samedi 30 avril 2016

Du Pommier au cercle du Zutisme

Extrait de notre article intitulé « A propos de l'Album zutique » paru dans le numéro spécial Rimbaud de la revue Europe en 2009 :


[…] Mais il est une autre influence de Verlaine qu’il convient maintenant de traiter. En effet, d’où est venue cette manie zutique des sonnets monosyllabiques ?
   Cas à part de l’intrusion de Nouveau A un caricaturiste au verso du feuillet 3, Léon Valade semble l’initiateur zutique de cette mode avec une série de trois sonnets Eloge de l’Ane [sic], Amour maternel et Combat naval. La distribution en deux séries étant peut-être accidentelle, Rimbaud n’a composé que trois Conneries finalement, ce qui le rapproche de la série des trois poèmes « valadifs ». Toutefois, il a varié les effets. Il a composé un sonnet d’hexasyllabes Paris et un sonnet de dissyllabes Jeune goinfre. Enfin, il a composé un sonnet monosyllabique Cocher ivre. Steve Murphy a bien vu que Jeune goinfre et L’Angelot maudit faisaient allusion à la série de poèmes de La Comédie enfantine de Louis Ratisbonne, où il est question de la gourmandise d’un petit enfant prénommé Paul. Ajoutons que l’allusion à la diligence de Lyon par Verlaine lui-même dans le corps de l’Album zutique pourrait figurer un autre écho au recueil de Ratisbonne, puisque dans le poème Le Relais le petit Paul joue cette fois à la diligence. Derrière la parodie de Ratisbonne, Paul. Verlaine est la cible des deux poèmes de Rimbaud, même si sa présence est moins évidente dans L’Angelot maudit. Notez, tout de même, outre l’usage un peu verlainien des distiques, l’écho entre « La Rue est blanche, et c’est la nuit[,] » et la clausule de L’Heure du berger dans les Poëmes saturniens : « Blanche, Vénus émerge, et c’est la nuit. » Dans Cocher ivre, titre qui fait songer à celui de Bateau ivre, la mention verbale : « clame » impose un rapprochement « sonore » avec le poème Marine des Poëmes saturniens, poème qui témoigne d’une certaine virtuosité formelle par le recours aux mètres brefs et le jeu resserré des assonances et allitérations. Toutefois, Marine n’est pas un sonnet monosyllabique et cette distinction suffit à rendre fragile le rapprochement verlainien, car Verlaine n’a peut-être jamais composé de sonnet monosyllabique, si ce n’est le poème zutique Sur un poëte moderne. Ce dernier poème vise non pas Leconte de Lisle, mais François Coppée, auteur d’un recueil de Poëmes modernes. Ceci dit, il pose un problème d’attribution et n’est donc peut-être pas de Verlaine. Ainsi, la solution de notre petite énigme n’est pas à chercher dans les poésies du Pauvre Lélian, mais ailleurs.
   Justement, Verlaine a publié le 2 novembre 1865 dans la revue L’Art un compte rendu de l’ouvrage de Barbey d’Aurevilly Les Œuvres et les hommes. Le premier temps de l’article concerne les poètes et Verlaine pourfend les jugements à l’emporte-pièce du célèbre polémiste :

              Par exemple, je ne sais à quoi attribuer l’enthousiasme de M. Barbey d’Aurevilly pour M. Pommier […] En l’honneur des colifichets dont je vous donnerai tout à l’heure un échantillon, M. Barbey d’Aurevilly tire un feu d’artifice qui éclipse tous ceux de tous les Ruggieri : « Homme étonnant qui n’a besoin que d’une syllabe pour vous enchanter, si vous avez en vous un écho de poète, – qui serait Liszt encore sur une épinette, et Tulou dans un mirliton », etc., etc.
              Or, voici l’échantillon promis :
BLAISE. – Grogne !
                   Cogne
                   Mord !
                   Être
                   Maître
                   Veux.
ROSE.    – Va, je
                   Rage.
                   Gueux ;
                   Bûche ! etc.
              Et, six pages après les louanges accordées à ces choses, M. Barbey d’Aurevilly s’indigne contre les « sornettes enragées et idiotes » des Odes funambulesques, sur lesquelles je m’empresse de déclarer ne point partager du tout son avis. […]

   La querelle ne s’arrête pas là. Barbey d’Aurevilly va encore reprocher aux parnassiens de ne pas avoir accueilli son ami Amédée Pommier dans leur volume, et, en novembre 1866, il publie ses satiriques « 37 médaillonnets du Parnasse ». Or, la colère de Barbey d’Aurevilly est relayée par une publication anonyme qui parodie le titre du Parnasse contemporain, en reprenant à peu près le suffixe du méprisant « médaillonnet » : ce sera le Parnassiculet contemporain, recueil disponible sur Gallica. La préface évoque un chinois circulant dans les rues de Paris sur le mode d’étrangeté du Croquis parisien de Verlaine, mais surtout, probablement composé par Alphonse Daudet, apparaît un remarquable spécimen de sonnet monosyllabique Le Martyre de Saint Labre.
   Le sous-titre de celui-ci est éloquent : Sonnet extrêmement rhythmique, puisqu’il cite le poème La Nuit du walpurgis classique, en présupposant que Verlaine, en tant que friand amateur des effets de virtuosité formelle, semble bien inconséquent de refuser le titre de poésies aux tentatives monosyllabiques du « métromane » Amédée Pommier. On sait que Verlaine a très mal pris cette moquerie et qu’il s’en est pris physiquement à Alphonse Daudet, lors d’une cérémonie académique récompensant le recueil Les Chimères d’Albert Mérat. L’Album zutique comporte d’autres parodies infantilisantes de la poésie effectivement frivole d’Alphonse Daudet. On trouve le Pantoum négligé de Verlaine, mais aussi Intérieur matinal de Charles Cros. En relisant le poème zutique de Cros, Germain Nouveau a ajouté tant bien que mal sur le même feuillet un sonnet monosyllabique A un Caricaturiste, en-dessous d’une caricature représentant Le petit Chose. Germain Nouveau a-t-il su le rôle joué par Daudet dans la mode zutique du sonnet monosyllabique ? Il nous est impossible de répondre, mais nous espérons que le lecteur appréciera nos arguments historiques.

