lundi 30 septembre 2024

Comment des études des vers de Mathurin Régnier et de Molière pourraient avoir une quelconque importance pour les études des vers de Rimbaud ?

Un cas de figure devenu banal pour moi : le mal de tête fait rage à chacun de mes jours de repos. J'en ai marre. Mais, déterminé à vaincre, je fais cet article de mise au point.
Il existe des périodes de repère dans l'évolution du vers français. Le premier tiers du dix-septième siècle en est un, puisque nous passons, non que dis-je ? nous ne passons pas, nous achevons de passer de la versification encore souple de la Renaissance à la versification classique. Notons que le premier tiers du dix-septième siècle correspond aussi à une époque de transition entre un français qui nous est difficile à lire (Rabelais et Montaigne) et un état de la langue française qui s'est maintenu avec une remarquable stabilité jusqu'à nous. Nous lisons sans peine les œuvres de Blaise Pascal et de René Descartes, les romans de Charles Sorel ou Scarron, etc.
Mathurin Régnier est contemporain de Malherbe, et Sainte-Beuve en 1828 fait bien de Mathurin Régnier le dernier poète à la versification pré-classique. Ajoutons un fait souvent mal apprécié : Les Tragiques d'Agrippa d'Aubigné sont classées dans la littérature du XVIe siècle à cause de la vie de son auteur, alors qu'elles furent publiées en 1616 seulement, l'année des morts conjointes de Shakespeare et Cervantès.
Mais, à la lecture des Satires, on se rend aisément compte que Mathurin Régnier est déjà un poète très classique. Il est irrégulier pour la langue peut-être, mais pour la versification c'est déjà presque complètement un poète classique. Malherbe, c'est un fait connu, n'a pas inventé les règles de la versification classique. Il a hérité d'une évolution dont Ronsard, du Bellay, Desportes et d'autres furent les véritables artisans, et il a joué avec Pierre de Deimier à critiquer ce qui ne correspondait pas encore au résultat final dans les œuvres de ses prédécesseurs. Un énorme coup de pute en somme !
Toutefois, à côté de la poésie lyrique, il y a la versification au théâtre. Les auteurs de comédies étaient moins scrupuleux que les poètes lyriques en fait de versification, et les premières pièces de Molière peuvent attester du fait. Les farces et les comédies sont des constructions de dialogues imaginaires en vers ou en prose, et, même quand elles sont en vers, il faut y placer des apostrophes, des incises, des parlers populaires tournées en dérision, des propos triviaux à souhait, etc.
Pour les apostrophes, l'évolution va à contre-courant de l'épuration classique, puisqu'avant Corneille, les apostrophes étaient coincées avant la césure ou avant la fin du vers. Corneille va développer les apostrophes rejetés au vers ou à l'hémistiche suivant. Je ferai des citations de Desmarets de Saint-Sorlin et de Corneille pour que vous puissiez comparer concrètement avec des preuves sous les yeux. Les incises et quelques autres faits vont dans le même sens. Les pièces de théâtre contiennent aussi des interjections, des vers partagés en deux ou trois répliques d'intervenants distincts.
Molière a été un auteur provincial pendant un certain temps. On sait que sa première pièce en vers L'Etourdi est réputée mieux écrite et mieux tournée en vers que sa seconde Le Dépit amoureux, ce qui a soulevé des débats, soit la pièce Le Dépit amoureux était en réalité sa pièce la plus ancienne remise sur le tapis, soit Molière n'avait pas lui-même mis en vers la plupart de ses pièces, et ce soupçon pèse en particulier sur L'Etourdi, invraisemblablement de meilleure facture que Le Dépit amoureux, paru trois ans plus tard. Par ailleurs, si les pièces de Molière ne sont pas égales en fait de versification, voilà qui intéresse tout particulièrement le chercheur en versification qui peut s'échiner à étudier l'évolution du vers à partir du corpus d'un seul auteur, auteur des plus célèbres qui plus est.
Je vais travailler à constater et commenter l'opposition entre L'Etourdi et Le Dépit amoureux, puis cette opposition concernera aussi les premières pièces en vers de Molière jusqu'à Sganarelle avec les pièces de la maturité.
La pièce L'Etourdi n'est pourtant pas régulière, elle contient au moins trois rejets d'adjectif épithète, ce qui fait de cette pièce une oeuvre moins régulière encore que les vers d'André Chénier finalement, puisque Chénier ne pratiquait quasi jamais le rejet d'épithète, on peine à lui en trouver. Molière est même moins régulier encore que Mathurin Régnier, qui lui aussi ne pratiquait guère les rejets d'épithètes.
En étudiant les vers de Molière, on apprend aussi à inspecter pourquoi des enjambements de verbes, de compléments d'objet, d'attributs sont admis par les classiques, alors qu'il y a un sentiment de nouveauté avec les vers de Chénier. La ponctuation brusque n'est pas la seule cause. Le nombre de syllabes joue un rôle et l'environnement, puisque les dramaturges du XVIe siècle pratiquent les incises, les apostrophes (Prince, Monsieur, Rodrigue, etc.) en rejet ou contre-rejet, ajoutent des exclamations.
Je pense qu'il y a pas mal d'informations à tirer d'une étude renouvelée de tels vers pré-classiques ou carrément classiques si on peut dire.
J'ai aussi une étude importante à faire de certaines configurations. On peut étudier à l'intérieur d'une phrase la nature des mots ou la fonction des groupes de mots.
Au plan de la nature des mots, on peut très vite délimiter des objets d'étude intéressants. Le nom et le verbe sont deux catégories reines, mais au sein des verbes il y a les auxiliaires et pour dire vite les semi-auxiliaires. Il est facile de constater que Molière, mais aussi Corneille et Racine, n'ont aucun problème pour placer le verbe "être", ou un semi-auxiliaire, ou mieux un auxiliaire avoir ou être, y compris d'une syllabe, à la césure. Je vais citer des exemples transversaux, ce qui suffira à évacuer le débat, à ceci près qu'il me semble que Victor Hugo dans les vers de La Légende des siècles a tendance à jouer sur le couple auxiliaire d'une syllabe et participe passé d'une seule syllabe, et il y a quelques remarques à faire sur les adverbes liés aux verbes et notamment sur la négation. Je ferai aussi une mise au point sur les adverbes vagues d'au moins deux syllabes. on peut étudier les prépositions, les pronoms, les conjonctions et les déterminants.
Les classiques jouaient avec les limites en pratiquant la suspension de parole, c'est le cas déjà étudié et connu des Plaideurs de Racine, sans oublier la tragédie même d'Athalie, mais la pièce L'Etourdi est remarquable aussi, une suspension sur un article défini "La" à la césure, une suspension de parole sur la conjonction "si..." La pièce est pleine d'intérêt, une césure sur un mot élidé par un faux parler suisse, et des jeux très intéressants à la rime : "vi" pour "vie" rimant avec un participe passé masculin, toujours en parler suisse, ou le calembour "des... agréable" où le singulier de la rime pour le lecteur permet de cerner le quiproquo joué par Mascarille qu'à la scène il faut savoir rendre oralement pour le spectateur.
La comédie L'Etourdi contient aussi des "e" languissants, à deux reprises sur la forme de subjonctif "aie(s)" du verbe avoir. Je pense qu'une synthèse ne va pas manquer d'un intérêt d'ampleur sur l'histoire globale de la versification et va permettre de réfléchir à nouveaux frais sur une différence nuancée de pratique du rejet ou de l'enjambement entre Molière et d'autres anciens d'un côté et Chénier, Vigny ou Hugo de l'autre.
Ceux qui me suivent depuis longtemps savent que j'y vois un intérêt majeur depuis très longtemps, ça fait quinze au moins que je prévois d'un jour produire cet ouvrage. J'ai commencé à m'y atteler. Je sais aussi que les gens allergiques aux études métriques mais qui font ou pas semblant de maîtriser, de s'y intéresser officiellement quelque peu, ne liront pas volontiers une étude de longue haleine, il va falloir synthétiser, rester concis et clair, ne pas s'amuser à détailler ce qui nous plairait d'approfondir, etc. Il faudra trouver le moyen de ne rien manquer d'important à dire sans lasser, et c'est extrêmement difficile.
Il y a enfin un nouveau cas à aborder, c'est la relation de la grammaire à la poésie en vers. La versification peut être régulière pour un classique, il y a des patrons grammaticaux suivis par les poètes dans la longueur de leurs productions en vers, et cela se caractérise aussi, et j'ai envie de voir ce qu'on peut dire de neuf, d'intéressant là-dessus. Et, au moins, là, les réfractaires aux études métriques pourront pour une partie d'entre eux du moins s'y retrouver, ressentir l'intérêt pour l'écriture artiste des poètes, sans se dire qu'on les assomme d'une froide étude abstraite et mathématique de césures et entrevers...
Je citerai des propos précis de Sainte-Beuve notamment pour montrer que ce débat existe aussi et qu'il a été perdu de vue.
Je serai plus rapide sur certaines synthèses d'auteurs, mais il y a des périodes clefs avec des auteurs clefs : Molière, Régnier et Agrippa d'Aubigné sont parmi les clefs à approfondir, puis il y a Chénier, Vigny, Hugo. Il y a un contraste à faire avec des critères entre les poètes disons de la Renaissance, les poètes du Moyen Âge, les poètes classiques, les poètes romantiques et parnassiens, puis le désordre mal compris de la nouvelle versification relâchée de la fin du dix-neuvième siècle à nos jours, laquelle ne se confond pas avec la versification du dernier Verlaine, ni avec celle de Rimbaud en 1872, ni avec celle du vers libre moderne.
Cette toile de fond, elle est capitale pour tout lecteur des vers de Rimbaud qui se veut aguerri, et les études issues des impulsions initiales de Roubaud et de Cornulier ne suffisent pas à l'établir, d'autant que Cornulier s'est trompé sur les césures de Rimbaud en 1872, en ne prenant pas la mesure de l'idée de lecture forcée des césures, et Cornulier sous-évalue la réflexion du Rimbaud versificateur s'amusant à jouer avec la limite de la prose dans ses Illuminations, que ce soit dans les purs poèmes en prose ou dans le cas particulier de "Mouvement".

