samedi 30 décembre 2023

Un livre collectif sur Une saison en enfer avec les articles de Zimmermann, Frémy, Laforgue, etc.

En 2010, les poésies en vers de Rimbaud, à l'exception de l'Album zutique, et le livre Une saison en enfer étaient au programme de trois concours d'Agrégation (lettres modernes, lettres classiques et... heu ? grammaire je crois). Il est à noter que l'épreuve linguistique à l'écrit a porté sur un extrait de la lettre à Demeny du 15 mai 1871 qui, en principe, n'est pas une œuvre littéraire de Rimbaud, mais cela est assez révélateur de l'idée que se font les organisateurs du concours du rapport du jeune ardennais à l'écriture. L'annonce du programme officiel eut lieu au cours de l'été 2009 et précipita un certain nombre de publications nouvelles. Les contraintes de rédaction rapide peuvent inquiéter, et le volume de Steve Murphy et Georges Kliebenstein pour la collection Clefs concours Atlande s'est ressenti de cette urgence. On a vu également que bien que les contributions zutiques ne fussent pas au programme certaines publications ne se privèrent pas d'en traiter au passage, puisque je venais de précipiter un fort engouement pour l'Album zutique avec mes révélations sur Belmontet dont la nouvelle édition des Œuvres complètes d'Arthur Rimbaud dans la collection de la Pléiade en 2009 eurent la primeur. J'étais en train de découvrir toutes les sources des parodies zutiques avec Ricard pour le monostiche : "L'Humanité chaussait le vaste enfant Progrès", avec les passages réécrits de Silvestre pour "Lys", et j'étais en train d'établir la chronologie des contributions zutiques en soulignant des interactions de groupe entre les membres du Cercle. Cependant, dans le cas du concours, même si les articles sont le résultat de commandes en urgence, les rimbaldiens qui interviennent ont l'occasion de placer les résultats de réflexions en cours. Il ne faut pas y voir qu'un lot d'études prématurées. C'est aussi l'occasion d'avoir des interventions inhabituelles avec des non habitués des publications rimbaldiennes qui vont étonner par leurs préoccupations rafraîchissantes.
Je vous parle aujourd'hui d'un livre dirigé par Steve Murphy intitulé Lectures des Poésies et d'Une saison en enfer de Rimbaud paru aux Presses universitaires de Rennes en octobre 2009. Les épreuves écrites de l'Agrégation se déroulaient en avril 2010, il y avait donc un profit de seulement cinq mois pour les candidats.
Au passage, je m'accorde une petite digression. Pourquoi quand on parle de lire Rimbaud, on parle uniquement d'universitaires et plus jamais d'écrivains ? C'est tout simple, les écrivains n'existent plus ou ont démissionné. Yves Bonnefoy faisait un peu de résistance de son côté, Jaccottet ne publiait pas spécialement sur Rimbaud. Michel Butor a fait quelques excursions, ce serait le dernier, et Julien Gracq est mort depuis longtemps aussi. Nous avions les opinions jadis des poètes : André Breton et René Char, par exemple. Tout cela est bel et bien fini. Après le mouvement mitigé du Nouveau Roman, et après le décès de Julien Gracq, qui sont les grands romanciers de notre temps ? On peut citer Pierre Michon qui s'est intéressé à Rimbaud, et après ? De plus, les écrivains n'ont pas étudié les poésies de Rimbaud avec rigueur, alors que, dans la diversité et hétérogénéité des études universitaires, certains critiques ont montré qu'ils comprenaient mieux et lisaient mieux Rimbaud que tous les écrivains réunis. Le combat a cessé faute de combattants du côté des artistes, dirait Corneille. Peut-être qu'un écrivain nous arrivera du monde universitaire à l'avenir, c'est à souhaiter, car il n'y aura pas d'héritage Rimbaud de qualité par manifestation spontanée du génie.
J'en reviens à notre volume de 344 pages. Il faut écarter l'introduction par Steve Murphy et douze articles sur les poèmes en vers. On remarquera que, connus pour des travaux sur la Saison, Pierre Brunel et Mario Richter ont préféré publier cette fois-là sur la poésie en vers, ainsi que Christophe Bataillé. Nous avons un article de transition par Alain Bardel où il est question surtout de "Mauvais sang" du côté de la prose : "Face au cauchemar de l'Histoire".