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Extrait d'un article d'Alain Chevrier intitulé « Les Sonnets en vers monosyllabiques de l'Album zutique » paru dans le numéro 22 de la revue Parade sauvage en 2011 :

[...]
S'il est un sonnet que les poètes de l'album devaient très bien connaître, c'est Le Martyre de Saint Labre. Il est sous-titré « Sonnet extrêmement rythmique » :

Labre, / Saint / Glabre, / Teint // Maint / Sabre, / S' cabre, / Geint ! // Pince, / Fer / Clair ! // Grince, / Chair / Mince !

C'est un poème du Parnassiculet contemporain (1867), un pastiche féroce des poètes paraissant dans les livraisons du Parnasse contemporain depuis 1866, adeptes du sonnet et de la rime riche. Il est attribué à Alphonse Daudet.
Saint Benoît-Joseph Labre fut célèbre pour sa maigreur affreuse (d'où la forme « mince ») et pour sa vermine, mais il ne fut pas martyrisé.
Le sous-titre reprend ironiquement le vers de Verlaine dans Nuit du Walpurgis classique, dans Les Poèmes saturniens (1866) : « Un rhytmique sabbat, rhythmique, extrêmement / Rythmique. » En effet, rien n'est plus « rythmique » dans le genre qu'un poème en vers monosyllabiques. Le poète n'a pas reculé devant l'apocope pour se faciliter la tâche et se moquer de sa cible.
Les auteurs de l'album ne pouvaient pas ne pas connaître non plus Amédée Pommier, un romantique « fantaisiste » créateur de formes curieuses.
Verlaine, dans son compte[ ]rendu de Les Œuvres et les hommes de Jules Barbey d'Aurevilly, dans [L']Art en 1865, s'étonne de son enthousiasme pour Amédée Pommier, qui est « au plus un versificateur amusant », et cite l'échantillon de vers monosyllabiques extrait d'un dialogue entre Blaise et Rose. Barbey d'Aurevilly a défendu ce petit romantique méconnu et satirique, en même temps qu'il attaquait les Parnassiens dans le Nain jaune en 1866, dont Verlaine dans Les Trente-Sept Médaillonnets du Parnasse contemporain. […]

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J'ai demandé des explications à la revue Parade sauvage que je n'ai jamais reçues. Pourquoi Alain Chevrier s'est-il réapproprié ma thèse sans me citer, d'autant que de mon texte au sien il y a de la perte ?

Alain Chevrier n'est pas un universitaire, mais il a publié des ouvrages où il étudie de préférence des formes poétiques singulières : le décasyllabe de chanson aux deux hémistiches de cinq syllabes surnommé « taratantara », l'alternance des rimes masculines et féminines ou le jeu sur les mots monosyllabiques en poésie. Il avait donc en 2002 publié un livre intitulé La Syllabe et l'Echo et sous-titré Histoire de la contrainte monosyllabique. Il n'est pas question que des vers d'une seule syllabe dans cet ouvrage de presque 600 pages. Il est question de l'emploi de monosyllabes dans la poésie latine, de textes en vers ou en prose entièrement composés de monosyllabes, de rimes couronnées et de techniques d'échos entre mots qui se suivent, etc. Il est aussi question de poèmes en forme de losange sur le principe repris par Hugo dans Les Djinns. Chevrier cite un grand nombre de poèmes où les vers d'une syllabe sont mélangés à d'autres types de vers, et il s'intéresse forcément aussi aux vers de deux et trois syllabes. Des poèmes anglais, allemands, italiens ou espagnols sont également cités à l'occasion.
C'est aux pages 330-331 qu'il cite, mais sans que cela n'ait rien d'inédit, le célèbre sonnet en vers monosyllabiques de non pas Jules, mais Paul de Rességuier, il s'agit incontestablement d'un chef-d'oeuvre :

Fort
Belle,
Elle
Dort !

Sort
Frêle !
Quelle
Mort !

Rose
Close
La

Brise
L'a
Prise.