A suivre...

samedi 28 septembre 2024

Testez votre sensibilité métrique avec les deux premières scènes de L'Etourdi de Molière !

Je mène un travail d'ampleur dont vous ne digérerez que la synthèse la plus concise possible, mais il faut un peu vous immerger. Alors venez tester votre sensibilité aux alexandrins avec ce relevé de vers commentés des deux premières scènes de L'Etourdi de Molière :

Molière :

 

L’Etourdi :

 

Acte I, scène 1 :

 

LÉLIE

Ah ! Mascarille !

 

                    MASCARILLE

                                  Quoi ?

 

                                                   LÉLIE

                                                                Voici bien des affaires ;

 

Commentaire : Alexandrin partagé en trois répliques. Les deux premières forment un seul hémistiche. Surtout, nous avons un mot d’une syllabe à la césure. Mais, le lecteur n’aura aucune hésitation, puisque la syllabe précédente est un « e » féminin de fin de mot. Le lecteur (ou spectateur) reportera naturellement la césure à l’exclamation « Quoi ? »

 

Mais, enfin, discourons un peu de ma captive :

 

Commentaire : le rejet de la forme adverbiale « un peu » après la césure est naturel chez les classiques. Il n’y a pas à imaginer une séquence étroitement solidaire : « discourons un peu / de ma captive ».

 

Dis si les plus cruels et plus durs sentiments

 

Commentaire : Un aspect intéressant. Les classiques évitent les rejets et contre-rejets d’épithètes. Ici, dans l’absolu, le premier hémistiche : « Di si les plus cruels », se prête à une lecture en tant que contre-rejet, mais la coordination qui lance le second hémistiche semble régulariser psychologiquement l’ensemble du vers, puisque les classiques se permettent à de nombreuses reprises ce genre de configurations.

 

S’imaginant que c’est dans le seul mariage

Qu’il pourra rencontrer de quoi vous faire sage.

 

Commentaire : le premier de ces deux vers dément les traités du dix-huitième siècle qui prétendaient qu’il fallait éviter la césure après la forme « c’est », et ce n’est pas un cas isolé.

 

Et s’il vient à savoir que, rebutant son choix,

 

Commentaire : appréciez la structure de ce vers. Malgré la virgule après « que », la césure est après l’infinitif « savoir », le mot « que » est bien placé en tête de second hémistiche, quand bien même il est suivi d’une possibilité de repos importante. Ce profil de vers, banal chez les classiques, montre que la césure n’est pas une question de pause, de repos, mais qu’il y a une sensibilité abstraite aux articulations grammaticales des énoncés qui joue dans la perception des césures.

 

Dieu sait quelle tempête alors éclatera,

Commentaire : appréciez le rejet, naturel pour un classique, de l’adverbe « alors ». Comparez avec la forme « un peu » plus haut.

 

Sais-tu qu’on n’acquiert rien de bon à me fâcher ?

 

Commentaire : notez que la césure est après « rien » et non après « acquiert », « rien de bon » n’était pas considéré comme une unité au dix-septième siècle.

 

Et Mascarille est-il ennemi de nature ?

 

Commentaire : nouvel exemple, rendu plus évident encore par l’inversion « est-il » que la forme « est » peut aisément être placé à la césure chez les classiques.

 

Poussez votre bidet, vous dis-je, et laissez faire ;

 

Commentaire : l’incise « vous dis-je » est placée en rejet et ne s’étend pas non plus à l’ensemble du second hémistiche, exemple de la souplesse de versification des classiques.

 

LÉLIE

Eh bien ! le stratagème ?

 

                                          MASCARILLE

                                              Ah ! comme vous courez !

 

Commentaire : Exemple à opposer aux trois répliques plus haut avec le mot « Quoi ? » à la césure, ici l’exclamation « Ah ! » est placée à la césure. La comparaison des deux cas prouve assez que le public doit avoir une certaine attention pour sentir les césures. Il ne s’agit pas de croire passivement que la syntaxe et le vers marchent d’un pas uniforme.

 

Ma cervelle toujours marche à pas mesurés.

 

Commentaire : la même remarque vaut pour la position des verbes. Le vers monosyllabique « marche » vient ici après la césure, mais on aurait très bien pu avoir ce verbe avant la césure avec un profil grammatical similaire pour l’ensemble de l’alexandrin.

 

Mais si vous alliez…

 

                                  LÉLIE

                                      Où ?

