Si Rimbaud a adhéré à la Commune, il n'en reste pas moins que son profil politique n'a jamais été tracé, du moins à partir d'un effort de synthèse s'appuyant sur une documentation serrée de près. Et il ne saurait être question de dresser le portrait d'un Rimbaud qui conviendrait à un quelconque auteur d'une étude sur ce sujet, car les études sont peu lues et lues elles ne le sont qu'en fonction de ce que le lecteur peut admettre ou considérer comme juste, fondé, etc. La connaissance politique de Rimbaud va avoir sa vie propre et ne se laissera enfermer dans aucun livre. Cette adhésion à la Commune pose plusieurs difficultés. Tout commence avec des confusions entre Commune et communisme, commuanrd et communiste, socialisme du dix-neuvième, socialisme du vingtième avec une prise en main spécifique de l'appareil de production et socialisme de la fin du vingtième et du début de vingt-et-unième siècle qui ne s'appelle socialisme que par abus d'une filiation sans solution de continuité. Précisons d'ailleurs qu'il existe actuellement trois partis de cette dernière forme de socialisme : France insoumise, Parti socialiste et En marche, les oppositions actuelles entre ces trois partis étant un leurre, tout comme Mélenchon n'est en rien un opposant à Macron. Tout ça, c'est de la blague. Mélenchon, Hamon et Macron pourraient être de gauche dans le partie des trois "Jules", mais aucun d'eux n'amorce la sensibilité communarde. Peu importe ici. Mais, tous ceux qui se réclament du marxisme ou du parti communiste seront-ils proches ou de la Commune ou de Rimbaud ? Là encore, il faut faire attention, bien que les articles comparant Rimbaud et Marx soient nombreux. Delahaye s'y trompe lui-même, qui n'a pas étudié le sujet et qui assimile Rimbaud à un "bolchévik" dans ses "Souvenirs familiers". Le dogme marxiste est sans doute particulièrement funeste à la lutte sociale, puisqu'il impose sans raison le matérialisme à la pensée économique, imposant un carcan pour la pensée qui est farfelu au possible, qui n'a rien à faire là. Son idée de lutte des classes est également catastrophique, puisqu'il radicalise une opposition dont il n'est plus possible de sortir et qui ne peut qu'amener les propriétaires de l'appareil de production à plus d'égoïsme. La partie n'est pour le moins pas jouée finement. La théorie "scientifique" de la plus-value laisse pantois, l'idée d'une dictature du prolétariat relève de la fantaisie la plus haute, et ainsi de suite.
En réalité, la Commune ne fut pas un événement marxiste, ni une révolution prolétaire. La Commune fut une révolution par le peuple de Paris, ou par les populations de certaines grandes villes de France, mais seule la Commune de Paris a pu durer un certain temps et avoir une certaine importance. La Commune ne peut même pas s'identifier à ceux qui l'ont dirigé, car ceux qui l'ont dirigé l'ont prise entre leurs mains, mais il n'en reste pas moins que l'événement initial est un fait de révolte de la population, puis d'acquiescement global d'une part écrasante de la population parisienne. Rappelons que la Commune a commencé avec des élections, après une période de battement entre le 18 mars et le 28 mars pendant laquelle le Comité central a pris la direction d'un mouvement populaire non initié par lui. Plusieurs maires élus finiront par démissionner, tandis que tout était fait pour une conciliation avec Versailles et Bordeaux, avec le gouvernement sorti de Paris le 18 mars donc. En avril, cela bascule en guerre civile. De tels faits ne sont pas conciliables avec une interprétation purement idéologique du fait communard. En revanche, l'adhésion militante de Rimbaud est une adhésion de cœur au mouvement communard et aux idées qu'il défend. Rimbaud aura spécifiquement les idées d'un communard. Dans son cas, il y a une adhésion aux franges politiques spécifiquement communardes. Mais le problème est celui de la diversité des sensibilités communardes. Les références des communards et de Rimbaud sont Blanqui et Proudhon. Proudhon a imposé la première définition de l'anarchie, Bakounine a été mêlé à une commune de Lyon au même moment, lequel Bakounine est une figure importante, en conflit avec Marx, dans l'histoire de l'anarchisme.
Si Delahaye confond anachroniquement Rimbaud avec un "bolchévik", il est sensible que Rimbaud a une composante blanquiste et l'ami de Mézières raconte bien lorsqu'il rencontre Rimbaud à Paris en novembre 1871 que ce dernier encore endormi s'anime en lui montrant les traces de tirs "aux angles des maisons", s'écriant même à trois reprises : "Des balles !"