Dans la suite de ce livre La Syllabe et l'Echo comme dans son article de 2011, Chevrier insiste sur le fait que ce poème était connu et souvent cité, notamment dans les traités de versification, ce qui en fait le modèle dont tous les auteurs de sonnets monosyllabiques du dix-neuvième siècle se sont inspirés. Toutefois, à la page 272, Alain Chevrier a cité un exemple remarquable de poème en vers d'une syllabe. Il ne s'agit pas d'un sonnet, mais d'un extrait de 12 vers dont l'irrégulière organisation des rimes sera plus rapidement cernée par le regard scrutateur que par un commentaire laborieux :

De
Ce
Lieu
Dieu
Mort
Sort,
Sort
Fort
Dur,
Mais
Très
Sûr.

Le poème est remarquable par les rimes sur des « e » instables « De » et « ce », mais un tel type de rime est favorisé par la contrainte des monosyllabes. Surtout, Chevrier indique que cette citation figure dans le Lycée ou Cours de littérature ancienne et moderne de Jean-François La Harpe. Celui-ci ne cite pas le poème en entier et il parle d'un « échantillon », mot qui, si nous nous reportons à notre citation plus haut, jaillit sous la plume de Verlaine quand il commente l'intérêt ridicule de Barbey d'Aurevilly pour les « colifichets » monosyllabiques d'Amédée Pommier. La Harpe écrit : « […] on a mis la Passion en vers d'une seule syllabe. Voici un échantillon de cette pièce bizarre, qui, je crois, n'a jamais été imprimée, et qui n'est connue que de quelques curieux [...] » Alain Chevrier ne citera pas le poème en entier, ni ne donnera une référence. Nous apprendrons seulement que l'auteur est probablement l'abbé de Gua à partir d'une série de recoupements. En revanche, il cite un autre ouvrage Amusements philologiques ou variétés en tous genres, paru en 1824, d'un certain Gabriel Peignot qui affirme que ce n'est pas un extrait, mais bien la pièce complète, les douze monosyllabes formant un alexandrin, l'auteur en serait un certain abbé de G... Le problème, c'est que le peigne en question cite les douze vers à la suite en ajoutant un « Etc. » malheureux. L'idée de la création d'un alexandrin est pertinente, il n'était pas difficile d'imaginer un premier jet « De ce lieu Dieu... » puis avec un travail d'application de poursuivre le couplage des mots à l'aide d'une rime. L'idée initiale aurait été de créer un vers monosyllabique à la façon de celui célèbre de Phèdre : « Le jour n'est pas plus pur que le fond de mon cœur », et un prétexte aurait été saisi au vol de rimer à l'intérieur du vers. Le « Etc. », signifierait que l'expérience s'est ensuite prolongée et confirme donc qu'il ne s'agit que d'un extrait de poème, son début vraisemblablement. Néanmoins, ce qui m'intéresse, c'est la manière d'introduction de La Harpe qui semble bel et bien imitée par le railleur Verlaine et aussi la coïncidence de certains mots à la rime entre cet extrait du dix-huitième siècle et le poème de Paul de Rességuier. Celui-ci a visiblement considéré que les rimes du poème cité par La Harpe étaient organisées n'importe comment et que la rime « De ce » n'était pas recevable. Il a décidé d'adopter la forme du sonnet et il s'est ingénié à produire une syntaxe souple et harmonieuse, mais il a repris apparemment la série centrale Mort / Sort / Sort / Fort, en éliminant l'équivoque maladroite « Sort, Sort » pour construire l'une des deux séries rimées de ses quatrains : Fort / Dort / Mort / Sort. Cette idée que le poète Paul de Rességuier s'est directement inspiré du « tour de force » de l'abbé du Gua n'est pas envisagée par Chevrier. Il ne rapproche pas les deux compositions dont il parle à pratiquement 60 pages d'intervalle (page 272 contre page 331). En revanche, à la page 335 de sa somme historique, Chevrier cite un extrait d'un roman satirique de Louis Reybaud paru en 1843 et intitulé Jérôme Paturot à la recherche d'une position sociale, il s'agit d'une raillerie à l'égard des romantiques qui offre un extrait de la plume d'un imaginaire « Paturot poète chevelu » :

Comme titre d'admission, je composai une pièce de vers monosyllabiques que l'on porta aux nues et qui débutait ainsi :

Quoi ! / Toi, / Belle / Telle / Que / Je / Rêve / Eve ; / Soeur, / Fleur, / Charme, / Arme, / Voix, / Choix, / Mousse, / Douce, etc/

Et ainsi de suite, pendant cent cinquante vers. Lancé de cette façon, je ne m'arrêtai plus.

