jeudi 21 septembre 2017

Qu'avez-vous compris à la parodie du "Sonnet du Trou du Cul" ? Un peu de Mérat et Cantel dans une parodie au carré !



Avertissement : cette partie de notre article "Sur les contributions de Rimbaud dans l'Album zutique", pour les actes du coloque qui s'est tenu en mars 2017 est trop longue. Nous décidons d'en faire profiter le blog, l'article en cours étant du coup à remodeler.

En revanche, Mérat a bien fait partie du cercle, même s’il n’a pas contribué à l’Album. Il est plusieurs fois évoqué par ses comparses moqueurs (sonnet liminaire « Propos du Cercle », quatrain « Autres propos du cercle », dessins du recto du feuillet 16 non paginé et dessin du recto du feuillet 19 avec le phylactère : « Il ne faut pas que Verlaine prenne de haschisch ! »). Enfin, un sonnet de Cabaner « Mérat à sa muse » au recto du feuillet 7 ironise sur son silence poétique après la guerre, ce qui permet d’expliquer quelque peu son absence d’interventions zutiques sur les feuillets manuscrits. Mérat détonait-il politiquement parmi les zutistes ? Dans sa lettre à Émile Blémont du 13 juillet, Verlaine l’assimile à un « franc-fileur » parce qu’il avait quitté son poste et fui Paris au début de la guerre. Mais cela ne contribue pas à confondre Mérat avec les « francs-fileurs » du 18 mars qui quittèrent Paris suite à l’échec de la prise des canons par l’armée sur la butte montmartroise. Mérat fut même présent à Paris sous la Commune, puisqu’il était revenu en mars.  Verlaine ne présente pas du tout Mérat comme hostile à la Commune quand il écrit à Valade le 14 juillet 1871 : « Félicitations à Mérat. Je baise sa botte de futur ministre de la guerre… près la future délégation de Bordel, et le prie d’agréer l’assurance de mon plat respect. » Verlaine réagit à des propos de Mérat qui lui ont été rapportés, mais il se contente de l’assimiler à un lâche et à un opportuniste voué à être blagué régulièrement. Dans l’avant-propos de Lucien Descaves au récit Mes Cahiers rouges, Souvenirs de la Commune, Mérat est cité parmi les amis dans les années 1860 du journaliste et futur communard Maxime Vuillaume. Ainsi, quand Verlaine et Rimbaud composent à deux le Sonnet du Trou du Cul, Mérat est à leurs yeux un des poètes les plus reconnus de la jeune génération parnassienne, mais pas pour autant un ennemi politique. En revanche, lors du siège prussien, il est vrai que les révolutionnaires et les républicains favorables à l’effort de guerre dénonçaient les hommes qui avaient quitté la capitale sans raison valable, par lâcheté, et réclamaient des sanctions contre ces comportements peu patriotes. Surtout, pour conclure sur le conflit qui a fini par éclater avec l’auteur des Chimères, Rimbaud n’était à Paris que depuis un mois et il est peu probable que le « Sonnet du Trou du Cul » ait été d’emblée un moyen de représailles contre des remarques peu amènes de Mérat à propos de son homosexualité. Au contraire, le sonnet parodique a contribué sans aucun doute à précipiter les réactions hostiles de Mérat. Il faut se garder de prêter au « Sonnet du Trou du Cul » une portée polémique fondée sur une analyse des relations ultérieures entre Mérat, Verlaine et Rimbaud. Ce qui domine, c’est la reprise d’un projet parodique de 1869. Verlaine avait-il déjà osé un blason de l’anus dans l’Album des Vilains Bonshommes ? C’est ce que nous ne pourrons jamais savoir. En revanche, sa naissante relation homosexuelle avec Rimbaud lui donne l’occasion d’un blason ambigu où l’homosexualité le dispute au scandale que cause la louange de la partie du corps considérée comme la plus sulfureuse.
Il existe des études poussées, notamment de Steve Murphy et Philippe Rocher, sur le Sonnet du Trou du Cul qui livrent le détail de maints emprunts aux divers sonnets du recueil L’Idole d’Albert Mérat[1]. Toutefois, nous allons jeter notre propre lumière sur cette question. Nous avons cité plus haut une lettre de Verlaine à François Coppée datée du 18 avril 1869 où nous apprenons et la nouveauté de l’Album des Vilains Bonshommes et la publication imminente du recueil L’Idole. L’achevé d’imprimer sur le recueil mentionne le 20 avril, ce qui nous reporte deux jours après seulement. Nous pressentons, mais sans pouvoir rien étayer, que ce monument obscène était enrichi d’imitations cruelles du recueil L’Idole, ce qu’invite à penser l’enchaînement des propos de Verlaine qui va de l’Album manuscrit inauguré chez les Vilains Bonshommes au nouveau recueil de Mérat en cours de publication. Il n’est que trop visible que l’humour du premier livre doit retomber sur le second. Dans sa lettre, Verlaine parle précisément des manques dont se plaint Mérat, du rire amusé de Valade, et nous pouvons même nous demander si Mérat n’a jamais écrit quelque part des blasons moins chastes des fesses et du sexe de la femme, puisque la censure l’a incité à une certaine modération, dont, avec une maladresse à l’évidence sincère, il se plaint exagérément dans son recueil même, l’ « Epilogue » continuant la lamentation des deux poèmes aux titres eux-mêmes censurés : « Avant-dernier sonnet » et « Dernier sonnet » qui traitent respectivement des fesses et du sexe de la femme. Or, pour ce qui concerne le « Sonnet du Trou du Cul », Murphy a révélé une source d’emprunts avec le recueil d’Henri Cantel Amours et Priapées, sans en mesurer pleinement l’importance. Le recueil a été publié pour la première fois en 1860 et un de ses sonnets « A une danseuse » semble une source à l’un des Poëmes saturniens, celui qui s’intitule « Marco ». Henri Cantel, poète peu important sauf pour ce recueil érotique, était un disciple de son contemporain Charles Baudelaire. Sa versification intègre modérément la nouveauté des enjambements romantiques, mais il s’empare assez précocement des mots d’une syllabe coincés à la césure ou en rejet : deux fois le pronom relatif « où » (« Arcades ambo », v. 5, « Eve et Satan » v. 2), un rejet de l’adjectif « frais » dans toutefois une structure dont l’enjambement était déjà toléré chez les classiques (« La Stérilité », v. 3), un relief osé, quoiqu’acceptable pour un classique, devant la césure du verbe « dit » après une voyelle féminine (« L’Orage » v. 1), et un faux trimètre (à cause de la terminaison « -ent » à la 4ème syllabe) avec rejet de l’adjectif « fixes » (« Arcades ambo », v. 1). Peu harmonieuse, mais il s’agit d’un effet maladroit tout exprès, la césure qui permet le rejet du pronom « je » en emploi enclitique au vers 9 du Prologue a le mérite de l’autodérision et n’a pas dû échapper à Verlaine et Rimbaud, césure sur laquelle nous reviendrons en toute fin d’article :
Chers poëtes, que n’ai-je la force et la grâce
Dont vous avez tressé vos poëmes en fleurs !
De loin, d’un pied boiteux, j’ai suivi votre trace.
La prosodie plutôt agréable du recueil vient de procédés formulaires éprouvés, mais lorsqu’il s’en éloigne le poète est maladroit, heurté, peu fluide. Il ne souffrira pas la comparaison avec l’aisance d’Albert Mérat qui a un souffle de poète. En revanche, l’édition originale de 1860 était sans aucun doute étonnante pour la forme des sonnets. Catulle Mendès n’a pas encore publié Philoméla, ni Léon Valade et Albert Mérat, justement !, leur volume anonyme Avril, mai, juin, tandis que Charles Baudelaire n’a encore publié que la version des Fleurs du Mal de 1857, celle qui fut victime d’un procès, sans oublier que bien des vers furent encore retouchés par la suite. Disciple de Baudelaire, Henri Cantel a eu des audaces auxquelles le public n’était guère préparé. Il faut recenser ses excentricités dans la forme : clôture du recueil par deux sonnets inversés « La Robe » et « Epilogue », des rimes plates dans les quatrains du poème de lancement « A l’Amour » qui vient après le « Prologue », une distribution dès 1860 des tercets entre les deux quatrains dans « Le Clitoris », un sonnet « Les Roses » avec une rime par quatrain une rime par tercet, un sonnet en vers courts de quatre syllabes « Le Baiser », des sonnets combinant deux mesures « Sagesse », « A une vierge de seize ans », « Diogène » et surtout « Conseil » avec, face aux octosyllabes, ses vers de deux syllabes dont deux qui riment en « âme » et en « femme », avec donc un titre et une hétérométrie qui font songer au poème zutique de Charles Cros « Conseil à une moumouche ». Enfin, certains sonnets forment des séries flanquées de chiffres romains avec des intrigues entre amants, ce sont des modèles évidents du recueil Les Amies de Verlaine (série « Hermaphrodite » : I « Invocation », II « Vierge », III « Ephèbe », série « La Louve » : I « Léona », II « Aline », III « Volupté », série « L’Eunuque blanc » : I « Négresse », II « Le Bosphore »). Or, si Verlaine a publié son recueil sous le manteau Les Amies en 1867 chez Poulet-Malassis à Bruxelles, le recueil Amours et Priapées a paru grâce au même éditeur et celui-ci a donc réédité le recueil sulfureux d’Henri Cantel en 1869 avec un frontispice « faunesque » de Félicien Rops. L’information est essentielle. La publication du recueil Les Amies semble avoir entraîné la réédition comparse d’Amours et Priapées et, cerise sur le gâteau, cette réédition se fait la même année que la parution du recueil d’Albert Mérat L’Idole chez Alphonse Lemerre. Est-ce innocent ? Nous ne le croyons guère, puisque le recueil de Mérat a en commun avec celui de Cantel de présenter une suite de sonnets entre un sonnet « Prologue » et un sonnet « Epilogue ». Les premiers vers du « Prologue » de Mérat semblent même s’inspirer directement des deux premiers du « Prologue » d’Amours et Priapées :
Ovide et Jean Second, Martial et Pétrone,
Maîtres en l’art d’aimer, qu’on relira toujours, […] (Cantel)
Le vieux maître excellent de l’école lombarde
N’a certes pas créé ses tableaux d’un seul jet […] (Mérat)
Une grande différence de traitement sépare les deux poètes, l’un est obscène, provocant, l’autre est galant, classieux. Un exemple illustre très bien ce fait. L’emploi de termes liés à la religion chez Mérat relève de l’hommage, quand il est question de blasphèmes chez Cantel. Cette différence de traitement établit une distance entre les latitudes de Poulet-Malassis et les normes plus strictes de l’éditeur attitré des Parnassiens. Enfin, alors que les sonnets de Mérat ont la réserve de blasons du corps féminin, le recueil de Cantel décrit à plusieurs reprises divers actes sexuels. Et il faut dès lors mesurer que Verlaine et Rimbaud ont composé un « Sonnet du Trou du Cul » comme acte fondateur du nouvel Album zutique, sans aucun doute parce que Verlaine, Mérat, Valade et quelques autres savaient pertinemment qu’il en avait été question lors du lancement de l’Album des Vilains Bonshommes, et surtout qu’ils ont composé d’emblée et expressément une parodie double. Le projet d’écriture impliquait des emprunts et au recueil d’Albert Mérat et au recueil d’Henri Cantel. Le sonnet n’était pas une parodie de Mérat où aléatoirement venaient se mêler des citations subreptices du recueil obscène d’Henri Cantel. N’ayant pas envisagé cette hypothèse, Steve Murphy et Philippe Rocher s’en sont tenus aux liens avec le sonnet « Ephèbe » apparemment du recueil Amours et Priapées, sans voir qu’il y avait peut-être presque autant d’emprunts à ce volume qu’à la cible déclarée qu’était L’Idole.
De ce livre de Mérat, nos deux poètes ont surtout retenu la succession des quatre pièces finales : « Le Sonnet des épaules », « Avant-dernier sonnet », « Dernier sonnet » et « Epilogue », sans négliger une allusion aux tercets du « Prologue ». Du « Sonnet des épaules », Verlaine a repris la rime externe des quatrains en « -ousses » pour l’adapter en rime interne au singulier. Il a conservé les mots « mousse(s) », « douce(s) » et « rousse(s) ». Seule la mention « secousses » est remplacée par « repousse ». A « inflexions plus douces » correspond « fuite douce », aux deux premiers vers verlainiens : « Obcur et froncé […] parmi la mousse », correspondent, très partiellement il est vrai, les deux pointes du vers : « Une ombre d’or que font des duvets et des mousses ! » « Obscur » fait quelque peu écho à « ombre d’or ». L’expression : « tresses rousses », cède la place à de « petits caillots de marne rousse ». De l’ « avant-dernier sonnet », où la mention « Callipyge » nous informe dès le second vers qu’il est question des « fesses », le second quatrain n’est pas l’objet de reprises textuelles, mais il importe de le lire en regard de la plaisanterie qu’est le « Sonnet du Trou du Cul » pour bien apprécier tout le sel de la parodie.
Je ne crois pas aux sots faussement ingénus
A qui l’éclat du beau fait baisser la paupière ;
Je veux voir et nommer la forme tout entière
Qui n’a point de détails honteux ou mal venus.
Il y a bien quelques emprunts au sonnet cependant. L’exclamation « ô blancheurs » justifie la qualification « Fesses blanches » de la part de Verlaine, la transcription zutique rimbaldienne ayant à cœur de flanquer une majuscule au mot censuré qui n’a pas pu figurer en titre : « Le Sonnet des fesses ». Le vers 3 a été au centre de l’attention : « Ils aimaient, par amour de la grande matière », puisque Verlaine a repris le mot « amour », mais au sens physique, en le plaçant lui aussi au troisième vers du sonnet. Cette reprise était justifiée par l’abus des reprises : « aimaient », « amour », « amoureuse ». Pour sa part, Rimbaud a repris le mot « matière » en un sens plus trivial : « Mon âme, du coït matériel jalouse, » sachant qu’il ménageait par la même occasion une allusion ironique minimale aux messages des tercets du « Prologue » et des tercets de l’ « Epilogue » avec les deux autres mentions clefs du mot « matière » dans le recueil :