Nous avons ensuite une série de douze articles sur Une saison en enfer. Je rappelle que Murphy adopte dans ce volume le procédé appliqué à la revue Parade sauvage. Les articles sont distribués dans l'ordre chronologique des œuvres de Rimbaud lui-même : poésies de 1870, poésies régulières de 1871 sinon de 1872, poésies en vers irrégulières de 1872 sinon de 1873, "Les Déserts de l'amour" et les proses parodiant les évangiles, Une saison en enfer, Les Illuminations, la vie et la correspondance ultérieures, la postérité de Rimbaud. Si un article traite différentes époques de l'art de Rimbaud, je crois qu'on prend en considération la partie la plus tardive qui est traitée, et enfin pour Une saison en enfer dans la mesure du possible les articles suivent l'ordre des sections titrées du livre.
Bref, le premier article est le mien : "Les ébauches du livre Une saison en enfer", puisque j'y traite des brouillons qui sont antérieurs au plan chronologique, forcément ! et puisque les brouillons correspondent au début du livre pour l'essentiel, et cela explique le voisinage de l'article de Bardel, puisque dans son article et puis dans le mien il est pas mal question de "Mauvais sang".
Je ne vais pas m'attarder sur mon article. J'y défends l'idée que "outils" est une coquille pour "autels" la leçon évidente du brouillon manuscrit. J'ai ensuite renforcé mon argumentation dans un article publié sur le blog Rimbaud ivre de Jacques Bienvenu. Dans son dernier ouvrage, [...]Rimbaud l'Introuvable, Alain Bardel applique la politique suivante : ne pas citer le présent blog rimbaldien, mais citer si nécessaire mes articles parus et le blog Rimbaud ivre. Alain Vaillant fait de même et c'est aussi le cas de Marc Dominicy dans sa contribution au volume d'hommages à Yann Frémy, mais ce n'était pas encore le cas de Benoît de Cornulier dans le Dictionnaire Rimbaud de 2021 dirigé par Vaillant, Frémy et Cavallaro.
Mon article soulignait que le "vice" renvoyait au titre "Mauvais sang", enfin pas explicitement je tenais encore un discours plus abstrait, et c'est dans un article de ce blog que j'ai dû définitivement formuler cette évidence. Je précisais que la beauté était spécifiquement d'obédience chrétienne. Je disais des choses que je croyais et que je crois toujours intéressantes sur la composition d'ensemble de "Mauvais sang". Je faisais des constats simples et solides, sauf que, manque de bol, je me suis trop avancé et j'ai prétendu préciser le sens du mot "poison" au début de "Nuit de l'enfer" en le ramenant à la conversion chrétienne envisagée ironiquement par l'auteur. Je me suis reproché cette lecture dans mon article qui a suivi en 2010 dans le volume collectif aux éditions Classiques Garnier dirigé par Frémy, Résistances.
Vous allez comprendre plus bas pourquoi je soulève ce point.
Et donc, maintenant, passons aux études des autres intervenants. Celle conclusive de Steve Murphy est très générale et ne s'attaque pas à commenter un passage d'Une saison en enfer : "Une saison en purgatoire (petite dose d'anti-mythes rimbaldologiques)". Sa partie sur Une saison en enfer est du même ordre pour le Clef concours Atlande et l'article qu'il a donné au volume collectif de 2014 dirigé par Yann Frémy Enigmes d'Une saison en enfer, sera lui aussi un article de remarques générales à distance de l'analyse du texte.
Voici la liste des articles restants :

Jean-Pierre Bertrand, "La fabique du sujet : Une lecture d'Une saison en enfer" page 199
Vincent Vivès, "Usage insurrectionnel des intensités (quelques remarques sur Une saison en enfer) page 213
Henri Scepi, "Logique de la damnation dans Une saison en enfer" page 227
Yves Vadé, "Tenir le pas gagné" : avancées et blocages de l'Histoire dans Une saison en enfer" page 239
Pierre Laforgue, "Mauvais sang, ou l'histoire d'un damné de la terre" page 251
Alain Vaillant, "L'art de l'ellipse. Argumentation et implicite dans Une saison en enfer" page 265
Laurent Zimmermann, "Le 'poison' dans Une saison en enfer : une poétique de l'hétérogène", page 283
Yann Frémy, "Toutes les formes de folie..." : enquête sur Une saison en enfer âge 293
Michel Murat, "L'histoire d'une de mes folies" page 305
Georges Kliebenstein, "Rimbaud, dantesque et cartésien" page 317

Vous remarquerez que, à la différence de ce que j'ai annoncé, les articles ne sont pas en fonction de l'ordre de défilé des sections du livre, il y a ici de sensibles recoupements thématiques.
Dans cette liste, sachant que j'ai écarté trois articles de moi, Bardel et Murphy, vous avez un article de trois auteurs connus pour leurs interventions sur Une saison en enfer, Yann Frémy, Michel Murat et Alain Vaillant. Michel Murat était en train d'écrire une partie supplémentaire à son livre L'Art de Rimbaud et cela était anticipé par quelques articles comme celui-ci. L'article d'Alain Vaillant est paradoxalement meilleur et plus intéressant que son essai qui vient de paraître en septembre ou octobre 2023. Et surtout, cet article contient de nombreux éléments méthodologiques qui réfutent par anticipation l'ouvrage qui vient de paraître. C'est à se demander si c'est le même auteur. Je traiterai une autre fois des articles de Bardel, Vaillant et Murat.
Il y a ensuite l'article de Yann Frémy. Je traiterai également ultérieurement de cet article, mais je voulais intervenir sur un point. L'article de Vivès parle des "intensités" et cet article de Frémy sur le thème de la "folie" est adressé en en-tête à la mémoire d'Alain Buisine et au cours de l'article on retrouve ce qui s'apparente à un tic d'écriture : il est question de l'énergie, le mot "énergie" vient spontanément sous la plume de Frémy comme s'il désignait quelque chose. Je me suis parfois demandé pourquoi il employait ainsi le mot "énergie" à tout bout de champ. A quoi renvoie ce mot dans Une saison en enfer, sachant que Rimbaud n'emploie pas volontiers le mot "énergie" ni l'adjectif "énergique", etc. ? On peut se dire, et je me le suis dit, que Frémy avait appliqué à Rimbaud des concepts que ses enseignants, Buisine et d'autres, avaient eux-mêmes peaufiné et appliqué à d'autres auteurs. Mais quelque chose me chiffonnait. Je ne constatais pas de la part de Frémy, dont j'ai lu la thèse sur microfiches et le livre "Te voilà, c'est la force", ainsi que plusieurs articles, que nous avions une mise au point sur un concept extérieur à Rimbaud et toute une justification méthodologique de son emploi étendu à Une saison en enfer. Tout se passait comme si c'était naturel de procéder de la sorte, comme si le concept d'énergie avait une valeur implicite évidente pour lire Rimbaud, comme si, sans le mot, Rimbaud avait pensé la chose.
Je constate dans cet article que Frémy se met sous le patronage d'un article de Brunel publié dans le volume collectif Dix études sur Une saison en enfer : "Dans un article important, Pierre Brunel indique que "dans Une saison en enfer, le mot central du lexique de la folie [...] est délire." " Et une note de bas de page donne les références et le titre de l'article de Brunel : "La folie dans Une saison en enfer". Je l'ai déjà survolé, mais je ne crois pas le posséder dans ma réserve de photocopies actuelles qui est désormais bien maigre. Je ne possède même plus les photocopies de l'article de Molino... Mais, bref, Frémy va trouver dans les articles de Brunel des indications sur les mots clefs importants d'Une saison en enfer. C'est un peu dérisoire, mais c'est ainsi qu'il introduit son article. Or, cela vient ajouter du crédit à un constat que j'ai fait depuis longtemps et que j'avais gardé pour moi : le concept d'énergie appliqué à Une saison en enfer se nourrit de la lecture d'un passage de l'édition critique d'Une saison en enfer par Pierre Brunel en 1987, sauf que Brunel appliquait l'idée d'énergie à un livre de William Blake qu'il ne faisait que comparer vaguement à Une saison en enfer. Il s'agit d'un passage de la page 12 du livre de Brunel. Je précise que cette page 12 n'est pas la douzième page de texte, c'est seulement la deuxième page de l'Introduction, laquelle introduction n'a été précédée que par deux pages d'un "Avant-propos". Je cite l'extrait en question :
   Le Mariage du Ciel et de l'Enfer de William Blake est, par ses dimensions, par son inspiration, un antécédent de la Saison. Rimbaud n'a probablement pas lu ce texte, mal connu en France avant la traduction d'André Gide. [...] Le séjour "parmi les flammes de l'Enfer", où Blake allait recueillit les Proverbes de la Sagesse Infernale, n'est pas même le prétexte d'une analogie, mais un lieu obligé. Il est plus intéressant de constater, dans les deux livres, une révision des "Bibles, ou codes sacrés" et, à l'occasion de cette révision, une remise en question des dualismes traditionnels : le corps et l'âme, le bien et le mal, la faiblesse et la force. C'est Blake qui a écrit : "L'énergie est la seule vie. [...] Energie est éternel délice". [...]