 

                                              MASCARILLE

                                                   C’est une faible ruse.

 

Commentaire : Selon Verluyten (années 1990), appuyé par Dominicy, les classiques ne pratiquent pas de ponctuation forte après la cinquième syllabe, ou alors ils l’atténuent par une marque de « e » de fin de phrase en cinquième syllabe. Ici, nous avons une preuve que c’est inexact.

 

Mais ne pourriez-vous pas… ?

 

                                         LÉLIE

                                         Quoi ?

 

                                                      MASCARILLE

                                                         Vous ne pourriez rien.

 

Commentaire : Comparez avec la première citation plus haut. Ici, le même « Quoi ? » interrogatif et solitaire est placé après la césure.

 

Monsieur, si vous aviez en main force pistoles,

 

Commentaire : le vers n’a pas une césure étonnante, on pourrait se dispenser de le citer, mais on pourrait imaginer un lecteur qui identifie une séquence solidaire : « si vous aviez en main ». Or, notez que les classiques pratiques la transposition (figure aussi appelée l’inversion) : « si vous aviez force pistoles en main », « si vous aviez en main force pistoles ». Il faut vraiment être sensible à ces subdivisions internes des énoncés.

 

Et pourrions, par un prompt achat de cette esclave,

 

Commentaire : un contre-rejet d’épithète. Ils vont disparaître du théâtre de Molière, comme ils sont extrêmement rares chez Corneille, et totalement absents chez Racine. Ils sont extrêmement rares chez André Chénier lui-même, chez Lamartine ! Et ce vers ne plaide pas pour une attribution de la mise en vers de la comédie L’Etourdi à Corneille, puisqu’il savait éviter d’y recourir.

 

Je sais bien qu’il serait très ravi de la vendre :

 

Commentaire : rejet de l’attribut du sujet et preuve qu’il ne faut pas sous-estimer la grande souplesse d’emploi du verbe « être » à la césure chez les classiques.

 

Mais le mal, c’est…

 

                                  LÉLIE

                                    Quoi ? c’est…

 

                                                              MASCARILLE

                                                             Que monsieur votre père

 

Commentaire : césure sur suspension de la parole et après la forme « c’est ».

'Il y a encore des francs-maçons au fond de la salle ! Ahahah !" 


mardi 24 septembre 2024

Et si j'écrivais un article sur Mathurin Régnier ?

Toujours en quête d'expériences nouvelles et de défis sur mon site rimbaldien, je me demandais s'il n'était pas temps d'écrire un article sur Mathurin Régnier.
Mathurin Régnier est intéressant à traiter pour l'image que s'en faisaient les écrivains du dix-neuvième siècle au plan de la forme.
Je prévois de citer le poème de Musset "Sur la paresse", lequel poème est introduit par une citation de quatre vers d'une satire de Mathurin Régnier, puis un poème de Louis Bouilhet de son recueil Festons et astragales de 1880, puis une étude comparative de Régnier et Chénier par Sainte-Beuve. Vous commencez à vous demander quel lien il peut y avoir avec Rimbaud. Serait-ce la rivière Oise qui traverse les vers de Régnier, Boileau, Banville et Rimbaud ? Je ne le pense pas, même si je pourrai en parler.
Non, Régnier m'intéresse pour les questions formelles, pour la construction du vers. Il était très critiqué pour ses irrégularités. Sainte-Beuve a publié un ouvrage sur la poésie française avant le classicisme, ouvrage qui va jusqu'à Mathurin Régnier, ouvrage qui date aussi de 1828 époque de renouveau dans le traitement du vers avec Vigny et Victor Hugo.
Régnier était le contemporain aussi de Malherbe, sauf que l'un pointe vers le passé du vers considéré comme rude, quand l'autre est considéré comme le premier moule du classicisme.
En fait, plein d'idées intéressantes sont à considérer avec Régnier.
Par exemple, vous savez qu'en ce moment je fais une recherche sur la versification de Lamartine, une recherche qui a un double orientation, puisque je cherche à préciser ce qu'il faut entendre par un beau balancement lamartinien dans "Les Chercheuses de poux" et puisque je suis à la recherche des rejets d'épithètes à la césure. Et je suis devant un constat étonnant. J'avais identifié que Lamartine n'avait jamais pratiqué le rejet d'épithète avant 1825. Ces rejets sont absents des publications faites de 1820 à 1823 : Méditations poétiques, Nouvelles Méditations poétiques et La Mort de Socrate, mais qu'il y avait deux à trois rejets d'épithètes dans les deux textes publiés en 1825 : Chant du sacre et Dernier chant du pèlerinage de Lord Harold, puis j'avais le souvenir d'avoir repéré un double rejet d'épithètes dans un poème des Harmonies poétiques et religieuses, à l'image du vers de Vigny du poème "La Frégate", sauf qu'il n'y a pas de rejet d'épithètes dans les Harmonies poétiques et religieuses apparemment et le vers où il y a bien une coordination d'épithètes après la césure a une structure nom adjectif plus adjectif et complément du nom introduit par la préposition "de", configuration qui a l'air d'être en rejet, mais qui était autorisée chez les classiques, ou qu'en tout cas les classiques pratiquaient, sauf que tout de même la coordination est un petit plus, vu que Mathurin Régnier ou les autres je trouve la structure nom + adjectif + complément du nom introduit par "de". Dans une satire, on a le modèle "chaleur + roussoyante du soleil", ce n'est pas "chaleur", mais "roussoyante du soleil" forme bien le second hémistiche. Et à cause de "du soleil", on ne classe pas "roussoyante" en rejet.
Mathurin Régnier lui-même ne pratique jamais les rejets d'épithètes dans ses poèmes, cas à part de la satire je crois quinzième qui en contiendrait deux, mais je dois encore vérifier cela à tête reposée.
J'ai trouvé des "e" languissants dans les satires de Régnier "envie" suivi d'un mot à initiale consonantique. J'ai trouvé des mots orduriers, triviaux, des tournures grammaticales particulières, j'ai vu Sainte-Beuve parler sur un autre plan des irrégularités de Régnier, j'ai vu des hiatus et le hiatus est dans la chute du poème de Bouilhet en hommage à Régnier, j'ai vu des critiques injustifiées des césures de Régnier. par exemple, en ligne sur wikisource vous pouvez lire une édition de 1853, une édition donc contemporaine de Rimbaud né un an plus tard et qui devait la consulter plus volontiers que d'autres. Cette édition de 1853 est farcie de notes qui jugent parfois les irrégularités de Régnier et proposent des remèdes, et j'ai vu un remède par déplacement de la césure, le censeur croyant que la césure entre un verbe recteur "va" et un infinitif passait mal, alors que ces césures entre auxiliaires et participes passés, et donc à plus forte raison entre verbes pour dire vite semi-auxiliaires et verbes à l'infinitif sont naturelles chez les classiques et pas du tout proscrites.
Je vais réfléchir sur le problème des rejets de compléments du verbe, de compléments du nom. Régnier est plus classique que du Bellay, Ronsard et Marot. Et plus régulier dans son vers que Chénier.
Je me dis que je suis sur les bases intéressantes d'un dossier important en terme d'études comparatives dans la pratique du vers. Je pense que je peux clarifier pas mal de perspectives.
Il y a deux trimètres apparents, mais pas pensés comme tels par Régnier, que j'ai retrouvés et que je commenterai. L'un était cité dans des traités du vers comme mal écrit, mais pas comme trimètre.
J'ai trouvé aussi une césure après le mot "après" de la conjonction "après que", et cela dans la première satire je crois.
Je compte lire aussi les poésies de son oncle Desportes et lire en parallèle Malherbe. Je compte aussi faire toutes les recensions nécessaires dans du Bellay, Ronsard, Racine, Molière, Corneille et Rotrou, et j'ai même des césures particulières de Marot à signaler à l'attention.
La rareté de certains rejets chez Chénier (les rejets d'épithètes) et chez Régnier (d'épithètes, mais aussi de compléments du nom ou de compléments verbaux) va donner une tout autre dimension à ce qui s'est passé avec Vigny et Hugo. Par ailleurs, on apprend avec le texte où Sainte-Beuve compare Chénier et Régnier que Lamartine n'aimait pas la poésie de Chénier, ce que je peux confirmer, puisque Lamartine aurait fait la concession de rejets d'épithètes à sa mise en vogue en 1825 avant d'y renoncer, sauf que même s'il y a renoncé Lamartine a pratiqué des formes qui sans être les rejets eux-mêmes sont des formes approchantes de ces rejets. Peu de fois, mais j'en ai repéré quelques-unes. Et je suis en train de mettre en place un concept métrique intermédiaire nécessaire, celui de tremblé de facture qui permettrait de commenter les effets de sens métriques des poètes classiques, en se détachant du tout ou rien des lois métriques définies par Cornulier. Cornulier réagit par un rejet de tout ce qui n'est pas déviant, il le place dans le nul et non avenu pour la critique littéraire, alors que l'auteur a vécu l'écriture de son vers. Racine ou Ronsard aimaient leurs césures, cherchaient à produire des effets, et je ne suis pas satisfait du cadre restrictif posé par la méthode de Cornulier. Du coup, je veux mettre au point cette idée de tremblé de facture, expression que je reprends aux propos de Verlaine sur "Les Chercheuses de poux", mais dans une visée métrique toute différente de ce que ciblait Verlaine pour sa part.