A l’exemple du peintre insigne, je voudrais
Saisir tous les accents et rendre tous les traits
De la Femme, en laissant chacun une œuvre entière

Et, rattachant le tout d’un plastique lien,
Composer dans la forme, honneur de la matière,
Une grande figure au front olympien. (« Prologue »)

Pourtant j’aurais voulu te dresser toute nue,
Blanche création de la force inconnue,
Dans le rayonnement de ta réalité ;

Et j’aurais simplement montré du doigt ta forme
Dépassant, par le seul effet de la beauté,
Les efforts monstrueux de la matière énorme. (« Epilogue »)
De manière plus diffuse, les deux derniers vers de cet « Avant-dernier sonnet » sont réécrits également par Verlaine dans les quatrains, par Rimbaud dans les tercets.
L’amoureuse nature a, d’un divin baiser,
Sur votre neige aussi mis deux fossettes d’ambre. (Mérat)
Il respire, humblement tapi parmi la mousse
Humide encor d’amour […] (Verlaine)
Mon Rêve s’aboucha souvent à sa ventouse ;
Mon âme, du coït matériel jalouse,
En fit son larmier fauve et son nid de sanglots. (Rimbaud)
Le « Dernier sonnet » doit à son tour être lu pour apprécier le sel de la plaisanterie. Il s’agit d’un sonnet du sexe de la femme, mais Mérat en élude, de manière forcée, la description en se plaignant de l’interdiction de traiter à part égale un quelconque des charmes féminins. Mérat suggère la forme corporelle par l’idée d’un regard porté sur un voile, en déclarant trouver là « une invention de Vénus impudique ». Enfin, Verlaine s’est inspiré des vers 10-11 du premier tercet et de la mention « contours blancs » à la rime du vers 13 pour composer la fin de son premier quatrain :
Au lieu du nu superbe, un pli de draperie
Dérobera la fuite adorable des flancs ; (Mérat)
Il respire, humblement tapi parmi la mousse
Humide encor d’amour qui suit la fuite douce
Des Fesses blanches jusqu’au cœur de son ourlet. (Verlaine)
Les emprunts à d’autres pièces du recueil sont si pas plus dilués, plus disséminés. La rime externe en « -et » des quatrains (« violet », « ourlet », « lait », « appelait ») est reprise à la rime externe du « Sonnet du cou » (« lait », « filet », « voulait », « complet »), avec réemploi du nom « lait », même choix d’une terminaison d’indicatif imparfait à la rime (« voulait » contre la relative qui fait contraste au niveau du sens « où la pente les appelait », au demeurant chef-d’œuvre d’expression de la part de Verlaine), et sentiment d’une correspondance fine de « filet » à « ourlet ». La fin du sonnet retient l’attention avec « le doux souffle de l’âme » personnifié quelque peu dans le « Sonnet du Trou du Cul » et, de la rime « se pâme » :: « âme », Rimbaud a repris l’idée de voisinage de mots au rapprochement conforté par une séquence orthographique similaire : « Mon âme » et « l’olive pâmée ». En revanche, le mot « ourlet » lui-même figure dans le « Sonnet de l’oreille » qui précède immédiatement le blason « du cou » dans l’ordonnancement du recueil. Verlaine lui a repris le nom « ourlet » pour adapter sa rime riche en « -let », tandis que Rimbaud se serait inspiré des présentatifs introducteurs de métaphores soudaines :