Ce passage de Brunel participe aussi du mythe d'un Rimbaud s'en attaquant au dualisme, notamment du corps et de l'âme. Or, j'attends qu'on me montre un passage où Rimbaud récuse explicitement le dualisme des notions "corps" et "âme", parce que jusqu'à plus ample informé : "posséder la vérité dans une âme et un corps" ne signifie pas la remise en cause de ce dualisme ! malgré tout ce que peuvent dire Brunel, Richter, Claisse, Vaillant et d'autres. La vérité qui est à la fois dans un corps et dans une âme, c'est toujours poser le dualisme de l'âme et du corps. Linguistiquement, c'est imparable. Et la "vérité" du Christ elle est identique dans le langage pourtant admis dualiste de la religion chrétienne.
Mais notre sujet du jour, c'est la notion d'énergie associée à un débat sur l'alternative force ou faiblesse telle qu'elle est posée à la section 5 de "Mauvais sang". J'ai lu par le passé le livre de Blake, je n'en ai aucun souvenir, mais j'attends qu'on m'explique comment on passe de l'emploi du mot "énergie" par Blake à son emploi comme allant de soi dans des explications données à Une saison en enfer. Je cite quelques passages de l'article de Frémy dans l'espoir qu'enfin quelqu'un d'autre moi va sentir qu'il y a un raccourci problématique, non étayé et sans doute trompeur :
La projection du moi dans l'altérité est intense [à propos du "Je est un autre"]
Le païen se dirige vers l'intensif, là où l'Histoire a su produire une certaine énergie décalée
Entre "je" et ces figures, quelque chose communique, de l'ordre de l'intensité
Le païen abandonne en effet certains caractères formels, pour se mettre du côté de l'informe, d'une énergie proprement itinérante. [Note de ma part : Frémy songe peut-être à "je suis une force qui va" dans Hernani]
Dans le processus du délire, il s'agit donc de comprendre que l'énergie est première [...]
Toujours il s'agit de migrer vers l'intense. Or, dans Délires I, l'Epoux infernal est entraîné dans d'autres devenirs, variables en fonction de la quantité d'énergie mise jeu.
Le délire permet ainsi le partages des intensités.
Toutes ces citations sont concentrées sur deux paragraphes pages 294 et 295, un premier paragraphe de seulement 13 lignes page 294 et un second paragraphe de 14 lignes à cheval sur deux pages. Et je précise que, moi, personnellement, je ne comprends rien du tout à ce que je lis. Le concept d'énergie décalée, ça me passe très loin au-dessus de la tête. Ce n'est pas parce que les mêmes mots "énergie" et "intense" reviennent phrase après phrase que je m'y retrouve, puisque ni le mot "énergie", ni le mot "intense"n'a de sens pour moi au vu de la façon dont ils sont employés. Ils sont clairement allusifs, mais allusifs à quoi ? Et comme je suis perdu dès le départ, quand ça s'imbrique avec d'autres idées comme dans la suite de l'article, je ne comprends toujours pas : "les cultures qui désignent des régions sur ce corps, c'est-à-dire des zones d'intensités, des champs de potentiel (page 295). La citation est en réalité d'un livre de Deleuze et Guattari. Vous voulez une anecdote amusante. Un jour, un étudiant de l'Université de Toulouse le Mirail devait passer un oral sur l'ouvrage L'Anti-Oedipe de Deleuze. J'ai passé plusieurs heures à lui préparer son oral en transformant en langage courant les platitudes de Deleuze servies dans un langage extrêmement alambiqué et métaphorique. L'élève a eu une bonne note et ce discours : "Vous voyez que vous avez compris quelque chose à Deleuze ?" Quand j'ai eu ce retour, j'étais mort de rire comme disent les jeunes. Et donc on a un concept qui permet de convoquer indifféremment Blake, Rimbaud, Deleuze, etc., et on continue avec à la lecture de l'article, je n'ai pas encore dépassé la page 295, et je relève encore : "autant d'intensités historiques singulières". Il reste encore neuf pages d'articles, sachant qu'une sous-partie porte le titre "anomie" suite à un article ancien dont personne n'a jamais fait cas de Marc Eigeldinger : "L'anomie dans Une saison en enfer". J'ai dû lire à mon époque de vie étudiante trois fois l'article d'Eigeldinger, et à chaque fois après ma lecture j'ai oublié ce qu'il disait et le sens même du mot "anomie". Bon, je ne le lisais pas plume en main, mais je comprenais que ça ne m'apportait rien pour lire Une saison en enfer.