Chevrier fait remarquer « qu'à la fin du fragment présenté de son poème il cède à la facilité en se contentant de mettre des mots qui riment à la queue leu leu. » J'ignore si la présentation des vers sur une seule ligne à l'aide des barres vient du texte original ou plus probablement de Chevrier lui-même, mais j'observe le « etc. » qui fait songer à la citation du poème de l'abbé de G... par Gabriel Peigné en 1824 et je relève aussi des rimes sur « e » instable « Que Je ». Enfin, l'adjectif « Belle » est une allusion évidente au poème de Rességuier qu'accompagne l'écho de « Fleur » à « Rose ».
Et nous en arrivons à la mise au point sur les vers monosyllabiques d'Amédée Pommier aux pages 336-347 du livre d'Alain Chevrier. Tout au long de ces pages, s'il est question de la reconnaissance de Barbey d'Aurevilly, il n'est jamais question de l'article de Verlaine de 1865 que j'ai cité dans la revue Europe en 2009 ! Alain Chevrier était donc bien passé à côté d'un document de première importance qui permet d'expliquer la genèse des sonnets monosyllabiques dans l'Album zutique et j'ai toute légitimité à me plaindre de ne pas avoir été cité dans l'article qu'il a ensuite publié en 2011 en reprenant cette fois la dispute entre Verlaine et Barbey d'Aurevilly, dispute que j'avais songé à mettre en avant, tout en liant étroitement le titre satirique de Barbey d'Aurevilly « médaillonnets » à celui du volume conçu par Daudet, Arène et consorts « Parnassiculet ». Le pire, c'est qu'en reprenant à son compte ma remarque, Alain Chevrier transforme l'essentiel en une considération seconde. Il gomme la part polémique importante qui a présidé à l'élaboration des sonnets monosyllabiques zutiques, il minimise la compréhension des faits du point de vue de l'histoire littéraire.
En 2002, dans le livre La Syllabe et l'Echo, Chevrier présente l'œuvre d'Amédée Pommier en insistant sur son goût pour les « rimes en écho », les « vers trisyllabiques » et les « vers d'une syllabe », comme il présente le cas d'un poème en vers de deux syllabes, mais à aucun moment il n'en fait directement le modèle des poètes zutiques. Le lien est sous-entendu, puisque l'ouvrage de Chevrier se veut une somme historique qui fixe forcément des antériorités. Mais Chevrier n'effectue aucune liaison, il traite successivement les cas qui se présentent à lui. Dans le cas d'Amédée Pommier, il cite à la page 343 le poème Sparte sous-titré « En style laconique » Etant le nombre conséquent de vers pour cette pièce, je reprends ici volontiers la présentation économe de Chevrier :

SPARTE
En style laconique.

A Victor Bétoland,
le savant traducteur d'Apulée.

Dure – Loi ; - Sûre – Foi ; – Chastes – Moeurs ; – Vastes – Coeurs ; – Mâles – Gars ; – Pâles – Arts ; – Braves – Chauds ; – Graves – Mots ; – Âmes – Blocs ; – Femmes – Rocs ; – Maîtres – Fiers ; – Piètres – Serfs ; – Princes – Gueux ; – Minces – Queux ; – Riches – Faits ; – Chiches – Mets.

Comme le précise Chevrier, le sous-titre fait allusion à la forme grêle du poème et même à sa pauvreté syntaxique (« énumération de substantifs + adjectifs (ou substantifs adjectivés), sans article, dans une phrase sans verbe. »).

