La parodie "Lys" tient en quatre vers. Rimbaud a pris pour cible de sa réécriture le troisième des sonnets païens dans le premier recueil de Silvestre. Les deux derniers vers de "Lys", surtout l'avant-dernier, démarque le second vers du sonnet en question d'Armand Silvestre : "Avril emplit d'odeurs les feuillages ombreux." Comparez : "L'Aurore vous emplit d'un amour détergent ! / Une douceur de ciel beurre vos étamines!" La forme verbale "emplit" est reprise à l'identique. Et le dernier mot au pluriel "étamines" est une reprise d'un mot à la rime du même sonnet de Silvestre : "Et livre au vent du soir l'or de son étamine." A quoi ajouter le glissement de "l'or de son étamine" à "clysopompes d'argent".
Deux éléments complètent cette lecture.
Dans la préface offerte par George Sand au premier recueil de Silvestre, il est question de la déformation d'un titre de Molière "spiritualiste malgré lui". Les médecins de Molière, on le sait, usent de clystères. La modernité veut que ce soit des "clysopompes d'argent". Par ce biais, le spiritualiste Silvestre retombe dans le matérialisme du bas corporel, mais ce n'est pas tout : "clysopompes d'argent" et "beurre vos étamines" renvoient aux revenus des ventes d'Armand Silvestre, nouvelle rechute dans le matérialisme. Verlaine venait de moquer dans sa correspondance la très "bonne affaire" que venait d'opérer Silvestre avec la publication immédiate et sans recul, au lendemain de la Semaine sanglante, de livres anticommunards sous le pseudonyme Ludovic Hans : Ruines de Paris, et Le Comité central et la Commune. Cette Commune avait à voir avec les famines à la suite de la guerre franco-prussienne, avec le monde du travail, par exemple le petit peuple de Paris sommé en février-mars de payer les loyers en retard malgré l'inactivité forcée des mois précédents, etc., etc.
Nous voyons que nous atteignons à une lecture du quatrain de Silvestre qui ne laisse rien à désirer, lecture qui rend caduque la lecture de Steve Murphy qui pensait y lire une poursuite de la scie constante sur les problèmes de santé de Napoléon III.
Dans son livre "Le Foutoir zutique", Bernard Teyssèdre a cru étendre notre attention portée à Silvestre à la parodie "Vu à Rome". Il a remarqué avec raison des liens entre les deux parodies, il a constaté une inversion de "sonnets païens" à "emblèmes chrétiens" et il a fait état en particulier des mentions en écho au titre du recueil de Léon Dierx. Non pas le cinquième, mais le quinzième des sonnets païens se termine sur l'expression des "lèvres toujours closes", et il n'est pas question de momies, mais des lèvres d'une Naïade auprès d'un lac froid et funèbre parmi les "bois morts" de décembre. L'attention est portée également sur le second vers du quatrième sonnet : "Sur ta bouche de feu, j'entrouvre ma narine", et d'autres vers peuvent être cités dans la foulée : "Quand recueilli, muet et comme inanimé, / Sur ta bouche de feu, j'entrouvre ma narine / Aux vagues de parfums que ton souffle embaumé / [....] / Le fruit mystérieux de ton être enfermé / M'envire lentement de son odeur divine ; / [...] / Je sens que l'infini m'emporte désarmé. / Je meurs et je renais, et puis je meurs encore, / Et, loin de fuir la mort, lâchement je l'implore, / Dans ton superbe corps souhaitant mon cercueil. / [...] Et, tremblant ,éperdu, j'entrevois, dans un rêve, / Le monde de splendeurs dont ta lèvre est le seuil!" Non pas le quatrième, mais le dixième sonnet commence par ce vers qui semble citer le titre de recueil de Léon Dierx : "Je voudrais, quand tous deux auront la bouche close, / [...]" D'autres extraits peuvent être cités, car il est question de souffle de Vénus égaré dans du marbre ou d'une lèvre appréciée comme un "vase religieux / Où le sang de mon coeur comme un rubis s'incruste", d'une renaissance dans la vie éternelle, de "Fleur du rêve païen" qui "Revêt la dignité d'une chose éternelle", etc. Silvestre et Doerx ont en commun une certaine métaphysique de poète parnassien qui permet de considérer comme non aléatoire le rapprochement de "Lys" et "Vu à Rome" d'une page à l'autre de l'Album zutique.
Ajoutons pour "Lys" comme pour "Vu à Rome" que la préface sandienne des Rimes neuves et vieilles commence presque par cette phrase amusante : "Passant, arrête-toi, et cueille ces fruits brillants, parfois étranges, toujours savoureux et d'une senteur énergique." La "senteur énergique" est un point commun aux deux parodies, et d'autres passages de la préface sandienne doivent pouvoir être cités pour justifier désormais une lecture de "Vu à Rome" en clef de parodie ciblant Dierx ou les parnassiens : "Faut-il chercher dans l'expansion lyrique la manifestation d'une personnalité ?", "Le vers est une musique qui nous élève dans une sphère supérieure", "C'est un monde entre ciel et terre, où l'on dit précisément ce qui ne peut pas se dire en prose", "que les plus grandes hardiesses soient purifiées par le chant inspiré", "C'est l'hymne antique dans la bouche d'un moderne, c'est-à-dire l'enivrement de la matière chez un spiritualiste quand même, qu'on pourrait appeler le spiritualiste malgré lui", "Platon et le christianisme ont mis dans son âme vingt siècles de spiritualisme qu'il ne lui est pas possible de dépouiller, et, quand il a épuisé toutes les formes descriptives pour montrer la beauté reine du monde, et toutes les couleurs de la passion pour peindre le désir inassouvi, il retombe épuisé pour crier à l'idéal terrestre : "Tu n'aimes pas !" "Sera-ce l'amour ou la mort qui parlera ? Peut-être l'un et l'autre. Peut-être que dans l'extase du plaisir, excès de vitalité, ou dans la volupté du dernier assoupissement, paroxysme de lucidité, l'âme se sentira complète".