Alors, poursuivons.
il y a l'article de Georges Kliebenstein, là encore il faut énormément de courage et de volonté pour le lire. Je vous laisse admirer son humour et sa prose, et encore ce n'est pas sa copie la plus échevelée :
Chez Rimbaud, Dante, apparemment, n'est nulle part. C'est au point que Jacqueline Risset intitulant, non sans défi, un article "Rimbaud lecteur de Dante" en vient à relever qu'elle ne trouve,  dans le corpus rimbaldien, "aucune allusion explicite au poète florentin". On pourrait objecter que l'idée même d'une "allusion explicite" frôle l'oxymore - et qu'il ne faut pas s'attendre à un jeu intertextuel appuyé de la part d'un poète hermétique et qui aime à garder la/les clef(s) pour lui. [...]
Normalement, on écrit : "garder la clef ou les clefs", et pas un rendu phonétique incompréhensible "lalèclé". Mais passons.
On a un peu plus loin un premier sous-titre affiché avec un mot opaque : "L'autométadiscours".
Je vous cite d'autres passages que je glane au hasard, tellement je dois me faire violence pour ne pas passer à un autre article, je ne veux pas lire ça ! ma répugnance est physique : "A la question posée naguère par Brunel "Rimbaud, biblique ou non ?", on aurait envie de répondre par : Rimbaud ultra-biblique. Ou plutôt : Rimbaud ultra-théologien."
Ce n'est pas drôle, moi ça ne me fait pas rire.
On a ainsi plein de circonlocutions : "comme le dit un tel, tatati tatata'", "d'un côté et de l'autre", "il est d'usage de penser qu'il faut éviter la dérive, mais quelque part ça se pose autrement". Et c'est alimenté en jeux de mots à la va comme je te pousse. L'érudition part dans tous les sens.
Bon, je reprendrai ça plus tard. Là, je ne peux pas.
Pour Yves Vadé, il s'agit non pas d'un rimbaldien, mais l'auteur a publié des ouvrages dont au moins le titre est connu : L'Enchantement littéraire. Un jour, j'ai fait l'effort de lire ce livre, je l'ai lu, je l'ai rapporté. Le titre ici a le mérite d'être accrocheur et intéressant : "avancées et blocages de l'Histoire", j'y reviendrai.
Donc, il nous reste les articles de Scepi sur la "damnation", de Bertrand qui prétend à une lecture globale du livre, l'article de Laforgue que j'ai déjà signalé à l'attention. D'ailleurs, Laforgue insiste sur un article méconnu de Barrère où il est question de sources du côté de Parny et de Chateaubriand, ce dont Brunel avait tenu compte dans son édition critique de 1987 où une source possible chez Parny est mentionnée.
Et enfin, je termine par un article de Laurent Zimmermann sur "Le poison" dans Une saison en enfer et pour celui-ci j'en rends immédiatement compte. L'auteur ne m'est pas connu et je ne connais même pas son livre Rimbaud et la dispersion de 2009.
Dans le même ouvrage qui contient mon analyse du "poison" que j'ai réfutée ensuite, il y a un article qui porte exclusivement sur le "poison".
C'est d'ailleurs en partie cet article qui a contribué à mon brusque réveil sur le problème du "poison", sauf que l'auteur lui ne tranche pas et il ne développe pas les arguments que j'ai exposés récemment, ni pour identifier le poison, ni pour bien poser les arguments pour et contre certaines interprétations.
Donc, Zimmermann commence par exposer le problème d'une confrontation de deux points de vue sur le "poison" du début de "Nuit de l'enfer". Nous avons une tendance critique qui y voit le poison comme une expérience de la drogue et des "paradis artificiels". Nous avons une autre tendance qui y voit la tradition chrétienne qu'à cause de son baptême le poète ne peut pas surmonter (pages 283-284) :
[...] La tradition critique propose deux interprétations différentes. Dans un premier cas, le "poison" sera de la drogue, du haschich en particulier, et l'opération d'absorption sera alors à entendre au sens littéral : du "poison" a été absorbé au cours d'une expérience de prise de drogue. Dans le second cas on a coutume de dire que le "poison" est la tradition dont le poète ne peut pas se défaire, tout ce qui l'encombre et dont il rend compte dans Une saison en enfer, le christianisme tout particulièrement. L'opération d'absorption est dans ce second cas à entendre au sens métaphorique : dominé par une suite de références et de cadres mentaux dont il ne parvient pas à sortir, le poète constate son empoisonnement, cette absorption d'un poison mental dont il peine à se défaire.