Les preuves d'un intérêt pour Proudhon sont données à deux reprises par des allusions à une phrase de son plus célèbre ouvrage : "La Propriété, c'est le vol". Cette allusion apparaît dans "Chant de guerre Parisien" : "Du cœur des Propriétés vertes, / Le vol de Thiers et de Picard / [...]". Verlaine ne semble pas avoir connu ce poème, non recensé dans la liste de titres que nous connaissons par exemple, et cela n'aurait rien d'étonnant, puisque ce poème dont l'ouverture manifeste une adhésion proudhonienne en pied-de-nez à Thiers annonçait une victoire de la Commune qui fut cruellement démentie par la "semaine sanglante". Pourtant, dans l'Album zutique, suite au sonnet en vers de deux syllabes "Jeune goinfre" rangé dans une série de "Conneries", Verlaine réplique par deux maximes, dont la seconde est une déformation de la même célèbre phrase de Proudhon : "La propreté, c'est le viol." Bizarrement, Pascal Pia et Bernard Teyssèdre ne voient là qu'un mauvais jeu de mots et Teyssèdre pense même que c'est une réaction d'humeur de la part de Verlaine. Je m'oppose bien évidemment à ces jugements, et à la prétendue médiocrité du trait d'esprit, et à la prétendue colère de Verlaine devant "Jeune goinfre" qui le moque. Cette phrase a tout l'air de cibler le manque de soin d'Arthur Rimbaud, comme le rapportent les témoignages, et elle implique bien une certaine idée d'un Rimbaud anarchiste et proudhonien. L'un des slogans de Rimbaud, c'est la "liberté libre".
Je travaillerai à l'avenir à un recensement de toutes ces formules politisées, que ce soit par Rimbaud ou que ce soit sous la plume d'un témoin. Pour l'instant, nous n'en sommes qu'à l'esquisse, titre de notre étude.
Mais les difficultés ne s'arrêtent pas là. Rimbaud est-il blanquiste, est-il néo-jacobin, est-il plus proche de la révolte d'un individualiste comme Vallès ou est-il encore une autre figure d'anarchiste ?
L'enquête va devoir se poursuivre par l'analyse de ses fréquentations communalistes et de ses admirations politiques. Vallès et Vermersch sont mis en avant, ainsi du coup que le contenu de leurs journaux respectifs, dans la lettre du 17 avril 1871, tandis qu'en août 1870 un poème a été publié dans "La Charge", et enfin, le séjour belge étant moins net dans le champ des fréquentations politiques, il y a les fréquentations de Vermersh, Lissagaray et Andrieu à Londres. Dans son livre Rimbaud dans son temps, Yves Reboul a déjà insisté sur le fait que Verlaine et Rimbaud ne fréquentaient pas un milieu de réfugiés communards proches de Marx, que du contraire ! Je compte revenir moi-même sur ce sujet, mais à nouveau s'impose l'idée d'un Rimbaud anarchiste, et avec un horizon précis à ne pas négliger, puisque Rimbaud appartenait par ses fréquentations et admirations à une mouvance minoritaire de la Commune hostile à l'idée d'un Comité de Salut Public, hostile à un mouvement dictatorial. Cela est déjà dit et en partie traité dans le livre cité plus haut par Yves Reboul.
Comme la question de l'élection des maires le 28 mars interdit les interprétations marxistes de la Commune, ce cercle de fréquentations londoniennes fait fortement barrage à l'idée d'un Rimbaud proche de Marx.
Toutefois, il existe d'importantes passerelles entre l'anarchisme et le marxisme, et un certain discours existe pour soutenir, mais je ne me prononcerai pas encore là-dessus, que à partir de la Commune Marx a changé de discours, il aurait vu que la prise de pouvoir par une classe sociale n'était pas nécessaire, etc., mais le dogme marxiste aurait joué contre son évolution propre et en serait resté à une certaine idée d'un premier Marx façonnée par Engels. Je ne suis pas spécialiste, j'étudierai tout cela en son temps. Mais ce qui se dégage, c'est vraiment l'anarchisme.
