lundi 5 mai 2014

Remembrances et onanisme

Je ne m'occupe pas de Rimbaud ces moments-ci, mais j'ai toujours bien un petit quelque chose en réserve.
Un des axes de recherche, c'est la poésie en vers mineure de son siècle. Le sujet de la "soeur de charité" a été plus d'une fois traité tout au long du dix-neuvième siècle, que ce soit dans ces toutes premières années, à l'époque du romantisme triomphant, à l'époque parnassienne, dans les années d'écritures du jeune Rimbaud, mais c'est un sacré travail que de toute retourner à ce sujet pour apprécier la veine souterraine à laquelle peut quelque peu se rattacher le poème de Rimbaud.
Les Soeurs de charité, c'est le seul poème en vers qui n'ai pas un commentaire important dans l'oeuvre de Rimbaud. Si ça continue, c'est un trois quart demeuré de la théorie du genre qui va laisser un article de référence sur ce poème. Décidément, il va falloir que je m'en occupe.
En revanche, au sujet des Remembrances du vieillard idiot, le poème a quelque chose de frappant. L'Album zutique contient plusieurs dizains parodiques à la manière de Coppée, dont un bon nombre d'Arthur Rimbaud lui-même, et puis tout d'un coup on tombe sur ce long poème à rimes plates qui est signé François Coppée, ce qui confirme qu'il en est la cible satirique. Pourtant, le titre lui consonne volontairement avec le titre et le nom d'auteur : Les Contemplations de Victor Hugo, comme l'a déjà mentionné à tout le moins Jacques Roubaud. Les Remembrances du vieillard idiot, ce titre permet de cibler Hugo par la consonnance et en même temps il rappelle une autre parodie de Coppée, le bref poème Remembrances de Verlaine lui-même compris dans l'Album zutique. Le mot de remembrances permet l'équivoque, la superposition masturbation-remémoration.
Evidemment, une parodie de Coppée sous la forme d'un long poème en rimes plates impose de regarder dans l'oeuvre antérieure qui comporte non pas encore le recueil pourtant déjà annoncé dans la presse Les Humbles, mais le recueil Poëmes modernes. Et Michael Pakenham a cerné le parallèle entre l'obscène parodie de Rimbaud et la pièce Angelus de Coppée. J'ai signalé pour ma part que la nouvelle Ce qu'on prend pour une vocation est un intertexte clef dont certains passages font l'objet de réécritures par Rimbaud, notamment la fin "et tirons-nous la queue!" Mais, l'idée d'un Coppée nostalgique et onaniste est hissée au rang de vrai portrait type satirique qui revient à plusieurs reprises, ce que l'on observe encore dans le dizain de Verlaine "L'Enfant qui ramassa les balles..." avec le vers final et la rime finale "Habitude".
Evidemment, étant donné les scènes masturbatoires présentes dans l'oeuvre de Rimbaud, les rimbaldiens n'ont pas manqué d'opérer le rapprochement avec les préoccupations hygiénistes et les écrits du docteur Tissot. Je n'ai pas encore consulté ce genre d'ouvrages en fait, mais il y a un truc plus énorme encore à ce sujet qu'il faut connaître.
En 1809, un docteur Petit a envoyé aux Jeux floraux de Toulouse un long poème en rimes plates où précisément un jeune personnage s'abandonne à l'onanisme et tout le poème, éducatif, fustige la conduite coupable avec sensiblerie. Le héros a pour nom Eugène. Et il me semble que Les Remembrances du vieillard idiot, c'est précisément le croisement littéraire d'Angelus, Ce qu'on prend pour une vocation et ce poème bien évidemment refusé car impossible à citer aux jeux floraux de Toulouse en la très chaste année 1809.
Il me semble que la société des poètes farceurs ne pouvait pas ignorer ce célèbre antécédent et que son souvenir vivait de sa vie propre dans les discussions de comptoir zutiques ou autres.
Le poème dont même le nom dérangeait l'illustre académie s'intitulait : Onan, ou le Tombeau du Mont-Cindre.
On le trouve sur la toile, car là je ne sais pas copier/coller à partir d'un portable MacIntosch.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire