En relisant L'Education sentimehtale de Flaubert, j'ai eu la surprise de tomber sur un passage étonnamment proche de vers de Rimbaud.
Dans Jeune ménage, le poète présente non les deux jeunes mariés, mais leur chambre. Le premier quatrain est concerné par l'extérieur. La chambre accueille, sans doute par l'ouverture de la fenêtre, le bleu oriental du ciel, un bleu de Bethléem comme l'analyse finement Benoît de Cornulier. Les vers 3 et 4 précisent :
Dehors le mur est plein d'aristoloches
Où vibrent les gencives des lutins.
Les aristoloches sont une plante malodorante qui, dans un but de reproduction, emprisonnent les insectes qui doivent se débattre pour se libérer, ce qui permet la pollinisation. Il s'agit d'une plante associée symboliquement à l'accouchement que, selon une croyance, elle favoriserait. C'est aussi une plante ornementale romantique des vieux murs, car assimilée à une mauvaise herbe elle n'en donne pas moins du charme aux surfaces qu'elle recouvre. D'ailleurs, parmi les tapisseries les plus réputées on rencontre celles dites "à l'aristoloche", ce qui témoigne bien de la valeur esthétique du motif.
Dans le poème, il est question d'un ménage qui ne fait pas son travail de couple ("rien ne se fait") et le marié, alors absent, est trompé par les esprits qui pénètrent ce lieu et cela suppose donc la grossesse surnaturelle de l'épouse dans une moderne Bethléem.
Le récit se moque visiblement de la naissance du Christ, quelque peu transposée ici par touches allusives.
Le vers trois concentre les implications du mot "aristoloches". Nous avons à la fois la plante qui va favoriser l'accouchement, d'autant que s'y mêle la présence lutinante de lutins, l'idée d'une mauvaise herbe signe de négligence, et aussi une valeur romantique esthétisante sur un mur.
J'ai depuis fait une recherche sur internet. L'idée romantique des aristoloches et notamment du mur s'en habillant est moyennement fréquente. J'ai constaté aussi qu'une ballade d'Emile Bergerat, mais apparemment datée de 1908, avec dans son refrain le nom de "François Coppée" qui revenait sans cesse était composé sur un nombre conséquent de rimes en "-oches", parmi lesquelles une mention du nom "aristoloches", mais surtout j'ai constaté que la première référence était celle de ce texte de Flaubert qui venait de me surprendre et que je cite ci-dessous.
Nous sommes dans la troisième partie du roman, à son deuxième chapitre. Frédéric Moreau s'est laissé séduire par un vaurien chef d'entreprise Jacques Arnoux et découvre qu'il a une femme honnête dont il tombe instantanément amoureux. Pour se rapprocher de cette femme, Frédéric devient l'ami du vulgaire escroc et mari infidèle qu'est Jacques Arnoux et fréquente à ses dépens toute une faune sociale qui le conduit à vivre d'un désoeuvrement morne où rien ne lui réussit, rien ne le satisfait, rien ne l'épanouit, rien n'est vraiment lui-même. Et toute son éducation consiste à se dévoiler progressivement sa propre dépravation du coeur, encore qu'il en a moins conscience que le lecteur. Le roman est conçu de manière à reconduire par intervalles des paragraphes ou groupes de paragraphes qui sont autant d'épigrammes assez sèches, et un usage remarquable est fait des pronoms pour souligner le décalage entre la vie auprès du mari et l'amour que le héros voue à l'épouse honnête de celui-ci. Le récit d'une vie de petits riens nous est comptée, avec ses vicissitudes. Le héros remplit cette vie d'une proximité illusoire avec l'être aimé et surtout il méconnaît les amours d'autres femmes qui s'intéressent à lui, avec un cas de pédophilie inversée du côté de la petite Louise, et bien sûr une autre symétrie étonnante en la personne de Rosannette, cocotte qui est une des maîtresses d'Arnoux, mais qui a une sorte de passion non partagée pour Frédéric. C'est auprès de la fille du demi-monde que Frédéric va finir par remplacer Jacques Arnoux, mais le roman n'est pas si déconstruit qu'il y paraît, car entre-temps l'évolution lente de la relation platonique entre Frédéric et madame Arnoux a abouti à un rendez-vous. Nous pénétrons les intentions peu louables de Frédéric qui rêve d'un adultère pur et simple. Mais, le fils de madame Arnoux tombe malade, ce qu'elle interprète comme un signe de Dieu, et ce n'est qu'à ce moment-là