Dans les études rimbaldiennes, il ne faut décidément jamais faire confiance aux prédécesseurs, il faut avoir le courage de tout reprendre et de tout vérifier. Le poème "Mouvement", à cause du recours à une forme nouvelle de vers irréguliers finalement rangés dans la catégorie du vers libre moderne, est une des pièces de poésie les plus connues du corpus rimbaldien, et bien des gens ont glosé les "accidents atmosphériques" mentionnés au vers 23, autrement dit au début de la dernière séquence de 4 vers.
En principe, quand aucune recherche lexicale n'est effectuée, le lecteur s'en tient à une interprétation des mots en fonction de leur sens courant. Je vais citer la définition courante du dictionnaire pour le mot "accident". Il s'agit d'un "événement imprévu", voilà pour le sens minimal, et en général le sens courant du monde implique que l'événement imprévu a provoqué des dégâts ou a créé un danger. J'insiste sur cette opposition entre un sens minimal et un sens courant de plus d'étendue, car, dans la mesure où le mot "accidents" est suivi de l'épithète "atmosphériques", les lecteurs de Rimbaud peuvent finalement comprendre différemment le vers. Ils peuvent considérer que le poème n'implique pas un danger. Je ne suis pas dans ce profil de lecture-là, mais j'essaie de tout envisager. Le mot "accident" a aussi un sens philosophique qui ne nous intéresse pas ici : "ce qui n'est pas essentiel, fait accessoire". Je récupère ces définitions à partir d'une recherche "accident définition" sur le moteur de recherches Google, et la page internet précise ceci : "Définitions proposées par les dictionnaires Le Robert". La plupart du temps, quand je recherche la définition d'un mot à partir d'internet, je consulte le dictionnaire CNRTL (abréviation pour "Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales"). Mais, je n'ai jamais effectué une recherche pour le mot "accidents" employé au pluriel dans le poème "Mouvement", et je trouve que la définition brève convient mieux dans le cas présent. Le raffinement peut rapidement perdre tout le monde.
Ceci dit, j'offre le lien pour aller consulter l'entrée "accident" du CNRTL : cliquer ici !
Je n'ai jamais effectué de recherches poussées non plus pour cerner le sens de l'adjectif "atmosphériques". Je fais une transposition basique dans mon esprit : les accidents atmosphériques sont les accidents de l'atmosphère. A cette aune, même si je ne l'ai jamais fait, j'ai plus besoin d'une définition correcte du nom "atmosphère" que de l'adjectif "atmosphérique".
La page Google offre une définition selon les dictionnaires Le Robert qui coïncide avec ce que je viens de dire, et je précise que je n'ai pas eu besoin de cette consultation pour faire l'équation : "atmosphérique"="de l'atmosphère". C'est le b.a.-ba.
Pour la définition du mot "atmosphère", je vous épargne la définition intuitive que je m'en faisais et je vous donne directement les définitions proposées par les dictionnaires Le Robert et sélectionnées par une recherche Google :
1. Couche gazeuse qui englobe le globe terrestre, un astre.2. Partie de l'atmosphère terrestre la plus proche du sol où apparaissent les nuages, la pluie, la neige.
Je ne pense pas que ces définitions soient limpides en soi. Je les comprends, c'est éclairant, mais, après tout, je ne sais pas quand réellement il cesse d'y avoir une enveloppe gazeuse autour de la Terre. La deuxième définition correspond à nos perceptions empiriques, on peut s'en contenter, même si ce n'est pas suffisant.
Mais, à cause de l'expression "pression atmosphérique", je sais que ces définitions ne suffisent décidément pas. La consultation de l'entrée "atmosphère" du dictionnaire CNRTL permet d'envisager un autre sens important : "air ambiant que l'on respire en un lieu donné" et il est également question en physique d'une "unité usuelle de pression".
Malgré l'importance de la vapeur au dix-neuvième siècle et les idées de "pression atmosphérique", j'ai toujours considéré que dans le poème de Rimbaud il fallait lire une référence aux accidents qui se manifestent dans la couche atmosphérique.
Pourtant, deux rimbaldiens aux noms fort semblables, Paul Claes et Bruno Claisse, ont considéré que les "accidents atmosphériques" de "Mouvement" allaient de pair avec les "accidents de féerie scientique" du poème "Angoisse".
En 2008, un chercheur Belge Paul Claes a publié un livre La Clef des Illuminations et en faisant mes présentes recherches je suis tombé sur la citation suivante de son ouvrage sur Google Books :
[...] Une fois de plus le poète semble évoquer une scène aérienne. L'hypothèse est confirmée par les "accidents atmosphériques" de la strophe finale qui sont des illuminations célestes (pour le sens, voir les "accidents de féerie" d'Angoisse). Le décodage du poème exigera donc la transposition systématique des images de navigation en termes de mouvement aérien.
la lecture d'un tel ouvrage est très problématique. L'auteur étudie les poèmes un par un, mais en les passant à la moulinette d'une clef de lecture insensée. Tous les poèmes décriraient des visions à partir des nuages. Par moments, l'auteur arrive à être intéressant, parce qu'il médite sur la construction intellectuelle de la périphrase en rhétorique ou bien parce que, dans le cas des "herbages d'acier et d'émeraude" de "Mystique", il identifie une métaphore de l'éclat lumineux banalisée auparavant par Vigny et quelques autres écrivains. Malheureusement, il n'en reste pas moins que tout son livre est un délire gratuit et qui se trompe complètement dans l'interprétation poème après poème. Je n'essaie même pas de pousser plus loin ma consultation de l'ouvrage à partir des pages qui me seraient disponibles sur Google Books. Le chercheur douaisien Bruno Claisse (son nom est probablement la forme francisée du nom Claes, d'où mon amusement a commenté leurs points de vue communs au sujet des "accidents atmosphériques) a publié son article avant 2008 dans un numéro de la revue Parade sauvage. Il s'agit soit du numéro double 17-18, soit du numéro 19. Puis il a repris son article dans un livre paru en 2012 qui réunit quelques articles qu'il avait publiés auparavant dans des revues et quelques chapitres inédits mais bâclés (pour des raisons de santé). L'ouvrage s'intitule Les Illuminations et l'accession au réel. L'étude sur "Mouvement" a été intégrée à la septième partie : "Le sursaut de l'humour face au 'moderne' " et elle implique un parallèle avec le poème "Marine", lui aussi réputé avoir été composé en vers libres modernes : "La mise à l'écart des fantasmagories modernes : De Mouvement à Marine" (pp. 227-258).
J'en rendrai compte prochainement. Je ne veux revenir que sur son interprétation des "accidents atmosphériques".
Malgré un luxe de formulations universitaires pédantes flanquées d'exaltations problématiques du côté des écrits de Clément Rosset et d'Henri Meschonnic, il s'agit de l'un des articles les plus importants qui aient été publiés au sujet de l'interprétation d'un poème des Illuminations. Je préfère vous prévenir vu que la citation qui suit d'un extrait de la page 255 a de quoi effrayer le commun des lecteurs :
La plus brève des quatre parties, telle l'apodose d'une phrase en cadence mineure, fait ressortir la dissidence de deux voyageurs, en l'espèce "un couple" qui file l'allégorie de "l'arche[ ]".Celle-ci se voit ici métamorphosée en théâtre de féeries : car ces "accidents" qu'en termes de philosophie on dirait des phénomènes actualisant une essence (le Logos), que sont-ils, sinon, par l'appartenance de l'épithète "atmosphériques" au paradigme scientiste présent dans chaque partie, ceux qu'un précédent poème, Angoisse, avait appelés dans le cadre même du paradigme, "des accidents de féerie scientifique" ? C'est donc en réalité "la lumière diluvienne" qui, en incarnant le Logos dans le monde contemporain, fait de celui-ci le théâtre des phénomènes atmosphériques "les plus surprenants". En songeant aux effets de lumière artificielle, à la télégraphie électrique, à l'aérostation, etc., "Monsieur Figuier" s'enchante ainsi de cet inattendu perpétuel :Quels étranges résultats la science réalise auprès de nous, et quel sujet continuel de surprise et d'admiration elle apporte à notre esprit[ ] !
J'ai supprimé le chiffre 2 après "arche". Dans une note de bas de page, Claisse précise qu'il ne faut pas trop rapidement identifier une allusion biographique au compagnonnage de Rimbaud et de Verlaine, puisque la lettre du voyant envisageait la libération de la Femme. Il pourrait s'agir ici d'un homme et d'une femme. J'ai également supprimé le chiffre 3 après la citation finale de notre extrait. Dans la note 3 de bas de page, Claisse donne sa référence : "Louis Figuier, Les Grandes Inventions dans les sciences, l'industrie et les arts, Hachette, 1861, p. 301."
