mardi 30 janvier 2024
Parlons légende, parlons du "Cahier de Douai", l'édition GF de Steinmetz et Scepi
jeudi 25 janvier 2024
Voix du fou et voix du sage dans "Alchimie du verbe", mise à l'épreuve d'une idée de Bardel
Le chapitre "Alchimie du verbe" est celui qui présente le système énonciatif le plus - relativement - classique et le moins - relativement - déroutant pour le lecteur. C'est aussi le seul qui corresponde aux caractéristiques d'un texte narratif, telles qu'on les observe, par exemple, dans une autobiographie.
A moi. L’histoire d’une de mes folies.
Depuis longtemps je me vantais de posséder
tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie moderne.
J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors,
toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la
littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans
de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rhythmes naïfs.
Je rêvais croisades, voyages de
découvertes dont on n’a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de
religion étouffées, révolutions de mœurs, déplacements de races et de
continents : je croyais à tous les enchantements.
J’inventai la couleur des
voyelles ! – A
noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. – Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne,
et, avec des rhythmes
instinctifs, je me flattai d’inventer
un verbe poétique accessible, un jour ou l’autre, à
tous les sens. Je réservais la traduction.
Ce fut d’abord une étude. J’écrivais des silences, des
nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges.
**
La vieillerie
poétique avait
une bonne part dans mon alchimie du verbe.
Je m’habituai à l’hallucination simple : je voyais
très-franchement une mosquée à la place d’une usine, une école de tambours
faite par des anges, des calèches sur les
routes du ciel, un salon au fond d’un lac ; les monstres, les mystères ;
un titre de vaudeville dressait des épouvantes devant moi.
Puis j’expliquai mes sophismes magiques
avec l’hallucination
des mots !
Je finis par trouver sacré le désordre
de mon esprit. J’étais oisif, en proie à une lourde fièvre :
j’enviais la félicité des bêtes, - les chenilles, qui représentent l’innocence des limbes, les
taupes, le sommeil de la
virginité !
Mon caractère s’aigrissait. Je disais
adieu au monde dans d’espèces de romances : […]
**
J’aimai le désert, les vergers brûlés,
les boutiques fanées, les boissons tiédies. Je me traînais dans les ruelles
puantes et, les yeux fermés, je m’offrais au soleil, dieu de feu.
« Général,
s’il reste un vieux canon sur tes remparts en ruines, bombarde-nous avec des
blocs de terre sèche. Aux glaces des magasins splendides ! dans les salons !
Fais manger sa poussière à la ville. Oxyde les gargouilles. Emplis les boudoirs
de poudre de rubis brûlante… »
Oh !
le moucheron enivré à la pissotière de l’auberge, amoureux de la bourrache, et
que dissout un rayon !
**
Enfin,
ô bonheur, ô raison, j’écartai du ciel l’azur, qui est du noir, et je vécus,
étincelle d’or de la lumière nature.
De joie, je prenais une expression
bouffonne et égarée au possible : […]
**
Je
devins un opéra fabuleux : je vis que tous les êtres ont une fatalité de
bonheur : l’action n’est pas la vie, mais une façon de gâcher quelque
force, un énervement. La
morale est la faiblesse de la cervelle.
A chaque être, plusieurs autres vies me semblaient dues. Ce monsieur ne sait ce qu’il
fait : il est un ange. Cette famille est une nichée de chiens. Devant
plusieurs hommes, je
causai tout haut avec un moment d’une de leurs autres vies. – Ainsi, j’ai aimé un porc.
Aucun
des sophismes de la folie, - la folie qu’on enferme, - n’a été oublié par moi :
je pourrais les redire tous, je tiens le système.
Ma santé fut menacée. La terreur
venait. Je tombais dans des sommeils de plusieurs jours, et, levé, je continuais
les rêves les plus tristes. J’étais mûr pour le trépas, et par une route de
dangers ma faiblesse me menait aux confins du monde et de la Cimmérie, patrie
de l’ombre et des tourbillons.
