Rimbaud signale à son professeur Georges Izambard en août 1870 un enjambement de mot à la césure de Paul Verlaine, mais il n'en commet pas lui-même ensuite pendant près d'un an.
En juillet 1871, j'observe une coïncidence.
A s'en fier aux deux versions de la fin de L'Homme juste qui nous sont parvenues, Rimbaud a osé son premier enjambement de mot dans un poème en juillet 1871, avec le mot "silencieux". Le mot composé "bec de canes" dans le même poème se rapproche de l'idée d'enjambement au milieu d'un mot. Certes, les versions ont pu être remaniées à Paris, mais rien ne permet de refuser l'idée que les deux audaces aient fait partie de la première version.
Ce même mois, le 14 juillet puis le 22 juillet, Verlaine à Valade puis Blémont expédie par courrier deux versions d'un sonnet "Bérénice" qui parodie Les Princesses de Banville, avec en prime un défaut de rime à la Catulle Mendès dans le remaniement du poème du 22 juillet.
Le 15 août, Rimbaud envoie à Banville un poème Ce qu'on dit au poète à propos de fleurs qu'il date symboliquement du 14 juillet, poème où il est question de rimes.
Dans la continuité de l'importance accordée au traité de Banville par Bienvenu, je pense que les discussions autour de ce traité ont commencé en juillet entre Rimbaud et Verlaine, et non à Paris, et que la discussion dans leur courrier a concerné aussi les enjambements de mots.
La coïncidence m'invite en tout cas à envisager l'hypothèse.
Je pense que Rimbaud a cherché à entrer en contact avec Verlaine lors de ses séjours à Paris, et étant donné sa rencontre avec André Gill, sa recherche de l'adresse de Vermersch, il me semble que, du coup, quand Rimbaud salue Mérat et Verlaine comme deux vrais poètes dans sa lettre du 15 mai 1871, c'est qu'il sait que Mérat et Verlaine travaillent ensemble et qu'il est en voie de les approcher par un intermédiaire, car rien ne justifiait la mention de Mérat comme voyant, absolument rien. Ce n'est pas la peine de chercher à inventer la dimension de Mérat voyant aux yeux de Rimbaud, ça ne tient pas la route. Mérat était un parnassien qui avait un peu plus de succès que les autres, c'est tout, et encore une fois la coïncidence est trop forte de distinguer un collègue de Verlaine à l'Hôtel de Ville. Je veux bien qu'il y ait des coïncidences étonnantes, mais quand même. Là, sans arrêt, on tourne autour de Verlaine : Gill un zutiste, Vermersch un des principaux amis littéraires de Verlaine, Mérat le collègue, avec depuis longtemps Bretagne, avec encore ces coïncidences de date pour les enjambements de mots en juillet, et avec ce débarquement directement sous le toit de la belle-famille de Verlaine à la mi-septembre 1871.
Il est sensible que la rencontre Verlaine-Rimbaud vient de loin, ce n'est pas arrivé comme ça.
La coïncidence pour les enjambements de mots pourrait bien ne tenir qu'à une brève allusion de Rimbaud dans une lettre à Verlaine, les deux poètes en tout cas seraient déjà en contact à ce moment-là ou une lettre de Rimbaud à un contact de Verlaine serait venue à l'oreille de celui-ci.
En ce qui concerne l'Album zutique, il y a eu reprise de procédés du temps de l'Album des Vilains Bonshommes (sonnets à vers monosyllabiques, sonnets à deux, obscénités, parodies) et procédés nouveaux (dérèglement des rimes au plan des cadences), avec des éléments dont on ne sait pas précisément s'ils sont nouveaux ou prolongent ce qui se faisait déjà en 69 (parodie de L'Idole (à mon avis une reprise), vieux Coppées (à mon avis, une nouveauté parodique, malgré les deux dizains de La Bonne chanson qui ne permettent pas de trancher sur la présence ou non de dizains dans l'Album des Vilains Bonshommes). L'enjambement de mot ("tricolorement") dans Ressouvenir serait aussi une nouveauté comique, étant donné sa rareté dans l'Album zutique même, bien que dans la poésie lyrique, les enjambements de mots fussent déjà quelques-uns à cette époque.
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