Or, c'est là que vient le mot de Verlaine à propos du "Forgeron", ce poème serait vraiment par trop "democ-soc", trop plein d'un Michelet mal digéré, etc. L'idée de démocratie sociale est plus proche des néo-jacobins que du blanquisme. Où se situe exactement Rimbaud ? Sa pensé mélange-t-elle des ressorts jacobins et anarchistes blanquistes ?
Verlaine et Rimbaud semblent comme Vermersh, Blanqui, se réclamer des hébertistes. Ils ont en haine tout ce qui a trait à la religion, ils sont essentiellement libertaites, considèrent que la politique n'est qu'affaire de magouilles, et ils voudraient l'ordre sans le pouvoir. C'est l'idée qui se dégage, il est vrai qu'on devrait peut-être laisser Verlaine à part. Or, de tels blanquistes détestent Robespierre qui pour eux est un dictateur qui a sur la conscience la mort de Danton et d'Hébert précisément. Ils sont pour les actions révolutionnaires fortes, violentes, mais pas pour un appareil d'Etat oppresseur. Ceci dit, il ne faudrait pas écarter l'idée d'un jacobinisme minimal pour autant sans examen approfondi. S'il y a quelques pôles pour orienter les pensées des communeux, il faut étudier les personnages au cas par cas, voire comment chacun fait son alchimie. Il sera loisible de faire parler les écrits de Rimbaud lui-même, mais il y a encore une enquête à conduire. Derrière Andrieu, il y a encore des figures à mieux connaître : Varlin, Lefrançais, etc.
Maintenant, quand Rimbaud a-t-il viré de bord politiquement ?
Bien qu'il fût proche de Paterne Berrichon et Isabelle Rimbaud, et malgré ses propres écrits sur la religion, Delahaye a quand même fixé un portrait d'un Rimbaud communard et athée. Il est assez fiable dans les grandes lignes à ce sujet, même si comme tous il l'interprète là où il n'est plus strictement le rapporteur d'un fait simple dont il peut témoigner.
Delahaye a connu Rimbaud au cours de l'année scolaire 1866-1867. Rimbaud était alors respectueux de la religion, un véritable petit cagot.
C'est ici qu'il faut se faire rencontrer deux fils. D'un côté, nous savons que Rimbaud a envoyé une épître en vers latins au Prince Impérial pour sa communion en mai 1868, et que cela s'est mal terminé pour Arthur. Pouvait-il s'agir d'un acte frondeur ? Drôle de façon que de manifester son hostilité à l'Empire que de le dire sous pli cacheté pour ainsi dire au fils de l'empereur lui-même ! Cet événement marquant pose problème. Rimbaud a-t-il cherché à s'attirer la bienveillance du Prince Impérial et n'aurait-il pas tenu un discours adéquat ? Dans ses "Souvenirs familiers", Delahaye prétend que Rimbaud n'avait encore que "treize ans", quand en 1868, il lui aurait confié que "Napoléon III mérite les galères". Cela a l'air d'une révélation pour Delahaye qui connaît pourtant les frères Rimbaud depuis l'année 1866-1867. En même temps, si ce mot est exact, Rimbaud l'a-t-il dit avant mai 1868, ce qui laisserait entendre que son "épître" était une attaque complètement folle, ou l'a-t-il dit soit dans la fin de l'année en cours en mai, juin ou juillet 1868, soit, mais le témoignage revendiquerait une précision étonnante, en septembre ou octobre de la suivante année scolaire, avant donc que Rimbaud n'ait quatorze ans. Je suis tenté de penser que le "Napoléon III mérite les galères" est à mettre dans la suite de l'incident de l'épître en mai 1868.
N'oublions pas que Delahaye prétend avoir connu initialement un Rimbaud cagot et qu'il a eu peu de temps pour mesurer cela de la toute fin de 1866, sinon du début 1867 à l'année 1868. Selon toute vraisemblance, le revirement s'est joué précisément à treize ans dans la première moitié de l'année 1868, et il serait étonnant que l'événement de l'épître n'ait pas eu un rôle dans cette évolution soudaine.