C’est la volute et c’est la conque ; c’est la chair
Devenue arabesque avec son ourlet clair  (Mérat)
C’est l’olive pâmée, et la flûte câline ;
C’est le tube où descend la céleste praline :
Chanaan féminin dans les moiteurs enclos ! (Rimbaud)
Verlaine a songé également à une inversion de « clair » à « Obscur » dans son premier quatrain, comme l’a relevé Philippe Rocher. L’association de cet ourlet au mot « chair » chez Mérat a dû contribuer à l’intérêt que prirent Rimbaud et Verlaine à ce passage.
A la rime du dernier vers, le mot « enclos » choisi par Rimbaud est la reprise au masculin de la rime du vers 6 du « Sonnet de la jambe » qui fait le récit d’une immatérielle scène érotique : « Une invisible lèvre a touché la peau rose / Aux chevilles » et dès lors le « divin gonflement / De la chair semble un marbre où la sève est enclose. » La vision grecque antique est remplacée par une sulfureuse idée de la Terre promise : « Chanaan féminin dans les moiteurs enclos. »
Difficile de dire si Verlaine a choisi l’adverbe « humblement » comme inversion de la forme participiale « humiliant » du « Sonnet du pied » qui suit dans le recueil, mais Rimbaud semble avoir repris « enclos(e) » à la rime dans une pièce et « jaloux » tourné au féminin « jalouse » à la rime de la pièce qui suivait :
O petits pieds, trésor dont la beauté marie
La rose triomphale et claire au lys jaloux.
L’influence du blason du pied sur Rimbaud ne s’est pas arrêtée là, puisque « ma rêverie » devient « Mon Rêve », cependant que le premier tercet du « Sonnet du Trou du Cul » fait écho aux deux premiers vers du second quatrain dont nous venons d’extraire la citation des « petits pieds » :
J’étancherai, gardant tout mon désir pour vous,
La grande soif d’aimer qui n’est jamais tarie, / […]
Et avec l’occurrence « ma bouche », le dernier tercet du « Sonnet du pied », pièce très marquée par l’idée d’abaissement dans la prosternation, apparaît là encore comme une cible aux tercets de Rimbaud :
Peureux, lorsque ma lèvre amoureuse vous touche,
Je crois sentir trembler, au souffle de ma bouche,
Des oiseaux retenus captifs loin de l’azur.
Si Rimbaud s’est intéressé au « pied », Verlaine s’est penché sur les « mains » qui, comme dit Mérat, sont des « filets d’amour que tendent les maîtresses ». Ces mains « Prennent notre pensée et prennent notre cœur. » Dans les quatrains du « Sonnet des mains », Verlaine a trouvé de la matière pour composer les vers 5 et 6 de la parodie zutique, puisque nous avons une série de mots en commun : « lait », « pleuré » et « cruel ». Si « lait » implique un autre sonnet de Mérat, nous avons ici les uniques occurrences de « pleurs » et « cruelles » :
On ne peut pas savoir que les mains sont cruelles. (vers 2 du blason « des mains »)
Elles touchent nos yeux pour en tirer des pleurs. (vers 4 du même poème et même quatrain)
Le lait pur et la nacre ont formé leurs couleurs ; (vers 5 du même « sonnet »).
Les éléments empruntés sont plongés dans un contexte bien différent :
Des filaments pareils à des larmes de lait
Ont pleuré, sous le vent cruel qui les repousse, / […]
Verlaine signifie alors les suites de l’action sexuelle, en s’amusant à transposer l’usage encore pudique des mains cruelles au plan des flatulences après l’amour, point le plus scabreux du « Sonnet du Trou du Cul » qui est ainsi atteint non pas par Rimbaud mais par l’auteur des Fêtes galantes. Rimbaud fait écho à cette saisissante description verlainienne dans le premier tercet où « larmier » fait écho à « larme » et au plan du sens à « pleuré », mais les termes « larme » ou « larmier » sont absents du recueil de Mérat, ainsi que « sanglots », « vent » et « ventouse ». Verlaine méditait sans doute depuis bien plus longtemps que Rimbaud cette parodie. Il revendique la paternité des quatrains et ils sont en effet excellents, bien supérieurs aux six vers de Rimbaud dans l’ensemble. L’expression « Humide encor » impliquerait des renvois à d’autres poèmes de Petit et Glatigny, comme tend à le montrer la seconde étude de Philippe Rocher sur le sonnet zutique quasi inaugural, mais cela n’empêche pas d’effectuer un énième rapprochement au sein du recueil L’Idole. L’adjectif figure dans le « Sonnet de la bouche » et justifie encore une fois de parler de traitement parodique de la part des fieffés zutistes :
Je veux tarir ma soif à vos calices clairs ;
A votre humide bord irradié d’éclairs
Je boirai comme on boit à l’eau d’une fontaine.
Nous citons volontairement le tercet entier avec son amorce « Je veux tarir… » qui doit rappeler ce motif de la soif à étancher du « Sonnet du pied » et l’oxymore qu’il forme avec l’idée d’une « grande soif d’aimer » « jamais tarie ». Rimbaud a été sensible à de tels échos avant de composer son poème. Certes, plutôt que de traiter le motif de la soif, il a prolongé le motif mis en place par Verlaine de l’amant qui verse d’étranges larmes. Mais, nous avons mentionné tout à l’heure que l’expression « ma rêverie » du « Sonnet du pied » avait inspiré la réécriture « Mon Rêve ». Nous pourrions protester contre cette idée, puisque l’expression « mon rêve » figure telle quelle dans le recueil de Mérat de 1869. Elle figure justement dans le « Sonnet de la bouche » et elle figure encore dans le « Sonnet du nez ». Or, la mention « ma rêverie » se pare elle aussi d’un déterminant possessif de première personne. Rimbaud fut attentif à cela. La mention « rêve » apparaît dans d’autres pièces. Nous avons « le rêve » déchiré par les « petites dents aiguës » dans le « Sonnet des dents » avec un « amour » qui « Boit les baisers », ce qui conforte l’équivoque entre « rêve » et « bouche » à la source de l’hémistiche de Rimbaud : « Mon Rêve s’aboucha […] ». Notons que l’expression « bouche » revient plusieurs fois dans le volume mératien, souvent pour désigner la Femme, mais à quelques reprises nous avons le déterminant possessif qui introduit celle du poète lui-même. Dans le « Sonnet du pied », s’enchaînent « ma rêverie », « mon désir », « ma lèvre amoureuse » et « ma bouche » (abstraction faite de « mon front » ou « mes genoux »). Et ce poème est suivi par un « Sonnet de la nuque » où reviennent le « désir » sous la forme encore une fois d’un « souffle », l’expression telle quelle « ma bouche » et une image de pieuse adoration « mon oraison » qui a peut-être de loin en loin donné l’idée d’un titre de sonnet ultérieur à Rimbaud. Les lèvres remplissent alors leur fonction érotique à proximité à nouveau de la précieuse oreille. Mais nous n’avions pas cité toutes les mentions de « rêve », puisque si le « premier rêve d’amant » figure, de façon plus anecdotique, dans le « Sonnet du bras », une expression quelque peu baudelairienne, bien que mise à l’index dans un discours moral déconcertant, surgit dans le « Sonnet des seins » dont elle est d’ailleurs une rime :
Vous contenez l’esprit loin des rêves malsains,
Nobles rondeurs, effroi de la pudeur chagrine !
Ce poème comporte dans son second tercet une expression à possessif « ma lèvre » qui doit achever de convaincre que, sans doute en préparant les choses en commun, Rimbaud et Verlaine ont bien médité la construction du recueil du copain de Valade avant de perpétrer leur forfait.
Nous avons parcouru une belle carrière, il est temps de cesser de relever minutieusement tout lien entre le livre de Mérat et les quatorze vers qui le parodient. La mention prépositionnelle « à travers de » figure à une reprise dans le « Sonnet des dents » sans exclure la pertinence d’un rapprochement :
On entrevoit les dents découvertes à peine
Comme une aube à travers de frais rideaux grenat. (Mérat)
