mardi 30 janvier 2024

Parlons légende, parlons du "Cahier de Douai", l'édition GF de Steinmetz et Scepi

 Cette année, au programme de français du Bac, nous avons un recueil imaginaire de Rimbaud intitulé par les rimbaldiens "Cahier de Douai", et énormément d'ouvrages parascolaires sont publiés qui offrent donc le recueil dans un mince volume avec un petit appareil de commentaires adaptés au public lycéen, mais nous avons aussi droit à une édition volumineuse de 180 pages qui date de mai 2023 chez Garnier-Flammarion par Jean-Luc Steinmetz et Henri Scepi au prix fixe de trois euros. On parle d'une édition avec dossier. Jean-Luc Steinmetz a très peu publié d'articles sur Rimbaud, il a surtout publié des livres où il brode des impressions, ce qui n'est pas la même chose. Il est l'éditeur des oeuvres de Rimbaud en Garnier-Flammarion depuis 1989. En 1989-1990, il a fourni une édition qui a été de référence en trois volumes, un volume pour les Poésies en vers réguliers, un volume pour les poésies en vers irréguliers sous le titre apocryphe "Vers nouveaux" et pour le livre Une saison en enfer, puis un volume pour les Illuminations. Récemment, il y a eu une refonte en un seul volume intitulé Oeuvres complètes, mais sans réelle mise à jour du discours critique, et nous avons donc maintenant ce volume à part en collaboration avec Henri Scepi.
Le recueil imaginaire de Rimbaud est flanqué de deux titres avec des tailles de caractères différentes. En gros, le titre "Cahier de Douai", et en plus petit le titre "Recueil Demeny". Vu que l'ensemble ne forme pas un cahier, ce sont des feuillets volants, le titre "Recueil Demeny" a pourtant plus de légitimité.
La présentation du prétendu recueil est fournie par Jean-Luc Steinmetz, tandis que les notes et le dossier sont le fait d'Henri Scepi.
Steinmetz commence par dire que les multiples visages que nous prêtons à un Rimbaud envisagé au plan biographique ont l'inconvénient de "recouvrir la réalité de son parcours d'écrivain, si bref et pourtant si varié." Le problème, c'est que le prétendu recueil "Cahier de Douai" est une imposture intellectuelle qui pour le coup recouvre précisément la réalité du parcours d'écrivain de Rimbaud. L'introduction est pour le moins maladroite.
Pour représenter la poésie de Rimbaud, Steinmetz cite "Le Bateau ivre" en l'affublant du qualificatif "symbolique", ce qui est une allusion voilée au mot de Verlaine : "symbolique, à coup sûr pas symboliste". Je ne sais pas si le public lycéen, enseignants compris, comprendra le rejet impliqué du symbolisme par cette formule : "ce grand poème symbolique où s'expriment son originalité sans égale et son désir de liberté infinie." Au plan didactique, il y a comme un petit problème dans l'écriture de cette présentation.
Steinmetz brode un discours banal sur les problèmes d'établissement d'un corpus non établi par l'auteur lui-même, puis il enchaîne en prétendant qu'au contraire ce que nous avons sous la main a été voulu tel par Rimbaud : "Proposer l'étude de ce qui constitue probablement le premier ensemble voulu par Rimbaud [...]", sauf que l'affirmation contient son aveu de faiblesse dans la hideur pleine et entière de l'adverbe "probablement". Les enseignants sont censés montrer la maîtrise du raisonnement à leurs élèves. On va bien rigoler en les voyant singer le raisonnement : "oui, c'est un recueil de Rimbaud, puisqu'il est probable selon l'opinion autorisée de personnes qui publient régulièrement sur le sujet..." - Mais, c'est un recueil ou pas ? - Oui ! - Un recueil voulu par Rimbaud ? - Probablement !