    En réalité, les deux interprétations semblent possibles, à tel point qu'il est difficile voire abusif de déclarer que l'une ou l'autre puisse être considérée comme absolument valable. Tout au contraire, il faut reconnaître qu'existe sur ce point une certaine indécidabilité.
Vous le voyez, Zimmermann applique le théorème de Gödel à la lecture de Rimbaud, ce que je trouve ridicule, et j'ajouterai "anachronique" vu que ma remarque méprisante vous fait hausser les sourcils. Je ne méprise pas l'article de Zimmermann, il est intéressant, et contrairement (sauf erreur de ma part) à Vaillant et Bardel je le cite en 2023. L'article a le mérite d'exposer un problème que Vaillant et Bardel n'exposent pas en 2023, et après avoir lu ce passage je vous invite d'ailleurs à lire les commentaires de "Nuit de l'enfer" et du passage initial sur le "poison" pour vous faire une idée des explications qui ne soulèvent même pas qu'il existe deux approches traditionnelles contradictoires sur cette idée de "poison". Je précise que, pour ma part, et je croyais d'ailleurs que la phrase même apparaissait dans l'article de Zimmermann, je suis passé à un stade où je dis : "Mais pourquoi ne pas considérer que Rimbaud a bien absorbé du poison en tant que tel ?" J'étais persuadé que j'allais trouver cette phrase dans l'article de Zimmermann lui-même, ou alors il y a un autre article d'époque qui le dit, soit dans le volume collectif Rimbaud poéticien que je vais consulter bientôt, soit ailleurs.
Zimmermann ne tranche en faveur d'aucune des deux lectures. Au contraire, il en fait un moyen de plaider l'hétérogénéité comme moyen de remise en cause des idées traditionnelles en Littérature, ni religion, ni refuge dans les drogues et l'ivresse. Zimmermann fait du mot "ivresse" un moyen de désigner la poésie et la littérature, puisque l'ivresse était alors liée à l'inspiration et elle était vénérée dans un poème en prose de Baudelaire : "Enivrez-vous" où il est question de littérature : "Enivrez-vous de poésie" ! Je ne suis évidemment pas d'accord avec cette thèse de l'hétérogénéité qui s'apparente superficiellement à ma lecture et à celle de Claisse sur un double rejet du mensonge du christianisme et des voies illusoires dites "sataniques". Zimmermann souligne un lien intéressant mais ténu entre le "festin où s'ouvraient tous les coeurs" et le pélican de la "Nuit de mai" qui s'offre en festin à ses petits en s'ouvrant le coeur, ce qui est une illustration martyrique d'une morale littéraire des coeurs sensibles.
Sur le "poison", Zimmermann n'a pas du tout une approche méthodique qui fait parler entre eux des passages d'Une saison en enfer comme je l'ai fait récemment. Donc non seulement il ne tranche pas, mais je me mets en-dehors de l'alternative qu'il nous soumet, puisque pour moi le poison n'est pas la drogue comme expérience mondaine rebelle du haschich et de l'opium. Non, le poison est lié aux pavots de Satan dont le poète dit avoir trop pris, et je vois donc oui une absorption d'un poison en tant que tel avec un effet foudroyant proche de la mort, donc un poison en tant que tel, pas une drogue, ni un poison mental insidieux, un poison ! Tout simplement ! Mais en lien avec les pavots je vois aussi le prolongement mental satanique où le poison n'est que la pointe extrême de la révolte contre la justice et la beauté, et je me dis que si la lecture littérale permet d'identifier l'absorption d'un poison pour se suicide, ce qui heureusement n'aboutira pas, mais justifie l'idée d'être "Sur un lit d'hôpital" dans "L'Eclair" loin donc de la prétendue allusion biographique consacrée comme évidente par certains, il y a l'idée que le poison c'est cette dynamique satanique de révolte qui ne mène qu'à un décès un poète qui espérait faire bien autre chose de sa vie que de simplement mourir par une décharge sauvage de son comportement.
Voilà, j'espère que ça vous a intéressé. Je sais que j'ai des lecteurs réguliers, en-dehors même d'une connaissance personnelle. Mon site est un petit peu consulté. Très peu, bien sûr, plus comme avant ! Mais, bon, dois-je me faire l'ami de ceux qui me détestent et vivre pour écrire des articles dont ils jouissent sans me proposer de retour d'ascenseur ? Non !