Ce poème sera à nouveau cité par Chevrier dans son article de 2011, mais sans faire l'objet d'un rapprochement plus précis avec un quelconque sonnet en vers monosyllabiques de l'Album zutique. Pourtant, le sous-titre « En style laconique » a déjà un mérite considérable celui d'avoir servi de modèle au sous-titre du sonnet en vers monosyllabiques de Daudet Le Martyre de Saint Labre qui est sous-titré « Sonnet extrêmement rythmique » en référence à un des Poèmes saturniens de Verlaine. Ni en 2002, ni en 2011, Chevrier n'observe l'important rapprochement entre le sous-titre de Sparte d'Amédée Pommier et le sous-titre du Martyre de Saint Labre de Daudet, alors qu'il s'agit d'un élément capital de la satire du Parnassiculet contemporain, puisque comme la dénomination « Parnassiculet » appuie le jugement de Barbey d'Aurevilly dans ses « médaillonnets » tournés contre les membres du Parnasse contemporain le sous-titre de Daudet assimile l'art de Verlaine à l'art de ce même Amédée Pommier dont il reprochait l'admiration à précisément Barbey d'Aurevilly, circularité parfaite.
Mais ce n'est pas fini. J'ignore si quelqu'un a jamais relevé le rapprochement évident entre le début du poème Sparte et l'unique sonnet en vers d'une syllabe qui nous soit parvenu de Rimbaud : Cocher ivre. Le début du second quatrain « Âcre / Loi » est une démarcation de « Dure / Loi », cependant que « Chastes / Moeurs » est quelque peu inversé par « Pouacre / Boit » et, tandis que « Vastes / Cœurs » et « Mâles / Gars » sont détournés par « Nacre / Voit », le mot « Femmes » au pluriel passe au singulier dans le sonnet de Rimbaud. La rime en « -oit » est bien évidemment une reprise, mais la prédominance du son [a] passe aussi de l'un à l'autre poème, « Âcre » étant une sorte de compromis complexe, résonnance du [r] de « sûre », possible équivoque avec l'homophone « sure » pour arriver à « âcre » et reprise du [a] fort présent dans les 20 premiers des 32 vers de Sparte. Or, le modèle d'Amédée Pommier provient d'un recueil intitulé Colifichets, jeux de rimes (1860) que Verlaine moque en glissant au sens courant du mot « colifichets » dans son attaque contre Barbey d'Aurevilly : « En l'honneur des colifichets dont je vous donnerai tout à l'heure un échantillon. » Dans cette citation de Verlaine, il est aisé de remplacer le mot « colifichets » par cet autre : « conneries ». Car le titre « Conneries » de Rimbaud est une démarcation du titre « Colifichets » d'Amédée Pommier.
Malgré les publications de Chevrier, je n'ai pas remarqué dans la masse des études sur l'Album zutique de rapprochement immédiat entre « Âcre / Loi » de Rimbaud et le début de Sparte, ni entre le titre « Conneries » et celui de « Colifichets ». Il s'agit ici de considérations inédites et nous allons voir qu'il est au moins une autre source à la composition de Cocher ivre dans l'œuvre d'Amédée Pommier.
L'autre poème que Chevrier ne peut manquer de citer n'est autre que la pièce Blaise et Rose. Il s'agit selon les sous-titres d'une « églogue réaliste, en langage marotique », « dédiée à Rabelais ». Une didascalie nous avertit que « (la scène est dans un bois). » L'échange amoureux entre Blaise et Rose prend la forme d'un dialogue tout entier constitué de monosyllabes, avec, et ceci a son importance, une organisation en rimes évidemment, mais une organisation irrégulière. Si Blaise croise les rimes des quatre mots suivants qu'il énonce d'une traite : « Jure Moi Pure Foi », Rose sature par une seule rime les trois premiers de sa réponse et fait rimer le dernier avec la voix de son compagnon : « Zeste ! - Peste ! - Reste Coi. » On peut reconnaître l'efficacité comique du procédé « Reste Coi » répondant par rime à « Jure Moi Pure Foi ». L'effet aurait été moins réussi si « Peste » avait été sacrifié à une rime en « -oi ». Ceci dit, l'organisation des rimes est capricieuse tout au long du poème. La lecture n'est d'ailleurs pas évidente, tant les mots semblent juxtaposés à la va comme je te pousse. Verlaine a parfaitement raison de mépriser un tel auteur. Il n'y a aucun souci de la difficulté vaincue dans le poème Sparte, tandis que Blaise et Rose donne l'irrépressible impression d'un fatras insupportable à lire. Je renonce à la transcription d'un poème aussi long, j'observe toutefois la présence étonnante d'un passage qui semble s'inspirer du poème de « Paturot poète chevelu » : « Prendre / Dois / Tendre / Voix. / Mainte / Plainte / Feinte / J'oys. / - Douce / Mousse / Pousse / - Là ». Le Pommier, il ne grimpe pas haut, c'est un vrai fou furieux. Dans son article pour la revue Parade sauvage en 2011, Chevrier précise que les vers cités par Verlaine en 1865 pour se moquer du mauvais goût de Barbey d'Aurevilly étaient précisément un extrait de cette pièce indigeste intitulée Blaise et Rose. Chevrier ne va pas manquer d'effectuer un rapprochement plus qu'imparable avec le sonnet monosyllabique Causerie de Charles Cros dans l'Album zutique. Mais en réalité plusieurs poèmes zutiques s'inspirent directement de Blaise et Rose, et je ne citerai ici que le seul qui m'intéresse, l'unique sonnet monosyllabique connu de Rimbaud : Cocher ivre, dont on a déjà vu qu'il s'inspirait de Sparte. L'idylle tourne mal dans le dialogue poétique inventé par Pommier, les deux amants se disputent violemment, et rappelons que Verlaine a cité précisément un passage où l'échange se fait quelque peu injurieux et vulgaire : « Grogne ! - Cogne ! - Mord ! - Être – Maître – Veux. », à quoi Rose répond : « Va-je – Rage. - Gueux ! - Bûche ! » Cette fenêtre n'est pas suffisante pour apprécier la réécriture de Rimbaud, élargissons donc la citation :

BLAISE : Fâche- / Toi. / Prie ; / Crains ; / Crie ; / Geins. / Grince ! / Pince / Fort ! / Grogne ! […]