Songeons que les poèmes en vers latins qui nous sont parvenus sont postérieurs à l'événement de l'épître. Ici intervient un problème particulier. Alors que les lectures obscènes, sans être complètement niées, évacuées, ont été ramenées à des principes d'analyse plus raisonnables dans le cas des poèmes en vers français, la langue latine permettrait de mieux accepter des jeux du même acabit dans des productions scolaires. Alors qu'aujourd'hui plus personne, ou peu s'en faut, ne songe à identifier sexuellement l'expression "un pied près de mon coeur" dans "Ma Bohême", la scie du Jésus-Christ charpentier serait l'occasion, en latin, d'équivoques sur la masturbation. Cela me paraît bizarre comme évolution générale des études rimbaldiennes, mais je ne suis pas spécialiste des vers latins. Cependant, au plan politique, c'est surtout "Jugurtha" qui nous intéresse. Il s'agirait d'un poème subversif. En réalité, quand on lit ce poème, moyennant une traduction en français, et c'est de toute façon son discours de façade, nous avons affaire à une glorification de la France impériale : le nouveau Jugurtha dont la France a triomphé est invité à se soumettre face à la promesse d'un bonheur en retour pour son peuple. A la limite, on peut considérer que le terrain est miné par des emboîtements volontairement maladroits dans le poème qui permettent d'ouvrir le raisonnement du lecteur à une remise en cause de l'hypocrisie du discours tenu, mais je parle bien de défauts d'enchâssements, de sujets laissés en suspens, alors que certains ont l'air de trouver dans "Jugurtha" une oeuvre subversive bien ficelée. Je ne trouve pas cela clair du tout. Je dirais juste que les trous du texte laissent planer l'idée d'un manque de sincérité du compositeur, laissent percer l'idée d'une froideur face à ce sujet.
Quand nous arrivons à l’œuvre en vers français, nous constatons que les devoirs scolaires sont réinvestis. A nouveau, le poème "Les Etrennes des orphelins" est l'objet d'une étrange lecture subversive à l'heure actuelle. Rimbaud ironiserait sur un intérieur bourgeois selon Steve Murphy, et selon d'autres le dernier vers serait subversif, car il développe une idée grinçante. L'idée grinçante n'est rien d'autre qu'un mauvais jour des étrennes, car la mère des enfants est morte. Il s'agit d'exciter le pathos avec un poème malheureux, ce qui est tout à fait banal et n'a par la force des choses rien de subversif. Qui plus est, il n'y a aucune mise en relief satirique d'un intérieur bourgeois et, enfin, ceux qui ont publié le poème l'ont bien compris que les "médaillons" sinistres trompaient l'imagination des enfants en attente de leur mère, ils l'ont bien compris le pathos du dernier vers. J'y ajouterais que le poème s'intitulant "Les Etrennes des orphelins", il ne faut pas considérer que finalement il y a absence d'étrennes, puisque les derniers mots sont le texte en or : "A notre mère".
En revanche, ce qui est hautement politique, c'est le fait qu'après avoir étudié Lucrèce en classe Rimbaud ait réexploité cela quelque peu dans ses poèmes et surtout, en s'éloignant de Lucrèce, il a développé une pensée sensuelle de la Nature en la divinisant contre l'Eglise. Avoir accès à la pensée de Démocrite et d'Epicure, c'est déjà une bombe révolutionnaire. Au dix-neuvième siècle, l'Eglise prétend reprendre la main et les sensations sont envisagées comme une honte. Rimabud a eu une éducation paysanne chrétienne qui l'a marqué, et "Sensation" ou "Credo in unam" sont l'expression de la révolte qui va occuper toute la vie poétique de Rimbaud. Pour les français, la religion est depuis longtemps morte, et même si les français sont par la force des choses un public privilégié des poèmes de Rimbaud il est possible que ce peuple qui a connu les changements de moeurs des années soixante et qui a depuis longtemps un rapport décomplexé à la religion ne soit pas à même de ressentir pleinement l'urgence du discours rimbaldien. Rimbaud a dû beaucoup impressionner les américains qui l'ont lu dans les années soixante, à une époque où le fait religieux était encore très présent dans l'Amérique puritaine, alors que même avant mai 68 la France était moins sensible à ce sujet.
