme,
mais il ne semble pas avoir créé un nouvel album dans le même
esprit, le cas du recueil des Dixains réalistes
étant un prolongement de son expérience zutique, mais pas un nouvel
album du même profil. Quant à Valade, il était fort ami avec un
ennemi déclaré de Rimbaud, Albert Mérat. N'oublions pas que
Champsaur, Mirbeau citeront avec malveillance des vers inédits de
Rimbaud de 1880 à 1885, que certains eurent connaissance du Sonnet
du trou du cul. A l'évidence,
il faut complètement revoir l'histoire du long poème monosyllabique
Le Pauvre diable dans
la perspective post zutique. Arène, contributeur au Parnassiculet contemporain, s'est rapproché de zutistes avec la Revue du Monde nouveau. Il y a fort à parier que l'Album zutique ait été montré à des gens du profil de Paul Arène à cette époque.
Je
pourrais aisément compléter cet article en commentant la présence
du texte de Pommier dans d'autres parodies zutiques. En tout cas, je
tiens à insister sur ce qui suit. Malgré ses travaux sur les poèmes
en vers d'une syllabe, Chevrier, ni personne n'avaient repéré les
réécritures d'Amédée Pommier dans les deux sonnets Cocher
ivre et Jeune goinfre,
ni la déformation du titre Colifichets
en Conneries, ni les
réécritures zutiques du Pauvre diable,
ni le fait que l'Album zutique
était en possession de Valade et non de Cros. Ce sont des
considérations nouvelles propres à cet article. Par ailleurs, mon
article de 2009 qui ne s'appuyait pas sur le livre La
Syllabe et l'écho paru en 2002
formulait une thèse inédite sur la raison de cette production
abondante de sonnets monosyllabiques. Il s'agissait de réponses au
Parnassiculet contemporain
et au sonnet Le Martyre de Saint Labre
de Daudet, lequel avait « surfé » sur la dispute
opposant Verlaine et Barbey d'Aurevilly au sujet des vers d'Amédée
Pommier et du mépris de Barbey pour les parnassiens. Daudet était
coutumier du fait, puisque dans son roman, démarqué de Charles
Dickens, Le Petit Chose,
il se moque des poètes contemporains par des créations
excessivement gamines et en particulier de Leconte de Lisle avec un
poème à faire se pâmer les amoureux du sanscrit ou quelque chose
de cet ordre. J'ai lu Le Petit Chose
il y a longtemps et je me rappelle d'un invraisemblable poème sur
l'histoire d'une coccinelle. Le titre « Le Petit Chose »
est cité par Nouveau dans un sonnet monosyllabique de l'Album
zutique, preuve s'il en était
encore besoin que tout cela se tient, et d'ailleurs il y a bien d'autres
choses à dire à ce sujet, mais nous ne pouvons prolonger
indéfiniment cette étude. Chevrier reprend l'aspect factuel de ma
thèse, sans me citer, et il l'affadit. Les zutistes n'ont fait
qu'hériter de la verve satirique du Parnassiculet
contemporain. Non, Verlaine,
initiateur important du projet de nouvel album, avait une dent contre
Daudet. Peu importe que les autres zutistes copinèrent à nouveau
par la suite avec Paul Arène. En 1871, autour de Verlaine, les
zutistes composent des sonnets monosyllabiques et des dizains (ou
dixains) qui permettent de se défouler contre Barbey, contre Daudet,
contre Coppée, contre Ratisbonne, et quand on creuse attentivement
cette veine on fait parler les textes et on découvre que les poèmes
de Rimbaud et des autres ne sont pas gratuitement comiques et qu'ils
se font écho entre eux.
Post scriptum : Notez que le célèbre sonnet de Paul de Rességuier est souvent attribué à un Jules, ce qui est amusant puisque le sonnet de Daudet fait passer Paul Verlaine pour un mauvais Paul de Rességuier dans une dispute avec un Jules, Jules Barbey d'Aurevilly. Je citerai probablement in extenso les poèmes ici traités de Pommier, ainsi que Le Pauvre diable, et pour "Fouette, cocher..." que je lance plus haut dans l'article, il s'agit du début d'une chanson paillarde.
Ah oui, j'allais oublier : les vers sur l'ange qui craint la fange dans Blaise et Rose n'annoncent-ils pas le sujet de L'Angelot maudit ?
Voilà.
Post scriptum : Notez que le célèbre sonnet de Paul de Rességuier est souvent attribué à un Jules, ce qui est amusant puisque le sonnet de Daudet fait passer Paul Verlaine pour un mauvais Paul de Rességuier dans une dispute avec un Jules, Jules Barbey d'Aurevilly. Je citerai probablement in extenso les poèmes ici traités de Pommier, ainsi que Le Pauvre diable, et pour "Fouette, cocher..." que je lance plus haut dans l'article, il s'agit du début d'une chanson paillarde.
Ah oui, j'allais oublier : les vers sur l'ange qui craint la fange dans Blaise et Rose n'annoncent-ils pas le sujet de L'Angelot maudit ?
Voilà.