Et nageant en eaux troubles, Steinmetz nous pond encore un propos ambigu où sans dire que Rimbaud est un symbolisme, on en fait un précurseur revendiqué : "ceux qui, demain, allaient devenir les symbolistes (dont certains se réclameront de Rimbaud.)" Mais, comme dirait Hugo : "arrêtez de m'annoncer les symbolistes, publiez-les plutôt ! S'ils sont géniaux, mais abandonnez Rimbaud, Mallarmé et Verlaine, et parlez-nous des symbolistes ! Allez, des noms ! Quel est le meilleur poète symboliste ? Et le deuxième ? Et le troisième ? C'est qui ? c'est qui ? Des noms, des noms ! Et après les noms, des œuvres à lire ! C'est quoi le plus beau recueil de la poésie symboliste ? Vos noms, là, ils ont fait quoi comme recueils ? Pourquoi on les trouve jamais en librairie ?"
Areuh, areuh ! le symbolisme, areuh aureuh ! le symbolisme ! Areuh areuh ! Et du laid chaud dans mon biberon !
Dans une note de bas de page à cheval sur les troisième et quatrième pages de la présentation, nous avons une nouvelle affirmation sortie d'un chapeau : "[Du second Parnasse contemporain, n]ous disposons de fascicules des première, deuxième et quatrième livraisons annotées par Rimbaud." Ah ouais, ces livraisons appartenaient bien à Rimbaud ? Vous avez les preuves ? Et l'écriture de Rimbaud est attestée ? Vous avez pensé à faire une étude graphologique ? C'est admis par les rimbaldiens, ces annotations. Pas par moi en tout cas. Il n'existe aucun consensus critique pour attribuer ces annotations à Rimbaud, et surtout des réserves se sont exprimées à ce sujet.
Et on soupçonne Rimbaud d'en avoir volé en librairie. Rimbaud pratiquait le vol à l'étalage selon certains. Mais qui sont les accusateurs et les témoins ? Rimbaud n'est plus là pour se défendre. Moi, je n'y crois pas à ces histoires de vol. Sa mère l'aurait accueilli avec des taloches, et un vendeur familier tu le voles une fois pas deux ! On donne encore dans la légende.
Steinmetz soutient que Rimbaud cherche tous les moyens de se faire publier. Ah bon ? Oui, après les honneurs des bulletins académiques, il cherche à faire publier des poèmes dans la presse, en tout cas "Les Etrennes des orphelins" et "Trois baisers", il y aura "Le Rêve de Bismarck", en tant que prose dans un organe de presse local. Et alors ? On peut en tirer des conclusions sur la comète ? Il envoie une lettre à Banville avec trois poèmes, là c'est plus ambitieux, mais dans cette lettre Rimbaud sollicite l'impossible : être publié dans la dernière livraison du Parnasse contemporain. L'humour à comprendre, c'est que d'un côté il y a l'humilité, je viendrais en dernier, et de l'autre le retour de l'humilité en orgueil par la position conclusive dans un recueil collectif, il fixerait le "credo" des poètes. Effectivement, il a cherché à faire partie des livraisons du Parnasse contemporain, et il a échoué. Ceci dit, la demande de publication relève quelque peu de l'implicite. Il y a le propos humoristique osé, mais ce que souhaite avant tout Rimbaud c'est un début de mise en avant dans une publication dans une revue. Il vise le plus gros pour avoir le minimum. Pourquoi enseigner aux lycéens à devenir des débiles mentaux qui ne savent plus identifier le premier et le deuxième degré dans un discours ? Oui, Rimbaud essaie aussi d'approcher le monde du journalisme, mais notons qu'il ne le fait qu'à partir d'une situation politique trouble. Il ne le fait pas avant la guerre, ni avant la fin de l'école. Il le fait en septembre 1870, en pleine guerre, quand le régime impérial est tombé, quand sa région est menacée par les mouvements des armées qui s'affrontent, quand l'école ne rouvre pas encore. Il fuit le domicile maternel et cherche du travail lors de sa fugue en Belgique, on ne peut pas assimiler cela à une simple volonté de faire du journalisme pour publier ses poèmes dans la foulée. La présentation de Steinmetz est encore une fois biaisée.
