lundi 30 septembre 2024
Comment des études des vers de Mathurin Régnier et de Molière pourraient avoir une quelconque importance pour les études des vers de Rimbaud ?
samedi 28 septembre 2024
Testez votre sensibilité métrique avec les deux premières scènes de L'Etourdi de Molière !
Molière :
L’Etourdi :
Acte I, scène 1 :
LÉLIE
Ah ! Mascarille !
MASCARILLE
Quoi ?
LÉLIE
Voici bien des affaires ;
Commentaire :
Alexandrin partagé en trois répliques. Les deux premières forment un seul
hémistiche. Surtout, nous avons un mot d’une syllabe à la césure. Mais, le
lecteur n’aura aucune hésitation, puisque la syllabe précédente est un « e »
féminin de fin de mot. Le lecteur (ou spectateur) reportera naturellement la
césure à l’exclamation « Quoi ? »
Mais, enfin, discourons un peu de ma captive :
Commentaire :
le rejet de la forme adverbiale « un peu » après la césure est naturel
chez les classiques. Il n’y a pas à imaginer une séquence étroitement solidaire :
« discourons un peu / de ma captive ».
Dis si les plus cruels et plus durs sentiments
Commentaire :
Un aspect intéressant. Les classiques évitent les rejets et contre-rejets d’épithètes.
Ici, dans l’absolu, le premier hémistiche : « Di si les plus cruels »,
se prête à une lecture en tant que contre-rejet, mais la coordination qui lance
le second hémistiche semble régulariser psychologiquement l’ensemble du vers,
puisque les classiques se permettent à de nombreuses reprises ce genre de
configurations.
S’imaginant que c’est dans le seul mariage
Qu’il pourra rencontrer de quoi vous faire sage.
Commentaire :
le premier de ces deux vers dément les traités du dix-huitième siècle qui
prétendaient qu’il fallait éviter la césure après la forme « c’est »,
et ce n’est pas un cas isolé.
Et s’il vient à savoir que, rebutant son choix,
Commentaire :
appréciez la structure de ce vers. Malgré la virgule après « que »,
la césure est après l’infinitif « savoir », le mot « que »
est bien placé en tête de second hémistiche, quand bien même il est suivi d’une
possibilité de repos importante. Ce profil de vers, banal chez les classiques,
montre que la césure n’est pas une question de pause, de repos, mais qu’il y a
une sensibilité abstraite aux articulations grammaticales des énoncés qui joue
dans la perception des césures.
Dieu sait quelle tempête alors éclatera,
Commentaire :
appréciez le rejet, naturel pour un classique, de l’adverbe « alors ».
Comparez avec la forme « un peu » plus haut.
Sais-tu qu’on n’acquiert rien de bon à me fâcher ?
Commentaire :
notez que la césure est après « rien » et non après « acquiert »,
« rien de bon » n’était pas considéré comme une unité au dix-septième
siècle.
Et Mascarille est-il ennemi de nature ?
Commentaire :
nouvel exemple, rendu plus évident encore par l’inversion « est-il »
que la forme « est » peut aisément être placé à la césure chez les
classiques.
Poussez votre bidet, vous dis-je, et laissez faire ;
Commentaire :
l’incise « vous dis-je » est placée en rejet et ne s’étend pas non
plus à l’ensemble du second hémistiche, exemple de la souplesse de
versification des classiques.
LÉLIE
Eh bien ! le stratagème ?
MASCARILLE
Ah ! comme vous courez !
Commentaire :
Exemple à opposer aux trois répliques plus haut avec le mot « Quoi ? »
à la césure, ici l’exclamation « Ah ! » est placée à la césure.
La comparaison des deux cas prouve assez que le public doit avoir une certaine
attention pour sentir les césures. Il ne s’agit pas de croire passivement que
la syntaxe et le vers marchent d’un pas uniforme.
Ma cervelle toujours marche à pas mesurés.
Commentaire :
la même remarque vaut pour la position des verbes. Le vers monosyllabique « marche »
vient ici après la césure, mais on aurait très bien pu avoir ce verbe avant la
césure avec un profil grammatical similaire pour l’ensemble de l’alexandrin.
Mais si vous alliez…
LÉLIE
Où ?
MASCARILLE
C’est
une faible ruse.
Commentaire :
Selon Verluyten (années 1990), appuyé par Dominicy, les classiques ne
pratiquent pas de ponctuation forte après la cinquième syllabe, ou alors ils l’atténuent
par une marque de « e » de fin de phrase en cinquième syllabe. Ici,
nous avons une preuve que c’est inexact.