Je dus voyager, distraire les enchantements assemblés sur mon cerveau. Sur la
mer, que j’aimais comme si elle eût dû me laver d’une souillure, je voyais se lever la croix
consolatrice. J’avais été damné par l’arc-en-ciel. Le Bonheur était ma fatalité, mon remords, mon
ver : ma vie serait toujours trop immense pour être dévouée à la force et
à la beauté.
Le
Bonheur ! Sa dent, douce à la mort, m’avertissait
au chant du coq, - ad matutinum, au Christus venit, - dans les plus sombres
villes : […]
**
Cela s’est passé. Je sais aujourd’hui
saluer la beauté.
L'auteur précise son principe d'écriture : succession d'images mentales décousues, supposées être des "hallucinations" [...] mais il ne nous révèlera rien de ce qui est important [...] Pour ne pas rendre jaloux ses collègues voyants ?
lundi 22 janvier 2024
"Il faut être absolument moderne" et "posséder la vérité dans une âme et un corps", j'investigue !
Car je puis dire que la victoire m'est acquise : les grincements de dents, les soupirs empestés se modèrent. Tous les souvenirs immondes s'effacent. Mes derniers regrets détalent, - des jalousies pour les mendiants, les brigands, les amis de la mort, les arriérés de toutes sortes. - Damnés, si je me vengeais !
Je suis un éphémère et point trop mécontent citoyen d'une ville crue moderne parce que tout goût connu a été éludé dans les ameublements et l'extérieur des maisons aussi bien que dans le plan de la ville. Ici vous ne signaleriez les traces d'aucun monument de superstition. La morale et la langue sont réduites à leur plus simple expression, enfin ! [...]
Oh ! la science ! On a tout repris. Pour le corps et pour l'âme, - le viatique, - on a la médecine et la philosophie, - les remèdes de bonnes femmes et les chansons populaires arrangés. [...]
jeudi 18 janvier 2024
Un peu de Catulle Mendès, Elias
Dans son remarquable traité Uber die Krankheite des Kinder und ihren Einflus auf die Entwickelung der moralischen Kraefte, c'est-à-dire : Des Maladies du premier âge et de l'eur influence sur le développement des facultés morales, le professeur Spitzberg, vice-président de l'académie médicale de Dusseldorf, met en lumière plusieurs exemples de précocité vraiment extraordinaires chez des enfants de sept ou huit ans malades depuis leur naissance, et croit pouvoir en tirer cette conclusion que, dans les cas où de continuelles souffrances n'oblitèrent pas absolument l'intelligence des jeunes malades, elles peuvent au contraire en précipiter l'épanouissement. Les innombrables réflexions sur lesquelles le docteur Spitzberg appuie sons système ne pourraient qu'intéresser vivement la plupart de mes lecteurs ; mais il me serait asser difficile de les exposer, ces réflexions étant, de leur nature, si délicates, si subtiles, et, d'autre part, formulées en un langage si peu mesuré à la portée présumable des esprits ordinaires, qu'il m'a radicalement été impossible d'en comprendre une seule. Je me bornerai à ajouter que la vie et la mort du baron Elias de Borg, qui forment le sujet de cette étude, semblent militer assez vigoureusement en faveur de la théorie ci-dessus mentionnée [...]
[...] Dans ce climat, par ces chagrins, l'état de la comtesse s'aggravait d'heure en heure. Bientôt elle ne quitta plus sa chambre, une chambre ancienne, très-profonde, qui avait de grandes fenêtres. Elle restait là tout le jour, à demi couchée dans un large fauteuil et considérant, à travers les vitrages, le vaste ensemble mélancolique de la forêt sombre et du ciel ténébreux. Elias, qui avait cinq ans, jouait à côté d'elle, rampant. C'étaient des heures d'une tristesse affreuse. Le soir, elle pleurait. L'enfant, dont l'intelligence se développait avec une rapidité peu fréquente, s'efforçait de consoler sa mère d'une douleur dont il paraissait deviner la cause. Mais la comtesse n'osait point garder trop longtemps Elias auprès d'elle, craignant qu'il ne fût malsain pour ce pauvre être déjà si maladif de demeurer dans une chambre presque mortuaire, où l'odeur douceâtre de quelque potion se mêlait seuel à l'atmosphère fadement tiède qui émane des phtisiques proches de leur fin. Lorsqu'un blanc rayon septentrional venait à caresser les vitres, elle montrait le soleil à Elias, le soleil et les bois, et lui disait : "Va jouer, Elias." L'enfant partait. [...]