Nous venons de faire apparaître le mot « Geins » devenu le subjonctif « Geigne » absurdement employé en tant qu'impératif à la fin de Cocher ivre, à moins d'un tour optatif dans une syntaxe laconique : « Geigne » pour « Qu'elle geigne ! » En fait, le sonnet Cocher ivre parodie la forme de Rose et Blaise en épinglant le manque d'organisation des rimes par la séparation anormale des rimes « Femme » et « Clame » entre « Tombe », « Lombe » et « Saigne ». Pommier n'a pas commis une telle outrance, mais il y fait songer. Par exemple, ce début de réplique de Blaise : « Fâche- / Toi. / Prie ; / Crains ; » aligne quatre mots qui ne riment pas ensemble. Il faut un certain effort de concentration pour ne pas perdre de vue « que « Fâche- / Toi » rime avec la fin de la réplique antérieure de Rose : « Lâche- / Moi ! » Cela est aggravé par le fait que les rimes ne sont pas toujours croisées : « (Rose :) Lâche- / Moi / (Blaise:) Fâche- / Toi. / Prie ; / Crains ; / Crie ; / Geins ; / Grince ! / Pince  / Fort ! / Grogne ! / Cogne ! / Mord / Être / Maître / Veux. [...] » « Grince » et « Pince » rompent avec le modèle des rimes croisées, et on peut se demander comment analyser la suite de « Grince » à « Mord », soit comme une rime plate suivie d'une rime embrassée, soit comme un sizain AABCCB. Le mot « Veux » fait attendre une rime. Ces irrégularités montrent que le poète Amédée Pommier ne surmonte aucune difficulté formelle et ce défaut est d'autant plus gênant que la condensation des rimes rend la lecture particulièrement pénible. Le lecteur qui veut apprécier doit sans arrêt se demander si tous les mots ont bien rimé ensemble, et c'est cet état de confusion que moque Rimbaud dans la chute de son sonnet avec sa très forte irrégularité dans l'ordre des rimes et aussi sans aucun doute avec cet invraisemblable subjonctif « Geigne » qui transforme le laconisme de l'expression en incorrection pure et simple, comme pour dire que non seulement nous n'avons pas affaire à un poète mais à quelqu'un qui ne sait même pas parler correctement. Malgré l'alibi de la langue du seizième siècle (Marot et Rabelais), c'est bien l'impression laissée par les maladroites inversions dans Rose et Blaise : « L'âge sage fait », « Même vieux, j'aime mieux », « Puis, l'ange saint fange craint. », « Prendre dois tendre voix », « Haute faute cuit. Prompte honte suit. », « Reine mienne, très près toute boute-toi. », « Chaque claque m'est lait. », etc. Il 'agit d'un véritable charabia. Or, Rimbaud a encore repris d'autres éléments à ce poème. Plus haut, j'envisageais « Pouacre / Boit » comme une inversion du motif « Chastes / Mœurs », ce qui reste un lien assez lâche, mais « Pouacre / Boit » reprend directement « Maîtres / Saouls » d'une réplique de Rose qui précède directement celle où il déclare vouloir être maître et la faire geindre ! Quant au mot « Nacre », ne s'agit-il pas d'une substitution transparente au nom « Rose » lui-même ? Avec l'idée de couleur, « Nacre / Voit » est aussi une réplique à « Une / Brune / Plaît » dans la bouche de Blaise.
Blaise est tout simplement en train de chercher à forcer Rose qui n'entend pas se laisser violer et injurie copieusement son agresseur (Buffle ! Muffle! Ou « Groin ! ») en le menaçant : « Ne / Bouge / Pas / Ou je / Te / Tape. / Tiens, / Chien, / Jappe ! » Passons sur le cas du « e » qui une fois ne compte pas pour la mesure une fois compte (Ou je / Te, le cas « Va, je / Rage » étant pire encore), même si cela a dû attirer l'attention de Rimbaud, et venons-en à la réaction de Blaise. Il s'empare d'elle, puisqu'elle crie « Lâche-moi », il se dit lui excité par la difficulté de la joute. C'est le passage sadomasochiste qui survient alors et qu'a choisi de citer Verlaine en 1865. Rose continue d'insulter, à tel point qu'il faut deviner toute la laideur de la scène à partir des seuls jurons : « Gueux ! - Bûche ! - Sot ! Cruche ! Pot ! Pire Sire Qu'un Hun ! Rogue Dogue ! » Ce n'est-i pas beau ?
Voici en retour les insultes de Blaise : « Rude prude » et « Nulle mule n'a cette tête-là ! » L'injonction au viol ponctue sa réplique « Cède ». Tout cela est de fort bon goût. Rose crie à l'aide puis se dit "lasse" (le désir de viol n'est pas exclu dans cette pièce savoureusement ludique). Le cri « Aïe » de Rose consacre alors le triomphe de Blaise qui s'écrie « Fleur n'aye peur ! » Rose se demande ensuite « Qu'ai-je fait ? » et parle d'une « perte » face à un « Homme / Dur  / Comme / Mur », enfin elle se regarde vaincue et perdue : « Nue vue tue-moi ! », ce que Blaise évacue de sa pensée tout à son plaisir égoïste : « Brame, / Femme ! Pâme-toi ! » Fouette, cocher,.... Rimbaud a transposé le viol d'Amédée Pommier dans son sonnet monosyllabique en en conservant la sauvagerie sadomasochiste. Le début du sonnet, les quatrains en tout cas, adopte le style laconique du poème intitulé Sparte, les deux derniers vers au style direct sont un condensé extrêmement violent de la dispute verbale entre Rose et Blaise. L'articulation des quatrains aux tercets se fonde sur une symétrie verbale « Fiacre / Choit » et « Femme / Tombe » où les verbes sont à double sens. Il s'agit dans les deux cas d'une chute physique doublée d'une chute morale. Le mot « lombe » en relation avec lombaire annonce la douleur dans les reins qui justifie que la femme « saigne » et « geigne ».
N'oublions pas de préciser que le mot « Geins » de Pommier a été repris par Daudet dans son sonnet Le Martyre de saint Labre sous la forme « Geint » à la fin du second quatrain :

Labre, / Saint / Glabre, / Teint // Maint / Sabre, / S'cabre, / Geint ! // Pince, / Fer / Clair ! // Grince, / Chair / Mince !