Des filaments pareils à des larmes de lait
Ont pleuré, sous le vent cruel qui les repousse,
A travers de petits caillots de marne rousse (Verlaine)[.]
La métaphore climatique de la parodie a des liens importants avec quantité d’images de la Nature manifestant ou la beauté de la femme ou son propre amour pour la beauté de la femme dans le recueil de Mérat.
Si nous poursuivons ce genre de recensement systématique, nous constatons que l’adjectif « petit » (variante « petites ») qualifie les dents, le nez et le pied en trois sonnets différents. La préposition « parmi » est fréquente sous la plume de Mérat et l’adjectif « pareil » a trois occurrences dans son recueil. Le mot « âme », important et déjà traité, figure dans plusieurs sonnets, lui aussi (du cou, des bras, des mains, si je ne m’abuse). A défaut de l’adjectif « céleste », le « ciel » est mentionné dans les sonnets « des Yeux » et « du pied ». L’idée de blancheur n’est pas que dans les dernières pièces. Si ce n’est que Philippe Rocher l’a déjà fait, nous aurions pu commenter la prosodie, la versification avec les césures ou les enjambements de vers à vers, ou bien encore travailler sur les comparaisons avec le mot « comme », ou bien sur les assimilations de parties du corps féminin à une fleur, ou bien sur l’idée du voile, du caché, etc. Toutefois, analysant la nature baudelairienne de la versification mératienne, ce qui est juste, à ceci près que les antériorités hugoliennes passent à la trappe, Philippe Rocher s’annonce déçu de ne pas avoir recensé une césure sur le mot « comme ». Mais elle ne manque pas, elle figure dans « Le Sonnet du front » :
Ton étroitesse est comme un abri délicat
(Car l’âme ne luit pas toute sous la paupière)
Cette césure est considérée par Steve Murphy et Philippe Rocher comme spécifiquement baudelairienne, ce que nous contestons. La césure sur « comme », reprise de la présence du mot à la rime au début des Tragiques d’Agrippa d’Aubigné, est une invention hugolienne qu’il a utilisée à quelques reprises dans ses vers de théâtre et qu’il a utilisé dans au moins un recueil poétique, dans le poème « Force des choses » des Châtiments. Toutes les césures audacieuses qu’on attribue à Baudelaire viennent toutes sans exception des modèles romantiques : Hugo et Musset. Baudelaire n’a rien inventé du tout en fait de césures. En revanche, il a devancé Hugo et tous les autres poètes dans le fait de répandre et systématiser ces procédés dans la poésie lyrique, et c’est pour cette raison que Verlaine, qui n’a pas dû lire très attentivement le théâtre en vers hugolien ou les premiers poèmes de Musset, attribuait, bien à tort, cette initiative à Baudelaire. Ce qui s’impose en même temps, c’est que le « comme » à la césure du premier vers du « Sonnet du Trou du Cul » est aussi une citation du recueil de Mérat.
Mais, trêve de digressions sur la versification et assez de relevés dans les écrits de Mérat. Ce que nous avons fait suffira pour ce qui est des rapprochements avec L’Idole. En revanche, d’autres emprunts à d’autres poètes sont encore à envisager. Nous pensons que l’adverbe « humblement » pourrait cibler précocement et subrepticement François Coppée puisque la publication du recueil Les Humbles se préparait et allait avoir lieu le mois suivant. Après tout, plusieurs pré-originales de ce futur recueil sont parodiées dans l’Album zutique. Dans l’étude qu’il a consacrée au « Sonnet du Trou du Cul » dans le numéro 23 de la revue Parade sauvage paru en 2010, Philippe Rocher fait remarquer que l’expression « Humide encor », avec sa licence, figure dans des vers tournés contre « M. Louis Veuillot » en « légende d’une caricature d’Alfred Le Petit » :
Elle a beau revenir de Rome
Humide encor du goupillon
Sous une cloche au lieu d’un homme
On ne peut trouver qu’un melon[.]
Or, la même expression avec la même orthographe figure dans un poème « Promenades sentimentales II » du recueil Les Flèches d’or d’Albert Glatigny, auteur lui aussi d’un autre recueil grivois publié sous le manteau (Joyeusetés galantes du vicomte…) :
Ne crains pas, l’herbe est si douce !
Pour tes chers pieds de satin :
Nous marcherons sur la mousse
Humide encor du matin.
S’en fiant au lien de l’expression « Humide encor » avec une caricature de Louis Veuillot, Philippe Rocher songe, mais sans que le raisonnement puisse aisément être suivi que la « praline » à la rime du « Sonnet du Trou du Cul » soit la reprise de ce mot exprimé au pluriel dans un texte de fausse réclame, en prose, accompagnant une autre caricature de Veuillot : « pralines de l’immaculée conception ». En l’état actuel de nos recherches, nous ne soutenons pas ce dernier rapprochement. Nous sommes également plus réservés quant à certains rapprochements avec des poèmes d’Hugo, Baudelaire, et nous n’avons pas encore réfléchi à des échos possibles avec d’autres poèmes de Verlaine ou de Rimbaud. Ceci dit, autant la piste du recueil Les Amies a du sens, autant les rapprochements avec « Voyelles », « L’Etoile a pleuré rose… » et « Le Bateau ivre » ne sont à plaider qu’en sens inverse, puisque fort probablement ces trois poèmes ont été composés après les facéties zutiques. A cette aune, nous ne souscrivons pas du tout à l’idée que le « Sonnet du Trou du Cul » puisse parodier les « ventouses » du « Bateau ivre », l’étoile qui a « pleuré rose » ou la couleur des « voyelles ». Ce qui est juste, c’est, en revanche, qu’un manuscrit étonnant atteste que la suite sonnet et quatrain du « Sonnet du Trou du Cul » et de « Lys » a été reprise au sujet de « Voyelles » et de « L’Etoile a pleuré rose… » sur un feuillet manuscrit, tandis que le titre étonnant « Le Sonnet des Voyelles » vient d’une introduction dans la notice des Poètes maudits de Verlaine, mais coïncide avec les titres du recueil de Mérat, ce qui pourrait donc être un fait exprès de Verlaine, en toute connaissance de cause.
Nous en arrivons enfin à la pièce maîtresse révélée par Steve Murphy, le recueil Amours et Priapées d’Henri Cantel duquel Philippe Rocher ne retient dans sa synthèse que deux sources d’emprunts : un sonnet intitulé « Ephèbe » et un autre « Aline ». Rappelons notre thèse : nous pensons que Verlaine attachait une réelle importance à ce recueil Amours et Priapées et qu’il était une référence commune pour l’auteur du recueil Les Amies et pour l’auteur du recueil L’Idole, sans oublier la question des distributions excentriques des rimes de sonnets dans le recueil Avril, mai, juin, publié sans nom d’auteur et coécrit par Valade et Mérat. Aussi, dans le contexte zutique, nous envisageons une opération concertée où les deux recueils Amours et Priapées et L’Idole furent consultés par tout un groupe de personnes, probablement les zutistes pour l’essentiel, avant que Verlaine et Rimbaud ne se mettent à composer en s’appuyant sur les exemplaires à disposition. Il faut bien comprendre que, si, avec la mention du surtitre « L’Idole », la fausse signature, la notion de blason et la forme du titre de poème, les emprunts au volume d’Albert Mérat allaient de soi, il n’en allait pas de même du recueil de Cantel dont la seconde édition en 1869 était d’ailleurs contemporaine de la publication mératienne. Or, si les quatrains sont de Verlaine et les tercets de Rimbaud, nous trouvons plusieurs emprunts aux sonnets d’Henri Cantel dans l’ensemble du « Sonnet du Trou du Cul ». Ainsi, pour commencer, relevons que Verlaine a repéré le bouclage particulier du sonnet « Le Clitoris » :
Le clitoris en fleur, que jalousent les roses,
Aspire, sous la robe, à l’invincible amant ;
Silence, vents du soir ! taisez-vous, cœurs moroses !
Un souffle a palpité sous le blanc vêtement.

