Suite à la conférence que j'ai faite dans le cadre du colloque "Les Saisons de Rimbaud", j'en profite pour apporter quelques précisions zutiques.
A propos du poème "Vu à Rome" sur lequel je vais revenir dans les lignes qui suivent, je précise que je ne livre pas une lecture suffisante au plan de la prise en compte du contexte historique : j'envisage que le schisme dont il est question tourne autour des "vieux catholiques" sans aller plus loin.
En revanche, le lien avec Léon Dierx a retenu mon attention et j'ai publié un article sur le domaine "Rimbaud ivre" de Jacques Bienvenu : La signature Léon Dierx au bas du poème "Vu à Rome".
Les conclusions étaient les suivantes. Rimbaud reprend la forme de l'octosyllabe à la plaquette Paroles du vaincu publiée le 7 octobre, donc quelques jours avant la transcription zutique. En revanche, les mots à la rime et la forme des quatrains viennent des premiers poèmes du recueil des Lèvres closes ("Prologue", "Lazare") et l'influence plus subreptice d'autres poèmes m'intéresse également ("L'invisible lien",...).
Dans son livre, Bernard Teyssèdre soulignait que le titre "Lèvres closes" ne correspondait pas au contenu, remarque étonnante puisque le titre est "Vu à Rome" : "Lèvres closes" est en surtitre, mais c'est surtout le titre du recueil dans lequel Rimbaud imagine l'ajout de "Vu à Rome".
En attribuant "Vu à Rome" à Léon Dierx, Rimbaud attribue au poème la pensée de Dierx, il y a un jeu sur l'énonciation. Or, Dierx est un poète qui interroge le néant de la réponse religieuse par-delà la mort. Nous sommes bien dans le sujet. Les "lèvres closes", c'est la mort et une mort qui n'apporte pas de réponse.
En revanche, Dierx croit en l'amour compensateur de la femme face au néant et il célèbre les réminiscences pour l'âme liées au spectacle de la Nature, avec la lumière (solaire) notamment.
Aujourd'hui, j'ajouterais au dossier le poème "L'Odeur sacrée" qui fait écho à l'idée d'un poème sur les narines de vieux croyants momifiés, d'autant que ce poème est dédicacé à Armand Silvestre, la cible du quatrain "Lys" avec une allusion fine là aussi au sens de l'odorat.
En revanche, je ne vois pas clairement en quoi le poème ferait allusion à Veuillot, comme l'envisagent Steve Murphy et Bernard Teyssèdre. Il ne suffit pas de citer les titres "Odeurs de Paris", "Parfums de Rome" et le nez grêlé de Veuillot l'ultra montaniste pour nous convaincre. Je n'ai pas lu les ouvrages de Veuillot, mais je n'ai pas trouvé bien étayée l'hypothèse.
Il me semble en tout cas avoir fixé des choses très fortes sur le ciblage parodique et la relation au nez délicat des poètes : Paroles du vaincu, premiers poèmes des Lèvres closes, poème intitulé "L'odeur sacrée" dédicacé à Armand Silvestre. J'ai précisé aussi la corruption "saints chanoines du Saint-Sépulcre" et envisagé donc la piste des "vieux catholiques".
Pour ce qui est de la lecture, la chapelle Sixtine est le lieu d'élection du pape, mais ce n'est pas l'actualité et je ne lis pas d'allusion à cela dans le poème. Ce que je comprends, c'est que ces nez séchés ne sont plus qu'ironiquement mystiques et normalement c'est l'encens qui devrait embaumer les lieux tous les matins, "encens" qui ne serait plus qu' "immondice schismatique" dans des narines dévitalisées.
Il y a autre chose au plan historique dans ce poème, mais mon travail de lecture s'arrête là.