[...] La troisième pièce était une chambre à coucher, obscure tant elle était vaste, et que singularisaient de pesantes tentures de satin cramoisi sombre surchargée d'armoiries en cuivre peint ; il y avait au fond, dans un coin morne, un lit d'ébène massif, sans sculptures, très-grand, très-haut, qui ressemblait à un sépulcre de marbre noir. [...]
[...] A côté du lit, une portière en étoffe, presque toujours à demi relevée, permettait d'apercevoir un large balcon qui donne sur la cour intérieure de l'hôtel et que la volonté du jeune baron avait transformé un une serre opulente, à la toiture et aux murs de cristal. Mais le voisinage de ce jardin suspendu, plein de floraisons éclatantes et d'aromes délicieux, ne réussissait pas à égayer la sombre chambre de repos : c'était une tombe, il y avait des fleurs à l'entour.
[...] Ses cheveux, longs, directs, presque blancs tant ils étaient blonds, serraient, comme entre deux plaques de vermeil dédoré, un front volumineux qui surplombait le reste de la face, approfondissant l'azur triste des yeux et prolongeant une ombre jusqu'aux ailes trop minces du nez. [...]
Par le vitrage où s'appuyait la tête du jeune baron, on pouvait apercevoir, au delà des bâtiments intérieurs de l'hôtel de Borg, une partie de la cour et la façade tout entière d'une maison voisine. C'était à une fenêtre, d'ailleurs fermée, de cette maison que s'attachait le regard d'Elias, regard fixe où se lisait l'angoisse d'une longue déception. Depuis deux heures l'enfant était là, invisible et guettant. Soudain, la fenêtre qu'il observait s'étant ouverte, une femme très-jeune, blonde, une jeune fille sans doute, s'y accouda, lointaine et gracieuse. Les yeux d'Elias, éblouis, se fermèrent ; il retira vivement sa tête [...] [P]ar instant ses narines se gonflaient comme aspirant un parfum lointain, et il semblait extraordinairement heureux. Il resta ainsi très-longtemps. La jeune fille accoudée à sa fenêtre ne se doutait guère de la joie que donnait sa vue à un pauvre enfant malade qui la contemplait de si loin. Elle semblait plongée en un rêve doux et long. Il se pouvait qu'elle attendît quelqu'un, car ses regards interrogeaient fréquemment l'allée d'une porte cochère située en face de sa croisée. [Ce fut de ce côté que se montra bientôt un homme aux allures élégantes, qui la salua d'un geste familier, traversa la cour et disparut sous la marquise d'un perron. [...]
[...] Une musique joyeuse se faisait entendre ; des couples très-rapides passaient en dansant derrière les croisées en flamme. Elias songea à ses jambes contournées, à ses genoux cagneux, et sourit amèrement. Il n'y avait qu'une fenêtre, éclairée cependant, où ne transparussent point les formes fugitives : c'était celel qui était chaque jour l'objet de la contemplation d'Elias. L'enfant, ce soir, la regardait encore avec douceur [...]
[...] il s'imagina que l'on ouvrait les rideaux d'une fenêtre par où il entrait du soleil. [...]
[...] Je suis trop laid. Regardez-moi. Ma mère me disait que j'avais de beaux cheveux. [...]
[...] Puis vous pourriez être ma soeur. Voilà vous êtes ma soeur. [...]