Rimbaud est toujours d'actualité, mais une partie de son combat appartient au passé, et peut-être que les études sur l'auteur ont négligé ce trait essentiel qui ne leur parlait plus tant. "Credo in unam" n'aurait pas dû être désacralisé par la critique rimbaldienne et traité de centon, de rond d'essai. Conscient que je touchais là quelque chose de juste, un de mes amis a publié un article déterminant sur "Credo in unam / Soleil et chair" dans la revue Parade sauvage, où il s'est attaché à souligner le réemploi habile de mythes platoniciens, du dualisme des Idées et du monde sensible dans un dialogue tel que Phèdre, la référence au dualisme platonicienne est assez explicite et prégnant, sans qu'il ne soit nécessaire d'exagérer le bagage philosophique de Rimbaud à cette époque-là. Il réexploite un mythe, pas de la pensée philosophique pure et dure. Ces évocations platoniciennes étaient très présentes dans les poèmes en vers notamment de Lamartine et Leconte de Lisle. Une prochaine mise au point de ma part à ce sujet était signalée comme à venir, et il est vrai que ça attend toujours. Comme cette étude le signifiait, attention toutefois à ne pas s'enferrer à tort dans l'idée d'une filiation avec la pensée de Lucrèce. Songeons que "Credo in unam" et la première version de "Sensation" font partie de la première lettre à Banville de mai 1870, et que leur tient compagnie un autre poème d'engagement romantique absolu "Ophélie" qui n'est pas sans horizon politique discret: "âpre liberté", "Liberté" et allusions à Victor Hugo, l'exilé.
L'oeuvre de Rimbaud en français est d'emblée politique, mais pas au sens d'une confrontation immédiate à l'actualité. La satire politique est présente dans "A la Musique", "Vénus Anadyomène" et la satire sociale dans "Les Reparties de Nina", mais le resserrement sur l'actualité politique va se jouer avec d'un côté "Le Forgeron" et de l'autre les sonnets sur la guerre franco-prussienne.
Pour "Le Forgeron", je suis en train de monter petit à petit un dossier sur les grèves, et cela rejoindra l'idée d'une sensibilité pré-communarde, comme le dit très justement Steve Murphy. Nous rencontrerons des personnages qui furent importants sous la Commune d'ailleurs. Le poème "Le Forgeron" est un poème qui pose politiquement Rimbaud, un travail ultérieur est donc bien prévu à ce sujet.
Quant aux six poèmes sur la guerre franco-prussienne, ils sont traités dans une série en cours que je reprendrai en octobre. Sur un poème tel que "Morts de Quatre-vingt-douze...", il y a beaucoup de choses à dire politiquement, le poème gagne à être maximalement contextualisé. J'ai des extraits de l'histoire de la Commune de Lissagaray à citer, mais aussi des cadrages historiques à effectuer. La déclaration de guerre est allée très vite. Le 19 juillet, le public n'est alerté sur les risques de guerre que depuis à peine deux semaines, et encore ! Nous connaissons tous les cris "A Berlin !" à la fin du roman Nana de Zola, mais je ne crois pas inutile de se poser la question si l'engouement populaire a précédé le 19 juillet ou lui a fait suite. Les allusions à "La Marseillaise" relevées par Cornulier dans le sonnet "Morts de Quatre-vingt-douze..." coïncident avec des faits troublants : la Marseillaise est de nouveau autorisée, à tel point que Rochefort interrompt la publication de son journal de ce nom pour ne pas se confondre au discours ambiant. Tout de suite, cela rend moins anodins les quatorze vers de Rimbaud.
Le poème "Le Dormeur du Val" appelle un inévitable avertissement. Lu comme un poème pacifiste, il est en réalité daté d'octobre 1870, à une époque où Rimbaud adhère au discours de la "guerre à outrance" pour défendre la République. Ce que je remarque, c'est que "Le Dormeur du Val" et "Les Etrennes des orphelins" ont une identité prodonde de conception. Dans les deux cas, nous comprenons qu'il est question d'un deuil, une mère morte, un soldat mort, mais dans les deux cas cette mort n'est pas dite avant que le dernier vers ne fasse entendre explicitement la présence du corps mort. Mais, ces deux écrits sont des poèmes, et je trouve assez dommage que les lecteurs se contentent de lire ces deux poèmes comme de longues suites d'euphémismes avant un aveu final. En réalité, la mort n'est dite explicitement qu'une fois qu'elle est vaincue. Dans "Les Etrennes des orphelins", un ange a réjoui les enfants dans leur berceau, tandis que les trois derniers mots expriment un don à un être bien-aimé, ce qui culturellement signifie une négation de la mort, et dans "Le Dormeur du Val", c'est le soleil et la Nature qui s'occupent de recréer le bien-être jusqu'à une image frappante "Il dort dans le soleil" qui donne la vision d'une résurrection à la façon du phénix.