Ajoutons que, contrairement à ce que j'ai écrit plus haut, Claisse s'intéresse pour sa part au sens philosophique du mot "accidents", et je tiens à rappeler que dans le poème "Veillées II", Rimbaud a écrit "accidences géologiques" au voisinage d'une autre mention de l'adjectif "atmosphériques" : "La muraille en face du veilleur est une succession psychologique de coupes de frises, de bandes atmosphériques et d'accidences géologiques." La lacune d'une virgule est suspectée entre "de coupes" et "de frises", mais le mot "accidences" impose d'aller s'assurer de son sens dans un dictionnaire. Cette fois, la définition proposée par une recherche sur Google vient du dictionnaire CNRTL. Je la cite : "PHILOS., Qualité, état, possibilité d'être de l'accident."
Une consultation de la page du dictionnaire CNRTL offre une citation intéressante qui permet de mieux comprendre l'intention humoristique de Rimbaud :
Le monde n'est qu'un phénomène et point une réalité en soi... Accidence, substance, causalité ne sont que des formes subjectives de notre entendement. Ch. de Villers, Philosophie de Kant, 1801, p. 337 [...]
Je ne vais pas surinvestir ma compréhension du poème de Rimbaud au moyen d'un tel charabia et d'une telle référence à Kant. Mais, j'ai quand même un problème posé par les risques d'amalgame. Claisse n'a pas cité "Veillées II" tout en impliquant le sens philosophique du mot "accidents", et dans "Veillées II", il est question d'un veilleur et de visions conditionnés par un état psychologique. Dans le cas de "Mouvement", aucun lieu précis n'est décrit. Les vers 1 et 3 décrivent des scènes ferroviaires, tandis que les vers 2 et 4 décrivent des scènes en mer ou sur l'eau. La suite du poème peut inviter à penser que la référence au bateau prédomine enfin, mais les vers 1 et 3 sont suffisants pour nous inviter à une certaine réserve. Le poème décrit par métaphore l'idée d'une science qui comme une arche fait avancer une certaine humanité partie à la conquête du monde. Et, dans "Angoisse", il est bien question aussi d'ironie à l'égard des prétentions scientifiques à contribuer au progrès de l'humanité. Claisse parle de critique du scientisme dans son analyse de "Mouvement", le terme en lui-même est anachronique, mais la pensée scientiste a préexisté à l'invention du concept en quelque sorte. Ceci dit, dans la citation que j'ai faite, Claisse ne définit à aucun moment l'expression "accidents atmosphériques", il ne cite aucune occurrence d'époque alors même que son propos inviterait à une vérification de cette sorte. Claisse joue à rapprocher des textes qui font résonner les mêmes mots : "accidents" ("Angoisse") et "surprise" (Figuier) / "surprenants" ("Mouvement"). Il s'y ajoute certaines suggestions. Il est clair qu'il songe à "Veillées II" qui contient des occurrences rapprochées de "atmosphériques" et "accidences". Il songe à l'emploi du suffixe en "-ique(s)" qui intéresse plusieurs poèmes et aussi plusieurs passages du poème "Mouvement" lui-même : "bandes atmosphériques" et "accidences géologiques" ("Veillées II"), "accidents de féerie scientifique" ("Angoisse"), "accidents atmosphériques", "nouveauté chimique", "fortune chimique personnelle", "route hydraulique motrice", à quoi ajouter "extase harmonique". Le gonflement du rapprochement impose à l'esprit du lecteur l'idée que Rimbaud parle toujours des "accidents" qui viennent de la science dans ces divers poèmes et que le suffixe en "-ique" est utilisé exclusivement pour décrire des productions des sciences appliquées. Et notons que Claisse se sert de l'expression "lumière diluvienne" qui semble reprendre l'expression "lumières inouïes" couplée à la mention "nouveauté chimique" pour nous faire comprendre qu'il en est ainsi au sujet des "accidents atmosphériques". La "lumière diluvienne" est celle créée par la science, et les "accidents atmosphériques", il en est donc de même. Mais, personnellement, cette loi de conséquence ne s'impose pas. Je préfère rechercher des attestations d'époque de l'expression "accidents atmosphériques". Il y a quand même un fait divergent auquel je suis sensible. Dans le cas de "Angoisse", le renvoi à la production scientifique est explicite : "accidents de féerie scientifique". Il est vrai également que j'identifie des prodiges de "féerie scientifique" dans "Mouvement" : "nouveauté chimique", "lumières inouïes", "lumière diluvienne", "route hydraulique motrice",... Mais, pour "accidents atmsophériques", Claisse est obligé de faire fi du sens littéral de l'expression. Il crée un écran de fumée avec ses rapprochements pour nous faire croire que le poème dit que les "accidents atmosphériques" résultent des inventions scientifiques. Mais il n'a pas imposé ce sens par une analyse du passage et de sa construction grammaticale. En clair, la grammaire du texte résiste à l'interprétation qu'il prétend imposer.
