vendredi 29 mai 2020

Les Mains de Jeanne-Marie, un bon tacle dans les pieds de Gautier


En octobre et novembre 1871, Rimbaud a participé à un jeu zutique. Il a composé des poèmes qui parodiaient quelques écrivains en vue de son époque, la raillerie n’allant pas sans arrière-pensées quant à la situation politique. La cible était la plupart du temps identifiable au moyen d’une fausse signature : François Coppée, Albert Mérat, Armand Silvestre, Léon Dierx, Louis-Xavier de Ricard, Paul Verlaine, Belmontet, Louis Ratisbonne. La forme pouvait faciliter une identification, c’est le cas des dizains de cinq paires de rimes plates à la manière de Coppée ou bien des sonnets en vers d’une, deux ou trois syllabes qui renvoyaient aux acrobaties d’Amédée Pommier et à certaines attaques d’Alphonse Daudet contre Verlaine et les Parnassiens. Ce procédé ludique était-il pour autant réservé à un ensemble de compositions d’importance secondaire ? Au moment de la Commune, Rimbaud avait inventé un « Chant de guerre Parisien » qui faisait écho au titre « Chant de guerre circassien » de François Coppée et les quatrains des « Reparties de Nina » et de « Mes Petites amoureuses » reprenaient non sans malicieuse raison la forme strophique de la « Chanson de Fortunio » de Musset, le modèle par excellence des poètes célébrant les Ninons. Dans de telles conditions, il est difficile de croire que nous avons suffisamment interroger les relations possibles des « Chercheuses de poux » et du sonnet « Oraison du soir » à la figure littéraire hostile de Catulle Mendès, puisque la première pièce reprend des éléments du poème « Le Jugement de Chérubin » du recueil Philoméla et la seconde adopte pour les tercets une organisation sur deux rimes aba bab de type pétrarquiste qui appartient au domaine italien, mais qui était restée, des siècles durant, inédite en France jusqu’à l’exception du même recueil Philoméla de Catulle Mendès qui en faisait une signature propre. Vient alors le cas particulier des « Mains de Jeanne-Marie ». Nous savons que Rimbaud s’est attaché à démarquer le poème « Étude(s) de mains » du recueil « Émaux et camées » de Théophile Gautier. Le poème « Les Mains de Jeanne-Marie », malgré quelques expressions obscures, est admis comme une célébration des femmes de la Commune transformées en légendaires pétroleuses bestiales par la réaction versaillaise qui occupe tout le champ de la presse parisienne depuis la semaine sanglante.
Yves Reboul a publié une étude de ce poème qu’il a reprise dans son volume de 2009 Rimbaud dans son temps. Sous le titre « Jeanne-Marie la sorcière » (j’ignore s’il faut supposer une majuscule à « sorcière » dans le titre qui est tout en majuscules), cette étude fait seize pages (p. 131-146), mais, comme son titre l’indique, les principales sources avancées viennent du livre La Sorcière de Michelet et non pas des écrits de l’illustre Gautier. Malgré son réel intérêt, l’article ne s’arrête pas vraiment sur le fait évident d’une parodie caractérisée d’un poème de Gautier.
Après trois pages et demie de mise en contexte, l’auteur mentionne bien l’imitation de Gautier, mais c’est sommairement et pour ne pas s’y attarder. Ce qui l’intéresse, c’est les expressions énigmatiques qu’une étude antérieure de Steve Murphy semble avoir vainement tenté d’élucider. Je cite un passage à cheval sur les pages 134 et 135 :

[…] Les Mains de Jeanne-Marie, [Steve Murphy] en convient après beaucoup d’autres, rendent un hommage passionné aux femmes de la Commune et pour ce faire, récrivent un poème de Gautier, Étude de mains, qui évoquait le moulage d’une main de la courtisane Imperia ainsi que la main naturalisée de l’assassin Lacenaire. Mais demeure alors la question des plages d’illisibilité : Steve Murphy tente à la fois d’en respecter la nature et de les éclairer, en cherchant à dégager les jeux verbaux sur lesquels il pense qu’elles reposent. […]

Il ne m’est pas possible de rendre compte de l’étude en question de Steve Murphy qui figure dans sa thèse demeurée inédite, Le Goût de la révolte : caricature et polémique dans les vers de Rimbaud, thèse de Ph. D., University of Kent, 1986. Je ne l’ai encore jamais consultée.
Dans la suite du commentaire d’Yves Reboul, les références à Gautier disparaissent quasi complètement. La mention « Juana », corruption de la mention à la rime « don Juan » du texte de Gautier, est ainsi rapprochée d’un tout autre poète romantique à la page 140 :

[…] Elle n’est pas Juana, l’héroïne du Don Paez de Musset, qui célèbre ses « blanches mains », ni une mondaine, ou une courtisane.

Loin de nous l’idée de contester les rapprochements avec « Don Paez » de Musset, avec La Sorcière de Michelet, comme il ne saurait être question de minimiser des commentaires et éclaircissements indépendants de la question des sources, mais nous constatons simplement que la référence du poème à Gautier est clairement considérée comme accessoire. Les seules autres mentions à Gautier et au poème « Imperia » figurent dans un paragraphe de la page 144 :

[…] Retrouvant dans une certaine mesure la logique du poème de Gautier, il fait des mains l’indice métonymique de la personne. Étude de mains opposait la blancheur des mains de la courtisane Imperia, signe d’aristocratie, à la main jaune de l’assassin Lacenaire, avec son « duvet roux » : les mains de Jeanne-Marie seront donc brunes du soleil allégorique de la Commune […] le sein d’hier, c’est l’érotisme de la vieille société, où le débauché achète le droit de baiser le sein d’une courtisane dont le lecteur peut imaginer le teint d’albâtre – l’Imperia de Gautier, par exemple.

En 2010, Steve Murphy a publié un volume Rimbaud et la Commune où il est revenu à son tour sur la lecture des « Mains de Jeanne-Marie ». L’étude fait plus de cent pages (« Une place au soleil : Les Mains de Jeanne-Marie », pp.613-720). Une sous-partie de cette profuse analyse est inévitablement consacrée à la réécriture du poème de Gautier : « 14. 3. Gautier réécrit (palimpseste manuel) » pp.625-631, avec inclusion dans ces six pages de la citation in extenso du poème « Étude de mains », ce qui réduit le texte d’analyse lui-même de deux pages et demie.
Steve Murphy introduit cette source avec des termes forts :

[…] au-delà de la visée générique [parodie des blasons anatomiques], il faut tenir compte de ce qui est le véritable hypotexte du poème, Étude de mains de Gautier. Cette « source » est d’une importance considérable, pour toute réflexion portant sur la genèse des Mains de Jeanne-Marie : le poème entre dans une sorte de dialogue oblique avec celui de Gautier. Le poème d’Émaux et Camées prend la forme d’un diptyque qui présente d’abord Impéria, puis Lacenaire, les deux volets représentant une main sculptée en plâtre, puis la main véritable de l’assassin Lacenaire, exécuté le 19 janvier 1836.