D'autres poèmes politiques ponctuent l'année 1870 : "Les Effarés", "Roman" ou "Ma bohême", mais "Credo in unam", "Le Forgeron" et les six sonnets sur la guerre franco-prussienne sont sans doute avec "Ma bohême" et "Les Reparites de Nina", les pièces maîtresses pour apprécier le devenir politique du poète.
En 1871 a eu lieu la Commune, des poèmes rimbaldiens lui seront consacrés, tandis qu'en 1873 le livre Une saison en enfer s'éloigne des préoccupations communardes pour une grande mise au point sur la religion qui implique un dépassement de l'alternative vie du festin / vie de damné, mais dans le sujet vient s'immiscer la réflexion sur la vocation poétique, réflexion non explicitement posée dans le début du livre Une saison en enfer : elle jaillit soudain sur le devant de la scène pour ne plus guère la quitter, et son importance cruciale est à observer de près dans "Alchimie du verbe" et "Adieu". Quant à "Vierge folle", le débat s'il s'agit ou non de Verlaine est restrictif, tant cette "Vierge folle" est à relier au situation d'amour au début et à la fin de l'ouvrage : "beauté" assise sur les genoux du poète et honte des couples menteurs.
Au plan politique, sans vouloir tout citer, il reste alors deux massifs qui peuvent poser des difficultés encore importantes : l'ensemble des poèmes en vers irréguliers de 1872, sur lequel je ne vais rien dire présentement, et l'ensemble des poèmes en prose, sur lequel je reviendrai ultérieurement, mais j'ai juste envie de laisser une idée comme une sonde à propre de Veillées. Normalement, les "veillées", titre d'un ouvrage de madame de Genlis n'implique-t-il pas l'idée de récits édifiants, de récits aux enfants pour leur inculquer une morale ? Le contenu des "veillées" ne justifie pas un tel rapprochement, mais le titre seul ne suffit-il pas pour envisager une telle idée de mise en tension ?
Ce sera tout pour cette esquisse qui me semble déjà fixer pas mal de choses.
Le lecteur de n'importe quelle biographie (et même le lecteur de n'importe quelle autobiographie) connaît les limites de l'exercice : nous ne connaîtrons jamais le personnage principal.
RépondreSupprimerLe capitaliste-de-son-espèce peut-il nous quelque chose sur l'apprenant Arthur Rimbaud d'autrefois ? Aborderez vous cet aspect dans une prochaine esquisse du Rimbaud politique ?
Pourquoi Verlaine l'appelle t-il Homais ?
Est-il loufoque, pour la suite de l'histoire, de tenter de faire un tableau des idées politiques du pharmacien : Monsieur Homais ?
Votre message n'est pas clair (la deuxième question). Le "nous ne connaîtrons jamais le personnage" y compris soi-même, votre premier paragraphe dit une évidence, mais l'emploi est ici absurde, on ne se situe pas et ne prétend pas se situer à un tel degré de la connaissance intime dans nos analyses. Votre première gage que la pensée politique de celui qui analyse interfère suffisamment que pour ne pas réellement pouvoir dire quelque chose sur les convictions d'une personne en évolution. C'est là encore confondre les niveaux d'analyse. Pourquoi travaillerais-je sur cet "aspect", voulez-vous dire que je dois faire un petit moment philo ? Je vous préviens je trouve SDhifter ou Schifter assez superficiel et mondain. On ne prétend pas arriver à quelque chose d'ultime. Pour "Homais" oui on peut avoir deux réponses détaillées pour vos deux questions.
SupprimerLe début de mon article signifiait que le travail sur le Rimbaud ne doit pas être partisan, car l'interprétation du Rimbaud politique vivra de sa vie propre, mais il convient de fixer ce que peut l'être et c'est le travail du chercheur qui a le souci de l'objectivité.
SupprimerPour ce qui est de la digression sur Hamon, Mélenchon et Macron, vous n'êtes pas sans savoir que la France va encore plus gaiement dans le mur avec un président qui a écrit un livre intitulé "Révolution", détournement qui me rappelle une pub des années 90 sur les débuts d'internet avec le Che, Lénine, etc., émerveillés par le projet qui leur échappe... Moi, j'ai acheté le livre en pensant qu'il se guillotinait lui-même à la fin, j'ai été déçu. Hamon a dit lui qu'il savait ce qu'était un versaillais et ce qu'était un communard, mais la liberté du peuple de l'est de l'Ukraine à l'autodétermination, il la nie. Mélenchon, c'est un beau parleur qui fait de la politique politicienne, il y a plus de trente ans qu'il est là, il n'a jamais rien fait et on peut en savoir un paquet sur lui. J'ai plus de sympathie pour une partie de l'électorat de Mélenchon que pour les électeurs du PS et d'En marche, mais j'ai les yeux en face du trou et je ne supporte pas Mélenchon, ni ce qu'il annonce, ni son projet de VIème République, ni ce qu'il envisage comme bras de fer autoritaire en Europe. Remarquez qu'il aime Robespierre, à la différence des blanquistes. Hamon et Mélenchon jouent avec des références du passé, c'est pour cela que je n'hésite pas à dire qu'en réalité ils sont dans la politique politicienne des trois "Jules".