que sans comprendre clairement pourquoi madame Arnoux n'est pas venue au rendez-vous un Frédéric plein de vengeance s'unit à Rosanette dans la chambre louée où il avait prévu de consommer l'adultère avec la femme de son ami. Nous sommes déjà à la toute fin de la deuxième partie du roman en pleine tourmente des événements de 1848. Dans la troisième partie, Louise devenue adulte va perdre ses illusions d'être aimée de Frédéric, alors que celui-ci l'a entretenue dans l'espoir de l'épouser. Frédéric se retrouve bientôt amant à la fois de Rosanette et d'une grande dame madame Dambreuse, tandis que reflue déjà l'espoir d'une union avec madame Arnoux. Frédéric s'applaudit même de sa perfidie. Sa dépravation est totale. Le passage que j'ai à citer se situe chez les Dambreuse et précède l'anéantissement des espoirs amoureux de Louise, voici ce qui m'a frappé :
Les dames formaient un demi-cercle en l'écoutant ; et, afin de briller, il se prononça pour le rétablissement du divorce, qui devait être facile jusqu'à pouvoir se quitter et se reprendre indéfiniment, tant qu'on voudrait. Elles se récrièrent ; d'autres chuchotaient ; il y avait de petits éclats de voix dans l'ombre, au pied du mur couvert d'aristoloches. C'était comme un caquetage de poules en gaieté ; et il développait sa théorie, avec cet aplomb que la conscience du succès procure.
Cette rencontre m'a d'autant plus surpris qu'il n'est pas question ici d'accouchement, mais plus largement de la notion de ménage, de couple. Remarquons que dans la suite du roman Frédéric va se montrer d'une atroce indifférence à la naissance et mort du fils qu'il aura de Rosanette qui, elle, découvre les joies du coeur de la maternité. Peu soucieux des douleurs de la mère en deuil, Frédéric va rompre d'une manière spectaculaire avec elle, en la jugeant qui plus est coupable d'un acte qu'elle n'a pas commis.
Je ne traite pas encore outre-mesure une rencontre qui vient de me surprendre, d'autant que le symbole d'accouchement, voire de fécondation, ne pose pas problème dans le poème de Rimbaud, alors que cette idée est plus diffuse dans le roman flaubertien. Ce qui m'a frappé n'est pas que le seul mur "couvert" ou "plein d'aristoloches", mais aussi le parallèle entre les "gencives des lutins" et les "petits éclats de voix dans l'ombre" qui signent la faillite des unions conjugales.
J'ai d'autres rencontres à proposer entre L'Education sentimentale et la poésie rimbaldienne. J'ai parlé récemment de la repartie de Deslauriers au début du roman qui se sent de la "race des déshérités" au point qu'il ne trouvera pas la femme idéale et que son "trésor" se perdra, ce que j'ai rapproché du "trésor" confié à la misère et à la haine dans Une saison en enfer, en précisant bien ne pas y voir un intertexte, mais une rencontre d'époque intéressante en soir.
Je m'intéresse aussi à la présence de la Révolution de 1848 dans le roman L'Education sentimentale qui a été terminé et publié en 1869.
L'attachement à Rimbaud se fait bien souvent par-delà la sensibilité à sa poésie. Certains s'identifient à Rimbaud pour l'homosexualité, d'autres pour des raisons politiques. Mais, dans le champ politique, outre que l'identification intemporelle en cette matière ne peut manquer d'être assez délicate et bien frêle, il existe une relative confusion entre le communisme de la Commune et le communisme marxiste. Evidemment, la Commune de 1871 ne saurait être marxiste en tant que telle. Karl Marx d'ailleurs n'approuvait pas la Commune au début, puisqu'il vivait encore à l'époque de l'événement, il ne l'a récupérée politiquement que par la suite. Les membres de l'Internationale ne composaient pas le personnel politique de la Commune et le communard Lissagaray n'a été marxiste qu'ultérieurement.
Enfin, il faut une cécité considérable pour s'imaginer Rimbaud marxiste. Rimbaud est un idéaliste déçu, ce qui n'est déjà pas conciliable avec le matérialisme historique, et Rimbaud encore, français de chez France ou "Parisien" comme il le voulait, n'a pas du tout l'esprit de système d'un penseur allemand, et si il doit en élaborer il est encore une fois visible qu'il est assez têtu pour avoir ses propres idées et convictions et non s'en remettre à un gourou comme bon nombre d'intellectuels du vingtième siècle.