Et parce que c'est un brodeur ! Steinmetz réactive l'idée que certains poèmes remis à Demeny s'inspirent d'images caricaturales vues même pas sur le marché, mais dans la presse. C'est la légende du sonnet "L'Eclatante victoire de Sarrebruck", alors même que Murphy, qui a publié une étude suivie du poème, a montré l'inanité du lien proposé entre le contenu du sonnet et une prétendue image qui aurait pu lui servir d'inspiration. Ce rejet a plutôt été acté dans la communauté rimbaldienne. Ici, les lycéens ne pourront se faire aucune idée, puisqu'il n'y a aucune précision pour éprouver l'affirmation. Les journaux contiennent des images de caricaturistes qui ont pu influencer certains des textes de Rimbaud. Mais, bien sûr ! Oui, je pense que ça concerne "Vénus anadyomène", "Le Dormeur du Val", "La Maline", "Ma Bohême",... Meuh oui meuh oui !
C'(est sûr qu'on va faire des générations qui voteront Macron ou son successeur Attal ! l'avenir est d'écrire un livre : Macron, l'héritier de Rimbaud, le rimbaldisme en marche !
Les gens nés dans les décennies 1930, 1940 ou 1950, mais c'est des dieux de l'éducation ! Des dieux, vous dis-je !
Tu m'étonnes qu'on n'ait pas de grands écrivains de nos jours ! Ils ont fait un beau travail de sape !
Alors, on arrive au petit Izambard, le petit Izambard ! Qu'est-ce qu'il nous vaut, le petit Izambard ! Vous permettez que je l'appelle le petit Izambard ? Eh bien le petit Izambard, il est introduit comme ayant "une écoute attentive et un regard critique des plus utiles". Heu ? Au fait, les premiers poèmes latins primés de Rimbaud, Izambard il était déjà dans le coup ? Je ne crois pas. Il n'était pas là, Izambard ! Tu parles qu'il est lucide avec une écoute attentif. Izambard, c'est un coq en pâte qui arrive là-dedans, rien d'autre ! On lui a dit que Rimbaud c'était le prodige à estimer, alors oui il fréquente Rimbaud, sauf qu'Izambard, on le sait, par ses écrits ultérieurs, qu'il n'a jamais cru que Rimbaud était un grand poète.
Allez, passons ! Ce n'est pas le plus grave dans les affirmations sans fondement. C'est juste qu'il ne faut pas perdre de vue qu'Izambard il joue un rôle dans cette relation qui n'est pas sans une logique d'amour-propre derrière. Ce n'est pas du tout, le professeur qui a une révélation. Oui, il y a une relation un peu intime qui a un peu changé la donne, mais il faut se garder des illusions rétrospectives. Puis, en fait de "lucidité", je rappelle qu'Izambard suppliait Rimbaud de ne pas produire des pièces osées. Il était scandalisé par "Vénus anadyomène", Un cœur sous une soutane, méprisant à l'égard du "Coeur supplicié"', et si Rimbaud l'avait écouté jamais nous n'aurions eu "Accroupissements", "Les Assis", etc. Je pose le constat quand même !
Et parce que c'est un brodeur ! Steinmetz soutient que Rimbaud nous parle de ses "premières amours", juste après avoir évoqué la lettre de Banville, celle qui contient, vous savez ? du printemps, sauf que c'est précisément à côté de ces textes envoyés à Banville que sont "Sensation" (alors sans titre), "Credo in unam" et "Ophélie" que "Rimbaud conçoit aussi des poèmes plus personnels relatant ses premières amours, notoirement féminines et fictives [...]." Heu ? Heu ? "Ophélie" est écarté des amours fictives, mais à en croire Steinmetz Rimbaud parle de ses "premières amours" réelles ou fictives, non seulement dans "A la Musique", "Au cabaret-vert", "Rêvé pour l'hiver" et "La Maline", mais aussi dans "Roman" et "Ce qui retient Nina"...
Quel brillant lecteur, ce Steinmetz !
Alors, on passe à Delahaye dont les souvenirs auraient été "trop injustement contestés". Ben quand même, oui, il y a des contestations sur lesquels on peut revenir, mais d'autres non. Il mentait tout de même un peu le Delahaye, mais bon...
Oui, il faut savoir faire la part des choses !
On cite enfin Léon Deverrière, "autre enseignant de Charleville". Ah là oui, c'est la grande lacune du rimbaldisme de ne pas l'avoir coincé à l'époque pour lui faire cracher d'éventuels manuscrits.
Steinmetz affirme aussi sans preuve que "Bal des pendus" date du printemps 1870 et non de septembre, ce qui s'oppose tout de même à la lecture post-Sedan envisagée par Steve Murphy, mais bon je suis moi-même tenté de penser que "Bal des pendus" date réellement d'une telle époque, alors je me contente de signaler que ça manque seulement de preuves.
Et Steinmetz, parce qu'il écrit en poète improvisé ! nous sort une formule alambiquée à la page 10 : Rimbaud veut faire partie de l'élite des poètes, mais "l'Histoire le rattrape (à supposer qu'il ait jamais pris du retard sur elle)." Heu ? L'Histoire le rattrape, à supposer qu'il ait jamais pris du retard sur elle ? C'est hallucinant à méditer ces deux bouts de phrase mis ensemble ! L'Histoire le rattrape, mais il n'était pas derrière elle. OK, d'accord ! C'est un peu loufoque comme raisonnement, mais bon ! On en a vu d'autres !
Au fait, s'il n'y avait pas eu la guerre, Rimbaud serait retourné à l'école pour deux ans. Il serait monté à Paris et aurait rencontré le milieu des poètes, Verlaine, tout ça, en septembre 1873... Oui, Paris vaut bien une bouteille et avec des si on met la capitale dans une messe, oui !
Boah ! il connaissait Bretagne, un pote à Verlaine, il y aurait eu une autre histoire...
Il ne serait pas plus simple de dire que Rimbaud voulait publier précocement comme un adulte. C'est surtout ça qui se profile. Il a fait publier "Les Etrennes des orphelins" et "Trois baisers", et entre-temps, il a essayé de placer trois poèmes dans des revues parisiennes en sollicitant le soutien de Banville. C'est certain qu'il aurait travaillé à se faire publier régulièrement dans des revues, préparant le terrain à une consécration ultérieure avec un recueil. Mais c'est tout ce qu'on peut dire, il faut arrêter les plans sur la comète. Au contraire, c'est la guerre qui va accélérer ses démarches, d'ailleurs infructueuses, auprès des journaux belges, auprès du Progrès des Ardennes, auprès des parisiens en mars 1871, auprès du Nord-Est. Non, le paradoxe, c'est plutôt qu'une fois à Paris Rimbaud ne va rien publier toute une année durant, rien de septembre 1871 à septembre 1872, jusqu'aux "Corbeaux", alors que cela avait été si rapide pour "Les Etrennes des orphelins" et "Trois baisers". Ce n'est pas l'Histoire qui a empêché Rimbaud de publier, c'est les plumes de la presse parisienne qui vont faire barrage, à moins que, d'accord avec des proches tels que Verlaine, Rimbaud ait initialement consenti à patienter quelques mois, ce qui est étrange vu qu'il demeurait une bouche à nourrir.
Page 11, nous avons une synthèse biographique de la première fugue de Rimbaud. Je note une étrangeté du raisonnement à propos de l'incarcération à Mazas : les nouvelles des événements filtraient à travers les murs de la prison, et aurait appris à Rimbaud la défaite de Sedan, puis "quelques jours plus tard" le 4 septembre, la proclamation de la République. Heu ? ce n'est pas très logique ? Les nouvelles de Sedan arrivent de loin, celles de Paris viennent de tout près. La chute de Sedan, c'est le 2 septembre et la proclamation de la République le 4 septembre. Rimbaud a pu apprendre la chute de Sedan le 3 septembre et il a forcément été au courant de la proclamation de la République le 4 septembre même, à la limite en ne considérant cela encore que comme une rumeur, mais il a pu apprendre les deux événements en même temps, ou bien à un jour d'écart, éventuellement à deux jours d'écart, mais certainement pas dans l'espace de "quelques jours".