Il faudrait que je trouve une solution pour toucher un large public. Je suppose que mes idées ne seront pas perdues et qu'il faudra que j'accepte que les rimbaldiens désossent ce blog et se partagent les idées qui y sont formulés, se partagent les pistes de recherche, les effets des avertissements que j'y expose, s'approprient les conseils de méthode, pour qu'un jour tout ce que je dis fasse son plus grand profit aux lecteurs de Rimbaud du vingt-deuxième siècle ou de la décennie 2060. 
J'ai bon espoir que le basculement s'effectue plus vite entre 2030 et 2040. J'ai déjà des effets évidents sur la réorientation des lectures de Rimbaud, ça va aller. Moi, mon profit personnel, il est nul et le soutien je le remarque pas. Je pense que derrière vos écrans vous me méprisez. Ben, tant pis, pour votre passion rimbaldienne. Il est assez évident qu'après l'Album zutique je suis le spécialiste incontestable d'Une saison en enfer. Débrouillez-vous pour le cacher, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ?

Post scriptum :

Je rouvre dix minutes après mon article, il sera refermé définitivement ensuite.
Sur le fait de faire l'impasse sur ce blog, on soutiendra que c'est moi qui me suis mis tout seul en-dehors de la communauté rimbaldienne, c'est moi le fautif qui les ai froissés.
Non, mille fois non !
De 2000 à 2010, je pouvais publier et participer à pas mal de conférences, je pourrais être reconnaissant à Steve Murphy, Bruno Claisse, Benoît de Cornulier pour leurs échanges et les invitations à publier. Yves Reboul m'a inclus dans un volume collectif de la revue Littératures en 2006. Mais, fondamentalement, on ne me citait pas volontiers, il n'y a aucune mise en avant de mes lectures de "Voyelles" et du "Bateau ivre". Je n'ai été cité à partir de 2009 que pour quelques découvertes concrètes indéniables, et encore on prétend encore en 2023 débattre du déchiffrement du manuscrit de "L'Homme juste". On a préparé dans mon dos un livre sur l'Album zutique dont l'auteur est Bernard Teyssèdre, on y retrouvait des idées qu'heureusement j'avais formulées dans des articles publiés de justesse et que Teyssèdre citait en bibliographie, mais en s'attribuant certaines idées pourtant dans le corps du texte.
Il y a eu un combat dantesque autour de la photographie du "Coin de table à Aden". Aucun rimbaldien n'intervenait. Il y a uniquement eu un courriel de Philippe Rocher envoyé à plusieurs rimbaldiens avec le lien d'un article qui contestait l'identification à Rimbaud. Sur la place publique, on laissait le discours se faire, on n'intervenait pas.
Sur la "charité" vertu théologale et sur la lecture de la prose liminaire, j'ai eu une influence décisive pour arrêter avec la thèse de Molino sur la charité personnelle recherchée par Rimbaud. C'est grâce à moi qu'on parle autant de la prose liminaire, sauf que de manière invraisemblable même en 2023 il faut que je continue de combattre des nuances de contresens.
On est en 2023, les seules choses que vous daignez m'attribuer, vous me les contestez encore : "autels" et "ou daines" par exemple.
Ce n'est pas difficile de voir que mes colères elles sont justifiées, de 2000 à 2023 ça se voit que soit on évite de parler, fût-ce pour me traiter avec égalité dans un débat de plusieurs rimbaldiens dont certains obscurs, soit on conteste ma lecture pied à pied avec jusqu'auboutisme sauf que quand on craque on ne m'attribue pas d'avoir influé en quoi que ce soit.
Vos théories ne tiennent pas la route face à l'avenir des rimbaldiens. On voit bien qu'on m'a agacé volontairement et que j'ai réagi parce que dès le départ il y a eu un comportement intentionnel qui consistait à me faire tenir à ma place de quidam. Et si c'est de bonne foi que vous n'avez pas voulu me donner raison, et si c'est de bonne foi que vous n'aimez pas les disputes, vous voyez bien en 2023 que le problème il n'est pas venu de moi... Je confirme que j'ai raison, je reprends les argumentations qui chez vous sont en plan, je maintiens le cap, je montre qu'effectivement je trouve des choses et je vais plus loin que vous. J'aurais publié sur "L'Eclair", "Matin", "Vierge folle", "Adieu" et "Nuit de l'enfer", vous vous seriez empressés de soutenir que tout cela vous le disiez déjà. Là, je vous ai laissé publier, j'arrive après, je montre que réellement j'avais une ligne de lecture qui n'était pas si banale que ça, si consensuelle que ça, puisque je montre précisément l'écart entre nos approches.