Je rappelle également que j'ai un autre problème avec la lecture proposée par Claisse pour ce qui est de la brève séquence finale du poème. Je n'interprète pas comme lui le vers 25. Or, il me faut citer la lecture que fait Claisse de l'avant-dernier vers du poème (p. 257), puisqu'il relie sa compréhension de ce vers à son interprétation des "accidents atmosphériques" :
- Ainsi donc, ce serait le spectacle des "accidents atmosphériques les plus surprenants", qui aurait ôté aux jeunes gens tout sentiment de culpabilité vis-à-vis d'une "sauvagerie" qualifiée d' "ancienne", parce qu'à la fois ils la portent depuis longtemps en eux et que, au-delà d'eux, elle remonte à une fort lointaine conception de l'éthique[ ]. La "féerie scientifique", autrement dit, les aurait persuadés non seulement du bien-fondé mais du caractère salvateur de leur asocialité fondamentale.- C'est pourquoi on doit comprendre que, si le poète recourt à un "on" indéfini, c'est aussi bien pour référer aux pensées probables du couple que pour impliquer sa propre adhésion à cette ancienne sauvagerie, en ce qu'elle constituerait l'anti-modèle du rationalisme technique érigé en fin de l'Histoire par les conquérants du monde.
Je ne souscris pas à ces emplois intempestifs de la conjonction "donc", à ce jargon ("conception de l'éthique" ou "asocialité fondamentale"), à ces modalisations qui embrouillent la lecture : "C'est pourquoi on doit comprendre...", "ce serait", etc. Mais, dans tous les cas, j'attends qu'on m'explique en quoi les "accidents atmosphériques" peuvent être une illustration de la "féerie scientifique". En l'état, ce n'est qu'un présupposé de l'article publié par Claisse. Moi, je veux que quelqu'un me dise ce que sont précisément ces "accidents atmosphériques" dans le texte. Ensuite, je ne comprends rien à cette analyse du pronom "on" qui impliquerait aussi les "pensées probables du couple". La lecture basique est la suivante : "un couple de jeunesse" qui "s'isole" vient d'être décrit, il n'appartient pas au groupe qui commente et regarde, mais celui qui commente devant les spectateurs formule une interrogation les concernant : "Est-ce ancienne sauvagerie qu'on pardonne ?" Du point de vue de l'énonciation, cette interrogation peut être sincère ou rhétorique ou ironique, ça oui, il faut que le critique rimbaldien se prononce là-dessus. Mais je ne vois pas ce qui permet de présupposer que ce "on" permet de se référer aux pensées même du couple. Je trouve tarabiscotée la lecture qui présuppose que le couple se pardonne son propre comportement. Il est mille fois plus simple de considérer que ce "couple de jeunesse" semble indigner le public qui le voit alors comme la manifestation d'une "ancienne sauvagerie", sauvagerie qui s'oppose à la science considérée comme une religion providentielle forcément, sauvagerie qui s'oppose au mot "causerie" avec lequel il rime et qui est employé plus haut devant une suite de substantifs dont la présentation chaotique serait pourtant à même de suggérer l'idée de "sauvagerie" : "le sang les fleurs, le feu, les bijoux". Seul le mot "fleurs" échappe au paradigme de la sauvagerie dans cette causerie. Il me semble évident que l'avant-dernier vers est un persiflage qui dit au public ce qu'il veut entendre, mais pour mieux s'en désolidariser et faire sentir une menace. La "sauvagerie" est "ancienne" dans la bouche des gens pour qui la science est une nouvelle religion et cette "sauvagerie" fait écho à l'idée de "barbarie", horizon métaphorique qui engage la référence communarde et qui concerne le poème "Barbare". Je rappelle que, contradictoirement à tous les rimbaldiens, je prétends que cette fois dans "Barbare", les "vieilles fanfares d'héroïsme" ne désignent pas le comportement passé mais semi-récent de Rimbaud, mais l'exaltation des sociétés pour les symboles napoléoniens et sans doute aussi pour les "accidents de féerie scientifique". Mais ne nous égarons pas. J'en reviens à "Mouvement". Il se trouve que les "accidents atmosphériques" impliquent les tempêtes, les orages, et que tempêtes et orages sont solidaires de l'idée de sauvagerie ou barbarie en fait de métaphores de la révolte, en fait de métaphores communardes également.