La filiation peut être prise en part positive en tant qu’émulation de poète à poète, elle peut aussi être envisagée de manière plus « caustique » si nous pensons que Rimbaud en remontre aux parnassiens avec les audaces de ce poème. Steve Murphy écrit que selon lui, « il est improbable que Rimbaud ait conçu ses parodies de l’époque comme des attaques visant spécifiquement le Parnasse ». Et il ajoute : « on n’a jamais prouvé qu’il fallait voir dans Les mains de Jeanne-Marie une parodie du poème de Gautier. Il serait possible d’affirmer au contraire que Rimbaud a beaucoup apprécié ce poème, certains de ses propres effets mimant, avec une charge idéologique très différente, ceux du vieux romantique désormais placé avec Banville et Leconte de Lisle au sommet du Parnasse. » Murphy se montre ensuite sensible aux échos de Rimbaud qui reprend plusieurs rimes de Gautier ou qui réduit les variations « main », « doigt », « pouce », « phalange » à une reprise plus exclusive et solennelle du mot « mains ». Il fait remarquer que « [l]e baiser implicite des ‘Lèvres jamais désenivrées’ de l’avant-dernière strophe reprend celui, métaphorique, du ‘baiser neigeux’ du moulage en plâtre d’Imperia. » Le critique va revenir plusieurs fois sur des éléments que le poème de Rimbaud reprend à des poèmes de Gautier, mais il ne va jamais développer une amorce de lecture où on verrait les réécritures de Rimbaud servir à blâmer politiquement Gautier. Murphy trouve la relation à Gautier simplement ambivalente, il y aurait d’un côté une admiration de poète à poète et de l’autre une opposition politique. L’avant-dernière partie de cette étude est bien consacrée à cette tension particulière : « 14. 15. Retour sur une relation hypertextuelle ambivalente », mais, alors même que sont livrés des renseignements importants sur la virulence du discours anti-communard de Gautier à l’égard des pétroleuses, Murphy veut croire que Rimbaud n’attendant rien politiquement de Gautier il ne s’emportera pas contre lui comme il l’a fait pour Hugo avec « L’Homme juste ». Murphy insiste beaucoup sur l’idée d’une admiration esthétique du poème de Gautier, à tel point que cela laisse l’impression qu’il n’y a finalement aucune visée satirique certaine dans le choix de la cible parodiée.
Et cela, nous ne pouvons pas l’accepter. Reprenons. Le manuscrit conservé du poème contient une version autographe altérée par des ajouts de la main de Verlaine. Le poème a été augmenté de trois quatrains, a été enrichi d’une précision de variante et enfin il a été daté de la main de Verlaine « Fév. 72 ». En clair, Rimbaud a composé une première version autographe de ce poème en février 72 et puis il a remanié ce texte et l’a enrichi de nouvelles strophes qui ont visiblement été approuvées tant par Rimbaud que par Verlaine. Cette datation manuscrite fait que Steve Murphy et Yves Reboul ont critiqué avec raison les éditeurs qui ont fait passer « Les Mains de Jeanne-Marie » pour une composition du temps même de la Commune. Steve Murphy va même plus loin qu’Yves Reboul, et avec raison, quand il dit que ce poème daté de février 1872 s’inspire des procès des femmes communardes par les tribunaux, celui en particulier de Louise Michel ayant été d’actualité dans la presse au mois de décembre. Et il faut aller jusqu’au bout du raisonnement. En effet, une grande limite actuelle du rimbaldisme, c’est d’étudier les poèmes qui évoquent la Commune comme des témoignages de ce que pense Rimbaud, en montrant le contraste avec ce que peuvent écrire d’autres auteurs franchement hostiles à la Commune. Il s’agit, selon nous, d’une erreur importante dans l’approche, erreur qui fausse directement la lecture et la compréhension des poèmes eux-mêmes. Loin d’accorder un quelconque crédit au témoignage de Delahaye qui prétend que « Le Bateau ivre » a été composé dans le cadre de la montée de Rimbaud à Paris en septembre 1871 nous considérons que le poème a probablement été composé durant l’hiver 1871-1872, après notamment la publication dans la presse en décembre du poème « Le Drapeau rouge » de Victor Fournel, après la publication par Victor Hugo dans Le Rappel de poèmes alors inédits, après les saillies dans la presse sur un jeune communard qui se serait lancé dans la Commune en poète comme un bateau prend la mer, après les descriptions par le menu dans des revues telles que Le Monde illustré des conditions de vie des prisonniers sur les pontons. Nous ne croyons pas du tout que le poème « Paris se repeuple » ait pu être écrit en « mai 1871 » et évoquer le repeuplement de Paris qui n’eut lieu que dans les premiers jours de juin, ni l’emploi de niches de planches pour cacher les dégâts, vu que Rimbaud devait d’abord apprendre ce détail dans la presse avant de s’en servir pour sa composition. Nous avons les indices et même les traces de remaniements de poèmes tels que « L’Homme juste » et « Paris se repeuple » à Paris, puisque plusieurs versions de strophes de ces deux poèmes nous sont parvenues. Enfin, des poèmes tels que « Le Bateau ivre » (probablement décembre 71-février 72), « Les Mains de Jeanne-Marie » (février 72) et « Les Corbeaux » (probablement février-mars 72), même si on voulait en avancer les dates de composition, n’ont pas été composés au lendemain même de la semaine sanglante. Et il faut absolument s’aviser de la possibilité de poèmes écrits ou non en fonction des écrits hostiles de la presse versaillaise. Il y a tout de même une différence de compréhension à la lecture qui doit s’envisager si nous passons de poèmes où l'écrivain exprime avec rage sa détresse politique à des pièces satiriques qui sont des réponses à des discours enragés de versaillais. Il devient, par exemple, sensible que la colère de Rimbaud n’est pas qu’une émotion immédiate face aux événements, mais qu’elle est aussi travaillée, policée, en fonction d’attaques ennemies qui se poursuivirent longtemps après la semaine sanglante dans un certain champ littéraire, celui de la presse. Et il devient alors extrêmement sensible que la recherche rimbaldienne ne peut se construire dans la lecture exclusive entre pairs, entre grands poètes, mais qu’il faut se pencher de très près sur cette littérature sans avenir des journaux d’époque traitant avec passion et visées idéologiques de l’actualité, des grands événements du temps.
Pour lors, revenons-en au cas de la parodie d’un poème de Gautier. Nous le savons (Murphy lui-même insiste dans son étude sur le livre Les écrivains contre la Commune de Paul Lidsky) : les écrivains furent peu nombreux à adhérer à l’insurrection parisienne. Ce fut essentiellement le cas de Rimbaud, Verlaine, Charles Cros et Villiers de l’Isle-Adam. Hugo fut un des rares à s’indigner immédiatement de la répression versaillaise. Zola, lui, s’en est réjoui, et il maintiendra vingt ans plus tard dans son roman La Débâcle l’idée que ce massacre fut un bien nécessaire et que les meneurs de ce mouvement étaient malsains avec pour seule excuse une fièvre obsidionale, c’est-à-dire qu’ils furent rendus furieux par les vicissitudes du siège prussien. Tous les écrivains rejetèrent la Commune, y compris George Sand et Leconte de Lisle. Non seulement ce dernier touchait une pension sous l’Empire, ce qui montre bien qu’il s’y était rallié, mais Paul Lidsky cite de lui des lettres immédiatement postérieures aux événements de 1848. Il s’agit de lettres au poète Louis Ménard qui, lui, restera un républicain engagé, ce Louis Ménard étant toutes proportions gardées une sorte de Rimbaud pour le profil de poète insurgé en 1848. Leconte de Lisle affichait déjà une claire hostilité au peuple et se montrait violemment « dépolitiqué » pour reprendre le mot de Baudelaire. Flaubert, Renan et tant d’autres avaient des conceptions aristocratiques de leurs petites personnes, et tout ce qui se raconte sur la prétendue lucidité critique et descriptive de chapitres de L'Education sentimentale de Flaubert au sujet de la révolution de 1848 n’a aucun appui critique solide et réel. Flaubert était un réactionnaire qui crachait son venin avec brio. Flaubert, Renan, Zola ou Gautier, tous ne soutenaient que des discours peu informés sur la Commune. George Sand prenait elle-même bien soin d'en conspuer les meneurs. Maxime du Camp et Paul de Saint-Victor étaient des amis proches de Flaubert et George Sand, et Maxime du Camp, l'auteur bientôt de l'histoire anticommunarde d'époque la plus virulente est même le dédicataire de cette Etude de mains de Gautier. Or, Gautier était comme Musset et Vigny un poète réactionnaire d’un autre temps. Le recueil Émaux et Camées de 1852 s’ouvrait par un sonnet préfaciel qui daubait superbement les révolutions de 1848. Je suis par conséquent loin d’être convaincu par l’idée plusieurs fois répétée par Murphy que Rimbaud a voulu imiter un poème qu’il admirait. Apportons quelques précisions. Hostile à la Commune, François Coppée était la tête de turc de poètes zutistes et autres qui le parodièrent abondamment. Toutefois, quand il en parle, Verlaine prend le soin de distinguer l’œuvre que Coppée a conçue avant l’année terrible et ce qu’il a produit ensuite. On aurait beau jeu de prêter à Verlaine des intentions malignes, vu que la guerre franco-prussienne, puis la Commune ont opposé les deux écrivains, mais, outre que dans les années 1880 Verlaine s’est lui-même quelque peu repositionné politiquement, c’est pourtant ce qui me semble la vérité que, en dépit des parodies zutistes précoces, l’œuvre de Coppée était de très bonne facture jusqu’en 1871, avant de devenir de plus en plus médiocre. Quand Rimbaud et Verlaine parodient Coppée, ils sont très agressifs pour des raisons politiques, mais ils ne sont pas, selon moi, en train de se moquer d’un