Il faut au contraire bien considérer que Marx s'est inspiré de maintes idées françaises, puisque la France était traversée de révolutions et émeutes depuis 1789. Toutefois, le marxisme a une présence de poids dans les universités françaises et éclipsent l'idée que Rimbaud fut un poète libertaire et la Commune une tentative de révolution dans la reprise d'idées socialistes bien différentes de 1848.
Le mot de communisme est employé en 1848 et il se rencontre dans L'Education sentimentale.
Mais le gros morceau c'est la question du prolétaire. Le marxistes acceptent que la Commune ne soit pas marxiste à condition qu'elle soit bien le modèle de la révolution prolétaire.
Comme l'a déjà bien indiqué Yves Reboul, le déroulement de la Commune ne cadre pas avec une telle affirmation. Même si Rimbaud et les communards n'étaient sans doute pas des grands défenseurs de la propriété, il resterait à établir que Rimbaud a prôné l'abolition de la propriété privée ou que la Commune a confisqué de la propriété sans compensation financière.
Je n'ai pas encore eu le temps de travailler en historien sur de tels sujets, mais il y a dans le poème Le Forgeron une note pré-communarde. La profession du personnage du titre met en valeur le héros prolétaire, en déplaçant les lignes de la Révolution française où il était question d'un boucher. Toutefois, rappelons que dans sa complexité impliquant bourgeoisie, paysannerie, aristocratie même, etc., la Révolution française de 1789 eut du moins à Paris une forte composante ouvrière, ce qui déjà montre que l'image christique du prolétaire n'est pas une question de socialisme ou de marxisme. Or, dans Le Forgeron, plusieurs slogans apparaissent qui font écho à des discours politiques entendus ou mieux à des textes politiques rencontrés par le poète dans ses lectures. Et évidemment résonne tout particulièrement le vers suivant que je cite dans ses deux versions manuscrites successives d'Izambard à Demeny :
Qu'est-ce que je trouve dans L'Education sentimentale, en plein milieu de la Révolution de 1848 ?
Le discours de monsieur Dambreuse à Frédéric qui "déclara sa sympathie pour les ouvriers" et s'exclama :
C'est en regard de 1848 qu'il convient d'approcher les idées politiques de la Commune, et partant du poète Rimbaud.
Le motif de la "maison d'or" dans Paris se repeuple s'inscrit lui aussi dans un tel héritage. J'observe que dans les mêmes pages de L'Education sentimentale, pages que j'ai moins présentes à l'esprit depuis que je les ai lues il y a quelques jours, il est aussi question de cette maison d'or. Pour se réconcilier avec sa femme qui sait ses infidélités et mensonges, le maladroit Jacques Arnoux l'emmène à la Maison d'or, ce qui évidemment déplaît à Mme Arnoux qui se sent ainsi traitée comme une "lorette".
Mais, surtout, dans les discours qui s'exaltent en 1848, un "homme maigre, ayant des plaques rouges aux pommettes" parle d'abolir la prostitution et la misère, puis clame : "Honte et infamie ! On devrait happer les bourgeois au sortir de la Maison d'Or et leur cracher à la figure !"
Il est décidément bien sensible que l'interprétation politique de la Commune ne doit pas rester aux mains d'un discours marxiste orienté soutenu par des intellectuels organisé et bien assis aux commandes, cela ne peut pas favoriser les études rimbaldiennes qui plus est.
Remarquons encore que l'image de l'artiste et celle du poète sont en pleine mutation. En 1848, Lamartine est quelque peu à la tête de l'Etat, mais il représente le poète romantique aristocrate, qui ne va pas au café, mais dans les salons. Les poètes de la République cités dans L'Education sentimentale sont Béranger et Barthélémy, mais encore Frédéric Moreau fréquente un milieu artiste, a une vie de bohème, connaît les cafés et les lieux de débauche. Les grands romanciers du dix-neuvième siècle semblent peu nombreux entre 1850 et 1871. Zola et Maupassant sont pratiquement postérieurs, tandis que Stendhal, Balzac et Chateaubriand ne sont plus. Il y a pourtant Flaubert, Gautier, Nerval, Sand, Hugo et Les Goncourt. Mais l'action des romans hugoliens ne s'intéressent pas au Paris du second Empire, même si Les Misérables offrent une matière politique, puis Hugo est exilé. Le roman des frères Goncourt Manette Salomon offre aussi l'image nouvelle de la bohème artiste de cette époque. La dépravation des Fleurs du Mal correspond à un tournant dans l'histoire de la poésie que confirmera la génération de Verlaine et Rimbaud au sein de laquelle ils ne furent point les deux seuls piliers de bar. C'en est fini de la poésie comme noblesse, distinction sociale et haute sphère. Et voilà encore d'autres raisons de s'offrir une fenêtre sur l'univers des jeunes hommes épris d'idéal amis des lettres et des arts en 1848 avec la lecture du roman de Flaubert, même si cela se joue du côté de la bêtise, de la passivité et de l'inertie.