Mais ne pourriez-vous pas… ?
LÉLIE
Quoi ?
MASCARILLE
Vous ne pourriez rien.
Commentaire :
Comparez avec la première citation plus haut. Ici, le même « Quoi ? »
interrogatif et solitaire est placé après la césure.
Monsieur, si vous aviez en main force pistoles,
Commentaire :
le vers n’a pas une césure étonnante, on pourrait se dispenser de le citer,
mais on pourrait imaginer un lecteur qui identifie une séquence solidaire :
« si vous aviez en main ». Or, notez que les classiques pratiques la
transposition (figure aussi appelée l’inversion) : « si vous aviez
force pistoles en main », « si vous aviez en main force pistoles ».
Il faut vraiment être sensible à ces subdivisions internes des énoncés.
Et pourrions, par un prompt achat de cette esclave,
Commentaire :
un contre-rejet d’épithète. Ils vont disparaître du théâtre de Molière, comme
ils sont extrêmement rares chez Corneille, et totalement absents chez Racine.
Ils sont extrêmement rares chez André Chénier lui-même, chez Lamartine !
Et ce vers ne plaide pas pour une attribution de la mise en vers de la comédie L’Etourdi à Corneille, puisqu’il savait
éviter d’y recourir.
Je sais bien qu’il serait très ravi de la vendre :
Commentaire :
rejet de l’attribut du sujet et preuve qu’il ne faut pas sous-estimer la grande
souplesse d’emploi du verbe « être » à la césure chez les classiques.
Mais le mal, c’est…
LÉLIE
Quoi ? c’est…
MASCARILLE
Que
monsieur votre père
Commentaire :
césure sur suspension de la parole et après la forme « c’est ».
mardi 24 septembre 2024
Et si j'écrivais un article sur Mathurin Régnier ?
lundi 23 septembre 2024
Coup de projecteur sur Baudelaire et Rimbaud, lecteurs de Lamartine !
Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère !
Homme, semblable à moi, mon compagnon, mon frère !
[...]Qu’il est doux de porter ses pas religieux
Dans le fond du vallon, vers ce temple rustique
Dont la mousse a couvert le modeste portique,
Mais où le ciel encor parle à des cœurs pieux !
Salut, bois consacré ! Salut, champ funéraire,
Des tombeaux du village humble dépositaire ;
Je bénis en passant tes simples monuments.
Oui, malgré la terreur que ton temple m’inspire,Ma bouche a murmuré tout bas le nom d’Elvire ;Et ce nom répété de tombeaux en tombeaux,Comme l’accent plaintif d’une ombre qui soupire,De l’enceinte funèbre a troublé le repos.
Dieu caché, disais-tu, la nature est ton temple !
Voilà le sacrifice immense, universel !L’univers est le temple, et la terre est l’autel ;Les cieux en sont le dôme : et ces astres sans nombre,Ces feux demi-voilés, pâle ornement de l’ombre,Dans la voûte d’azur avec ordre semés,Sont les sacrés flambeaux pour ce temple allumés :Et ces nuages purs qu’un jour mourant colore,Et qu’un souffle léger, du couchant à l’aurore,Dans les plaines de l’air, repliant mollement,Roule en flocons de pourpre aux bords du firmament,Sont les flots de l’encens qui monte et s’évaporeJusqu’au trône du Dieu que la nature adore.
Nature ! firmament ! l’œil en vain vous contemple ;
Hélas ! sans voir le Dieu, l’homme admire le temple,
Il voit, il suit en vain, dans les déserts des cieux,
De leurs mille soleils le cours mystérieux !
Il ne reconnaît plus la main qui les dirige !
Un prodige éternel cesse d’être un prodige !
— Pourquoi l’azur muet et l’espace insondable ?
Pourquoi les astres d’or fourmillant comme un sable ?
Si l’on montait toujours, que verrait-on là-haut ?
Un Pasteur mène-t-il cet immense troupeau
De mondes cheminant dans l’horreur de l’espace ?
Et tous ces mondes.là, que l’éther vaste embrasse,
Vibrent-ils aux accents d’une éternelle voix ?
— Et l’Homme, peut-il voir ? peut-il dire : Je crois ?
La voix de la pensée est-elle plus qu’un rêve ?