Il est dit que Rimbaud n'est resté à Douai en septembre qu'une dizaine de jours. Heu ? Pourquoi on a deux poèmes datés du 22 et du 29 septembre 1870 "Les Effarés" et "Roman", dont le dernier avec un clair ancrage douaisien dans la description, puisqu'il est question d'une ville brassicole ? On a aussi une réunion rue d'Esquerchin dans la dernière dizaine du mois de septembre 1870. Cette délimitation de dix jours, ce n'est pas très clair.
Et puis, on nous place le fait que Demeny était "copropriétaire de la Librairie Artistique" à Paris, et que cela importait beaucoup à Rimbaud en septembre 1870.
En septembre 1870, Rimbaud n'avait pas encore écrit "Les Effarés" et "Roman" puisque datés des 22 et 29 septembre sur les manuscrits. Selon la thèse des dix jours de Steinmetz, "Roman" n'a pas été composé à Douai par Rimbaud, mais à Charleville. Désolé de prendre au mot les affirmations qui nous sont balancées ! On ne sait pas s'il a déjà écrit "Rages de Césars" avec incendie du cigare et pensée pour Saint-Cloud. Il n'a pas encore les sept sonnets dits du cycle belge d'octobre 1870. En clair, quand Izambard met Rimbaud en relation avec Demeny, d'abord c'est le fruit du hasard de la situation concrète, et ensuite Rimbaud a à peine composé la moitié des vingt-deux poèmes qui vont former le prétendu "Cahier de Douai" ! Puis, cet ensemble thématiquement hétéroclite de vingt-deux poèmes est de toute façon assez léger pour faire un recueil. Et donc, Rimbaud, c'est un mec qui pense recueil : "Ah oui, vous êtes copropriétaire d'une maison d'édition, ah oui, j'ai trois poèmes, on peut faire une plaquette tout de suite, tout de suite ? Je fais une crise cardiaque si vous me la refusez !"
Je n'arrive pas à comprendre votre manque de recul... ça m'échappe complètement !
Et Steinmetz ne se gêne pas pour confondre les contextes en écrivant ceci : "Pour cette raison précise sans doute ["la copropriété, la copropriété, man ! La copropriété !"], il se met en devoir de recopier un certain nombre de ses poèmes et d'en former un recueil présentable."
Les rimbaldiens, ils n'ont pas l'air de connaître la vie. De toute façon, déjà, Steinmetz confond les contextes, puisque la stratégie d'écriture de Steinmetz c'est de dire que Rimbaud sitôt faite la connaissance de Demeny recopie ses poèmes, sauf que Rimbaud rencontre Demeny avant la mi-septembre 1871 en gros. D'ici à la fin octobre 1870, Rimbaud va repartir à Charleville, fuguer une nouvelle fois, essayer de trouver un emploi à Charleroi, séjourner à Bruxelles, revenir à Douai, et pendant ce temps il compose plein de nouveaux poèmes, la moitié environ de ce qui a été remis à Demeny en septembre-octobre 1870.
En lisant la suite, on se rend compte que Steinmetz suppose que Rimbaud a recopié le tout du premier ensemble à l'exclusion des sept sonnets d'octobre dits du cycle belge. Mais on n'en sait rien si Rimbaud a recopié le premier ensemble plutôt en septembre. "Roman" est daté du 29 septembre, ce qui est contradictoire avec les dix jours de séjour prêtés par Steinmetz pour le mois de septembre. La datation doit être faite au cas par cas pour les feuillets volants distincts du cycle belge de toute façon.