***

Petit bonus en fin d'article : Rimbaud a ajouté deux quintils au poème "L'Homme juste". Le poème "L'Homme juste" vise Victor Hugo, mais les deux quintils s'élargissent à des "Justes" et donc à ceux qui prennent le parti de Victor Hugo. Or, Rimbaud après l'incident Carjat a été éloigné de Paris pour deux mois, et quand il revient en mai il y a deux faits à noter. D'abord il y a eu des interventions zutiques, sans implication de Rimbaud, où on se moque de l'actualité d'un tableau représentant la tête coupée de Mérat. Ensuite, il y a eu le lancement de la revue La Renaissance littéraire et artistique à la toute fin du mois d'avril, dont Rimbaud va découvrir les premiers numéros avec le poème inédit de Verlaine qui deviendra la première des "Ariettes oubliées" et frustré en juin de l'imbécillité crasse de cette parade peu sauvage Rimbaud va inviter son ami Delahaye à chier sur cette revue.
Or, un peu dans le sens où comme le souligne Yves Reboul dans un article récent le poème "La Rivière de Cassis" contiendrait le mot "claire-voies" en renvoi à son occurrence dans un avant-dernier poème à rôle conclusif dans le recueil L'Année terrible, il se trouve que le premier numéro de la revue contient une recension du recueil de Victor Hugo par Léon Valade. page 4 : on a deux poèmes l'un assez mauvais de Sully Prudhomme, l'autre, dérisoire exercice banal et vague, de Pierre Elzéar. Puis, nous avons la recension par Léon Valade et sa fin à la page 5 est suivie par la première partie du texte "Parisiennes" d'Ernest d'Hervilly avec une femme qui prie et... s'agenouille, s'accordant une pause dans sa vie de belle dépravée au point qu'elle absolutise ce moment.
Dans sa recension, Valade évoque la Commune en des termes négatifs en phase bien sûr avec l'esprit du recueil hugolien, en phase avec le discours autorisé publiquement par l'époque répressive (autorisé / répressive, oui je l'ai fait exprès) : "voici venir la guerre civile sous les yeux de l'étranger, [...] et les massacres d'otages". Valade ne pense peut-être pas pleinement ce qu'il écrit, mais il donne clairement des gages de bonne conduite ici. Le discours est clairement admiratif de la pose de guide morale développée par Hugo. Le texte d'Ernest d'Hervilly n'a rien à voir, et les "genouillères en vente" de "L'Homme juste" font partie des quintils de base du poème de juillet 1871, non de l'ajout final. Mais, Rimbaud pouvait difficilement passer à côté de la coïncidence. Valade est l'ami proche de Mérat, et des années durant Verlaine va se plaindre que Valade ne lui écrit pas. On comprend que Valade a pris ses distances avec Verlaine bien évidemment.
Rimbaud n'a pu ajouter les deux quintils à "L'Homme juste" qu'à son retour à Paris vers le 7 mai 1872, moment où il a découvert précisément le premier numéro de la revue de Blémont paru le 27 avril, puis le second numéro paru le 4 mai qui contient une lettre en retour de Victor Hugo, lettre qui est suivie par une revue du "Salon de 1872" qui, précisément si je ne m'abuse, a exhibé la tête décapitée de Mérat en tableau.
Je ne sais pas pourquoi je n'avais jamais fait un lien direct entre les deux premiers numéros de la revue et les deux quintils de "L'Homme juste". Je pourrais faire quelques autres citations pour renforcer, mais aucun fantôme n'étant là pour me tourmenter, je vais me coucher. Bye.

**

- Et la franc-maçonnerie ?
Moi : - La franc-maçonnerie, c'est franchement con, mets-moi sa substance clairement sur la table déjà au lieu d'être fuyant et vague, c'est antinomique de la révolution française et de la démocratie directe. Rimbaud, il voyait ces gens-là autour de lui, Blémont et compagnie, il n'a pas daigné en faire partie. Il savait que c'était complètement débile et que c'était s'asservir à un ordre hiérarchique antirévolutionnaire, à une organisation dont il ne connaissait même pas le profil des gens qui la dirigent. Il y a un moment où il faut arrêter la débilité mentale, c'est tout.

lundi 23 septembre 2024

Coup de projecteur sur Baudelaire et Rimbaud, lecteurs de Lamartine !