Et pourtant, vous avez infléchi votre discours en tenant compte de ce que j'avais publié en 2009 et 2010. Comment expliquez-vous qu'après vos publications je précise des tas d'idées qui "sont déjà celles des rimbaldiens", d'après la petite musique, mais dont vous n'avez rien fait dans vos publications ?

2 commentaires:

  1. Je vais poursuivre les comptes rendus des livres de Bardel et Vaillant, mais je vous cite les passages sur le "poison" dans "Nuit de l'enfer".
    Bardel, page 126, extraits des notes en vis-à-vis du fac-similé : "le locuteur s'y tord de souffrances, sous l'effet d'un 'poison' ", "De la souffrance due au poison, il dit aussi que c'est celle de l'enfer, mais il indique à deux reprises [c'est encore la vie]". Notez que le poison est d'abord mis entre guillemets, puis l'enfer est assimilé à la souffrance et pas directement au poison. Et Bardel écrit : "Sa damnation [...] n'est que la hantise d'être damné telle que la vivent ceux qui ont été nourris des préceptes de la religion", on voit bien qu'il y a une ellipse pour éviter de se prononcer sur ce qu'est en clair le poison lui-même. Et confirmation avec ceci : "le 'poison', véritable source de la souffrance du sujet, n'est lui-même qu'une métaphore, une énigme." Outre le statut d'énigme, le mot restrictif "métaphore" exclut la lecture littérale ! Bardel dit qu'une solution semble apparaître à la fin du texte, mais il la présente comme une hypothèse et s'il identifie le poison à une boisson fournie par Satan, et même avec les "pavots, il demeure vague sur l'idée de métaphore, mais bon c'est les illusions que Satan fait miroiter à Rimbaud. Pour Bardel, cela semble englober les illusions religieuses aussi, si pas Bardel, en tout cas, c'est le cas de plusieurs commentateurs, et surtout il y a un écart entre poison pourvoyeur d'illusions et poison mortel. Pour le "lit d'hôpital", Bardel ne fait aucun lien avec le poison, seulement avec le coup de feu biographique du 10 juillet !

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    1. Dans son livre, Vaillant semble avoir lu les paragraphes de Zimmermann cités plus haut : "Ce mystérieux 'poison' a naturellement suscité d'innombrables commentaires, les uns partis sur la piste biographique (on sait bien que Rimbaud n'a hésité devant aucun excès), les autres se fiant aux indices internes au texte. Parmi ces derniers les plus autorisés [note 1 citant Brunel et Nakaji en 1987] ont souvent identifié ce 'poison' à la 'conversion' évoqué dès le paragraphe suivant [citation du texte de Rimbaud]". Et il poursuit au conditionnel : "Rimbaud verrait donc son enfer comme conséquence de la 'conversion', simple manoeuvre diabolique l'enfermant dans le cercle vicieux des illusions religieuses."
      Notez l'écart avec Bardel sur les "illusions". Vaillant fait adhérer tous les tenants de cette lecture à l'idée de Brunel que Satan séduit le poète avec des illusions religieuses, malgré l'article de Molino ! Biais problématique pour tous ceux qui n'ont en commun avec Brunel que le poison catéchisme. Vaillant cite le brouillon "Fausse conversion", mais pas l'enchaînement des douleurs de "Mauvais sang" à "Nuit de l'enfer". Il rejette la lecture qu'il a dressée, la déclarant un contresens, mais hélas il ne rejette que la lecture du seul Brunel.
      Et la preuve est dans un déchiffrement métaphorique personnel et donc contestable du "vice" de "Mauvais sang" apparu à l'âge de raison qui serait le christianisme. Rimbaud a déjà rejeté le christianisme donc il ne peut pas se convertir dans "Nuit de l'enfer". Et les sections 5 à 7 de la conversion, ils ne sont pas postérieurs au "vice" dénoncé à la section 4 ? Toutefois, Vaillant lit avec exactitude que le poison est bien un poison après le rejet des illusions religieuses, il est moins exact quand il dit que c'est un contre-poison face aux illusions religieuses, du moins c'est plus complexe que ça.
      A suivre !

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