Pour "Exil", les six vers sont annoncés comme un "Fragment d'épître de Napoléon III", mais l'expression "honnête instinct" me fait considérer que ce Napoléon III est à l'image des portraits moraux à la Coppée. Le mot "honnête" apparaît aussi chez d'autres bonapartistes comme Amédée Pommier, mais Coppée est connu pour "honnête intérieur", il est la principale cible zutique et il me semble que si "Petit Ramponneau" est bien une allusion à la dernière barricade de la Commune par contraste avec l'Oncle vainqueur, c'est-à-dire par opposition à quelqu'un qui gagnait les guerres, Rimbaud ironise donc sur la pièce Fais ce que dois tout récemment jouée à l'Odéon et dont le texte a été publié dans Le Moniteur universel aux environs de la première à l'Odéon, le 21 octobre 1871. Plusieurs passages zutiques sont des réactions à cette pièce politique de Coppée. Coppée exalte avec d'autres les guerres de l'Empire, gloire meurtrière qui ne fait pas sens pour des gens comme Rimbaud, et conspue les morts de la Commune qui auraient eu un coup de folie. Pour précision, trois sens ont été donnés au nom "Ramponneau". Premièrement, c'est le nom d'un célèbre marchand de vins défendu par Voltaire. Deuxièmement, c'est le nom d'une des deux rues dont on considère qu'elles furent le théâtre des derniers événements de la Commune. La rue Ramponneau est une rue montante étroite, ce qui peut justifier "petit". Mais, sur la rue Ramponneau, l'histoire ou la légende parle d'un unique dernier combattant, lequel par antonomase serait baptisé du nom de la rue où il a combattu : le petit combattant ultime de la rue Ramponneau. Evidemment, la rue porte le nom du marchand de vins et le poème peut ainsi exploiter la double référence. En revanche, j'ai beaucoup de mal à croire à la troisième interprétation selon laquelle le "ramponneau" avec une autre orthographe désignant un chapeau conique le "Petit Ramponneau" serait le fils de Napoléon III. Vu l'importance de la lignée impériale à poursuivre, pourquoi le père pesterait-il sur la plus grande notoriété du fils par rapport à celle de l'oncle vainqueur ? Et surtout d'où viendrait cette idée fausse d'un plus grand intérêt pour le fils impérial ? Face à l'oncle vainqueur, il y a un perdant, et Napoléon III enrage qu'on puisse s'intéresser à ce rien.
Qu'est-ce qui est important ? La belle gloire d'une guerre ou les causes d'une guerre. En prenant parti pour l'oncle vainqueur, on ne méprise pas que les vaincus, on méprise des causes plus légitimes de combat. Coppée a écrit Fais ce que dois et Plus de sang, deux illustrations de ce point de vue biaisé. La Révolution et l'Empire peuvent être appréciés pour l'allure que ça donne à la ville des Parisiens, mais la guerre civile ou la nouvelle révolution, fi donc ! Mourir face à la Prusse, cela a du sens et il faudra reprendre l'Alsace et la Moselle, celle-ci grandie en Lorraine, mais mourir pour changer la société, ce n'est pas sérieux, "Fais ce que dois, advienne que pourras" devise du Monde illustré et de Coppée, "A nos marteaux, vite, travaillons, reconnaissons que nous avons eu un instant de folie" pour citer approximativement les plaquettes engagées du même Coppée.
La fin d'Exil ne pose aucun problème, "Bari-Barou", c'est bien sûr le tonnerre du pétomane, il n'y a pas à hésiter là-dessus. Un renforcement d'analyse est souhaitable en revanche sur "Conneau" et "Petit Ramponneau".
Pour le monostiche de Ricard, difficile de croire que Rimbaud qui se veut "un multiplicateur de progrès" à la suite de gens comme Vermersch se moque de l'idéologie du progrès d'un communard en exil au moment où il compose sa saillie zutique. Ricard était un communard ami de Verlaine et de célèbres condamnés à mort de la Commune, un compagnon de route des poètes jusqu'à son retour en France avec sa participation dans la revue La Renaissance littéraire et artistique en 1872.