écrivaillon de troisième ordre, même si pour partie la parodie du réalisme mièvre à la Coppée révèle tout de même des limites esthétiques qui ne continueront guère de profiter à leur auteur. Or, passons au cas de la poésie de Gautier. De nos jours, il n’est pas évident de se procurer un recueil de poésies de Gautier en-dehors du recueil Émaux et Camées. Le recueil España fait un peu exception, mais il est publié en annexe à de la prose de récits de voyage dans un volume de collection courante. Or, Gautier a publié plusieurs recueils bien avant Émaux et Camées, et comme España ils n’ont rien à envier au recueil qui sert d’étendard à l’art pour l’art. N’oublions pas qu’en 1857 Baudelaire a dédicacé Les Fleurs du Mal à Théophile Gautier, cela peut inclure le recueil Émaux et Camées mais dans sa seule édition originale de 1852. Il y aura pratiquement moitié moins de poèmes dans ce recueil… Mais surtout Baudelaire a écrit des articles sur Gautier et il a bien affirmé que ses préférences étaient pour Albertus, La Comédie de la mort, les « Poésies diverses de 1838 » et España, non pas pour Émaux et Camées qui reste une bonne œuvre, mais qui n’est qu'un recueil parmi d’autres, et ce n'est ni le plus important, ni le plus touchant, de la production poétique de Gautier. Bref, peu importe que Rimbaud ait admiré ou non le diptyque « Étude de mains », il en a sans doute reconnu les mérites, mais sans pour autant s’en extasier. En revanche, il a choisi de parodier cette pièce afin de charger Gautier en tant qu’auteur de la préface apolitique du recueil Émaux et Camées et afin de charger Gautier en tant qu’auteur anticommunard. Rimbaud s’en est attaqué à l’actualité littéraire la plus immédiate. En 1871, Gautier a publié un volume intitulé Tableaux du Siège que Murphy cite en passant dans son immense étude du poème « Les Mains de Jeanne-Marie ». Or, c’est ce document qui est capital. Gautier s’y est également exprimé sur la Commune et à l’unisson de beaucoup d’autres auteurs, dont Zola cité par Murphy, Gautier a fait un portrait-charge des communardes. Il ne se privait pas plus qu’un Alexandre Dumas fils. Le portrait en bêtes féroces concerne aussi les hommes de la Commune, mais l’insulte faite aux femmes est encore plus abjecte dans son refus, d’une misogynie fortement décomplexée, de comprendre la signification sociale de cette adhésion spontanée des femmes du peuple à la Commune. Or, chantre de l’art pour l’art, Gautier est le gourmet des esthètes, celui qui veut dégager la beauté. Il s’oppose bien évidemment à la plèbe incapable du sentiment du beau. On ne peut pas lire « Les Mains de Jeanne-Marie » comme une parodie de Gautier sans voir cela. Murphy fait remarquer que le poème de Rimbaud contient à la rime du second vers le mot à relents scatologiques « tanna » qui est repris au poème « Carmen » du recueil Émaux et Camées. Or, si nous nous reportons au poème « Carmen », nous apprenons des choses intéressantes. Rimbaud a repris la rime « gitana » :: « tanna », et il a imité la corruption « gitane » en « gitana » par la variation de « Jeanne » à « Juana ». Cette « Juana » permet d’évoquer au passage le poème « Don Paez » de Musset qui offre le modèle d’exotisme frelaté que suit également Gautier et il s’agit aussi d’un jeu sur la mention à la rime du nom « don juan » dans « Étude de mains » qui a une consonance hispanique immédiate. Mais, au-delà de ce tissage des indices formels plutôt adroit, on a l’idée que la peau de Carmen est tellement tannée qu’elle est laide, préjugé d’époque qu’on retrouve dans le personnage de Consuelo du roman éponyme de George Sand. Carmen et Consuelo sont des beautés qui doivent se révéler sous un certain jour. Leur charme peut être envoûtant, mais demande des apprêts. Bien qu’il soit un des poètes du petit pied andalou, Gautier développe ici pleinement ce préjugé qui est précisément au centre de la stratégie rhétorique du poème de Rimbaud. Gautier, dans « Carmen », se dit finalement sensible à la beauté de la femme hâlée, une fois passé le délai d’inspection… Il est vrai que le poète tourne cela plus subtilement. Les femmes disent que Carmen est laide, puisqu’elle a la peau tannée, mais il s’agit de jalousie qui cherche un aliment à mordre, quand tous les hommes en sont fous. Mais il y a tout de même une rhétorique du paradoxe de la « moricaude » qui « Bat les plus altières beautés », paradoxe amplifié dans l’ultime quatrain de la « laideur piquante » à l’idée de « L’âcre Vénus du gouffre amer », et si on a remarqué que les mains de Jeanne-Marie sont sombres et pâlies à la fois, il est aussi question de la « pâleur » de cette Carmen dont le diable « tanna » la peau. L’éclat de rubis de Carmen vient de sa « bouche aux rires vainqueurs », celle-ci est présentée en tant que « Piment rouge, fleur écarlate, / Qui prend sa pourpre au sang des cœurs. » Rimbaud verra lui le soleil mettre un rubis dans les mains de Jeanne-Marie. En clair, une étude comparative des « Mains de Jeanne-Marie » et du recueil Émaux et Camées ne manquerait pas de nous conduire assez loin, mais il faut exprimer toutefois une petite réserve. L’édition définitive du recueil date précisément de 1872. Selon mes recherches, il ne s’agit pas d’une édition posthume, le volume aurait été imprimé vers juin 1872. Or, le poème de Rimbaud est daté de février 1872 sur le manuscrit. Je ne crois pas qu’il faille imaginer que les strophes ajoutées le furent après la publication de l’édition définitive, mais il convient de se reporter à une édition du recueil que pouvait connaître Rimbaud en 1872, sans oublier les éventuelles prépublications dans la presse des poèmes de l’édition définitive à venir. La dernière des précédentes éditions enrichies du recueil Émaux et Camées semble dater de 1863 et demande d’exclure les poèmes suivants : « Camélia et pâquerette », « La Fellah », « La mansarde » (lien possible avec « Jeune ménage » un poème de Rimbaud du 27 juin 1872 ?), « Le Merle », « La Fleur qui fait le printemps », « Dernier vœu », « Plaintive tourterelle » et « La bonne soirée ».
Avant tout, Rimbaud s’inspire du diptyque « Études de mains » qui oppose la beauté évidente, quoique morbide, de la main d’Impéria au charme plus trouble et délirant de la fascinante main d’un assassin, Lacenaire, et l’idée est d’opposer la beauté des Carmens du peuple à la peau hâlée aux aristocrates d’albâtre. Et cette opposition est ravivée par les discours misogynes de Zola, Dumas fils et Gautier qui décrivent les femmes prisonnières de la Commune comme des animaux qu’il est difficile de soutenir du regard. Rimbaud, nous l’avons dit, épingle au passage le sonnet préfaciel d’un poète qui vante son indifférence à l’ouragan, métaphore de l’émeute, bien que celle-ci frappe aux fenêtres. « Étude de mains » fait partie des premiers poèmes du recueil, mais, à part la préface, il est précédé encore par un poème « Affinités secrètes » qui conforte la référence au Divan oriental de Goethe de la préface, et par un « Poème de la femme » sous-titré « Marbre de Paros ». Le poème « Affinités secrètes » mérite une attention réelle, car il fait quelque peu écho au poème « Credo in unam » de Rimbaud et suppose une sympathie dans les correspondances qui peut encore faire réfléchir au sujet de « Voyelles » et du quatrain « L’Etoile a pleuré rose… » Notons que ce quatrain est qualifié de « madrigal » sur une liste de Verlaine, et « Madrigal panthéiste » est le sous-titre du poème « Affinités secrètes ». La mention « Vénus anadyomène » figure dans les vers du « Poème de la femme ». Notre « Étude de mains » est suivie par les quatre pièces de « Variations sur le carnaval de Venise », puis la « Symphonie en blanc majeur ». Je n’aurais aucun mal à effectuer des comparaisons entre « Les Mains de Jeanne-Marie » et les pièces suivantes du recueil de Gautier « Coquetterie posthume », « Diamant du cœur », « Contralto », « Caerulei oculi », et je n’en serais pas loin pour « Premier sourire du printemps » et « Rondalla ». Vient ensuite un nouveau diptyque des « Nostalgies d’obélisques », avant le titre « Vieux de la vieille ». Suivent les poèmes « Tristesse en mer », « A une robe rose » et « Le monde est méchant ». La phrase de ce dernier titre est exploitée par Rimbaud en juin 72 dans le poème « Âge d’or ». Le recueil enchaîne avec « Inès de las Sierras », « une « Odelette anacréontique », un trois quatrains intitulé « Fumée » et une pièce éloquente « Apollonie ». Bien que joli, le poème « L’aveugle » est moins intéressant en termes de rapprochement, mais le suivant « Lied » nous parle de « l’Eté tout brun de hâle ». Contentons-nous de citer les titres des poèmes que nous vous invitons encore à lire : « Fantaisies d’hiver », « La Source », « Bûchers et tombeaux », « Le Souper des armures », « La Montre », « Les Néréides », « Les accroche-cœurs », « La rose-thé », avant d’arriver à « Carmen », puis de poursuivre avec « Ce que disent les hirondelles », « Noël », « Les joujoux de la morte », « Après le feuilleton », « Le château du souvenir » et « L’Art ».
Je reviendrai ultérieurement sur les rapprochements. Je voudrais maintenant ponctuer mon étude par un retour sur le discours anticommunard de Gautier. Plusieurs extraits sont cités dans le livre Paul Lidsky Les écrivains contre la Commune, et certains passages sont repris dans un ouvrage récent d’Hélène Lewandowski La Face cachée de la Commune où Baudelaire, déjà décédé, est sans doute confondu avec Rimbaud dans la liste des rares écrivains ayant adhéré à la Commune. Si les historiens citent ces passages de Gautier, pourquoi pas les rimbaldiens ? Voici donc un extrait conséquent de la prose de Gautier que l’auteur Lidsky soumet à notre attention :