Et puis, si Rimbaud avait trouvé un emploi à Charleroi, il aurait envoyé les manuscrits des nouvelles créations à Demeny par la poste ? Je ne sais pas, je pose la question ? Rimbaud, il écrit des poèmes, c'est bien pour être lu. Il ne peut pas tout simplement être content d'avoir un lecteur à Douai. Il écrit un poème en deux ou trois exemplaires tout simplement, et il remet un jeu d'exemplaires à Demeny. Rimbaud, il n'arrive pas entre la poire et le dessert pour dire à Demeny : "allez, allez, s'il te plaît, s'il te plaît, s'il te plaît, j'ai le manuscrit, je te donne deux minutes pour le lire, s'il te plaît, s'il te plaît, ah attention, ne renverse pas de la confiture dessus, s'il te plaît, s'il te plaît, lis le manusse unique, s'il te plaît, s'il te plaît ?"
Je me demande dans quelle réalité parallèle peuvent bien vivre les rimbaldiens, l'Education Nationale, les universitaires, pour ne pas comprendre ces choses de la vie ? Je ne sais pas ! En octobre 1870, Rimbaud s'est rabattu sur Douai, faute de trouver une issue belge, oui ou non ? Je ne sais pas, je pose la question ?
Et on arrive à la farce habituelle, une sous-partie intitulée : "La Constitution du Recueil Demeny" qui refait un galop d'histoire de l'année 1870 sous l'angle de la naissance de Rimbaud à la poésie, et puis nous arrivons à la légende de la création d'un recueil remis entre les mains de Demeny, copropriétaire de la Librairie Artistique, nom de Dieu ! En douce, pardon ! avec douceur, Steinmetz remplace le grand titre de grand caractère "Cahier de Douai" par celui de "Recueil Demeny". Et regardez comme c'est divinement dit : "La constitution du recueil dit Demeny, du nom de celui à qui furent confiées ces pages volantes, fut organisée - on le présume - en deux temps qui correspondent aux séjours successifs qu'il fit à Douai, comme nous l'avons décrit plus haut." Je ne commenterai pas le vague subtil de "comme nous l'avons décrit plus haut". Laissez-vous subjuguer par la magie verbale de Steinmetz. Moi, j'aurais dit : "on le hume", mais Steinmetz il sait écrire, et il choisit de dire : "on le présume" ! Il n'y a rien à redire à cela, c'est mieux d'écrire "on le présume" que le "on le hume". Et puis, imaginez si Steinmetz avait gardé le vrai titre, toutes nos pensées en eussent été bouleversées : "La constitution du dit Cahier de Douai, pour appeler d'un terme noble ces feuilles volantes..." Non, il a évité l'impair ! Quelle classe ! Bon, il y a un tour de passe-passe qui interroge un peu sur la sincérité de l'écriture, mais les lycéens et les farceurs qui leur servent d'enseignants n'y verront que du feu.
Je passe sur les billevesées d'un recopiage de poèmes sus par coeur par Rimbaud. La moitié des poèmes furent composés en septembre-octobre 1870, donc Rimbaud ne les connaissait pas par coeur. L'autre moitié, si Rimbaud devait en connaître des versions par coeur, sauf qu'il les modifiait au fur et à mesure.
Bref, il ne les modifie pas en les recopiant par coeur... Ujn peu de bon sens !
Steinmetz cite une lettre de Rimbaud à Demeny de juin 1871 où il est question de "tous les vers" confiés, comme si c'était une preuve de l'existence du recueil. Oui, un seul vers vient à manquer, et le recueil est dépeuplé, mais là il dit bien "tous les vers", c'est un recueil, c'est incontestable !
Oui, j'en ai marre de lire des conneries pareilles !