Loin d'être décousu, le roman est fortement structuré et celle-ci est soulignée par la division en trois parties.
Dans la première partie, le jeune Frédéric est réduit à un amour platonique par sa situation d'étudiant, peu assidu au demeurant, qui manque de ressources. Il ne peut véritablement approcher son grand amour, ni approcher avec des prétentions la grande dame Dambreuse, rien ne se concrétise avec Rosanette et la petite Louise qui a un coup de foudre d'enfant pour lui ne saurait l'intéresser. Frédéric subit alors plusieurs aléas importants, puisqu'il doit parfois revenir se morfondre à Nogent loin de Paris, et puisqu'il ne cesse de mal évaluer les situations, laissant traîner les choses. Dans la deuxième partie, il est un riche hériter et peut enfin exploiter les dissensions du couple Arnoux. Il commence à envisager le mariage possible avec l'encore jeune Louise qui ne l'intéresse guère, à la différence de la fortune de son père. Il peut fréquenter les Dambreuse, mais il n'a pas assez de capitaux pour suivre les projets du monsieur et ne s'échauffe pas encore pour son épouse qui ne lui plaît que par son aura de richesse et de haute sphère. Il rencontre plusieurs fois la courtisane Rosanette, mais l'histoire est assez paradoxale. Elle passe pour sa maîtresse, alors qu'il n'en est rien. Il y a bien des déclarations d'amour de part et d'autre, des journées passées ensemble où on les a vus, mais leur relation n'est pas concrétisée avant la fin de cette seconde partie. La fausse idée qu'il est l'amant de Rosanette est même une épreuve pour Frédéric Moreau, puisque Arnoux qui est un des amants de Rosanette dévie les soupçons de sa femme en lui faisant entendre que Frédéric l'est, ce qu'une rencontre, pas tant due au hasard qu'à l'abandon vengeur, va conforter dans l'esprit de madame Arnoux. Une situation d'adultère finit pourtant par se dessiner et on peut apprécier que la si honnête madame Arnoux a pourtant la conviction que Frédéric est un homme à femmes, ce qui veut dire que même son apparence de vertu n'est pas épargnée par Flaubert, mais la situation se bloque définitivement et ce n'est qu'à ce moment-là qu'avec un nouvel abandon vengeur Frédéric devient l'amant de la courtisane. Nous sommes aux deux tiers du roman, huit années ont passé. Et cela coïncide avec la Révolution de 1848, mais la situation sentimentale est toute paradoxale, car Frédéric pleure devant Rosanette et en lui mentant lui fait croire que c'est de bonheur après avoir attendu si longtemps. La troisième partie est assez dramatique pour Frédéric qui veut participer à la politique de son temps, mais qui est rejeté comme aristocrate. Madame Arnoux ruinée par son mari disparaît de sa vie quotidienne, il ne supporte pas Rosanette de laquelle il a un bébé qui meurt peu après et qui ne l'intéresse guère, son mariage échoue enfin avec la récente veuve Mme Dambreuse qui ne s'étant intéressée à lui que par désoeuvrement supporte mal de découvrir que son véritable amour est ailleurs. Enfin, l'opportuniste Frédéric se rabat trop tard sur la solution de facilité avec la jeune Louise qui vient d'épouser son meilleur ami. Les années s'écoulent encore et le roman se termine sur une vision décapante de Frédéric jeune avec son meilleur ami partis avec des bouquets de fleurs dans une maison close dont ils préféreront s'enfuir en courant, faute d'audace et faute d'argent.