Bref, j'ai vraiment l'impression que malgré une excellente lecture des trois premières séquences Claisse commet d'importants contresens en ce qui concerne la séquence finale de quatre vers.
Or, pour me donner raison, le dernier recours est de montrer qu'avant Rimbaud l'expression "accidents atmosphériques" a le sens que je lui donne et non celui qu'il lui prête.
Je précise également, même si je n'ai pas vérifié pour les "bandes atmosphériques" de "Veillées II", que sur le manuscrit de "Mouvement", Rimbaud a écrit l'adjectif avec un "h" supplémentaire. Rimbaud a écrit : "accidents athmosphériques". Par conséquent, j'ai décidé de faire deux recherches successives avec le moteur Google.
La recherche "accidents atmosphériques" m'a permis de découvrir le fac-similé d'un article paru en 1867. Nous y rencontrons à deux reprises le syntagme "accidents atmosphériques", et le sens est bien celui d'accidents de l'atmosphère. Une lecture de l'article permet par ailleurs de constater plusieurs occurrences du nom "mouvement".
Je n'ai toujours pas lu l'article dans son intégralité. J'ai effectué une recherche de la séquence "atmosphérique" et une recherche de la séquence "accident".
Nous avons cinq occurrences pour "accident" : "accidents météorologiques", "accidents atmosphériques" (2X), "accidentée" à deux reprises. Mais des citations plus précises vont être intéressantes.
Il y a en revanche 33 occurrences pour la séquence "atmosphérique" : "phénomènes atmosphériques", "onde(s) atmosphérique(s)" (6X), "accidents atmosphériques" (2X), "circonstances atmosphériques", "tranche atmosphérique", "courants atmosphériques généraux" (3X), "circulation atmosphérique" (7X), "perturbation atmosphérique", "construction des cartes synoptiques de l'état atmosphérique de l'Europe", "courant atmosphérique", "le même régime atmosphérique [...]sur les pentes septentrionales de l'Atlas", "Circulation atmosphérique à la surface de l'Europe pendant l'hiver de 1865", "courant atmosphérique dans lequel ils sont plongés", "M. Marié-Davy a, dans un ouvrage publié récemment, expliqué très-clairement comment il y a pendant une moitié de l'année un excès d'air dans un hémisphère, tandis qu'il y a un excès dans l'hémisphère opposé pendant l'autre moitié de l'année ; je ne reviens pas sur le fait de cette double pulsation annuelle de la grande machine atmosphérique", "COURANTS ATMOSPHERIQUES DE CETTE MER", "Toutes les fois que le mistral souffle, il y a un excès de pression atmosphérique à l'O. du golfe du Lion", "l'état atmosphérique de l'Europe à différentes époques de l'année 1865", "Le mouvement atmosphérique se transporte vers l'E.", "la direction générale du mouvement atmosphérique".
Il est très clair que le mot "atmosphérique" est cantonné dans une série d'observation des phénomènes naturelles dans l'atmosphère. Le caractère "scientiste" est lié à une volonté d'étudier ces phénomènes comme une espèce de machine sujette à une compréhension systématique simplifiée, ce qui est dit en toutes lettres dans cet article. Il est amusant également de songer que l'expression "mouvement atmosphérique" permet de lire le poème en opposant très clairement les "accidents atmosphériques" et donc de la Nature au "mouvement" de l'arche scientifique qui tantôt est bateau, tantôt locomotive et rails.
C'est l'interprétation courante qui s'impose et non celle de Claisse, et par conséquent ma lecture de la séquence finale prend nettement l'ascendant sur la sienne. Et je rappelle qu'à deux reprises dans cet article nous avons le groupe nominal "accidents atmosphériques" en tant que tel. Précisons les citations au sujet de la séquence "accident".