Il y a sous toutes les grandes villes des fosses aux lions, des cavernes fermées d’épais barrreaux où l’on parque les bêtes fauves, les bêtes puantes, les bêtes venimeuses, toutes les perversités réfractaires que la civilisation n’a pu apprivoiser, ceux qui aiment le sang, ceux que l’incendie amuse comme un feu d’artifice, ceux que le vol délecte, ceux pour qui l’attentat à la pudeur représente l’amour, tous les monstres du cœur, tous les difformes de l’âme ; population immonde, inconnue au jour, et qui grouille sinistrement dans les profondeurs des ténèbres souterraines. Un jour, il advient ceci que le belluaire distrait oublie ses deux clefs aux portes de la ménagerie, et les animaux féroces se répandent par la ville épouvantée avec des hurlements sauvages. Des cages ouvertes, [sic] s’élancent les hyènes de 93 et les gorilles de la Commune.

Murphy cite des propos de ce genre sur les femmes communardes de la part de Zola dans son étude du poème. Certaines citations de Dumas fils et d’autres sont particulièrement ignominieuses. D’ailleurs, objectivement, la presse versaillaise est dans un abus assez singulier, puisqu’en gros les communards n’ont tué que deux généraux le 18 mars et des otages sur le tard en représailles. Depuis le 2 avril, plusieurs dirigeants militaires communards ont été abattus sommairement par les versaillais qui les avaient capturés et dès le début de la semaine sanglante les massacres prirent des proportions énormes, par dizaines et dizaines de milliers de morts. Du coup, le massacre des otages ne peut s'évaluer qu'en tant que maigres représailles inévitables et quantitativement dérisoires en comparaison. Quant à la mort des deux généraux le 18 mars, elle suit la mort d’une sentinelle, le premier crime étant donc commis par les enleveurs de canons, et, dans un cas, il s’agit là encore de représailles suite aux massacres de juin 1848, les montmartrois ne s’étant même pas trompés dans l’identification de l’un de leurs anciens bourreaux. Ce n’est pas du tout à leur honneur ce qu’ont pu écrire les Flaubert, les Zola, les George Sand sur les insurgés de 1871. Les logiques de la culpabilité étaient complètement inversées. Dans ce climat particulier, la presse hostile à la Commune s’est permis une littérature touristique sur les ruines parisiennes après les deux sièges. Cette fièvre touristique était accentuée par des anglais, mais des écrivains comme Armand Silvestre s’y prêtèrent. Or, Gautier est précisément dans ce cadre-là, puisque son volume Tableaux du siège, malgré le singulier du mot « siège » qui montre que le sujet est la guerre franco-prussienne, parle aussi des insurgés pour en dire pis que pendre. Or, cette animadversion se mélange à une poésie douteuse à partir de l’immersion dans le drame franco-prussien. Gautier vomit les communards mais se targue de traverser une guerre en esthète, et Rimbaud n’oublie certainement à aucun moment cette préface où le poète disait se détourner de l’émeute qui frappe aux fenêtres, passage qui serait peut-être également visé dans « Nocturne vulgaire », poème en prose des Illuminations. Rimbaud a-t-il eu la patience ou le courage de lire l’ouvrage de Gautier ? En tout cas, le premier chapitre me paraît s’imposer en tant que source au poème « Les Mains de Jeanne-Marie ». La figure de la « Madone » est présente dans certains vers de Gautier, dont un poème du recueil Émaux et Camées, mais je trouve frappant que le premier chapitre, le tout tout début de l’ouvrage, affiche le titre « Une nouvelle Madone », flanqué du sous-titre « La Statue de Strasbourg » et d’une mention de date « Septembre 1870 ». Il est question d’une « Madone » dans le poème « Symphonie en blanc majeur », ce qui peut servir à relativiser l’écho entre la mention au pluriel des « Mains de Jeanne-Marie » et ce titre de chapitre des Tableaux du siège de Gautier. Ceci dit , si Rimbaud compose les deux vers :

Sur les pieds ardents des Madones
Ont-elles fané des fleurs d’or ?

Gautier écrit lui dans les premières lignes de son chapitre édifiant :

Quand on traverse la place de la Concorde, qu’animent les évolutions et le passage des troupes, l’œil est attiré par un groupe qui se renouvelle sans cesse aux pieds de la statue représentant la ville de Strasbourg. Majestueusement, du haut de son socle, comme du haut d’un autel, elle domine la foule prosternée ; une nouvelle dévotion s’est fondée, et celle-là n’aura pas de dissident ; la sainte statue est parée comme une Madone, et jamais la ferveur catholique n’a couvert de plus d’ornements une image sacrée. Ce ne sont pas, il est vrai, des robes ramagées de perles, des auréoles constellées de diamants, des manteaux de brocart d’or brodés de rubis et de saphirs comme en porte la Vierge de Tolède, mais des drapeaux tricolores lui composent une sorte de tunique guerrière qui semble rayée par les filets d’un sang pur.
Sur sa couronne de créneaux, on a posé des couronnes de fleurs. Elle disparaît presque sous l’entassement des bouquets et des ex-voto patriotiques. Le soir, pareilles aux petits cierges que les âmes pieuses font brûler dans les églises devant la Mère divine, les lanternes vénitiennes s’allument et jettent leurs reflets sur la statue impassible et sereine. Ses traits, d’une beauté fière, ne trahissent par aucune contraction qu’elle a, enfoncés dans la poitrine, les sept glaives de douleurs. On dirait presque qu’elle sourit quand la lueur rose des lanternes flotte sur ses lèvres pâles. Des banderoles où sont tracées des inscriptions enthousiastes voltigent autour d’elle.
Sur le piédestal se lisent des cris d’amour et d’admiration. […]
Par un de ces mouvements d’exquise délicatesse qui parfois remuent les foules d’un frisson électrique, le peuple semble, en adoptant cette statue comme une image sacrée, comme une sorte de Palladium, et en lui rendant un culte perpétuel, vouloir dédommager la ville malheureuse, lui prouver son ardente sympathie et la soutenir, autant qu’il est en lui dans son héroïque résistance.
[…]

L'image des pieds enluminés d'une statue votive se retrouvera dans un quatrain du Bateau ivre. Il y a ici plusieurs échos, des mots communs « Madone(s) », « ardent », une « image sacrée » face à des mains sacrées ». Il y a aussi une comparaison évidente entre la figure de Strasbourg qui se substitue à la religion et commémore un drame et celle des pétroleuses qui « chante[nt] des Marseillaises / Et jamais les Eleisons ! » (diérèse à prononcer « e-le-i-sons »). L'idée de remuement et celle d'effet d'emportement sur une foule apparaissent dans les deux textes. Le poème de Rimbaud s’impose bien comme une charge satirique violente tournée contre Gautier et son esprit. Je voudrais encore commenter d’autres éléments du texte en fonction de Gautier comme les mentions « pandiculations » et « Khengavars », mais je pense avoir mis en place une contribution décisive sur les enjeux satiriques de ce poème et j’estime pouvoir poser la plume ici.

lundi 25 mai 2020

Publication imminente

Voilà presque dix jours que le précédent article a été publié. La suite est attendue avec impatience. "Mais qu'est-ce que cela sera-ce ?"

Pour l'occasion, j'ai sorti ma baguette de sourcier. Rimbaud a donné des indices, mais personne ne s'est reporté à ce texte. J'ai voulu combler cette lacune...

samedi 16 mai 2020

Restez assis !