[…]
Et le désir en flamme ouvre amoureusement
Le clitoris en fleur que jalousent les roses.
Il s’est inspiré du début du sonnet : comparaison avec les fleurs, position métrique de « Aspire », idée de dissimulation « sous la robe », présence du mot « vents » qui devient nettement comique chez Verlaine avec son « vent cruel », sachant que ce mot était absent du recueil L’Idole. Citons dans la foulée le début de « La Baigneuse » avec le rejet au vers 2 : « Sa bouche purpurine / S’ouvre, comme une fleur ». Surtout, un autre sonnet a pu compléter l’innutrition verlainienne, « Odor di femina » :
[…]
La rêverie arrive, et le poëte admire
Vos cheveux, votre cou, votre sein qui soupire ;
[…]
Sur vos corps blancs et nus, jaspés de veines roses,
Comme dans un jardin où foisonnent les roses,
On respire une odeur d’amour et de printemps.
De telles reprises dans un « Sonnet du Trou du Cul » sentent la farce à plein nez.  Surtout, le poète des Fêtes galantes a repris la comparaison « comme un œillet » au poème III « Ephèbe » de la série « Hermaphrodite » qui pourrait être en partie un modèle pour le sonnet « Le Bon disciple » saisi par la justice belge en juillet 1873. La comparaison est appliquée à un "anus" ouvert à un « phallus » chez Cantel, rime in absentia, elle l’est aussi à un anus non nommé, malgré "Vénus anadyomène" de Rimbaud, dans la parodie zutique. L’expression ne va toutefois pas sans maladresse dans le recueil source, mais il faut justement citer cette maladresse qui a aussi du sens, la répétition verbale aux deux extrémités du vers :
Ma fesse peut sans honte et sans remords jaloux
S’ouvrir à ton phallus, comme un œillet qui s’ouvre…
Nous constatons le lien pertinent avec le recueil de Mérat. Au-delà de la métaphore florale appliquée à un organe sexuel, le sonnet de Cantel exprime sans détour les choses et nomme la partie charnue du corps féminin censurée par l’éditeur Lemerre : « Ma fesse » en début de second tercet et « Tes fesses » comme premiers mots du sonnet lui-même. Ces « fesses » sont, qui plus est, caractérisées par une « odeur de lys » et « une pudeur / De la rose au matin », ce qui, au passage, invite à penser que « Ephèbe » est une source au quatrain « Lys » de Rimbaud. Enfin, l’expression « jusqu’au cœur » à la rime dans le sonnet « Ephèbe » est à cheval à la césure du vers 4 dans le « Sonnet du Trou du Cul » :
Tourne tes reins ! Pendant que ma force virile
Les baignera d’un flot qui monte jusqu’au cœur, (Cantel)
Obscur et froncé comme un œillet violet
Il respire, humblement tapi parmi la mousse
Humide encor d’amour qui suit la fuite douce
Des Fesses blanches jusqu’au cœur de son ourlet. (Verlaine)
Le passage éclaire bien le sens sexuel du quatrain verlainien, « Humide » et « baignera » se font écho. Le chevauchement de la césure par « jusqu’au » mérite un commentaire. Hugo avait pratiqué une césure audacieuse, mais après la forme condensée « jusqu’à », notamment dans Les Châtiments : « Il a banni jusqu’à des juges suppléants », vers du poème « Un bon bourgeois dans sa maison ». Rimbaud compliquera ce tour dans Le Bateau ivre : « Et je voguais, lorsqu’à travers mes liens frêles », en jouant sur la rencontre entre deux locutions « jusqu’ » ou « jusqu’à » et « à travers ». Mais, Mendès dans Philoméla a donné l’exemple de la césure à cheval que Verlaine pratique ici et qu’il pratique à nouveau dans Romances sans paroles. Mais, je n’exclus pas que cette césure au vers 4 soit un hommage à la césure cocasse d’autodérision du « Prologue » des Amours et Priapées, « que n’ai-je » qui au passage relève de l’équivoque sexuelle : « Chers poëtes, que neigent la force et la grâce ». Suit un blanc pour marquer le coup.