Je prévois maintenant d'étudier le style du roman, tout le début du roman qui est vraiment superbe avec le voyage sur le bateau, la fin qui est très belle. Le roman me semble plus inégal en son coeur, mais je pense commenter encore le caractère terne du style, certes adéquat à son sujet, à sa visée, dans le piétinement de l'action parisienne, étude qui dépasse bien sûr le cadre du seul rimbaldisme.
Je m'intéresse aussi à la présence de la Révolution de 1848 dans le roman L'Education sentimentale qui a été terminé et publié en 1869.
L'attachement à Rimbaud se fait bien souvent par-delà la sensibilité à sa poésie. Certains s'identifient à Rimbaud pour l'homosexualité, d'autres pour des raisons politiques. Mais, dans le champ politique, outre que l'identification intemporelle en cette matière ne peut manquer d'être assez délicate et bien frêle, il existe une relative confusion entre le communisme de la Commune et le communisme marxiste. Evidemment, la Commune de 1871 ne saurait être marxiste en tant que telle. Karl Marx d'ailleurs n'approuvait pas la Commune au début, puisqu'il vivait encore à l'époque de l'événement, il ne l'a récupérée politiquement que par la suite. Les membres de l'Internationale ne composaient pas le personnel politique de la Commune et le communard Lissagaray n'a été marxiste qu'ultérieurement.
Enfin, il faut une cécité considérable pour s'imaginer Rimbaud marxiste. Rimbaud est un idéaliste déçu, ce qui n'est déjà pas conciliable avec le matérialisme historique, et Rimbaud encore, français de chez France ou "Parisien" comme il le voulait, n'a pas du tout l'esprit de système d'un penseur allemand, et si il doit en élaborer il est encore une fois visible qu'il est assez têtu pour avoir ses propres idées et convictions et non s'en remettre à un gourou comme bon nombre d'intellectuels du vingtième siècle.
Il faut au contraire bien considérer que Marx s'est inspiré de maintes idées françaises, puisque la France était traversée de révolutions et émeutes depuis 1789. Toutefois, le marxisme a une présence de poids dans les universités françaises et éclipsent l'idée que Rimbaud fut un poète libertaire et la Commune une tentative de révolution dans la reprise d'idées socialistes bien différentes de 1848.
Le mot de communisme est employé en 1848 et il se rencontre dans L'Education sentimentale.
Mais le gros morceau c'est la question du prolétaire. Le marxistes acceptent que la Commune ne soit pas marxiste à condition qu'elle soit bien le modèle de la révolution prolétaire.
Comme l'a déjà bien indiqué Yves Reboul, le déroulement de la Commune ne cadre pas avec une telle affirmation. Même si Rimbaud et les communards n'étaient sans doute pas des grands défenseurs de la propriété, il resterait à établir que Rimbaud a prôné l'abolition de la propriété privée ou que la Commune a confisqué de la propriété sans compensation financière.
Je n'ai pas encore eu le temps de travailler en historien sur de tels sujets, mais il y a dans le poème Le Forgeron une note pré-communarde. La profession du personnage du titre met en valeur le héros prolétaire, en déplaçant les lignes de la Révolution française où il était question d'un boucher. Toutefois, rappelons que dans sa complexité impliquant bourgeoisie, paysannerie, aristocratie même, etc., la Révolution française de 1789 eut du moins à Paris une forte composante ouvrière, ce qui déjà montre que l'image christique du prolétaire n'est pas une question de socialisme ou de marxisme. Or, dans Le Forgeron, plusieurs slogans apparaissent qui font écho à des discours politiques entendus ou mieux à des textes politiques rencontrés par le poète dans ses lectures. Et évidemment résonne tout particulièrement le vers suivant que je cite dans ses deux versions manuscrites successives d'Izambard à Demeny :
- Nous sommes Ouvriers ! Sire, Ouvriers ! - nous sommes
Pour [...]
Nous sommes Ouvriers, Sire ! Ouvriers ! Nous sommes
Pour [...]
Qu'est-ce que je trouve dans L'Education sentimentale, en plein milieu de la Révolution de 1848 ?
Le discours de monsieur Dambreuse à Frédéric qui "déclara sa sympathie pour les ouvriers" et s'exclama :
Car enfin, plus ou moins, nous sommes tous ouvriers !Quelques pages plus loin des vers de Béranger sont cités :
Chapeau bas devant ma casquette,
A genoux devant l'ouvrier!
C'est en regard de 1848 qu'il convient d'approcher les idées politiques de la Commune, et partant du poète Rimbaud.