Si l’homme nait si tôt, si la vie est si brève,
D’où vient-il ? Sombre-t-il dans l’Océan profond
Des Germes, des Foetus, des Embryons, au fond
De l’immense Creuset d’où la Mère Nature
Le ressuscitera, vivante créature,
Pour aimer dans la rose et croître dans les blés ?…
Nous ne pouvons savoir ! — Nous sommes accablés
D’un manteau d’ignorance et d’étroites chimères !
Singes d’hommes tombés de la vuive des mères,
Notre pale raison nous cache l’infini !
Nous voulons regarder : — le Doute nous punit !
Le doute ; morne oiseau, nous frappe de son aile…
Vous avez pris pitié de sa longue douleur !
Ô Satan, prend pitié de ma longue misère !
Dieu ! que les airs sont doux ! Que la lumière est pure !
Tu règnes en vainqueur sur toute la nature,
Ô soleil ! et des cieux, où ton char est porté,
Tu lui verses la vie et la fécondité !
Le jour où, séparant la nuit de la lumière,
L’éternel te lança dans ta vaste carrière,
L’univers tout entier te reconnut pour roi !
Et l’homme, en t’adorant, s’inclina devant toi !
Vous avez pris pitié de sa longue douleur !
Vous me rendez le jour, Dieu que l’amour implore !
Déjà mon front couvert d’une molle pâleur,
Des teintes de la vie à ses yeux se colore ;
Déjà dans tout mon être une douce chaleur
Circule avec mon sang, remonte dans mon cœur
Je renais pour aimer encore !
Mais la nature aussi se réveille en ce jour !
Au doux soleil de mai nous la voyons renaître ;
Les oiseaux de Vénus autour de ma fenêtre
Du plus chéri des mois proclament le retour !
Mais ton sublime auteur défend-il de le croire ?
N’es-tu point, ô soleil ! un rayon de sa gloire ?
Quand tu vas mesurant l’immensité des cieux,
Ô soleil ! n’es-tu point un regard de ses yeux ?
[...]Mais que sert de lutter contre sa destinée ?
Que peut contre le sort la raison mutinée ?
Elle n'a comme l’œil qu'un étroit horizon.
Ne porte pas plus loin tes yeux ni ta raison :
Hors de là tout nous fuit, tout s'éteint, tout s'efface;
Dans ce cercle borné Dieu t'a marqué ta place.Comment ? pourquoi ? qui sait ? De ses puissantes mains
Il a laissé tomber le monde et les humains,
Comme il a dans nos champs répandu la poussière,
Ou semé dans les airs la nuit et la lumière;
Il le sait, il suffit : l'univers est à lui,
Et nous n'avons à nous que le jour d'aujourd'hui !Notre crime est d'être homme et de vouloir connaître :Ignorer et servir, c'est la loi de notre être.Byron, ce mot est dur : longtemps j'en ai douté;Mais pourquoi reculer devant la vérité ?Ton titre devant Dieu c'est d'être son ouvrage !De sentir, d'adorer ton divin esclavage;Dans l'ordre universel, faible atome emporté,D'unir à tes desseins ta libre volonté,D'avoir été conçu par son intelligence,De le glorifier par ta seule existence !Voilà, voilà ton sort. Ah ! loin de l'accuser,Baise plutôt le joug que tu voudrais briser;Descends du rang des dieux qu'usurpait ton audace;Tout est bien, tout est bon, tout est grand à sa place;Aux regards de celui qui fit l'immensité,L'insecte vaut un monde : ils ont autant coûté ![...]
Misère ! Maintenant il dit : Je sais les choses,
Et va, les yeux fermés et les oreilles closes :
— Et pourtant, plus de dieux ! plus de dieux ! l’Homme est Roi,
L’Homme est Dieu ! Mais l’Amour, voilà la grande Foi !
— Oui, l’Homme est triste et laid, triste sous le ciel vaste,
Il a des vêtements, parce qu’il n’est plus chaste,
Parce qu’il a sali son fier buste de dieu,
Et qu’il a rabougri, comme une idole au feu,
Son corps olympien aux servitudes sales !
— Car l’Homme a fini ! l’Homme a joué tous les rôles !
Au grand jour, fatigué de briser des idoles
Il ressuscitera, libre de tous ses Dieux,
Et, comme il est du ciel, il scrutera les cieux !
L’Idéal, la pensée invincible, éternelle,
Tout le dieu qui vit, sous son argile charnelle,
Montera, montera, brûlera sous son front !