Et on passe à la troisième idée pour les lycéens que Rimbaud devait être un "précurseur incontesté du symbolisme". Mais, va les lire tes poètes symbolistes, Steinmetz, mais publie-les. Faéis-nous sonner Klingsor, mais oui ! Que tes ongles griffus jouent de la vielle avec Vielé-Griffin, mais oui ! Vas-y, remet au goût du jour Stuart Merrill, Ephraïm Mikhael, Jean Moréas. Et pourquoi pas, oui ! j'ose, Rodolphe Darzens ! Mais oui, vas-y, publie-les nous, qu'on en parle, qu'on en fasse des revues universitaires, des poètes symbolistes ! Trop de Saint-Pol-Roux, trop de Francis Jammes et d'henri de Régnier ? Pourquoi Apollinaire et Valéry toujours devant ? Pourquoi Reverdy, pourquoi René Char, pourquoi Supervielle ? Mais merde quoi ! J'en pleure ! Oh putain, mon gros Toulet, mon gros Verhearen, mois je veux du Gustave qui tient sur ses deux Kahn... J'en rêve la nuit ! Mais René Ghil, mais merde, pourquoi, mais pourquoi on ne peut pas acheter sa poésie, merde, bouhouhouhouh ! Marie Krysinska, et pas toujours Marie Curie ! Rodenbach et Maeterlinck. Des belges ! Putain, des symbolistes belges, ça me donne la frite !
En fait, j'ai mal à la tête depuis ce matin, ce n'est pas en écrivant cet article et en lisant de la merde que ça va passer.
Je ferai une suite et je soulignerai en quels termes Scepî parle du prétendu recueil dans la partie dossier et notes.
Et je vous parlerai des ouvrages parascolaires. On va en parler de la position conclusive de tel sonnet pour Pierre Brunel et du coup pour les éditions parascolaires en 2023, on va en parler.
En attendant, je crache sur ce titre : "Cahier de Douai" comme je crache sur ce titre : "Recueil Demeny" : Rik peuh !

1 commentaire:

  1. Allez, le petit bonbon du jour. Je possède un vieux livre du Docteur E. (Ernest) Monin L'Hygiène de l'estomac, guide pratique de l'alimentation. L'édition originale date de 1888, mais je possède une réédition. Le livre de 1888 a été gratifié d'une préface par Banville en personne, préface très littéraire très funambulesque dans les traits d'esprit. Dans mon édition, il y a d'abord un "Avant-propos de la nouvelle édition" et puis la "Préface de la première édition", à savoir le texte de Banville.
    L'avant-propos fait sourire avec sa mention du mot "cornue" dès la première phrase : "L'estomac est le vestibule du système nutritif, la cornue vivante où s'élaborent la bonne et la mauvaise santé." Je pense aux faux Rimbaud de l'époque. J'ai aussi apprécié l'emploi métaphorique du mot "clef" : "la clef de la pathologie est fréquemment dans l'estomac", car ce n'est pas un emploi si naturel que ça en 2024. On a droit à une anecdote : la digestion ne commence pas dans la bouche, mais carrément dans la cuisine. La préface de Banville est datée de 1885 dans mon édition. Elle fait neuf pages. Elle commence par une mise en scène de Lucrèce Borgia qui annonce que tout le monde est empoisonné au souper de Ferrare, ce qui est comparé à la situation des Parisiens. Banville parle de la margarine aussi, invention du second Empire qui dans mon souvenir a dû être interdite à peu près en 1888 pour des raisons de concurrence commerciale avant que les néerlandais n'inventent la margarine végétale toujours utilisée aujourd'hui. Banville parle de la Ville-Lumière qui est bien souvent la Ville-Fange et il emploie plusieurs fois l'expression "tout le monde" pour moquer le comportement général, mais j'ai été frappé par le tour suivant : "depuis que l'aristocratie, c'est tout le monde", j'ai songé inévitablement au "Tout le monde" de L'Eclair et même au peuple remplaçant la noblesse dans "Mauvais sang". Puis j'ai songé aussi aux poisons inventés par un monde moderne (L'Impossible dans la Saison) quand j'ai lu tous ces discours sur la santé et sur ce qui est bon à manger pour l'homme moderne...

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