Le motif de la "maison d'or" dans Paris se repeuple s'inscrit lui aussi dans un tel héritage. J'observe que dans les mêmes pages de L'Education sentimentale, pages que j'ai moins présentes à l'esprit depuis que je les ai lues il y a quelques jours, il est aussi question de cette maison d'or. Pour se réconcilier avec sa femme qui sait ses infidélités et mensonges, le maladroit Jacques Arnoux l'emmène à la Maison d'or, ce qui évidemment déplaît à Mme Arnoux qui se sent ainsi traitée comme une "lorette".
Mais, surtout, dans les discours qui s'exaltent en 1848, un "homme maigre, ayant des plaques rouges aux pommettes" parle d'abolir la prostitution et la misère, puis clame : "Honte et infamie ! On devrait happer les bourgeois au sortir de la Maison d'Or et leur cracher à la figure !"
Il est décidément bien sensible que l'interprétation politique de la Commune ne doit pas rester aux mains d'un discours marxiste orienté soutenu par des intellectuels organisé et bien assis aux commandes, cela ne peut pas favoriser les études rimbaldiennes qui plus est.
Remarquons encore que l'image de l'artiste et celle du poète sont en pleine mutation. En 1848, Lamartine est quelque peu à la tête de l'Etat, mais il représente le poète romantique aristocrate, qui ne va pas au café, mais dans les salons. Les poètes de la République cités dans L'Education sentimentale sont Béranger et Barthélémy, mais encore Frédéric Moreau fréquente un milieu artiste, a une vie de bohème, connaît les cafés et les lieux de débauche. Les grands romanciers du dix-neuvième siècle semblent peu nombreux entre 1850 et 1871. Zola et Maupassant sont pratiquement postérieurs, tandis que Stendhal, Balzac et Chateaubriand ne sont plus. Il y a pourtant Flaubert, Gautier, Nerval, Sand, Hugo et Les Goncourt. Mais l'action des romans hugoliens ne s'intéressent pas au Paris du second Empire, même si Les Misérables offrent une matière politique, puis Hugo est exilé. Le roman des frères Goncourt Manette Salomon offre aussi l'image nouvelle de la bohème artiste de cette époque. La dépravation des Fleurs du Mal correspond à un tournant dans l'histoire de la poésie que confirmera la génération de Verlaine et Rimbaud au sein de laquelle ils ne furent point les deux seuls piliers de bar. C'en est fini de la poésie comme noblesse, distinction sociale et haute sphère. Et voilà encore d'autres raisons de s'offrir une fenêtre sur l'univers des jeunes hommes épris d'idéal amis des lettres et des arts en 1848 avec la lecture du roman de Flaubert, même si cela se joue du côté de la bêtise, de la passivité et de l'inertie.
Loin d'être décousu, le roman est fortement structuré et celle-ci est soulignée par la division en trois parties.
Dans la première partie, le jeune Frédéric est réduit à un amour platonique par sa situation d'étudiant, peu assidu au demeurant, qui manque de ressources. Il ne peut véritablement approcher son grand amour, ni approcher avec des prétentions la grande dame Dambreuse, rien ne se concrétise avec Rosanette et la petite Louise qui a un coup de foudre d'enfant pour lui ne saurait l'intéresser. Frédéric subit alors plusieurs aléas importants, puisqu'il doit parfois revenir se morfondre à Nogent loin de Paris, et puisqu'il ne cesse de mal évaluer les situations, laissant traîner les choses. Dans la deuxième partie, il est un riche hériter et peut enfin exploiter les dissensions du couple Arnoux. Il commence à envisager le mariage possible avec l'encore jeune Louise qui ne l'intéresse guère, à la différence de la fortune de son père. Il peut fréquenter les Dambreuse, mais il n'a pas assez de capitaux pour suivre les projets du monsieur et ne s'échauffe pas encore pour son épouse qui ne lui plaît que par son aura de richesse et de haute sphère. Il rencontre plusieurs fois la courtisane Rosanette, mais l'histoire est assez paradoxale. Elle passe pour sa maîtresse, alors qu'il n'en est rien. Il y a bien des déclarations d'amour de part et d'autre, des journées passées ensemble où on les a vus, mais leur relation n'est pas concrétisée avant la fin de cette seconde partie. La fausse idée qu'il est l'amant de Rosanette est même une épreuve pour Frédéric Moreau, puisque Arnoux qui est un des amants de Rosanette dévie les soupçons de sa femme