Avec « Geigne », Rimbaud pratique la double allusion. Il parodie à la fois Pommier et Daudet et c'est le poème de Daudet qui explique la transposition partielle de Rose et Blaise (histoire sexuelle scabreuse, style verbal des impératifs et discours direct) dans la forme d'un sonnet. Daudet reprend lui le verbe « Pince » du poème de Pommier. Il est d'ailleurs intéressant d'observer que le cœur du poème dissyllabique de Rimbaud Jeune goinfre n'a pas que pour intertexte des vers de Louis Ratisbonne, puisque les vers « Casquette / De moire, / Quéquette / D'ivoire, // Toilette très noire, / Paul guette […] » sont une reprise et amplification du modèle d'apposition initiale « Labre, / Saint / Glabre », tandis que la fin du sonnet « Paul guette / L'armoire, / Projette / Languette / Sur poire, / S'apprête, / Baguette, / Et foire »[,] sont une reprise de l'autre partie du sonnet de Daudet : « Teint // Maint / Sabre, / S'cabre, / Geint ! // Pince, / Fer / Clair ! // Grince, // Chair / Mince ! »
Pour ce qui est de la forme « Clame », Rimbaud a pu la repérer dans le poème à vers courts Marine des Poèmes saturniens. Il s'agit d'une forme à l'impératif, ce qui coïncide avec la prédominance de ce mode verbal dans le poème Blaise et Rose. Les autres sonnets monosyllabiques de l'Album zutique ont également parodié les abondants impératifs du poème d'Amédée Pommier, signe que l'allusion du poème de Rimbaud a bien été comprise par tous (Causerie de Charles Cros, Autre Causerie et Sur Bouchor du contributeur Germain Nouveau (bien qu'il ne fût pas du cercle du zutisme), Ereintement de Gill de Valade (lequel Gill a parodié Coppée en un dizain en évoquant le plaisir d'un viol fort proche de l'esprit du poème d'Amédée Pommier), Invocation synthétique d'Henry Cros (mais sans obscénité cette fois), Sur un poëte moderne de Verlaine, Néant d'après-Soupée de Valade qui reprend en même temps la fin de Sparte : « Change / Mes / Mets ! »
Le mot « Clame » peut entrer en résonance avec bien des mots des deux poèmes monosyllabiques de référence d'Amédée Pommier, j'ai déjà parlé de la prédominance du [a] dans Sparte et le poème Blaise et Rose offre à la rime des mots tels que « Blâme », « Claque », et surtout à la toute fin du poème « Brame » ou « Pâme » : « Brame, / Femme ! / Pâme- / toi ! » « Clame » rime avec l'avant-dernière rime, d'ailleurs allongée, du poème de Pommier, et il comporte l'attaque « cl » de « claque ». Il n'est guère besoin de justifier outre mesure l'emploi sonore du mot « Clame », mais pourtant il retient notre attention pour une dernière raison singulière.
Il existe un long poème tout en vers d'une syllabe qui est parfois cité dans les anthologies, il a été publié en 1878 dans Le Figaro et il a été attribué à Baudelaire, lequel était mort des années auparavant pourtant. Ce poème s'intitule Le Pauvre diable. Chevrier ne manque pas de citer un tel poème dans son livre de 2002, mais au lieu de le citer dans sa perspective chronologique, en 1878, après les performances de l'Album zutique et des Dixains réalistes, il le cite dans la foulée des poèmes des années 1840 qu'il a étudiés, prenant en quelque sorte acte de l'attribution à Baudelaire.
Or, cette attribution à Baudelaire est hautement suspecte et avant de déplacer cette pièce dans le temps il conviendrait d'étudier de plus près ce long poème en le considérant premièrement dans son contexte, celui de 1878. Car, ce poème Le Pauvre diable n'est rien d'autre qu'un équivalent des sonnets monosyllabiques désinvoltes du cercle du zutisme. En 1878, il vient après des publications de poèmes monosyllabiques dans La Renaissance littéraire et artistique, dans la Revue du Monde nouveau, après la plaquette des Dixains réalistes et la reprise des réunions autour de Nina de Villard. En 1878, plusieurs membres du Cercle du Zutisme sont présents, publient et participent à la vie littéraire parisienne : Léon Valade et Charles Cros notamment. Car, ce à côté de quoi il ne faut pas passer, c'est que ce long poème a été composé par quelqu'un qui connaissait très bien l'Album zutique, à tel point qu'il s'est directement inspiré de Cocher ivre : « Clame, / Geint, / Brame... / Fin ! » « Geigne » est le dernier mot du sonnet rimbaldien, l'auteur du Pauvre diable n'est pas loin de conserver cette position, mais il rétablit la forme « geint » du milieu du poème de Pommier (avec le "t" du sonnet de Daudet toutefois), il reprend également la forme « Clame » de Rimbaud et la conjoint à la forme « Brame » de Pommier, en étant visiblement conscient que la forme de l'un répondait à la forme de l'autre, en quasi fin de poème. Plusieurs autres formes du poème Le Pauvre diable sont inspirées de vers zutiques : « Mouche », etc., ou bien du modèle original qu'est Blaise et Rose : « Va / Pâle / Fou », etc., etc.