Le poème « Les Assis » est un cas herméneutique un peu particulier dans l’œuvre de Rimbaud. Il s’agit d’un portrait-charge d’un groupe de personnes. Le fait curieux, c’est que, bien que nous lisions ce texte sans éprouver d’importantes difficultés de compréhension, nous ne serions pas en mesure d’identifier clairement les cibles de la satire. Quand nous parlons de Rimbaud en général, nous allons identifier les « assis » à de riches possédants bien réactionnaires, aux « ventres » dont il est question dans « Le Forgeron » et « A la Musique » par exemple, mais, dès qu’il s’agit de la lecture du poème « Les Assis » lui-même, cette lecture cesse de s’imposer pour une écrasante majorité des lecteurs. Ceux-ci se contentent d’une perception vague de ce que peuvent être ces hommes si fortement charriés par le poète, ce qui est un comble pour une pièce qui se veut satirique. Comme si cela ne suffisait pas, la première édition du poème a été assurée par Verlaine dans « Les Poètes maudits » et celui-ci a orienté l’interprétation dans une direction pour le moins assez déconcertante. Ce poème aurait été tourné contre un bibliothécaire de Charleville qui aurait refusé de prêter un livre sollicité par le très jeune Rimbaud en 1871, et Verlaine déclare même qu’il connaît le nom de ce bibliothécaire, il retient simplement sa plume de le jeter en pâture au public parisien. Le témoignage de Verlaine est étrange pour plusieurs raisons. La première, c’est que Verlaine, qui, au passage admet que le poème a été composé à Charleville et donc loin de sa compagnie, n’a aucune raison de bien connaître le bibliothécaire de Charleville. La deuxième, c’est que le poème parle d’un groupe de personnes, il vise quelque chose de collectif, et pas un individu particulier. La troisième raison, c’est que le témoignage de Verlaine semble inviter les lecteurs à considérer que le poème est une charge contre des fonctionnaires, contre des bibliothécaires, alors que cela ne ressort pas du tout dans les vers qui sont passés à la postérité.
Si nous essayons de jouer le jeu de l’identification d’un bibliothécaire, qu’est-ce qui va ressortir ? On peut essayer de cerner ce qui correspondrait au domaine de la lecture avec « les yeux cerclés de bagues / Vertes » et « Noirs de loupes ». Les lecteurs dans les bibliothèques portent des visières vertes ou utilisent des loupes, mais Rimbaud se sert des équivoques du vocabulaire pour les affliger de pathologies monstrueuses. Les lecteurs peuvent passer un temps important assis et Rimbaud raillerait donc bien leur fusion avec leurs chaises en développant l’image de squelettes étranges. Rimbaud jouerait à les assimiler eux-mêmes à des livres avec l’expression « percaliser leur peau ». Les lectures favoriseraient encore la rêverie, et cela nous vaudrait le développement sur les « vers pianistes » et puis celui, final, où ils s’endorment et rêvent couchés sur leur bras. Ils deviennent, mais seulement dans leurs rêves, des écrivains grâce aux « fleurs d’encre crachant des pollens en virgule ». Enfin, la bibliothèque est un endroit idéal pour rencontrer des gens anonymes qui restent assis en continu en regardant parfois à travers les vitres des fenêtres, des gens anonymes qui se font parfois déranger et râlent, mais retournent s’asseoir, pressés de se replonger dans leurs solitaires occupations.
Toutefois, il y a encore plein d’autres images du texte qui restent à expliquer et, en même temps, on s’étonne que le poète n’ait pas pris la peine de caractériser plus clairement l’univers de la bibliothèque. Il n’est pas directement question de livres, de consultations, d’étagères, il n’est même pas question clairement d’une salle de lecture. Il est plutôt question de « corridors » au pluriel. Les difficultés ne s’arrêtent pas là. Nous venons de tenter une approche où ces personnages sont identifiés à des lecteurs et pas du tout à des bibliothécaires. La seule amorce pour prétendre qu’il est question de bibliothécaires, c’est l’impératif négatif : « ne les faites pas lever ». Le poème met en place une scène où on dérange ces assis qui sont obligés de se lever, exécutent une tâche et retournent s’asseoir en râlant. On peut facilement transposer cela à la situation d’un bibliothécaire qui profite de son métier pour s’occuper à lire, qui est dérangé par une demande d’un lecteur qui veut un ouvrage précis et qui fait bien entendre que cela ne lui plaît pas. Ceci dit, c’est un peu étrange. Le poème permet de faire cette lecture, mais il ne l’impose pas et ne la prend pas en charge. Il n’y a rien qui impose de considérer qu’on a voulu faire lever ces Assis pour demander l’accès à un livre et il n’y a aucun humour sur l’absurdité qui en découlerait quant aux râles du fonctionnaire. On n’a pas l’impression que le poète se moque de quelqu’un qui se plaint absurdement de faire ce qui est son travail. En plus, la formule « ne les faites pas lever » a été clairement précédée par une description des « Assis » comme un groupe : « Et les Assis, genoux aux dents… / S’écoutent clapoter des barcarolles tristes ».
On peut dès lors légitimement se poser la question. S’agit-il forcément d’une charge contre des bibliothécaires dans ces quatrains ? Après tout, on peut même réenvisager le témoignage de la manière suivante. Verlaine rapporterait fidèlement des explications de Rimbaud sur la genèse de ce poème, mais dans cette identification le mot « bibliothécaire » prendrait une importance qu’il n’aurait pas dû avoir. Le poème peut très bien cibler un public réactionnaire dont ce bibliothécaire serait une manifestation. L’erreur serait de croire que le poème fait la charge de la fonction de bibliothécaire, alors que c’était le profil politique seul qui justifiait la charge de Rimbaud. Verlaine aurait malignement joué sur l’ambiguïté pour détourner l’attention des vrais enjeux communards du poème. Car, bien évidemment, il existe un noyau de lecteurs qui pensent depuis longtemps que le terme « Assis » est à prendre dans une acception politique et que les « sièges » dont il est question dans ces vers sont de transparentes allusions à l’actualité des sièges de Paris, celui franco-prussien dans un premier temps, celui de la Commune dans un second.
En 2008, j’ai publié dans un numéro spécial « Hommage à Steve Murphy » de la revue Parade sauvage un article intitulé « Assiégeons ‘Les Assis’ ! » d’une vingtaine de pages où j’ai résolument tourné le dos à l’interprétation selon laquelle il s’agirait de bibliothécaires et j’ai appuyé l’idée que le poème était politique et parlait de l’actualité des sièges de la guerre franco-prussienne et de la guerre civile liée à la Commune. Je n’étais pas le premier à le faire, j’appuyais l’idée d’un jeu de mots sur ces sièges d’actualité dans des expressions telles que « les Sièges leur ont des bontés ». Je trouvais évident que les mentions « culottée » et « épis où fermentaient les grains » permettaient des jeux de mots sur la révolution du peuple contre les ventres. La paille qui cédait était culottée, il fallait donc qu’ils soient attaqués par des sans-culottes. Le vers : « Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés », véhicule le mot « pantalon » qui renvoie encore une fois à l’idée de sans-culottes et on voit que ces assis en danger se font manger. On s’attaque à leurs ventres. Il faut bien mesurer que dans la paille de ces chaises les pianistes reconnaissent « l’âme des vieux soleils » bien « emmaillottée » et que cela les fait chanter des « barcarolles tristes », tristesse qui pourrait bien être de la nostalgie d’un ancien régime avec des assises solides et une société bien contrôlée.
Dans mon article, je me suis attaché à montrer que le mot « assis » était à rapprocher du mot « ventre » dans de précédents poèmes, du mot « accroupissements », et pour les mots de la famille « accroupi » j’ai souligné qu’ils étaient une métaphore clef abondante des vers du recueil Les Châtiments de Victor Hugo. J’ai bien sûr souligné l’arrière-plan insurrectionnel de l’expression « ne les faites pas lever ».
Je ne vais pas revenir ici sur tout ce que j’ai mis en avant dans cet article. J’ai signalé à l’attention des convergences avec des poèmes de Victor Hugo et Leconte de Lisle notamment, et j’ai aussi pas mal interrogé les faits de versification. Je vais me contenter de rappeler des points dont l’importance ne devra pas échapper à un quelconque de mes lecteurs.
Un point important, c’est la considérable abondance du recours au déterminant possessif « leur(s) » : « leurs doigts boulus », « Leur fantasque ossature », « leurs chaises », « leurs reins », « leurs caboches », « leurs omoplates », « leur pantalon », « leurs têtes chauves », « leurs pieds tors », « leurs boutons d’habit », « leur regard », « leurs mentons chétifs », « leurs visières », « leurs bras », « leur membre ». La dernière mention est au singulier par fine allusion obscène et il faut noter que dans le cas des « omoplates » le déterminant « leurs » précède la césure. Cet abus du possessif souligne forcément deux tares : les réactions possessives de ces êtres qui peuvent donc être des possédants et en tout cas leur orgueil. Ce que j’ai souligné également, c’est le chevauchement de la césure par l’expression « genoux aux dents ». La forme prépositionnelle « aux dents » est rejetée dans le second hémistiche. Ce genre de césure est un poncif de l’époque de Rimbaud, notamment sous les plumes de Victor Hugo et de Leconte de Lisle, mais ce qui est étonnant c’est que les attestations chez Hugo et Leconte de Lisle sont tantôt antérieures, tantôt postérieures au vers de Rimbaud lui-même. En clair, si on se contente des mentions antérieures que j’ai pu relever chez Hugo et Leconte de Lisle ou ailleurs c’est que le poncif n’est pas encore pleinement constitué. Les mentions antérieures à Rimbaud ont l’air d’être peu nombreuses. En revanche, si je plaide depuis longtemps l’authenticité des vers inédits cités par Delahaye dans ses œuvres de souvenirs, il y a un fait majeur à relever. En 1908, Delahaye a publié des alexandrins inédits. Il a publié trois vers d’une « Plainte des Epiciers », où du coup la cible satirique est identifiable en tant que telle. Et cette mince citation est suivie d’un extrait bien conséquent d’un poème au titre cette fois resté inconnu. Et, dans une nouvelle édition posthume de ses Souvenirs familiers, Delahaye a allongé la citation du même extrait de vers supplémentaires, signe qu’entre 1908 et sa mort il avait encore accès à ces documents inédits. D’où venaient ces poèmes ? Delahaye en cite quelques autres d’inédits. Rimbaud a très bien pu remettre certains de ses poèmes à d’autres carolopolitains qu’Izambard. Nous aurions beaucoup aimé avoir accès à la collection éventuelle de Léon Deverrière. Ou bien Delahaye a-t-il profité de textes demeurés inédits du dossier récupéré par Maurevert ? Il ne faut pas oublier que Maurevert possédait une version inédite du « Sonnet du Trou du Cul » dont on ne sait pas grand-chose.
Intéressons-nous à cet extrait inédit livré par Delahaye et au contexte de composition qu’il leur prête. Après la Semaine sanglante, Rimbaud souhaitait être publié dans la naissante revue le Nord-Est d’Henri Perrin (le « M. N. » du témoignage de Delahaye) avec l’appui de Léon Deverrière. La revue du Nord-Est qu’il serait bon de dépouiller en regard des textes de Rimbaud devait selon Delahaye lui-même être le journal marqué du parti républicain et « combattre l’action du vieux Courrier des Ardennes » et le professeur Perrin qui a remplacé Izambard « n’hésitait pas à se camper en face de l’ogre monarchiste, revenu féroce et en disposition de tout avaler ». Ce Perrin « s’était annoncé par une vigoureuse brochure où les partisans de Bonaparte, ceux d’Henri V et du duc d’Aumale recevaient très joliment leur paquet. » Rimbaud aurait donc envoyé « La Plainte des Epiciers » dont Delahaye nous cite trois vers au journal de Perrin, et l’idée générale du poème était de se moquer de ces épiciers effrayés par le retour d’un discours de « rouges » après la semaine sanglante. Dans « Les Assis », on a un portrait-charge de gens effrayés de devoir se lever, de gens qui râlent parce qu’on les dérange, de gens qui semblent avoir du ventre et qui ne voudraient pas que cela se retourne contre eux. Le poème « Les Assis » n’est pas une plainte, le poète ne prend pas la voix de ceux qu’ils charrient, mais il évoque bien leur plainte d’avoir dû se lever. Passons à l’extrait de l’autre poème cité par Delahaye. Comme dans « La Plainte des Epiciers », le poème prend la voix des réactionnaires qui se dressent contre Henri Perrin. Et ce qui est impressionnant, c’est les images qui semblent faire nettement écho au poème « Les Assis ». L’homme plein de fureur parle à plusieurs reprises de son fémur, et dans un sens équivoque obscène (« … Vous avez / Menti, sur mon fémur, » « Mais moi, j’ai deux fémurs bistournés et gravés », « J’ai mon fémur ! J’ai mon fémur ! J’ai mon fémur ! / C’est cela que depuis quarante ans je bistourne / Sur le bord de ma chaise aimée en noyer dur ; / L’impression du bois pour toujours y séjourne ; / Et quand j’apercevrai, moi, ton organe impur, / A tous tes abonnés, pître, à tes abonnées, / Pertractant cet organe avachi dans leurs mains, / Je ferai retoucher, pour tous les lendemains, / Ce fémur travaillé depuis quarante années ! » Delahaye dit que c’est ainsi que l’homme imaginé par Rimbaud « confond[rait] Le Nord-Est et le pulvérise[rait] à jamais ». On retrouve donc le fémur, le siège, la position assise permanente, la fusion avec le siège, la rage, l’obscénité et on ne peut manquer le rapprochement avec les vers des « Assis » où ceux-ci « surgissent, grondant comme des chats giflés, / Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage ! » Si ce vieux croit pulvériser le Nord-Est, dans « Les Assis », il est question de revendiquer la puissance d’une « main invisible qui tue », « main invisible » qui ne semble pas une allusion au concept en économie de Smith, mais « main invisible » qui a l’air d’une puissance fantasmée comparable à celle de l’exterminateur du Nord-Est par son fémur bistourné…
Une autre convergence mérite toute notre attention. Si, dans la pièce connue de Rimbaud, les « Assis » sont montrés « genoux aux dents » avec rejet du syntagme « aux dents » dans le second hémistiche, dans l’extrait cité par Delahaye l’ennemi qui fustige Perrin l’accuse de porter un « masque à dentiste » et l’expression « à dentiste » est elle aussi en rejet par-delà la césure :

Parce que vous suintez tous les jours au collège
Sur vos collets d’habit de quoi faire un beignet,
Que vous êtes un masque à dentiste, au manège
Un cheval épilé qui bave en un cornet,
Vous croyez effacer mes quarante ans de siège !

Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes
Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour
S’écoutent clapoter des barcarolles tristes
Et leurs caboches vont dans des roulis d’amour.

Face aux « quarante ans de siège », « leur siège aux rumeurs de tambour » qui risquent de les « faire lever » ! Delahaye ne souligne pas lui-même les liens possibles avec le poème « Les Assis ». En revanche, dans une note de bas de page à la fin du chapitre VII où il cite et commente ces extraits, voici une précision importante qu’il apporte en se servant judicieusement du terme « assis » entre guillemets :

On m’excusera d’expliquer une chose que tout le monde comprend. Il s’agit d’un « assis », vieillard obstiné à ne pas changer d’opinion et qui symbolise Le Courrier des Ardennes ; il est resté si longtemps sur la même chaise que les bords du meuble ont « travaillé » ses fémurs comme le ciseau d’un sculpteur.

Je me demande quel profit on ferait d’une lecture systématique des exemplaires d’époque du Nord-Est, pas seulement pour une meilleure compréhension des vers inédits livrés par Delahaye. Peut-être qu’il y aurait des rapprochements à faire avec « Les Premières communions », « L’Homme juste », etc. Ces rapprochements invitent à penser que la cible des « Assis » cela pourrait bien être les partisans du Courrier des Ardennes. La difficulté, c’est qu’on ne sait pas exactement quand le poème « Les Assis » a été composé. Il est fort probable que le poème ne peut pas être antérieur à la menace du second siège sur Paris et donc le poème ne pourrait pas être antérieur à la Commune. Est-ce qu’il était encore question d’une forme d’état de siège après la semaine sanglante ? En tout cas, le jeu de mots sur les sièges qui est pratiqué par Rimbaud venait clairement de ses lectures dans la presse. Cela fâchera ceux qui veulent que le génie du poète n’ait rien à devoir à personne ou si peu que ce soit, mais il semble bien que plusieurs jeux de mots des poèmes de Rimbaud soient des reprises de ce qu’il a pu lire dans les journaux. Le drame, c’est que nous avons peu conservé les exemplaires des journaux de l’époque dans nos bibliothèques. Il nous en manque énormément et la critique littéraire est plus volontiers portée à analyser les influences entre pairs que les influences sur Rimbaud d’écrivains franchement mineurs ou d’articles de journaux en soi oubliables. Ceci dit, Zola s’étant imposé comme un grand nom de la Littérature française, ses premiers écrits de journaliste ont pu faire l’objet d’éditions récentes. J’ai sous la main un ouvrage intitulé La Commune 1871 / Emile Zola avec une « présentation de Patricia Carles et Béatrice Desgranges », dans la collection Chronos, par Nouveau Monde éditions, en 2018. Il s’agit d’une « large sélection » des « articles » parus à l’époque de la Commune dans deux journaux La Cloche et Le Sémaphore de Marseille. Zola va afficher des positions hostiles à la Commune, il va même plutôt se réjouir de son écrasement dans le sang. Le roman ultérieur La Débâcle montre d’ailleurs très bien que Zola ne s’est jamais fortement pénétré intellectuellement de l’événement communard. Les premiers articles dans La Cloche sont plus modérés et plus favorables à la population parisienne. C’est après le départ des maires que Zola devient franchement hostile à la mutation révolutionnaire de la Commune. Qui plus est, en mars, il assiste aux assemblées quotidiennes à Versailles dont il rend compte et même s’il écrit dans un journal orléaniste il ne se prive pas pour juger négativement chaque camp et s’indigner des abus versaillais.
Le premier article cité a été publié le 22 mars dans la revue La Cloche. Rappelons que l’insurrection a eu lieu le 18 mars, mais que la Commune elle-même n’a été instituée que le 28 mars. Dans cette période de battement et donc autour du 22 mars, il est question d’état de siège. Voici ce qu’écrit Zola au sujet de l’assemblée de la veille (celle du 20 apparemment, vu que le journal semble publier les compte rendus le lendemain de leur déroulement) à laquelle il a été empêché d’assister :

[…]
La grande question, celle qui tient anxieux Paris entier, est de savoir l’attitude que va prendre l’Assemblée : fera-t-elle le siège de la capitale ou acceptera-t-elle un compromis ? Terrible alternative, d’où peut sortir le salut ou la mort de la patrie.
Le projet de loi présenté par M. Picard et voté par l’Assemblée, demandant la mise en état de siège du département de Seine-et-Oise, est certainement une mesure qui indique la volonté de réprimer énergiquement l’émeute. Mais, d’autre part, le vote de l’urgence du projet de loi sur l’élection du conseil municipal de Paris, présenté par M. Clemenceau et appuyé par M. Tirard, me paraît montrer le désir que l’Assemblée aurait d’en finir sans lutte, sans effusion de sang.
Toute la séance d’hier, pour moi, tient dans ces deux votes. […]

Zola estime que Paris chassera l’émeute si on satisfait ses demandes légitimes. Puis il passe au compte rendu de l’assemblée du jour dont il a été témoin (celle du 21 en principe). Et un court paragraphe mentionne à nouveau l’idée d’état de siège :

Puis autre proposition : M. Picard demande la mise en état de siège du département de Seine-et-Oise.
L’Assemblée se retire pendant deux heures dans ses bureaux, où elle délibère sur ces deux propositions.
Dès la reprise de la séance, M. Clemenceau lit le projet de loi sur l’élection du conseil municipal de Paris. Il appuie ce projet de paroles fort sages et demande l’urgence. M. Picard combat l’urgence ; il craint que les élections en ce moment, ne puissent se faire avec toute la liberté désirable.
Les paroles de M. Picard font monter M. Tirard à la tribune ; ce dernier reprend la thèse de M. Clemenceau : Paris ne peut être sauvé que par une municipalité élue.
La droite ayant jeté le nom du général Clément Thomas dans le débat, M. Tirard a énergiquement répudié toute solidarité entre les hommes de l’Hôtel de Ville et les maires de Paris. Il parle avec une telle ardeur de patriotisme que la droite elle-même applaudit.
M. Tirard dit encore que lui et ses collègues sont fermement résolus à s’opposer aux élections annoncées pour le 22 mars par les hommes de l’Hôtel de Ville. Son discours, très chaleureux et traversé par un grand souffle d’honnêteté, enlève le vote de l’Assemblée qui accepte l’urgence.
La promesse faite à Paris, par un groupe de ses représentants, était tenue à moitié. C’est M. Lockroy qui a lu le projet de loi relatif aux élections des chefs de la garde nationale, élections promises également et qui seront sans doute acceptées par l’Assemblée.
M. Millière rend ensuite un grand service au gouvernement en proposant de proroger de trois mois toutes les échéances. M. Dufaure, regrettant l’empressement qu’il a mis à voter à Bordeaux son cher projet de loi qu’il présentait comme si parfait et si inoffensif se hâte d’accepter l’urgence demandée par M. Millière.
Puis vient la discussion sur la mise en état de siège du département de Seine-et-Oise. M. Louis Blanc parle contre le projet de loi et fait appel à la conciliation. Il est violemment interrompu par la droite. Un représentant se fait rappeler à l’ordre. M. Louis Blanc est obligé de quitter la tribune.
Il y est remplacé par le général Trochu qui défend le projet de loi. D’ailleurs, il paraît avoir pris la parole plutôt dans un intérêt personnel que pour apporter quelque lumière dans le débat. Il obtient un grand succès d’émotion en donnant un adieu aux généraux Lecomte et Clément Thomas. Il demande que les six enfants du général Lecomte soient adoptés par la France.
Après de nouvelles protestations de MM. Clemenceau et Langlois contre les assassinats infâmes de Montmartre, l’Assemblée décide qu’elle se réunira le lendemain en séance publique à midi.