Tout au long du vingtième siècle, les gens de la critique littéraire, en incluant les rimbaldiens, ont privilégié la recherche sous le lampadaire, la recherche de ce qui est déjà éclairé. Et cela s'accompagne d'une autre tendance majeure : ramener l'auteur qu'on étudie à un débat avec la postérité qu'il a engendré. Rimbaud parlera avec les surréalistes, les romanciers du vingtième siècle, etc. On lit encore Baudelaire de nos jours, mais sur l'étagère il n'est pas à côté des poètes de son siècle, mais parmi des tonnes de livres du vingtième siècle, sinon parmi des volumes de ces cinquante dernières années.
Au-delà de Rimbaud et Baudelaire, les poètes du passé semblent être lus en passant, et cela vaut pour les enseignants à l'Université et pour les étudiants en Lettres modernes, classiques, etc.
Dans un précédent article, je montrais par des preuves irréfutables que le célèbre sonnet de Félix Arvers (pensez au "Ousqu'est mon sonnet" de Verlaine) s'inspirait d'un poème des Harmonies poétiques et religieuses de Lamartine : "L'Abbaye de Vallombreuse". Vous pouvez vous dire que ce n'est pas si évident que ça à découvrir, sauf que cette idée m'avait déjà traversé l'esprit par le passé et qu'en lisant à nouveau le poème en question de Lamartine l'idée m'est revenue brutalement à l'esprit. Je n'ai fait aucun effort pour y penser. Je lis simplement les poèmes de Lamartine, avec de bien autres objectifs d'investigation en tête, et puis je tombe sur un vers qui ressemble de près au premier vers du sonnet de Félix Arvers, et je lis le vers suivant, et lui aussi me rappelle un vers du même sonnet d'Arvers. Puis je creuse le sujet.
Vous me direz que personne ne lit Lamartine, vous n'en trouvez pas d'exemplaires dans les librairies voisines de votre domicile, vous êtes le seul de votre entourage à lire de toute façon de la poésie, voire de la littérature classique. Mouais ! Il existe quand même un vivier d'étudiants dans les sections littéraires universitaires. De 18 à 20 ou 22 ans, il y a des gens qui vivent dans un milieu de si pas futurs collègues, du moins dans un milieu de gens qui aiment lire des classiques et qui en lisent encore plus par la situation d'obligation et de prédilection dans laquelle ils se trouvent, et ces gens sont encadrés par des professeurs qui eux ont toute une vie à passer dans les classiques de la Littérature. Comment se fait-il que cette masse de gens ne fait pas le lien entre le sonnet d'Arvers et "L'Abbaye de Vallombreuse" de Lamartine ? Et comment se fait-il que, dans le passé, où la littérature avait une autre importance et étant autrement consommée par le public, personne n'ait fait le rapprochement ? Je pense que vers 1833 les gens ont bien vu qu'Arvers s'inspirait de la publication toute récente des Harmonies poétiques et religieuses de Lamartine, mais ça ne s'écrivait pas ainsi dans la presse. En revanche, au vingtième siècle, et à plus forte raison depuis l'avènement d'une critique littéraire donnant son importance aux sources dans les années quatre-vingt-dix, il aurait été naturel que le constat soit balancé à de multiples reprises dans des articles de critique littéraire.
Ce blocage est vraiment étonnant.
Mais il est plus radical encore qu'on ne l'imagine.
Les Fleurs du Mal de Baudelaire, c'est le volume de poésies françaises le plus lu. Ni Rimbaud, ni Hugo ne rivalisent. Or, Baudelaire passe pour une rupture de modernité dans l'histoire de la poésie, ce qui fait qu'on se détourne d'une recherche des sources du côté de ses prédécesseurs, alors même que pour se former à la poésie Baudelaire a, évidence de La Palice, plutôt lu ceux qui étaient venus avant lui que ceux qui sont venus après.
Le titre Les Fleurs du Mal ne serait pas de Baudelaire lui-même, mais d'Hippolyte Babou. Notons malgré tout que le titre Les Fleurs du Mal résonne finalement comme une inversion du titre Harmonies poétiques et religieuses, avec une équivalence de "Fleurs" à "Harmonies poétiques" pour une opposition du mot "Mal" avec "religieuses". A cela s'ajoute l'idée d'une remise en cause de la notion d'harmonie qui peut être celle du Mal, alors que le mot "harmonie" suppose clairement l'idée du Bien chez Lamartine. Baudelaire a écrit un poème au titre "Harmonie du soir", mais après le poème liminaire son recueil des Fleurs du Mal s'ouvre par un poème intitulé ironiquement "Bénédiction" qui ne peut manquer de faire écho encore une fois à Lamartine, et à ce titre de poème "Bénédiction du poème" qui fait partie du recueil de 1830 Harmonies poétiques et religieuses. Les lecteurs des Fleurs du Mal sont plus familiers du Baudelaire rédigé par Sartre que des tartines poétiques du grand romantique... Pourtant, ils en apprendraient beaucoup plus sur les soubassements de la poétique baudelairienne en "s'ennuyant" à lire du Lamartine qu'à se pâmer sur les spéculations subjectives et frêles de Jean-Paul Sartre.
Le poème "Elévation", le troisième de la section "Spleen et Idéal" du recueil des Fleurs du Mal, me fait lui aussi nettement penser à plusieurs vers de Lamartine qui évidemment envisage plutôt l'élévation vers Dieu en refusant ce monde. Lamartine parle d'une élévation à Dieu par l'expérience de la mort qui est une voie d'accès à l'éternité, à l'immortalité, la vie dans ce monde-ci étant une souffrance. L'hémistiche "La Nature est un temple" au début du sonnet "Les Correspondances", le quatrième poème numéroté des Fleurs du Mal, vient lui aussi tout droit des vers de Lamartine, il s'agit d'un hémistiche repris tel quel à Lamartine en fait. Et le vers final du poème liminaire des Fleurs du Mal, qui tout le monde en conviendra est une citation de chrétien déformée, reprend son moule lui aussi à un vers de Lamartine :
Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère !
Baudelaire cite un vers du poème intitulé rien moins que "La Foi", poème qui fait partie du recueil essentiel de Lamartine que sont les Méditations poétiques :
Homme, semblable à moi, mon compagnon, mon frère !
Je trouve vraiment ça impressionnant qu'aucun spécialiste de Baudelaire n'ait jamais fait le rapprochement. Je ne comprends pas comment un tel blocage mental est possible.
J'ai déjà mentionné cette source à plusieurs reprises ces vingt dernières années, mais personne ne relaie l'information...
Pour l'hémistiche "La Nature est un temple", vous vous reportez à nouveau à l'édition originale des Méditations poétiques, ce qui limite votre lecture à un ensemble de vingt-quatre poèmes, et vous constatez que le titre d'un des vingt-quatre poèmes est précisément "Le Temple". De quoi parle ce poème de Lamartine ? Le terme "temple" y est-il métaphorique ?
Il est en fait question d'une architecture créée à des fins religieuses, mais le temple mentionné à trois reprises est qualifié à la première occurrence de "rustique" :
[...]
Qu’il est doux de porter ses pas religieux
Dans le fond du vallon, vers ce temple rustique
Dont la mousse a couvert le modeste portique,
Mais où le ciel encor parle à des cœurs pieux !
La suite immédiate de ce que je viens de citer établit tout de même une relative ambiguïté, puisque le salut s'élargit à l'environnement du bois lui-même :
Salut, bois consacré ! Salut, champ funéraire,
Des tombeaux du village humble dépositaire ;
Je bénis en passant tes simples monuments.
Je cite la deuxième occurrence du mot "temple" dans ce poème en vous prévenant que, plus bas, nous allons parler du poème "Les Phares" de Baudelaire :
Oui, malgré la terreur que ton temple m’inspire,
Ma bouche a murmuré tout bas le nom d’Elvire ;
Et ce nom répété de tombeaux en tombeaux,
Comme l’accent plaintif d’une ombre qui soupire,
De l’enceinte funèbre a troublé le repos.