Profitons-en pour rappeler que nous ignorons tout de la transmission de l'Album zutique entre 1872 et les années 1930. Personne ne soupçonnait son existence lorsqu'il est apparu dans la librairie Blaizot. Dire que Charles Cros l'a remis à Coquelin Cadet, cela n'est qu'une hypothèse que rien n'appuie. Mieux encore, deux poèmes de l'Album zutique sont dédicacés à Léon Valade, dont un par collage, ce qui indique qu'il était perçu en 1872 comme le détenteur ou propriétaire du précieux manuscrit. Le précédent Album des Vilains Bonshommes a péri dans l'incendie de l'Hôtel de Ville pendant la Commune, selon un calembour de Verlaine dans sa correspondance. Valade travaillait à l'Hôtel de Ville et par ailleurs Verlaine et Valade ont contribué et à l'Album des Vilains Bonshommes et à l'Album zutique, ce qu'atteste le sonnet à deux mains La Mort des cochons qui figurait dans le premier et qui a été recopié dans le second. Charles Cros lui n'a pas participé au premier album d'après ce que nous savons sur lui ! Les contributions de Nouveau, Richepin ou Bourget révèlent aussi que le manuscrit a pu passer de main en main, et nous pouvons envisager qu'il n'ait pas été rendu à son propriétaire. Les facéties zutiques faisaient énormément rire les anciens compagnons de Rimbaud et Verlaine, certains poèmes zutiques sont publiés dans des revues, sinon des recueils (Charles Cros). Charles Cros, son idée, c'était le groupisme, ce que Rimbaud a transformé en zutisme. Mais le projet d'album était l'affaire de Valade et Verlaine, la correspondance de Verlaine en 1871 établit clairement ce fait. Charles Cros a proposé un groupe parallèle à celui des Vilains Bonshommes, tandis que Valade et Verlaine ont apporté le projet d'album. Cros a recréé un cercle du zutisme, mais il ne semble pas avoir créé un nouvel album dans le même esprit, le cas du recueil des Dixains réalistes étant un prolongement de son expérience zutique, mais pas un nouvel album du même profil. Quant à Valade, il était fort ami avec un ennemi déclaré de Rimbaud, Albert Mérat. N'oublions pas que Champsaur, Mirbeau citeront avec malveillance des vers inédits de Rimbaud de 1880 à 1885, que certains eurent connaissance du Sonnet du trou du cul. A l'évidence, il faut complètement revoir l'histoire du long poème monosyllabique Le Pauvre diable dans la perspective post zutique. Arène, contributeur au Parnassiculet contemporain, s'est rapproché de zutistes avec la Revue du Monde nouveau. Il y a fort à parier que l'Album zutique ait été montré à des gens du profil de Paul Arène à cette époque.
Je pourrais aisément compléter cet article en commentant la présence du texte de Pommier dans d'autres parodies zutiques. En tout cas, je tiens à insister sur ce qui suit. Malgré ses travaux sur les poèmes en vers d'une syllabe, Chevrier, ni personne n'avaient repéré les réécritures d'Amédée Pommier dans les deux sonnets Cocher ivre et Jeune goinfre, ni la déformation du titre Colifichets en Conneries, ni les réécritures zutiques du Pauvre diable, ni le fait que l'Album zutique était en possession de Valade et non de Cros. Ce sont des considérations nouvelles propres à cet article. Par ailleurs, mon article de 2009 qui ne s'appuyait pas sur le livre La Syllabe et l'écho paru en 2002 formulait une thèse inédite sur la raison de cette production abondante de sonnets monosyllabiques. Il s'agissait de réponses au Parnassiculet contemporain et au sonnet Le Martyre de Saint Labre de Daudet, lequel avait « surfé » sur la dispute opposant Verlaine et Barbey d'Aurevilly au sujet des vers d'Amédée Pommier et du mépris de Barbey pour les parnassiens. Daudet était coutumier du fait, puisque dans son roman, démarqué de Charles Dickens, Le Petit Chose, il se moque des poètes contemporains par des créations excessivement gamines et en particulier de Leconte de Lisle avec un poème à faire se pâmer les amoureux du sanscrit ou quelque chose de cet ordre. J'ai lu Le Petit Chose il y a longtemps et je me rappelle d'un invraisemblable poème sur l'histoire d'une coccinelle. Le titre « Le Petit Chose » est cité par Nouveau dans un sonnet monosyllabique de l'Album zutique, preuve s'il en était encore besoin que tout cela se tient, et d'ailleurs il y a bien d'autres choses à dire à ce sujet, mais nous ne pouvons prolonger indéfiniment cette étude. Chevrier reprend l'aspect factuel de ma thèse, sans me citer, et il l'affadit. Les zutistes n'ont fait qu'hériter de la verve satirique du Parnassiculet contemporain. Non, Verlaine, initiateur important du projet de nouvel album, avait une dent contre Daudet. Peu importe que les autres zutistes copinèrent à nouveau par la suite avec Paul Arène. En 1871, autour de Verlaine, les zutistes composent des sonnets monosyllabiques et des dizains (ou dixains) qui permettent de se défouler contre Barbey, contre Daudet, contre Coppée, contre Ratisbonne, et quand on creuse attentivement cette veine on fait parler les textes et on découvre que les poèmes de Rimbaud et des autres ne sont pas gratuitement comiques et qu'ils se font écho entre eux.

Post scriptum : Notez que le célèbre sonnet de Paul de Rességuier est souvent attribué à un Jules, ce qui est amusant puisque le sonnet de Daudet fait passer Paul Verlaine pour un mauvais Paul de Rességuier dans une dispute avec un Jules, Jules Barbey d'Aurevilly. Je citerai probablement in extenso les poèmes ici traités de Pommier, ainsi que Le Pauvre diable, et pour "Fouette, cocher..." que je lance plus haut dans l'article, il s'agit du début d'une chanson paillarde.

Ah oui, j'allais oublier : les vers sur l'ange qui craint la fange dans Blaise et Rose n'annoncent-ils pas le sujet de L'Angelot maudit ?

Voilà.

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