L’article du 23 mars pour le journal La Cloche commente un fait étonnant. M. Grévy a levé prématurément la séance au bout de deux heures et demie. Tout le monde est étonné, mais la séance va se prolonger trois heures durant sans tenir compte de cette levée. Notez que l’assemblée réunit des gens assis et qu’à la fin la séance est levée, on a déjà la structure du jeu de mots appliqué dans « Les Assis ». Les passions sont déchaînées. Je cite un extrait qui l’indique et qui fait lien avec ce que j’ai cité précédemment :

[…]
M. Clemenceau pose nettement qu’il n’y a que deux moyens de résoudre la question : la force ou un expédient. Un expédient seul est possible, et cet expédient, c’est des élections municipales immédiates. L’orateur dit que l’Assemblée ne veut sans doute pas faire le siège de Paris, et il la supplie, il l’implore de ne pas perdre une heure, si elle désire éviter l’effusion de sang.
M. Langlois ajoute avec raison que les élections décrétées par le comité central doivent être hautement désavouées par l’Assemblée, et que la meilleure façon de les désavouer est d’en ordonner de régulières et de légales. Lui aussi il joint les mains, suppliant ses collègues de ne pas jeter Paris plus avant dans la guerre civile.
Ces paroles amènent M. Brisson à proposer à l’Assemblée de voter un ordre du jour motivé, dans lequel il sera dit qu’une loi prochaine fera rentrer Paris dans le droit commun. Cela effarouche la droite, et M. Martin des Paillères déclare que, Paris étant l’anarchie, il n’y a pas lieu de le faire rentrer dans le droit commun, tandis qu’un membre de la commission, se croyant beaucoup plus rusé, combat l’ordre du jour en invoquant le règlement.
Voyant que la droite va commettre des sottises, M. Thiers se décide à monter à la tribune. Ses paroles sont d’une grande habileté. En somme, il ne veut pas que la loi sur les élections municipales soit bâclée en une séance. […]

Thiers considère que les événements montrent que l’assemblée a le droit de préférer la France à Paris et il prétend ne pas vouloir attaquer Paris qu’il laisse à ses réflexions. Il ne croit pas que si on votait une loi Clémenceau et les autres pourraient la mettre à exécution. Jules Favre prend la parole à son tour contre Paris. Zola insiste lourdement sur le fait que le personnage est gros d’orages rancuniers qui seront interprétés comme tels par une population qui ne le porte pas dans son cœur depuis la capitulation. Les représentants de Paris que sont Tolain, Clémenceau et Langlois n’arrivent plus à parler à la tribune. Seul Tirard y parvient enfin. Thiers finit par s’assurer l’ajournement sur cette question en reprenant la parole.

L’article du 25 mars témoigne d’une aggravation du désespoir de Zola :

Je sors navré de la séance d’aujourd’hui, me demandant s’il est donc vrai que l’heure de notre agonie ait sonné. Entre les factieux de l’Hôtel de Ville et les intolérants aveugles de l’Assemblée, la France gît, saignante, frappée au cœur, se débattant dans les dernières convulsions de la mort. Et, certes, si l’histoire dit un jour que l’insurrection a poussé le pays dans l’abîme, elle ajoutera que le pouvoir régulier et légal a tout fait pour rendre sa chute mortelle.
[…]
Avant d’arriver à la loi sur les bataillons de volontaires, on vote rapidement une nouvelle loi qui proroge d’un mois les échéances de commerce. M. Millière avait demandé trois mois, mais la chambre a trouvé que cela était trop sage, et il a fallu qu’elle glissât là, comme partout, sa pointe de maladresse. La loi sur les échéances a été une des causes multiples de la facile victoire des hommes de l’Hôtel de Ville. Il est par conséquent bien entendu que l’Assemblée la maintiendra ou ne la modifiera que de façon à ne contenter personne. Nos législations font du courage à coups de sottises.
[…]

Il n’est plus question de loi sur les élections municipales, mais de la formation de bataillons volontaires. M. de Kerdrel prend la parole à la tribune lors de cette séance, comme en rend compte Zola :

Et alors M. de Kerdrel y monte pour faire un acte d’accusation en règle. La Chambre mange avec délices du Gambetta ; et, rencontre imprévue, elle mange aussi du Picard. L’orateur refuse toute immixtion civile dans les affaires militaires. Puis, brusquement, sortant de la question, il accuse le ministre de ne pas avoir mis toute la diligence possible dans le changement des préfets. Ah ! quels applaudissements ! Depuis Bordeaux, la droite n’avait plus goûté aux préfets. Elle se remet à les mordre avec une furie de jouissance, quand M. de Kerdrel déclare que les préfets républicains, depuis les élections, ne sont plus possibles en France.
Ces pavés tombent on ne sait d’où. On se regarde, désespérés, dans les tribunes. Plus de préfets républicains, plus de république, plus rien du tout. C’est le « rien du tout » qu’ils auront prochainement s’ils continuent.
M. Picard, très pâle, sentant son portefeuille lui glisser des mains, vient faire son acte de contrition. Il se hâte autant qu’il le peut. Mais pourtant il est difficile de mettre, du jour au lendemain, de bons et braves administrateurs à la porte. « Non, non, crie la droite, renvoyez-les tous ! » Et plus M. Picard se met à la disposition de ces messieurs, plus ils font les enfants gâtés. « Vous nous avez tous contrariés, vous n’écoutez pas nos avis. »
[…]

C’est bien une colère comique d’assis qui est dépeinte là, et il me semble bien difficile de ne pas faire le rapprochement entre ces gens de l’assemblée qui sont réactionnaires et hostiles à l’idée de République et les personnages brocardés par Rimbaud sous le vocable « Assis » précisément. Zola écrivant dans un journal orléaniste et admirant M. Thiers, il faut comprendre que le terme de droite désigne plutôt les légitimistes.
La séance se poursuit avec un petit coup de théâtre préparé par le gouvernement en coulisse selon les mots mêmes du rapporteur qu’est Zola. Il est question de faire entendre les maires de Paris directement par l’assemblée.

Puis, le coup de scène étant prêt, M. Arnaud (de l’Ariège), maire de Paris, monte à la tribune et supplie l’Assemblée de vouloir bien laisser introduire et entendre les maires de Paris, qui ont à lui faire une proposition tendant à ramener la paix et l’union.
La droite se cabre comme à la vue brusque d’un gouffre. Elle ne veut pas que les maires soient introduits. Elle a le règlement pour elle. Et je voudrais que vous l’eussiez vue blanche de colère, flairant quelque surprise.
[…]
L’effet a été foudroyant. On eût dit une scène de la Convention. La gauche, inévitablement, se lève et pousse le cri de : « Vive la République ! » Les maires répètent ce cri ; les tribunes, prises de fièvre, agitent des chapeaux, des mouchoirs et crient, elles aussi : « Vive la République ! Vive la République ! » d’une voix assourdissante. L’entraînement est tel que des femmes de députés font, me dit-on, plus de tapage que les autres.
La droite éclate en imprécations. Elle aussi est debout. Elle montre le poing aux maires et au public. D’ailleurs, pas une parole ne sort de ce chaos. Le tapage est effroyable. Ces messieurs, dominés, sans voix, prennent le parti de se couvrir : « Chapeau bas ! crie la gauche, c’est une insulte ! » Et le tumulte recommence de plus belle, les maires toujours acclamés dans leur loge, la droite leur montrant toujours les poings d’en bas. M. Grévy se décide à lever la séance, qui, d’ailleurs, doit être reprise à huit heures.
A neuf heures et quart, il n’y a pas encore vingt députés dans la salle. Je vous envoie cette lettre, regrettant de ne pouvoir vous raconter la fin de l’incident. On dit – mais je ne vous donne cela que sous toutes les réserves imaginables – que les maires, d’accord avec M. Thiers, viennent demander à l’Assemblée des élections municipales pour Paris, immédiates et dégagées de toutes entraves.
Il paraît que la nuit dernière il y aurait eu une séance secrète, dans laquelle on aurait essayé de prendre certaines mesures. Mais rien de décisif n’aurait pu être voté. […]

Je me demande par quel prodige le poème « Les Assis » ne rendrait aucun écho de ce que Zola vient de décrire. Rimbaud décrirait uniquement des bibliothécaires nostalgiques de vieux soleils, qui vivent assis, ne veulent pas se lever aux rumeurs émeutières de tambours, montrent le poing à ceux qui les contrarient et les tuent par le truchement d’une main invisible. Rimbaud aurait manqué un tel rapprochement, il aurait choisi une cible mesquinement sans portée historique ? C’est dur à avaler.
L’article suivant dans la revue La Cloche a été publié le 26 avril, mais, pour plus de clarté, il est précédé en en-tête de la mention « 24 avril ». Il est donc question de séances qui ont lieu le jour, mais aussi la nuit, et on voit que le terrain devient de plus en plus propice aux jeux de mots sur « levé », « assis », « couché ».