Et quand tu le verras sonder tout l’horizon,
Contempteur des vieux jougs, libre de toute crainte,
Tu viendras lui donner la Rédemption sainte !
O l’Homme a relevé sa tête libre et fière !
Et le rayon soudain de la beauté première
Fait palpiter le dieu dans l’autel de la chair !
Heureux du bien présent, pale du mal souffert,
L’Homme veut tout sonder — et savoir ! La Pensée,
La cavale longtemps, si longtemps oppressée
S’élance de son front ! Elle saura Pourquoi !...
Qu’elle bondisse libre, et l’Homme aura la Foi !
Nous ne pouvons savoir ! — Nous sommes accablés
D’un manteau d’ignorance et d’étroites chimères !
Singes d’hommes tombés de la vulve des mères,
Notre pale raison nous cache l’infini !
Borné dans sa nature, infini dans ses vœux,
L'homme est un dieu tombé qui se souvient des cieux;
Soit que déshérité de son antique gloire,
De ses destins perdus il garde la mémoire;
Soit que de ses désirs l'immense profondeur
Lui présage de loin sa future grandeur :
Imparfait ou déchu, l’homme est le grand mystère.
Dans la prison des sens enchaîné sur la terre,
Esclave, il sent un cœur né pour la liberté ;
Malheureux, il aspire à la félicité ;
Il veut sonder le monde, et son œil est débile ;
Il veut aimer toujours, ce qu’il aime est fragile !
[...]Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,
Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,
Sont un écho redit par mille labyrinthes ;
C’est pour les cœurs mortels un divin opium !
C’est un cri répété par mille sentinelles,
Un ordre renvoyé par mille porte-voix ;
C’est un phare allumé sur mille citadelles,
Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois !
Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité !
Toi qui donnas sa voix à l’oiseau de l’aurore,Pour chanter dans le ciel l’hymne naissant du jour ;
Toi qui donnas son âme et son gosier sonore
À l’oiseau que le soir entend gémir d’amour ;
Toi qui dis aux forêts : Répondez au zéphire !
Aux ruisseaux : Murmurez d’harmonieux accords !
Aux torrents : Mugissez ! À la brise : Soupire !
À l’Océan : Gémis en mourant sur tes bords !
Et moi, Seigneur, aussi, pour chanter tes merveilles,
Tu m’as donné dans l’âme une seconde voix
Plus pure que la voix qui parle à nos oreilles,
Plus forte que les vents, les ondes et les bois !
Les cieux l’appellent Grâce, et les hommes Génie ;
C’est un souffle affaibli des bardes d’Israël,
Un écho dans mon sein, qui change en harmonie
Le retentissement de ce monde mortel.
Mais c’est surtout ton nom, ô roi de la nature,
Qui fait vibrer en moi cet instrument divin !
Quand j’invoque ce nom, mon cœur plein de murmure
Résonne comme un temple où l’on chante sans fin.
Comme un temple rempli de voix et de prières,
Où d’échos en échos le son roule aux autels !
Hé quoi ! Seigneur, ce bronze, et ce marbre, et ces pierres,
Retentiraient-ils mieux que le cœur des mortels ?
Non, mon Dieu, non, mon Dieu, grâce à mon saint partage,
Je n’ai point entendu monter jamais vers toi
D’accords plus pénétrants, de plus divin langage,
Que ces concerts muets qui s’élèvent en moi !
Mais la parole manque à ce brûlant délire ;
Pour contenir ce feu tous les mots sont glacés.
Eh ! qu’importe, Seigneur, la parole à ma lyre ?
Je l’entends, il suffit ; tu réponds, c’est assez.
Ces chœurs étincelants que ton doigt seul conduit,Ces océans d’azur où leur foule s’élance,
Ces fanaux allumés de distance en distance,
Cet astre qui paraît, cet astre qui s’enfuit,
Je les comprends, Seigneur ! Tout chante, tout m’instruit
Que l’abîme est comblé par ta magnificence,
Que les cieux sont vivants, et que ta providence
Remplit de sa vertu tout ce qu’elle a produit !
Oui, dans ces champs d’azur que ta splendeur inonde,
Où ton tonnerre gronde,
Où tu veilles sur moi,Ces accents, ces soupirs animés par la foi,
Vont chercher, d’astre en astre, un Dieu qui me réponde,
Et d’échos en échos, comme des voix sur l’onde,Roulant de monde en monde,
Retentir jusqu’à toi !