Le tercet du "U vert" est celui des cycles, j'ai parlé du cycle de l'eau, mais il est aussi question du cycle de la vie avec la jeunesse et la vieillesse, et ces cycles s'inscrivent dans une bipartition entre terre et mer
Deux associations pour le A noir, trois associations plutôt que quatre pour le E blanc puisque "rois blancs" apparait comme une apposition à "glaciers fiers", trois associations pour le I rouge
Dans le cas du U vert, nous avons quatre associations La première "cycles" est directrice, nous avons ensuite une association maritime, une association terrestre et une association à la figure du vieux sage plein d'expérience Mais, par l'anaphore du mot "paix" l'image terrestre et l'image de la vieillesse studieuse sont liées, tandis que, sur le manuscrit, le point-virgule à la fin du vers 9 tend non seulement à conforter ce dernier recoupement, mais à présenter le mot "cycles" en couple avec l'image d'oscillation perpétuelle des vagues
Par ses assonances et allitérations appuyées, le vers 9 permet de faire entendre par équivoque le mot "vie" :
U, cycles, vibrements divins des mers virides
Ce soulignement est significatif au plan de l'enchaînement à la rime "virides" :: " rides", d'autant qu'il est question d'empreinte laissée d'un mot à l'autre Les vibrements vivants s'impriment rides sur les grands fronts studieux Nous passons d'un mode du changement à un mode de la permanence, avec une amusante perte de "vi(e)" d'un mot à l'autre de la rime La plupart des rimes de ce poème sont des rimes par inclusion, autrement dit à chaque rime un mot peut être inclus dans son voisin, du moins pour l'oreille, sauf "voyelles"::"cruelles"
Or, la rime par inclusion "virides"::"rides" est nettement du côté de l'effet de sens, à la différence de "ombelles"::"belles", "tentes"::"pénitentes", "étranges"::"Anges", "studieux"::"Yeux" La seule autre rime à effet de sens est "latentes"::"éclatantes" dans ce sonnet
Aux vers 10 et 11, Rimbaud passe à l'image terrestre qu'il associe à la vieillesse, ce qui laisse entendre que les mers sont jeunes, voire portent le renouvellement, l'énergie La terre et la vieillesse sont articulées autour de la notion de paix, ce qui laisse entendre que la révolte et la violence ont plus à voir avec les mers
La paix associée au vieillissement fait inévitablement songer à la mort également
La bipartition opposant le vers 9 aux vers 10 et 11 est décidément très importante
Mais, il ne s'agit pas ici d'une opposition entre la mer et la terre du type du Bateau ivre ou de "Qu'est-ce pour nous, mon Coeur" La paix est ici la pérennité positive de la Nature, la protection accordée et même profusion si, en forçant un peu, on associe ce mot à l'idée de pâtis
Le pâtis est un mot rare, il apparaît dans des poèmes parnassiens, de Theuriet en tout cas, mais peut-être postérieurement à la composition de Voyelles Ce mot rare "pâtis" figure aussi dans Ce qu'on dit au Poète à propos de fleurs accompagné d'un adjectif remarquable "pâtis panique" L'adjectif évoque Pan et donc le tout de la Nature, le pâtis est élargi au monde
Un pâtis est un endroit qu'on ne cultive pas, soit lande, soit terre en friche, où les bêtes viennent paître, mais le mot "pâtis" suppose surtout un monde sauvage par opposition au mot plus courant "pâturage" L'association au participe passé "semés" confirme cette idée de monde non domestique, mais libre Le geste du semeur est ici geste divin Ce mot "semés" n'est pas qu'un terme métaphorique usuel pour dire que les animaux sont éparpillés Son sens propre importe également Car ces animaux sont des semences et on se rappellera de l'image du poème "Morts de Quatre-vingt-douze" :
Ô Soldats que la Mort a semés, noble Amante,
Pour les régénérer dans tous les vieux sillons
Je me bats depuis des années pour dire que dans Le Dormeur du Val la répétition "dort", parce qu'elle est insistante et étendue à tout le poème, n'est pas un euphémisme pour la mort Les noyés du Bateau ivre descendent "dormir" eux aussi et dans Les Corbeaux là encore les "morts d'avant-hier" "dorment"
Cette paix dans la Nature avec ces animaux qui sont eux-mêmes des semences accueille les victimes des "puanteurs cruelles" et les martyrs qui ont craché leur sang et connu des "ivresses pénitentes", et pas seulement les gentils "frissons d'ombelles"
L'alchimie est bien sûr un terme métaphorique pour parler de la connaissance contemplative du poète, Rimbaud rejoignant nettement la figure traditionnelle du sage, plutôt que de camper un voyant en adolescent révolté, ce qui peut expliquer que le public peine à admettre cette valeur dans le poème
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