D’autres échos peuvent être relevés pour ce qui concerne les deux quatrains de Verlaine, mais ils n’auront peut-être pas le caractère probant d’emprunts exprès.
Les tercets de Rimbaud contiennent sans doute un plus grand nombre de reprises au recueil d’Henri Cantel, et nous découvrons ceci de remarquable que Rimbaud reprend précisément des idées aux sonnets qui ont inspiré les quatrains de Verlaine. Le mot « jaloux » ou ses variantes reviennent dans plusieurs poèmes, mais dans notre citation plus haut du sonnet « Le Clitoris », exploité par Verlaine selon nous, la forme verbale « jalousent » apparaît qui a un écho adjectival chez Rimbaud et la mention « jaloux » est à la rime du sonnet « Ephèbe », cela fait beaucoup, bien qu’un emprunt à Mérat ait déjà été établi :
Le clitoris en fleur que jalousent les roses. (« Le Clitoris »)
Ma fesse peut sans doute et sans remords jaloux (« Hermaphrodite » III « Ephèbe »)
Mon âme, du coït matériel jalouse, (« Sonnet du Trou du Cul »).
Le nom « moiteurs », cette fois sans renvoi mératien, reprend en réalité la mention « moites » qui apparaît dans « Honesta meretrix » : « Menant, parmi les lys, à cette rose moite, » sonnet où figure aussi des « lèvres, rouge œillet, » mais l’adjectif « moites » est également présent dans un poème exploité par Verlaine « Odor di femina » : « Vos membres délicats, moites sous les caresses[.] » Et du poème « Ephèbe », exploité également par Verlaine, Rimbaud a non seulement souligné dans sa parodie au carré la mention adjectivale « jaloux », mais il s’est encore inspiré de l’équivoque d’une « verge » qui « rêve » pour enfoncer encore plus le côté comique de la soif du rêve et de la bouche de Mérat en son volume.
Tes fesses ont l’odeur du lys, et la pudeur
De la rose au matin, blanc jeune homme, et ma verge
Qui veut cueillir deux fois les primeurs d’un corps vierge,
Rêve de se plonger entre leur profondeur.