Ajoutons pour "Lys" comme pour "Vu à Rome" que la préface sandienne des Rimes neuves et vieilles commence presque par cette phrase amusante : "Passant, arrête-toi, et cueille ces fruits brillants, parfois étranges, toujours savoureux et d'une senteur énergique." La "senteur énergique" est un point commun aux deux parodies, et d'autres passages de la préface sandienne doivent pouvoir être cités pour justifier désormais une lecture de "Vu à Rome" en clef de parodie ciblant Dierx ou les parnassiens : "Faut-il chercher dans l'expansion lyrique la manifestation d'une personnalité ?", "Le vers est une musique qui nous élève dans une sphère supérieure", "C'est un monde entre ciel et terre, où l'on dit précisément ce qui ne peut pas se dire en prose", "que les plus grandes hardiesses soient purifiées par le chant inspiré", "C'est l'hymne antique dans la bouche d'un moderne, c'est-à-dire l'enivrement de la matière chez un spiritualiste quand même, qu'on pourrait appeler le spiritualiste malgré lui", "Platon et le christianisme ont mis dans son âme vingt siècles de spiritualisme qu'il ne lui est pas possible de dépouiller, et, quand il a épuisé toutes les formes descriptives pour montrer la beauté reine du monde, et toutes les couleurs de la passion pour peindre le désir inassouvi, il retombe épuisé pour crier à l'idéal terrestre : "Tu n'aimes pas !" "Sera-ce l'amour ou la mort qui parlera ? Peut-être l'un et l'autre. Peut-être que dans l'extase du plaisir, excès de vitalité, ou dans la volupté du dernier assoupissement, paroxysme de lucidité, l'âme se sentira complète".
Troublé par la difficulté d'établir un lien thématique étroit entre "Vu à Rome" et l'oeuvre de Léon Dierx, Bernard Teyssèdre a préféré penser que Dierx n'était qu'un prête-nom, il l'écrit. Silvestre, Verlaine étaient les vraies cibles de "Vu à Rome" selon lui, il serait même question d'allusions aux cathares. Précisons d'emblée que nous ne voyons en aucun cas un lien entre "Vu à Rome" et soit "La Mort de Philippe II" de Verlaine, soit l'histoire cathare.
L'idée d'un lien diffus à l'oeuvre de Silvestre, nous ne la rejetons pas, mais ce que nous voyons c'est que la préface de George Sand permet de faire un lien entre Silvestre et Dierx, un lien entre la parodie "Lys" et la parodie "Vu à Rome".
Gardons encore à l'idée que ce lien s'est peut-être établi lors d'un dîner des Vilains Bonshommes où Silvestre prétend avoir rencontré Rimbaud. Dierx était-il à ce dîner le 30 septembre, et de quoi y avait-il été question ?
En-dessous de "Vu à Rome", Rimbaud a reporté une parodie des Fêtes galantes cette fois, où surgit la rime en "-ote" verlainienne exploitée par Rimbaud dans ce poème Les Effarés dont Silvestre prétend avoir reçu une version manuscrite de la main de Rimbaud, sans doute le 30 septembre même.
Notes annexes :
Silvestre, plus tard auteur grivois, vient récemment d'être commémoré par la réinstallation en 2015 d'un buste place Wilson à Toulouse, à proximité de la fontaine représentant le poète occitan Goudouli. Rejeté par sa famille directe, Armand Silvestre est enterré dans le caveau d'autres de ses proches, un caveau au nom Houssaye dont j'ignore actuellement s'il est en lien avec Arsène Houssaye.
Le mot "balançoirs" justifie ici le recours au Dictionnaire érotique moderne d'Alfred Delvau, mais cet ouvrage a été remanié. A l'origine, le mot "balançoir" avait une entrée propre. Les éditions plus récentes, dont celle consultable sur le site "Gallica" de la BNF, enferment le mot "balançoir" dans une série de synonymes à l'entrée "Membre (viril)". Certaines impriment par erreur "balancier". Une consultation de première main du dictionnaire tel que Rimbaud a pu le lire serait nécessaire. Par ailleurs, beaucoup d'entrées de ce dictionnaire ne font que déchiffrer des métaphores. L'utilisation de ce dictionnaire pour commenter ou déchiffrer les poèmes zutiques ou non de Rimbaud est souvent assez farfelue. Cela semble un argument d'autorité assez étrange. En revanche, à la lettre A, certaines entrées, même si nous consultons des éditions remaniées, retiennent l'attention : "s'aboucher", "s'accoler",....
Le mot "balançoirs" justifie ici le recours au Dictionnaire érotique moderne d'Alfred Delvau, mais cet ouvrage a été remanié. A l'origine, le mot "balançoir" avait une entrée propre. Les éditions plus récentes, dont celle consultable sur le site "Gallica" de la BNF, enferment le mot "balançoir" dans une série de synonymes à l'entrée "Membre (viril)". Certaines impriment par erreur "balancier". Une consultation de première main du dictionnaire tel que Rimbaud a pu le lire serait nécessaire. Par ailleurs, beaucoup d'entrées de ce dictionnaire ne font que déchiffrer des métaphores. L'utilisation de ce dictionnaire pour commenter ou déchiffrer les poèmes zutiques ou non de Rimbaud est souvent assez farfelue. Cela semble un argument d'autorité assez étrange. En revanche, à la lettre A, certaines entrées, même si nous consultons des éditions remaniées, retiennent l'attention : "s'aboucher", "s'accoler",....
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