Cependant, dès le quatrième poème des Méditations poétiques, la pièce hautement significative du recueil intitulée "L'Immortalité", d'ailleurs recueillie dans l'anthologie Lagarde et Michard sur la littérature française du XIXe siècle, vous avez droit à l'hémistiche qui ouvre le sonnet "Les Correspondances" de Baudelaire :
Dieu caché, disais-tu, la nature est ton temple !
Baudelaire a modifié le déterminant : article indéfini "un" au lieu du possessif "ton". Le modèle métaphorique suivi par Baudelaire vient de Lamartine qui l'exprime explicitement ici. Et bien sûr il convient d'apprécier le déplacement d'un cadre d'adoration chrétienne à un cadre où la présence de Dieu est plus hypothétique.
Vous avez ensuite un poème moins connu et sans doute de moindre qualité au sein des Méditations poétiques qui porte pourtant un titre bien significatif "La Prière" et où apparaît un hémistiche apparenté à celui que nous venons d'exhiber. Je vous le cite : "L'univers est le temple", mais au milieu d'un extrait lui-même important à connaître pour apprécier l'évidence de l'influence de Lamartine sur le sonnet "Les Correspondances" :
Voilà le sacrifice immense, universel !
L’univers est le temple, et la terre est l’autel ;
Les cieux en sont le dôme : et ces astres sans nombre,
Ces feux demi-voilés, pâle ornement de l’ombre,
Dans la voûte d’azur avec ordre semés,
Sont les sacrés flambeaux pour ce temple allumés :
Et ces nuages purs qu’un jour mourant colore,
Et qu’un souffle léger, du couchant à l’aurore,
Dans les plaines de l’air, repliant mollement,
Roule en flocons de pourpre aux bords du firmament,
Sont les flots de l’encens qui monte et s’évapore
Jusqu’au trône du Dieu que la nature adore.
Précisons que de manière différente ces métaphores de Lamartine ont inspiré pas mal de poèmes de Victor Hugo. Quand dans Les Contemplations Hugo parle de la Lune comme d'une hostie, parle de vision de sept lettres d'or dans le ciel, il s'inspire d'antécédents lamartiniens. Il suffit de lire Méditations poétiques et Harmonies poétiques et religieuses pour comprendre ce sur quoi Hugo renchérit.
Dans "La Prière", le "temple est sans voix", dans "Les Correspondances", nous avons de "confuses paroles".
Je précise que les passages les sons, les parfums, les couleurs se répondent ont eux aussi des formulations en écho dans plusieurs passages en vers de Lamartine. Je m'excuse de parfois lire les poèmes de Lamartine sans prendre des notes, mais lisez les recueils de Lamartine, et vous verrez bien...
Evidemment, il est d'autres occurrences du mot "temple" dans les Méditations poétiques où il est question de sanctuaires religieux, il y a même une autre mention telle quelle "temple rustique", mais dans le poème intitulé "Dieu", vous retrouvez l'élargissement métaphorique de la notion de "temple" à la Nature entière, cette idée d'un univers sanctuaire :
Nature ! firmament ! l’œil en vain vous contemple ;
Hélas ! sans voir le Dieu, l’homme admire le temple,
Il voit, il suit en vain, dans les déserts des cieux,
De leurs mille soleils le cours mystérieux !
Il ne reconnaît plus la main qui les dirige !
Un prodige éternel cesse d’être un prodige !
Je n'ai pas l'impression de vous avoir beaucoup forcé la main pour vous rendre à l'évidence que Baudelaire cite plusieurs fois le très célèbre premier recueil de Lamartine au début des Fleurs du Mal. Je trouve ça un peu ballot de lire Les Fleurs du Mal sans voir la logique de contre-modèle au plan poétique religieux lamartinien.
Lamartine est le poète d'un seul recueil de vingt-quatre poèmes dans notre perception, les Méditations poétiques. Personne ne lit plus guère son second volume de référence que sont les Harmonies poétiques et religieuses, et il en va de même pour Jocelyn ou La Chute d'un ange qui passent pour des récits fatigants par leurs longueurs. Il y a quelques poèmes épars de Lamartine qui ont une réputation par la suite, mais l'essentiel c'est bien son premier recueil. On oublie un peu vite son poème La Mort de Socrate publié isolément en 1822. Les Nouvelles Méditations poétiques de 1823 était un recueil de restes d'époque fait dans l'urgence pour profiter du succès du recueil initial de 1820.
Cependant, ce recueil de 1820 contient une série conséquente de pièces d'un impact majeur dans l'histoire de la littérature et de la poésie françaises. On cite inévitablement "Le Lac", "L'Isolement", "Le Vallon" et "L'Automne", sachant que trois de ces poèmes ont des petits larcins du côté de la poésie du XVIIIe siècle, mais il ne faut pas oublier les pièces ambitieuses avec un vrai propos métaphysique que sont "L'Homme", "L'Immortalité", etc., et même un poème tel que "Le Soir" tout en octosyllabes a eu son impact. Les poèmes aux titres apparemment platement religieux : "La Prière", "La Foi", "Dieu", ont leur importance.
J'insisterais tout particulièrement sur l'importance du poème "L'Homme" qui s'adresse à Byron, ce poème "L'Homme" a eu une influence considérable sur Baudelaire et aussi sur Musset, et des vers célèbres de "La Nuit de mai" sont nés de la lecture du poème "L'Homme".
De manière incroyable, les spécialistes de Baudelaire et de Musset, sur cent ans au moins, n'ont jamais lu les six poèmes les plus marquants des Méditations poétiques de Lamartine. Ils n'ont jamais lu "L'Homme" ou "L'Immortalité", pas même quand ce dernier est cité dans un Lagarde et Michard.
Voilà le monde de culture dans lequel nous vivons. Il n'y a pas de quoi pavoiser.
Au passage, il y a plusieurs vers de "Credo in unam" de Rimbaud qui témoignent bien évidemment d'une lecture de Lamartine, l'homme atome dans l'univers tourné en questions le regard au ciel, c'est un héritage de Lamartine...
Evidemment, l'attaque du poème "Credo in unam" relève d'une mise en bouche sensuelle et païenne qui nous éloigne nettement de Lamartine au profit d'autres modèles : Musset, Hugo, Leconte de Lisle, Baudelaire, Banville, quelques parnassiens, etc. Mais, vous avez quand même l'idée clef de savoir regarder le monde pour avoir la Foi, c'est le schéma lamartinien inversé bien sûr en refus du christianisme. Et la série des questions, avant même de penser aux Contemplations de Victor Hugo, c'est le moment dans "Credo in unam" où on revient au plus près de la valeur de source poétique originelle du premier recueil de Lamartine :
— Pourquoi l’azur muet et l’espace insondable ?
Pourquoi les astres d’or fourmillant comme un sable ?
Si l’on montait toujours, que verrait-on là-haut ?
Un Pasteur mène-t-il cet immense troupeau
De mondes cheminant dans l’horreur de l’espace ?
Et tous ces mondes.là, que l’éther vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d’une éternelle voix ?

