J'ai publié récemment un article de mise au point où je montre que le "Sonnet du Trou du Cul" est une parodie au carré ou parodie à double fond. L'idée de double parodie n'est pas pleinement adéquate dans la mesure où il s'agit de se moquer de Mérat et non pas de Cantel, mais on ne va pas écrire cela non plus de manière compliquée. En clair, le sonnet de Verlaine et Rimbaud fait des emprunts à deux recueils, d'un côté à Amours et Priapées d'Henri Cantel, de l'autre à L'Idole d'Albert Mérat, seule cible déclarée.
Steve Murphy a découvert l'emprunt le plus net au volume de Cantel, à savoir la comparaison de l'anus à un oeillet. Cela entre dans une logique de la signification homosexuelle du mot "oeillet" avec valorisation du Dictionnaire érotique moderne de Delvau qui est assez bébête et tautologique dans ses explications métaphoriques de divers mots, mais qui sert donc de référence pour prouver qu'à telle époque une expression peut avoir un emploi obscène.
Le problème, c'est que ce prisme du dictionnaire empêche de considérer l'importance de Cantel en lui-même.
Le recueil de Cantel a été publié sous le manteau en 1860 par Poulet-Malassis. Or, l'éditeur réfugié en Belgique ne s'est pas arrêté là. Il a publié sous le manteau en 1864 le Parnasse satyrique du dix-neuvième siècle et en 1866 il l'a enrichi avec un Nouveau Parnasse satyrique en complément. Ces volumes réunissent des poèmes censurés, obscènes, inédits de nombreux poètes en vue du dix-neuvième siècle : Banville, Gautier, Monselet, Hugo, Béranger, Musset, etc. et bien sûr les poèmes condamnés des Fleurs du Mal de Baudelaire. C'est aussi en 1866 que Poulet-Malassis a publié les Joyeusetés galantes et autres du vidame Bonaventure de la braguette, recueil d'Albert Glatigny publié sous le manteau encore une fois et sans nom d'auteur.
Or, tenté par l'expérience, Verlaine a publié chez Poulet-Malassis en 1867 une plaquette Les Amies avec une suite numérotée en chiffres romains qui s'inspire du recueil Amours et Priapées d'Henri Cantel. Et, en 1869, Poulet-Malassis a réédité ce volume d'Henri Cantel qui a précédé toutes les autres publications que nous venons de citer.
Je n'ai pas clairement compris si le frontispice de Félicien Rops ne concernait que la réédition de 1869 ou s'il figurait déjà dans l'édition de 1860. Je penche pour un ajout à l'édition de 1869. Mais, là encore, c'est important. Félicien Rops est un ami belge de Baudelaire et il est aussi l'auteur du frontispice qui orne le Parnasse satyrique du dix-neuvième siècle. Les frontispices sont tous les deux faunesques, les dessins de faunes étant fort présents dans l'édition du volume obscène de Glatigny.
Rimbaud a repris un titre d'un sonnet du recueil Avril, mai, juin de Mérat et Valade qu'il a raccourci en "Tête de faune", et il en a fait le titre d'une composition qui ne fait pas partie de l'Album zutique, mais qui en prolonge l'esprit.
Il reste maintenant à revenir sur deux points : d'un côté, le lien de Poulet-Malassis à des livres de contributions manuscrites obscènes, de l'autre la confrontation des éditeurs Poulet-Malassis et Lemerre.
L'Album des Vilains Bonshommes et l'Album zutique étaient des créations manuscrites impubliables. L'existence du premier s'apprend au hasard d'une lecture de la correspondance de Verlaine, l'existence du second est longtemps restée inconnue et a surpris tout le monde dans les années 1930, à soixante de distance des contributions mêmes.
Or, quand dans sa lettre à Coppée du 18 avril 1869, Verlaine fait un descriptif de ce que doivent être exclusivement les contributions à l'Album des Vilains Bonshommes il ne fait rien d'autre que de fixer les conditions pour paraître dans un volume sous le manteau du type le Parnasse satyrique du dix-neuvième siècle, ce qui remet en cause l'idée d'une littérature non vouée à la publicité, non prévue pour la publication. L'Album zutique correspond nécessairement au même projet, puisque dans sa lettre à Valade Verlaine qui regrette l'ancien Album des Vilains Bonshommes déclare s'inspirer des Joyeusetés galantes de Glatigny notamment.
Ces projets ne peuvent se faire sous la houlette du "bon éditeur" Lemerre. Verlaine a publié Les Amies chez Poulet-Malassis. Or, le nom "Panrasse" figure donc en tête de deux ouvrages parus sous le manteau chez Poulet-Malassis, l'un en 1864, l'autre en 1866, quand le premier volume du Parnasse contemporain date de 1866. Poulet-Malassis reprenait le titre d'un ouvrage collectif libertin de 1622 dont le premier poème avait eu de fâcheuses conséquences pour son auteur Théophile de Viau. Et l'ouvrage de 1622 avait des caractères d'imprimerie archaïques avec des "s" ressemblant à des "f".
En 1869, alors que Poulet-Malassis réédite le volume Amours et Priapées d'Henri Cantel, Albert Mérat a publié chez Alphonse Lemerre un ouvrage de blasons du corps féminin qui renvoie à une certaine tradition, à tel point que le principe archaïque des "s" ressemblant à des "f" a été adopté. Mais l'érotisme du recueil de Mérat s'est imposé d'importantes limites. Mérat songeait pourtant au livre d'Henri Cantel avec lequel il partage le fait d'être un recueil de sonnets avec un sonnet "Prologue" et un sonnet "Epilogue".
Voilà les raisons pour lesquelles le "Sonnet du Trou du Cul" est tout du long une double imitation de Cantel et Mérat. Le "Sonnet du Trou du Cul" sera ce qu'aurait dû être la création plus débridée, plus licencieuse de Mérat, s'il avait changé d'éditeur!
Voilà qui ajoute encore de la profondeur à la cruelle parodie zutique de Verlaine et Rimbaud !
Et je n'oublie pas la mise en perspective avec le discours tenu dans "Alchimie du verbe" sur les "livres érotiques sans orthographe", les "refrains niais" et les "rythmes naïfs", parce que, avec les citations de Favart et les poèmes sous le manteau, nous sommes bien dans le sujet.
Et je n'oublie pas la mise en perspective avec le discours tenu dans "Alchimie du verbe" sur les "livres érotiques sans orthographe", les "refrains niais" et les "rythmes naïfs", parce que, avec les citations de Favart et les poèmes sous le manteau, nous sommes bien dans le sujet.
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