[…]
Chaque fois que je sors d’une de ces séances lamentables, le grand air du dehors me fait du bien. Je n’ai pu encore m’habituer à cette salle chaude, ardente des flammes crues du gaz. Quand je rentre dans le soleil clair, je me dis : « J’ai rêvé, la France ne peut être aussi malade. Voici le printemps qui naît et la patrie va guérir. »
Hier, dans la nuit, séance vide ; aujourd’hui, dans le jour, séance regrettable. Que sera la séance qu’on annonce pour cette nuit ? […]
Donc, après l’enthousiasme et le tapage de l’autre soir, soulevés par les écharpes tricolores des maires, la séance a été reprise à dix heures. Elle devait recommencer à huit heures ; mais il fallait bien deux bonnes heures de plus à ces messieurs de la droite pour digérer les écharpes et les cris de : « Vive la République ! »
Il paraît que, dans les couloirs, on était arrivé à se calmer et à s’entendre.
[…]
Dans le calme plat qui s’établit, M. Ventavon lit le rapport de la commission chargée d’examiner le projet de loi sur l’inamovibilité de la magistrature. La droite est heureuse ; elle dodeline de la tête, à demi assoupie, bercée par la lecture de ce rapport qui va casser un décret de Gambetta.
[…]

J’interromps la citation pour souligner évidemment cette nouvelle convergence avec le poème « Les Assis ». Dans ce poème, après la tempête équivalente à celle des cris de « Vive la République » à l’Assemblée, les « Assis » s’endorment sur leur bras et se laissent bercer par les fantaisies de leurs imaginations. C’est un énième parallèle troublant. Rimbaud n’a pas forcément lu les textes de Zola, mais il a dû lire d’autres saillies similaires. Il faudrait peut-être chercher si d’autres journaux à la place de couloirs ne parleraient pas de corridors pour l’assemblée. Mais nous en arrivons à l’idée de gens qui font corps avec leurs sièges et je vous convie à lire quelques derniers extraits du reportage zolien.
Nous avons en débat une proposition de M. Bérenger « d’envoyer quinze représentants délégués à Paris » et pour la soutenir l’intéressé précise que « le quartier de la Banque pourrait servir de citadelle à la délégation de la chambre, et que tous les hommes d’ordre viendraient là comme à un point de ralliement naturel. » « Mais la droite trouve qu’elle est bien à Versailles. »
Zola poursuit en rendant compte d’une demande d’explication à Jules Favre sur une note prussienne. Puis il conclut :

Telle a été cette séance de nuit. Les représentants auraient mieux fait de se coucher. Et il n’y aurait même pas eu grand mal à ce que ces messieurs ne se fussent pas levés aujourd’hui. Au moins la loi sur les échéances, cette loi si mal raccommodée, ne serait pas votée encore, et on pourrait espérer mieux.
[…]

Zola fait le compte rendu blasé de cette nouvelle séance où la question des élections municipales à organiser essuie une nouvelle fin de non-recevoir et le courrier zolien se termine par ces mots sur une prochaine séance :

[…] Il est à désirer que la nouvelle du compromis passé à Paris entre l’Hôtel de Ville et les municipalités soit arrivée à l’Assemblée avant la séance. Maintenant, si l’Assemblée le veut, l’ordre est rétabli. Et que cette secousse lamentable lui donne ce grand enseignement : le jour où elle toucherait à la République, Paris entier se lèverait et protesterait les armes à la main.

L’article publié le 27 mars dans La Cloche est lui aussi précédé d’une mention de date en en-tête « 25 mars ». L’actualité est chargée. Je commence par citer un extrait du milieu de ce compte rendu zolien, car il fait état du reflux des émeutes communalistes dans d’autres villes et puisqu’il précise l’événement des élections parisiennes acceptées pour le 26 avril, c’est-à-dire le lendemain :

Au milieu de la séance, M. Picard est venu lire une dépêche annonçant que le calme, après trois jours de désordre, règne à Lyon et à Saint-Etienne. La droite et la gauche ont applaudi. M. Thiers a également coupé la discussion en déclarant qu’il avait reçu des nouvelles graves de Paris, et en demandant à la commission des quinze de bien vouloir venir conférer avec le gouvernement.
Nous avons eu à la fin de la séance, après le retrait de la proposition de M. Arnaud (de l’Ariège), l’explication de cet incident. M. Louis Blanc, ayant raconté en quelques mots les derniers événements et expliqué pourquoi les maires avaient accepté des élections municipales immédiates, a demandé à l’Assemblée de vouloir bien déclarer que ces maires avaient agi en bons citoyens.
Des exclamations partent de la droite […]

Ces réactions ont « exaspéré » le rapporteur Zola qui conclut sa lettre ainsi :

[…] Comment ! voilà de braves et honnêtes citoyens qui, abandonnés par le gouvernement, seuls au milieu d’une insurrection formidable, tiennent tête depuis huit jours à l’émeute, lui disputent le terrain pied à pied, font ce que les ministres n’ont pas eu le courage de faire ; et lorsque ces citoyens, à bout de résistance, las de demander à l’Assemblée une mesure de conciliation, jugeant le péril de près et croyant que l’heure est venue d’agir, se décident à prendre sous leur responsabilité un parti qui doit éviter la guerre civile et rendre Paris à la France ; c’est alors que l’Assemblée refuse de les approuver, c’est alors que des hommes qui se cachent à Versailles, sous le prétexte de ne pas compromettre leur dignité, détournent la tête, font entendre par leurs murmures que les maires ont démérité, et donnent ce spectacle à l’Europe d’une Chambre assez peu politique pour ne pas saisir cette occasion suprême de pacifier la patrie !
Je déclare une chose ; je ne veux pas engager la responsabilité du journal où j’écris, mais je dis hautement que je voterai demain.

Et voici le discours par lequel débutait ce courrier :

Je serais bien heureux si quelqu’un pouvait me dire ce que veut l’Assemblée. Les séances se succèdent, et le vide se fait de plus en plus. On se réunit le jour, on se réunit la nuit, sans que la majorité veuille seulement qu’on prononce le nom de Paris. L’histoire ne voudra pas croire à un tel entêtement dans une telle intolérance.
L’Assemblée n’a que des instincts. C’est une bête ombrageuse qui refuse d’avancer parce qu’un arbre barre la route. Elle ne raisonne pas. Elle crie à la moindre piqûre, et ce ne sera qu’à coups de fouet qu’on la domptera et qu’on la lancera en avant.
Il faut voir cette majorité qui n’écoute pas, qui ne respecte pas le président, qui ne peut supporter la moindre contradiction sans entrer dans des colères folles, qui se meut avec une brutalité d’animal, sans raison, sans calcul, toute à sa haine, criant parce que le cri monte à sa gorge, n’ayant même pas conscience de son attitude impolitique et odieuse.
A coup sûr, dans la crise que nous traversons, cette Assemblée est incapable de comprendre le péril et de se ranger à une mesure de sagesse et de conciliation. Avec les trépignements et la colère impuissante de l’enfant qui veut la lune, l’Assemblée veut Paris, mais Paris garrotté, Paris aux pieds d’un roi, Paris sans armes et sans libertés. Et elle entend rester sourde tant que la grande ville criera : « Vive la République ! » On ne saurait autrement expliquer son attitude. C’est un parti nettement pris : Paris n’existe plus pour elle, et toute sa politique consiste à ne pas vouloir qu’on lui en rappelle l’existence.
[…]

Zola poursuit et ironise de temps en temps sur les séances qui s’enchaînent de nuit et de jour : « La permanence de ces messieurs est une permanence platonique », « l’Assemblée a décidé qu’il était sage d’aller se coucher », etc. Zola note l’unanimité de l’Assemblée à tout le moins contre le bonapartisme. Il est question de la magistrature de 1851 et on sent le jeu de mots dans la phrase suivante du compte rendu zolien : « Le projet de loi Dufaure réintègre ces magistrats sur leur siège. Mais je les défie bien aujourd’hui d’y remonter, après la flétrissure ineffaçable que leur a infligée l’Assemblée tout entière. » En tout cas, les jeux de mots qui intéressent un rapprochement avec le poème « Les Assis » arrivent enfin avec l’article du 28 mars qui porte l’en-tête « 26 mars » :

La permanence de l’Assemblée devient de plus en plus platonique. Elle a tenu à avoir une séance hier dimanche. Vous comprenez que, dans les terribles circonstances où nous nous trouvons, l’Assemblée ne peut se donner de vacances, même d’un jour. Elle a causé tout doucement sur ceci et sur cela, en évitant bien de dire un mot qui puisse rappeler que les élections municipales de Paris avaient lieu à la même heure.
Je propose à l’Assemblée un loto gigantesque. M. de Lorgeril appellera les numéros. Chaque quine gagnera un verre d’eau sucrée. De cette façon, nos représentants pourront agréablement rester en séance de six heures du matin à six heures du soir sans avoir le souci d’aborder des questions fâcheuses, et l’histoire sera bien forcée de constater un jour que ces dignes et grands citoyens sont restés héroïquement sur leur siège.
[…]
[…] Il n’y aura guère que M. Jaubert qui aura pleuré en secret sur cette besogne immense faite le jour du Seigneur, malgré les commandements de l’Eglise. C’est là un spectacle consolant, de grands citoyens qui, par un temps superbe, refusent d’aller dîner sur l’herbe dans les bois de Saint-Germain, uniquement pour travailler sans perdre une minute au salut de la patrie !
[…]

Le persiflage de Zola se poursuit. L’assemblée reproche à Thiers son absence aux séances :

[…] Dire que cet homme d’Etat a l’audace de s’inquiéter des événements de Paris ! Jamais la majorité ne lui pardonnera cela, car la majorité, avec un mépris de duchesse, parle des Parisiens comme d’une troupe de laquais qu’on bâtonnera quand on voudra. En attendant, la majorité se tient prudemment à Versailles, et aime mieux dormir sur des chaises dans les corridors d’hôtels de troisième ordre, que de venir demander de bons lits à la capitale.
[…]

Ces jeux de mots sont faits dans le courrier même qui évoque les élections se déroulant à Paris. Zola qui n’est pas du côté des insurgés en rend compte avec enthousiasme pourtant :

[…] On me dit que les élections se sont faites dans le plus grand ordre. Jamais nation n’a donné un pareil spectacle, et je crois que plus tard le jugement porté sur les événements que nous traversons perdra de sa sévérité. N’avons-nous pas obéi à des impulsions secrètes, et ne venons-nous pas d’inaugurer un système qui doit tirer à jamais la France des empires et des monarchies ?
Nous sommes trop près aujourd’hui. Nous ne pouvons juger. Mais certes, entre Versailles qui discute misérablement et Paris qui se réconcilie devant les urnes, j’avoue qu’instinctivement je suis pour cette grande et noble ville, encore toute secouée de ses cinq mois de siège, et qui n’a peut-être eu, dans sa longue souffrance, un dernier accès de fièvre que pour augmenter nos libertés.