Le monostiche peut se lire de manière obscène, puisque la transcription y invite. Mais au plan du sens, l'imparfait fait sens "chaussait", allusion à la répression sanglante et le "vaste" ironise sur l'idée d'un progrès dont on pourrait se vêtir.
Enfin, Ricard était peut-être en lien intertextuel avec Pommier qui écrivait lui aussi des poèmes au titres L'Egoïste, sur le thème donc de l'égoïste mais traité à sa manière. Et l'intérêt c'est de voir que Ricard envisage la solidarité d'un messianisme laïc du progrès face à un Amédée Pommier qui considère que sans amour de la patrie à l'antique, sans foi religieuse, il n'y a eu plus que l'indifférence de l'égoïste et Amédée Pommier écrit ces vers : "On savait où trouver le centre et l'unité, / Et vers un but commun marchait l'humanité." Cela dans un poème intitulé Egoïsme justement. Ricard faisait sans doute déjà écho à ce poème d'Amédée Pommier.
Dans son poème L'Egoïste ou La Leçon de la Mort, Ricard écrivait "Prends en pitié ce fou, qui se pensant un sage, / Croit que l'humanité marche dans le progrès", la préposition "dans" justifiant le glissement "chaussait" et l'idée que l'humanité ne prend pas la direction du progrès, mais s'habille d'un slogan.
Mais Ricard a d'autres vers intéressants, parmi lesquels : (Le poète) Hélas ! l'humanité n'en marchera pas moins, / Et j'en appelle à vous, ô siècles, ses témoins", ou (L'égoïste): "Sachez que la Raison n'est que l'Indifférence, / Et que l'humanité n'avance pas d'un pied", ce qui confirme qu'il y a une réponse faite à Pommier précisément. Le poète que Ricard fait parler ajoute encore : "La trace de vos pas qui pouvait, immortelle, / S'imprimer sur la route où marche le progrès, / En vain sera cherchée, une trace nouvelle / S'effacera bientôt au seuil des cabarets", et dans l'Epilogue, nous trouvons ces vers : "Et comme nous marchons avec impatience / Vers l'idéal rêvé que nous aimons d'avance, / Nous nous irritons tous de voir qu'à chaque pas / Le genre humain hésite et ne s'avance pas."
J'avais depuis longtemps annoncé que j'avais d'autres vers à citer de Ricard, les voici donc, et on voit qu'il est question d'une réflexion sur l'entrave au progrès, entrave que la semaine sanglante permet de penser dans l'Album zutique. On voit que nous ne nous retrouvons pas dans les réflexions de Classe et de Teyssèdre qui avaient publié un commentaire du monostiche en fonction de l'intertexte que nous avions soumis dans l'édition de la Pléiade de 2009.
Il est aussi question à un moment donné du Suicide "nourrice endormant son enfant", de la conscience "fille du Seigneur et de l'humanité", du Temps "vieil enfant". Une démarche résolument inter textuel a tellement à apporter : "Tous ceux - dont l'intérêt et le timide esprit, / Combattant du progrès la marche triomphante, / Leur opposent en vain leur colère impuissante ; - / (...)", "Nous vous l'avions bien dit qu'ici-bas rien ne marche", "guider dans la route du bien", "Qu'importe l'avenir ? le présent seul est tout.", "je crois en toi ! je crois en toi!" (dernière citation qui fait songer que le Credo de Rimbaud n'est pas si éloigné et suppose le même enthousiasme.
J'ai encore deux pages de citation extraites du premier recueil de Ricard Les Chants de l'aube.