Tourne tes reins ! Pendant que ma force virile
Les baignera d’un flot qui monte jusqu’au cœur,
Mes mains, jouant autour de ton jardin nubile,
De tes sens enflammés attiseront l’ardeur.

Je t’aime, Hermaphrodite, et je soupire encore !
Viens ! apaise à ton tour le feu qui me dévore ;
C’est un secret nouveau ; viens, et sois mon époux !

Ma fesse peut sans honte et sans remords jaloux
S’ouvrir à ton phallus, comme un œillet qui s’ouvre...
– Beau marbre, adieu ! retourne à ton coussin du Louvre !
Remarquons que le poème qui suit immédiatement « Ephèbe », le morceau « Amour, où vas-tu ? » contient des gallicismes aux vers 7 et 8 qui peuvent eux aussi être rapprochés des vers 12 et 13 du « Sonnet du Trou du Cul », en concurrence aux exemples mératiens :
La vierge dit : C’est un ange !
La femme dit : C’est l’Amour !
Mais Rimbaud ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Son idée du premier tercet d’une âme et d’un Rêve qui aspirent à plus de réalité physique prend sa source dans plusieurs vers d’Henri Cantel. J’en donne une liste assez conséquente où remarquer l’adverbe « souvent » du sonnet « Vierge Callipyge » repris dans le premier tercet de la parodie zutique : « Mon Rêve s’aboucha souvent… ». Rappelons-nous que chez Mérat l’avant-dernier sonnet gommait la mention explicite des « fesses », mais utilisait la mention « Callipyge » pour clairement posé le sujet du blason. Nous n’avons pas traité de l’influence possible de l’œuvre de Cantel sur Mérat, à l’exception du « Prologue », mais le sonnet « Vénus Callipyge » contraste avec « l’avant-dernier sonnet » par sa mention explicite des « fesses », tout en laissant penser que Mérat a très bien pu s’en inspirer : « Qu’un sculpteur grec baigna d’une grâce inconnue », « Tu souris aux contours de ta divinité. » Mais, d’autant que j’en serais presque à évoquer une comparaison avec « Vénus Anadyomène », resserrons notre étude et citons donc notre liste de sources aux tercets rimbaldiens :
Mon luth plus chaste, ailleurs fut un écho de l’âme, (« Prologue »)
Rêvant les voluptés multiples d’un satrape, (« A l’amour »)
Tout poëte t’adore, immobile et rêvant ;
Son regard, ce baiser des cœurs forts, a souvent
Brûlé d’un vain baiser tes deux fesses de marbre. (« Vénus Callipyge »)
Ma bouche veut encor, folle de volupté,
Presser le dur rameau de ta virilité,
Et boire jusqu’au sang sa sève défendue ! (« Vierge »)
– « Aline, mon cher cœur et mon rêve adoré,
Va ! ne crains rien, c’est moi, ta Léona ! Je t’aime
Et brûle d’infuser mon amour en toi-même !