— Et l’Homme, peut-il voir ? peut-il dire : Je crois ?
La voix de la pensée est-elle plus qu’un rêve ?
Si l’homme nait si tôt, si la vie est si brève,
D’où vient-il ? Sombre-t-il dans l’Océan profond
Des Germes, des Foetus, des Embryons, au fond
De l’immense Creuset d’où la Mère Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose et croître dans les blés ?…
Nous ne pouvons savoir ! — Nous sommes accablés
D’un manteau d’ignorance et d’étroites chimères !
Singes d’hommes tombés de la vuive des mères,
Notre pale raison nous cache l’infini !
Nous voulons regarder : — le Doute nous punit !
Le doute ; morne oiseau, nous frappe de son aile…
Dans la citation qui précède, la première séquence de sept vers est la plus proche de ce que peut écrire lui-même Lamartine en alexandrins. La suite tend à s'en éloigner par ses choix détaillés, parfois audacieux ("vulve"), mais c'est dans la continuité très nette d'une forme d'interrogation métaphysique que Lamartine a mise au fondement même de la poésie romantique.
Dans les Méditations poétiques, nous avons un poème "Hymne au soleil" précisément. On peut le comparer et l'opposer à "Credo in unam" finalement. Notez que le premier vers de "Hymne au soleil" a été réécrit par Baudelaire dans ses "Litanies de Satan" :
Vous avez pris pitié de sa longue douleur !
Ô Satan, prend pitié de ma longue misère !
Le poème "Credo in unam", réintitulé "Soleil et Chair", célèbre l'astre du jour non comme un don de Dieu, mais comme un constat d'évidence que la Nature physiquement explique nos vies et rend indésirable le modèle mortifère christique. Je n'irai pourtant pas jusqu'à dire que Rimbaud avait eu conscience que Baudelaire avait pratiqué la même inversion de révolte à partir du premier vers de ce poème de Lamartine. Ceci dit, la comparaison suivie entre "Hymne au soleil" et "Credo in unam" a beaucoup de sens. Et c'est là aussi que vous voyez que la recherche des sources pour "Credo in unam" n'aboutit pas à constater un centon camouflant les difficultés des débuts d'un poète.
Il convient de citer tels vers du poème de Lamartine :
Dieu ! que les airs sont doux ! Que la lumière est pure !
Tu règnes en vainqueur sur toute la nature,
Ô soleil ! et des cieux, où ton char est porté,
Tu lui verses la vie et la fécondité !
Le jour où, séparant la nuit de la lumière,
L’éternel te lança dans ta vaste carrière,
L’univers tout entier te reconnut pour roi !
Et l’homme, en t’adorant, s’inclina devant toi !
Vous avez une source à la revendication de l'Homme devenu Roi en se libérant de tous ses dieux, vous avez l'image du soleil qui verse la vie et la fécondité à la Nature nubile.
Prenez le temps de comparer l'attaque de "Credo in unam" avec le début de cet "Hymne au soleil" :
Vous avez pris pitié de sa longue douleur !
Vous me rendez le jour, Dieu que l’amour implore !
Déjà mon front couvert d’une molle pâleur,
Des teintes de la vie à ses yeux se colore ;
Déjà dans tout mon être une douce chaleur
Circule avec mon sang, remonte dans mon cœur
Je renais pour aimer encore !

Mais la nature aussi se réveille en ce jour !
Au doux soleil de mai nous la voyons renaître ;
Les oiseaux de Vénus autour de ma fenêtre
Du plus chéri des mois proclament le retour !
Le poème "Hymne au soleil" comporte quelques passages d'interrogations métaphysiques, mais pour la série des questions d'autres poèmes de Lamartine sont plus intéressants à mentionner :
Mais ton sublime auteur défend-il de le croire ?
N’es-tu point, ô soleil ! un rayon de sa gloire ?
Quand tu vas mesurant l’immensité des cieux,
Ô soleil ! n’es-tu point un regard de ses yeux ?
Les questions de Rimbaud ont pour modèle certains vers du poème "L'Homme" dont j'ai déjà dit l'importance pour Baudelaire et pour Musset. Jugez-en sur pièces : Rimbaud ne reprend pas la forme des questions à ce poème, mais il est assez clair qu'il reformule des passages de ce poème (soulignements nôtres).
[...]
Mais que sert de lutter contre sa destinée ?
Que peut contre le sort la raison mutinée ?
Elle n'a comme l’œil qu'un étroit horizon.
Ne porte pas plus loin tes yeux ni ta raison :
Hors de là tout nous fuit, tout s'éteint, tout s'efface;
Dans ce cercle borné Dieu t'a marqué ta place.
Comment ? pourquoi ? qui sait ? De ses puissantes mains
Il a laissé tomber le monde et les humains,
Comme il a dans nos champs répandu la poussière,
Ou semé dans les airs la nuit et la lumière;
Il le sait, il suffit : l'univers est à lui,
Et nous n'avons à nous que le jour d'aujourd'hui !
Notre crime est d'être homme et de vouloir connaître :
Ignorer et servir, c'est la loi de notre être.
Byron, ce mot est dur : longtemps j'en ai douté;
Mais pourquoi reculer devant la vérité ?
Ton titre devant Dieu c'est d'être son ouvrage !
De sentir, d'adorer ton divin esclavage;
Dans l'ordre universel, faible atome emporté,
D'unir à tes desseins ta libre volonté,
D'avoir été conçu par son intelligence,
De le glorifier par ta seule existence !
Voilà, voilà ton sort. Ah ! loin de l'accuser,
Baise plutôt le joug que tu voudrais briser;
Descends du rang des dieux qu'usurpait ton audace;
Tout est bien, tout est bon, tout est grand à sa place;
Aux regards de celui qui fit l'immensité,
L'insecte vaut un monde : ils ont autant coûté !
[...]
Rimbaud prend explicitement le contrepied de ce discours, et il en reprend clairement des images, expressions, "atome"... :
Misère ! Maintenant il dit : Je sais les choses,
Et va, les yeux fermés et les oreilles closes :
— Et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l’Homme est Roi,
L’Homme est Dieu ! Mais l’Amour, voilà la grande Foi !
— Oui, l’Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste,
Il a des vêtements, parce qu’il n’est plus chaste,
Parce qu’il a sali son fier buste de dieu,
Et qu’il a rabougri, comme une idole au feu,
Son corps olympien aux servitudes sales !

 

— Car l’Homme a fini ! l’Homme a joué tous les rôles ! 
Au grand jour, fatigué de briser des idoles

Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux !
L’Idéal, la pensée invincible, éternelle,
Tout le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brûlera sous son front !
Et quand tu le verras sonder tout l’horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Rédemption sainte !
O l’Homme a relevé sa tête libre et fière !
Et le rayon soudain de la beauté première
Fait palpiter le dieu dans l’autel de la chair !
Heureux du bien présent, pale du mal souffert,
L’Homme veut tout sonder — et savoir ! La Pensée,
La cavale longtemps, si longtemps oppressée
S’élance de son front ! Elle saura Pourquoi !...
Qu’elle bondisse libre, et l’Homme aura la Foi !
Nous ne pouvons savoir ! — Nous sommes accablés
D’un manteau d’ignorance et d’étroites chimères !
Singes d’hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pale raison nous cache l’infini !
Notez que le vers "Singes d'hommes tombés de la vulve des mères" entre en écho, malgré son obscénité, avec le vers suivant : "Il a laissé tomber le monde et les humains". Nous avons une claire inversion de l'idée du crime commis par les humains. Pourtant, aucun rimbaldien ne songe jamais à comparer "Credo in unam" au discours de Lamartine. J'ai signalé ce fait à quelques reprises ces quinze dernières années, mais je parle dans le vide. Ici, pour la première fois, je cite une partie conséquente du matériel que j'ai à ce sujet.
Et sur les singes tombés de la vulve des mères, et sur le reproche fait aux hommes de s'amoindrir dans l'exil subi, appréciez encore la citation suivante de toujours le même poème "L'Homme" :

Borné dans sa nature, infini dans ses vœux,

L'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux;

Soit que déshérité de son antique gloire,

De ses destins perdus il garde la mémoire;

Soit que de ses désirs l'immense profondeur

Lui présage de loin sa future grandeur :

Imparfait ou déchu, l’homme est le grand mystère.