Je vous parlerai la prochaine des autres contributions zutiques, de la dimension collaborative dont témoigne les transcriptions du manuscrit et de la superposition des cibles pour ce qui concerne plus d'un poème. Par exemple, remarquez bien que Coppée est à ce point omniprésent que Verlaine choisit l'adverbe "humblement" dans sa parodie de L'Idole de Mérat. Le quatrain Lys "Dédaigneux des travaux, dédaigneux des famines" cible le mépris de l'auteur des Ruines de Paris rappelle la frappe d'un vers du Reliquaire, en même temps que l'image d'un lys dédaigneux dans un autre poème du même Reliquaire. L'allure d'ensemble du poème "Vu à Rome" apparaît clairement comme l'inversion du "prologue" du recueil Reliquaire de Coppée où il est question de "rideaux pourpres", de reliques pour les "chers rêves défunts" et d'encensoir "tous les soirs".
Dans son poème L'Egoïste ou La Leçon de la Mort, Ricard écrivait "Prends en pitié ce fou, qui se pensant un sage, / Croit que l'humanité marche dans le progrès", la préposition "dans" justifiant le glissement "chaussait" et l'idée que l'humanité ne prend pas la direction du progrès, mais s'habille d'un slogan.
Mais Ricard a d'autres vers intéressants, parmi lesquels : (Le poète) Hélas ! l'humanité n'en marchera pas moins, / Et j'en appelle à vous, ô siècles, ses témoins", ou (L'égoïste): "Sachez que la Raison n'est que l'Indifférence, / Et que l'humanité n'avance pas d'un pied", ce qui confirme qu'il y a une réponse faite à Pommier précisément. Le poète que Ricard fait parler ajoute encore : "La trace de vos pas qui pouvait, immortelle, / S'imprimer sur la route où marche le progrès, / En vain sera cherchée, une trace nouvelle / S'effacera bientôt au seuil des cabarets", et dans l'Epilogue, nous trouvons ces vers : "Et comme nous marchons avec impatience / Vers l'idéal rêvé que nous aimons d'avance, / Nous nous irritons tous de voir qu'à chaque pas / Le genre humain hésite et ne s'avance pas."
J'avais depuis longtemps annoncé que j'avais d'autres vers à citer de Ricard, les voici donc, et on voit qu'il est question d'une réflexion sur l'entrave au progrès, entrave que la semaine sanglante permet de penser dans l'Album zutique. On voit que nous ne nous retrouvons pas dans les réflexions de Classe et de Teyssèdre qui avaient publié un commentaire du monostiche en fonction de l'intertexte que nous avions soumis dans l'édition de la Pléiade de 2009.
Il est aussi question à un moment donné du Suicide "nourrice endormant son enfant", de la conscience "fille du Seigneur et de l'humanité", du Temps "vieil enfant". Une démarche résolument inter textuel a tellement à apporter : "Tous ceux - dont l'intérêt et le timide esprit, / Combattant du progrès la marche triomphante, / Leur opposent en vain leur colère impuissante ; - / (...)", "Nous vous l'avions bien dit qu'ici-bas rien ne marche", "guider dans la route du bien", "Qu'importe l'avenir ? le présent seul est tout.", "je crois en toi ! je crois en toi!" (dernière citation qui fait songer que le Credo de Rimbaud n'est pas si éloigné et suppose le même enthousiasme.
J'ai encore deux pages de citation extraites du premier recueil de Ricard Les Chants de l'aube.
Je vous parlerai la prochaine des autres contributions zutiques, de la dimension collaborative dont témoigne les transcriptions du manuscrit et de la superposition des cibles pour ce qui concerne plus d'un poème. Par exemple, remarquez bien que Coppée est à ce point omniprésent que Verlaine choisit l'adverbe "humblement" dans sa parodie de L'Idole de Mérat. Le quatrain Lys "Dédaigneux des travaux, dédaigneux des famines" cible le mépris de l'auteur des Ruines de Paris rappelle la frappe d'un vers du Reliquaire, en même temps que l'image d'un lys dédaigneux dans un autre poème du même Reliquaire. L'allure d'ensemble du poème "Vu à Rome" apparaît clairement comme l'inversion du "prologue" du recueil Reliquaire de Coppée où il est question de "rideaux pourpres", de reliques pour les "chers rêves défunts" et d'encensoir "tous les soirs".
A suivre.
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