La première occurrence "accidents météorologiques" apparaît au tout début de l'article et il convient de citer une portion significative de ce début d'article pour que nos lecteurs comprennent bien son sujet et la nouveauté de ses propos scientifiques (appréciez en passant les occurrences "très-ancienne" et "toute récente") :
La Météorologie est très-ancienne, mais sa constitution comme science distincte est d'origine toute récente. Halley le premier expliqua les calmes équatoriaux. Le soleil échauffant la terre à l'équateur plus qu'en tout autre point, l'air doit être appelé des deux hémisphères vers la zone équatoriale, d'où il s'élève par sa légèreté dans les hautes régions de l'atmosphère. Cette origine des alizés est encore admise par la plupart des météorologistes actuels. Halley et quelques savants du XVIIIe siècle firent faire de notables progrès aux diverses parties de la Physique qui touchaient la Météorologie.La notion du transport général de l'air, et avec lui des accidents météorologiques, avait déjà pris assez de consistance pour que Lavoisier s'unît à Borda afin d'organiser à la surface de la France un réseau d'observateurs chargés de suivre la marche progressive des orages et des tempêtes sur notre pays.
J'en profite pour rappeler que le sonnet "Les Conquérants" de José-Maria de Heredia mentionne les "vents alizés" au vers 7, ce qui renforce mon sentiment que "Mouvement" a bien été composé à partir d'une référence à ce morceau satirique parnassien publié dans le volume collectif Sonnets et eaux-fortes.
Passons à la deuxième occurrence, il s'agit cette fois d'une mention du syntagme qui nous intéresse directement :
A la fin du siècle dernier, le transport des météores, tels que les orages, les ouragans, etc., d'un lieu dans un autre, avait été reconnu ou du moins deviné suffisamment pour qu'on crût pouvoir se servir du télégraphe à signaux, nouvellement imaginé, pour annoncer l'arrivée des mauvais temps. Lavoisier avait déjà établi sur la France un grand nombre d'observatoires météorologiques munis des instruments nécessaires à l'observation des accidents atmosphériques. Malheureusement la mort arrêta ses travaux.
Passons directement à la citation suivante qui concerne le mot "accidentée" :
L'alizé, dévié à sa partie septentrionale vers l'Afrique, y prend une direction N., puis N.-N.-O., et devient cette mousson de N.-O. si redoutée à cause des orages et des coups de vent qui l'accompagnent.Entre ces influences si diverses, la Méditerranée ne présente au premier abord rien de bien saillant. La circulation semble des plus accidentées à sa surface, et les faits généraux conclus jusqu'alors de son examen sont peu nombreux.
La quatrième occurrence concerne aussi le mot "accidentée", mais à proximité d'une mention "atmosphérique" :
La circulation atmosphérique est encore plus accidentée pendant le mois de novembre, ainsi que le montre la carte d'ensemble. Une tourmente passe au commencement du mois de Gascogne sur l'Italie et l'Egypte ; [...]
Enfin, la dernière occurrence correspond à la deuxième mention du syntagme "accidents atmosphériques" au sein de cet article :
Les plus petits accidents atmosphériques, tels que les orages de peu de durée, de petits coups de vent insuffisants pour interrompre une période de calme, se rattachent à la circulation générale, et les mouvements de l'air qui les engendrent se transportent avec le courant général. [...]
Il devient évident que, dans "Mouvement", Rimbaud parle dans le langage des scientifiques d'orages, de tempêtes, de bourrasques, de coups de vent. Je n'en suis pas surpris, c'est la lecture immédiate que j'ai toujours faite du vers 23 de "Mouvement".
Je me suis arrêté à ce premier document découvert. Passons maintenant à la recherche du syntagme "accidents athmosphériques", puisque nous pouvons présupposer que l'orthographe adoptée par Rimbaud est le reflet de la lecture qu'il a pu faire dans un ouvrage scientifique.
Ma recherche "accidents athmosphériques" avec le moteur de recherches Google m'a conduit à nouveau sur un fac-similé d'un ouvrage mis en ligne sur Google Books. Voici la citation qui provient d'un compte rendu de "Séances générales" dans un ouvrage qui porte en titre Congrès scientifique de France :
M. DAGONEAU nous a entretenu de ses observations astronomiques et météorologiques ; il est en outre l'auteur d'une Notice sur la division des temps chez les divers peuples de la terre.M. HOUDBERT (père) vous a fait connaître annuellement l'influence des accidents athmosphériques sur les productions végétales.
Le document est daté de 1839. Je précise que le moteur de recherches privilégie les mentions du poème de Rimbaud lui-même et ces deux mentions datées de 1867 (orthographe moderne) et de 1839 (orthographe avec "h" supplémentaire).
Je ne vois pas au nom de quoi Rimbaud n'utiliserait pas dans son sens courant l'expression dans son poème "Mouvement". Quant aux rapprochements avec "Angoisse" et "Veillées II", ils sont très pertinents, mais pas de l'ordre de la synonymie.
Fin du débat.