Dans la prison des sens enchaîné sur la terre,

Esclave, il sent un cœur né pour la liberté ;

Malheureux, il aspire à la félicité ;

Il veut sonder le monde, et son œil est débile ;

Il veut aimer toujours, ce qu’il aime est fragile !

Les échos avec "Credo in unam" sont d'une éclatante évidence. C'est évident que le poème de Rimbaud est pour partie une réplique à Lamartine. Je pourrais citer des questions du poème "L'Immortalité" ou d'autres du recueil Harmonies poétiques et religieuses. Mais, mon idée, c'est qu'il faut croiser l'emploi des questions avec le repérage de vers de Lamartine qui ne sont pas forcément des interrogations mais qui contiennent les idées de la séquence interrogative du poème "Credo in unam". Je cite tout de même le vers final du poème "Dieu" : "L'homme cessa de croire, il cessa d'exister !" Il exprime la thèse de Lamartine contre laquelle se dresse l'antithèse rimbaldienne.
Après ses Méditations poétiques, Lamartine ne semble avoir fait que survivre poétiquement. Ce n'est pas tout à fait exact, puisque le recueil Harmonies poétiques et religieuses a lui-même une certaine importance. Mais, les contenus des productions ultérieures de Lamartine sont souvent plus didactiques et plus vagues. Il n'y a plus la force dramatique des sujets du premier recueil, ou alors c'est vraiment une fois de temps en temps de manière espacée. La lecture d'ensemble des Harmonies poétiques et religieuses est moins enrichissante malgré tout. Ceci dit, ce recueil a son lot de pièces importantes, il est admirablement écrit et il faudrait que je fasse des commentaires à ce sujet, et je me réserve de citer plus tard des pièces à comparer au poème "L'Eternité" de Rimbaud. Mais, pour l'instant, j'ai envie de citer le premier poème des Harmonies poétiques et religieuses. Il s'intitule "Invocation" et il est une source essentielle à la composition des derniers quatrains du poème "Les Phares" des Fleurs du Mal :
[...]

Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,
Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,
Sont un écho redit par mille labyrinthes ;
C’est pour les cœurs mortels un divin opium !

C’est un cri répété par mille sentinelles,
Un ordre renvoyé par mille porte-voix ;
C’est un phare allumé sur mille citadelles,
Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois !

Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité !
Ce mot de la fin "éternité" entre nettement en écho avec le même procédé dans plusieurs poèmes de Lamartine. Les énumérations avec une accumulations de déterminants démonstratifs "ces" sont typiques du Lamartine des Harmonies poétiques et religieuses. Puis la notion d'écho développée est métaphoriquement aussi dans les poèmes de Lamartine avec mention précisément du nom "écho".
Le poème "Invocation" passe des alexandrins aux octosyllabes, je cite ici tout le début en quatrains d'alexandrins (soulignements nôtres), et bien sûr, avec des comparaisons et des mentions d'un "temple" n'oubliez pas de songer au poème "Les Correspondances", à un poème d'écart des "Phares" dans l'économie du recueil baudelairien : 
Toi qui donnas sa voix à l’oiseau de l’aurore,

Pour chanter dans le ciel l’hymne naissant du jour ;
Toi qui donnas son âme et son gosier sonore
À l’oiseau que le soir entend gémir d’amour ;

Toi qui dis aux forêts : Répondez au zéphire !
Aux ruisseaux : Murmurez d’harmonieux accords !
Aux torrents : Mugissez ! À la brise : Soupire !
À l’Océan : Gémis en mourant sur tes bords !


Et moi, Seigneur, aussi, pour chanter tes merveilles,
Tu m’as donné dans l’âme une seconde voix
Plus pure que la voix qui parle à nos oreilles,
Plus forte que les vents, les ondes et les bois !

Les cieux l’appellent Grâce, et les hommes Génie ;
C’est un souffle affaibli des bardes d’Israël,
Un écho dans mon sein, qui change en harmonie
Le retentissement de ce monde mortel.


Mais c’est surtout ton nom, ô roi de la nature,
Qui fait vibrer en moi cet instrument divin !
Quand j’invoque ce nom, mon cœur plein de murmure
Résonne comme un temple où l’on chante sans fin.

Comme un temple rempli de voix et de prières,
Où d’échos en échos le son roule aux autels !
Hé quoi ! Seigneur, ce bronze, et ce marbre, et ces pierres,
Retentiraient-ils mieux que le cœur des mortels ?

Non, mon Dieu, non, mon Dieu, grâce à mon saint partage,
Je n’ai point entendu monter jamais vers toi
D’accords plus pénétrants, de plus divin langage,
Que ces concerts muets qui s’élèvent en moi !

Mais la parole manque à ce brûlant délire ;
Pour contenir ce feu tous les mots sont glacés.
Eh ! qu’importe, Seigneur, la parole à ma lyre ?
Je l’entends, il suffit ; tu réponds, c’est assez.

La suite du poème de Lamartine tourne en "témoignage" précisément, en "hymne" au nom de Dieu.
La pièce suivante du recueil de Lamartine, "Hymne à la nuit" contient aussi cette énumération avec le déterminant démonstratif :
 Ces chœurs étincelants que ton doigt seul conduit,
Ces océans d’azur où leur foule s’élance,
Ces fanaux allumés de distance en distance,
Cet astre qui paraît, cet astre qui s’enfuit,
Je les comprends, Seigneur ! Tout chante, tout m’instruit
Que l’abîme est comblé par ta magnificence,
Que les cieux sont vivants, et que ta providence
Remplit de sa vertu tout ce qu’elle a produit !
On passe ensuite à des "échos" de la "vague à la vague", etc. On retrouve la qualification de l'atome pour se désigner en tant que faible humain aussi. Et pour confirmer l'évidente nécessité d'un rapprochement à faire avec "Les Phares" de Baudelaire, je cite l'ultime strophe de ce second poème :

Oui, dans ces champs d’azur que ta splendeur inonde,

Où ton tonnerre gronde,
Où tu veilles sur moi,

Ces accents, ces soupirs animés par la foi,
Vont chercher, d’astre en astre, un Dieu qui me réponde,
Et d’échos en échos, comme des voix sur l’onde,

Roulant de monde en monde,
Retentir jusqu’à toi !

J'en ai encore d'autres des choses à dire sur l'influence de Lamartine, mais ceci est déjà tellement conséquent qu'on va s'arrêter là pour cette fois.
Ces rapprochements à faire avec Rimbaud ou Baudelaire, je ne les ai jamais lus nulle part !

EDIT avant minuit : j'ai oublié de relever dans les octosyllabes du poème "Invocation", la mention "mille" elle aussi à rapprocher des "Phares" de Baudelaire : "Ces mille voix de la nature".