en lui faisant entendre que Frédéric l'est, ce qu'une rencontre, pas tant due au hasard qu'à l'abandon vengeur, va conforter dans l'esprit de madame Arnoux. Une situation d'adultère finit pourtant par se dessiner et on peut apprécier que la si honnête madame Arnoux a pourtant la conviction que Frédéric est un homme à femmes, ce qui veut dire que même son apparence de vertu n'est pas épargnée par Flaubert, mais la situation se bloque définitivement et ce n'est qu'à ce moment-là qu'avec un nouvel abandon vengeur Frédéric devient l'amant de la courtisane. Nous sommes aux deux tiers du roman, huit années ont passé. Et cela coïncide avec la Révolution de 1848, mais la situation sentimentale est toute paradoxale, car Frédéric pleure devant Rosanette et en lui mentant lui fait croire que c'est de bonheur après avoir attendu si longtemps. La troisième partie est assez dramatique pour Frédéric qui veut participer à la politique de son temps, mais qui est rejeté comme aristocrate. Madame Arnoux ruinée par son mari disparaît de sa vie quotidienne, il ne supporte pas Rosanette de laquelle il a un bébé qui meurt peu après et qui ne l'intéresse guère, son mariage échoue enfin avec la récente veuve Mme Dambreuse qui ne s'étant intéressée à lui que par désoeuvrement supporte mal de découvrir que son véritable amour est ailleurs. Enfin, l'opportuniste Frédéric se rabat trop tard sur la solution de facilité avec la jeune Louise qui vient d'épouser son meilleur ami. Les années s'écoulent encore et le roman se termine sur une vision décapante de Frédéric jeune avec son meilleur ami partis avec des bouquets de fleurs dans une maison close dont ils préféreront s'enfuir en courant, faute d'audace et faute d'argent.
Je prévois maintenant d'étudier le style du roman, tout le début du roman qui est vraiment superbe avec le voyage sur le bateau, la fin qui est très belle. Le roman me semble plus inégal en son coeur, mais je pense commenter encore le caractère terne du style, certes adéquat à son sujet, à sa visée, dans le piétinement de l'action parisienne, étude qui dépasse bien sûr le cadre du seul rimbaldisme.
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Aujourd'hui comme hier, il a fait beau se balader dans les rues à la lumière d'or du soleil qui se reflétait puissamment dans le décor urbain, sur les carrosseries des voitures. On chauffait en s'y exposant, quoiqu'à l'ombre avec un bon souffle de la brise il fit plus frais. Mais vers cinq heures, une opposition nord-sud s'était dessinée, pendant qu'un goéland chassait un chat et dédaignait répondre à mon bonjour. Au nord, la ligne des montagnes du paysage grassois disparaissait dans un intense gris bleu psychédélique, et au sud, du côté de la mer, le ciel était bleu clair et dans les trouées entre les bâtiments le bleu du ciel à l'horizon se diluait, s'éclaircissait en blanc, puis en retournant la tête vers le nord on retrouvait ce gris sombre au bleu psychédélique qui noyait le paysage, estompant la ligne de crête des collines, mais juste devant soi tout était ébloui de soleil et se dessinait au regard avec la netteté d'un décor d'été, les murs colorés ou clairs des maisons et immeubles épars, les fleurs, les feuilles des arbres. En levant la tête, on constatait que la limite des nuages était juste au-dessus de nous, nous étions au point de rencontre des deux mondes, quelques instants avant que cesse le poudroiement d'or pour faire place à la pluie, et à l'ouest, du côté de l'Estérel, le soleil taillait les contours d'un nuage gris et blanc dans une ligne verticale en dents de scie qui donnait de la magie au relief du Tanneron. Une demie heure plus tard, l'univers devenu de grisaille était à la pluie, puis le soleil est revenu avec son rayonnement à travers les nuages comme un motif d'église au-dessus du Tanneron, et encore un peu plus tard, la soirée a été de nouveau éblouie par l'énorme globe rayonnant au ras de la montagne.
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J'ai vu l'affiche du nouveau Godzilla, et j'ai trouvé que ce dinosaure bonhomme qui nous tournait le dos au milieu des immeubles de la ville apocalyptique avait un dos bien voûté. Je pense que ça va être un sujet psychologique avec une créature tourmentée par la mélancolie.