Mes lèvres vont cueillir ton fruit tant désiré ! »
[…] (« Aline »)
On eût dit qu’elle avait vingt lèvres à la fois…
Aline se pâmait à ce jeu qui la tue.

– « Ouvre ta cuisse blanche et ronde, mon enfant ;
Ton clitoris, blotti dans sa toison dorée,
Veut les tendres fureurs d’un baiser triomphant ! » (« Volupté »)
Si l’on boit un baiser dans son tiède calice,
On goûte, volupté, ton enivrant supplice,
On y suspend son âme, et l’on se sent pâmer.

Ô femmes ! votre cœur sur vos lèvres soupire,
Et l’amant qui vous aime à la hâte respire
Cette fleur que l’oubli tôt ou tard doit fermer ! (« Les Lèvres »)
Le corps est un vaste poëme,
Aussi profond que l’âme même ; (« Epilogue »)
Le poème « Aline » que Rocher envisage déjà comme une source au « Sonnet du Trou du Cul » contient plusieurs possessifs, à compléter avec le poème de la même série « Vierge » : « ma bouche », « mon cher cœur et mon rêve adoré », « mes lèvres ». L’intérêt d’un poème tel que « Aline », c’est son animation sexuelle torride entre deux êtres, en l’occurrence deux lesbiennes, ce qui permet de justifier le glissement torride du « Sonnet du Trou du Cul » qui ne s’en tient pas au blason pudique du premier modèle, engageant l’idée d’un acte sexuel tout récent dans les quatrains de Verlaine, un rappel d’une activité sexuelle débridée dans le basculement aux temps du passé des tercets rimbaldiens, et une ambiguïté homosexuelle déplaçant encore plus les lignes érotiques, en s’appuyant sur le cliché des amours saphiques dans la littérature érotique publiée sous le manteau, ce qui implique au passage une plaquette de Verlaine.
La mention « pâmée » revient elle-même à plusieurs reprises dans le recueil, voyez nos citations de « Volupté » et « Les Lèvres » : ce ne sont pas les seules que nous pouvions faire, nous ajouterons seulement l’expression « la terre pâmée » à la rime du second vers du poème « A l’amour » qui succède au « Prologue », car elle impose un rapprochement avec « l’olive pâmée », et nous citerons les six premiers vers justement de ce sonnet « A l’amour » car, en incluant une occurrence du mot « sanglots », non présent chez Mérat, ils ont l’air de nommer l’ambiguïté sexuelle qui fait le fond du poème zutique sur l’anus :

Amour, supplice heureux, rêverie enflammée,
Toi qui sous le soleil tiens la terre pâmée,
Dieu de la volupté, des sanglots et des pleurs,
Sur tes brûlants autels coule le sang des cœurs.

N’es-tu pas, dans les mains de l’homme et de la femme,
Un miroir où chacun vient regarder son âme ?
[…]
Enfin, si dans le second tercet du « Sonnet du Trou du Cul », nous observons qu’une rime « câline » :: « praline » est suivie d’un emploi suspect au masculin de l’adjectif « féminin », Rimbaud s’inspire des rimes de deux sonnets « Coquetterie nocturne » et « Les Cheveux de la femme » qui ne sont séparés que par un seul autre. Dans « Coquetterie nocturne », nous avons la rime « et de l’œil se câline » :: « s’incline » dans le premier tercet vers 10 et 11, tandis qu’au premier tercet, toujours, mais vers 9 et 10, nous avons la rime « têtes féminines » :: « odeurs divines » pour le poème « Les Cheveux de la femme ». Ces rimes n’ont pas été relevées dans l’article de Rocher, mais elles contiennent une double subtilité. Dans un premier temps, elles permettent justement de confirmer que le prénom « Aline » doit se lire dans la rime « câline » :: « praline », comme l’a bien vu Rocher, et cela implique un horizon de confusion puisque les amours lesbiens entre Aline et la louve permettent d’imaginer que l’anus peut être celui d’un homme dans le blason des zutistes. Mais, dans un second temps, la reprise de « féminine » à la rime chez Cantel en sa variante au masculin à la césure : « Chanaan féminin », est donc confortée en tant que signe d’une ambiguïté sexuelle latente. L’anus est féminisé sans nécessairement être celui d’une femme.
Considérant avoir évité de citer tous les rapprochements moins probants, signalons pour en finir le sonnet « Dévotion » qui sert de tremplin à l’idée de « Chanaan féminin dans les moiteurs enclos » :
Ta bouche est un vivant ciboire
[…]
Ta langue est une chaude hostie
[…]
Voilà ! Nous osons croire que le remarquable entrelacement d’une foule considérable d’emprunts à deux recueils distincts dans les quatorze vers parodiques des sieurs Rimbaud et Verlaine a été prouvé et que la signification obscène du doublage parodique de l’œuvre de Mérat par la médiation du recueil de Cantel a paru signifiante comme éloquente à nos lecteurs. Il y avait là de vrais enjeux de sens.
Sachez que nous parlerons encore de ce recueil d’Henri Cantel, car son poème « Ecce homo » contient la même distribution sur deux rimes des tercets du sonnet Poison perdu. Il se termine aussi par une citation du poème de La Légende des siècles intitulé « Le Satyre ».
Parfois, lorsque l’esprit, comme un roi sans couronne,
Vers un lointain exil et des cieux inconnus,
S’enfuit, la chair docile aux conseils de Vénus,
Flot rouge et débordé, se révolte et frissonne.

Alors les désirs fous, meute qu’on emprisonne,
Montrent leurs yeux ardents et tordent leurs bras nus ;
Hors du cercle où l’esprit les avait contenus,
Ils brûlent tout, pareils à la mort qui moissonne.

L’homme et la femme, las de leur accouplement,
Vont cueillir au hasard les voluptés de Rome
Et les lubricités où se berça Sodome.

Priape, demi-dieu de l’abrutissement,
Lève son fier phallus vers le bleu firmament :
Et s’écrie : - « A genoux ! adorez ! voici l’homme ! »


[1] Références Murphy, Rocher.

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