Enfin, vous n'êtes pas sans savoir que l'anarchisme comme une pensée prégnante dans la population est en plein redémarrage. Il n'existait plus qu'à l'état d'îlots depuis peut-être le tout début du vingtième siècle. Bref, une étude politique sur Rimbaud concerne notre monde actuel dans tous les cas.
Mais, ce n'est pas vous qui deviez écrire cet été un article sur "Poison perdu" ? Ou bien c'était scalpel ?
Vous agréerez ce petit présent, il s'agit d'un sonnet d'Henri Cantel du recueil de 1860 Amous et Priapées, auquel Verlaine et surtout Rimbaud ont fait un paquet d'emprunts pour composer ce "Sonnet du Trou du Cul" qui concentrait déjà plusieurs réécritures du recueil L'Idole de Mérat. Je le mets dans une troisième réponse pour le détacher.
Ecce homo C'est le titre... C'est un sonnet d'un romantique devenu disciple de Baudelaire... C'est... Enfin, bref, sachez qu'il n'a mis que cinq minutes à l'écrire.
SupprimerParfois, l'homme d'esprit, comme un roi sans couronne,
Vers un lointain exil et des cieux inconnus,
S'enfuit, la chair docile aux conseils de Vénus,
Flot rouge et débordé, se révolte et frissonne.
Alors les désirs fous, meute qu'on emprisonne,
Montrent leurs yeux ardents et tordent leurs bras nus ;
Hors du cercle où l'esprit les avait contenus,
Ils brûlent tout, pareils à la mort qui moissonne.
L'homme et la femme, las de leur accouplement,
Vont cueillir au hasard les voluptés de Rome
Et les lubricités où se berça Sodome.
Priape, demi-dieu de l'abrutissement,
Lève son fier phallus vers le bleu firmament :
Et s'écrie : - "A genoux ! adorez ! voici l'homme !"
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Pour le Sonnet du Trou du Cul, un article papier va en rendre compte. Verlaine (quatrains) et Rimbaud (tercets) se sont tous deux inspirés du "Clitoris", de "Ephèbe III" dans "Hermaphrodite" et de "Odor di femina", après s'il y a des trucs plus suggestifs Rimbaud s'est pour sa part dans ses tercets inspiré d'une ribambelle de poèmes à cause d'une idée récurrentes, de mots répétés, et de rimes en "-ine" rapprochées entre deux sonnets : "câline", "féminine", Rimbaud ne conservant du second mot que le masculin : "câline", "praline", "féminin" dans son ultime tercet (il reprend cela à "Coquetterie nocturne" et "Les Cheveux de la femme").
Lisez "A l'amour", le "Prologue" et l' "Epilogue", "Dévotion", "Aline", "Volupté", "Les Cheveux de la femme", "Coquetterie nocturne", "Les Lèvres", et j'en passe.
Remarquez quelques césures, deux sur pronom relatif "où" (Arcaes ambo, Eve et Satan) et aussi la césure maladroite exprès savoureuse du "Prologue".
Repérez les jeux formels sur les rimes, la distribution des quatrains et des tercets, le poème "Conseil" ou le poème "Le Baiser".
Le poème "A une danseuse" a inspiré un poème saturnien visiblement, lequel ?
Bref, l'apprenant Rimbaud, malgré les limites, on peut aller assez loin pour explorer les origines de ce qu'il écrit.
Ecoutez les rimes du sonnet que je vous ai transcrit surtout. Ecoutez leur rythme.
Juste, j'oubliais l'allusion au poème de Victor Hugo de La Légende des siècles et le frontispice faunesque de Félicien Rops à l'édition 69 du recueil de Cantel, frontispice qu'on peut aussi trouver sur internet.
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